Université de Montréal

 

La Division Internationale du Travail et les Nouvelles Formes

d'Organisation du Travail: une nouvelle perspective

 

par

Michel Handfield

Département de Sociologie

Faculté des Arts et des Sciences

 

 

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures

en vue de l'obtention du grade de

Maître es sciences (M. Sc.)

en Sociologie

 

(Mai, 1988)

 

(c) Michel Handfield, 1988.

 

 

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AVIS

 

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Sommaire             

Table des matières                        

Table des tableaux

Liste des abréviations                     

Remerciements

 

Introduction                                             

Chapitre premier: La Division Internationale du Travail                    

1.1. Histoire des firmes multinationales et origine de la Division Internationale du Travail

1.2. La différence entre les pays développés et en voie de développement

1.3. Le rôle économique de la Division Internationale du Travail          

1.4. La Division Internationale du Travail: stratégie de pouvoir?           

 

Chapitre II: L’utilisation des Nouvelles Formes d'Organisation du Travail: apparences et réalité 

2.1. De la définition des Nouvelles Formes d'Organisation du travail       

2.2. Historique des Nouvelles Formes d'Organisation du Travail             

2.3. Des conditions nécessaires à la réussite des Nouvelles Formes d'Organisation du Travail: les apparences

2.4. L'utilisation des Nouvelles Formes d'Organisation du Travail:la réalité

2.5. Des avantages stratégiques des Nouvelles Formes d'Organisation du Travail

2.6. Tenir dans l'ignorance: la non utilisation des Nouvelles Formes d'Organisation du Travail à la Périphérie                                  

 

Chapitre III: L’utilisation des outils programmables et automatiques  et leurs effets sur l'organisation du travail au Centre

3.1. De la définition des outils automatiques et programmables et de leurs limites

3.2. Les conditions nécessaires à l'utilisation des outils programmables et automatiques: quelques remarques préliminaires   

3.2.1. L'utilisation des automatismes industriels et la taille des entreprises

3.2.2. L'utilisation des automatismes industriels et le secteur industriel 

3.3. Equipements automatiques et organisation du travail

3.4. L'impact des outils automatiques et programmables sur l'emploi

 

Conclusion: L'évolution de l'économie mondiale et du travail

 

Annexes: Les cas d'I.B.M. et de Renault

 

 

Notes

 

Bibliographie

            

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TABLE DES TABLEAUX

 

 

Tableau I: Ecarts salariaux (en pourcentage) des femmes par rapport aux hommes selon le groupe d'âge  au Canada  

 

Tableau II: Indice des coûts horaires de l'ouvrier pour le groupe multinational Philips en 1979   

 

 

Tableau III: Salaires annuels pour différentes fonctions dans l'industrie automobile en 1980 (en monnaie nationale et en dollars américains)     

 

 

Tableau IV: Revenu national moyen par habitant pour différents pays. En dollars U.S. (1986 sauf exception)          

           

Tableau V: Durée de la semaine de travail dans les industries manufacturières    

 

Tableau VI: Les modèles d'outils automatiques et¸programmables

 

Tableau VII: Pénétration de la robotique en France suivant le secteur en 1980 

 

Tableau VIII: Le marché des robots au niveau mondial  (1985‑1991) en millions de dollars (américains)

 

Tableau IX: Part du marché de la robotique que représentent différents secteurs industriels (1985‑1991)

 

Tableau X: Part estimée du marché de la robotique que représentent différents secteurs industriels entre 1992 et 1995 

 

Tableau XI: Technique de fabrication pour certains produits aux Etats‑Unis

 

Tableau XII: Estimation de la population mondiale de robot: 1970‑1980 

 

Tableau XIII: Estimation de la population mondiale de robot: 1981‑1982

 

Tableau XIV: Changement de la productivité et de l'emploi dans différents pays: 1977‑1984

 

Tableau XV: Production de tous véhicules confondus pour différents pays et le monde entre 1950 et 1982 (en milliers de véhicules)

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Sommaire

 

     Cette étude porte sur les stratégies d'organisation du travail au sein des firmes multinationales manufacturières. Nous voulons savoir ici si la Division Internationale du Travail et les nouvelles formes d'organisation du travail constituent des aspects communs d'une même stratégie de pouvoir et de plus‑value au sein des firmes multinationales. Nous tenterons ensuite de voir en quoi l'utilisation des outils automatiques (dont les robots) peut modifier le recours aux nouvelles formes d'organisation du travail au sein de ces firmes.

 

     Pour atteindre ce but, nous nous demanderons d'abord si la Division Internationale du Travail et les nouvelles formes d'organisation du travail forment une seule stratégie servant à diviser les ouvriers d'une même entreprise multinationale au plan mondial de manière à accroître son pouvoir et sa plus‑value. Cependant, comme cette question ne peut tout couvrir, nous avons cru bon en formuler d'autres pour la compléter.  Premièrement, la

Division Internationale du Travail a‑t‑elle pour but de limiter l'application des nouvelles formes d'organisation du travail au Centre?  Deuxièmement, les nouvelles formes d'organisation du travail, en complémentarité avec la Division Internationale du Travail, accroissent‑elles le pouvoir des firmes multinationales en introduisant une concurrence et un conflit (encore non résolu) entre les ouvriers du Centre qui en bénéficient et ceux de la Périphérie qui n'en bénéficient pas? Enfin, les outils programmables tracent‑ils les limites d'application et de revendication concernant les nouvelles formes d'organisation du travail dans les filiales des firmes multinationales au Centre?

 

     A cause de l'étendue du problème posé ici et de l'impossibilité d'en faire une étude sur le terrain, nous avons procédé par l'étude d'ouvrages théoriques et empiriques à quoi se sont ajoutés  d'autres documents (rapports de conférences, statistiques, etc.) obtenus de centres de recherche, d'associations professionnelles et de syndicats.  Nous avons aussi visité deux entreprises (Outils Coupants International Inc. et Recherche et Développement en Robotique Roy Inc.) pour compléter nos informations.

 

     Quant aux résultats de cette étude, ils dépassent les idées que nous défendions au départ. Plusieurs points doivent en être retenues. D'abord, la Division Internationale du Travail et les nouvelles formes d'organisation du travail ne  sont pas partie intégrante d'une même stratégie, mais distinctes. Si tel est le cas c'est que ce n'est pas la Division Internationale du Travail qui limite l'usage des nouvelles formes d'organisation du travail, mais le secteur d'activité de l'entreprise.  Les nouvelles formes d'organisation du travail concernent principalement les secteurs industriels modernes et de pointe. Par contre, il est possible que la Division Internationale du Travail et les nouvelles formes d'organisation du travail soient des stratégies économiques, car elles permettent d'accroître le profit des entreprises dans certaines conditions. Cela se fait notamment en profitant des écarts économiques qui existent entre différents pays d'une part et en augmentant la productivité des ouvriers du Centre d'autre part.  Au niveau du pouvoir leurs effets sont cependant mitigés, leur but premier étant la plus‑value.  Ensuite, au sujet de nos questions complémentaires, nous devons retenir que la Division Internationale du Travail ne sert pas à limiter l'usage des nouvelles formes d'organisation du travail au Centre, mais à les utiliser là où elles sont le plus rentables, soit au Centre dans le contexte actuel;  que la Division Internationale du Travail ne peut servir à introduire un conflit entre les ouvriers du Centre et de la Périphérie, ces derniers étant peu au fait de la situation du Centre;  et que les outils automatiques peuvent favoriser l'utilisation des nouvelles formes d'organisation du travail contrairement à nos attentes, car celles‑ci contribuent à élever la productivité et la qualité du travail humain en rapport à celle des machines.

 

     Enfin, nous conclurons sur l'idée que l'organisation du travail suit toujours l'évolution sociale, qu'il y concordance entre les deux. C'est probablement là la conclusion la plus importante de cette étude, celle qui sera encore vraie quand l'organisation du travail du XXe siècle ne sera plus que de l'histoire ancienne.

 

 

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LISTE DES ABREVIATIONS

 

A. Abréviations propres à cette étude

 

D.E.P.:  Dearborn engine plant (Ford)

D.I.T.:  Division Internationale du Travail

d.i.t.:  division internationale du travail

F.M.N.:  firme(s) multinationale(s)

M.O.C.N.:  machine outil à contrôle numérique

n.d.i.t.:  nouvelle division internationale du travail

N.F.O.T.:  nouvelles formes d'organisation du travail    

O.S.:  ouvrier(s) spécialisé(s)

O.S.T.:  organisation scientifique du travail

P.M.E.:  petite(s) et moyenne(s) entreprise(s)

P.V.D.:  pays en voie de développement

Q.V.T.:  qualité de vie au travail

R. et D. ou R. & D.:  recherche et développement

S.E.M.:  système économique mondial

 

 

B. Sigles courants

 

A.M.C.:  American Motors Corporation

B.A.S.F.:  Badische Anilin et Soda Fabrik

B.P.:  British Petroleum

B.S.N.:  Boussois‑Souchon‑Neuvesel

C.E.E.:  Communauté Economique Européenne

C.F.D.T.:  Confédération Française Démocratique du Travail

C.I.S.L.:  Confédération Internationale des Syndicats Libres

C.S.N.:  Confédération des Syndicats Nationaux (Québec)

E.U.:  Etats‑Unis

F.I.O.M.:  Fédération Internationale des Ouvriers de la Métallurgie (ou Fédération Internationale des Organisations de

Travailleurs de la Métallurgie)

F.T.Q.:  Fédération des Travailleurs du Québec

G.M.:  General Motors

H.E.C.:  (Ecole des) Hautes Etudes Commerciales (Montréal)

I.B.M.:  International Business Machines

I.M.F.:  International Metalworkers'Fédération (nom anglais de    la F.I.O.M.)

I.N.P.:  Institut National de la Productivité

I.R.A.T.:  Institut de Recherche Appliquée sur le Travail

I.T.T.:  International Telephone & Telegraph

J.I.R.A.:  Japan Industrial Robotics Association

O.C.D.E.:  Organisation de Coopération et de Développement Economique

P.U.F.:  Presses Universitaires de France

P.U.L.:  Presses de l'Université Laval

P.U.M.:  Presses de l'Université de Montréal

R.C.A.:  Radio Corporation of America

R.D.R.R.:  Recherche et Développement en Robotique Roy

R.F.A.:  République Fédérale d'Allemagne

R.I.A.:  Robotic Industrial Association

T.U.A.:  Travailleurs Unis de l'Automobile

U.A.W.:  United Automobile Workers (synonyme de T.U.A.)

U.S. ou U.S.A.:  United States ou United States of America

(nom anglais pour E.U.)

 

 

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Remerciements

 

Nous tenons à remercier ici M. Camille Legendre, notre directeur de mémoire, pour ses judicieux conseils. Nous tenons  aussi à remercier Messieurs Kan Chen, directeur du "Ph. D. program in Urban Technological & Environmental Planning" de l'Université du Michigan; Colin Gonze, coordonnateur de la F.I.O.M. en Suisse; Owen Bieber, président de l'U.A.W. des Etats‑Unis; et Marcel Côté, professeur à l'Ecole des H.E.C., pour la documentation qu'ils nous ont fait parvenir. Nous remercions aussi M. Robert J. Thomas, du "Graduate School of Management" du Boston College qui nous a fourni certaines références pour cette étude.

 

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The myth of Sisyphus describes the punishment inflicted on Sisyphus by the gods, wherein he was eternally condemned to push a large rock to the top of a mountain, whence the rock would roll down again. The gods had determined there could be no more  dreadful punishment than futile and hopeless work.                                      

                                      (Pines, 1984, p. 196)

 

 

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Introduction

 

 

     Si l'on regarde l'évolution des économies nationales et de l'économie mondiale depuis la deuxième grande guerre l'on constate une mondialisation des échanges. De plus en plus de pays de la Périphérie deviennent exportateurs et pénètrent des marchés du Centre. Par exemple entre 1945 et 1950 le Japon a pénétré les marchés américains et européens du textile et du vêtement, ce qui porta un dur  coup aux entreprises de ces secteurs. (D'Hérouville, 1969; Destler, Fukui, et Sato, 1979; Schlossstein, 1984)  Depuis, ce mouvement s'est étendu à des produits avancés tels que téléviseurs, ordinateurs, et automobiles qui étaient jusque‑là la chasse gardée des pays du Centre.  Le Japon est ainsi devenu l'un des principaux pays industriels.(1)  Il est d'ailleurs en liste avec les Etats‑Unis pour le premier rang des pays industrialisés. (Schlossstein, 1984) C'est là un revirement quand l'on sait que ce pays est demeuré "dans un isolement féodal

jusqu'en 1868" et qu'il fut fortement affecté par la seconde guerre mondiale. (F.I.O.M., 1982)

 

     Cependant, depuis la fin des années 70 cette lutte ne concerne plus que les seuls pays développés;  elle concerne aussi les pays en voie de développement (P.V.D.):  Brésil, Corée, Mexique, etc.  Ceux‑ci deviennent à leur tour, avec l'aide des entreprises du Centre qui y trouvent des avantages importants (absence de syndicat, faible coût de main d'oeuvre, absence de loi sur le travail, etc.), des pays producteurs de biens de

consommation avancé (caméras, système informatique, automobiles, etc.).  Les pays du Centre sont ainsi confrontés à une nouvelle concurrence venant de la Périphérie.

 

     Paradoxalement, ces pays sont aussi associés entre eux à travers les réseaux des entreprises multinationales (filiales et fournisseurs).  C'est là un fait que l'on voit sans en être conscient. Ainsi chaque jour il se côtoie sur nos routes des Chevrolet, Dodge, Fiat, Ford, et Pontiac, pour ne nommer que celles‑là, qui viennent en tout en partie de P.V.D. et de pays industriels concurrents. C'est la réalité dans laquelle s'inscrit cette étude.

 

     Ainsi, à la mondialisation des échanges correspond une mondialisation de la production. Certains produits ou certaines composantes deviennent le fait de certaines régions pour des raisons géographiques (proximité des ressources), économiques (avantages fiscaux, coûts plus faibles des salaires), et techniques (le produit est spécifique aux artisans, aux méthodes, ou à des équipements qui y sont exclusifs). Par exemple la production des tissus de coton se fait à la Périphérie, là où il se cultive, alors que celle des tissus synthétiques se concentre au Centre, là où ils furent développés. (Standing, 1984) La même chose est aussi vraie pour l'automobile. La production des modèles grands format se concentre en Amérique du Nord; celle des intermédiaires et des compactes fait l'objet

d'une vive concurrence entre l'Amérique, l'Europe, et le Japon ‑‑  le principal concurrent des autres pays du Centre  dans ce secteur; et celle des sous‑compactes, qui se concentraient jusqu'alors au Japon, se déplace maintenant vers les P.V.D. asiatiques, notamment la Corée où est Hyundai. Les firmes américaines de l'auto font d'ailleurs appel à cette spécialisation. Ainsi, les Pontiac Firefly et Chevrolet Sprint de G.M. sont faites au Japon par Suzuki.(2) C'est la spécialisation de l'économie mondiale, la trame de fond de cette étude.    

 

     A cette spécialisation de l'économie correspond la mondialisation du travail. La production n'est plus enclavée dans un atelier géopolitiquement délimité mais s'étend à plusieurs pays. Les produits finis d'une entreprise ou les composantes dont elle a besoin pour fabriquer ses produits peuvent dorénavant venir de toutes les régions de la planète où elle a des

installations et des fournisseurs. Par exemple la nouvelle Mercury Tracer vendue par Ford fut conçue au Japon par Mazda et est assemblée dans les installations de Ford à Taiwan. (3) Cela est encore plus apparent si l'on regarde la production des pièces détachées d'automobiles: Fiat fait venir certains de ses moteurs de Pologne (Bénédict, 1983); le moteur turbo de la Pontiac Sunbird 1986 venait des installations brésiliennes de G.M.(4); et

Nissan prévoyait fabriquer des moteurs au Brésil à partir de 1983 (F.I.O.M., 1982). C'est la Division Internationale du Travail, le premier thème de ce mémoire. 

 

     Les entreprises se réorganisent aussi au niveau national.  L'organisation traditionnelle du travail ‑‑ le taylorisme et le fordisme ‑‑ fut remise en cause au cours des années 60. Dans les années 70 les tâches ont été élargies par les entreprises: on a donné plus de responsabilité à l'ouvrier, on a sollicité son avis, bref on l'a reconnu comme producteur. Il est devenu un maillon important de l'entreprise, ce qui n'était pas le cas auparavant ‑‑ le taylorisme et le fordisme l'assimilant à une machine faisant un geste prédéterminé en un temps délimité. Ce sont les nouvelles formes d'organisation du travail (N.F.O.T.), le second thème de cette étude, qui apparaissent.

 

     Plus récemment sont apparus les outils programmables, dont les robots, ce qui laisse présager de nouveaux changements dans les entreprises. Des emplois seront‑ils perdus?  Mais surtout ces nouveaux équipements  serviront‑ils à imposer une nouvelle réorganisation du travail? Ce sont là deux questions auxquelles nous devrons répondre lorsque nous regarderons les outils programmables et automatiques, notre dernier thème.

 

     En fait, notre objet d'étude se situe au point de rencontre de tous ces thèmes. C'est le changement de l'organisation du travail en rapport avec la D.I.T. et les outils programmables dans le cadre du Système Economique Mondial (S.E.M.). Nous voulons savoir comment sont liés et évoluent l'organisation du travail, tant humaine que mécanique et électronique, et la D.I.T. au niveau de l'économie mondiale, ce qui nous conduit à poser la question suivante:

 

La Division Internationale du Travail et les nouvelles formes d'organisation du travail forment‑elles une seule et unique stratégie servant à diviser les ouvriers d'une firme multinationale au plan mondial pour accroître le pouvoir et la plus‑value de cette firme?

 

 

Naturellement cette question est loin d'être la seule que nous pouvons poser. D'autres questions viennent la compléter, soit:

 

‑ Le but de la D.I.T. est‑il de limiter l'application des N.F.O.T. au Centre?

 

‑ Est‑ce que les N.F.O.T., en complémentarité avec la D.I.T., accroissent le pouvoir des F.M.N. en introduisant une concurrence et un conflit (encore non résolu) entre les ouvriers des pays développés qui en bénéficient et ceux des pays en voie de développement qui n'en bénéficient pas?

 

- Les outils programmables tracent‑ils les limites d'application et de revendication concernant les N.F.O.T. dans les filiales des F.M.N. au Centre?

 

 

 

     Pris individuellement chacune de ces questions semble avoir un aspect de déjà vu, plusieurs auteurs les ayant en partie regardés depuis leur apparition. Par exemple Barnet et Muller (1974) ont examiné l'organisation et le pouvoir des multinationales (principalement américaines) dans les années 70;

Hill (1982) a fait le tour des théories de l'organisation du travail et discuté du pouvoir au sein des entreprises; Vaillancourt et Vaillancourt (1981) et Burk (1984) ont présenté les N.F.O.T. et les ont respectivement illustré avec des exemples québécois et américains; Coriat (1983) a présenté la robotique et soulevé des questions concernant son impact sur le travail; et, enfin, Michalet (1976, 1979) a élaboré une théorie de l'économie mondiale, de l'investissement des F.M.N., et de son impact sur les Etats nations du Centre et de la Périphérie. Cependant aucun de ces auteurs n'a tenté d'intégrer en un même modèle tous ces aspects du développement des entreprises multinationales (D.I.T., N.F.O.T., et outils programmables). C'est là notre défi. Et si rien n'unit ces thèmes, contrairement à nos attentes, nous tenterons alors de voir ce qui sous‑tend ces stratégies au niveau mondial, c'est‑à‑dire ce qui en fait la popularité dans plus d'un pays.(5) Ainsi cette étude conservera un caractère original.

