De la justice réparatrice à la justice transformatrice

Document de discussion


Commission du droit du Canada
Catalogue No JL2-6/1999
ISBN 0-662-64363-1
Canada

Avant-propos

La Commission du droit du Canada a fait des rapports sociaux l'un de ses principaux thèmes de recherche. Avec la diversification croissante de la société, les Canadiens et les Canadiennes, de plus en plus, se voient non pas simplement comme des individus, mais aussi comme des membres de groupes. Pourtant, dans une large mesure, notre droit demeure fondé sur le postulat que seuls comptent les individus. Cela est particulièrement évident dans la manière dont y sont considérées les relations interpersonnelles qui donnent naissance à des conflits.

Traditionnellement, le contentieux judiciaire repose sur la présomption que les procès ont pour but de dégager les faits qui ont trait à une situation de conflit particulière, pour ensuite établir quelles règles de droit s'appliquent à ces faits. Le processus judiciaire est axé sur l'affrontement de deux parties et sur le passé. Son application produit des gagnants et des perdants.

Or, ce modèle n'est applicable que d'une manière très imparfaite à bon nombre de nos plus importants problèmes sociétaux. Souvent, les conflits concernent plus de deux parties. Par ailleurs, les personnes en situation de conflit ne cherchent pas nécessairement la simple réparation d'un préjudice ou le rétablissement d'une situation antérieure; souvent, elles souhaitent la transformation d'une relation qui s'est dégradée.

Les limites du droit pénal et du droit civil sur le plan de la réponse aux conflits ont été étudiées d'une manière approfondie par les juristes et les commentateurs -- particulièrement dans le cas du droit pénal. On a consacré beaucoup d'énergie à la recherche de solutions autres que la punition et l'incarcération comme moyens de favoriser la réinsertion sociale des délinquants. L'idée de la justice réparatrice est une approche prometteuse, s'agissant du renouvellement du droit pénal.

Dans le droit relatif aux différends de nature civile -- contrats, droit de propriété, droit de la famille, etc. -- , on assiste à une remise en question analogue. Dans ce cas, l'objectif a habituellement consisté à envisager, comme modes de résolution des différends, d'autres solutions que le recours aux tribunaux. Aucun effort n'a été fait pour repenser la théorie et la pratique de la justice sur lesquelles ces autres solutions devraient être fondées, ni à évaluer dans quelle mesure ces remises en question témoignent de transformations sociales d'une nature plus globale.

Pour la Commission du droit du Canada, il existe un lien étroit entre la justice réparatrice dans le contexte du droit pénal et les autres modes de résolution des différends dans le domaine du droit civil. Dans les deux cas, on tente ici d'esquisser une nouvelle façon d'imaginer les mécanismes suivant lesquels les conflits sont définis et envisagés, les principes en vertu desquels on détermine quelles personnes sont véritablement parties à un différend et la nature possible des mesures de réparation optimales. Le présent document de discussion s'intéresse tout d'abord à la notion de justice réparatrice telle qu'elle a été élaborée dans le système de justice pénale, pour ensuite essayer d'en étendre la portée à d'autres domaines du droit, par le truchement de la notion de justice transformatrice.

Ce document de discussion a été préparé pour la Commission du droit du Canada par Dennis Cooley. La Commission apprécie grandement le travail qu'il a accompli. Elle tient aussi à souligner l'apport d'autres personnes au projet de la Justice transformatrice: Jennifer Llewellyn et Robert Howse, auteurs d'un document de travail intitulé « La justice réparatrice -- cadre de réflexion »; les participants à la Table ronde sur la justice réparatrice qui a eu lieu à l'automne 1998; et enfin, les personnes qui ont pris part au groupe de discussion électronique organisé par la Commission du droit le printemps dernier.

Nous espérons que ce document de discussion suscitera un débat approfondi, qui contribuera à orienter nos futures recherches sur le thème des rapports sociaux et nous aidera à établir un rapport sur la justice transformatrice à l'intention du Parlement du Canada. La Commission recevra avec plaisir les observations et les réflexions du public, qui peuvent lui être communiquées de la façon suivante:

Par la poste: Commission du droit du Canada
473, rue Albert, bureau 1100
Ottawa (Ontario)
Canada K1A 0H8

Par télécopieur: (613) 946-8988
Par courriel: info@cdc.gc.ca


Table des matières

Sommaire
Les conflits et la justice 2
La justice réparatrice: une nouvelle façon d'aborder les conflits 3
La perspective de la justice transformatrice 4

I Introduction

II Réflexion sur la notion de conflit
Les éléments des conflits
Différentes manières de définir les situations de conflit
Réponses aux conflits
Aborder les conflits sous l'angle de la réparation

III Réflexion sur la justice
Ce qu'on reproche au système de justice pénale
Punition privée et publique
La justice comme expérience vécue

IV La promesse de la justice réparatrice
Les programmes de justice réparatrice
Le cadre de la justice réparatrice
Les principes de la justice réparatrice
La justice réparatrice en tant que réponse aux conflits

V Les défis de la justice réparatrice
Qu'est que la réparation?
La justice réparatrice: une réponse aux conflits distincte, ou intégrée?
La coercition
La justice réparatrice et la justice
La justice réparatrice et la justice privée
Les besoins de la victime
La signification du mot « collectivité »
La justice pénale comme moyen de changer la société?
Quels intérêts sert la justice réparatrice?

VI La perspective de la justice transformatrice

Bibliographie sommaire


Sommaire

Un adolescent ne rentre pas à l'heure fixée par ses parents. Un travailleur est réprimandé pour avoir contrevenu aux règles de sécurité. Un employé divulgue des renseignements confidentiels à une entreprise concurrente. La police arrête une femme soupçonnée d'homicide involontaire. Un homme se fait reprocher par son épouse des propos déplacés tenus pendant un dîner. Un fabricant est incapable de payer les matières premières qu'il a achetées. Deux voisins cessent de se parler à la suite d'un désaccord sur l'emplacement de la limite entre leurs propriétés. Une entreprise contrevient à la réglementation sur l'environnement. Le chien d'une personne tue le poulet d'un voisin. Un chasseur abat un chevreuil sans permis. Un couple décide de se séparer. Par suite de la faillite d'une société, des travailleurs, des fournisseurs et des prêteurs ne reçoivent pas l'argent qui leur est dû. La Cour suprême du Canada clarifie les pouvoirs constitutionnels du Parlement.

Nos vies sont marquées par les conflits, au point où souvent nous ne nous rendons même pas compte de la manière dont des faits et des pratiques en arrivent à être qualifiés de conflits. Pour la même raison, les implications des stratégies mises en ¦uvre pour répondre à ces conflits passent souvent inaperçues. Un conflit, c'est davantage qu'un désaccord. Un conflit surgit lorsque les actions d'une personne ou d'un groupe sont considérées comme inacceptables par une autre personne ou un autre groupe, qui estime nécessaire de réagir. Est inacceptable le comportement qui déborde les limites de ce qui est généralement tenu pour un comportement normal ou acceptable dans une situation donnée. Le conflit est une caractéristique fondamentale de notre société: il nous amène à définir ce qui est bien et ce qui est mal, et à agir en conséquence.

Certains conflits peuvent provoquer des préjudices matériels et émotifs profonds et durables. D'autres produisent des effets fugaces. L'intensité d'un conflit tient à des éléments à la fois objectifs et subjectifs. Par exemple, des conflits peuvent causer des dommages matériels ou des préjudices physiques mineurs, tout en provoquant des dommages psychologiques durables. L'élément subjectif des conflits nous sensibilise au fait que les conséquences de ceux-ci dépendent dans une large mesure de la perception et des réactions de la personne lésée.

Les conflits ne sont pas seulement un aspect négatif de la vie sociale. Ils peuvent aussi avoir de nombreux aspects positifs. Ils apprennent à chacun d'entre nous à distinguer le bien du mal. Ils favorisent chez l'individu la croissance morale, le développement personnel. Sur un plan sociétal, les conflits nous aident à déterminer ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Les conflits nous permettent d'examiner, de réaffirmer ou de revoir les normes de comportement au regard d'intérêts contradictoires.

Pour une société, donc, les conflits constituent à la fois un défi et une occasion. Le but de la politique sociale ne saurait consister simplement dans l'élimination des conflits -- ce serait du reste impossible. Il consiste plutôt à miser sur le potentiel transformateur des conflits, à s'en servir pour construire une société plus juste.

La plupart des gens ont de nombreuses façons différentes de répondre aux conflits. Par exemple, dans certains cas on se contentera de faire preuve de tolérance, on évitera les comportements qui heurtent autrui, on essaiera de régler soi-même le conflit. Ces mesures informelles semblent banales quand on les compare à des réponses comme les procès pénaux ou civils, qui sont fortement empreintes de solennité et se caractérisent par le rite et le symbolisme. De prime abord, nous avons tendance à considérer le procès commela solution normale, voire la meilleure: nous pensons que c'est à l'État qu'il devrait revenir de régler les conflits. Pourtant, dans notre vie quotidienne, nous rencontrons rarement ces réponses institutionnelles. De plus, il n'est pas certain qu'elles soient plus raffinées ni plus efficaces (ou plus faillibles) que les méthodes informelles auxquelles nous avons recours tous les jours.

Les conflits et la justice

Les conflits et la manière dont nous y réagissons sont directement liés aux conceptions individuelles et sociales relatives à la justice et à ses exigences. Qu'est-ce qui peut être considéré comme une action juste, correcte et appropriée dans telle ou telle situation? Devant une situation conflictuelle, notre sens de la justice est interpellé. Il s'affirme quand nous réussissons à résoudre un conflit d'une manière satisfaisante.

La justice civile comme la justice pénale, telles qu'elles sont actuellement constituées, s'avèrent parfois impuissantes à cet égard. Le public semble perdre confiance en elles, il ne les croit plus capables de répondre à ses besoins et à ses attentes. Les tribunaux de juridiction civile sont de plus en plus inaccessibles pour un nombre croissant de citoyens. Mais au delà de l'accessibilité, c'est un sentiment de désenchantement et d'aliénation qui semble caractériser l'opinion des Canadiens et des Canadiennes sur la justice rendue par les tribunaux civils. La situation est analogue à l'égard du système de justice pénale. Victimes et délinquants sont mis à l'écart du processus pénal. Les contrevenants sont rarement confrontés aux conséquences de leurs actes. La police, les tribunaux et les professionnels du système correctionnel reconnaissent qu'ils sont sur le point d'atteindre les limites de la capacité du système de répondre efficacement à la criminalité. Tant le grand public que les professionnels sont d'avis que la politique et les pratiques actuelles laissent beaucoup à désirer. Tout le monde est à la recherche de nouvelles méthodes de résolution des conflits.

La justice réparatrice: une nouvelle façon d'aborder les conflits


IL ARRIVE QUE DES IDÉES et des innovations aient des débuts modestes et ne soient aucunement planifiées. Ainsi, lorsqu'un samedi soir deux adolescents éméchés se sont livrés à des actes de vandalisme dans la petite ville d'Elmira parce qu'ils en voulaient à la police locale, rien ne permettait de penser que l'incident ferait les manchettes des journaux ou marquerait l'histoire de la justice pénale. Et quand le 28 mai 1974, les deux jeunes hommes ont été arrêtés et ont plaidé coupables, de vingt-deux chefs de dommages intentionnels, ils ne pouvaient s'imaginer que l'expérience qu'ils allaient vivre serait relatée à maintes reprises, sous le nom de l'« affaire Elmira », dans d'innombrables articles, communications et conférences.

D.E. Peachey. « The Kitchener Experiment », dans M. Wright et B. Galaway (dir.), Mediation and Criminal Justice: Victims, Offenders and Community, London, Sage Publications, 1989, 14, p. 14.

Le concept de la justice réparatrice est une façon novatrice de répondre à la criminalité et aux conflits. On peut déceler dans le passé des peuples du monde entier des pratiques relevant de ce que nous appelons maintenant « justice réparatrice », mais le mouvement le plus récent en ce sens dans les systèmes de droit pénal occidentaux a vu le jour au début des années 1970. Deux Canadiens, Mark Yantzi et Dave Worth, avaient demandé à un juge de Kitchener, en Ontario, de leur permettre de mettre à l'essai une nouvelle méthode avec deux jeunes délinquants arrêtés pour vandalisme. Il s'agissait de laisser les victimes et les délinquants décider eux-mêmes, avec les autorités, de la meilleure façon de procéder pour réparer le préjudice causé par le conflit. Depuis lors, le champ des pratiques relevant de la justice réparatrice s'est élargi considérablement et ce type de justice, à l'origine considéré comme une approche marginale, en est venu à occuper une place reconnue dans la politique pénale.

La justice réparatrice se fonde sur une idée simple: la façon la plus efficace de répondre à un conflit consiste à réparer le préjudice causé par l'acte délictueux. Des mesures de réparation, matérielles et symboliques, sont le point de départ du processus, mais la réparation au sens large ne se limite pas au dédommagement de la victime. Pour la personne lésée, la réparation signifie à la fois la réparation du préjudice matériel causé par le conflit et le fait de retrouver la pleine maîtrise de sa propre vie. Pour le délinquant, la réparation suppose à la fois l'acceptation de la responsabilité de ses actions, par la réparation du préjudice qu'il a occasionné, et la prise de mesures à l'égard des problèmes qui ont contribué à la perpétration du délit. Pour la collectivité, la réparation signifie à la fois la dénonciation des actes délictueux et l'aide aux victimes et aux délinquants dans le cadre du processus de réparation. On voit donc que la justice réparatrice vise en même temps à répondre au conflit immédiat et à favoriser le développement d'une relation fondée sur le respect entre les délinquants, les personnes qui ont subi le préjudice et les membres de la collectivité.

Il existe actuellement toute une gamme de programmes de justice réparatrice dans le domaine de la justice pénale. La plupart sont fondés sur les trois principes suivants:

Chaque fois que la chose est possible, ces programmes de justice réparatrice amènent les délinquants, les personnes qui ont subi un préjudice et des membres de la collectivité à se réunir pour réagir aux retombées d'un crime en tenant compte des besoins de toutes les parties.

La perspective de la justice transformatrice

On retrouve dans d'autres domaines du droit bon nombre des problèmes qui se posent dans le système de justice pénale: le droit s'avère souvent incapable de répondre aux besoins des personnes aux prises avec un conflit; les conflits sont formulés selon le langage des tribunaux, plutôt qu'en fonction de la manière dont les individus les vivent; dans bien des cas, les mesures réparatrices ne répondent pas adéquatement aux besoins des personnes qui ont subi un pr& eacute;judice; souvent, le processus exige beaucoup de temps, il est coûteux, il entraîne de la confusion. Ne pourrions-nous pas appliquer les notions de la justice réparatrice aux conflits relevant du droit civil, dans des domaines comme le droit de l'environnement, le droit des sociétés, le droit civil, les relations de travail, les faillites personnelles et le droit de la famille, pour n'en citer que quelques-uns? Et même, ne serait-il pas possible d'appliquer ces idées aux litiges civils dans lesquels l'existence d'une faute ou d'une personne fautive n'est pas évidente?

Ce document de discussion constitue le premier volet du travail amorcé par la Commission du droit du Canada sur le thème des rapports sociaux. Selon la Commission, l'observation du fonctionnement de la justice réparatrice au Canada et ailleurs dans le monde peut être riche d'enseignements quant à la façon d'aborder des relations complexes où interviennent des intérêts divergents. En examinant les façons dont la justice réparatrice peut être développée au sein du système de justice pénale, nous souhaitons aussi vérifier s'il serait possible d'utiliser son cadre et ses principes pour établir de nouvelles conceptions à l'égard des processus utilisés pour la résolution des litiges civils.



I Introduction

Le droit et la justice, voilà deux des grandes idées par le truchement desquelles notre société décrit, oriente et favorise les rapports humains. Elles figurent aussi parmi les plus controversées. Parfois, le droit semble s'inscrire au rang de nos réalisations sociales les plus nobles; d'autres fois, il offre bien peu de réconfort à ceux et celles qui sont contraints d'endurer des relations douloureuses, insatisfaisantes ou dysfonctionnelles.

Lorsque des relations sont fondées sur la confiance, l'interdépendance et le respect, on les décrit souvent étant comme « saines » et « harmonieuses ». Dans ce cas, le droit peut sembler proposer des règles, des procédures et des institutions facilitant les interactions équitables. En revanche, lorsqu'un de ces trois éléments est absent, nous parlons habituellement d'une relation « déséquilibrée ». Le déséquilibre est souvent manifeste dans un conflit.

Mais les interactions humaines quotidiennes peuvent être conçues autrement. Ainsi, nous pouvons aussi considérer que les désaccords et les conflits sont un produit inévitable de la vie de tous les jours. Chacun et chacune a ses propres intérêts, ses propres désirs, ses propres projets qui, constamment, se heurtent aux intérêts, aux désirs et aux projets d'autres personnes. Il arrive en outre que des activités ne suscitant aucun désaccord au départ finissent par engendrer un conflit, parce que les circonstances ou les points de vue ont changé. Dans de tels cas, nous voyons une tout autre facette du droit: le droit comme moyen de réaliser la justice en réprimant des comportements socialement inacceptables qui se manifestent dans le cadre d'un conflit.

Depuis des siècles, les philosophes, les hommes et femmes d'État et les juristes débattent de la manière dont ces deux conceptions peuvent être réconciliées. Le débat a maintes fois été axé sur le droit pénal, où prévaut la perspective du « droit comme instrument de contrôle social ». Le droit annonce une série de comportements qu'il pose comme injustes et institue les mécanismes suivant lesquels ils seront formulés, détectés et réprimés. Dans le droit occidental, nous avons longtemps cru que conférer ce rôle à l'État est la meilleure façon de prévenir les vendettas et d'autres types d'escalades de conflits.

Or aujourd'hui, cette conclusion est de plus en plus remise en question. Le système de justice pénale sous l'autorité de l'État ne paraît plus répondre adéquatement à nos besoins. Pour bien des gens, la perspective du « droit comme moyen de faciliter l'interaction sociale harmonieuse » devrait occuper une place plus importante dans notre conception du droit pénal. Dans cette perspective, on met l'accent sur les relations entres les parties et sur la façon dont ces relations sont modelées par le droit et par d'autres institutions sociales.

