Halina Janaszek-Ivanicková et Douwe Fokkema, éds.. Postmodernism in the Literature and Culture of Central and Eastern Europe. Papers Presented at the international conference organised by the University of Silesia, Ustron, November 15-19, 1993. Katowice: Korfantengo, 1996; 339 pp.; ISBN: 8385831487; LC Call No.: PG569.P67 P67 1995 

Il est toujours difficile de résumer en quelque lignes un volume collectif où plusieurs s'attaquent à un sujet aussi vaste et polisémique, voire problématique, qu'est le postmoderne dans le non moins immense environnement socio-culturel de l'Europe de l'Est. En en ce cas, il s'agit de vingt-neuf spécialistes provenant de douze pays: l'Albanie, l'Allemagne, la Bulgarie, le Canada, l'Hollande, l'Inde, la Macédoine, la Pologne, la Russie, la Slovaquie, la Slovénie et la République Tchèque.

A part l'introduction, l'puvrage est divisé en quatre parties: "General Discussion." "Regional and National Representation," "Specific Aspects and Individual Cases of Postmodernism" et "The Context of Postmodernism." Tandis que la plupart des deux dernières sections présentent des analyses textuelle concrètes, l'introduction et les premières deux sections, ainsi que le dernier article du volume, établissent le cadre théorique et épistémologique du phénomène.

La première question qu'il faut se poser est la pertinence même de la "European reception of a [North] American concept." C'est ce que fait Douwe Fokkema dans son article de la première section où, tout en passant en revue la genèse (incertaine) et le developpement (éclaté) du postmoderne, il conclut que le postmodernisme confirme l'existence actuelle d'un forum littéraire international qui partage un code commun d'écriture et de comprehension (code que Halina Janaszek-Ivanicková a résumé dans l'introduction qui sera successivement abordé à partir de perspectives diverses par la plupart des collaborateurs des deux premières sections). Mais attention: d'après Fokkema, cette sorte de "langage commun" n'annule point les conditions locales spécifiques qui déterminent toujours partiellement les occurences et interpréatations fort différentes que l'on en fera. Ainsi, selon Fokkema, le postmoderne, tel que l'entendent les critiques et les écrivains nord-américains, n'est pas imprégné de la mémoire collective européenne de la guerre, ni du fascisme et des traditions marxistes et néo-marxistes. C'est pourquoi l'Europe centrale et de l'Est, qui ont une expérience de leurs histoires locales beaucoup plus dramatique et complexe que celle de l'Europe occidentale, ne peuvent adhérer au paradigme postmoderne de la même façon que les Nord-américains. Plusieurs positions peuvent être prises à l'égard du concept postmoderne dont l'appropriation critique par recontextualisation, voire par sa constante problématisation, ainsi que son opposé, c'est-à-dire le refus pur et simple du concept; Krzysztof Unilowski fournit plusieurs exemples de cette deuxième voie dans son bref article "Why Are Polish Critics Not Fond of the Term Postmodernism" dans la deuxième section pour sa part, rappelons que le grand écrivain polonais Czeslaw Milosz a dû attendre la publication du roman de Tomek Tryzna Madamoiselle Personne, paru { peu près à la même époque que le Congrès, pour annoncer l'arrivée du "premier véritable roman polonais postmoderne" (compte-rendu d'Elisabeth Kulakowska dans Le Monde Diplomatique, février 1997).

Postmodernisme, rimerait-il avec postcommunisme? Janaszek-Ivanicková se réfère, dans son article "The Paradoxical Existence of Postmodernisme in the Slav Countries of Eastern and Central Europe" (dans la deuxième section), à la différence fondamentale entre le postmodernisme que j'appellerai "capitaliste" et celui de l'Europe centrale et de l'Est. Dans les pays postcommunistes, affirme-t-elle, l'attitude postmoderne consiste paradoxalement en un "antifondamentalisme fondamental" de nature anticommuniste, tandis que, d'après moi, le postmodernisme "occidental" se borne à mettre en scène la vacuité des grands récits de la modernisation capitaliste, sans pour autant arriver à remettre sérieusement en question le capitalisme lui-même. Au contraire, tel que signalé par Fokkema dans son ouvrage de 1984 cité par Janaszek-Ivanicková (Literary History. Modernism and Postmodernism), le "code postmoderniste" serait intimement lié au style de vie des sociétés prospères du monde dit occidental en cette fin de siècle. C'est peut-être pourquoi ce qu'on pourrait appeler le postmodernisme ou, si l'on préfère éviter les catégorisations, toujours simplistes ? le mécannisme deconstructeur, ironisateur, métafictionnel, etc. propre à la pratique littéraire de l'Europe postcommuniste, à la différence de celui qui semble de rigueur dans les pays occidentaux, n'est pas là "for its own sake." Il est plutôt "blended with additions of social, ethical, or political satire and of existential themes" (Marko Juvan, "Transgressing the Romantic Legacy? Krst pri Savici as a Key-text of Slovene Literature in Modernism and Postmodernism," dans la troisième section). On est loin de l'"enfermement dans des mécanismes déconstructeurs et ironisateurs qui baignent d'autant mieux dans l'huile qu'ils tournent à vide," ce qui, d'après Marc Angenot, carantériserait l'état du discours social contemporain dans les pays occidentaux ("Les Idéologies du ressentiment," Discours social / Social Discourse 3-4 (4), 1993).

Pour (en) conclure, et la réflexion suivante de Douwe Fokkema ne vaut pas certes uniquement pour l'Europe centrale et de l'Est, if faudrait prendre conscience du fait que le postmodernisme est peut-être "the latest cry, but will not be the last one. As critics of culture, we may want to know what we are heading for." C'est exactement ce qu'essaie de faire Anna Grzegorczyk dans le deriner article du volume intitulé "Overcoming Postmodernism?" tout en reconnaissant que, dans cetee "period of decline, transition, crisis, disintegration of the postmodern condition," nous ne povons plus endosser les solutions axiologiques univoques et les grands récits téléologiques propres à la modernité, Grzegorczyk affirme sagement que nous ne devons toutefois plus en rester là. Après la déconstruction, il faudrait chercher à construire une philosophie imparfaite de l'inespéré (a philosophy of the unexpected) qui soit consciente en même temps de la nécessité d'assumer une position ainsi que du caractère périssable de celle-ci, philosophie qui n'est pas sans rapport, à mon avis, avec la notion de l'incertitude de l'analyse telle que proposée par Timothy Reiss (The Uncertainty of Analysis, Cornell U.P., 1988). Il s'agirait d'une "incertitude," d'une "imperfection" qui atteste l'impossibilité de "boucler" une fois pour toutes un sens qui a cessé d'être considéré unique et immuable, sans renoncer pour autant à le "régler" à chaque conjoncture interprétative. Il s'agit, tous comptes faits ? et c'est la conclusion du livre ? de mettre sur pied "another utopia needed for living: the utopia recovering, for a moment at least, the lost reality" ...

 

J.A. Giménez-Micó

The Northrop Frye Centre, Victoria University


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