 

     Ceci soulève ensuite la question des entreprises étudiées. Notre intérêt porte sur les firmes multinationales (F.M.N.) du secteur manufacturier, que nous pouvons définir ainsi: d'une part en tant que F.M.N. ce sont des entreprises ayant des activités dans plus d'un pays (6) et d'autre part, en tant qu'entreprises manufacturières, ce sont des firmes qui fabriquent des produits en vue de les vendre, directement ou non, sur le marché: caméras, avions, ordinateurs, câbles, etc. Elles se distinguent ainsi des entreprises financières (les banques par exemple) et commerciale (magasins à rayons, lignes aériennes, restaurants, etc.).

 

     Cependant, même si ce sont les multinationales qui sont l'objet de cette étude, rien ne nous empêche de regarder des firmes locales et nationales, car pour répondre à nos  interrogations il nous sera utile d'opposer les F.M.N. à ces firmes. En fait, plusieurs fois au cours de cette étude nous ferons des oppositions/interrelations car nous ne croyons pas que

les choses du social soient totalement dépendantes ou indépendantes, du moins en ce qui concerne les organisation et l'organisation du travail.

 

     Pour atteindre ce but nous devrons trouver des exemples réels, qui montrent comment chacun de ces termes fonctionnent individuellement et comment ceux‑ci s'articulent ensemble s'il y a lieu. Trois possibilités s'offrent alors à nous. Il y a les visites d'entreprises; les interviews; et les recherches bibliographiques, c'est‑à‑dire trouver des éléments d'analyse dans des travaux et documents existants.

 

     Pour notre part nous privilégions l'approche bibliographique car c'est là le moyen le plus pratique de trouver des éléments d'analyse sur l'organisation du travail, les équipements utilisés, et leurs interrelations à l'échelle internationale. Visiter des usines ou faire des interviews à ce niveau serait impensable ici pour des raisons financières, de culture, et de temps qui n'ont pas besoin d'être davantage explicitées. Cependant, nous croyons qu'il est bon de conserver ces méthodes en réserve, au cas où nous manquerions d'informations pour compléter nos recherches.

             

     Telle était notre vision méthodologique au départ. Dans les faits nous l'avons en partie suivi, sauf pour les interviews. Si nous avons visité deux entreprises et discuté avec leurs directeurs, nous n'avons pas fait d'interviews formels. Et lorsque nous avons communiqué avec des entreprises internationales (par exemple I.B.M.), des chercheurs, ou des syndicats (comme la F.I.O.M.) pour obtenir des informations spécifiques, ils nous ont tous retourné des documents écrits (rapport annuel, rapport de recherche, etc.) dans lesquels se trouvaient les informations dont nous avions besoin. En ce sens nous pouvons qualifier notre méthode de bibliographique et cette étude de théorique.

 

     Enfin, tenter de nous situer dans un courant théorique précis serait ardu. Contentons nous de souligner ici que nous sommes près du marxisme tout en adoptant certains aspects du fonctionnalisme.

 

     D'abord, du marxisme nous conservons l'idée des oppositions de classe dans les organisations. Nous prenons ici le parti des hommes plutôt que celui des automatismes. Pour nous il est clair que des hommes dirigent les organisations et que d'autres sont dirigés et qu'il y a opposition entre ces deux groupes. De ce conflit naît le changement, car il doit y avoir des concessions de part et d'autres pour le résoudre. L'organisation s'adapte ainsi à ses transformations internes (refus du travail taylorisé, apparition de nouvelles méthodes de gestion défendues par les jeunes cadres, etc.) et évolue par elle‑même. C'est "l'historicité" (7), un des aspects essentiels du développement des organisations. A titre d'exemple pensons seulement aux programmes d'élargissement des tâches qui ont été mis sur pied pour enrayer les vagues de roulement ("turnover"), d'absentéisme, et de sabotage dont certaine entreprises étaient victimes au début des années 70 à cause du caractère aliénant du travail qui s'y pratiquait.

 

     Ensuite c'est du fonctionnalisme que nous retenons deux idées maîtresses. D'une part, nous croyons que les organisations constituent une structure visant à atteindre un but par la coordination du travail des individus vers celui‑ci. C'est par exemple le cas de la G.M. où les ouvriers contribuent chacun par leur travail à faire un produit entier: une automobile. D'autre part nous en retenons aussi l'idée que les conditions externes, par exemple la concurrence étrangère accrue, ont une influence sur les entreprises en les forçant à s'ajuster à une réalité toujours changeante. A ce sujet pensons seulement à la réorganisation à la japonaise des entreprises américaines de l'automobile pour répondre à la concurrence nippone et asiatique des dernières années.

 

     Ainsi nous croyons que les organisations sont dynamiques pour répondre tant aux changements de leur environnement externe (fonctionnalisme) qu'à leurs crises internes (marxisme). Quant à nommer ce courant, qui puise dans deux théories distinctes pour étudier ce dynamisme, contentons nous de l'appeler "post‑marxiste" comme l'a fait Touraine (1978) pour des raisons semblables aux nôtres. (8) Telle est en bref notre perspective.

 

     La suite de cette étude se divisera en quatre chapitres. Dans le chapitre premier nous allons définir la Division Internationale du Travail (que nous appelons la D.I.T.), en présenter les fondements, et montrer la différence Centre/Périphérie. Au chapitre II nous regarderons l'arrivée des

nouvelles formes d'organisation du travail (ou N.F.O.T.), après quoi nous les définirons et nous tenterons de répondre aux questions que nous nous posons à leur sujet. Au chapitre III nous présenterons les outils programmables et nous parlerons de leur utilisation et de leurs effets sur le travail. Enfin, nous conclurons sur l'usage de la D.I.T., des N.F.O.T., et des outils programmables par les entreprises du Centre dans le contexte de la nouvelle économie mondiale et nous tenterons de faire apparaître certaines tendances générales qui se situent derrière l'évolution des sociétés industrielles et l'évolution de l'organisation du travail au sein des entreprises capitalistes.

 

                 Chapitre I

 

    La Division Internationale du Travail

 

     La Division Internationale du Travail, ou la D.I.T.  comme

nous l'appellerons tout au long de cette étude, est en soi une

stratégie de production. Cela est clair. Cependant, certaines

questions le sont moins. Ainsi, comment la D.I.T. est‑elle

apparue? Sur quelle division du système économique mondial

(S.E.M.) se fonde‑t‑elle? Et, enfin, est‑elle utilisée dans un

but de pouvoir ou de profit? Telles sont les questions auxquelles

nous devrons répondre dans ce chapitre.

 

1.1. Histoire des firmes multinationales et origine de la

Division Internationale du Travail

 

     La question qui se pose ici est de savoir d'où vient la

D.I.T. Afin d'y répondre il nous faut cependant regarder

l'histoire des F.M.N., car la D.I.T. n'est que l'étape la plus

récente de cette histoire.

 

     L'impérialisme multinational Abaissement bien avant que les

noms de G.M., d'I.T.T., ou de Ford ne soient connus. Déjà "vers

1760 des compagnies à but lucratif de grande envergure, telles

que la East India Company ou la Massachussets Bay  Colony,

étaient accréditées par la Couronne britannique" (Turner, 1971,

p. 11). Certains travaux historiques en font même remonter

l'existence avant la Mésopotamie. (Tugendhat, 1981) Ces

entreprises ayant presque toutes disparues aujourd'hui, nous ne

nous attarderons pas davantage sur cette période.

 

     A la fin du XVIIIe siècle ce fut la révolution industrielle

britannique, avec l'apparition de la fabrique et de la mécanique

du travail. La voie venait alors d'être ouverte à

l'industrialisation de l'Angleterre. Celle‑ci s'étendit ensuite

au reste de l'Europe et à l'Amérique du Nord au cours du XIXe

siècle. Enfin, au tournant du XXe siècle, elle s'étendra au

Japon. (Vial, 1973, Beaud, 1981)

 

     Dans la seconde moitié du XXe siècle les entreprises

nationales, soit celles qui alimentaient un marché intérieur

(l'Angleterre, les Etats‑Unis, ou l'Allemagne par exemple), ont

cherché à conquérir de nouveaux marchés. Cela se fit d'abord en

exportant des produits finis vers l'étranger et, ensuite, en y

implantant des filiales. Ce second mouvement date de 1867. En

effet, c'est cette année là que Singer, une entreprise

américaine, a ouvert la première filiale au monde en inaugurant

une fabrique à Glascow, Angleterre. (Tugendhat, 1981) Par la

suite d'autres firmes ont suivi ce mouvement. Ainsi:

 

     Selon L. G. Franko, le nombre de filiales implantées à    l'étranger avant 1914 aurait été de 122 en ce qui concerne      les firmes d'origine américaine, de 60 pour les firmes     anglaises, de 167 pour les autres firmes européennes.     (Michalet, 1976, p. 34)

 

 

Ces entreprises utilisaient alors la stratégie des filiales

relais, c'est‑à‑dire qu'elles produisaient dans le pays d'accueil

pour fournir le marché national. (Michalet, 1976, 1979)

 

     Cette situation persista jusqu'aux années 1950. Ensuite, les

conditions d'accumulation changèrent. En effet, le développement

rapide des F.M.N. américaines après la seconde guerre mondiale

eut un effet négatif sur la balance des paiements des Etats‑Unis

‑‑ les investissements américains à l'étranger étant supérieurs

aux investissements étrangers fait chez eux ‑‑ ce qui conduisit

le gouvernement américain à vouloir attirer davantage

d'investissements étrangers sur son territoire. Ces efforts, qui

coïncidaient avec le désir croissant des entreprises européennes

de s'implanter aux Etats‑Unis, portèrent fruit et de nombreuses

firmes, comme Hoescht, B.A.S.F., et Bayer pour ne nommer que

celles‑là, y investirent. Ceci accentua la concurrence qui

abaissement entre les F.M.N., celles‑ci couvrant dès lors

l'ensemble des pays développés, et contribua à uniformiser les

conditions de production du Centre. Certaines F.M.N. ont alors

cherché de nouvelles zones d'extraction de la plus‑value dans les

pays du Centre qui offraient des conditions de travail

inférieures à la moyenne des autres pays développés, par exemple

l'Espagne, pendant que d'autres firmes, moins nombreuses, se sont

tournées vers les pays en voie de développement (P.V.D.), la

Périphérie.  

           

     A partir des années 60 certaines entreprises des P.V.D.,

dont les filiales des F.M.N. qui s'y étaient installées au cours

des années 50, ont commencé à exporter des produits

concurrentiels et moins chers vers les pays du Centre. Ceci força

les entreprises des pays développés à s'ajuster à cette nouvelle

réalité. Cette concurrence ne pouvant être freinée par des

mesures protectionnistes ‑‑ les pays exportateurs étant souvent

des pays signataires d'accord de coopération internationale avec

les pays du Centre ‑‑ ni par une diminution des conditions de

travail au Centre ‑‑ ces  conditions étant protégées par des lois

et des contrats de travail ‑‑ les entreprises du Centre ont dû

trouver d'autres solutions pour répondre à cette concurrence. Si

la plupart des  entreprises nationales ont répondu à cette

concurrence en augmentant la durée d'utilisation de leurs

équipements (par l'ajout de quart de travail par exemple), les

F.M.N. ont majoritairement opté pour le transfert des productions

les plus anciennes, victimes de cette concurrence, vers les

P.V.D., où les coûts de production sont plus faibles, et le

maintien des productions les plus récentes et novatrices au

Centre de manière à protéger les connaissances, les innovations,

et les avantages qui les entourent. (Vernon, 1966; Tugendhat,

1981) Ainsi Singer vend désormais trois machines à coudre

produites à l'étranger pour deux faites aux Etats‑Unis.

(Tugendhat, 1981) C'est la division internationale du travail

(d.i.t.), la première phase de la D.I.T.

 

     Cette stratégie devint ensuite la norme et des entreprises

plus petites (locales/nationales) ont dû ouvrir des filiales à

l'étranger ou y sous contracter une part de leur production pour

ne pas être victime de la concurrence que leur livraient ces

entreprises étrangères, dont des F.M.N. qui bénéficiaient

désormais des conditions de production des pays en voie de

développement. La d.i.t. devint ainsi une condition inhérente au

développement du capitalisme dans les secteurs traditionnels (le

vêtement, la chaussure, et le textile, exception faite des fibres

synthétiques qui relèvent de la pétrochimie). Par exemple dans le

textile et le vêtement:

 

     ... it should not be overlooked that the smaller companies

     in term  of turnover also make a  considerable contribution   to the volume of employment abroad. This in itself is a     proof of the thesis that  ‑ ... ‑  the  stage which the   world capitalist system has now reached contains a tendency which is  forcing companies, regardless of their size, to     undertake a global reorganisation of their manufacturing      processes or pain of extinction. (Frobel, Heinrichs, and       Kreye, 1981, pp. 112‑114)

 

 

Il s'ensuivit une spécialisation de l'économie mondiale, les

productions les plus novatrices et exigeants des techniques

modernes étant principalement concentrées au Centre et les

productions les plus anciennes, manuelles, et mécaniques à la

Périphérie vu les coûts inférieurs de la main‑d'oeuvre.   

Ainsi, sur le marché des caméras, le Japon, qui a produit 4,8

millions de caméras en 1969, dont plus de la moitié ont été

exporté (2,9 millions), en a aussi importé un demi‑million, "en

particulier des modèles bon marché fabriqués à Hong‑Kong".

(Levinson, 1976, p. 111) 

 

     Au milieu des années 60, avec les progrès enregistrés dans

les moyens de communication, de traitement de l'information, et

de transport, une nouvelle étape fut franchie. Il devenait

possible de répartir un processus de production divisible et

maniable entre des filiales réparties dans plusieurs pays, tant

au Centre qu'à la Périphérie, en fonction des avantages politico‑

économiques offerts. C'est la nouvelle division internationale du

travail (n.d.i.t.). Le processus de production est alors

divisé/unifié à l'échelle mondiale. D'une part la création des

filiales ateliers permet de produire et d'assembler les diverses

parties d'un même produit dans des pays différents (Division) et

d'autre part la centralisation de la direction de l'entreprise

permet de contrôler l'ensemble du processus de production au

niveau mondial (Unification). Par exemple chez I.B.M.:

 

 

     La manière dont le projet du modèle 360/40 s'est développé

     dans les laboratoires britanniques illustre bien ce

     processus.  Si l'ordinateur avait été conçu en Angleterre,

     il devait être fabriqué en France et dans  l'Etat de New‑

     York, à Poughkepsie. (...) Il serait faux de dire,

     d'ailleurs, que le modèle définitif  fut entièrement

     fabriqué en France: sa mémoire fut mise au point en Ecosse;

     ses composantes logiques solides à Paris; ses boîtes et

     toutes les pièces annexes  viennent  des Pays‑Bas, de Suède,

     et d'Italie. (Turner, 1971, pp. 38‑9)

 

     Finalement, il faut souligner que la n.d.i.t. ne peut

s'appliquer qu'aux processus clairement divisibles, comme la

fabrication des pièces solides et leur montage. Elle ne pourrait

pas, par exemple, s'appliquer à la production chimique ou

pétrolière, car il s'agit là de processus continu, c'est‑à‑dire

que la production se fait par "réaction des matières entre elles"

et qu'une fois engagée elle peut difficilement être arrêtée et

encore moins transportée. (Galle et Vatin, 1981) Cependant, dans

ces cas‑là la d.i.t. peut facilement s'appliquer. Par exemple

certains produits chimiques dont la fabrication est interdite au

Centre sont fabriqués dans des P.V.D., où les lois sont moins

sévères, et sont ensuite exportés vers les pays utilisateurs du

Centre. (Castelman, 1983) Ainsi tous les secteurs industriels

peuvent pratiquer la D.I.T. que ce soit sous la forme de la

n.d.i.t. ou plus simplement de la d.i.t.

 

1.2. La différence entre les pays développés et en voie de

développement

 

     La question qui se pose maintenant est de savoir en quoi les

pays développés et en voie de développement, le Centre et la

Périphérie, se différencient. Pour répondre à cette question l'on

pourrait faire le bilan de chacune de ces entités et les comparer

ou encore regarder ce qu'il y a au Centre qu'on ne retrouve pas à

la Périphérie. Nous avons plutôt choisi une autre voie. Nous

prendrons les P.V.D. comme point de départ et nous regarderons en

quoi leurs caratéristiques sont intéressantes pour les

entreprises du Centre, car la question qui se pose ici est:

pourquoi les entreprises du Centre déplacent‑elles certaines de

leurs productions vers la Périphérie? Ensuite, de façon

complémentaire, nous tenterons de savoir pourquoi certaines

productions ne peuvent être  relocalisées dans les P.V.D. Nous

aurons ainsi fait le tour des différences entre le Centre et la

Périphérie.

 

     Premièrement, il faut souligner que les conditions politico‑

économiques des P.V.D. semblent avantageuses pour les entreprises

car elles leur permettent d'exploiter une main‑d'oeuvre

faiblement protégée. Ces firmes profitent alors de salaires

beaucoup plus bas qu'au Centre et d'heures de travail qui y sont

plus longues. (Barnet et Muller, 1974; Beaud, 1981; Frobel,

Heinrichs, et Kreye, 1981; Shaiken, 1986; voir aussi les tableaux II à V aux pages 17 à 21) Parfois, si l'on considère le nombre de semaine travaillée dans l'année, le temps supplémentaire, et le peu de jour de congé, les ouvriers de certains P.V.D. peuvent travailler jusqu'à 50% plus de temps par année que les travailleurs des pays du Centre. (Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981) Ainsi, l'entreprise qui y produit en vue de réexporter sa production vers le Centre accroît sa plus‑value davantage que par toutes autres formes d'intensification du travail qu'elle aurait pu utiliser au Centre. C'est d'ailleurs pour cette raison que "Bulova est capable de battre la compétition étrangère parce qu'elle est elle même cette compétition" comme le dit Harry B. Henshel, son président. (Barnet et Muller, 1974, p. 305) Et ce n'est là qu'un portrait partiel de la réalité, ces inégalités étant encore plus grandes si elles sont stratifiées selon l'âge ou le sexe:

 

     In developping countries ‑‑ as in industrialized ‑‑ the

     price of female labour‑power is lower than the price of male

     labour‑power. In manufacturing (...) women's wage are

     frequently half of male wage. (Frobel, Heinrichs, and Kreye,

     1981, p. 374)  (1)

 

 

 

     Deuxièmement, l'absence de lois concernant les conditions de

travail à la Périphérie constitue un autre avantage pour les

entreprises comparativement aux règlements des pays du Centre.

Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne les normes de

 

_________________________________________________________________

                   Les Tableaux statistiques 

 

 

Tableau I: voir à la note 1 dans la section réservée aux notes.  

 

Tableau II: Indice des coûts horaires de l'ouvrier pour le groupe

multinational Philips en 1979 (Base 100=France)                 

_____________________________________________________________

Pays        coûts horaires   Pays      coûts horaires   

_____________________________________________________________

 R.F.A.          144        Italie            93   

 Belgique        143        Finlande          87

 Suède           142        Espagne           79

 Pays‑Bas        139        Grande‑Bretagne   74

 Danemark        136        Irlande           67

 Suisse          129        Grèce             42

 Norvège         127        Brésil            40

 U.S.A.          118        Mexique           33

 Canada          110        Portugal          26

 Japon           103        Corée du Sud      21

 France          100        Hong Kong         19

 Australie        97        Singapour         16

 Autriche         95        Formose           15

_____________________________________________________________ 

Source: Beaud, 1981, p. 328.