La justice réparatrice est le concept dans lequel cette autre conception du droit pénal trouve habituellement son expression. Mais ce concept a aussi une résonance dans certaines formules contemporaines de résolution des différends civils qui prennent leurs distances à l'égard de la procédure judiciaire contradictoire. La justice réparatrice, comme ces formules, conduit à de nouvelles façons de concevoir la manière dont les conflits sont définis et envisagés et la manière dont ils peuvent être abordés dans un esprit créatif.

Dans ce document de discussion, nous examinons pour commencer, étudions le potentiel transformateur de l'idée de conflit elle-même. On n'a pas consacré suffisamment d'énergie à repenser les conflits ou la théorie et les pratiques de la justice sur lesquelles devraient reposer les réponses juridiques aux conflits. Sous ce rapport, la question initiale qu'il faut se poser est celle-ci: comment devrions-nous envisager les conflits, comment devrions-nous les aborder?


Il Réflexion sur la notion de conflit

Les conflits sont omniprésents dans nos vies; ils surgissent à la maison, au travail, dans nos rapports en tant que membres de diverses collectivités. Cela ne veut pas dire pour autant que notre vie quotidienne se déroule dans un climat de siège. Les conflits varient en intensité et en durée. Certains causent des dommages matériels et émotifs profonds et durables. En fait, certains conflits sont intégrés à nos vies au point où ils nous définissent. D'autres ont simplement un caractère irritant -- ces petits agacements vite oubliés au cours de nos activités quotidiennes. Par ailleurs, les conflits ne sont pas totalement négatifs. Sur le plan individuel, ils nous indiquent comment notre comportement touche autrui, nous suggèrent des façons différentes d'envisager certains actes, certaines situations. Sur le plan sociétal, les conflits créent l'impulsion qui provoque des changements et des progrès sociaux. La façon dont nous répondons aux défis et aux occasions suscités par les conflits découle de notre conception de la justice.

Les éléments des conflits


IL Y A UN CONFLIT dès qu'une personne cause un tort à quelqu'un ou exprime un grief à l'endroit d'une autre personne. Il y a un conflit dès qu'une personne adopte un comportement jugé déviant par une autre personne, ou soumet une autre personne à un contrôle social.

D. Black. The Social Structure of Right and Wrong, (éd. rév.), San Diego (Californie) Academic Press, 1998, p. xiii.

Le conflit résulte d'un comportement, chez un individu ou un groupe, qui pour une autre personne ou un autre groupe est inacceptable et mérite une réponse. Ce comportement peut être pathologique (la déviance sexuelle d'un pédophile, par exemple), mais dans la plupart des cas il s'agit d'actes moins graves, plutôt banals (comme le fait de fumer dans un lieu où c'est interdit). Le conflit et la façon dont nous y répondons sont indissociables: ils forment les deux volets de l'interaction sociale.

Le conflit, au sens où ce terme est entendu ici, est un concept relationnel. Il suppose nécessairement l'interaction de personnes ou de groupes au sein de la société. Ne sont pas visés, ainsi, le conflit psychologique, la tension ou l'anxiété psychique qu'on peut éprouver devant un problème, ni les tensions psychologiques attribuables à des besoins, des pulsions ou des attentes incompatibles ou contradictoires. Ce type de conflit peut avoir des répercussions sérieuses pour la personne concernée et ses proches; toutefois, nous nous intéresserons uniquement aux conflits, causés par un désaccord sur ce qui est « bien » et ce qui est « mal » (à des degrés divers), qui surviennent entre des individus ou des groupes.

Le conflit n'est pas le contraire de l'ordre; le conflit et l'ordre n'existent pas dans un rapport à somme nulle. Dans bien des cas, les règles et les méthodes auxquelles nous avons recours pour établir l'ordre dans notre société font elles-mêmes naître des conflits, intentionnellement ou non. D'une manière plus fondamentale, les conflits entre des personnes sont inévitables parce qu'ils sont liés à la désignation d'un comportement comme bon ou mauvais. En effet, les différends sur les conceptions de l'acte bon et de l'acte mauvais caractérisent la condition humaine. Ces conceptions varient souvent selon les grands axes de nos sociétés: culture, géographie, sexe, génération, ethnie, race, religion. Certaines notions de bien et de mal sont relativement constantes à travers tous ces axes (comme c'est le cas pour l'homicide), tandis que pour d'autres la variabilité est beaucoup plus grande (à l'égard de la consommation d'alcool, par exemple). Certains aspects touchent la plupart des citoyens, alors que d'autres concernent des groupes précis au sein de la société. Indépendamment des dispositions du droit pénal, les conceptions du bien et du mal peuvent changer selon le cadre social, et aussi au fil du temps.

Les débats sur le bien et le mal interviennent dans toutes les facettes de notre vie privée et publique. Au sein de la famille, ils sont fréquents, notamment dans les relations entre parents et enfants. Dans notre vie professionnelle, nous sommes continuellement appelés à créer, à interpréter, à observer des règles et des procédures qui structurent nos relations avec nos collègues et avec le public. En tant que membres d'une collectivité, nous participons à des discussions sur des sujets d'intérêt local et particulier (zonage, application des règlements, par exemple) comme sur des sujets de portée nationale et générale (droit constitutionnel, euthanasie, politique commerciale, immigration, etc.). Ces discussions s'articulent autour de notre conception du bien et du mal, de la façon dont nous répondons aux actes qui nousparaissent répréhensibles, des moyens à prendre pour prévenir les actes générateurs de conflits. C'est par le jeu de telles discussions que les notions de bien et de mal se cristallisent dans des règles et des pratiques sociales. Ces discussions ne sont jamais terminées. Les normes de comportement, tant officielles qu'informelles, sont continuellement remises en question et réexaminées.

Pour établir le cadre d'un conflit, il faut tout d'abord s'entendre sur les principes généraux en fonction desquels sera défini ce qui constitue un « bon » et un « mauvais » comportement. Mais le conflit peut aussi porter, justement, sur l'interprétation et l'application des définitions de ce qui est bien et de ce qui est mal. Une association de défense de l'environnement et une société minière peuvent reconnaître la nécessité de limiter le plus possible la dégradation de l'environnement, tout en divergeant d'avis sur l'interprétation des normes d'émission établies par un organisme de réglementation. Un frère et une s¦ur peuvent s'entendre sur l'opportunité de se partager un jouet, mais être en désaccord sur la mise en pratique de ce principe. Deux pays peuvent amorcer des négociations en vue d'élaborer un accord sur la protection des stocks de poisson, sans pour autant parvenir à s'entendre sur la répartition des prises entre les pêcheurs de chaque pays. Plusieurs raisons peuvent expliquer un désaccord sur l'interprétation d'un principe convenu: l'incertitude inhérente au langage, la difficulté de quantifier ou de mesurer des pratiques au regard de principes abstraits, le désir de tirer injustement un avantage concurrentiel, la malveillance, la protection d'intérêts économiques ou politiques -- pour n'en mentionner que quelques-unes.

Même dans le cas où tous les citoyens s'entendraient jusqu'à un certain point sur les conceptions relatives au bien et au mal, des conflits surgiraient tout de même. Pour diverses raisons, des personnes adoptent parfois des comportements dont elles savent qu'ils susciteront la réprobation des autres membres de la collectivité. Souvent, une collectivité acquiert une meilleure appréciation de ses valeurs du fait même que certains de ses membres les contestent expressément.

L'intensité d'un conflit peut être mesurée d'une manière objective et d'une manière subjective. Objectivement, on peut mesurer les préjudices corporels et émotifs causés à des personnes et les dommages causés à des biens. Les guerres, les insurrections et les autres formes de conflit armé occasionnent bien entendu des dommages considérablement plus importants que l'inscription de graffiti ou le stationnement illégal. L'intensité d'un conflit comporte aussi des éléments subjectifs. Supposons que l'appartement d'un couple est cambriolé. Chaque conjoint pourra répondre au conflit d'une manière bien différente. Par exemple, on peut imaginer qu'un des deux éprouvera une plus grande inquiétude et modifiera son comportement, ou bien voudra munir la maison d'un système d'alarme ou de barreaux de sécurité pour prévenir de futures effractions. L'autre se contentera peut-être, pour sa part, de remplacer les biens volés, sans rien changer à son mode de vie.

Les effets objectifs et subjectifs d'un conflit ne sont pas toujours en rapport les uns avec les autres. Les conflits qui provoquent d'importants dommages matériels et corporels risquent fort d'avoir de sérieuses conséquences subjectives, mais tel n'est pas toujours le cas. La réaction de chaque personne dépend de son âge, de son sexe, de ses rapports avec les autres personnes impliquées dans le conflit, de ses réactions à de précédents conflits et de plusieurs autres variables. Dans bien des cas, il est relativement aisé de remédier aux dommages objectifs causés par un incident, mais les répercussions subjectives de celui-ci peuvent se faire sentir pendant des semaines, des mois, voire des années.

Les conflits causent de la souffrance et des préjudices. Ils blessent des personnes et causent des dommages matériels, d'une manière parfois irréparable. Ils entraînent parfois la destruction des relations entre des personnes. Pourtant, les conflits peuvent aussi avoir des effets positifs. Ils permettent de tracer des frontières, tant au sens physique qu'au sens social. Ils établissent des limites quant à ce qui est un comportement acceptable et ce qui ne l'est pas. Les enfants apprennent quels comportements sont socialement acceptable en entrant en conflit avec leurs camarades, leurs parents, leurs enseignants, les autres personnes avec lesquelles la vie les met en contact. Les conflits précisent les normes en vigueur dans la société et les renforcent.

Sur le plan individuel, ils peuvent être propices à la croissance personnelle et au développement moral. Nous apprenons de nos erreurs. Nous apprenons à comprendre et à apprécier les intérêts et les préoccupations d'autrui. À l'échelle de la collectivité, les conflits sont une occasion de débattre des valeurs et des normes autour desquelles s'articulent les réglementations, d'examiner les hypothèses sur lesquelles elles reposent, de vérifier leur validité au regard de thèses opposées. Les conflits contribuent ainsi à modifier les règles formelles de façon à mieux tenir compte des intérêts contradictoires des individus et des groupes.

Différentes manières de définir les situations de conflit

La façon dont nous appréhendons et jugeons les comportements n'est jamais fixée. Elle reflète à la fois notre recherche d'une meilleure compréhension des notions de bien et de mal, et l'incessante transformation des relations de pouvoir au sein de la société. Par exemple, les associations de défense de l'environnement ont dû se battre pendant des années pour faire reconnaître le caractère inacceptable de certaines pratiques -- coupes à blanc, chasse commerciale à la baleine, chasse au phoque, brûlage à la torche du gaz naturel. En résumé, elles ont essayé de les définir comme des conflits. Il ne suffit pas de susciter un conflit. Il faut aussi préciser le type de conflit auquel on a affaire. Le fait que tel ou tel conflit soit considéré comme un problème de santé, un délit civil, une erreur de jugement, un manquement à une obligation contractuelle, un défaut personnel, un signe de psychose, une infraction au droit international, un problème économique, etc., dépend dans une certaine mesure du succès des luttes menées par des groupes opposés pour promouvoir leurs intérêts. Ces différentes caractérisations ne sont bien sûr pas exclusives: l'agression violente contre une personne peut constituer tout à la fois un crime, un signe de psychose et la manifestation d'un défaut personnel. Elles ne sont pas non plus immuables: une agression violente peut être définie au départ comme un défaut personnel, puis comme un crime, puis comme unsigne de psychose. Chaque partie à un conflit peut avoir sa propre façon de voir celui-ci, ce qui ne fait qu'accroître la complexité de sa résolution.

Le conflit est un concept relationnel; il se produit quand une personne définit comme inacceptables les actions d'une autre personne et estime qu'elles méritent une certaine réponse. La personne qui a subi le préjudice n'est pas toujours la mieux placée pour discerner le caractère déviant de l'action. Dans le cas de l'inceste, par exemple, il arrive qu'un enfant se fasse dire par une personne d'autorité que les rapports sexuels entre un adulte et un enfant sont une bonne chose. L'enfant peut alors très bien considérer les abus sexuels comme un comportement normal. Ce n'est qu'après l'intervention d'un tiers qu'il arrivera à comprendre le caractère répréhensible du comportement en cause.

Il n'y a, dans une situation de conflit, aucun élément inhérent qui ferait primer une caractérisation plutôt qu'une autre. La caractérisation privilégiée découle en grande partie du pouvoir relatif de différents groupes dans la société à telle ou telle époque. L'entreprise et la main d'¦uvre, le sexe, la race, l'ethnie sont autant de façons courantes de grouper divers intérêts dans la société. La capacité de ces groupes à faire reconnaître leurs intérêts varie au fil du temps. Néanmoins, étant donné leur position structurelle dans la société et les ressources dont ils disposent, certains groupes sont nettement favorisés au chapitre de la définition des conflits -- les entreprises par rapport aux travailleurs, les riches par rapport aux pauvres, les hommes par rapport aux femmes, les non-Autochtones par rapport aux Autochtones, par exemple.

La relation entre pouvoir et conflit est mise au jour lorsque changent les caractérisations d'un conflit par suite d'une lutte politique entre des groupes aux intérêts divergents. Des groupes de promotion de la santé ont livré un combat contre les sociétés productrices de tabac afin que la consommation de cigarettes soit perçue par le public, non plus comme un élément du mode de vie, mais plutôt comme un problème de santé. À l'inverse, de nombreux oncologues font des pressions auprès des autorités pour faire reconnaître le cannabis comme un traitement médical légitime plutôt que strictement comme une substance dont la possession constitue un crime.

La définition d'un conflit peut aussi constituer un moyen de perpétuer des relations marquées par un déséquilibre des pouvoirs. Jusqu'à il y une vingtaine d'années, la violence familiale était considérée comme un problème d'ordre privé. La police n'aimait pas intervenir dans des querelles qui étaient définies par le droit comme de simples conflits entre un homme et une femme. La définition et l'application des règles de droit reflétaient le déséquilibre de pouvoir entre les sexes; le fait de définir la violence conjugale comme un acte d'ordre privé dont il valait mieux ne pas se mêler, était une des nombreuses façons par lesquelles l'application de la loi conférait aux hommes des droits sur les femmes. C'est seulement grâce aux efforts des organisations de femmes et d'autres groupes que la violence conjugale en est arrivée à être considérée comme un acte criminel et à être punie en conséquence. La qualité de l'acte, elle, n'a pas changé. Mais sa définition a été modifiée. Le pouvoir de certains groupes s'accentuant, les préjugés véhiculés par les définitions traditionnelles de ce qui est public et ce qui est privé sont devenus apparents. Dans un sens très réel, la définition d'un conflit est le produit d'une lutte entre des groupes opposés au sein d'une société.


SI NOUS RECONNAISSONS que le droit, à l'instar de la science, prétend à la vérité et que cela est indissociable de l'exercice du pouvoir, nous pouvons comprendre qu'il exerce un pouvoir, non seulement dans ses effets matériels (les jugements) mais aussi dans sa faculté de discréditer d'autres connaissances, d'autres expériences. Le savoir non juridique devient dès lors suspect et/ou secondaire. Les expériences de la vie quotidienne ne présentent pas un grand intérêt du point de vue de leur signification pour les individus. Elles doivent plutôt être traduites sous une autre forme pour devenir des éléments « juridiques » et pour pouvoir être prises en compte par le système juridique.

C. Smart. Feminism and the Power of Law, London et New York, Routledge, 1989, p. 11.


Ces luttes de pouvoir se reflètent aussi dans le langage employé pour décrire un conflit et les types de connaissances et d'expérience jugés pertinents au cours des discussions qui le concernent. La profession médicale, les services sociaux, les syndicats, le droit pénal et le droit civil, les organisations de défense des victimes, les environnementalistes, les groupes de promotion de la santé, les économistes, le monde des affaires -- tous ces groupes ont leur propre terminologie, leur propre jeu de concepts, qu'ils utilisent pour caractériser des expériences particulières, promouvoir certains types de connaissances, discréditer d'autres points de vue. Le système juridique, par exemple, s'empare des conflits qui surgissent dans nos vies quotidiennes pour les traduire en termes de droits et de fautes. Les parties à un conflit deviennent des sujets juridiques dotés de droits, plutôt que des personnes ayant des problèmes qui doivent être résolus. Les aspects du conflit qui sont juridiquement pertinents sont reformulés dans le langage du droit, alors que les autres éléments sont mis de côté, indépendamment de l'importance qu'ils revêtent pour les intéressés.

De la façon dont nous abordons un conflit découle l'établissement d'un ensemble de critères au regard desquels sera appréciée l'issue de ce conflit. Le fait qu'un conflit soit défini de telle ou telle manière met en relief certains aspects et en relègue d'autres à l'arrière-plan. La consommation de drogues (autres que les médicaments) est actuellement considérée comme un problème relevant du droit pénal. Une fois le phénomène défini en ces termes, les organismes chargés de l'application de la loi sont appelés à réprimer l'utilisation de ces drogues. L'objectif principal consiste à réduire l'incidence de la consommation de drogues illicites au moyen d'arrestations et de condamnations. La prévention et le traitement des effets de la toxicomanie ne sont que des objectifs secondaires. Si on redéfinissait la consommation de drogues comme un problème de santé (comme c'est actuellement le cas pour le tabagisme), l'objectif principal serait axé sur la prévention et l'incitation à ne plus consommer. Le traitement deviendrait une grande priorité. Les enjeux économiques touchant les taxes perçues sur la vente de drogues auparavant illicites passeraient au premier plan, et le rôle de la police en matière de répression perdrait de son importance.

