Nouvelles de la Bibliothèque nationale
Juin 1999
Vol. 31, no 6



De la salle d'exposition...
Le long parcours vers l'édition

par Michel Brisebois,
conservateur des livres rares,
Services de recherche et d'information

Pendant au moins les premiers cent ans d'imprimerie au Canada, le concept d'éditeur, comme on le conçoit aujourd'hui, incluant les auteurs rémunérés, les points de vente et les risques financiers, n'existait pas. Les premiers imprimeurs exécutaient surtout des travaux de ville, souvent pour le compte du gouvernement. Ils pratiquaient l'importation et exerçaient le métier de libraires-importateurs.

Même si elle porte surtout sur les utilisateurs de l'imprimerie durant les 250 ans de l'imprimerie au Canada, « Impressions », l'exposition principale de la Bibliothèque nationale du Canada en 1999, présente au public plusieurs exemples du long parcours de l'imprimerie vers l'édition.

Les imprimeurs du dix-huitième siècle travaillaient d'une certaine façon comme les ateliers d'imprimerie d'aujourd'hui, mais certainement plus lentement. On donnait le texte et le nombre d'exemplaires requis et on recevait le produit fini ainsi qu'une facture. Le document des Douanes d'Halifax, fort probablement imprimé par John Bushell au milieu des années 1750, et le reçu imprimé par William Brown et Thomas Gilmore à Québec en 1765, constituent deux des plus anciens exemples de travaux de ville connus au Canada.

On dit souvent que la survie des premiers ateliers dépendait d'abord des contrats du gouvernement pour l'impression des proclamations, des lois et des nombreux formulaires associés à l'administration gouvernementale. On en retrouve des exemples dans l'exposition, notamment la proclamation de Peter Russell, imprimée à York [Toronto] par Watters et Simons en 1798, les Règlements de la première Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, imprimés à Québec par John Neilson en 1793, et les Statuts de la Colonie de l'île de Vancouver, imprimés par le British Colonist Office en 1866. Il ne faut pas oublier que, très tôt, les marchands utilisèrent les imprimeurs locaux pour produire des annonces et formulaires commerciaux de toutes sortes, tels les Prix courants imprimés à Halifax en 1829, et que l'impression de la plupart des affiches de cette exposition proviennent des imprimeurs de travaux de ville. On imprimait aussi des livres et des brochures ainsi que des discours politiques et même des lettres funéraires, à la condition de payer.

Avec une faible population, il n'était pas avantageux financièrement de publier des ouvrages comme les bibles et les dictionnaires qui, à cause de leur ampleur, exigeaient une mise de fonds importante en papier et en main d'oeuvre. Les imprimeurs devenus libraires préféraient les importer plutôt que de les imprimer et les journaux sont remplis de réclames pour des livres reçus d'Angleterre et de France. Certains imprimeurs ajoutaient leur propre page de titre à un ouvrage imprimé à l'étranger, donnant ainsi l'impression d'une production locale. Bien qu'imprimé à Cincinnati, le Book of Martyrs, d'Amos Blanchard, a reçu une page de titre portant la rubrique « Kingston, U.C.: published by Blackstone, Ellis and Graves, 1835 ». L'apparition de la stéréotypie -- la fabrication d'un moule du devant d'une forme de caractères remplie par la suite d'un métal en fusion -- réduisit le coût d'impression des ouvrages populaires. Les plaques qui en résultaient, et dont on pouvait multiplier les copies, étaient distribuées à de petits imprimeurs à travers les États-Unis et le Canada, qui épargnaient ainsi la composition et libéraient leurs caractères pour d'autres ouvrages. Le English Reader de Murray, stéréotypé à New York mais imprimé à Toronto, est un bon exemple de cette pratique.

Les imprimeurs assumaient les coûts complets d'impression seulement s'ils étaient assurés d'un marché important et stable. C'était le cas des almanachs. Même avec une très faible population, et dont une partie seulement savait lire, l'imprimeur pouvait compter sur la vente fructueuse d'almanachs, souvent par l'entremise de libraires, puisqu'ils étaient indispensables à la plupart des foyers. Un grand nombre d'almanachs sont inclus dans l'exposition.

Les imprimeurs devenus éditeurs s'attaquèrent aussi à d'autres types de livres, en particulier les romans étrangers et les livres religieux. L'Histoire de Jean de Calais, imprimé à bon marché par un imprimeur anonyme à Québec en 1810, et les ouvrages religieux imprimés à Saint-Philippe (Québec) par le curé Pigeon, en constituent de bons exemples. Les guides, dont celui pour les Chutes du Niagara et les annuaires, comme le Winnipeg Directory de 1876, contenant des réclames pour les commerces locaux, permettaient aux imprimeurs de financer leur production sans compter entièrement sur les ventes.

Pendant la première moitié du 19e siècle, la pratique de l'édition par souscription permettait aux auteurs de voir leur livre publié sans avoir à dépenser des sommes considérables. Mais il y avait un hic. L'imprimeur exigeait un nombre minimum de clients ayant payé à l'avance avant que l'ouvrage ne soit imprimé. Adam Kidd soutenait avoir amassé 1 500 souscripteurs pour son Huron Chief publié en 1830. Les premiers journaux et périodiques dépendaient des abonnements pour survivre mais peu réussissaient à le faire pour plus de quelques années. Dès 1860, la plupart des journaux, utilisant des moyens de distribution nouveaux et efficaces tels que le chemin de fer, et prenant avantage du regain de l'activité commerciale, réalisaient leur profit à l'aide des annonces plutôt que des abonnements.

Avec une augmentation de la population, un système de transport plus étendu et efficace, des secteurs commerciaux et industriels en pleine expansion et une classe moyenne grandissante, il devenait plus avantageux pour les imprimeurs, particulièrement ceux qui avaient le capital pour se procurer des presses à haute-vitesse, d'accepter des contrats d'édition. « Impressions », l'exposition principale de la Bibliothèque nationale du Canada en 1999, est certainement un hommage aux premiers imprimeurs, libraires et éditeurs au Canada.


Droit d'auteur. La Bibliothèque nationale du Canada. (Révisé : 1999-6-1).