                              

Tableau III: Salaires annuels pour différentes fonctions dans

l'industrie automobile en 1980 (en monnaie nationale et en

dollars américains)         

 

Pays/fonctions  Monnaie           dollars    Taux de change/  

                nationale       américains    dollar U.S.     

 


Belgique (1)    (Franc)                  31,52              

  Nettoyeur     506 544      16 070                        

  Monteur       525 228      16 663                        

  Maintenance                                               

   des robots                                               

   et outilleurs 616 572      19 561                        

                                                             

France (1)                                                  

 (pour Renault) (Franc)                 4,516             

  Semi‑qualifié 48 600       10 761                        

  Qualifié      57 804       12 799                         

  Hautement qual 76 296       16 894                        

                                                            

Allemagne (2)                                               

  (moyenne)     (Mark)                  1,959             

  Nettoyeur     26 270       13 410                        

  Monteur       29 848       15 236                        

  Maintenance                                               

   des robots   36 067       18 411                        

  Outilleur     37 148       18 963                        

                                                            

Espagne (3)     (Peseta)                79,25             

  Manoeuvre        795 000    10 032                        

  Contremaître  1 100 000    13 880                        

  Ingénieur     1 500 000    18 927                        

                                                            

Portugal (1)    (Escudo)                53,04             

  Nettoyeur     187 200      3 529                         

  Monteur       159 600      3 009                         

  Outilleur     187 200      3 529                         

                                                            

Suède (1)       (Couronne)              4,373             

  Nettoyeur     79 800       18 248                        

  Monteur       79 800       18 248                        

  Maintenance                                               

   des robots   84 000       19 208                        

  Outilleur     84 000       19 200                        

                                                            

Canada (5)      (Dollar)                1,195             

  Manoeuvre     19 282       16 135                        

  Monteur       20 051       16 779                        

  Entretien des                                              

   machines     23 837       19 947                        

                                                            

Etats‑Unis (1)                                              

  Nettoyeur                   19 092                        

  Monteur                     19 876                        

  Outilleur                   24 252                        

                                                            

Brésil (6)                                                  

  (pour G.M.)                                               

  Nettoyeur                   2 159                         

  Monteur                     4 045                         

  Outilleur                   6 522                         

                                                            

Mexique (7)                                                 

  moyenne:                                                  

  ‑Plus bas                    4 355                        

  ‑Plus élevé                 10 323                        

                                                            

Taiwan (1)      (NT$)                   36.24             

  Nettoyeur      151 200      4 172                         

  Monteur       177 600      4 901                         

  Maintenance                                               

   des robots   170 400      4 702                         

  Outilleur     194 400      5 364                         

                                                            

                                                            

Japon           (Yen)                   203                

  par âge 25    1 840 800     9 068                        

          30    2 222 400    10 948                        

          35    2 700 000    13 300                        

          40    3 184 800    15 689                         

 contremaître   5 133 600    25 289                        

                                                            

Corée (8)                                                   

 Moyenne                      3 972                         

                                                            

Philippines     (Pesos)                 7.6               

  Grade 1         7 839        1 031                        

        5       11 700        1 539                        

        8       14 586        1 919                      

 


Source: Calculé par nous à partir des données de F.I.O.M., 1982.

 

Notes:                                                         

 

1. Fait à partir de données mensuelles.                        

2. Calculé à partir du salaire horaire le plus élevé et le plus

bas pour chaque catégorie et pour 40 heures de travail par

semaine.

3. Données annuelles.   

4. Moyenne à partir du salaire le plus élevé et le plus bas pour

cette catégorie.

5. Fait à partir du salaire horaire pour une semaine de 40

heures.

6. Fait à partir du salaire horaire et de la moyenne hebdomadaire

de travail (43,7 heures). Le taux était déjà en dollars

américains.

7. Calculé à partir de la moyenne horaire des salaires les plus

bas et les plus élevés pour une semaine moyenne de 40.85 heures

8. Chiffre mensuel déjà en dollars américains.

9. Salaire horaire pour une durée de 37,5 heures/semaine chez

Ford.

                       ________________

 

 

Tableau IV: Revenu national moyen par habitant pour différents

pays. En dollars U.S. (1986 sauf exception)

 

Pays               P.I.B./habitant (1)   P.N.B./habitant (2)  

 Etats‑Unis                               17 404

 Japon                                    16 123

 Brésil             1 637 (1985)

 Inde                 244

 Indonésie            589

 Australie         10 104

 Canada                                   14 016

 Argentine          2 132 (1985)

 R.F.A.                                   14 737

 France            13 072

 Royaume‑Unis       9 660

 Italie             8 796

 Espagne            5 840

 Mexique            2 086 (1985)

 Philippines          547

 Thailande            821 (1985)

 Corée du Sud       2 346

 Portugal           2 809

 Salvador             810

 Panama             2 017 (1985)

 Vénézuela          3 112 (1985)

 Hong Kong          5 879 (1985)

 Singapour          7 412 (1985)

 Taïwan             3 701

 Suisse            21 036

 Finlande          14 300

 Suède             15 718

 Norvège           16 432

##

Source: fait à partir des données que l'on retrouve dans

Collectif, L'Etat du Monde 1987‑1988, Paris/Montréal: La

Découverte/Boréal.

 

 

 

Notes:

1. P.I.B.: richesse créée dans le pays par les travailleurs et

les capitaux.

2. P.N.B.: P.I.B. plus les revenus rapatriés de l'étranger moins

les revenus exportés par les travailleurs et les capitaux.

 

                       ________________

 

 

Tableau V: Durée de la semaine de travail dans les industries

manufacturières

     Pays             Heures de travail             Année     

   Bolivie (1)           46,3                        1981

   Burundi               45,0                        1983

   Costa Rica            49,3                        1983

   Hong Kong             45,5                        1983

   Mexique               45,6                        1982

   Panama                45,5                        1982

   Sri Lanka             48,9                        1983

   Suède                 37,7                        1983

   Australie (2)         37,5                        1986

   Etats‑Unis            40.7                        1986

   Belgique              33,0                        1986

   Canada                38,7                        1986

   Tchécoslovaquie       43,1                        1986

   El Salvador *         44,0                        1985

   France                38,6                        1986

   R.F.A.                40,4                        1986

   Guatemala             46,5                        1983

   Irlande               41,2                        1986

   Japon                 41,1                        1986

   République de Corée   54,7                        1986

   Pays‑Bas              40,4                        1985

   Norvège               30,6                        1986

   Porto Rico            39.0                        1986

   Afrique du Sud        46.2                        1985

   Espagne               36.9                        1986

   Suisse                42.6                        1986

   Royaume‑Uni           41.6                        1986

##

Source:

(1) Nations Unies, 1986, Annuaire statistique 1983/84, New York; et (2) Nations Unies, 1987, Bulletin mensuel de statistique, Novembre, New York.

 

Note:

 

* Seul les hommes sont compris.

 

_________________________________________________________________

 

santé et de sécurité au travail, de pollution, et de santé

publique. Il n'est d'ailleurs pas rare que des entreprises

relocalisent dans les P.V.D. des productions qui sont sévèrement

réglementées au Centre de manière à échapper à ces lois même si

elles connaissent les risques qu'encourent les populations

environnantes. Le profit, qui se concrétise ici dans le non

investissement dans les systèmes de protection, l'emporte sur les

considérations morales telles que les conditions de vie et de

santé de leurs employés et de la population. Un exemple qui

illustre cela est le cas d'Amatex. Suite à la réglementation

américaine de 1972 sur le niveau de fibres d'amiante par mètre

cube d'air, cette firme a fermé son établissement de Pensylvanie

et a commencé à importer sa production mexicaine aux Etats‑Unis.

Quant aux conditions de travail dans ses installations, elles

sont impropres même si la firme en connaît les dangers. Ainsi, un

journaliste de l'Arizona Daily Star et un spécialiste de la santé

industrielle, le Dr. William Johnson, rapportaient, en mars 1977,

après avoir visité l'usine d'Argua Priest au Mexique, que la

poussière d'amiante recouvre totalement les murs de l'usine et se

retrouve même sur le chemin de l'école. A l'intérieur de l'usine

la machinerie est complètement recouverte de poussière d'amiante.

Quant aux travailleurs, ils ne possèdent même pas de masque pour

réduire leur exposition à cette poussière. (2) Et, ce n'est pas

là un cas isolé. Ainsi, face à l'opposition des citoyens japonais

concernant les industries polluantes, les aciers Kawasaki ont

construit une fonderie aux Philippines. Celle‑ci, en plus de

produire des boulettes d'aciers, produit des impuretés telles que

de la coke, de la poussière de fer, et des gaz dont du souffre et

de l'azote. (Castelman, 1983, p. 297) Dès lors on ne peut que

conclure que les conditions de la Périphérie deviennent un moyen

d'accroître la plus‑value des firmes en leur permettant de

contourner les règlements du Centre qu'elles jugent trop sévères

et trop coûteux. Ainsi, la Périphérie ne fait pas que vendre sa

main‑d'oeuvre bon marché; elle en laisse les conditions

d'exploitation à la discrétion des entreprises.

 

     Enfin, le dernier avantage que les entreprises trouvent à la

Périphérie sont les conditions répressives et la position anti‑

syndicale de certains P.V.D. De cette manière certaines firmes

peuvent y localiser des travaux ardus et ne pas donner de bonnes

conditions de travail à leurs ouvriers, ces derniers n'ayant

aucun moyen de pression à leur disposition. Par exemple, à

l'époque de Franco l'Espagne se voulait un territoire intéressant

pour les firmes du Centre, toutes formes de manifestations y

étant violemment réprimées. A ce sujet Bénédict souligne qu'"à un

moment donné" il y a eu une grève chez Fiat Espagne et que la

police militaire "est venue en hélicoptère tirer sur les

travailleurs" (1983, p. 167) Certains Etats se font même les

spécialistes de telles conditions, allant jusqu'à les publiciser

pour attirer des investissements sur leur territoire. (Frobel,

Heinrichs, et Kreye, 1981) C'est tout dire.

 

     Vues ainsi les différences sociales, économiques, et

politiques entre le Centre et la Périphérie semblent avantageuses

pour les entreprises. En effet:

 

     Dans les filiales‑ateliers, grâce à l'extrême parcellisation

     des tâches et à l'encadrement, la  productivité du travail

     ne diffère guère de celle des pays d'origine. En revanche,

     les salaires sont dix à vingt fois inférieurs; le temps de

     travail plus long et plus intense; les grèves et les

     syndicats quasiment inexistants. Ainsi se trouvent

     reconstituées les conditions de la révolution industrielle

     en Europe mais dans un cadre international, (...).

     (Michalet, 1979, p. 41)

 

 

Cependant, toutes les entreprises n'ont pas les moyens financiers

et organisationnels d'y investir. C'est là la première limite que

rencontrent les entreprises qui veulent profiter de ces

conditions.

 

     La seconde limite qu'elles rencontrent est d'un tout autre

ordre. Tous les produits ne peuvent être fabriqués à la

Périphérie. Ainsi, si les produits et les composantes

standardisées y sont faits, les nouveaux produits sont

généralement fabriqués au Centre. Trois facteurs expliquent cela.

 

     D'abord, les nouveaux produits et procédés techniques sont

souvent pensée là où la formation générale et professionnelle des

populations est bonne, car pour concevoir un nouveau produit il

faut un minimum de connaissances techniques. Ceci nécessite aussi

de l'information, car pour aller plus en avant avec un nouveau

produit il faut connaître les nouvelles découvertes, savoir si un

besoin pour celui‑ci existe, et si rien de comparable a déjà été

fait ou commercialisé. Ces caractéristiques étant principalement

l'apanage des pays du Centre, où la formation scolaire et

professionnelle est plus élevée, où les moyens de communication

de masse sont nombreux (télé‑information, revues de vulgarisation

scientifique, etc.), et où des organismes publics se chargent

d'aider les chercheurs et les inventeurs dans leurs recherches

d'antécédents et le processus de prise de brevet, c'est dans ces

pays que l'on peut s'attendre à trouver les taux d'innovation les

plus forts. C'est là un fait que les chiffres appuient. Ainsi:

 

     En 1979, 85,3% du nombre total de brevets déposés dans le

     monde l'ont été par des pays développés de l'O.C.D.E. La

     part des pays sous‑développés était de 6,4% du total, et

     celle des pays socialistes de 8,3%. (Perrin, 1983, p. 38)

 

 

Quant au pourcentage de brevets déposés dans les pays sous‑

développés il est surévalué même s'il est faible, car dans ces

pays "la proportion des dépôts effectués par des non‑résidents

est toujours très élevée, dépassant dans la plupart des cas 90%"

(Perrin, 1983, p. 38).

 

     L'invention n'est cependant pas l'exclusivité des savants,

des ingénieurs, et des laboratoires de recherche. Les inventeurs

sont de tous les métiers, d'où l'importance d'une bonne formation

générale et de l'information dans le processus de l'innovation.

De fait, plusieurs études montrent bien que la plupart des

nouvelles inventions sont redevables à des individus et non aux

grands laboratoires de recherche et développement (R. et D.) ou à

des spécialistes.

 

     Empirical studies, mostly dealing with American experience,

     suggest that the more fundamental inventions are not usually

     made in the large R. & D. laboratory. A pioneering study by

     Jewkes and associates was the first to challenge the

     assumption that most modern inventions were produced by

     collaborative research in large institutions.(3) These

     results appeared to indicate the continued vitality of the

     individual inventor. (...) In the case of Du Pont, ..., it

     turns out that nylon was the exception. A study of the

     twenty‑five inventions that were most important in producing

     innovations showed that only ten of them had been invented

     at Du Pont; and of these only three were commercially

     important. (Layton, 1977, pp. 214‑215)

 

 

Plusieurs cas confirment d'ailleurs cette conclusion. Par exemple

le stylo à bille fut inventé par un sculpteur, le film Kodachrome

par deux pianistes, et le "bulldozer" par un mécanicien amateur.

(Barnet et Muller, 1974; Layton, 1977)

 

     Ensuite, si ces inventions ont de l'intérêt, elles sont

achetées par des entreprises qui se chargent de les développer en

vue de les commercialiser. C'est là le génie des grandes

entreprises. (Barnet et Muller, 1974) Cette phase du

développement du produit est à l'avantage des pays du Centre, car

c'est là que se concentrent les grandes entreprises et leurs

laboratoires de recherche et développement.

 

     Cependant, il arrive parfois que des entreprises passent à

côté d'inventions importantes. L'invention de la photocopieuse en

est un bon exemple. Après avoir découvert le principe de la

photocopie en 1938 Chester Carlson, un conseiller en brevet et

physicien amateur, a vu son invention refusée par plus d'une

vingtaine d'entreprises dont I.B.M., R.C.A., et General Electric.

Ce ne sera qu'en 1944 qu'un centre de recherche sans but

lucratif, le Battelle Memorial Institute, s'y intéressera et

signera un contrat avec lui pour développer ce processus. Trois

ans plus tard cet institut signera une entente avec une petite

firme de papier photographique de Rochester, la Haloid, pour

développer une machine à "électrophotographie". Carlson, avec

l'aide d'un étudiant grec de l'Université de l'Ohio, appelera ce

processus "xerography" et sa machine "Xerox". Haloid a mis son

premier photocopieur "Xerox" sur le marché en 1949 et en 1961

elle changea de nom pour Xerox. (Hunger, Conquest, et Miller,

1985)

 

     Enfin, le lieu de fabrication d'un nouveau produit constitue

une question stratégique pour des motifs défensifs. En effet, les

firmes qui investissent dans son développement n'ont aucun

intérêt à ce que des concurrents ne s'en emparent trop rapidement

tant pour des motifs de rentabilité (récupérer les sommes

investies) que de profit. Pour atteindre ce but elles choisissent

le pays où le produit sera le mieux protégé pour entreprendre la

R. et D. et sa production, soit un pays développé, les P.V.D.

ayant au contraire tout intérêt à s'accaparer ces savoirs pour

améliorer leur position face aux pays du Centre. Cependant, cette

distinction est aussi valable pour les pays du Centre, certains

d'entre eux offrant des protections moins généreuses que d'autres

sur certains produits. C'est par exemple le cas au Canada pour

les produits pharmaceutiques. Ainsi la loi C‑102, adoptée en

1969, permettait de copier tous les nouveaux médicaments

moyennant une redevance sur les ventes alors qu'aux Etats‑Unis

ces produits bénéficiaient d'une protection de 17 ans.(4) Quant à

la nouvelle loi sur les produits pharmaceutiques adoptée à

l'automne 1987, elle accorde une protection de dix ans, ce qui

est toujours inférieur à ce qui se fait aux Etats‑Unis.(5) Cette

question est si importante que même lorsque les F.M.N.

relocalisent certaines de leurs productions à la Périphérie

elles les protègent encore pour éviter que d'autres entreprises

ne s'en emparent et les concurrencent un jour sur leur propre

terrain. Cette crainte est justifiée si l'on pense que Nissan est

née dans les années 30, avec des équipements achetés aux Etats‑

Unis d'une entreprise d'automobile qui avait fermé ses portes

suite à la crise de 1929, et qu'aujourd'hui le Japon est devenu

le numéro un mondial de l'auto. (Bonnafos, Chanaron, et de

Mautort, 1983, p. 29)

 

     Des motifs économiques et politiques jouent aussi en faveur

du Centre pour la fabrication des nouveaux produits. Ceux‑ci sont

de deux ordres. D'abord, comme les coûts de production et de

travail sont plus élevés au Centre, ceci y favorise l'innovation

et la production de biens "économiques"  ("labor saving"). Par

exemple:

 

     In the case of consumer goods, ..., the high cost of

     laundresses contributes to the origin of the drip‑dry  shirt

     and the home washing machine. In the case of industrial

     goods, hight labor cost leads to the early development and

     use of conveyer belt, the fork‑lift truck, and the automatic

     control system. (Vernon, 1966, pp. 192‑3)

 

 

Ensuite, comme c'est là que les consommateurs ont le plus grand

pouvoir d'achat ‑‑ les salaires étant plus élevés ‑‑ ceci y

favorise la fabrication des produits novateurs, car c'est là que

la demande est la plus forte pour ces produits.

 

     Il y a ainsi une dynamique du nouveau produit au Centre, les

coûts élevés du travail y favorisant l'innovation et créant un

marché, et une dynamique du produit standardisé à la Périphérie,

où les coûts de production sont plus faibles. On rejoint alors la

théorie du cycle du produit de Vernon (1966). Le nouveau produit

est généralement fait au Centre, là où il fut découvert, car une

interaction rapide entre les consommateurs et le producteur est

nécessaire pour l'ajuster aux attentes des consommateurs et le

corriger en fonction des variations de la demande. Ensuite, quand

il est mûr, c'est‑à‑dire quand toutes ses caractéristiques sont

arrêtées, il peut être fabriqué ou monté dans les autres pays du

Centre où il y a une demande pour celui‑ci. C'est même la

solution la plus avantageuse, car il peut ainsi être adapté aux

besoins de ces marchés. Enfin, quand le produit est standardisé,

c'est‑à‑dire que toutes ses possibilités ont été exploitées, il

devient avantageux de le fabriquer à la Périphérie tant qu'une

demande existe pour celui‑ci, car les taux de plus‑value y sont

plus élevés qu'au Centre. Après, quand la demande faiblit, il est

appelé à être remplacé par un nouveau produit.