Une fois qu'un problème se fait caractériser d'une certaine façon, l'esprit institutionnel de la société favorise le maintien de cette caractérisation. C'est particulièrement vrai en matière de droit pénal. Par exemple, lorsqu'un différend a été qualifié d'infraction criminelle par la police, il est pratiquement impossible aux premiers intéressés de modifier cette qualification. Le conflit relève désormais de l'État; les participants au différend peuvent être consultés, peut-être leur demandera-t-on de témoigner devant le tribunal, mais la décision relative aux suites à donner à l'affaire appartient en dernière analyse à l'État. Or, il n'y a pas nécessairement de lien entre les intérêts de l'État et ceux des parties au conflit: la victime souhaitera sans doute un règlement rapide de l'affaire, alors que le ministère public pourrait préférer suspendre l'instruction pour recueillir davantage d'éléments de preuve; la victime voudra sans doute obtenir réparation à l'égard du préjudice qu'elle a subi, tandis que le ministère public cherchera avant tout à faire condamner l'auteur du délit; peut-être la victime désire-t-elle simplement oublier l'incident ou régler l'affaire elle-même, d'une façon privée, alors que le ministère public attendra d'elle qu'elle fasse une déposition devant le tribunal; ou encore il peut arriver que la victime souhaite que le ministère public donne suite à toutes les accusations déposées par la police, alors que le ministère public arrivera à la conclusion qu'il n'y a pas de preuves suffisantes pour intenter des poursuites à l'égard de certaines d'entre elles.

Réponses aux conflits

Les conflits surgissent lorsque des actions sont jugées inacceptables. La réponse au conflit, c'est la façon dont nous mettons en pratique les normes relatives aux comportements acceptables, ou encore les principes du bien et du mal. Nos réponses peuvent prendre diverses formes. Elles peuvent traduire un sens de la justice extrêmement individualisé, comme dans le cas des représailles exercées par une personne en raison d'un tort qu'elle estime avoir subi. Elles peuvent aussi avoir une portée beaucoup plus générale et refléter des considérations plus abstraites relatives à la justice: impartialité procédurale, équité, proportionnalité

On peut notamment aborder les différentes réponses aux conflits selon la mesure dans laquelle elles sont revêtues d'un caractère officiel. Les conflits peuvent être soumis à de nombreuses instances officielles: systèmes de droit civil et de droit pénal, tribunaux administratifs, organismes de réglementation, juridictions fiscales, tribunaux des droits de la personne, commissions des relations de travail, comités disciplinaires d'associations professionnelles, pour n'en citer que quelques-unes. Le degré de solennité varie d'un cadre à l'autre, mais chacune de ces réponses officielles aux conflits dispose de sa propre sphère de compétence, chacune est dotée d'une équipe de professionnels connaissant parfaitement les règles de procédure applicables, chacune dispose d'un ensemble précis de sanctions ou de mesures de réparation susceptibles d'être appliquées afin de résoudre le conflit.

Un trait essentiel des réponses institutionnelles aux conflits réside dans le fait que l'autorité du décideur repose en dernière analyse sur une coercition s'appuyant sur la force publique. Le lien entre la décision d'un juge d'une juridiction pénale et le recours légitime à la force est direct et immédiat. Dans le cas d'autres instances, ce lien est moins net. Dans le cas d'un procès civil, les parties adverses peuvent négocier sur les exposés de faits, conclure une transaction avant que la juridiction saisie ne rende sa décision. Il n'en demeure pas moins que ces négociations et transactions ont pour toile de fond le pouvoir de la juridiction d'imposer une décision et d'ordonner l'exécution du jugement.

DES ÉLÈVES ONT IDENTIFIÉ les adultes qui avaient abusé d'eux. Des élèves ont signalé d'autres enfants qui avaient été victimes d'agressions. Des élèves ont révélé qu'eux-mêmes avaient exercé des sévices sur d'autres enfants. Ni la police, ni les autorités à qui les enfants étaient confiés n'ont pris de mesures. [...] Le personnel du dortoir de Jericho Hill a nié être au courant de ces abus et on l'a cru, même si ces personnes étaient manifestement en situation de conflit puisqu'elles devaient protéger leur propres intérêts. Il semble que certains membres du personnel étaient au fait des cas d'abus. Ceux qui n'y croyaient pas ont tenté de discréditer et de faire exclure les personnes qui persistaient à qualifier de crédibles les faits révélés par les enfants.

Ombudsman de la Colombie-Britannique. Abuse of Deaf Students at Jericho Hill, Rapport public no 32, novembre 1993.


Lorsqu'il est question de résolution des conflits, nous avons tendance à penser tout d'abord aux réponses officielles, par exemple celles des juridictions pénales et civiles. Des ressources et une énergie considérables sont investies dans les tribunaux judiciaires pour garantir leur efficacité et la qualité de la justice qu'ils rendent. Mais quand nous nous focalisons ainsi sur ces mécanismes officiels, nous avons tendance à négliger d'autres réponses aux conflits, qui pourtant jouent un rôle tout aussi important dans nos vies -- voire plus important. Il nous arrive souvent, en effet, de régler nous-mêmes nos différends. Dans certains cas, les gens ne peuvent pas s'adresser au système judiciaire. Les enfants maltraités, les femmes battues, les personnes vivant en milieu défavorisé, par exemple, sont souvent dépourvues du pouvoir ou des ressources qu'il leur faudrait pour demander à la police ou aux services sociaux de les aider à résoudre un conflit. Dans bien des cas, ils risquent de subir de nouvelles violences s'ils le font. Les travaux de la Commission du droit du Canada sur les violences infligées aux enfants placés dans des établissements indiquent que souvent, les personnes sans pouvoir se voient refuser l'accès au système judiciaire. Elles sont forcées de tolérer les abus dont ellessont l'objet ou de tenter de régler le problème elles-mêmes.

Il arrive qu'on choisisse de résoudre un conflit par des moyens officieux alors qu'il serait possible de s'adresser aux tribunaux. Des voisins règlent un différend au sujet d'une clôture. Une petite entreprise s'entend avec un fournisseur. Des consommateurs qui ont fait l'acquisition de produits défectueux préfèrent assumer la perte plutôt que d'intenter une action en justice, à cause de l'incertitude d'une telle démarche ainsi que des coûts et des délais qu'elle sous-entend. Les détenus, les bandes de motards criminalisés et les trafiquants de drogues règlent leurs conflits eux-mêmes plutôt que d'attirer l'attention de la police et des autorités.

L'agression, l'évitement et la tolérance sont des méthodes officieuses de résolution des conflits. Dans une certaine mesure, ce que nous définissons comme un crime constitue en fait une action agressive visant à se faire justice soi-même, ou un recours à la violence comme moyen de résoudre un conflit. L'évitement consiste notamment à s'éloigner d'un conflit en cours, ou encore à ne pas s'exposer à des situations propices aux conflits: par exemple, on pourra choisir la résignation, fuir, se cacher, émigrer, etc. La tolérance est un autre type de réponse face à un conflit. On peut simplement tolérer les comportements désagréables de personnes que l'on aime, ou que l'on craint, ou qui ont davantage de pouvoir que soi.

La thérapie, le counseling, les forums de justice populaire, les organisations communautaires, les réunions, les groupes de discussion, les groupes de travail -- voilà autant de réponses aux conflits revêtues d'un caractère relativement informel, mais qui font intervenir d'autres personnes. D'une manière générale -- mais pas toujours -- ces formules sont indépendantes de l'État. Elles ont tendance à être appliquées à une échelle plus locale, à revêtir un caractère moins bureaucratique, et il y a moins de chances qu'elles se fondent sur la coercition pour garantir le respect, par les participants, des décisions rendues. La médiation, la négociation, les règlements amiables et la réconciliation sont des méthodes bien connues permettant de résoudre des conflits d'une manière consensuelle.

La relation entre les parties à un différend influe grandement sur la manière dont le conflit est abordé. Les conflits peuvent survenir entre des individus, entre un individu et une collectivité, ou encore entre des collectivités. L'incapacité de rembourser une somme empruntée à un parent ne sera pas considérée de la même manière que le non-remboursement d'un emprunt bancaire. En matière de relations de travail, une petite entreprise n'aura pas la même approche qu'une société multinationale. Ceux qui jouissent d'un pouvoir plus grand risquent de favoriser l'imposition unilatérale d'une solution à un conflit plutôt qu'une résolution négociée ou fondée sur un consensus. Lorsque les parties sont interdépendantes (relations d'affaires et professionnelles, par exemple) ou que leur mobilité est restreinte (pensionnats, prisons, casernes militaires, etc.), cela peut favoriser certaines types de réponses aux conflits qui ne sont pas envisageables (ou risquent peu d'être retenus) quand les parties sont indépendantes l'une de l'autre ou ne sont que de passage.

La définition de l'objet du conflit influe aussi sur les solutions disponibles. Imaginons par exemple que deux entreprises négocient un contrat d'un million de dollars sur la vente de puces informatiques. Il s'avère que les puces sont d'une qualité inadéquate. Normalement, une telle situation peut être considérée comme un manquement à une obligation contractuelle et aboutir à une action en justice. Supposons maintenant que, au lieu de puces informatiques, le produit faisant l'objet du contrat était une drogue illicite. Dans ce cas, l'action en responsabilité contractuelle serait exclue, les tribunaux refusant de sanctionner un contrat illégal. En plus, les parties elles-mêmes préféreront vraisemblablement une méthode officieuse de résolution des conflits, sans intervention de l'État.

Aborder les conflits sous l'angle de la réparation


CE QUI S'IMPOSE, ce n'est rien de moins qu'une réorientation fondamentale qui changera notre perception de la justice.

Conseil des Églises pour la justice et la criminologie. Pour une vraie justice: Un répertoire d'initiatives, de programmes et de mesures législatives (Ottawa, Conseil des Églises pour la justice et la criminologie, [En ligne]. Service correctionnel du Canada, http://www.csc-scc.gc.ca/justice/f_justoc.htm


Réfléchir d'une façon créative sur les conflits, c'est la première étape à franchir pour trouver des réponses s'accordant avec la conception que se font les Canadiens de la justice. Et cela, quel que soit le contexte dans lequel a lieu le conflit: vol de banque, pollution environnementale, consommation, querelle dans une cour d'école.

La justice réparatrice est une manière générale d'aborder le défi et l'occasion que constitue le conflit. Elle propose un cadre de réflexion sur les conflits, les crimes et les réponses aux crimes, plutôt qu'une théorie ou une philosophie unifiée de la justice. L'approche de la justice réparatrice est à l'origine de plusieurs programmes appliqués à l'heure actuelle au Canada et ailleurs dans le monde: médiation entre victimes et délinquants, cercle de détermination de la peine, conférences familiales, comités de détermination de la peine, etc.

La plupart des programmes de justice réparatrice ont pour point de départ l'idée que les conflits qualifiés de « crimes » ne devraient pas être considérés seulement (ni même principalement) comme des transgressions portant atteinte à l'État, mais plutôt comme la rupture d'une relation entre deux ou plusieurs personnes. Pour cette raison, le système de justice pénale devrait être axé sur le préjudice causé par l'acte délictueux. Les victimes, les délinquants et la collectivité devraient, dans la mesure du possible, participer à la réparation de ce préjudice. On incite les délinquants à assumer la responsabilité de leurs actes. Les victimes se voient donner l'occasion d'obtenir la guérison du tort subi. Les membres de la collectivité participent activement au processus de résolution du conflit. Le rôle de la police, des procureurs de la Couronne et de l'ordre judiciaire varie selon les programmes, mais l'idée essentielle est qu'ils devraient faciliter la résolution du conflit d'une façon satisfaisante pour les parties concernées.


lll Réflexion sur la justice

L'intérêt récent à l'égard de la justice réparatrice est apparu par suite d'une insatisfaction à l'égard de certains aspects du processus de la justice pénale. La justice, c'est la réalisation d'une situation dans laquelle la conduite ou les actes d'individus sont considérés comme équitables, justes, appropriés au regard des circonstances. La justice traduit notre conception du bien et du mal. Notre sens de la justice est mis en question devant une atteinte à ce que nous considérons comme le bien; il est rétabli quand les torts sont redressés. La justice est donc intimement liée à la réponse aux conflits.


LE TAUX DE CRIMINALITÉ [...] a régressé pour une septième année consécutive en 1998. La baisse de 4,1 % a donné lieu au taux le plus faible en près de 20 ans. [...] Depuis qu'il a atteint un sommet en 1991, le taux national de criminalité a diminué de 21,7 %. [...] Le taux de crimes de violence a fléchi de 1,5 % en 1998, ce qui marque le sixième recul annuel consécutif. [...] Les crimes contre les biens ont décru de 6,7 % en 1998, maintenant la baisse générale constatée depuis 1991. Le taux de criminalité chez les jeunes [...] régresse depuis 1991, la baisse ayant été de 4,0 % en 1998.

Statistique Canada, Statistiques sur la criminalité, 1998, « Le Quotidien » (le mercredi 21 juillet 1999), [En ligne]. http://www.statcan.ca:80/Daily/Francais/990721/q990721b.htm


Quand nous disons que la réponse aux conflits est une forme de justice, nous ne faisons pas que décrire le fonctionnement de tel type de réponse, ou pourquoi telle réponse est davantage susceptible d'être utilisée dans telle ou telle situation. Nous nous intéressons en fait à la façon dont les choses devraient être. Bien sûr, il existe d'innombrables ouvrages consacrés à la manière dont les tribunaux devraient rendre la justice dans des situations de conflit. Mais ce que nous oublions souvent, c'est que nous nous heurtons à des questions analogues dans le cadre de nos activités quotidiennes. Ma fille a dépassé l'heure que je lui avais fixée pour rentrer; devrais-la réprimander même si elle m'a donné une explication plausible pour justifier son retard? Et quel type de réprimande serait justifié? Quelle sera l'utilité de cette réprimande?


Ce qu'on reproche au système de justice pénale


LE PUBLIC A TRÈS PEU CONFIANCE en la capacité du système de justice à réagir à la criminalité. On estime que les grands défauts du système concernent principalement la sévérité insuffisante des peines, le fait que les détenus sont libérés avant d'avoir complètement purgé leur peine, l'incapacité de la commission des libérations conditionnelles de déterminer et d'apprécier le risque adéquatement, et le caractère « luxueux » des prisons canadiennes.

Angus Reid Group. Alternatives to Incarceration, Final Report submitted to Solicitor General, Ottawa, Angus Reid Group, avril 1996, p. 3.


Depuis quelques décennies, de nombreux Canadiens et Canadiennes reprochent au système juridique son inefficacité au chapitre de la répression de la criminalité (et bien sûr de la diminution de la criminalité). On dit notamment que les tribunaux font preuve « d'indulgence » à l'endroit des criminels -- cette critique a été encore formulée tout récemment, à l'égard du régime applicable aux jeunes contrevenants. Ce que le public dit, en fait, quand il parle d'indulgence, c'est que les tribunaux n'infligent pas des peines assez sévères. Or, les taux de criminalité ont en fait diminué ces dernières années, alors que le taux d'incarcération au Canada figure parmi les plus élevés des pays occidentaux.

Selon les sondages d'opinion publique, certains Canadiens sous-estiment la sévérité des peines effectivement infligées aux délinquants (jeunes et adultes). Cela est sans doute attribuable en partie au type d'informations transmises au public par les médias à ce sujet. En effet, les médias ont tendance à se focaliser sur les crimes violents. De ce fait, les citoyens en arrivent à surestimer le taux de criminalité violente dans leur propre voisinage. De plus, quand les médias traitent des peines infligées aux délinquants, ils ne donnent en général pas suffisamment de renseignements sur le contexte.

Ce traitement médiatique a une incidence sur l'opinion des citoyens à l'égard des peines infligées dans le système pénal. Des recherches ont montré que lorsqu'on demande aux Canadiens et Canadiennes de dire ce qu'ils pensent de la peine infligée à un délinquant après leur avoir montré les comptes rendus des journaux sur le crime en question, ils ont tendance à estimer qu'elle n'était pas assez sévère. En revanche, quand on leur fait lire le dossier judiciaire, la plupart en arrivent à la conclusion que la peine était trop sévère.


LES VICTIMES SONT CONFUSES, craintives et en colère. Elles veulent comprendre pourquoi cela leur est arrivé. Elles se sentent démunies et ne savent à qui se confier pour obtenir de l'aide et du soutien. Elles souffrent physiquement, émotivement et financièrement de leur victimisation et doivent faire face, souvent pour la première fois de leur existence, à la complexité déroutante du système de justice pénale et de tous ses éléments parfois contradictoires.

Canada. Rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne: Les droits des victimes -- participer sans entraver, Rapport 14 (Ottawa, 1998), chap. 1, [En ligne]. Comité permanent de la justice et des droits de la personne, http://www.parl.gc.ca/InfoComDoc/36/1/JURI/Studies/Reports/jurirp14- f.htm


On met aussi en doute l'efficacité du système correctionnel sur les plans de la dissuasion ou de la réinsertion sociale des délinquants. Pour certains, les prisonniers jouissent d'un trop grand confort et la vie carcérale n'a pas un caractère suffisamment punitif. Or, parmi les gens qui connaissent bien le système, beaucoup ne partagent pas ce point de vue. Selon eux, le taux élevé de récidive est une conséquence directe des conditions de vie pénibles dans la plupart des prisons, de leur surpopulation, de la violence qui y règne. Plutôt que de favoriser la réinsertion, les prisons augmenteraient chez certains délinquants l'incitation à commettre d'autres crimes une fois remis en liberté.


LORSQUE LES AGENTS DE L'ÉTAT travaillent sur le dossier de l'accusé, ils le redéfinissent et le transforment sous l'angle du droit pénal -- dont ils se servent pour réguler le processus de résolution. [...] Ils prennent en charge les problèmes ou les conflits de l'accusé et en font la propriété de l'État [...] laissant l'accusé attendre l'issue d'un processus qui, à ses yeux, est complexe, difficile à saisir, mystique, et qui le prive de tout pouvoir.

R. V. Ericson et P. M. Baranek. The Ordering Of Justice: A Study Of Accused Persons As Dependants In The Criminal Process, Toronto, University of Toronto Press, 1982, p. 216.


Les Canadiens et les Canadiennes manifestent aussi leur désenchantement à l'égard du système de libération conditionnelle. Mais là encore, il ressort des recherches qu'un fort pourcentage de la population est en faveur de la libération conditionnelle et des solutions autres que l'incarcération dans le cas des délinquants non violents qui constituent un faible risque pour la société. D'autres études ont confirmé l'efficacité de ces solutions de rechange.

L'insatisfaction envers le droit pénal est particulièrement vive chez ceux et celles qui sont les plus directement visés par le processus, soit les victimes et les délinquants. Les victimes sont dans une large mesure exclues du processus judiciaire, sauf en tant que témoins. On présume que les intérêts de l'État et ceux de la victime sont identiques. La plupart des victimes souhaitent la reconnaissance publique de ce qu'elles ont subi un préjudice, et le système de justice pénale est en mesure de répondre à cette préoccupation. Toutefois, de nombreuses victimes souhaitent aussi des réponses à des questions que les tribunaux de juridiction pénale, en raison de leur structure, sont incapables de fournir: Pourquoi cela m'est-il arrivé? Est-ce que je serai indemnisé pour les dommages causés à mes biens? Les organisations de défense des victimes ont elles aussi exprimé des critiques à l'égard de la procédure. Elles estiment qu'elles ont été écartées du processus et exercent des pressions pour obtenir le droit de participer davantage aux décisions relatives au traitement judiciaire des poursuites. Finalement, les victimes se voient privées de renseignements importants sur ce qui arrive aux délinquants une fois qu'ils sont entrés dans le système correctionnel.

De nombreuses mesures ont été prises pour aider les victimes. Par exemple, il est maintenant possible de produire devant le tribunal une « déclaration de la victime ». En outre, des programmes d'appui aux victimes et aux témoins ont été mis sur pied en de nombreux endroits. Ces programmes visent à familiariser les victimes et les témoins avec la procédure judiciaire et à éviter une nouvelle victimisation. Mais ces mesures ne modifient en rien la place attribuée à la victime dans le système. Elle reste à l'écart, confinée au rôle d'observateur, plutôt que de participer d'une manière directe et active aux décisions.


[...] DU FAIT QUE L'ON CONSIDÈRE comme normaux les taux élevés de criminalité et que l'on reconnaît d'une manière générale les limites des organisations dont relève la justice pénale, un des mythes fondateurs des sociétés modernes a commencé à être érodé -- celui voulant que l'État souverain soit en mesure d'assurer la sécurité, la loi, l'ordre et la répression du crime à l'intérieur de ses frontières.

D. Garland. « The Limits of The Sovereign State: Strategies Of Crime Control In Contemporary Society » (1996) 36 British Journal of Criminology 445, p. 448.


Le processus pénal actuel laisse aussi à désirer, parfois, du point de vue des délinquants. Il encourage nombre d'entre eux à faire preuve de passivité et à plaider coupable afin d'être condamnés à la peine la moins sévère possible. Leur crime est objectivé et sorti du contexte social dans lequel il a été commis. Les actions des délinquants sont reformulées en termes d'infractions au Code criminel, plutôt qu'en tant qu'atteintes à autrui. L'avocat du délinquant utilise le droit pour établir la plus grande distance possible entre le délinquant et le conflit. On ne donne pas souvent aux délinquants l'occasion d'apprécier les répercusions de leurs actions sur la vie de leurs victimes, et on leur demande rarement de réparer les préjudices qu'ils ont causés. La formule du procès, qui les incite bien peu à assumer la responsabilité de leurs gestes, n'est pas faite pour leur inspirer le respect de la loi ni le respect d'autrui.

L'insatisfaction de certains Canadiens et Canadiennes à l'égard du système de justice pénale resurgit souvent sous la forme d'une explosion d'indignation publique devant un crime particulièrement odieux ou la réponse jugée inadéquate des tribunaux ou de la police. Le crime alimente l'indignation morale, avive les passions. Le Parlement réagit en adoptant des mesures plus répressives, dont il pense qu'elles protégeront mieux les citoyens respectueux de la loi -- on incarcère davantage de délinquants, notamment les jeunes, pendant des périodes plus longues, dans des prisons où les conditions de vie sont plus rudes, tout en diminuant les possibilités de remise en liberté anticipée. En revanche, des forces opposées s'exercent sur la politique pénale. Les responsables du système correctionnel cherchent d'autres solutions que l'incarcération: recours à la déjudiciarisation, accroissement du nombre de prisonniers admissibles aux programmes de surveillance communautaire. En plus, ces débats se déroulent dans un contexte de compressions budgétaires, et à un moment où le gouvernement s'est lancé dans une remise en question globale de la politique relative à l'aide sociale.

Punition privée et publique

Ces critiques touchent les fondements mêmes du système de justice pénale: elles traduisent un scepticisme fondamental quant à sa capacité de rendre la justice. Pour bien des gens, il n'y a plus vraiment de lien entre les exigences de la justice et les façons dont nous réagissons aux crimes. Pour vérifier s'ils ont raison, il faut examiner différentes approches relatives à ce lien.

La vengeance est une justice individualisée, une justice que l'on se fait soi-même. Il s'agit d'une affaire personnelle, d'une réponse individuelle à un tort subi. La personne lésée entend obtenir vengeance contre celle qui lui a fait subir un préjudice. À ses yeux, l'auteur de ce préjudice a acquis un avantage injuste ayant provoqué un déséquilibre dans la relation existant entre eux. La punition est une façon de rétablir l'égalité de cette relation. Le fait d'infliger à l'auteur du préjudice initial un préjudice équivalent confirme en quelque sorte que la personne lésée ne méritait pas le tort qui lui a été causé. La vengeance satisfait un besoin individuel de justification: elle consiste à « égaler la marque » avec l'auteur du préjudice.

La vengeance étant une affaire personnelle, il n'y a pas de raison impérieuse de croire que ce que la partie lésée a perçu comme un préjudice constituait véritablement un préjudice, ou un préjudice méritant vengeance. Souvent, par ailleurs, la vengeance est extrêmement émotive, et on l'exerce au hasard. Il peut arriver que le préjudice causé à une personne provoque des représailles sévères, tandis qu'un préjudice analogue causé à une autre personne n'entraînera pas de représailles du tout. La vengeance est donc étrangère à la proportionnalité. Il n'existe aucun moyen de s'assurer que la punition est proportionnelle au préjudice ou que des préjudices semblables donnent lieu à des punitions équivalentes.

Le châtiment est une vengeance officialisée par l'État. L'idée de la justice rétributive est tournée vers le passé; la justice exige que l'auteur d'un délit soit puni comme il le mérite, en fonction de son infraction à la moralité. La loi est le reflet des normes de conduite fondamentales d'une collectivité; donc, un tort causé à un individu constitue, par extension, un tort causé à la collectivité. L'État est en droit d'imposer un châtiment lorsque la loi a été violée. Exercée par l'État, la vengeance est purifiée, elle perd son caractère arbitraire et capricieux. Dans un système axé uniquement sur le châtiment, celui-ci devrait être proportionnel au préjudice causé par l'acte, sans varier en fonction des caractéristiques de l'auteur du délit ou de la personne lésée. Le châtiment infligé sous l'autorité de l'État répond certes au souci de punir pour rétablir un sentiment d'équilibre entre victimes et délinquants. Mais cela se fait d'une manière moins émotive que dans le cas de la vengeance, plus rationnelle, plus constructive sur le plan social. L'impartialité est assurée du fait que la justice n'est plus aux mains d'individus mais est confiée aux tribunaux, qui rendent des décisions selon des critères uniformes.

Dans le cas des litiges civils, les notions de justice corrective, ou réparatrice, sont appliquées d'une façon assez semblable à l'application de la justice rétributive dans le domaine du droit pénal. L'idée centrale est d'offrir à l'auteur d'une faute l'occasion de remédier à un tort en réparant le dommage causé. La réparation indique que l'auteur de la faute veut accepter la responsabilité du préjudice occasionné. Elle constitue aussi une reconnaissance de la souffrance éprouvée par la victime. La restitution des biens rétablit une relation d'égalité. Ainsi, une violation de la justice corrective suppose qu'une partie réalise un gain matériel aux dépens d'une autre personne. Comme dans l'application de la maxime « ¦il pour ¦il », l'auteur de la faute doit remettre à la victime ce qui lui a été enlevé -- ni plus, ni moins. La justice consiste alors dans un transfert de ressources entre deux personnes.

Il existe aussi des théories de la justice axées sur le futur, qui visent à une maximisation du bien commun. Les réponses aux conflits, dans ce cas, ne sont pas justifiées en fonction du châtiment mérité ou de la culpabilité morale individuelle. La seule juste réponse à un conflit, dans cette perspective, est plutôt celle qui est revêtue de la plus grande utilité sociale. La punition peut répondre à cet objectif dans la mesure où elle a un effet dissuasif sur d'autres personnes. Elle peut aussi neutraliser un délinquant, et l'empêcher par le fait même de commettre d'autres crimes. La punition peut également favoriser la réinsertion du délinquant dans la société -- dans ce cas, l'utilité sociale consiste dans la réduction de la criminalité.

La théorie de la justice distributive répond à l'hypothèse suivant laquelle les avantages et les punitions devraient, dans la société, être répartis entre les individus selon un certain principe de proportionnalité. La justice distributive correspond étroitement à notre sens de l'équité. Les valeurs au regard desquelles est établi le caractère équitable d'une répartition sont elles aussi variables, et bien des ouvrages ont été consacrés au problème de savoir lesquelles devraient être privilégiées. La maxime « à travail de valeur égal, salaire égal » répond au principe de l'équité, tandis que la maxime « une personne, un vote » relève du principe de l'égalité. La maxime « à chacun et à chacune selon ses besoins » répond à notre souci de justice sociale dans la répartition des biens et des services. Mais qu'arriverait-il si les besoins devenaient la valeur en fonction de laquelle est déterminé le salaire; le mérite, la valeur en fonction de laquelle est déterminé le nombre de voix; l'égalité, la valeur en fonction de laquelle est déterminée la répartition des biens et des services?

La justice peut aussi être appréhendée uniquement en termes de procédure: indépendamment de l'issue de l'action sur le fond, les gens souhaitent être traités équitablement par les juges. Ils veulent que les juges soient impartiaux, les écoutent, prennent en considération leur version des faits et rendent des décisions conformes aux normes existantes. Accorder une grande importance à la justice procédurale, c'est affirmer que les gens tiennent à ce que les décisions soient rendues d'une manière conforme à l'équité, à l'honnêteté, au respect des droits. En traitant les gens avec respect, on réaffirme leur place dans la société, on confirme que leurs points de vue et leurs préoccupations sont valables indépendamment d'éléments comme la position sociale, l'âge, le sexe ou l'ethnie.

La justice comme expérience vécue

À ces différentes conceptions de la justice correspondent des préoccupations morales et des intérêts très différents. Chacune adopte un point de vue particulier -- et partiel -- sur la façon de répondre aux conflits. Il est impossible de garantir que la vengeance ne conduira pas à l'exercice de représailles excessives. La justice rétributive ne précise pas pourquoi il faudrait punir les délinquants pour rétablir l'équilibre moral. La justice corrective et réparatrice est difficilement applicable dans les conflits qui ne portent pas sur des biens. Quant à la justice distributive, elle ne propose pas elle-même des critères selon lesquels on pourrait faire un choix entre différents principes de répartition. La justice procédurale, enfin, est silencieuse en ce qui a trait au fond des différends.

Est-il possible de concevoir la justice comme une chose qui découle de l'expérience vécue? Et dans l'affirmative, comment cela peut-il se faire?

La justice comme expérience vécue suppose la recherche de la vérité pour les personnes les plus directement impliquées dans un conflit. Il s'agit simplement de leur fournir l'occasion de donner leur version des faits, d'expliquer leurs intentions et de préciser les motifs de leur comportement, à leur façon et dans un langage qui leur est familier. Quelle que soit la mesure dans laquelle la « vérité » abstraite peut reposer sur un ensemble objectif de faits et de principes, la recherche de la justice comme expérience vécue est un processus de contestation, de négociation et d'entente entre les parties à un conflit. En recherchant la vérité selon cette perspective, chaque partie sera mieux en mesure de comprendre la position des autres. Cela favorisera aussi chez elles une meilleure compréhension de leur propre comportement, de leurs propres réactions.

La justice suppose aussi qu'on donne aux délinquants et aux personnes qui ont subi un préjudice la possibilité d'épancher leur colère d'une façon constructive. Après tout, il faut bien admettre que la vengeance est l'expression de la colère. Il importe que les victimes aient l'occasion, en toute sécurité et sous une certaine surveillance, de dire au délinquant: « voilà ce que j'ai subi », ou « voilà la conséquence de vos actes ». On peut se servir de la colère pour montrer aux délinquants que leurs actes causent des répercussions et les inciter à en assumer la responsabilité.

La justice comme expérience vécue exige parfois la confirmation publique qu'un tort a été causé. Cette confirmation proclame, auprès des autres membres de la société, que les règles sont importantes et que le fait de les enfreindre entraîne des conséquences. D'autre part, elle indique que le délinquant devrait faire l'objet d'une attention spéciale. On l'isole temporairement de la société, d'une façon symbolique, afin de pouvoir examiner le comportement qui lui est reproché. L'objectif n'est pas de stigmatiser le délinquant, mais de le forcer à rendre compte de ses actes.

Il convient aussi d'apprécier la justice en fonction de ses résultats et de ses effets. Il faut veiller, au minimum, à ce que l'application de la justice ne cause pas d'autres préjudices. Les douleurs ou les souffrances causées par les actes des délinquants doivent tout d'abord être réduites le plus possible. Une fois ce résultat atteint, il convient de s'employer à résoudre le conflit d'une manière qui ne cause pas d'autres souffrances aux personnes lésées, au délinquant ou à la collectivité.

La justice comme expérience vécue comporte aussi une dimension procédurale. Elle exige que les procédures suivant lesquelles les décisions sont rendues soient impartiales et justes. Les individus doivent être traités avec respect. La reconnaissance de la faute ne doit pas être influencée par la situation personnelle des victimes ou des délinquants. Mais l'issue du processus doit être tempérée par la compassion. La justice doit être capable d'adaptation, pour tenir compte du contexte ainsi que des caractéristiques particulières de l'auteur du délit ou des personnes lésées.

Est-ce que la justice, abordée comme une expérience vécue, exige une punition -- celle-ci étant définie comme le fait d'infliger des privations sévères à l'auteur d'un délit? Deux observations préliminaires sont de rigueur. Premièrement, l'emploi du terme « punition » est ici réservé à la peine effectivement prononcée. Deuxièmement, les sanctions fixées par les tribunaux ne sont pas toutes des punitions. Un même exemple nous permettra d'expliquer ces deux points. Une personne est accusée d'avoir dérobé un article dans un magasin et est inculpée de vol. Cette personne doit subir la honte de l'arrestation, l'embarras d'avoir à dire à ses amis et à sa famille ce qui lui arrive; elle doit retenir les services d'un avocat, avec les frais que cela sous-entend, et passer par toutes les étapes du processus judiciaire. Supposons aussi qu'elle est finalement déclarée non coupable. Dans ce cas, aucune punition ne lui aura été infligée, même si elle a subi de nombreuses indignités avant de faire reconnaître son innocence. Supposons plutôt maintenant que le tribunal, au lieu de déclarer cette personne non coupable, prononce à son endroit une absolution inconditionnelle ou sous condition. Dans ce cas aussi, la personne a subi de nombreuses indignités, mais l'absolution inconditionnelle ou sous condition équivaut-elle à une punition? Ses souffrances découlent du processus, et non de la sentence rendue par le tribunal. Finalement, supposons que la même personne soit condamnée à une amende de 500 $. Si son revenu annuel est supérieur à 1 000 000 $, peut-on qualifier l'amende de « punition » -- celle-ci étant définie comme le fait d'infliger des privations sévères à l'auteur d'un délit?

Le système de justice pénale est coercitif. Le processus lui-même cause des préjudices, mais cela n'est pas la même chose qu'une punition. Si l'un des objectifs de la justice conçue comme expérience vécue est de ne pas causer de dommages à la victime, au délinquant ou à la communauté, on ne devrait pas avoir pour premier réflexe d'infliger des privations sévères.



IV La promesse de la justice réparatrice

La justice réparatrice s'insère entre les théories de la justice et ses diverses pratiques. Il ne s'agit pas tant d'un système philosophique que d'un ensemble d'idées sur la manière dont on devrait rechercher la justice en tant qu'expérience vécue. Ces idées sont, par leur nature, fondées sur l'expérience. Elles s'appuient sur des actions concrètes. L'idée de la justice réparatrice promouvoit une nouvelle approche face au crime et au conflit. La justice réparatrice est une réponse aux conflits qui amène les victimes, les délinquants et la collectivité à réparer collectivement le tort qui a été causé, d'une manière conforme à leur conception de la justice.


Les programmes de justice réparatrice


[LA JUSTICE RÉPARATRICE] consiste à s'occuper des victimes et des délinquants en se focalisant sur le règlement des conflits suscités par le crime et en réglant les problèmes sous-jacents qui en sont à l'origine. D'une façon plus répandue, il s'agit aussi d'une manière d'aborder la criminalité en général selon une approche rationnelle de résolution des problèmes. Au centre de la notion de justice réparatrice, il y a la reconnaissance du fait que c'est la collectivité, et non les institutions de la justice pénale, qui constitue le lieu privilégié pour la répression du crime.

Nouvelle-Zéland. ministère de la Justice. Restorative Justice: A Discussion Paper, ministère de la Justice de la Nouvelle-Zélande, 1996), p. 1, [En ligne]. http://www.justice.govt.nz/pubs/reports/1996/restorative/index.html


Plusieurs types de programmes de justice réparatrice sont actuellement en cours en Amérique du Nord, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Les programmes de réconciliation entre victimes et délinquants sont sans doute les mieux connus et les plus répandus. Ils consistent à réunir victimes et délinquants avec un facilitateur professionnel afin de discuter du conflit, de préciser les stratégies de réparation du préjudice et de s'entendre sur des calendriers concernant l'indemnisation, le suivi et les contrôles. Les programmes de réconciliation permettent en outre aux victimes d'exprimer leur colère en milieu contrôlé et de poser des questions aux délinquants. Les délinquants sont pour leur part placés dans une situation où ils peuvent connaître les conséquences de leurs actes, en assumer l'entière responsabilité et mettre en ¦uvre les mesures réparatrices qui sont indiquées.

Les programmes de réconciliation entre victimes et délinquants ne sont pas de mise lorsque soit la victime, soit le délinquant ne souhaite pas y participer ou en est incapable, ou encore lorsque l'identité du délinquant n'a pas été établie. Dans de tels cas, il est possible de recourir aux groupes victimes-délinquants. Ces programmes consistent à organiser des rencontres entre des personnes qui ont été victimes d'un certain type de crimes et des personnes qui ont commis des crimes du même type. Malgré l'absence d'une relation directe entre victimes et délinquants, les participants sont ainsi confrontés à leur comportement et à leurs réactions respectives, et on fait voir aux délinquants les conséquences de leurs actes.