 

     En conséquence, la D.I.T. peut être vue comme étant d'abord

une stratégie économique, car elle semble servir à fabriquer le

produit où il apparaît le plus rentable de le faire. C'est ce

qu'il nous faut maintenant vérifier.

 

1.3. Le rôle économique de la Division Internationale du   

Travail

 

     Pour nous la D.I.T. joue d'abord un rôle économique. Deux

faits semblent le démontrer. C'est ce que nous allons voir ici.

 

     Premièrement, la D.I.T. sert à accroître la plus‑value des

F.M.N. en profitant des différences politiques, économiques,

techniques, et sociales qui existent entre  différents pays.

C'est là un processus fort simple: comme la valeur d'une

marchandise est "déterminée par le temps de travail nécessaire à

sa production et (comme elle) s'exprime dans le quantum de toutes

autres marchandises qu'a exigé un travail de même durée" (Marx,

1977, p. 82) on respecte ce principe au plan local et on

capitalise sur ses différences au plan mondial, car "les prix des

biens sont déterminés par le Centre" (Michalet, 1976, p. 165).

Ainsi l'ouvrier est payé en fonction du travail socialement

nécessaire à la reproduction de sa force de travail dans son

pays, mais le fruit de son labeur est exporté ou intégré à un

produit fini ailleurs dans le réseau de la firme et vendu au coût

socialement nécessaire à sa production dans le pays d'origine de

la F.M.N. Grâce à cette capacité de délocalisation et de

relocalisation de la production, la F.M.N. peut alors accroître

son profit en produisant chacune de ses pièces là où elle juge

que les coûts de travail sont les plus faibles, la productivité

la plus élevée, et la protection sur ses produits suffisante.

Comme le dit Michalet:

 

     Par stratégie productive nous entendons le processus de

     multinationalisation guidé par le souci de tirer avantage de

     l'inégalité des coûts de production d'une région à l'autre.

     (...) Les disparités de salaire semblent constituer

     l'élément prépondérant dans le choix d'une nouvelle

     localisation des unités productives. Dans le cadre de cette

     logique, l'implantation d'une filiale ne sera plus

     déterminée par l'évaluation des possibilités du pays

     d'accueil mais par la dotation en facteur travail. A la

     limite la totalité de la production des filiales sera

     réexportée vers le pays d'origine ou vers un pays tiers.

     (1976, p. 152) 

 

 

Par exemple Crvena Zastava ("l'Etoile rouge"), qui montait

certains modèles Fiat pour le marché yougoslave, en vint, à la

fin des années 60, à fabriquer "certaines pièces, telles que les

panneaux de portes de la "600", pour toutes les opérations de

Fiat" (Turner, 1971, p. 175). Fiat profitait alors  des coûts

inférieurs de la main‑d'oeuvre yougoslave  pour sa production des

éléments standardisés dont elle avait besoin.

 

     Il arrive aussi que ce soit l'inverse qui se produise. Des

entreprises peuvent rapatrier certaines productions au Centre

lorsque de nouveaux équipements, qui permettent de produire

davantage avec moins d'ouvriers ("labor saving") sont

disponibles, car ceci représente une économie de coût. Par

exemple, dans le vêtement, la firme Wiedekind/Sprendlingen a

rapatrié sa production de jeans des pays de l'Est vers

l'Allemagne de l'Ouest où, avec des équipements modernes, elle

peut les fabriquer beaucoup plus rapidement et à moindre coût en

plus d'économiser sur les frais de transport. Par contre, cette

entreprise a toutefois conservé certaines productions manuelles,

comme celle des ceintures tressées, à la Périphérie, là où les

coûts de main‑d'oeuvre sont plus faibles qu'au Centre. (6)

 

     Deuxièmement, cette stratégie offre aussi des avantages

économiques au niveau de la localisation de la production.

D'abord, grâce à cette stratégie les F.M.N. sont moins affectées

par les tarifs douaniers des pays où elles écoulent leur

production, une part de celle‑ci, que ce soit des produits finis

ou des composantes, étant fait sur place. Les F.M.N. ont ainsi

accès à une sorte de libre échange entre leurs filiales, celles‑

ci s'échangeant souvent leurs produits au prix coûtant. Elles

reprennent alors le but des filiales‑relais, soit contourner les

barrières tarifaires des différents pays tout en accroissant

leurs taux de plus‑value grâce aux différences qui existent entre

le Centre et la Périphérie. (Michalet, 1976, 1979) Ensuite elles

peuvent obtenir des avantages économiques de l'extension de leur

réseau en orchestrant une surenchère autour de la localisation de

leur filiales. Ceci s'explique par le fait que différents Etats

veulent attirer des firmes étrangères sur leur territoire

grâce à des mesures fiscales fort lucratives pour elles:

 

     ... comme la majorité des P.V.D., les pays développés

     cherchent à attirer les investissements étrangers. Des

     plaquettes publicitaires sont diffusés, des bureaux

     d'accueil ouverts qui expliquent aux éventuels candidats les

     avantages offerts par les conditions économiques, socio‑

     culturelles, climatiques, ou politiques du pays. Ces

     avantages "naturels" sont renforcés par une panoplie d'aides

     pouvant aller de la détaxation fiscale pendant 5 ou 10 ans,

     à des prêts pour les investissements, en passant par des

     franchises douanières et la prise en charge par le pays

     d'accueil des dépenses d'infrastructures. Dans certains cas,

     les facilités accordées aux F.M.N. sont exorbitantes par

     rapport au régime appliqué aux firmes locales. (Michalet,

     1979, p. 51)

 

 

Par exemple, pour attirer des investissements, la République

d'Irlande est devenue une zone "hors taxe" en plus d'offrir de

généreuses conditions aux investisseurs, soit: absence d'impôt

sur les produits destinés à l'exportation; subventions pouvant

couvrir jusqu'à 50% du coût des nouvelles installations; paiement

de la formation de la main‑d'oeuvre par l'Etat, ce même à

l'étranger; offre de terrains et bâtiments à rabais; et

subvention pour la R. et D. faite sur place. (7)

 

     Ainsi la D.I.T. semble d'abord une tactique économique. Elle

sert à fabriquer les différents produits et composantes dont

l'entreprise à besoin là où il est le plus rentable pour elle de

le faire en tenant compte des capacités productives du pays et de

la protection qui lui est accordé sur ces produits et

composantes. C'est une méthode pour atteindre le profit maximum

peu importe que ce soit dû aux seules conditions d'une

localisation (bas salaires, proximité des ressources, absence

d'impôt, etc.) ou à des conditions artificielles (absence de

tarifs douaniers, subventions, etc.). C'est ce que nous pouvons

en retenir. Ceci étant dit, une autre question apparaît: celle du

pouvoir.

 

1.4. La Division Internationale du Travail: stratégie de   

pouvoir?

 

     La question se pose maintenant de savoir si la D.I.T.

est une stratégie de pouvoir? Avant d'y répondre il faut

cependant dire ce qu'est le pouvoir. Sa définition la plus simple

est celle qu'en a donné Robert Dahl: "Le pouvoir de A sur B est

la capacité de A d'obtenir que B fasse quelque chose qu'il

n'aurait pas fait sans l'intervention de A." (Crozier, 1970, p.

33) En ce qui concerne les entreprises, notre objet d'étude, le

pouvoir peut se définir comme la capacité qu'a une organisation

d'affecter et de diriger le comportement de ses membres (ce qui

inclut le syndicat) et d'influencer le comportement d'acteurs qui

lui sont extérieurs (clients, groupes de pression, gouvernement,

etc.). Pris ainsi le pouvoir peut prendre deux formes. D'abord,

il signifie la direction vers un but commun. Ensuite, il

représente l'usage de la pression envers un opposant dans un

conflit. Préalablement à la poursuite de cette étude, il nous

faut cependant voir ces deux facettes du pouvoir pour bien  

comprendre le rôle que peut jouer la D.I.T. en tant que moyen de

pouvoir au sein de l'entreprise.

 

     Premièrement, le pouvoir est présent dans la direction des

opérations quotidiennes. Dans ce cas il se manifeste dans le

droit d'exiger un travail ou un niveau de rendement donné. Le

pouvoir se confond alors avec l'organisation et la division du

travail: il est présent dans la position hiérarchique, l'ordre

donné, les normes prescrites, et le droit d'user de sanctions.

 

     ... work organizations. By this is meant simply that they

     are goal‑oriented systems designed in a manner which attemps

     to ensure that a man's livelihood hinges on adequate

     performance as defined by his superiors in the organization.

     (Tausky, 1970, p. 22)

 

 

Chaque cadre est ainsi dépositaire d'une part du pouvoir de

l'organisation: son autorité. (Mintzberg, 1983) C'est la

capacité de donner des ordres, de se faire obéir, et de menacer.

(Weil, 1969; Linhart, 1981) A ce niveau la D.I.T. n'apporte rien

de neuf. En fait, cette forme de pouvoir fut associée de tous

temps à la division classique du travail et celle‑ci suffit

amplement à cette tâche (Marglin, 1973), car ce pouvoir s'exerce

indépendamment sur chaque ouvrier par son supérieur. Le seul

apport de la D.I.T. à ce niveau peut être d'avoir contribué à

étendre cette forme de pouvoir à des sociétés qui ne la

connaissaient pas auparavant, tels certains P.V.D.

 

     Cette première forme de pouvoir peut être qualifiée de

"capitaliste" car elle est liée à l'organisation capitaliste du

travail, c'est‑à‑dire la soumission de l'ouvrier à un capital qui

lui est étranger pour le profit de son propriétaire. Cela est

d'ailleurs tout aussi vrai en régime capitaliste, socialiste, que

communiste (8); dans les F.M.N. et les petites et moyennes

entreprises (P.M.E.); dans le secteur public ou privé. En ce sens

il s'agit d'une forme conventionnelle du pouvoir.

 

     Ensuite, le pouvoir peut être vue comme un moyen de

pression face aux ouvriers qui s'opposent à l'organisation. C'est

davantage à ce niveau qu'une différence peut être faite entre la

D.I.T. et la division classique du travail, car nous croyons que

la D.I.T., vu son rayonnement mondial, permet de diviser

davantage les ouvriers en cas de conflit que ne le fait la

division du travail. La question qui se pose alors est de savoir

quels moyens offrent chacune de ces stratégies pour faire

pression sur les ouvriers en cas de conflit, sans quoi nous ne

saurons pas si il y a une différence entre les deux, ni si la

D.I.T. constitue vraiment une stratégie de pouvoir supérieure.

 

     D'abord, la division classique du travail ne correspondant

pas à une division socio‑politique et géographique des ouvriers,

elle semble offrir peu de pouvoir en cas de conflit. Cependant

ceci mérite une explication plus étoffée, car il s'agit là d'un

point de vue bien précis.

 

     Nous croyons que la division du travail constitue une

barrière à l'organisation des ouvriers au sein de l'entreprise,

car plus ceux‑ci sont divisés, c'est‑à‑dire plus il y a de titres

d'emplois, plus leur regroupement au sein d'un syndicat est

difficile. Ainsi chez Polaroid, où il y a 2 100 titres d'emplois

pour 6 397 travailleurs horaires (auxquels s'ajoutent 3 016

autres travailleurs payés sur une base salariale fixe), il n'y a

pas de syndicat. (Edwards, 1979)

 

     Cependant, cette division n'est pas suffisante pour empêcher

les ouvriers de s'organiser. Ceux‑ci peuvent toujours se

syndiquer sur la base de leur appartenance à une même firme. Le

pouvoir de l'entreprise risque alors de s'effriter en cas de

conflit. De fait, du moment où une majorité, sinon l'ensemble,

des ouvriers d'une entreprise coordonnent leur action dans un

conflit ouvert, les moyens utilisés pour les diviser au niveau du

travail (classification, départementalisation, etc.) perdent leur

vigueur, car il y a entente entre les ouvriers hors de ces

divisions artificielles. Et si il y a grève, ceci élimine toutes

les formes de pression que l'entreprise peut exercer sur les

travailleurs grâce  à la division du travail, car il y a absence

de travail. Ainsi, si la division du travail est un moyen de

division des ouvriers à l'intérieur de la firme, là s'arrête son

pouvoir, car si les ouvriers passent outre à ses règles (moyens

de pression) ou au travail (grève) elle n'a plus d'effet. C'est

d'ailleurs pour cela que dans la plupart des conflits les

entreprises s'en remettent à d'autres méthodes ‑‑ gorilles, chien

de garde, menace de fermeture, etc. ‑‑ pour faire pression sur

les ouvriers. Elles savent bien que la division du travail est

inutile dans ces cas là. En conséquence, nous pouvons retenir que

la division classique du travail n'est pas une méthode de pouvoir

au sens coercitif du terme, mais une méthode de pouvoir au sens

social, car elle hiérarchise les membres de l'organisation.

D'ailleurs, même lorsqu'il n'y a pas de conflit, la division

classique du travail n'est pas suffisante comme moyen de

pression. Ainsi,  pour accroître le rendement des ouvriers,

l'entreprise doit avoir recours à d'autres formes plus

coercitives et incitatives de pouvoir telles que la coercition

(menace de suspension ou de renvoi), la rémunération (paiement

aux pièces et bonis), les cadences (chronométrage, feuilles de

temps, etc.), et la technologie (chaîne de montage, robotique)

pour atteindre ce but.

 

     La question qui se pose maintenant est de savoir si la

D.I.T. est un meilleur moyen de pouvoir que la division classique

du travail en cas de conflit. Celle‑ci permet‑elle à une F.M.N.

de diviser ses ouvriers au niveau mondial et de les opposer les

uns aux autres dans ces cas là?

 

     Premièrement, en période de conflit la Division Internationale du Travail permet d'approvisionner un marché où il

y a grève à partir de la production des filiales étrangères, ce

qui constitue une menace réelle pour les ouvriers en grève. Ce

n'est pas le moyen le plus dur, mais il a fait ses preuves.

Ainsi, en 1966, la firme Goodyear avait constitué une provision

de pneus à sa filiale suédoise pour éviter une grève aux Etats‑

Unis, ce qui a réussi. Un an plus tard la même stratégie fut

reprise avec autant de succès face à ses employés allemands.

(Tugendhat, 1981)

 

     Le second moyen de pression que la D.I.T. permet d'utiliser

face à des ouvriers "récalcitrants" est la menace de faire tous

ses nouveaux investissements ailleurs, où elle juge le climat

plus favorable. Ford en fournit un bon exemple. En effet, lorsque

Henry Ford II est allé à Londres en 1971 pour annoncer de

nouveaux investissements, il y avait une grève à l'usine de

Dagenham. Il a alors dit à la télévision qu'il allait faire ses

investissements en Allemagne. Les syndicats britanniques et

allemands, qui étaient alors réunis à Londres pour la réunion du

Conseil des travailleurs Ford, se sont dès lors entendus pour

refuser un tel transfert. Quand Henry Ford II a appris cela, il a

dit que son voyage en Allemagne était "un prélude" à son

objectif: "chercher un autre pays pour ses investissements". Il a

finalement trouvé l'Espagne du dictateur Franco. (Bénédict, 1983,

p. 164)

 

     Le troisième moyen de pression que la D.I.T. donne aux

F.M.N. en cas de conflit est celui de menacer ses ouvriers

d'investir ailleurs et de laisser ses installations locales se

déprécier. Ceci équivaut à une menace de fermeture à retardement.

Ce moyen fut par exemple utilisé en 1968 chez Massey‑Ferguson. En

effet, cette entreprise avait alors menacé ses ouvriers canadiens

de laisser leur usine dépérir et de faire tous ses nouveaux

investissements aux Etats‑Unis s'ils n'abandonnaient pas l'idée

d'un salaire égal à celui des travailleurs américains.

(Tugendhat, 1981)

 

     Enfin, la pression la plus forte que la D.I.T. permet

d'exercer sur ses ouvriers est de littéralement fermer ses

installations et de les transférer dans une autre région où elle

juge les conditions plus favorables. C'est cependant un cas

extrêmement rare. Mais le Québec en a connu une de ses

manifestations les plus spectaculaires: suite à la

syndicalisation de ses employés la compagnie Ser Vaas, la seule

firme de recyclage du caoutchouc au pays, "a déménagé en

catimini, à la faveur de la nuit, au cours de la fin de semaine

du 26 et 27 octobre dernier", du Québec vers l'Ontario. (9)

 

     Dans cette perspective, la D.I.T. semble réellement

constituer une forme de pouvoir coercitif, un moyen de diviser et

d'opposer les employés d'une même multinationale en cas de

conflit. En toute logique:

 

     If a company decides to expand the capacity of its Belgian

     plants, for instance, at twice the rate of its British and

     German factories and to transfer certain operations from

     Britain and Germany to Belgium, the British and German

     workers may object but it is inconceivable that the Belgians

     would join their protests. (Tugendhat, 1981, pp. 221‑2)

 

 

C'est là un point en faveur de l'idée que la D.I.T. constitue un

pouvoir de division des ouvriers.

 

     Cependant, la réalité n'étant pas souvent réductible à un

seul aspect, il faut souligner ici que ce type d'organisation

peut aussi aider les ouvriers lors d'un conflit. C'est le

"contre‑pouvoir multinational" pour reprendre le titre d'un livre

sur le sujet. (Levinson, 1974) Celui‑ci se manifeste de deux

façons.

 

     Dans le cas de la division internationale du travail

(d.i.t.), les ouvriers d'une filiale qui fabrique seule un 

produit pour l'ensemble du marché d'une F.M.N. peuvent bloquer

une production très rentable au plan mondial lors d'un conflit de

travail. Et s'il s'agit d'un nouveau produit leur réussite sera

encore plus grande, car l'entreprise ne pourra pas répliquer avec

des produits semblables. Ce fut par exemple le cas chez Ford

lorsqu'il y eut une grève en Grande‑Bretagne qui coïncidait avec

le lancement de la Capri. Ford a alors perdu 69 millions de

dollars pour ses installations britaniques et 26,4 millions de

dollars pour  ses autres installations européennes qui devaient

faire des pièces pour ce modèle de voiture. (Tugendhat, 1981)

 

     Dans le cas de la nouvelle division internationale du

travail (n.d.i.t.) la situation est encore plus dramatique pour

l'entreprise, car les employés d'un plan en grève peuvent bloquer

sa production mondiale en bloquant  la fabrication de pièces

majeures pour l'entreprise. Ainsi chez G.M.:

 

     Such was the case when a group of union members stopped

     production and occupied one of the most critical  plants in

     G.M.'s entire empire: the Flint plant, which produced the

     bulk of Chevrolet engines. With these occupations auto

     workers succeded in crippling General Motors' car production

     and the corporation's rate of output decreased from 50 000

     cars per month in December to only 125 for the first week of

     February. G.M. was not only losing money but even possibly a

     "permanent share of the market to its competitors" (10).

     (Arrighi and Silver, 1984, pp. 194‑5)

 

 

Ainsi, la force de cette stratégie, la division, constitue en

même temps son point faible, car les ouvriers peuvent profiter de

celle‑ci pour bloquer l'ensemble de la production d'une

entreprise en ne bloquant que quelques usines stratégiques.