Les conférences familiales ressemblent aux programmes de réconciliation entre victimes et délinquants, sauf que les participants y sont plus nombreux. En plus de la victime et du délinquant, ces conférences font en effet intervenir les membres de leur famille et des professionnels: enseignants, travailleurs sociaux, agents de police, avocats, etc. Pendant une conférence, les victimes et les délinquants relatent leur version des faits. On donne ensuite aux autres participants l'occasion de s'exprimer, et tout le monde discute des mesures de réparation nécessaires. Le succès des conférences familiales dépend en grande partie de la capacité des membres de la collectivité de susciter un sentiment de honte chez les délinquants. Le but de l'exercice consiste à montrer que la collectivité désapprouve l'acte commis (mais pas son auteur) et à offrir au délinquant la possibilité de réintégrer la collectivité.

La justice réparatrice accorde une grande importance aux éléments matériels, économiques, émotifs, psychologiques et spirituels des conflits. Pour cette raison, elle peut s'avérer bien adaptée à la quête de la justice au sein d'une population diversifiée. De nombreuses collectivités autochtones du Canada, par exemple, ont recours aux cercles de détermination de la peine. Cette formule permet aux victimes, aux délinquants, aux anciens, à d'autres membres de la collectivité et à des fonctionnaires judiciaires de discuter, tous ensemble, des répercussions d'un conflit et d'explorer les façons dont il serait possible d'y remédier. La réparation des dommages causés et la réintégration du délinquant dans la collectivité sont considérées comme prioritaires. Les membres de la collectivité aident activement la victime et le délinquant dans le cadre du processus de guérison. Les comités de justice pour les jeunes fonctionnent d'une manière semblable aux cercles de détermination de la peine, mais sont utilisés pour les délinquants non autochtones comme pour les délinquants autochtones.


Le cadre de la justice réparatrice

Un thème commun aux divers programmes de justice réparatrice consiste dans la volonté de réparer le préjudice causé par le crime à la victime, au délinquant et à la collectivité. À l'heure actuelle, le droit pénal est focalisé sur les actions et l'état mental du délinquant. Son but consiste à déterminer la culpabilité et la peine adéquate. Le tort effectivement causé par le délinquant n'est pris en considération qu'à titre de preuve de la gravité de l'infraction ou dans le cadre de la détermination de la peine. La justice réparatrice, elle, s'intéresse principalement à la réparation des préjudices causés par l'acte du délinquant.

Il existe diverses mesures de réparation: restitution ou remplacement de biens, réparation matérielle ou économique de dommages (réparation d'un carreau brisé, par exemple), versement d'une somme pour les dommages causés à des biens, indemnisation de la victime pour les menues dépenses qu'elle a dû engager. Ces mesures peuvent aussi revêtir un caractère plus symbolique: travail d'intérêt général, participation du délinquant à des séances de counseling ou de thérapie dans le but de résoudre des problèmes susceptibles d'avoir contribué aux actes délictueux. Les mesures de réparation peuvent viser les victimes immédiates, les victimes secondaires -- amis de la victime, membres de sa famille -- ou la collectivité à laquelle appartient la victime ou le délinquant.


LA JUSTICE RÉPARATRICE prend en compte les effets émotifs du crime sur les victimes, les délinquants et la collectivité. Ces effets peuvent influer d'une façon négative sur l'aptitude des gens à fonctionner dans la société, sur leur réinsertion sociale et sur leur capacité de jouir de la vie. La justice réparatrice vise la guérison des effets émotifs du crime, considérée comme un élément important de la réparation du préjudice. Il est important, si l'on veut demander des comptes au délinquant, qu'il soit mis au courant des effets émotifs, matériels et financiers de son crime. Il y a peu de chances, en effet, qu'il puisse véritablement assumer la responsabilité de l'infraction et de ses conséquences s'il ne comprend pas les répercussions de son comportement.

Nouvelle-Zéland. ministère de la Justice. Restorative Justice: A Discussion Paper, ministère de la Justice de la Nouvelle-Zélande, 1996), p. 1, [En ligne]. http://www.justice.govt.nz/pubs/reports/1996/restorative/index.html


Les mesures de réparation, au sens restreint du terme, ne sont pas une fin en elles-mêmes. En effet, le but de la justice réparatrice ne consiste pas simplement à indemniser les victimes pour les biens perdus ou les dommages subis en raison d'un délit. Le tort causé par le crime dépasse de beaucoup les atteintes aux biens matériels. La colère, le ressentiment, l'impression de ne plus maîtriser sa vie sont des sentiments fréquemment exprimés par les victimes. Au sens large, la réparation est le processus par lequel on corrige le mal, on guérit les blessures. En outre, les mesures de réparation, au sens étroit du terme, sont appliquées dans une seule direction: le délinquant répare le préjudice causé par son acte. La justice réparatrice, elle, fait intervenir à la fois la victime et le délinquant. C'est pourquoi, si les mesures de réparation constituent une première étape importante (voire indispensable) vers la réparation au sens large, elles ne sont pas à elles seules suffisantes.

La réparation n'a pas la même signification pour les victimes, les délinquants et la collectivité. Pour les victimes, elle comporte un élément de guérison. Elle peut consister à leur redonner le sentiment de maîtriser leur vie, en leur offrant l'occasion d'exprimer leur colère, d'obtenir des réponses aux questions qu'elles se posent éventuellement au sujet de l'incident, de rétablir l'ordre et la prévisibilité dans leur vie. Pour les délinquants, la réparation suppose qu'ils acceptent la responsabilité de leurs actions en réparant les torts qu'ils ont causés. Elle exige aussi qu'ils s'attaquent aux problèmes contribuant à leur propension à commettre des actes répréhensibles. Cela peut aussi vouloir dire qu'ils devront apprendre à mieux gérer leur colère ou à régler un problème de toxicomanie. Pour la collectivité, la réparation consiste dans la dénonciation du comportement répréhensible et la réaffirmation des normes. La réparation comprend en outre les moyens utilisés pour la réinsertion des délinquants dans la collectivité.

Le concept de réparation met en relief la relation entre victimes, délinquants et membres de la collectivité. Un conflit peut nuire à une relation par ailleurs saine entre deux ou plusieurs personnes; il peut aussi provoquer la détérioration d'une relation déjà faussée -- voire la fin d'une relation. Dans certa ins cas, la réparation consiste à rétablir une relation antérieure entre une victime et un délinquant, à laquelle le conflit a porté atteinte. Cela ne veut pas dire pour autant que toute relation devrait être rétablie dans son état antérieur. Parfois, la relation entre une victime et un délinquant était empreinte d'inégalité, ou elle était maintenue par la contrainte ou la violence. Dans un tel cas, les parties ne souhaiteront pas nécessairement rétablir la relation originelle, mais plutôt en édifier une nouvelle, fondée sur le respect mutuel. Dans le cas des crimes commis par une personne qui ne connaissait aucunement la victime auparavant, c'est en fait le crime qui crée la relation entre les deux parties. L'objectif de la réparation concerne alors l'établissement d'une nouvelle relation fondée sur le respect et l'égalité si cela est dans l'intérêt à la fois de la victime et du délinquant.

La réparation a donc une signification double. Pour les victimes et les délinquants, il s'agit de guérir les préjudices psychologiques et matériels causés par le crime. Sur le plan des relations, la réparation concerne la possibilité de construire une nouvelle relation fondée sur le respect et la dignité.


Les principes de la justice réparatrice


LA JUSTICE RÉPARATRICE met l'accent sur les diverses façons dont le crime porte atteinte aux relations entre les personnes qui vivent dans une collectivité. Le crime est considéré comme un acte qui fait du tort à une victime et à la collectivité -- et non simplement comme une atteinte à l'État.

Center for Restorative Justice Mediation. Restorative Justice for Victims, Communities and Offenders, St. Paul (Minn.): Center for Restorative Justice Mediation, University of Minnesota, 1996, p. 1.


La notion de justice réparatrice, à l'égard de la réponse aux crimes, fournit un cadre dans lequel on s'intéresse aux besoins des victimes et on donne aux délinquants l'occasion d'assumer la responsabilité de leurs actes. Dans ce cadre, on peut imaginer différents programmes de justice réparatrice. Plusieurs ont déjà été instaurés. Presque tous sont fondés sur trois principes.

1er principe: Le crime est une atteinte à la relation entre les victimes, les délinquants et la collectivité

Le système de justice pénale en vigueur au Canada définit le crime comme une atteinte à l'État; ce dernier se charge de poursuivre les personnes accusées. On cherche en premier lieu à établir si le comportement du délinquant correspond ou non à la définition juridique d'une infraction. De nombreuses règles de procédure pénale ont été élaborées pour aider les juges, les avocats, la police et d'autres auxiliaires de la justice à cet effet. Une fois que la culpabilité du délinquant, au sens juridique, a été établie, on s'attache à déterminer quelle peine serait appropriée.

La justice réparatrice définit le crime différemment; il ne constitue plus tant une atteinte à l'État, qu'un préjudice ou un tort causé à une ou plusieurs autres personnes. Le crime est un conflit entre des individus, qui cause des préjudices aux victimes, à la collectivité etaux délinquants eux-mêmes. Dans le cadre de la justice réparatrice, le système de justice pénale a pour objectif de répondre aux préjudices causés par le conflit. Il faut pour cela une parfaite compréhension de la relation entre la victime et le délinquant, de la nature du conflit, de la gamme entière des préjudices subis par la victime et de ce qu'il est possible de faire pour réparer le préjudice, ainsi que de ce qui a provoqué le comportement du délinquant, et des mesures envisageables pour empêcher que ce comportement ne se reproduise. La justice réparatrice cherche à établir qu'une personne est responsable de l'atteinte à la relation entre la victime et le délinquant. Assumer cette responsabilité, c'est reconnaître les conséquences de ses actes et manifester la volonté de rendre des comptes à cet égard.

La culpabilité juridique n'est pas toujours directement liée à la responsabilité. On peut être déclaré coupable d'un crime tout en refusant d'en accepter la responsabilité (« ce n'est pas ma faute », « il a eu seulement ce qu'il méritait »); on peut accepter la responsabilité d'un acte sans en être déclaré coupable (« j'ai causé un préjudice même si je n'étais pas coupable »); ou encore, on peut à la fois accepter la responsabilité d'un acte et en être déclaré légalement coupable (« j'ai commis l'acte en question et je dois réparer les dommages que j'ai causés »). Par ailleurs, les punitions prononcées après une déclaration de culpabilité (incarcération, amendes, probation, etc.) ne sont pas nécessairement liées aux actions qui découlent de l'acceptation de la responsabilité relativement aux conséquences de ses actes (mesures de réparation, indemnisation, service communautaire, etc.).

Parmi les élément du processus de justice pénale qui sont bien établis, tant sur le plan du fond que sur celui de la procédure, bon nombre sont indispensables, étant donné les conséquences d'une déclaration de culpabilité. Mais ils peuvent entraver l'application de la justice. Parfois, en effet, les délinquants peuvent se dissimuler derrière ces protections juridiques plutôt que d'accepter la responsabilité des conséquences de leurs actes. Quant on axe tous les efforts sur l'établissement de la culpabilité au sens juridique, on renonce à tout examen de la relation entre la victime et le délinquant, du préjudice subi par la victime et des types de mesures qui permettraient de réparer le tort causé par les actes du délinquant d'une manière satisfaisante pour la victime. Parfois, ces règles indispensables de la procédure pénale ont pour effet de rendre plus difficile la réalisation de la justice réparatrice.

2e principe: La justice réparatrice suppose la participation de la victime, du délinquant et de membres de la collectivité

Quand on considère le crime comme une atteinte à des relations humaines, l'attitude logique consiste à inviter les personnes les plus touchées à décider ce qu'il convient de faire. Dans le système actuel, le processus est dirigé par l'État -- la victime, le délinquant et les membres de la collectivité ne jouant qu'un rôle passif. Les victimes n'exercent que peu d'influence sur les procédures ou l'issue de l'affaire, et leur participation se limite à leur témoignage; les délinquants sont peu incités à assumer la responsabilité de leurs actes; le rôle des membres de la collectivité se limite à faire partie, éventuellement, d'un jury. Quand on définit le crime comme une atteinte à des relations humaines, toutes ces personnes ont l'occasion de jouer un rôle plus important dans le processus de résolution du conflit. Le rôle de l'État et des professionnels du droit consiste à assurer le fonctionnement d'un système qui cherche à faire assumer par le délinquant la responsabilité de ses actes, à favoriser la participation la plus entière possible de la victime et du délinquant et à réparer les torts causés.

Les programmes de justice réparatrice, comme les programmes de réconciliation entre victimes et délinquants, les conférences familiales et les cercles de détermination de la peine, sont axés sur l'idée d'une rencontre entre la victime et le délinquant. Le but est de permettre à ces personnes de se rencontrer en toute sécurité, en présence d'un facilitateur professionnel, pour discuter des façons de résoudre le conflit. Le facilitateur oriente l'interaction entre les participants. Les parties exposent leur version des faits, et on les encourage à se poser des questions les unes aux autres, à donner des explications, à essayer de s'entendre sur les faits. Elles sont aussi invitées à parler des mesures susceptibles de permettre la réparation du préjudice causé par le crime. Cette rencontre est censée aboutir à un accord dans lequel on précisera le type de mesures de réparation sur lesquelles on s'est entendu.

La rencontre met au premier plan l'obligation pour le délinquant de rendre compte de ses actes. Il doit expliquer personnellement son comportement à la victime et aux membres de la collectivité. Cette obligation repose sur la conviction que le délinquant a, du fait de son infraction, une dette envers la victime et la collectivité. On l'encourage à tenter de comprendre l'incidence de son comportement sur la vie des victimes et à reconnaître le tort causé, en présentant des excuses verbales ou écrites et en s'attaquant aux problèmes de comportement qui, le cas échéant, ont contribué à ses actes délictueux. Il assume aussi la responsabilité de ses actes par la réparation du tort causé -- soit en indemnisant les victimes, soit en effectuant du travail communautaire.

La justice réparatrice suppose la participation active des membres de la collectivité. Ils sont encouragés à faire des efforts constructifs témoignant de leur désapprobation à l'égard des actes commis par les délinquants. Les membres de la collectivité sont en outre invités à appuyer les efforts faits par les délinquants pour assumer la responsabilité de leurs actes et pour aider les victimes, une fois qu'ils ont reconnu le préjudice causé. Par leur participation active au processus de résolution du conflit, les membres de la collectivité sont en mesure de rétablir les liens fondés sur un comportement approprié au sein de la collectivité.

3e principe: Une approche consensuelle à l'égard de la justice


[...] OSONS AVOIR RECOURS AU MOINS D'EXPERTS POSSIBLE. Et si nous en consultons, pour l'amour de Dieu évitons de faire appel à des spécialistes du crime et de la résolution des conflits. Adressons-nous plutôt à des experts généralistes qui ont de solides connaissances dans des matières autres que le système de répression des crimes.

N. Christie. « Conflicts as Property » (1977) 17, British Journal of Criminology 1 p. 12.


La formule actuelle du procès pénal s'est élaborée il y a plusieurs siècles sous la forme d'un processus accusatoire. Des parties adverses exposent leurs arguments devant un juge. Ce dernier apprécie les arguments au regard de principes juridiques, puis arrive à une décision, qu'il annonce aux deux parties. Pour l'accusation, l'objectif pratique (peu importe la théorie) est d'obtenir une condamnation. Pour la défense, l'objectif consiste à éviter une condamnation. La reconnaissance de sa responsabilité par le délinquant et les besoins des victimes ne constituent pas des valeurs essentielles.

Dans de nombreuses situations, la stricte dichotomie coupable/non coupable n'est pas une manière adéquate de formuler le conflit. En effet, les conflits ont souvent un caractère cumulatif, ils sont le produit des interactions de deux ou plusieurs personnes au fil du temps. Le conflit qui a mis les participants en contact avec le droit pénal constitue parfois le symptôme d'un problème persistant dans la relation. La culpabilité peut être ambiguë, elle peut aussi être mutuelle. Une déclaration de culpabilité peut même n'avoir aucun sens pour les participants, parce qu'ils se soucient davantage des conséquences du conflit.

L'approche fondée sur la justice réparatrice vise à susciter un consensus sur la meilleure façon de résoudre le conflit. Dans cette perspective, le rôle du système de justice pénale est de faciliter la participation active des victimes, des délinquants et des collectivités à la recherche de solutions. Cela doit faire l'objet de négociations et d'une entente entre toutes les parties. Les avocats, les juges, la police et tous les auxiliaires de la justice pénale peuvent participer au processus, mais leur rôle est plus restreint que dans le processus accusatoire. La médiation, la négociation, le règlement amiable, l'indemnisation, la réparation -- tels sont les concepts clés. On s'attache avant tout à la recherche de solutions davantage susceptibles de répondre aux besoins des victimes, de favoriser la réinsertion des délinquants dans la collectivité et de refléter les exigences de la collectivité en matière de justice. Si on veut encourager l'établissement d'un consensus sur la meilleure façon d'agir à l'égard d'un conflit, il faut disposer de procédures extrêmement souples et créatives. Cela permet de dégager des solutions adaptées aux besoins spécifiques des différentes victimes et des différents délinquants. Les programmes de justice réparatrice doivent être en mesure de répondre aux besoins des victimes d'une manière rapide et empreinte de sensibilité.


La justice réparatrice en tant que réponse aux conflits

L'idée de la justice réparatrice, c'est une façon de réagir au crime selon laquelle on définit d'une manière différente le rôle des victimes, des délinquants et des membres de la collectivité. La participation des victimes et des délinquants forme obligatoirement un élément central des programmes de justice réparatrice. Les uns comme les autres doivent être pleinement informés de leurs options avant d'accepter de participer à un programme de justice réparatrice. Cela est particulièrement vrai pour les délinquants, à qui on peut demander de reconnaître leur culpabilité. Le processus de la justice réparatrice est relativement informel. Les victimes, les délinquants et les membres de la collectivité sont encouragés à chercher des façons originales de résoudre le conflit. Le rôle des responsables du programme n'est pas de donner des directives, mais de veiller à ce que les droits et les intérêts de toutes les parties soient protégés.

Le calendrier du processus et la teneur des ententes seront davantage fonction des besoins des victimes, des délinquants et de la collectivité, que des caractéristiques de l'infraction ou des exigences du système de justice pénale au chapitre de la procédure. Les priorités sont les suivantes: répondre aux besoins sociaux, psychologiques, émotifs et spirituels des victimes et des délinquants, tout en veillant à la réparation des préjudices subis par les victimes. La justice est produite et reproduite dans les actions des victimes, des délinquants et des membres de la collectivité. Elle est le fruit de beaucoup de travail, de négociations, de désaccords, d'un consensus progressivement établi. Dans la justice réparatrice, le rôle du processus du droit pénal n'est pas d'infliger un châtiment, mais de faire participer victimes, délinquants et membres de la collectivité à une rencontre constructive répondant à ce que, selon eux, la justice exige.

V Les défis de la justice réparatrice

La description de la justice réparatrice qui précède est axée sur le cadre général et sur les principes sur lesquels sont fondés les programmes actuels. Du fait que la justice réparatrice est une manière différente d'aborder le crime et la façon d'y réagir, elle soulève, au sujet du système juridique, un certain nombre de questions qu'il faudra approfondir. Nous en examinerons quelques-unes dans la section qui suit.


Qu'est-ce que la réparation?

Le concept de réparation lui-même entraîne une certaine confusion au sujet de ce qui peut être le résultat du processus. Il faut tout d'abord préciser que, dans le cadre de la justice réparatrice, il diffère des « mesures de réparation » au sens habituellement donné à ce terme. L'indemnisation et les autres mesures de réparation peuvent être importantes pour les victimes et pour les délinquants, mais elles ne constituent pas la réparation en tant que telle. Ensuite, la « réparation » ne doit pas être comprise comme le fait de remettre la victime et le délinquant dans l'état où ils se trouvaient avant le conflit. Dans de nombreux cas, en effet, la relation entre la victime et le délinquant était dysfonctionnelle. Par exemple, en matière de violence conjugale ou familiale et dans le cas d'autres crimes liés à l'abus de pouvoir, le rétablissement de la relation telle qu'elle existait au moment du conflit ne constituerait pas une réponse appropriée.

La réparation suppose que les intéressés peuvent retrouver le sentiment de maîtriser leur vie et établir des relations fondées sur le respect et l'égalité. Elle est atteinte par la guérison des blessures, le développement d'un sentiment de bien-être, la création de conditions favorables au développement personnel, sur les plans émotif et spirituel. L'établissement d'un sentiment de confiance constitue aussi un élément important de la réparation. Pour les victimes comme pour les délinquants, la réparation est la reconquête personnelle de ce qui a été détérioré pendant un conflit. Cela suppose parfois le rétablissement de la relation telle qu'elle existait avant l'incident, parfois non.

La justice réparatrice revêt l'apparence d'une thérapie, tant pour la victime que pour le délinquant. On considère dans cette perspective que la justice dépend de la réalisation d'un sentiment de bien-être psychologique et émotif. En tant qu'intervention thérapeutique, la justice réparatrice peut être invoquée à toute étape du processus de justice pénale. À l'heure actuelle, les programmes de justice réparatrice entrent en scène avant l'inculpation, avant la déclaration de culpabilité, après la déclaration de culpabilité mais avant le prononcé de la peine, après le prononcé de la peine, et aussi pendant que les délinquants sont en prison ou sont soumis à une surveillance communautaire. Parfois, ils paraissent constituer surtout une réponse à un conflit, parfois ils ont davantage le caractère d'une intervention thérapeutique, selon le stade du processus. Par exemple, la médiation entre victime et délinquant avant l'inculpation peut obéir à une dynamique différente que la médiation entre victime et délinquant qui intervient une fois que le délinquant est incarcéré, ou pendant qu'il est en libération conditionnelle.


DANS LE DISCOURS ACTUEL sur l'autonomie, la prise en charge de soi-même, on est loin d'envisager la limitation de l'intervention de professionnels dans la vie des citoyens. Y sont plutôt favorisées l'apparition de nouveaux types d'expertise professionnelle et la désignation de « groupes clients », nouveaux ou transformés, comme objets de ce nouveau type d'intérêt professionnel.

K. Baistow. « Liberation and regulation? Some Paradoxes Of Empowerment » (1995) 42 Critical Social Policy 34, p. 41.


SUJET DE DISCUSSION:
Les objectifs des programmes de justice réparatrice diffèrent selon le stade du processus de justice pénale auquel ils sont proposés. Quelles incidences cela a-t-il sur la façon dont les programmes sont structurés, sur le choix des personnes qui y participeront et sur l'arrimage de ces programmes avec le système de justice pénale en vigueur?

Dans certains textes sur la justice réparatrice, on sous-entend que le crime constitue une « chute morale ». Souvent, on conçoit l'infraction comme un manquement d'ordre moral -- une faute personnelle témoignant de façon tangible d'un manque de respect pour les normes de la collectivité. Si le crime traduit un manquement sur le plan de la responsabilité personnelle, le but de la justice réparatrice consiste à ce que le délinquant réaffirme sa responsabilité personnelle par des actes de repentir -- travail communautaire, indemnisation de la victime. La responsabilisation personnelle devient un élément clé de la justice. On reconnaît que les membres de la collectivité jouent un rôle dans la création d'un milieu social favorable à la criminalité, mais uniquement dans la mesure où la collectivité n'a pas réussi l'intégration du délinquant. On met l'accent davantage sur la réparation au niveau individuel que sur l'objectif de changer la société pour mettre fin à l'aliénation de certaines personnes.

SUJET DE DISCUSSION:
Quel est le rapport entre la réparation au plan individuel et les forces sociales qui produisent les conditions favorisant la criminalité?

La guérison, la contrition, le pardon, le développement moral sont des concepts tout à fait différents de ceux que nous associons aux tribunaux, comme la proportionnalité, la certitude, la sévérité. Le discours que nous tenons sur un conflit détermine la façon dont nous y répondrons, confère une légitimité à certaines formes de connaissance et en discrédite d'autres, établit des critères pour l'appréciation des résultats. Pour certaines personnes, l'aspect thérapeutique de la justice réparatrice constitue une extension regrettable du pouvoir de l'État. Pour d'autres, au contraire, la justice réparatrice met un frein au pouvoir de l'État. Elles estiment que la justice réparatrice soustrait le conflit de l'emprise de l'État pour le renvoyer aux victimes, aux délinquants et à la collectivité.

SUJET DE DISCUSSION:
La justice réparatrice propose une façon différente d'organiser notre réponse à la criminalité et aux conflits. Quelles sont les incidences de l'instauration de nouveaux types de connaissances et d'un nouveau groupe de professionnels dans le système de justice pénale?

Une des conséquences des programmes de justice réparatrice consiste, dit-on, dans la limitation du pouvoir de l'État. Mais on présume alors que le pouvoir transféré à la collectivité est nécessairement plus inoffensif que le pouvoir étatique. On présume aussi que lorsque des collectivités auront acquis ce pouvoir, il y aura une diminution correspondante du pouvoir de l'État.

SUJET DE DISCUSSION:
Les programmes de justice réparatrice instituent de nouveaux centres de pouvoir au sein des collectivités. Quelles incidences cela a-t-il? S'agit-il d'une autre strate de pouvoir qui vient se superposer à l'actuel appareil de justice pénale?

La justice réparatrice: une réponse aux conflits distincte, ou intégrée?

Il faut examiner de près le rapport entre les programmes de justice réparatrice et le processus de justice pénale actuel. Les formes de justice populaire établies comme de nouvelles opinions au processus officiel ont tendance avec le temps à être absorbées par celui-ci, tout comme les formes de résolution des différends instituées par l'État tendent à être incorporées dans le système officiel.

En ce moment, la justice réparatrice adopte un point de vue critique à l'égard du système de justice pénale. Elle est souvent présentée comme une option au processus existant, et en même temps elle dépend de ce processus. Le rapport entre ces deux réponses aux conflits sera toujours marqué d'une certaine tension. Par exemple, la justice réparatrice met en question la définition du crime: le crime devient une atteinte aux relations entre des personnes plutôt qu'une atteinte à l'État. La plupart des programmes de justice réparatrice, pourtant, ne reflètentpas cette distinction. Ils sont axés sur le comportement criminel plutôt que sur la notion de conflit, criminel ou non.

SUJET DE DISCUSSION:
Est-il nécessaire que la justice réparatrice soit étroitement liée au système de justice pénale?

Si la justice réparatrice contribue à l'édification de la collectivité, ou ralentit le rythme du déclin de la collectivité, comment les collectivités devraient-elles réagir aux incivilités non criminelles (bris de carreaux, par exemple) qui engendrent un sentiment de désordre et accroissent les craintes et l'anxiété?


[ ...] LE MAINTIEN DU SYSTÈME ACTUEL rassurerait bien des gens qui craignent la violence. Si [un autre modèle] échouait dans tel ou tel cas, nous pourrions toujours avoirs recours au système répressif. Le système actuel devrait toujours être gardé en réserve, en tant qu'élément subsidiaire de la répression du crime.

H. Bianchi. Justice as Sanctuary: Toward a New System of Crime Control, Bloomington (Ind.): Indiana University Press, 1994, p. 96.


Il existe d'autres points d'intersection entre la justice réparatrice et le processus de justice pénale en vigueur. En premier lieu, tandis que le système de justice pénale ne permet pas de s'attaquer efficacement aux conséquences matérielles et psychologiques du conflit, son efficacité est éprouvée pour ce qui est de la détermination de la culpabilité au sens juridique. Comme de nombreux programmes de justice réparatrice exigent du délinquant qu'il accepte la responsabilité de ses actes, que se passe-t-il si l'accusé conteste sa responsabilité ou sa culpabilité? La justice réparatrice dispose-t-elle de mécanismes adéquats en ce qui a trait aux problèmes liés à la culpabilité? En deuxième lieu, il semblerait nécessaire d'établir, dans le cadre de la justice réparatrice, un quelconque mécanisme garantissant l'application des ententes conclues entre victimes et délinquants. Quel organisme remplira ce rôle? Devra-t-on modifier l'organisation des services de police afin qu'ils soient mieux adaptés aux principes de la justice réparatrice? En troisième lieu, dans quelle mesure la justice réparatrice cédera-t-elle la place au processus rétributif quand les victimes et/ou les délinquants ne souhaitent pas participer à un tel programme?

SUJET DE DISCUSSION:
La justice réparatrice est-elle un système de justice? Peut-elle fonctionner indépendamment du système de justice pénale existant?

En ce moment, les programmes de justice réparatrice fonctionnent dans l'ombre du système de justice pénale. S'ils continuent à se multiplier et en viennent à occuper une place plus importante au sein du système de justice pénale, l'interaction des deux systèmes et leur influence mutuelle au fil du temps deviendront des questions fondamentales. Les programmes de justice réparatrice seront-ils intégrés au système de justice pénale, perdant de ce fait leur potentiel d'innovation? Est-ce que les concepts et les méthodes de la justice réparatrice s'inséreront progressivement dans le système de justice pénale habituel? Ou bien verra-t-on les deux systèmes coexister dans le cadre d'une relation d'acceptation mutuelle, chacun ayant une influence sur l'autre?


La coercition

Le processus de justice pénale actuel est, dans sa constitution même, un système coercitif. Dans la mesure où la justice réparatrice se fonde sur la police pour lui signaler les dossiers nécessitant son intervention (ce qui diffère du cas où un délinquant s'engage dans un programme de justice réparatrice sans que ses actes aient été signalés par un agent de police), un élément de coercition subsiste. Et même quand victimes et délinquants consentent à l'application d'un programme de justice réparatrice, il existe aussi une coercition, quoique plus subtile. Car tant que la menace d'une incarcération pèse sur les délinquants, leur participation à un programme de justice réparatrice n'est pas entièrement libre. Certaines personnes risquent de se sentir contraintes de participer à un tel programme même si elles ne sont coupables d'aucune infraction.

D'autre part, il serait sans doute irréaliste de souhaiter une participation absolument volontaire. Il suffirait peut-être d'offrir le choix aux délinquants et de leur permettre de participer à un programme de justice réparatrice s'ils en expriment le souhait, en veillant à ce que la formation du facilitateur lui permette de réagir dans le cas, improbable, où le délinquant feignait le remords, ou n'était pas disposé à accepter la responsabilité des préjudices qu'il a causés. On pourrait aussi faire valoir qu'une certaine coercition s'avérera nécessaire à l'égard de certains délinquants. Par exemple, s'il est vrai qu'une acceptation authentique de la responsabilité exprimée, par exemple, par des excuses, ne peut se faire sous la contrainte, il demeure possible que certains délinquants (notamment ceux qui ont déjà eu affaire à la justice pénale) aient besoin qu'on les incite à essayer une autre méthode de règlement des conflits.

Les victimes peuvent elles aussi se sentir contraintes de participer à un programme de justice réparatrice. Cela est particulièrement vrai lorsqu'elles ne s'estiment pas en mesure de défendre leurs intérêts. Par exemple, une victime pourra hésiter à refuser de participer à un programme si elle sait que l'accusé, certains membres de la collectivité, la police, d'autres professionnels et un facilitateur acceptent d'y participer. Cela peut constituer un problème important dans les petites collectivités, car il est probable que des relations existaient déjà entre les victimes, les délinquants et les membres de la collectivité. Finalement, la coercition intervient aussi dans la négociation d'ententes relatives à la réparation, surtout lorsque, dans le cas où aucune entente n'est négociée, le délinquant est inculpé formellement ou est renvoyé devant le tribunal judiciaire pour le prononcé de sa peine.

SUJET DE DISCUSSION:
Les appréhensions relatives à la coercition sont à notre avis valables. Existe-t-il des façons d'amener la coercition à un minimum? La coercition a-t-elle aussi des effets positifs dans un programme de justice réparatrice?


La justice réparatrice et la justice


LA LOGIQUE DE LA REPRÉSENTATION est-elle une acceptation des valeurs normatives du groupe ou de l'association en cause? La médiation devrait-elle obéir à la relativité culturelle dans sa façon d'aborder les résultats? Autrement dit, un règlement conclu entre les parties est-il acceptable du simple fait qu'elles ont agi d'elles-mêmes et exercé leur propre jugement dans le processus? Ou bien faudrait-il exiger que le processus et le résultat s'accordent avec une quelconque notion reconnue d'acceptabilité?

A. Crawford. The Local Governance of Crime: Appeals to Community and Partnerships, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 188.


Nous avons déjà évoqué la préoccupation thérapeutique évidente dans une grande partie des documents traitants de la justice réparatrice. Faut-il dissocier la justice réparatrice en tant que réponse à un conflit et la justice réparatrice en tant qu'intervention thérapeutique? Cette question touche l'essence même de la justice réparatrice: comment la justice réparatrice conçoit-elle la justice? La justice réparatrice est une réponse pratique à un conflit, qui doit se réaliser par les actions des individus. Cela ne signifie pas, cependant, que la justice consiste simplement dans la résolution de problèmes par les victimes et les délinquants. Supposons, par exemple, qu'après une agression particulièrement violente, une victime et un délinquant négocient un « règlement » qui, aux yeux du facilitateur et des participants de la collectivité, témoigne d'une trop grande « clémence ». Le consentement des parties au conflit est-il suffisant pour que l'entente soit acceptable? La participation de la collectivité semble indiquer que son intérêt est également en cause, que l'intérêt de la justice ne se limite pas à la résolution de problèmes jugée satisfaisante uniquement par les personnes directement concernées. Si la justice réparatrice peut être mieux en mesure de répondre à l'intérêt de la collectivité que le système rétributif, il existe sans doute des situations dans lesquelles l'intérêt de la collectivité ne correspond ni à ceux de la victime, ni à ceux du délinquant.

SUJET DE DISCUSSION:
Nous pensons que la justice réparatrice doit être davantage qu'un forum au sein duquel des individus peuvent résoudre leurs différends. Le nombre des conflits qui sont résolus concerne les intérêts de la collectivité. Quelle est l'importance relative des intérêts de la collectivité, des intérêts des victimes et des intérêts des délinquants?

La justice réparatrice est souvent dépeinte comme quelque peu inférieure à la justice, parce qu'elle privilégie la réparation plutôt que le châtiment, l'indemnisation plutôt que l'incarcération. En résumé, on lui reproche de favoriser une trop grande « indulgence » à l'égard de la criminalité. Pour certains délinquants, le fait de devoir rencontrer leurs victimes et d'assumer les conséquences de leurs actes constitue sans doute une punition moins sévère que de passer un certain nombre d'années dans une prison où l'avilissement et l'humiliation font partie de la routine. Pour d'autres, c'est parfois le contraire. La sévérité relative de chacune de ces solutions est dans une large mesure une question d'ordre empirique, liée à la constitution psychologique des victimes et des délinquants. Dans le meilleur des cas, le débat sur les mérites de la justice réparatrice en fonction de « l'indulgence » ou de la « sévérité » à l'égard des crimes nous détourne des critères à l'aune desquels devrait être appréciée la validité d'une politique. Dans le pire des cas, il conduit les responsables politiques à se livrer à une surenchère, à tenter de faire en sorte que le traitement réservé aux délinquants soit d'un cran plus sévère ou moins sévère que dans le cas d'autres options.

La question à laquelle il faut s'attaquer, c'est la nécessité de la punition. Infliger volontairement des privations sévères, c'est tout à fait autre chose qu'imposer une peine qui peut s'avérer douloureuse pour le délinquant. Par exemple, il peut s'avérer pénible pour des délinquants d'être mis en présence de leurs victimes et de réaliser les conséquences de leurs actes. Cette douleur est une conséquence du travail nécessaire pour susciter une réconciliation ou résoudre le conflit; elle n'a pas été imposée dans le but de faire souffrir. La question qui se pose est celle de savoir comment l'incarcération peut s'insérer dans un cadre de justice réparatrice.

SUJET DE DISCUSSION:
Jusqu'à quel point la punition est-elle une réponse légitime au conflit, dans le cadre de la justice réparatrice?