 

     Naturellement, les multinationales se sont aperçues de cette

faiblesse. Elles ont alors tenté d'y remédier en doublant leurs

installations les plus importantes, ce qui constitue cependant

une assurance coûteuse. (Tugendhat, 1981; Piore et Sabel, 1984;

Shaiken, 1986) Et elle n'est pas garantie. En effet, les

syndicats peuvent eux aussi adopter cette stratégie. Les

entreprises doivent alors faire face à des conflits

multinationaux. Ce fut notamment le cas à la Saint‑Gobain en

1969. Suite à des transactions entre B.S.N. et la Saint‑Gobain,

la Fédération Internationale de la Chimie a pris connaissance des

profits réels de l'entreprise. Charles Levinson, le secrétaire de

cette Fédération, convoqua alors tous les syndicats de

l'entreprise à Genève pour juger d'un plan d'action commun pour

les groupes en négociation soit ceux de France, des Etats‑Unis,

d'Italie, et de R.F.A. Il fut alors décidé qu'aucun des syndicats

ne signerait d'accord tant que tous les autres n'auraient pas

réglé. Quant aux syndicats où il n'y avait pas de négociation,

ils se sont engagés à ne pas faire de temps supplémentaires qui

servirait à suppléer l'absence de production des filiales où il y

avait grève. Ce conflit fut finalement réglé, après quelques

semaines, à l'avantage des ouvriers. (Turner, 1971; Levinson,

1974; Tugendhat, 1981) Ceci montre bien qu'au pouvoir des F.M.N.

peut s'opposer un pouvoir syndical à condition que les syndicats

coordonnent ensemble leur action. Et les syndicats mondiaux,

comme ceux de la chimie ou de la métallurgie, sont en position

pour le faire.

 

     Ainsi, si la D.I.T. s'applique d'abord et avant tout dans un

but de pouvoir sur les ouvriers, on ne peut conclure à son succès

complet. En effet, si dans certains cas les ouvriers doivent se

plier à cette menace, dans d'autres ils peuvent avoir le dernier

mot. Ce n'est pas davantage une question de secteur industriel

puisque pour une même industrie certaines firmes sont syndiquées

et d'autres non. Et pourquoi une firme non syndiquée utiliserait‑

elle la D.I.T. pour briser un syndicat fantôme? Quant aux firmes

où il y a un syndicat, quelle logique expliquerait des

investissements de plusieurs dizaines de millions de dollars pour

briser une grève de quelques semaines, sans oublier que leurs

nouveaux ouvriers pourraient à leur tour en venir à faire la

grève. Enfin, qu'est‑ce qui expliquerait qu'une firme qui se dit

rationnelle investisse des millions dans des installations pour

les déménager ensuite? Il n'y en a aucune. Il n'est d'ailleurs

pas rare que ces menaces soient oubliées suite au règlement d'un

conflit. Ainsi, quelques mois après la grève de 1971 des ouvriers

de Ford Grande‑Bretagne, où la direction avait menacé de ne plus

investir, l'usine de moteur fut quand même agrandie. La direction

de Ford n'avait pas le choix, car une usine neuve aurait été

beaucoup plus coûteuse que  l'agrandissement d'une usine déjà

existante. (Turner, 1971) Vu ainsi la D.I.T. représente davantage

un moyen de pression sur les ouvriers qu'un véritable pouvoir à

moins que ces menaces ne s'adressent à des installations

désuètes. Le but premier de la D.I.T. n'est donc pas le pouvoir

sur les ouvriers. C'est là un rôle de second ordre.

 

     La D.I.T. représente cependant un pouvoir politique. Celui‑

ci se manifeste de deux façons. D'une part, elle protège les

installations des F.M.N. contre les coups d'Etat et les projets

de nationalisation en les rendant inutiles hors de leur réseau,

car seule la F.M.N. peut fournir les entrants ("in‑puts")

nécessaires au bon fonctionnement de chacune de ses filiales.

Ainsi, si un Etat ou un groupe politique s'empare d'une de ses

filiales elle ne lui sera que de peu d'utilité, ne recevant pas

les entrants nécessaires à sa production et se voyant fermer les

réseaux d'accès de la firme. Ils seront alors pris avec des

équipements inutiles, surtout s'ils ne servaient qu'à faire une

seule composante. La F.M.N. aura gagné, car la D.I.T. aura

atteint son but: rendre ses installations difficiles à

nationaliser. (Turner, 1971; Michalet, 1976, 1979)

 

     D'autre part, la D.I.T. permet aussi d'exercer des pressions

sur un Etat si celui‑ci veut entraver ses objectifs par une loi.

Par exemple, Ford a récemment menacé le gouvernement américain de

déménager la production de ses moteurs de grosses cylindrées au

Mexique si les règlements concernant la consommation d'essence ne

sont pas assouplis de manière à éviter les centaines de milliers

de dollars de pénalités qu'elle pourrait encourir à cause de ces

règlements. (11) Cependant, dans les faits, une telle menace ne

sera appliquée que si l'entreprise estime qu'il lui en coûtera

moins de la tenir que de se soumettre. Tout est question du

rapport coût/bénéfice qui en sera fait. Tout dépend des

investissements en jeu, de la durée de vie prévue du produit, des

coûts d'une localisation (salaire, impôts, etc.), et de la

protection qu'elle a sur ces produits.

 

     Nous pouvons ainsi conclure que la D.I.T. est d'abord une

stratégie économique, car elle sert à produire là où il est le

plus rentable de le faire et où la protection qu'elle a sur ses

produits est la meilleure. Ensuite elle constitue une protection

politique, car elle sert à rendre ses installations difficiles à

nationaliser en les rendant dépendantes de son réseau. Enfin elle

constitue une stratégie de pouvoir, car elle permet de menacer

ses ouvriers ou les Etats nations d'une délocalisation/

relocalisation s'ils agissent à l'encontre de ses intérêts. Mais

cette menace n'est valable que si l'intérêt économique de

l'entreprise est en jeu, sinon elle ne la tiendra pas. Ce n'est

alors qu'un stratège, le but premier de l'entreprise étant le

profit. Cependant, si la firme sait qu'ailleurs elle peut obtenir

un profit supérieur, cette menace peut être considérée comme

sérieuse. A la limite  elle peut n'être qu'un alibi à une

décision déjà prise pour des motifs de profit. C'est dire

l'importance qu'a l'aspect économique dans l'usage de la D.I.T.

Quant à la notion de pouvoir, elle est nettement moins

importante.

 

     Ceci complète ce que nous pouvons retenir de la D.I.T.

Voyons maintenant ce qu'il en est des nouvelles formes

d'organisation du travail, son complément selon notre question de

départ.  

 

 

 

Chapitre II

 

 

Les nouvelles formes

d'organisation du travail

 

 

 

     La principale question de cette étude, et l'objet de ce chapitre, est de savoir si la Division Internationale du Travail et les nouvelles formes d'organisation du travail (N.F.O.T.) font partie d'une même stratégie. Pour répondre à cette question nous regarderons si les N.F.O.T. s'appliquent sans la D.I.T. Quels que soit le cas, nous en rechercherons les raisons. Mais auparavant il nous faut définir les N.F.O.T. et montrer leurs origines.

 

2.1. De la définition des nouvelles formes d'organisation du

travail

       

     Les N.F.O.T. peuvent être définies comme des aménagements à l'organisation traditionnelle du travail qui ont pour but de redonner une forme professionnelle au travail manufacturier, à recréer une ambiance de métier. Cela se fait par l'enrichissement des tâches dont les formes les plus connues sont:                        

     ‑L'élargissement des tâches, c'est‑à‑dire que l'ouvrier fait le travail en aval et en amont de sa tâche comme, par   exemple, son inventaire et ses commandes de pièces; les tâches qui sont complémentaires, tels que l'ensemble des   montages que nécessite un travail (par exemple le montage   entier d'un clavier d'ordinateur); et, enfin, la     vérification de son travail fini.

      

     ‑Les groupes semi‑autonomes, c'est‑à‑dire que les ouvriers    d'une même équipe de travail ont une tâche complète à faire,    par exemple le montage d'un train avant d'automobile, et sont libres de se répartir cette tâche comme ils   l'entendent, en autant que celle‑ci soit fait en respectant    les normes de temps et de qualité de l'entreprise.

 

     ‑La rotation de poste, c'est‑à‑dire qu'après un certain   temps à un poste donné (par exemple 6 mois) les ouvriers   changent de poste de travail de manière à apprendre toutes les opérations sur une longue période. Celle‑ci doit cependant se faire en combinaison avec les deux autres        formes d'enrichissement des tâches sans quoi on ne peut      parler de N.F.O.T., mais seulement d'une rotation entre des   tâches taylorisées.   

    

       

Ce sont là les N.F.O.T. les plus connues, celles dont nous parlerons le plus dans cette étude.

 

     Cependant, il ne faut pas croire que les N.F.O.T. sont le seul moyen d'encouragement au travail qui existe. Il y en a d'autres allant plus ou moins loin selon les cas, soit:

 

1. Les formes communicatives: Elles donnent l'illusion d'impliquer les travailleurs en les informant des choses de l'entreprise. Ce sont, par exemple, les assemblées d'information, les programmes de consultation des ouvriers, le journal d'entreprise, et les rencontres informelles. Ce peut aussi être la présence d'un siège réservé aux ouvriers sur le Conseil

d'administration de l'entreprise, ce qui ne leur donne aucun pouvoir réel sauf une illusion de participer aux décisions. L'ouvrier y a plutôt un rôle de "courroie de transmission", c'est‑à‑dire qu'il sert à transmettre et expliquer aux ouvriers de la base les décisions prisent par le Conseil d'administration.

(Vaillancourt et Vaillancourt, 1981)

 

2. Les formes économiques et rémunératives: Ce sont des encouragements à produire plus et mieux ‑‑ une diminution des pertes équivalant ici à une hausse de rendement ‑‑ en échange d'avantages économiques ou d'un sentiment de propriété. Les moyens qui décrivent le mieux cette forme incitative sont le partage des profits et l'actionnariat. Ce sont les équivalents

modernes des bonis. Dans quelques cas, comme chez Eastern Airlines, l'entreprise peut y ajouter une confiscation du salaire (elle est de 3,5% chez Eastern) si les objectifs ne sont pas atteints. La réduction du temps de travail fait aussi partie de

cette catégorie, car en échange d'une hausse de productivité les ouvriers travaillent moins d'heures par semaine  ou obtiennent des vacances supplémentaires pour un même salaire, ce qui constitue une bonification indirecte de leur salaire. (Vaillancourt et Vaillancourt, 1981; Meadows, 1984; Morville, 1985)

 

3. Les N.F.O.T.: Ce sont les aménagements à l'organisation traditionnelle du travail dont nous avons parlé plus haut. Quant à leurs buts, c'est ce dont nous parlerons dans la suite de ce chapitre.

 

4. Les nouvelles formes de gestion: Ce sont des formes de gestion dans lesquelles les ouvriers peuvent pleinement participer aux décisions. Ces nouvelles formes de gestion sont la cogestion, où les ouvriers peuvent discuter avec les administrateurs en place

des choix à prendre et de leurs conséquences; l'autogestion, où les ouvriers choisissent parmi un ensemble de possibilités qui leurs sont soumises par leur Conseil d'administration ou des conseillers professionnels celles qui leurs semblent les plus conformes à leurs buts et idéaux; et le coopératisme, où les membres coopérants doivent prendre les décisions en assemblée générale. (Chauvey, 1970; Baumgartner, Burns, et De Ville, 1979; Demoustier, 1984) Ce sont cependant des idéals‑types, car si les intellectuels en parlent, les cas pratiques sont plutôt rares.

Seules les coopératives de production existent, et dans plusieurs cas la coopération est si faible que les décisions incombent souvent aux professionnels et aux délégués, la plupart des membres se contentant de recevoir les informations et d'entériner les décisions des gestionnaires en place. (Demoustier, 1984)

 

 

       

     Ces formes d'encouragement au travail ne jouissent pas toutes de la même faveur patronale. Les nouvelles formes de gestion sont ainsi beaucoup plus discutées qu'utilisées sauf pour les coopératives de production qui ont une certaine popularité en Europe. (Demoustier, 1984) Les formes rémunératives et communicatives, quant à elles, sont beaucoup plus populaires, car elles incitent à une plus grande productivité et à un attachement à l'entreprise sans remettre en cause sa structure de direction. Enfin, les N.F.O.T. constituent un moyen terme entre toutes ces formes d'encouragement au travail, car si elles accroissent la productivité elles donnent aussi un plus grand rôle à l'ouvrier. Elles prennent d'ailleurs de la popularité. Cependant, elles sont encore loin de s'appliquer partout. Nous verrons pourquoi dans la

suite de cette étude.

 

2.2. Historique des nouvelles formes d'organisation travail

 

     Si les N.F.O.T. sont apparues au cours des années 70 dans les entreprises, elles étaient cependant connues depuis longtemps dans les milieux universitaires et chez les consultants en organisation. Par exemple, l'expérience de Hawthorne, qui fut menée de 1927 à 1932, avait déjà permis:

 

 

     ... a refutation of the scientific management assumptions     about motivation. Conditions of work, fatigue, and pay were     secondary factors in comparison to the human elements of     work. (Tausky, 1970, p. 48)

 

Des expériences menées dans les usines de guerre ont ensuite

démontré que des ouvriers dépourvus de toute qualification

technique pouvaient exécuter avec succès un travail qualifié.

 

 

     C'est ainsi qu'aux usines Cadillac de Détroit, des ouvrières noires, entièrement dépourvues de qualification et d'expérience industrielles, étaient chargées de fabriquer un élément d'avion en aluminium exigeant une haute précision.   Chacune d'elle terminait entièrement une pièce, travaillant   d'après une fiche portant trois séries d'instructions: la      prochaine opération à effectuer, les précaution nécessaires   avant de l'entreprendre (vitesse, température, etc.) et    celles après l'avoir achevée. (...) En fait, il n'était pas     plus difficile de les en instruire qu'il ne l'eut été de les   dresser au travail à la chaîne orthodoxe. Et pourtant,      celui‑ci se trouvait dépassé par un élargissement de la     tâche dont la relative variété mettait successivement en mouvement toute une gamme de muscles. (Friedmann, 1964, pp. 91‑2)

 

 

Cependant, après la guerre ces expériences furent oubliées.

L'organisation scientifique du travail (O.S.T.) revenait en force dans les ateliers.

 

     Toutefois, ces expériences avaient laissé des marques dans les milieux universitaires. Plusieurs chercheurs ont alors vérifié si les ouvriers étaient satisfait de leur travail. La réponse fut négative. Par exemple Guest et Walker ont montré que les ouvriers du secteur automobile étaient insatisfaits de la production de masse et qu'il en résultait de l'absentéisme, du roulement, et des grèves. (1) Les chercheurs ont alors tenté de savoir comment accroître la satisfaction des ouvriers industriels pour résoudre ces problèmes. Ce fut le coup d'envoi du courant des relations humaines, qui est apparu dans les années 50 tant aux Etats‑Unis qu'en Angleterre. (Tausky, 1970; Hill, 1982)

 

     D'abord, aux Etats‑Unis Mc Gregor remettait en cause le taylorisme qui "reflétait la croyance ‑‑ théorie X ‑‑ que les gens n'aimaient pas le travail et demandaient à éviter les responsabilités" (Burk, 1984a, p. 65). Cette théorie, qu'il appela "Y", se résumait à reconnaître que l'ouvrier est un actif pour l'entreprise qui l'emploi et que celui‑ci doit avoir une tâche intéressante et faisant appel à la plupart de ses capacités pour donner un bon rendement. (Tausky, 1970) Pour lui il était clair que "le travail est aussi naturel que de jouer ou de dormir" et que "l'homme demande des responsabilités" (Burk, 1984a, p. 65). Il proposa donc de donner des tâches plus complètes et plus complexes aux ouvriers pour résoudre ces problèmes. (Tausky, 1970)

 

     Ensuite, et à la même époque, c'est en Angleterre que des membres du Tavistock Institute of Human Relation, Emery et Trist, ont montré que le profit de l'entreprise peut  être accru si les ouvriers sont satisfaits de leur travail. Ils recommandaient alors le regroupement des tâches et la création de groupes de travail pour améliorer la qualité du travail. Ils rejetaient aussi l'argument du déterminisme technologique, car pour eux toute technologie offre "un élément de choix pour mettre sur pied une organisation du travail" (Emery et Trist, 1983, p. 309). Ainsi le travail parcellaire était remis en cause, car rien ne justifiait son existence à leurs yeux, même pas les machines. Ils concluaient d'ailleurs que:

 

 

     ... a firm's profitability can be improved by designing work      organisation in a way which optimises the satisfaction of     human needs within the limits of what is possible in a given    technology. Specifically, they believe that people will work     more productively and with less grievance activity (...) if their work tasks are satisfying and their social environment     is supportive. They recommend that work tasks be reorganised     to reduce fragmentation and specialisation, ..., in that a             person completes the whole of an operation rather than just               one part. (Hill, 1982, pp.88‑89)

 

     Cependant, ces courants n'ont pas fait de révolution dans le domaine de l'organisation du travail. Les chefs d'entreprises préféraient toujours l'O.S.T. et le fordisme malgré leurs problèmes. Deux raisons expliquent cela. D'abord il y avait la peur que les ouvriers exigent des salaires plus élevés, car ils deviendraient davantage "indispensables" avec des tâches élargies. Ensuite, les entrepreneurs considéraient que les coûts plus élevés de formation ne seraient jamais compensés par les hausses de productivité.

 

        Par contre, à la fin des années 60, avec l'accentuation des problèmes existants (absentéisme, roulement, sabotage, alcoolisme, etc.) chez les ouvriers, le refus de travailler de la part des jeunes, et la concurrence étrangère accrue (ce qui exige une plus grande productivité et une meilleure qualité du produit), les entreprises se devaient de trouver une solution à ces problèmes. L'une d'elle était les N.F.O.T. qu'elles avaient rejetées jusque‑là. Les N.F.O.T. ont ainsi fait leur apparition dans l'industrie près de 40 ans après l'expérience de Hawthorne. Cependant, ce ne fut qu'une minorité d'entreprises qui les ont adoptées.

 

     Conséquemment, il faut souligner ici que ces N.F.O.T. ne sont pas imputables à Ouchi comme trop d'auteurs le croient. Par contre, il faut reconnaître qu'après la publication de "Z theory" (1981) une forte croissance de leur utilisation fut enregistrée. Ainsi, en France, l'expérience des Cercles de qualités, qui fut introduites en 1971 aux usines Saunier‑Duval,  s'étend à 180 firmes en  1975 et à près de 10 000 établissements en 1984. (Morville, 1985, p. 49) Il en fut de même au Canada, aux Etats‑Unis, et au Québec, où les N.F.O.T. furent introduites bien avant qu'on ne parle de sa théorie. Mais, dans ces pays comme en France, ce n'est qu'après lui qu'elles connurent une forte croissance. (Pignon et Querzola, 1973; Durand, 1978; Bernier, 1982; Drucker, 1983) Là est son apport. Nous devons le reconnaître. 

 

2.3. Des conditions nécessaires à la réussite des nouvelles

formes d'organisation du travail

 

     Si les nouvelles formes d'organisation du travail sont apparues un choix intéressant pour plusieurs entreprises à la fin des années 60 et au début des années 70, ce ne sont pas toutes les entreprises qui connurent le succès avec celles‑ci. Certaines ont su, il est vrai, maintenir et élargir ces expériences au point qu'elles sont devenues leur politique d'organisation du travail, mais d'autres, inversement, ont connu l'échec avec celles‑ci et les ont abandonnées. (Pignon et Querzola, 1973; Durand, 1978) Quant aux raisons de tels échecs, peu d'auteurs les ont analysé. Pour notre part nous croyons que quatre causes les expliquent, soit que:

 

1. Les conditions extrinsèques du travail ne sont pas jugées satisfaisantes par les ouvriers de l'entreprise;

 

2. Les N.F.O.T. ne s'adressent qu'à un groupe restreint à l'intérieur de l'atelier ou de l'entreprise;

 

3. Les ouvriers ont peur qu'il y ait des licenciements;

 

4. Les cadres intermédiaires s'y opposent ayant peur de voir les N.F.O.T. devenir la cause de leur congédiement, car plus les ouvriers sont autonomes meilleur est leur rendement.