L'incarcération peut-elle être justifiée, en tant que sanction réparatrice, sans qu'on ait recours à la notion de châtiment? Certains aspects du châtiment sont-ils compatibles avec la justice réparatrice?

La justice réparatrice et la justice privée

Il faut préciser le rapport entre justice réparatrice et justice privée. Par justice privée, nous entendons les différends qui sont résolus sans l'intervention des autorités publiques. La justice privée peut être individualisée et officieuse (comme la vengeance personnelle) ou elle peut avoir un caractère collectif et organisé (police privée, sécurité privée, par exemple).

Lorsque des conflits sont abordés d'une manière privée, un certain nombre de connaissances et de données ne sont pas rendues publiques. Dans certains cas, cela est souhaitable. Ainsi, un sévère avertissement donné par un agent de sécurité et un appel téléphonique aux parents peuvent s'avérer suffisants pour dissuader un adolescent de se livrer au vol à l'étalage. Dans d'autres cas, la justice privée ne constitue pas nécessairement la manière appropriée de réagir à un acte répréhensible. Prenons le cas d'un comptable qui détourne de l'argent destiné à un organisme de bienfaisance. Plutôt que de porter plainte auprès de la police ou de l'ordre professionnel des experts-comptables et de rendre ainsi les faits publics, l'organisme en question décide de congédier le comptable sans divulguer ses agissements. Le comptable est par la suite engagé par un autre organisme et commet le même type de malversations. Ce deuxième organisme, donc, a été lésé par le caractère privé des mesures prises à la suite du premier détournement de fonds et par l'inexistence d'un dossier public concernant les délits commis par le comptable. L'étude effectuée par la Commission du droit au sujet des sévices exercés sur des enfants placés dansdes établissements a en outre permis de constater que dans de nombreux cas, plutôt que de demander à la police de faire enquête sur des personnes soupçonnées de se livrer à de tels abus, des établissements ont pris des mesures d'ordre privé -- mutation ou congédiement du suspect. Or, il est arrivé fréquemment que la personne sur qui pesaient de tels soupçons a ensuite commis de nouvelles agressions dans un autre établissement.

Ces exemples de justice privée permettent de saisir les différences entre le forum où la justice est rendue et la forme de cette justice. Il s'agit de cas où l'on n'a pas eu recours à des mécanismes publics, mais ils ne reflètent pas pour autant les principes de la justice réparatrice. La résolution privée d'un conflit qui n'amène pas l'auteur à reconnaître sa faute et sa responsabilité n'est pas en accord avec ces principes. Souvent, une telle reconnaissance suffit à garantir l'absence de récidive -- mais pas toujours. Dans certains cas, il est important de consigner publiquement l'infraction commise. Même s'ils ne contiennent pas tous les détails d'un incident donné, les dossiers judiciaires constituent une précieuse source d'information publique sur les faits. Nous croyons que la justice réparatrice doit être en mesure de remplir cette fonction de transparence publique, même lorsque le conflit lui-même est résolu d'une façon privée.

SUJET DE DISCUSSION:
Dans quels types de situation est-il nécessaire de satisfaire aux objectifs de la justice réparatrice en matière de responsabilité en produisant un dossier public?

Dans les cas en question, quelle est la meilleure façon de faire en sorte que les renseignements importants sur les conflits soit consignés dans un dossier public?

Les besoins de la victime


SI, EN GRANDE-BRETAGNE, la médiation est arrivée tardivement pour ses partisans enthousiastes, elle est arrivée juste un peu trop tôt en ce qui a trait à l'aide aux victimes. On ne s'occupait pas encore adéquatement des victimes de crimes, on commençait à peine à reconnaître et à comprendre leurs besoins. [...] l'idée d'ententes conclues entre victimes et délinquants au moyen de la médiation a vu le jour prématurément, à la faveur d'une association inhabituelle entre responsables politiques et réformateurs du droit pénal, qui s'intéressaient surtout à un système de justice pénale mal en point auquel il était urgent de donner une nouvelle orientation. On a vu, dans l'intérêt des victimes apparu au début des années 1980, un moyen à saisir pour alléger la tâche de tribunaux surchargés et pour envoyer moins de délinquants dans les prisons, surpeuplées et ingérables.

H. Reeves. « The Victim Support Perspective » dans M. Wright et B. Galaway (dir.), Mediation and Criminal Justice: Victims, Offenders and Community, London, Sage Publications, 1989, 44, p. 44.


L'une des principales prétentions des programmes de justice réparatrice, c'est d'être sensibles aux besoins des victimes. En leur permettant de participer au processus, on affirme qu'elles retrouveront le sentiment de maîtrise de leur vie et seront mieux en mesure de faire face aux répercussions émotives et psychologiques du conflit. Récemment, on a vu des victimes exiger d'être mieux renseignées sur le traitement de l'affaire, d'être autorisées à participer au système pénal, de recevoir de l'information au sujet de la peine prononcée contre le délinquant et d'être tenues au courant du cheminement de celui-ci dans le système de probation ou le système correctionnel.

Mais dans le cadre de la justice réparatrice, les victimes assument une responsabilité bien plus grande quant à l'issue du conflit et, par conséquent, quant au sort des délinquants. Il ne faut pas oublier que le contrôle exercé par l'État sur les poursuites pénales réduit la probabilité que les victimes cherchent à se venger personnellement. En outre, il les protège contre d'éventuels nouveaux préjudices. Cela est particulièrement vrai quand les victimes ont moins de pouvoir que les délinquants. Les victimes peuvent souhaiter être indemnisées, obtenir de l'information au sujet du dossier, poser des questions au délinquant, donner libre cours à leur colère. Mais tout cela est différent de la participation des victimes à la détermination de la peine qui sera prononcée contre le délinquant. Comme la victime supporte déjà un fardeau disproportionné en raison de l'infraction, il est tout à fait possible qu'un accroissement de sa responsabilité à ce chapitre entraîne une revictimisation, ce qui est diamétralement contraire au but recherché. Pour que le potentiel de la justice réparatrice se réalise pleinement, il faut que les victimes participent à la conception et au suivi des programmes.

SUJET DE DISCUSSION:
Dans quelle mesure les victimes souhaitent-elles jouer un rôle dans le système de justice pénale?

Dans quelle mesure la justice réparatrice coïncide-t-elle avec les besoins des victimes en matière d'information, d'indemnisation et de participation au processus de justice pénale?

Est-il sage de confier aux victimes la responsabilité de déterminer de quelle manière le système de justice pénale devrait réagir quand une personne enfreint la loi? Désirent-elles de cette responsabilité?



[LA JUSTICE RÉPARATRICE] a, dans une large mesure, été une initiative des aumôniers ¦uvrant dans le système correctionnel et des organisations qui travaillent auprès des délinquants et qui les soutiennent. Les personnes et les groupes qui se soucient uniquement des victimes ne s'y sont que très peu intéressés. Les groupes de défense des victimes, par conséquent, craignent que ce processus soit axé sur le délinquant et soit exagérément focalisé sur ses besoins, ceux des victimes étant relégués au second plan.

Centre des ressources pour victimes. Balancing The Scales: The State Of Victims' Rights In Canada, Ottawa, Centre des ressources pour victimes, p. 48, [En ligne]. Association canadienne des policiers http://www.cpa-acp.ca/vrc/briefs /balancing_the_scales.htm


La signification du mot « collectivité »

La « collectivité » est un concept clé dans les programmes de justice réparatrice. La collectivité est le lieu où s'accomplit la justice. Les membres de la collectivité sont aussi des participants clés dans les programmes de justice réparatrice. Cependant, le mot « collectivité » a plusieurs sens, souvent contradictoires.


LE TERME « COLLECTIVITÉ » [...] est, dans le domaine politique, le mot à la mode des années 1990 -- l'antidote à la crise de la modernité « fin de siècle ».

A. Crawford. The Local Governance of Crime: Appeals to Community and Partnerships, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 148.


On présume souvent que la collectivité est une chose entièrement vertueuse, vers laquelle il faut tendre, qu'il faut entretenir, établir. L'édification de la collectivité fait partie de notre responsabilité civique. On associe souvent la collectivité à l'ordre, à la stabilité, à la solidarité. Mais les collectivités ont aussi d'autres facettes. Elles peuvent revêtir un caractère d'exclusion, si on les définit par ce qu'elle ne sont pas. Les dispositifs de sécurité perfectionnés des communautés résidentielles clôturées, par exemple, excluent régulièrement certains groupes pour garantir l'homogénéité. Les collectivités sont souvent dépeintes comme égalitaires. Mais cela masque le fait que certains membres d'une collectivité -- en raison de leur âge, de leur sexe, de leur affiliation religieuse ou politique -- jouissent d'un plus grand pouvoir que d'autres, pouvoir qu'ils peuvent ou non utiliser pour favoriser le « bien commun ». L'idée même d'un « bien commun » unique est en outre suspecte. Les collectivités peuvent être composées de groupes ayant des conceptions différentes de ce qui constitue un comportement inacceptable et des façons d'y réagir.

La collectivité peut être une simple unité géographique, une région administrative, un village, par exemple. Il est alors aisé de déterminer qui en fait et n'en fait pas partie, et d'exclure les « étrangers ». Elle peut également être conçue comme un ensemble d'attitudes. Cette conception symbolique se traduit par des expressions comme « sens de la collectivité », « esprit collectif », « édification de la collectivité », « fierté collective », qui exercent une certaine pression sur les membres. Finalement, on peut concevoir la collectivité d'une façon plus fluide, comme un réseau d'associations qui relient les gens selon leurs obligations ou leurs intérêts mutuels. Une personne peut faire partie de plusieurs collectivités -- famille, associations professionnelles, réseaux d'amitié --, qui peuvent être locales ou avoir une plus grande étendue. Les gens peuvent choisir d'adhérer à des collectivités en fonction d'intérêts mutuels, et aussi de quitter des collectivités, par exemple leur famille, en rompant les liens avec les autres membres. Ces différentes manières de concevoir les collectivités ont des incidences sur la structure des programmes de justice réparatrice.

SUJET DE DISCUSSION:
Y a-t-il lieu d'élaborer des programmes de justice réparatrice correspondant aux collectivités géographiques, comme dans le cas des programmes du type « surveillance de quartier » ou « police de quartier », en ayant recours à des médiateurs bénévoles et à des membres de la collectivité choisis dans le voisinage? Ou bien, est-ce que les programmes de justice réparatrice devraient faire appel à un intérêt plus normatif?

Comment « l'intérêt de la collectivité » est-il déterminé? Quel rôle doivent jouer, dans les programmes de justice réparatrice, ceux et celles qui mettent en question « l'intérêt de la collectivité »?

La participation de la collectivité aux programmes de justice réparatrice devrait-elle être organisée de manière à tenir compte des réseaux auxquels adhérent les délinquants et les victimes, et qui parfois se chevauchent.

La justice réparatrice soulève aussi la question de savoir si la collectivité est un moyen, ou une fin en soi. Pour certains partisans de cette formule, la collectivité est une ressource dans laquelle on peut trouver les personnes qui participeront aux conférences familiales, aux cercles de détermination de la peine ou aux comités de justice pour les jeunes. Ils ont le sentiment que la collectivité respecte un ensemble d'attitudes et de valeurs, définissables et largement partagées. Les délinquants se sont écartés des normes de la collectivité. Il s'agit d'essayer de les ramener dans le droit chemin en renforçant les valeurs communes par divers moyens: susciter l'expression de la vérité et des sentiments de honte, favoriser des rencontres, recourir au travail communautaire. Dans ce contexte, la collectivité constitue un moyen par lequel la justice est réalisée.

Pour d'autres personnes, la notion de collectivité a un sens différent. Le crime découle du fait que la collectivité n'a pas réussi à susciter à un degré suffisant les valeurs communes propres à donner naissance à une solidarité locale. Si une rupture au niveau de l'engagement à la collectivité se traduit par une recrudescence de la criminalité, on peut supposer que le renforcement de la solidarité au sein de cette collectivité entraînera une diminution de la criminalité. En discutant des conflits dans un contexte ouvert et sûr, les membres de la collectivité sont en mesure d'évaluer les normes de conduite, de réaffirmer celles qui s'accordent au point de vue des membres, de transformer celles qui devraient s'y accorder. Dans ce cas, la collectivité constitue la fin poursuivie, alors que la justice réparatrice est une stratégie visant à renforcer les liens sociaux parmi les membres de la collectivité.


SUJET DE DISCUSSION:
Autour de quelles hypothèses relatives au rôle des collectivités s'articule la structure actuelle des programmes de justice réparatrice?


La justice pénale comme moyen de changer la société?


IL EST IMPOSSIBLE DE TRANSFORMER UNE COLLECTIVITÉ en un lieu sain et paisible simplement en postant des agents de police à chaque coin de rue ni, du reste, en envoyant des travailleurs sociaux dans chaque foyer. La criminalisation ne résout pas les problèmes créés par le racisme, la désindustrialisation ou la paupérisation. Elle permet dans une large mesure à la colère légitime de s'exprimer adéquatement, mais il y a un prix à payer: les groupes dominants ne sont pas menacés et les relations dominantes fondées sur le capital etsur le patriarcat ne sont pas remises en question.

L. Snider. « Towards Safer Societies: Punishment, Masculinities And Violence Against Women » (1998) 38 British Journal of Criminology 1, p. 15.


Les programmes de justice réparatrice peuvent s'avérer des initiatives d'édification de la collectivité, donnant à des personnes la possibilité de préciser les normes, d'affirmer les règles de conduite, puis de les communiquer aux autres membres de la collectivité. Les victimes sont en mesure de jouer un rôle actif dans la réponse aux délits. Les délinquants sont incités à assumer la responsabilité de leurs actes, et notamment à s'attaquer aux problèmes d'où découle leur comportement criminel.

On peut se demander si « réagir à la criminalité » est le meilleur point de départ quand il s'agit de promouvoir une transformation sociale. Le système de justice pénale traditionnel est fondé sur la réaction: il répond à un fait négatif ou à une situation de conflit. Son application touche des sentiments divers -- souffrance, trahison, tromperie, violence, malentendus, négligence, douleur -- et confronte des personnes au moment où elles sont le plus vulnérables. Si l'on vise à ce que les gens sortent du système de justice pénale dans un meilleur état que lorsqu'ils y sont entrés, il ne fait pas de doute que le système, de la façon dont il est actuellement constitué, ne favorise pas le changement au sein de la société et ne saurait être considéré comme une expérience transformatrice pour les victimes et les délinquants.

Les programmes de justice réparatrice présentent ce potentiel. Mais ils supposent une participation très importante de la collectivité. Non seulement l'objectif du système de justice pénale se trouve élargi, pour embrasser la tâche de la transformation sociale, mais c'est à la collectivité que cette mission est confiée. Habituellement, les collectivités les plus touchées par la criminalité sont également celles qui sont le moins organisées, le moins en mesure d'y réagir efficacement. Le conflit représente certes une occasion de croissance et de développement, mais souvent par la douleur et la souffrance. Si l'on n'affecte pas des ressources à cette fin, on impose sans doute un fardeau trop lourd à ces collectivités en leur demandant, non seulement de réagir au conflit, mais de le faire de façon à accomplir une transformation sociale.


SUJET DE DISCUSSION:
La justice réparatrice ne se fixe-t-elle pas une tâche impossible si elle vise davantage que de veiller à ce qu'aucun dommage supplémentaire ne soit causé aux victimes et aux délinquants?

Nous pensons que les collectivités auront besoin de ressources considérables pour instaurer d'une manière efficace des programmes de justice réparatrice. Quelles méthodes leur permettraient le plus efficacement d'obtenir ces ressources?


Quels intérêts sert la justice réparatrice?


LA CITOYENNETÉ N'EST PLUS INTERPRÉTÉE en termes de solidarité, de contentement, de protection sociale et d'un sentiment de sécurité établis grâce aux liens créés par la vie organisationnelle et sociale.La citoyenneté doit être active et individualiste, et non passive et dépendante. Le sujet politique devient dès lors un individu dont la citoyenneté se manifeste par le libre exercice d'un choix personnel parmi toute une gamme d'options. Les programmes de gouvernement doivent être évalués selon la mesure dans laquelle ils favorisent ce choix. Et le langage de la liberté individuelle, du choix personnel et de la réalisation de soi en est arrivé à former l'ossature des programmes de gouvernement formulés dans tout l'éventail politique -- politiciens et professionnels, groupes de pression, défenseurs des libertés civiles.

P. Miller et N. Rose. « Governing Economic Life » (1990) 19, Economic and Society, no 1, 75, p. 98.


Si l'on adopte l'approche de la justice réparatrice, il est important de se demander quelles sont les personnes dont les intérêts seront servis. Prenons tout d'abord le groupe « client ». L'observation de diverses formes de justice populaire donne à penser que les méthodes officieuses ne sont pas utilisées dans la même mesure par les riches et par les pauvres. En outre, dans le cas des processus de médiation, les médiateurs ont tendance à appartenir à une classe sociale plus élevée que les participants. Finalement, il semble bien que, dans le cas de la médiation en matière pénale, l'élément racial puisse jouer dans la décision d'offrir ou non aux victimes et aux délinquants la possibilité d'emprunter la voie de la justice réparatrice. Il ressort de données empiriques que les victimes et les délinquants qui ont vécu l'expérience des programmes de justice réparatrice en sont satisfaits. Il faudrait cependant étudier d'une façon plus approfondie les raisons pour lesquelles certains d'entre eux décident de ne pas participer à ces programmes, et vérifier si certaines victimes et certains délinquants se voient refuser cette possibilité alors qu'ils souhaiteraient s'en prévaloir.

SUJET DE DISCUSSION:
Nous pensons que les programmes de justice réparatrice risquent de devenir, avec le temps, une justice de seconde classe. Comment faire en sorte que cela ne se produise pas?

Comment expliquer que certaines victimes et certains délinquants décident de ne pas participer aux programmes de justice réparatrice?


[L'EXAMEN DES PROGRAMMES FÉDÉRAUX] renfermait une philosophie générale de la gouvernance fondée sur l'autonomie et la subsidiarité -- une philosophie bâtie sur la responsabilité personnelle et sur l'aide fournie, selon les besoins individuels, par le secteur privé, les groupes communautaires ou le palier de gouvernement le plus près du citoyen et en mesure de fournir de l'aide d'une manière efficace.

G. Paquet. « Alternative Service Delivery: Transforming the practices of governance », dans R. Ford et D. Zussman (dir.), Alternative Service Delivery: Sharing Governance in Canada, Toronto, KPMG, 1997, 32, p. 36.


Les gouvernements fédéral et provinciaux ont récemment accordé leur appui aux programmes de justice réparatrice. Ils estiment que ces programmes peuvent constituer une réponse aux critiques formulées par les associations de victimes à propos des injustices qu'elles subissent dans le système actuel. Mais d'autres raisons expliquent que les gouvernements favorisent la justice réparatrice. Pour certains, cette formule constitue un moyen de réduire l'encombrement du système judiciaire. Cela vaut en particulier pour les crimes moins graves, dans le cas desquels on juge fastidieux d'intenter des poursuites. Certains voient par ailleurs la justice réparatrice comme un programme de déjudiciarisation permettant de réduire le nombre de délinquants incarcérés et les coûts liés à l'incarcération. Pour les partisans de cette formule, le désencombrement des tribunaux et la diminution du nombre de délinquants incarcérés sont des conséquences de la justice réparatrice; pour les gouvernements, ces conséquences deviennent des objectifs.

SUJET DE DISCUSSION:
Quelles sont les implications de ces objectifs contradictoires? Comment faire en sorte qu'un programme de justice réparatrice ne soit pas évalué uniquement en fonction d'objectifs et de valeurs qui ont peu ou rien à voir avec les principes de la justice réparatrice?

Il y a lieu de se demander, également, comment la justice réparatrice s'insère dans l'évolution générale des politiques publiques canadiennes. Les gouvernements fédéral et provinciaux expérimentent à l'heure actuelle de nouvelles méthodes de prestation de services. Quand les gouvernements essaient de mieux répondre aux besoins locaux, dans un contexte de restrictions financières, ils se contentent souvent de se retirer. En déclarant qu'ils ne sont pas en mesure de répondre à de nombreux problèmes sociaux auxquels, traditionnellement, ils s'attaquaient, ils justifient le fait qu'ils se déchargent de leurs responsabilités sur les collectivités locales.

SUJET DE DISCUSSION:
Dans quelle mesure la justice réparatrice, à titre d'option nouvelle de prestation de services en matière de justice, s'accorde-t-elle avec les grands changements en cours dans l'administration publique au Canada?

Il est possible, à notre avis, que la justice réparatrice ne soit encouragée et utilisée que pour diminuer les dépenses et réduire la taille de l'État. Dans quelle mesure devons-nous craindre que la gouvernance étatique et professionnelle soit remplacée par des formes de gouvernance fondées sur le marché ou la collectivité alors que les gouvernements ne sont pas disposés à financer adéquatement la justice réparatrice?

Bon nombre des questions formulées dans la présente section ne pourront être étudiées qu'au fur et à mesure qu'on expérimentera et évaluera différents types de programmes de justice réparatrice. Rappelons un de nos postulats initiaux: la justice doit être souple et dynamique. L'élaboration de la justice réparatrice constituera un processus du type « essais et erreurs ». Sans doute ces questions ne seront-elles jamais parfaitement résolues, mais les programmes de justice réparatrice ont le potentiel de répondre aux attentes des Canadiens et des Canadiennes en ce qui a trait à la manière dont la justice pénale devrait être appliquée. Il faut maintenant se demander si la justice réparatrice, en tant que réaction aux conflits, peut s'avérer utile dans d'autres domaines que la justice pénale.



VI La perspective de la justice transformatrice

La justice réparatrice peut avoir une incidence notable sur la façon dont nous résolvons les conflits dans le système de justice pénale. En mettant en relief le préjudice causé à des personnes et ce qu'exige la réparation de ce préjudice, la justice réparatrice place les participants à un conflit au centre même du processus et leur fournit l'occasion de tenter activement de résoudre celui-ci. Mais la justice réparatrice peut également aider le droit dans l'élaboration d'un cadre permettant la résolution d'autres types de conflits. En ce sens, les principes et les pratiques de la justice réparatrice peuvent avoir un caractère transformateur.

Comment passer de la justice réparatrice à la justice transformatrice? Qu'entendons nous par justice transformatrice? La justice transformatrice consiste à reconnaître toute la gamme des préjudices causés par un conflit et à y réagir -- et aussi à tirer parti des occasions que présente ce conflit, en réunissant des personnes dans le cadre d'un processus qui encourage à la fois la guérison et le développement personnel.

La justice transformatrice, comme stratégie générale de réaction aux conflits, étend l'application des principes et des pratiques de la justice réparatrice au-delà du système de justice pénale. Dans la première section de ce document, nous avons signalé que la définition du crime résulte d'une interaction complexe de conceptions morales et de rapports de force fluctuants au sein de la société. La manière dont un conflit est défini détermine le type de réaction qui sera privilégié. Ceci peut aussi s'appliquer à des domaines comme le droit de l'environnement, le droit des sociétés, les relations de travail, les faillites et l'endettement de consommateurs, le droit de la famille.

Le cadre et les principes de ce qu'on appelle « autres modes de règlement des différends » semblent indiquer que plusieurs des critiques formulées par les victimes et les délinquants à l'égard du système de justice pénale ont leur pendant dans le système de justice civile. La résolution judiciaire des différends de nature non criminelle est coûteuse et prend du temps. Les personnes lésées exercent bien peu de contrôle sur la procédure, qui souvent leur paraît incompréhensible. Les enjeux sont formulés dans le langage juridique, plutôt que selon la façon dont ils sont vécus par les intéressés. Les mesures de réparation judiciaires ne coïncident pas toujours avec la manière dont les parties auraient résolu le conflit si on leur en avait donné la possibilité.

Il serait cependant faux de mettre sur le même pied, d'une part les autres modes de résolution des différends comme façon de résoudre les conflits relevant du droit pénal, et d'autre part la justice réparatrice appliquée dans le contexte du droit pénal. Il existe toute une gamme d'autres mécanismes de résolution des différends, de la négociation informelle à la décision rendue d'une manière traditionnelle par des tribunaux privés. Les autres processus de résolution des différends peuvent être empreints de solennité, ou sans formalité aucune. Ils peuvent être volontaires ou obligatoires. Les ententes peuvent être négociées, elles peuvent aussi être imposées. Pour bien des partisans des autres modes de résolution des différends, les solutions de rechange aux procédures judiciaires doivent respecter des principes analogues à ceux de la justice réparatrice. Mais tous ne sont pas de cet avis. Jusqu'ici, la notion d'autres modes de résolution des différends n'a pas été axée sur les moyens par lesquels il serait possible de faire en sorte que les préoccupations et les intérêts des parties à un conflit soient plus adéquatement pris en compte que lorsque les procédures habituelles du droit civil sont déployées.

La portée de la justice transformatrice dans les domaines du droit autres que le droit pénal dépendra de la mesure dans laquelle elle est susceptible d'enrichir notre compréhension des autres modes de règlement des différends élaborés au cours des deux dernières décennies. Il serait possible d'examiner et d'évaluer différents autres modes à l'aune des trois principes de la justice réparatrice formulés dans la troisième section. Est-ce que les programmes d'autres modes de règlement envisagent les différends sous l'angle d'atteintes à des relations, plutôt que sous l'angle de l'objet du conflit en question? Est-ce que les autres modes les plus courants -- négociation, médiation, arbitrage -- confèrent aux parties un pouvoir suffisant pour définir les enjeux et déterminer les résultats en fonction de leurs intérêts propres? La collectivité a-t-elle un rôle à jouer dans la résolution de différends civils? Si les différends portant sur l'environnement concernent de toute évidence la collectivité, c'est moins clair dans le cas des faillites, et l'intérêt de la collectivité est sans doute très limité dans les différends surgissant dans un contexte familial.

Les méthodes de la justice réparatrice sont axées sur l'existence d'un tort, d'un préjudice. La justice réparatrice entre en scène sur la prémisse qu'un tort a été causé. Elle fonctionne bien dans le système de justice pénale, parce que le droit pénal propose une liste toute faite de délits, et parce que l'auteur du délit est facilement identifiable. Dans la très grande majorité des cas, il n'existe aucune ambiguïté sur la nature du tort ainsi que sur l'identité du responsable et de la victime. Comme, du point de vue de la justice réparatrice, la culpabilité du délinquant est tenue pour acquise, il est important de déterminer ce qui s'est passé seulement en vue de la réparation du préjudice.

Quand on sort du cadre du droit pénal, toute une gamme de nouvelles questions surgissent, qui ont trait à la relation entre l'acte fautif et l'application de la justice réparatrice. Dans bon nombre de litiges civils, certes, il existe une faute évidente: une personne a intentionnellement ou par inadvertance endommagé un bien; une personne, intentionnellement ou par inadvertance, manque à une obligation contractuelle; une personne, intentionnellement ou par inadvertance, profite du travail ou des idées d'une autre personne. Mais dans d'autres cas, il est impossible de présumer le caractère fautif des actes d'une personne: lorsque des enfants diffèrent sur ce qui leur revient en vertu du testament de leur père, le différend ne repose généralement pas sur une faute; lorsque des parents ne s'entendent pas sur la garde des enfants et les droits de visite dans le cadre d'un divorce, le différend ne porte généralement pas sur une faute; lorsque des créanciers présentent des revendications contradictoires quant aux biens d'une société en faillite, ils ne s'accusent habituellement pas l'un l'autre d'avoir commis des actes fautifs. Les principes de la justice réparatrice sont-ils applicables à de telles situations, dans lesquelles il n'y a aucun délit?

Par ailleurs, l'application de ces principes peut-elle être étendue aux cas où une personne souhaite recourir au droit pour prévenir un préjudice éventuel plutôt que pour obtenir réparation d'un préjudice déjà causé? Par exemple, une association de défense de l'environnement peut demander une injonction pour faire interdire la construction d'un entrepôt de produits chimiques dans le voisinage d'un quartier résidentiel. On peut également se demander si les principes de la justice réparatrice sont applicables dans les cas où il faut faire un choix entre deux préjudices opposés: mettre fin à une action et causer ainsi un préjudice d'un certain type, ou continuer à faire quelque chose et causer ainsi un autre type de préjudice? Prenons l'exemple d'un fabricant, établi dans une petite ville, qui est incapable de se conformer aux normes environnementales. L'alternative est la suivante: laisser l'entreprise continuer à contrevenir aux normes et à polluer l'environnement local, ou bien la forcer à cesser ses activités et provoquer un ralentissement économique dans la localité.

Il y a aussi des différends civils qui ne portent pas sur une faute unique; en effet, les différends relevant du droit familial, des relations de travail et des relations entre propriétaire et locataire sont souvent constitués de fautes cumulatives commises par toutes les parties au conflit. Voici un exemple: un propriétaire ne prend pas les mesures nécessaires pour éliminer la vermine dans un appartement; le locataire refuse pour cette raison de mettre les ordures à l'endroit prévu; pour se venger, le propriétaire néglige de réparer la plomberie défectueuse, puis transmet un avis d'éviction au locataire parce que ce dernier a cessé de payer le loyer. Quel rôle pourraient jouer les principes de la justice réparatrice dans des cas semblables?

Pour terminer, les principes de la justice réparatrice sont-ils applicables lorsque les parties s'entendent sur le préjudice causé, mais que le différend repose sur la détermination de qui en est responsable? Un exemple: le propriétaire d'une maison a intenté une action contre l'entrepreneur général, à qui il reproche d'avoir construit des fondations d'une façon non conforme aux règles de l'art. L'entrepreneur reconnaît le dommage (infiltrations d'eau) mais soutient qu'il est attribuable à la mauvaise qualité du béton qu'on lui a fourni et que, pour cette raison, la responsabilité du préjudice incombe à l'entreprise qui l'a livré.

Les exemples que nous venons de donner soulèvent un certain nombre de questions relativement à la possibilité (et à l'opportunité) de transposer les principes de la justice réparatrice dans des domaines autres que le droit pénal. D'autre part, ce sont tous des cas dans lesquels les mécanismes traditionnels du droit civil suscitent des difficultés. Si les principes et les pratiques de la justice réparatrice ne sont pas applicables dans leur totalité, ne serait-il pas possible de les modifier pour qu'ils répondent aux caractéristiques des litiges civils sans compromettre pour autant le cadre général de la justice réparatrice comme réponse aux conflits dans le domaine du droit pénal? C'est peut-être sur ce plan qu'il serait possible d'utiliser le potentiel transformateur de la justice réparatrice pour élaborer une conception élargie de la justice transformatrice, susceptible de s'appliquer tant aux litiges civils qu'aux différends relevant du droit pénal.

Même lorsqu'il n'entraîne pas un préjudice précis, le conflit demeure un concept relationnel. Ainsi, un conflit ayant trait à l'emplacement souhaitable d'une décharge publique peut faire intervenir des relations entre les membres de différentes industries, des syndicats, des associations de défense de l'environnement, des Autochtones, différents paliers de gouvernement, des associations de citoyens et d'autres groupes de personnes. La faillite implique des relations entre un débiteur et un ou plusieurs créanciers, et entre divers types de créanciers -- dont chacun peut avoir une relation d'une nature tout à fait différente avec le débiteur: une banque, un concessionnaire d'automobiles, un employé, un conjoint, le gouvernement, une personne qui a été lésée par le débiteur, etc. Les conflits de relations de travail se caractérisent toujours par des relations complexes entre les travailleurs et la direction, entre les actionnaires d'une société et ses dirigeants, entre les salariés et leur syndicat, entre le gouvernement et la société concernée, entre une collectivité et les usines qui y sont installées, etc. Dans chaque situation, des intérêts s'affrontent et des valeurs peuvent se heurter quand les parties essaient d'orienter la définition du conflit et la réponse qui doit y être apportée.

S'inspirant de la justice réparatrice, une approche transformatrice à l'égard du règlement de différends se donnerait comme premier objectif de transformer les relations entre les parties au conflit. La force de la justice réparatrice réside dans la capacité d'utiliser le conflit pour favoriser le développement personnel. Les conflits qui ont lieu dans d'autres domaines présentent le même potentiel. Une approche transformatrice à l'égard de la résolution des conflits consisterait à encourager l'établissement de relations fondées sur l'accommodation entre des groupes aux intérêts opposés. Une situation d'affrontement entre des groupes sera ainsi transformée en une situation dans laquelle ces groupes reconnaissent qu'ils ont mutuellement intérêt à parvenir à des solutions applicables.

Que nous enseigne la justice réparatrice à propos des approches sous-jacentes qui devraient être utilisées en vue du règlement de différends de nature non pénale?

Tout d'abord, elle constitue une pierre de touche au regard de laquelle peuvent être évalués divers autres modes de règlement des différends. Une approche fondée sur la justice transformatrice consisterait à réunir toutes les personnes et tous les groupes concernés par un conflit, y compris ceux qui sont investis du pouvoir de rendre la décision. Dans la mesure du possible, il faut accorder aux participants la liberté de maîtriser le processus, d'établir les limites du conflit, d'établir des règles au sujet de la manière dont le processus devrait se dérouler et du rôle que jouera, le cas échéant, le médiateur. Les intérêts devront faire l'objet de discussions et de négociations, les positions devront être précisées. Tout comme une rencontre entre un délinquant et sa victime dans le contexte pénal, les rencontres entre les parties à un conflit de nature civile les aideront à comprendre leur propre position et celle des autres, en s'efforçant d'y trouver une solution.

Contrairement à ce qui se passe au cours d'une rencontre de justice réparatrice en matière pénale, il ne sera pas toujours nécessaire de rétablir les relations entre les parties en réparant le préjudice causé par l'acte fautif. Par exemple, un conflit relatif aux normes de santé et de sécurité dans un lieu de travail peut viser à amener une société à se conformer aux normes relatives à la qualité de l'air plutôt qu'à celle d'obtenir réparation pour d'éventuels préjudices causés par une mauvaise circulation d'air. Dans de tels cas, les excuses et les mesures de réparation ou d'indemnisation ne constitueront pas toujours la solution la plus appropriée. Le but consistera plutôt à parvenir à une entente acceptable pour toutes les parties.

Dans d'autres situations, en revanche, il arrive que le conflit semble à première vue porter sur une question technique alors qu'il existe en fait une faute sous-jacente qui n'a pas été réparée. Par exemple, un appel interjeté auprès d'une commission des accidents du travail peut viser en apparence à établir le droit du demandeur à toucher des prestations, alors qu'en réalité le travailleur estime que la société refuse de reconnaître que les mauvaises conditions de travail ont causé ses blessures. Dans un tel cas, des excuses et des mesures de réparation et d'indemnisation pourront constituer la solution la plus indiquée.

La justice transformatrice doit être axée sur les besoins des participants. Les décisions relatives au règlement du conflit doivent reposer sur un consensus. Par consensus, nous entendons une entente sur des mesures acceptables pour tous. Un consensus ne peut pas être imposé. Il ne constitue pas non plus une simple solution intermédiaire. L'objectif consistera à trouver un terrain d'entente à partir duquel on en arrivera à un règlement mutuellement acceptable. Voilà où réside la force de la justice transformatrice: la possibilité de se servir de la substance d'un conflit pour examiner des options et mettre au point des réponses qui non seulement sont acceptables pour toutes les parties, mais favorisent le développement et le renforcement des relations entre tous les intéressés.


LES PARTICIPANTS aux processus consensuels élaborent ensemble une démarche maximisant leur capacité de résoudre les différends. Même s'ils ne sont pas d'accord avec tous les aspects de l'entente, le consensus survient quand ils sont prêts à accepter « l'ensemble » de ce qui est proposé. Gerald Cormick, Norman Dale, Paul Emond,

S. Glen Sigurdson et Barry D. Stewart, Forger un consensus pour un avenir viable : Des principes à la pratique, Ottawa, Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie, 1996, p. 5.


Les conflits -- de nature pénale ou non -- tiennent aux relations qui existent entre les gens. En un certain sens, donc, ils sont inévitables. La manière dont nous réagissons aux conflits est un choix que nous effectuons. La Commission du droit du Canada croit que la justice réparatrice et la justice transformatrice offrent de nouvelles possibilités en cette matière. Elles permettent de répondre aux conflits d'une manière positive et constructive, en se servant d'eux pour favoriser l'établissement de relations solides, fondées sur le respect.


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