 

 

 

     D'abord, avant d'améliorer les conditions intrinsèques du travail, soit "le contenu du travail lui‑même", il faut que les employés bénéficient déjà de bonnes conditions extrinsèques de travail, c'est‑à‑dire "un bon contexte de travail ce qui inclut des facettes aussi variées que la paye, la supervision, et la sécurité du travail" (2), car l'homme vise d'abord l'amélioration de son mode de vie (logement, nourriture, loisirs, etc.) avant d'accorder davantage d'importance à ses conditions de travail (travail parcellaire ou élargi, obéissance aux ordres ou prise de décision, etc.). En conséquence, l'utilisation des N.F.O.T. ne peut réussir qu'en autant que les employés bénéficient déjà de bonnes conditions extrinsèques de travail. Ceci peut favoriser les F.M.N., car celles‑ci paient généralement des salaires plus élevés et offrent de meilleurs bénéfices marginaux que les P.M.E. et les entreprises nationales. (Barnet et Muller, 1974) Inversement, dans le cas des entreprises locales et nationales, où les conditions extrinsèques de travail sont plus faibles, les

employés préfèrent monnayer leurs mauvaises conditions de travail au lieu de chercher à les améliorer. (Durand, 1978) Dans certains cas ceci relève même de l'anomie. Par exemple, un ingénieur syndicaliste rapporte que:

 

     "Des gens empoussiérés à 40% disaient: "Dans la nouvelle installation on n'aura pas de prime de poussière." Et des    ouvriers de chantier préféraient travailler sur une    charpente sans filet pour avoir une prime de risque."        (Durand, 1978, p. 88)

 

 

 

     Deuxièmement, il faut que l'entreprise amenuise les tensions que les N.F.O.T. créent entre différents départements par leur nature exclusive, car les N.F.O.T. n'étant pas applicables à l'ensemble des activités d'une entreprise (par exemple le montage de composantes simples comme des semi‑conducteurs) la tension pourrait monter dans les secteurs où elles ne s'appliquent pas et il en résulterait des hausses d'absentéisme, de roulement, et de sabotage. Au lieu de résoudre les problèmes pour lesquels elles auraient été introduites, elles les accentueraient. (Durand, 1978) La solution consisterait alors à relocaliser ailleurs ce travail auquel les N.F.O.T. ne s'appliquent pas. Ceci favorise nettement les entreprises multinationales, car elles peuvent utiliser la D.I.T. pour relocaliser ces productions à la Périphérie, où la main‑d'oeuvre est moins dispendieuse qu'au Centre et où les conditions socio‑politiques (dictature, absence de législation sur le travail, condamnation du syndicalisme) ne favorisent pas les revendications ouvrières. Ainsi les ouvriers

du Centre peuvent tous bénéficier des mêmes conditions de travail sans que la production globale de la firme n'en soit affectée, les ouvriers de la Périphérie faisant le travail qu'eux ne font pas. Inversement, dans les entreprises locales et nationales une telle politique serait difficile à maintenir, car tous les ouvriers voudraient bénéficier des mêmes conditions de travail, ce à quoi l'entreprise ne pourrait pas accéder le travail déqualifié devant lui aussi être fait. L'entreprise devrait alors reculer sur ce point, ce qui ferait avorter les N.F.O.T. Pour cette raison nous croyons que les N.F.O.T. concernent principalement les F.M.N. et très peu les entreprises locales ou nationales.

 

     Troisièmement, cette politique pourrait remettre en cause le premier facteur extrinsèque du travail, la sécurité d'emploi et de revenu des ouvriers, car une diminution de la quantité de travail peut être liée aux hausses de productivité dues aux N.F.O.T. et à la relocalisation des tâches auxquelles elles ne s'appliquent pas. En conséquence  les travailleurs pourraient les refuser. Pour que celles‑ci deviennent acceptables l'entreprise se doit de garantir l'emploi ou d'assurer une compensation à ceux qui la quitteront (préretraite ou prime de départ). Cette condition semblent favoriser les entreprises en expansion et les F.M.N., car elles ont davantage de possibilités de replacer leurs ouvriers dans d'autres tâches ou de les "récompenser" s'ils quittent leur emploi sur demande.

 

     Enfin, il ne faut pas sous‑estimer la question des cadres intermédiaires et de gérance, car c'est là que se situe souvent le problème de l'application des N.F.O.T. une fois les autres

questions résolues. Comme les fonctions de vérificateurs, d'ajusteurs, d'inspecteurs, de chef d'équipe, et parfois de contremaîtres deviennent une surcharge pour l'entreprise qui élargit les tâches de ses ouvriers, ceux‑ci tenteront d'en bloquer l'utilisation pour sauver leurs postes. La solution consiste alors à en relocaliser ailleurs, à promouvoir certains d'entre eux à des postes plus élevés, et à favoriser des retraites anticipées pour ceux qui le désirent, ce qui est encore à l'avantage des F.M.N. et des entreprises en expansion.

 

     A ce sujet il est intéressant de citer le cas d'I.B.M. qui semble illustrer parfaitement les conditions que nous venons de fixer. Premièrement, les employés de cette firme bénéficient tous de bonnes conditions de travail, car il est reconnu que "des compagnies comme I.B.M., pour exclure les syndicats, paient plus que les entreprises locales" (Barnet et Muller, 1974, p. 314). Deuxièmement, cette firme possède des installations dans plusieurs P.V.D. et peut ainsi y faire exécuter des travaux moins qualifiés. (Turner, 1971) Enfin, comme elle connaît une expansion continue de son marché, elle peut conserver tout son personnel et même en engager d'autres.(3)  Ainsi I.B.M. répond à toutes les

conditions pour appliquer les N.F.O.T. et elle les applique

effectivement. Cette entreprise est d'ailleurs une pionnière en ce domaine, sa première expérience remontant aux années 50 à l'usine d'Endicott dans l'Etat de New‑York. (4)

    

     En conséquence, nous croyons que les N.F.O.T. s'appliquent mieux dans les F.M.N. que les entreprises locales et nationales, car il est beaucoup plus facile pour elles de répondre à ces dispositions. Cependant, cette hypothèse peut ne pas être fondée. C'est ce qu'il nous faut voir maintenant.

 

2.4. L'utilisation des nouvelles formes d'organisation du travail: la réalité

 

     A première vue les nouvelles formes d'organisation du travail semblent l'affaire exclusive des F.M.N. En effet, les cas les plus connus ne sont‑ils pas ceux d'I.B.M., de G.M., de Procter & Gamble, et de quelques autres multinationales. Mais depuis quelques années l'on parle de plus en plus d'élargissement des tâches, de qualité de vie au  travail (Q.V.T.), et de l'approche socio‑technique dans tous les milieux industriels. En conséquence, il est clair que des P.M.E. en sont aussi au courant. On peut alors croire que certaines d'entre elles les ont essayé et peut être même adopté. C'est ce que nous allons vérifier ici.

 

     Ainsi, contrairement à nos attentes, les N.F.O.T. pourraient s'appliquer aussi bien dans les P.M.E. que les F.M.N. Conséquemment, par rapport aux conditions que nous avons formulé plus haut, certaines questions se posent:

 

‑ Comment les P.M.E. et les entreprises nationales qui les appliquent font‑elles pour offrir de bonnes conditions extrinsèques de travail à leurs ouvriers?

 

‑ Comment réussissent‑elles à être juste envers tous leurs employés sans délocaliser les productions standardisées?

 

‑ Comment font‑elles pour que leurs ouvriers ne revendiquent pas davantage de pouvoirs ou ne les concurrencent pas une fois qu'ils maîtrisent le processus de production?                       

 

 

C'est ce à quoi nous devrons répondre pour savoir si ce sont là des exceptions ou la règle.

 

     Nous soutenions précédemment que les F.M.N. ont davantage de chances d'offrir de bonnes conditions extrinsèques de travail à leurs employés que les firmes locales ou nationales, car, vu leur position oligopoliste, elles sont mieux placées qu'elles pour en passer le coût aux consommateurs. Une question se pose alors: comment une entreprise nationale peut‑elle en faire autant? La réponse est simple: il faut qu'elle offre un produit pour lequel il y a peu de concurrence ou qu'elle soit ingénieuse, c'est‑à‑dire qu'elle trouve des solutions peu coûteuses pour arriver au même but. A première vue ceci semble peu réaliste, mais tel n'est pas le cas. Prenons l'exemple de l'automobile. Quant on regarde toutes les entreprises qui gravitent autour de ce secteur on constate que certaines d'entre elles, comme la métallurgie, font face à une forte concurrence mondiale qui les oblige à concéder peu d'avantages supérieur à la moyenne de la branche à leurs employés alors que pour des firmes de secteurs moins concurrentiels, comme la fabrication de certains accessoires (miroirs, injecteurs, turbocompresseurs, etc.), il est plus facile de donner de meilleures conditions extrinsèques de travail aux ouvriers et d'en passer le coût aux consommateurs, que ce soit directement par la commercialisation de leurs produits ou indirectement par l'intermédiaire des fabricants. Mais, ce qui est davantage important c'est d'obtenir la collaboration des employés pour réduire les dépenses. C'est ce qu'a réussi la Donnelly Mirrors, une entreprise nationale (5) qui fournit 80% des miroirs utilisés dans l'industrie automobile américaine. Ainsi, lors de la négociation des salaires la direction demande à chaque département de faire un bilan dans lequel sont présentés les économies réalisables par chacun d'eux. Sur la base de ces économies les augmentations salariales demandées sont acceptées ou renégociées. Par exemple, suite à cette procédure, en 1970, une augmentation de 11% a été immédiatement accordée aux ouvriers. (Pignon et Querzola, 1973)

 

     Ainsi, la première condition pour appliquer les N.F.O.T., les conditions extrinsèques de travail, n'est pas l'affaire exclusive des F.M.N. mais bien plus une question de secteur industriel et d'initiative. Elle dépend de la capacité qu'a l'entreprise d'en passer le coût aux consommateurs, d'inciter les ouvriers à réduire les dépenses inutiles, et de sa capacité d'accroître la productivité du travail, ce qui favorise nettement les secteurs modernes comme l'électricité, l'électronique, les machines‑outils, l'aéronautique, et certains secteurs connexes. C'est ainsi que des firmes comme I.B.M. ou Olivetti sont favorisées tout comme le sont des entreprises plus petites telles que la Donnelly, qui, même si elles ne sont pas des plus modernes, sont monopolistes et ingénieuses.

 

     La preuve inverse peut aussi être faite. Dans les secteurs traditionnels et fortement concurrentiels, où les taux de plus‑value sont faibles, peu d'entreprises, même multinationales, donneront des conditions extrinsèques de travail supérieures à celles de la branche. C'est notamment le cas dans le textile et le vêtement où les prix de revient sont un gage de succès face à la concurrence des P.V.D. même pour les F.M.N. (Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981) Ainsi, si des lois les y obligent, comme celle du salaire minimum, elles pourraient préférer déménager:

 

     Dans l'immédiat, avec le flot des importations et sans      restructuration prévue prochainement, les 600 entrepreneurs      indépendants du Québec continuent à lorgner de l'autre côté   des frontières. A Cornwall, par exemple, à la frontière ontarienne où cinq nouvelles entreprises se sont exilées du   Québec depuis un an. Mais, pour André Saint‑Pierre, c'est    Edmunston, la francophone, plutôt que l'Ontario, qu'il   choisirait. L'absence de tout comité paritaire et les      salaires plus bas compensent les coûts plus élevés du     transport. (6) 

 

     Le choix des Etats‑Unis ne serait pas à écarter non plus, surtout avec l'accord de libre échange. Et que dire des pays asiatiques, où plusieurs entreprises du Centre sont déjà installées. (Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981) La même chose est aussi vraie dans l'industrie de la chaussure, où, par exemple, des firmes américaines produisent en Espagne, les coûts étant plus bas. (Levinson, 1974, p. 59) Il est donc clair que les conditions extrinsèques de travail qu'une entreprise peut donner à ses ouvriers ne sont pas uniquement fonction de sa taille, mais sont aussi fonction de son secteur d'activité et de sa position sur le marché. Ceci explique pourquoi des P.M.E. peuvent donner de bonnes conditions extrinsèques de travail à leurs ouvriers alors que des F.M.N. ne peuvent en faire autant. Ainsi les N.F.O.T. peuvent s'appliquer autant dans les P.M.E. que les F.M.N. s'il n'en tient qu'à cette seule condition.

    

     Cependant, si les N.F.O.T. s'appliquent sans la D.I.T. on peut se demander comment les entreprises réussissent à être juste envers tous leurs employés. Comment font‑elles pour donner les même conditions intrinsèques de travail à tous ‑‑ c'est‑à‑dire des tâches élargies et plus intéressantes? La réponse est ici semblable à celle que nous avons donné à la question précédente: c'est une question de secteur industriel et d'organisation.

                       

     Ce sont d'abord les entreprises des secteurs modernes et de pointes, où les travaux sont majoritairement professionnalisées et d'avant‑gardes, qui ont le plus de chances d'appliquer les N.F.O.T. sans égard à leur taille ‑‑ locale, nationale, ou mondiale ‑‑ le produit étant nouveau ou récent mais rarement standardisé. Ceci est notamment le cas dans la micro‑informatique, où les changements sont rapides et où:

 

     Relatively minor miscalculations in design, production,   marketing, or pricing could mean brankruptcy for an   undercapitalized firm. Price cutting was the rule; the    computer which sold for $8 000 might be discounted to $4 000    within year and be considered obsolete six months later.             (Sobel, 1981, p. 297)

 

 

C'est aussi le cas dans l'aéronautique, l'électronique, la mécanique de pointe, et les industries reliées aux télécommunications, où la plupart des travaux, sinon tous les travaux, nécessitent une qualification plus élevée que la moyenne que ce soit pour en assurer la qualité ou pour les adapter aux

changements rapides du marché et de ses clients. Un exemple

intéressant est celui de la firme Leroy‑Sommer, spécialisée dans la fabrication de moteurs électriques.

 

     Fondée en 1919 à Angoulème (France) elle compte un établissement au Québec (Granby) depuis 1975. Sa structure est toutefois comparable à celle d'une P.M.E., car sa production québécoise n'a aucun rapport avec sa production française et ne vise que le marché nord‑américain. Quant aux N.F.O.T., elles s'y appliquent de trois façons.  D'abord, l'entreprise donne un cours d'interprétation des schémas de fabrication des moteurs à ses employés sur le lieu même du travail. Ensuite, la rotation des postes se fait dans chaque équipe de travail afin que chaque ouvrier "puisse connaître et exécuter toutes les tâches à l'intérieur de son atelier" (I.N.P./H.E.C., non daté, p. 4). Enfin, les employés effectuent eux‑mêmes les tests de vérification une fois le travail fini.

 

     Par contre, dans les cas où certaines tâches standardisées subsistent, deux choix s'offrent aux entreprises locales ou nationales qui veulent appliquer les N.F.O.T. D'une part elles peuvent faire exécuter ces tâches par tout leur personnel grâce à la rotation des postes. De cette façon tous les ouvriers sont traités équitablement, ce qui élimine souvent le premier frein à l'application de ces méthodes. C'est le cas à la Lawrence Cable Division du Kansas, où:

 

     ... 130 nonunion employees are grouped in ten teams, ranging from five to twenty‑eight members. Most members have no   specified jobs; they can handle most of the functions required of their team. In many cases they can also take on   indirectly related tasks, such as driving a forklift or        handling materials. (Burk, 1984c, p. 114)

 

 

D'autre part, des entreprises peuvent sous‑traiter les tâches auxquelles les N.F.O.T. ne s'appliquent pas, ce qui calque la nouvelle division internationale du travail sans avoir à investir à l'étranger. Selon Frobel, Heinrichs, et Kreye (1981) ce serait là une solution fortement utilisé même s'il n'y a pas de chiffre sur le sujet. Pour eux, ce type de production serait même plus important que le contrôle direct des moyens de production dans plusieurs parties du monde. Ceci ne signifie cependant pas que toutes les entreprises locales ou nationales le font, mais c'est là une solution techniquement possible. D'ailleurs, même des multinationales utilisant la n.d.i.t. appliquent cette stratégie pour certaines de leurs opérations non automatisables, non élargissables, et trop coûteuses à relocaliser. Par exemple dans l'automobile...

 

     Les grands constructeurs ont souvent, ..., plusieurs      milliers de fournisseurs, dont la taille varie de l'atelier      artisanal de décolletage, tels ceux de la vallée de l'Arve   (Isère) et, qui, pour certains, fonctionnent avec leur seul propriétaire; au groupe multinational employant des dizaines de milliers de personnes. (Bonnafos, Chamaront, et de   Mautort, 1983, pp. 89‑90)

 

 

     Ainsi, rien ne semble empêcher l'application des N.F.O.T. dans les secteurs industriels modernes peu importe la taille des entreprises. C'est une question de choix, à moins que celles‑ci ne remettent en cause leurs pouvoirs. C'est là notre dernière question: qu'est‑ce que les entreprises locales et nationales peuvent faire pour que leurs ouvriers ne revendiquent pas davantage de savoirs et de pouvoirs ou ne deviennent pas leurs concurrents s'ils quittent l'entreprise?

   

     Ici aussi la réponse est simple. Les entreprises pouvant appliquer les N.F.O.T. étant généralement des entreprises modernes et à Capital dominant, les ouvriers peuvent difficilement (i) revendiquer davantage de savoirs et de pouvoirs que ce que les équipements et la division du travail permettent de leur donner; (ii) imposer leur rythme à des machines; et (iii) partir à leur compte des entreprises concurrentes vu les coûts des équipements nécessaires. Regardons cela de plus près.

 

     Premièrement, avec la division classique du travail et les outils programmables (apparues au cours des années 70), qui caractérisent l'industrie moderne et à Capital dominant, les ouvriers sont enclavés dans des fonctions biens délimitées peu importe que leurs tâches soient élargies et qu'ils aient accès aux outils programmables ou aux autres équipements automatisés. [Ces équipements feront d'ailleurs l'objet du prochain chapitre.] Une part du procès de production leur échappe toujours, puisqu'il est le travail d'autres groupes professionnels: concepteurs, ingénieurs, programmeurs, auxquels s'ajoutent les tâches administratives. L'ouvrier qui fait un montage entier, par exemple un train avant d'automobile, ne peut donc pas tout comprendre de l'entreprise. Il peut alors difficilement exercer une pression sur celle‑ci au nom de sa connaissance, car il est loin du travail entier même avec des tâches élargies.

 

     La même remarque peut être reprise pour les ouvriers qui travaillent sur les outils programmables, la programmation initiale de ces équipements relevant des concepteurs de ces outils, des ingénieurs, et des programmeurs de l'entreprise. Les machines limitent ainsi les connaissances des ouvriers, une part du travail leur échappant. D'abord, ils ne connaissent pas les procédures de travail qui sont utilisées pour certaines tâches, celles‑ci se faisant de façon automatique. Ensuite, toute la programmation de ces équipements leur échappe. Ainsi le savoir et le pouvoir des ouvriers est à la fois limité par la division professionnelle du travail au sein des entreprises et l'enclavage d'une part du travail dans des automatismes. L'ouvrier sait des choses mais dans les limites que lui fixe l'entreprise, dans les

limites de la division sociale et technique du travail. Il sait pour travailler, mais ne voit pas son pouvoir accru pour autant.

 

     Deuxièmement, les équipements peuvent servir à donner un rythme à la production. Cela est inscrit dans leur programme, sinon dans leur conception. Ainsi l'ouvrier ‑‑ ou un groupe d'ouvriers ‑‑ doit suivre le rythme, car il n'y a pas de négociation possible avec un robot. Ceci assure donc un contrôle à l'entreprise et empêche les ouvriers de se servir de leur savoir pour ralentir la production.

 

     L'ouvrier doit subir le travail ‑‑ la quantité autant que la nature de son travail journalier ‑‑ comme la seule manière possible de servir une machine qui, à son tour, doit lui     apparaître comme la seule machine possible: comme la seule     solution possible aux problèmes techniques de la production.     (Gorz, 1973, p. 93)

 

     Enfin, les outils programmables empêchent les ouvriers de partir des entreprises concurrentes malgré leurs savoir‑faire, car il peut être difficile pour eux d'avoir accès aux capitaux nécessaires pour acheter les équipements que cela exige. Ainsi, même si les ouvriers de G.M. ou de Ford savaient comment fabriquer entièrement une automobile ils ne pourraient pas mettre une telle entreprise sur pied, car cela exige trop de capitaux. Par exemple, il en coûtera 20 milliards de dollars américains à Ford pour "remodeler toutes ses chaînes de production d'automobile" aux Etats‑Unis. (F.I.O.M., 1982, p. 106) Et cela n'est pas exclusif aux F.M.N.: c'est aussi vrai pour les petites entreprises. Ainsi chez Outils Coupants International de Montréal, l'agrandissement de l'atelier, l'achat de système de production intégré, et de machines outils à contrôle numérique (M.O.C.N.) a coûté 3,3 millions de dollars. (7) C'est là une protection qui permet d'appliquer les N.F.O.T. Et elle est d'autant plus importante dans les P.M.E. que la division professionnelle du travail y est beaucoup plus faible que dans les F.M.N.

 

     Quant aux entreprises nouvellement formées elles ne constituent pas nécessairement une menace pour les F.M.N., car celles‑ci occupent souvent des crénaux qu'elles n'exploitent pas. En fait, elles leurs sont même bénéfiques, car complémentaires. Par exemple:

 

     Le mois dernier (avril 1983), un groupe de spécialistes   japonais était en visite chez Memotec, à Ville Saint‑Laurent, ..., pour étudier et acheter son        "multiplexeur" statistique avec protocole international      X‑25. C'est un appareil (...) servant à brancher     économiquement une batterie dispersée de mini‑ordinateurs à    un réseau public de communication de données par paquets. Ces japonais, ..., n'ont rien trouvé de mieux que le    "gadget" de Memotec. (8)

 

 

Et si l'entreprise est prometteuse il est possible qu'une F.M.N. s'y intéresse et l'achète. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé avec Micom, un fabricant de matériel de bureautique, que la F.M.N. Hollandaise Philips a achetée. (9)

 

     Dans d'autres cas par contre, si ces entreprises se lancent dans des secteurs près de ceux qu'exploitent déjà les F.M.N., celles‑ci les y suivront et les concurrenceront. Cependant les multinationales n'en sortiront pas nécessairement gagnantes. Par exemple, dans la micro‑informatique, Apple, une entreprise naissante, a ouvert la voie et est demeurée un leader de ce secteur tandis que Texas Instrument, un géant de l'électronique, n'a pas connu le succès espéré et s'est retiré de ce marché. Ainsi, si une entreprise est menacée ce n'est pas tant par des ouvriers qui en savent trop, mais par ses limites d'innovation, ce qui est loin de décourager l'usage des N.F.O.T. Au contraire: les N.F.O.T. semblent nécessaires à la réussite de l'entreprise dans de nouveaux secteurs, car elles favorisent la participation de l'ensemble du personnel au développement d'un nouveau produit

et augmentent leur capacité de s'adapter à tout changement dans la conception et la fabrication du produit pour battre la concurrence, cela sans égard à la taille de l'entreprise. Ainsi, l'usage des N.F.O.T. est peut être plus avantageux dans les P.M.E. que ce que l'on croit, car celles‑ci ont avantage à utiliser les capacités novatrices de leurs employés pour surmonter le handicap de leur taille, soit des moyens techniques et financiers inférieurs à ceux des multinationales au niveau de la Recherche et Développement. (10)

 

     Inversement, s'il s'agit de secteurs où le travail est le principal facteur de création de la valeur, l'entreprise n'élargirait pas les tâches même si elle le pourrait, car une fois que les ouvriers auraient appris le métier ils pourraient forcer le patron ou ses représentants à accepter leurs conditions, travailler à leur propre rythme, ou partir à leur compte puisqu'il n'y aurait pas d'équipements pour limiter leur savoir, leur imposer un rythme, ou limiter leur esprit d'indépendance et d'entrepreneurship. Cela est particulièrement vrai dans les secteurs traditionnels, comme le coton ou le vêtement, d'où la division du travail pour s'assurer la fidélité des ouvriers et le paiement aux pièces pour accroître leur rendement. C'est ce qu'avaient compris les premiers entrepreneurs. Ainsi Henry Ashworth Jr., dirigeant d'une entreprise de coton, loue dans son journal un de ses concurrents "de ne permettre à aucun de ses employés, pas même à son directeur de mélanger le coton" afin qu'aucun d'eux ne puissent le concurrencer un jour. (11) 

 

     En conséquence, l'organisation mondiale d'une firme, la Division Internationale du Travail, n'est pas une condition nécessaire à l'application des nouvelles formes d'organisation du travail. Seul le secteur d'activité l'est, car il détermine (i) la capacité qu'a l'entreprise de passer directement aux consommateurs le coût des avantages extrinsèques du travail dont bénéficient ses employés, ceux‑ci étant la première condition pour assurer le succès des N.F.O.T. dans les entreprises; (ii) ses besoins d'action rapide et d'adaptation à un marché en mouvement, ce qui nécessite du personnel capable de réagir rapidement aux changements de la production; et (iii) le ratio capital/travail, un ratio élevé permettant l'application des N.F.O.T. sans compromettre le pouvoir de direction de la firme sans égard à sa taille. C'est là le premier aspect à retenir. Le second est que les industries qui répondent à ces conditions sont les industries modernes ou à capital dominant comme l'automobile, l'électricité, l'électronique, l'aéronautique, etc. Conséquemment nous pouvons conclure que la D.I.T. et les N.F.O.T. ne sont pas en symbiose puisque l'application et le succès des N.F.O.T.

n'est pas question de taille ou d'organisation mondiale, mais

de secteur industriel.

 

     Cela se confirme aussi par l'approche inverse: dans les secteurs traditionnels ou standardisés, comme le textile et le vêtement, les N.F.O.T. ne sont pas utilisées même si la D.I.T. l'est. Trois causes expliquent ce fait: (i) la concurrence étant vive sur ces marchés, l'entreprise ne peut donner à ses ouvriers des conditions extrinsèques de travail supérieures à celles de la branche, car elle ne peut en passer le coût aux consommateurs sans perdre ses marchés; (ii) le produit étant standardisé, c'est‑à‑dire que son processus de production est parfaitement maîtrisé, rien ne sert d'investir dans la surformation et la surqualification des ouvriers; et (iii) le ratio capital/travail étant faible ceci placerait l'entreprise dans une position délicate face à des ouvriers qui en savent trop sur le processus de production. Par exemple, il ne faut que quelques ouvrières et quelques moulins à coudre pour mettre sur pied une petite manufacture de vêtement, ce qui explique d'ailleurs la vive concurrence de ce secteur.

 

     Cependant, le fait que la Division Internationale du Travail et les nouvelles formes d'organisation du travail ne font pas partie d'une même stratégie de division des ouvriers au plan mondial, ne sont pas structurellement liées, ne signifie pas pour autant qu'elles ne peuvent être associées dans les entreprises multinationales à capital dominant pour en accroître le pouvoir et la plus‑value. Mais si tel est le cas cela est délibérément choisi par l'entreprise, leur liaison n'étant pas nécessaire à la réussite des N.F.O.T. Ceci étant dit nous pouvons maintenant regarder quel est le but des N.F.O.T. Sont‑elles une stratégie de pouvoir, de plus‑value, ou les deux à la fois?

 

2.5. Des avantages stratégiques des nouvelles formes d'organisation du travail

 

     La question qui se pose ici est de savoir à quoi servent les N.F.O.T. Pour bien le comprendre il est cependant nécessaire de regarder auparavant l'O.S.T. qui les a précédé.

 

     Le but de l'Organisation Scientifique du Travail était de spolier les connaissances des ouvriers pour leur imposer le travail, c'est‑à‑dire leur enlever leur métier, sous prétexte que ces connaissances acquises sur le tas n'étaient pas les meilleures, et les remplacer par des procédures de travail codifiées, donc contrôlables par le patron et ses représentants. La direction pouvait dès lors pénaliser ceux qui ne répondaient pas aux normes ‑‑ cette pénalité pouvant aller jusqu'au renvoi. Il devenait alors difficile que des ouvriers "travaillent délibérément aussi lentement qu'ils l'osent, tout en essayant de faire croire à leurs supérieurs qu'ils travaillent vite"  (Taylor, 1983, p. 91).  Ainsi le métier, soit la conception et la réalisation du travail par un seul homme, était appelé à disparaître. C'est ce qui s'est produit dans l'industrie, l'ouvrier faisant  continuellement la même tâche de la même façon. Le travail devenait l'ombre de lui‑même, un réflexe. (Friedmann, 1964; Durand, 1978) C'est  ce que dit Gary Bryner, président du local 1112 de l'United Automobile Workers (U.A.W.) et employé de G.M.:

 

     If the guys didn't stand up and fight, they'd become robots   too. They're interested in being able to smoke a cigarette,    bullshit a little bit with the guy next to'em, open a book, look at something, just daydream if nothing else. You can't   do that if you become a machine.

 

     Thirty‑five, thirty‑six seconds to do your job ‑‑ that    includes the walking, the picking up of the parts, the assembly. Go to the next job (...). (Terkel, 1975, pp.    261‑2)

 

 

     Ainsi, la démocratisation de la société et de ses institutions ne franchissait pas les portes de l'atelier. Celui‑ci demeurait synonyme du bagne taylorien. Une fois dans cet antre l'ouvrier n'avait plus de droits. Il était donc confronté à une double existence. A l'extérieur du travail il avait des droits démocratiques, une liberté d'action et de parole. A l'intérieur de l'atelier il était sujet a une autorité et un contrôle strict, il n'avait pas de droit de contestation. Il devait faire ce qu'on attend de lui sans montrer de sentiments. (Baumgartner, Burns, et De Ville, 1979)

 

     Quant à sa capacité de forcer les ouvriers au surtravail elle se fondait sur la rémunération à la pièce (ou la vitesse de la chaîne dans le fordisme) et l'obligation de travailler pour survivre. Cependant, avec l'amélioration des régimes hégémoniques du Centre, gagnée par les ouvriers au tournant du siècle, cette forme de coercition a perdu sa force, car les assurances sociales permettaient dorénavant à l'ouvrier de survivre même sans travail. (Buravoy, 1984) Il était alors possible de contester l'organisation du travail tant de façon collective (par la grève) qu'individuelle (absentéisme et roulement). L'O.S.T. ne pouvait plus forcer l'ouvrier au surtravail. Une nouvelle méthode devait prendre la relève. Ce fut les nouvelles formes d'organisation du travail. La question qui se pose alors est de savoir en quoi

elles sont une stratégie de plus‑value et de pouvoir et comment elles forcent les ouvriers au surtravail.

 

     Les N.F.O.T. apparaissent une stratégie de plus‑value car elles semblent le moyen le plus économique et le plus rentable d'accroître la productivité d'une entreprise comparativement aux moyens classiques qui consistaient à accroître le personnel, les cadences, et les contrôles. A ce sujet plusieurs raisons peuvent être invoquées.

 

     Premièrement, ces formes d'organisation du travail permettent d'augmenter le rendement d'une entreprise en accroissant la charge de travail de l'ouvrier. Cela peut se faire par la rationalisation des temps de travail et l'élargissement de sa tâche, ce qui peut prendre deux formes.     

  

        La première de ces formes consiste à donner au travailleur un ensemble de tâches qui étaient auparavant faites

par les ouvriers des autres postes de travail tout en augmentant son temps d'opération dans une proportion moindre que le total des temps qui étaient attribués pour ces tâches. Ainsi sa charge de travail est accrue, car il a plus de gestes à exécuter et de choses à penser avec moins de temps pour les faire. Par exemple, à l'atelier G.G. de Renault (montage des trains avant et arrière des voitures) chaque ouvrier monte deux demi‑trains avant dans un cycle de 25 minutes, soit 34 demi‑trains par jour par travailleur pour une augmentation de 10% des cadences. (C.F.D.T., 1977) (12)

 

     L'autre moyen d'accroître le travail de l'O.S. consiste à ajouter à sa tâche un travail complémentaire comme la responsabilité de faire lui‑même ses commandes de pièce. Ainsi, chez Johnson & Johnson, en demandant à l'ouvrier de faire ses propres commandes de matériel, la compagnie a récupéré les temps morts. Un travailleur dit: "Avant, on pouvait tous avoir le temps de fumer une cigarette; maintenant, on fait des tâches cléricales à la place".  (Bernier,  1982, p. 34) 

 

     Deuxièmement, l'introduction de ces formes d'organisation du travail permet d'éliminer les travaux faits en double. Ainsi, lorsqu'un travail est fait par un ouvrier, celui‑ci doit le vérifier, ce qui évite de le reprendre par la suite. C'est notamment l'une des causes de l'augmentation de la productivité chez I.B.M. aux Pays‑Bas. Cela a aussi permis d'y éliminer les tâches de vérificateur et de réparateur et de replacer ces employés au niveau de la production, d'où d'autres gains au niveau de la productivité. (Hofstede, 1974)

 

     Troisièmement, l'introduction des N.F.O.T. permet à l'entreprise de profiter des connaissances de ses ouvriers, ce qu'elle ne pouvait pas faire auparavant. En effet, on le laisse libre d'utiliser ses trucs, ce qui a souvent pour résultat d'accroître son rendement. De plus, au lieu de l'épier pour les lui voler, comme à l'époque taylorienne, on favorise plutôt la libre communication de ceux‑ci dans des discussions de groupe ou par des concours de suggestions.               

 

     Enfin, les N.F.O.T. contribuent à la productivité de l'entreprise en faisant décroître ses pertes. Ceci est dû à deux faits. D'abord, la marge de manoeuvre qui est laissée à l'ouvrier pour faire une série d'opération lui permet de réorganiser son temps de travail de manière à en passer davantage sur les opérations difficiles et moins sur celles où il est le plus habile. Ensuite, ce qui est complémentaire, l'ouvrier qui est tenu responsable de son travail ‑‑ montage et vérification à laquelle il doit souvent apposer sa signature ‑‑ fait davantage attention à celui‑ci. Ceci peut être d'un apport important, car à travail égal le nombre de pièces et de montages réussis est plus élevé avec les N.F.O.T. que sans elles.

 

     Si ces formes d'organisation du travail sont une stratégie de plus‑value, elles semblent aussi en être une de pouvoir et de division des ouvriers. Cela se manifeste de plusieurs façons.

 

     Premièrement, en changeant l'organisation du travail et en favorisant l'émergence d'une "autonomie professionnelle" les N.F.O.T. favorisent l'émergence de nouveaux moyens de contrôle dont les ouvriers sont les instruments. Cela se fait d'abord par la pression des pairs qui n'hésitent plus à dire quoi faire à un confrère puisqu'ils ont à le corriger avant de faire leur propre travail s'il fut mal fait. Cela se fait ensuite par la pression de sa responsabilité personnelle, car le travail n'est plus anonyme mais signé. Ce sont là des moyens de contrôle et de pression beaucoup plus fort que ceux qu'offraient l'O.S.T., car ils ne sont pas au‑dessus des ouvriers mais viennent d'eux.

 

     Deuxièmement, à ces formes de contrôle s'ajoutent souvent une panoplie d'instruments électroniques de surveillance. Ce sont par exemple les caméras électroniques, les fichiers automatisés, et les capteurs de bruits, d'odeurs, et d'empreintes digitales qui peuvent être installés dans l'atelier en même temps qu'on en fait la réorganisation. (Faivret, Missika, et Wolton, 1977; Vaillancourt et Vaillancourt, 1981)

 

     Troisièmement, en requalifiant les ouvriers et en "reprofessionnalisant" leur travail, c'est‑à‑dire en les rendant plus autonomes, les N.F.O.T. les divisent. En effet, comme chaque groupe d'ouvriers reçoit une formation et une tâche distincte de celle des autres il devient indépendant de ceux‑ci. Ainsi, lorsqu'un problème se pose le groupe est davantage porté à le régler avec le premier échelon de la direction plutôt que de passer par des procédures collectives (griefs) ou le syndicat. Ce qui était auparavant l'affaire d'une collectivité, les O.S. partageant les mêmes conditions, devient une affaire de groupe (l'équipe autonome) ou personnelle. Ceci a deux conséquences au niveau du pouvoir de l'entreprise. D'abord, des changements qui étaient autrefois difficiles à réaliser, les syndicats opposant leurs experts à ceux de l'entreprise, deviennent plus faciles à faire puisqu'ils se négocient directement avec les ouvriers concernés, sans l'apport de ces experts. (Vaillancourt et Vaillancourt, 1981) Ensuite, ce qui est plus important encore, la

négociation des conditions de travail devient elle aussi de plus en plus personnelles, les ouvriers ayant de moins en moins de références communes face à leur travail:

 

     On négocie même avec les individus pris isolément: temps de   travail personnalisés, rémunérations individualisées, plan   de carrière... Conséquences de ces négociations, une individualisation croissante du rapport salarial. Les   entreprises privilégient les accords ponctuels, limités dans       le temps et dans  l'espace. (...) Une telle orientation      passe évidemment par une certaine marginalisation des     syndicats à qui les chefs d'entreprise contestent le droit d'être les représentants exclusifs des intérêts des   salariés. (Morville, 1985. p. 7)

 

    

 

     Quatrièmement, les N.F.O.T. ont un effet sur la combativité et le rendement des ouvriers en créant une concurrence entre les entreprises plutôt qu'entre les ouvriers et le patron. Chacun lutte avec sa firme contre ses concurrents, ce qui élimine le sentiment d'une même condition entre les ouvriers d'un secteur industriel. Cela peut parfois aller très loin, jusqu'à rendre immorale la combativité d'un ou de quelques ouvriers contre les décisions de l'entreprise. Ceux‑ci peuvent même subir de la pression de la part de leurs confrères de travail. Ainsi au Japon:

 

     Hypocritically, dismissal was called "volontary retirement". It happens like this: one day, an elderly worker is tapped   on the shoulder and told by his foreman/union officier that     he had better retire. If he resists, harassment starts and     continues until he resigns. (Ichiyo, 1984, p. 53) 

 

 

 

Cela n'est cependant pas spécifique au Japon même si leur culture les prédispose à ce type de comportement. Par exemple en Amérique "il y a des compagnies qui accordent des augmentations de salaire à ceux qui produisent au dessus de la moyenne, en échange de l'approbation du syndicat pour le renvoi de ceux qui tombent sous la moyenne" (Vaillancourt et Vaillancourt, 1981, p. 48). Ainsi, les N.F.O.T. divisent le mouvement ouvriers à l'intérieur même des entreprises.

 

     Ceci nous permet de souligner un autre point. Il est possible que la faiblesse actuelle des syndicats soit liée aux N.F.O.T. Deux faits le montrent. D'abord, la "nouvelle" solidarité étant fondée autour du travail et de l'entreprise, au lieu de la condition de classe, le rôle contestataire et revendicatif du syndicalisme est remis en cause dans les entreprises modernes et de pointes qui utilisent ces formes

d'organisation du travail. Les syndicats ont d'ailleurs de la

difficulté à pénétrer ces entreprises. C'est notamment le cas chez I.B.M. ou Polaroid où il n'y a pas de syndicat. Ensuite, les syndicats ne pouvant pénétrer ces secteurs, ceux où les ouvriers seraient pourtant le plus susceptibles de constituer le fer de lance du mouvement ouvrier, ils doivent se limiter aux secteurs en déclin (Etat, restauration, et secteurs traditionnels). Ceci ne peut que contribuer à les affaiblir, leurs instruments d'analyse et de lutte n'étant plus adaptés à la situation qui prévaut dans les entreprises modernes et d'avant‑gardes. Dans ces conditions les N.F.O.T. peuvent non seulement être considérées comme l'instrument de division des ouvriers d'une entreprise, mais aussi comme l'instrument de lutte d'un secteur entier de l'industrie manufacturière contre le syndicalisme. Ces formes d'organisation seraient alors un moyen de division du mouvement ouvrier sur la base du secteur industriel d'appartenance. Elles serviraient à cloisonner certains secteurs du reste de ce mouvement. (13)   

                                   

     Enfin, il faut souligner que les N.F.O.T. ne sont pas seulement une stratégie de pouvoir parce qu'elles divisent les ouvriers. Elles le sont aussi parce que, même si elles donnent un travail élargi à l'ouvrier, c'est toujours l'entreprise qui le forme à ses besoins. Ainsi, il ne peut pas facilement changer d'emploi, sa qualification et son expérience étant spécifique à l'entreprise. C'est toute la problématique des marchés internes et externes de travail qui est en cause ici. (Finlay, 1983) C'est un professionnel d'entreprise par opposition aux professionnel de métiers (électriciens, plombiers, etc.) qui, eux, peuvent changer d'emploi puisqu'ils possèdent "leur métier dans leur besace". (14) Ainsi, s'il quitte son emploi il peut rarement améliorer son sort, son expérience et son savoir "professionnel" n'étant pas

officiellement sanctionné. Cela peut même avoir l'effet contraire, le système de promotion et de récompense (salaire,

vacance, bonis) étant souvent basé sur l'ancienneté, car c'est un gage de fidélité et d'identification aux buts de l'organisation. (Ouchi, 1981; Finlay, 1983; Mintzberg, 1983; D'Amico, 1984) On s'approche alors du modèle japonais, où un employé qui est congédié pour une offense aux règles de l'entreprise aura de la difficulté à obtenir un emploi comparable dans une autre grande firme. (Ouchi, 1981) C'est là un point essentiel quand l'on pense que ces nouvelles méthodes d'organisation du travail ont été introduites dans les entreprises pour résoudre les problèmes de sabotage, d'absentéisme, et de roulement qui étaient associées au taylorisme. Elles ne s'y attaquent donc pas que par la méthode douce. Elles ont aussi un aspect répressif important: la menace implicite de bloquer toutes formes de mobilité ascensante à l'ouvrier au cours de sa carrière tant dans son entreprise d'appartenance que dans une autre firme.

 

     En conséquence, les N.F.O.T. peuvent être considérées comme un moyen de pouvoir et de division des ouvriers, car elles brisent les solidarités traditionnelles et les remplacent par une nouvelle forme de solidarité fondée sur l'appartenance à la firme et son rendement. Les ouvriers ne sont plus une classe solidaire contre le patronat et la bourgeoisie, mais partenaire avec eux dans une entreprise contre d'autres entreprises. Ainsi une décision contraire à l'intérêt des ouvriers peut devenir acceptable si elle est prise pour le bien de l'entreprise.

 

     It is in fact a hegemonic despotism. The interest of capital and labor continue to be concretely coordinated, but whereas before labor was granted concessions on the basis of the    expansion of profits, now labor make concessions on the      basis of the relative profitability of one capitalist         vis‑a‑vis another (...). The point of reference is no longer             primarily the success of the firm from one year to the next               but rates of profit that might be earned elsewhere. At      companies losing profits workers are presented with a choice between wage cut (...) or the loss of  their jobs. (Buravoy,      1983, pp. 602‑3)

 

 

     Quant aux syndicats, ils ont des positions divergentes sur ce sujet, ce qui les empêche de se constituer en véritable front revendicatif. Quant les N.F.O.T. ne fonctionnent pas le syndicat affirme qu'il a bien fait de se tenir à l'écart et, inversement, quand celles‑ci fonctionnent, il en demande l'élargissement à d'autres groupes. (Durand, 1978) En ce sens ils sont attentistes, ce qui ne peut que renforcer le pouvoir des entreprises qui ont su prendre le contrôle de l'introduction des N.F.O.T. dans les ateliers. Ceci ne peut qu'ajouter à la faiblesse actuelle du syndicalisme. Seuls quelques syndicats, comme ceux de l'automobile, ont su négocier ces nouvelles méthodes d'organisation et en tirer un certain profit. (Burk, 1984b, 1984d) On ne peut donc pas nier la force de division de ces méthodes, leur pouvoir. C'est là un point essentiel.

 

     Cependant, on ne peut dire que les N.F.O.T. sont d'abord un moyen de pouvoir. Elles sont avant tout un outil économique, car si elles ne rapportent pas elles sont abandonnées. Ainsi, même si elles sont présentées comme un moyen d'humaniser et de démocratiser le travail, tel n'est pas leur but premier. Si elles sont utilisées c'est d'abord pour accroître la productivité de la firme, profiter des savoir‑faire ouvrier, et faire pression sur les plus récalcitrants. Si elles n'éveillent pas autant la suspicion que l'O.S.T. et le fordisme, l'effet est le même: l'ouvrier voit sa charge de travail accru et son temps réduit au profit du rendement. Les N.F.O.T. sont ainsi un investissement dans le capital humain au même titre que celui qui est fait dans les machines; il n'est pas fait pour rendre l'ouvrier heureux mais pour le rendre productif. Elles sont sanctionnées par "l'idée que chaque salarié est un investissement pour l'entreprise qu'il faut chercher à optimiser" (Morville, 1985, p. 99) On est loin de l'altruisme et près de l'intérêt. Ce n'est qu'ensuite, si elles rapportent, qu'elles seront considérées comme un moyen de division et de pouvoir. Leurs objectifs sont ainsi les mêmes que ceux qu'avaient Taylor au début du siècle:

"Donner à l'un et à l'autre ce qu'ils désirent: à l'ouvrier, de gros salaires, et au patron, une main‑d'oeuvre bon marché" (1983, p. 80), soit une main‑d'oeuvre payée au‑dessus de la moyenne mais aussi beaucoup plus productive que la moyenne. Seul les moyens d'atteindre ce but ont changé.

 

     Néanmoins, même si ces méthodes ont pour but le profit et le pouvoir, on ne peut nier qu'elles ont des aspects positifs pour les ouvriers. Elle le libère notamment des tensions de la chaîne de montage et du travail parcellaire. En ce sens elles répondent à certaines attentes des travailleurs d'aujourd'hui qui veulent un travail plus qualifié et plus intéressant comme l'ont montré plusieurs travaux. (Friedmann, 1964; Pignon et Querzola, 1973; Durand, 1978; Burk, 1984) N'est‑ce pas ce que Linhart retient de son expérience chez Citroen quant il dit que le travailleur d'usine "hurle silencieusement: "Je ne suis pas une machine!"" (1981, p. 14).

 

     Par contre, comme les N.F.O.T. servent aussi de prétexte pour accroître la charge de travail, ceci en limite l'aspect positif. Les ouvriers ne peuvent être entièrement satisfaits, car même s'il y a changement il se fait dans le sens patronal du terme. C'est la hiérarchie qui décide. L'ouvrier ne peut pas dire ce qu'il veut. C'est là le problème des N.F.O.T., non celles‑ci en soi. En conséquence nous croyons à leur apport pour l'entreprise et ses employés en autant que leur introduction et leur application soient négociées avec ceux qui auront à les utiliser. C'est là un point essentiel, car, comme l'ont montré plusieurs études, les ouvriers acceptent mieux le changement lorsqu'ils sont consultés avant celui‑ci. (Pines, 1984) C'est d'ailleurs ce qu'a essayé de faire Ford lors de la réorganisation du Dearborn Engine Plant (D.E.P.), car l'entreprise s'était engagée à informer le syndicat et les ouvriers des changements qui seront apportés à l'usine et de les discuter. Cependant, un

tel objectif est toujours difficile à tenir. Ainsi, les ouvriers furent informés des transformations apportés à l'usine mais n'ont pas été consulté au niveau des décisions. C'était un processus du haut vers le bas ("a top‑down process"). (Chen, Eisley, Liker, et al., 1984)  Néanmoins un effort fut fait, ce qui montre bien qu'une plus grande démocratisation du travail est possible. 

 

     Enfin, une questions demeure: les N.F.O.T. concernent‑elles uniquement le Centre ou peuvent‑elles s'appliquer n'importe où dans le monde si des questions de productivité le justifient? C'est ce qu'il nous faut maintenant vérifier.

 

2.6. Tenir dans l'ignorance: la non utilisation des nouvelles  formes d'organisation du travail dans les pays en voie de développement

 

     Nous venons de voir que les nouvelles formes d'organisation du travail semblent avantageuses au Centre où sont développés les nouveaux produits et où la main‑d'oeuvre est dispendieuse, car elles y augmentent la productivité et la flexibilité des hommes et des machines en proportion plus grande que leurs coûts d'application. Mais si les conditions de création de la valeur le justifient, pourraient‑elles s'appliquer dans les pays en voie de développement (P.V.D.)? Et si elles ne s'y appliquent pas, introduisent‑elles une concurrence entre les ouvriers du Centre qui en bénéficient et ceux des P.V.D. qui n'en bénéficient pas? Ce sont là deux questions auxquelles nous devons répondre ici.

 

     A première vue les N.F.O.T ne s'appliquent pas dans les P.V.D. pour des motifs économiques, car si la productivité par employés et par heure de travail y est moindre qu'au Centre, elle y est beaucoup plus élevée par année de travail, les heures et les jours de travail étant plus nombreux. (15) En effet:

 

     The high number of weeks worked in the year, the large    amount of overtime and the low number of days off serve to     prolong the total annual working time still further, so that the labour‑force in some world market factories works up to      50% more hours per year than the traditionnal industrial      countries. (Frobel, Heinrichs, and Kreye, 1981, p. 353) 

 

 

En conséquence, appliquer les N.F.O.T. dans les P.V.D. serait davantage une dépense qu'un investissement vu ces conditions. Mais dans certains cas particulier, comme celui de l'industrie automobile, où les syndicats sont bien organisés dans presque tous les pays (16), il pourrait être rentable de les utiliser. Pourtant il n'est pas sûr qu'elles s'y appliquent. Pourquoi?

 

     Un facteur qui explique cette discrimination entre les pays développés et en voie de développement sont les investissements nécessaires. En effet, si une entreprise veut appliquer les N.F.O.T. dans un P.V.D. elle devra préalablement améliorer les conditions intrinsèques de travail. Elle devra alors faire les investissements qu'elle refusait de faire au Centre, ce pourquoi elle a relocalisé sa production dans ce pays. Ainsi ses investissements ne seront pas plus économiques qu'au Centre. C'est là une explication de la non application de ces formes d'organisation du travail dans les P.V.D. Cependant ce n'est pas la seule explication possible, car dans certains cas ces investissements sont faits, notamment dans le secteur automobile. (F.I.O.M., 1982)

 

     C'est d'abord pour des raisons d'indépendance face à la main‑d'oeuvre que les F.M.N. n'appliquent pas les N.F.O.T. dans ces pays. En effet, si une entreprise les applique et investit dans la formation de ses ouvriers ils pourraient alors se servir de leur position d'irremplacabilité (tous nouveaux ouvriers devant d'abord suivre la même formation avant de pouvoir les remplacer) pour faire certaines revendications, car leur démission ou une grève serait difficile à supporter pour l'entreprise.  Comme  tous les professionnels:

 

     [They] play these game offensively by exploiting their    assets to the limit, emphasizing the uniqueness of their skills and knowledge, the importance of these to the   organization, and its inability to replace them. (Mintzberg, 1983, p. 198)

 

 

 

L'entreprise serait ainsi défavorisée face à celles qui pratiquent une politique de bas salaire ("wage saving") et de

travail déqualifié, celles‑ci ayant des coûts de production

inférieurs et, surtout, la possibilité de remplacer beaucoup

plus facilement les ouvriers qui font la grève, qui la quittent (roulement),  ou qu'elle renvoie.  Les  N.F.O.T.  remettraient alors en cause le modèle même de valorisation du Capital dans les P.V.D., soit "l'existence d'une armée de réserve industrielle quasi illimitée" (Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981, p. 361). Conséquemment, les firmes multinationales préfèrent ne pas y appliquer les N.F.O.T. pour ne pas voir le pouvoir d'une main‑d'oeuvre qu'elles auraient formée s'accroître à leur dépend et changer les conditions d'accumulation de ces pays en y reproduisant les conditions de l'inégalité entre les pays développés et en voie de développement entre les firmes les plus progressives et les moins progressives au dépend des premières. 

  

     Si ceci est plausible au niveau de chaque firme, ce l'est aussi au niveau de l'ensemble des P.V.D., car ces travailleurs qui auraient gagné plus de pouvoirs dans leurs entreprises pourraient ensuite établir des syndicats pour organiser les autres ouvriers. Ceux‑ci seraient probablement clandestins au départ, la plupart des pays en développement bannissant le syndicalisme. (Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981) Mais, tout comme ce fut le cas autrefois au Centre, ils en viendraient  à  être  reconnus  vu leur  poids  politique. (Beaud, 1981) Ce serait là une reprise de l'histoire. C'est justement ce que veulent éviter les firmes qui produisent dans les P.V.D., car si de tels développements arrivent les conditions de valorisation du Capital se rapprocheraient alors de celles du Centre: protection accru des ouvriers, salaires plus élevés, syndicalisation, droit de grève, etc. Les entreprises n'y trouveraient plus leur compte et les taux de plus‑value décroîtraient. C'est là le premier frein aux N.F.O.T. dans ces pays même si elles seraient rentables, car à long terme elles signifieraient la fin de ce modèle d'exploitation et une perte de plus‑value pour les entreprises.

 

     Le second frein vient des Etats‑nations, car ils ne sont pas prêts à rendre des compte à la population. En effet, si les ouvriers obtiennent une démocratisation au niveau de l'entreprise celle‑ci sera aussi réclamée aux niveaux social et politique. Les régimes despotiques ont alors tout intérêt à contraindre les ouvriers et à proscrire toutes formes de revendications et de contestations, car ceci signifierait aussi des revendications face à l'Etat. Pour cette raison ils les répriment violemment. Quant aux entreprises, elles appuient l'Etat dans cette démarche ‑‑ par exemple en laissant les polices du régime faire la garde dans leurs installations (C.I.S.L., 1981) ‑‑ car cela leur rapporte: bas salaires, absence de syndicats, emplois précaires, etc. Des motifs économiques et politiques expliquent donc cette absence des N.F.O.T. dans ces pays.

       

     Conséquemment, comme les ouvriers des pays en voie de développement  font face à une répression bien organisée et sont tenus autant que possible ‑‑ car il peut y avoir des fuites et des mouvements clandestins ‑‑ dans l'ignorance de ce qui se fait au Centre, dont l'existence des N.F.O.T., celles‑ci ne peuvent servir à introduire une concurrence entre les ouvriers du Centre et de la Périphérie sur la base de leur non application dans les P.V.D. Nos attentes n'étaient pas fondées sur ce point.

 

     Il est aussi peu probable qu'elles s'appliquent un jour dans les P.V.D., car cela y signifierait la fin des conditions actuelles de valorisation du capital, ce pourquoi les multinationales y investissent.

 

     Cependant, il est possible qu'un jour les N.F.O.T. soient utilisées dans les nouveaux pays industriels qui émergent à la Périphérie, là où les conditions de valorisation du capital se rapprocheront davantage de celles du Centre  ‑‑ à l'exception des salaires qui y demeureront plus faibles. (F.I.O.M., 1982; B.I.T., 1983; Perrin, 1983) Nous pensons entre autres au Mexique et à la République de Corée, où les syndicats sont reconnus (avec certains contrôles cependant dans le cas de la Corée) et où les multinationales n'hésitent plus à fabriquer des produits avancés même si cela exige certaines technologies plus modernes que dans les autres P.V.D.  A titre d'exemple soulignons que Ford a investit 650 millions de dollars américains au Mexique au début des années 80 pour y construire une usine ultra moderne de moteurs pour fournir le Canada et les Etats‑Unis (F.I.O.M., 1982); que la "Daewoo Optima" 1988 vendu par G.M., fut dessiné par Opel en Allemagne (une filiale de G.M.) et est fabriquée en Corée par Daewoo (17); et que Hyundai, une F.M.N. coréenne, a envahit le marché nord américain de l'auto depuis quelques années avec des modèles moyens et de bas de gamme. 

       

     Si tel devient le cas, les N.F.O.T. feront d'abord leur apparition dans les multinationales les plus progressives, tel I.B.M. qui fut une des premières entreprises à les utiliser au Centre, et dans les usines les plus modernes, comme celle de moteur de Ford au Mexique. Ce ne sera que plus tard que d'autres firmes en viendront à les appliquer, quand elles verront que ces expériences auront eu du succès. Quant aux productions auxquelles elles ne s'appliqueront pas, elles seront transférées vers les P.V.D. satellites de ces pays, copiant ainsi la stratégie des pays développés. Les salaires devront aussi y être augmentés pour conserver la fidélité des ouvriers et accroître l'accès des masses à la consommation ‑‑  et ainsi ouvrir de nouveaux marchés pour ces produits.

 

     Ainsi, si la première phase du capitalisme mondial fut l'intégration de la Périphérie (d'où l'opposition Centre/Périphérie dont nous parlions au début de cette étude), sa seconde phase sera le passage de quelques P.V.D. de la Périphérie au rang de pays industriels moyens. Ceci aura pour effet de soutenir les modes actuels de production et de consommation de masse. L'opposition Centre/Périphérie n'amènera donc pas davantage la fin du modèle capitaliste que ne l'a amené avant lui le modèle d'opposition entre propriétaires et ouvriers, car dans ce cas‑ci comme dans l'autre une classe intermédiaire viendra s'intercaler entre les deux pour soutenir ce système. On passera alors à un modèle tripartite, soit:  pays développés, pays moyennement développés, et pays en voie de développement. C'est ce que nous pouvons prévoir pour l'avenir. Il est cependant trop tôt pour faire des hypothèses plus précises à ce sujet, ce qui clos ce que nous pouvons dire des N.F.O.T. et de la situation mondiale ici.                            

       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                Chapitre III

 

 

   L'utilisation des outils programmables

 

 

     et automatiques et leurs effets sur

 

 

     l'organisation du travail au Centre

 

 

 

     Suite aux progrès du génie technique et de l'informatique une nouvelle génération de travailleurs est apparue au début des années 70: le robot et ses acolytes. Nous allons d'abord les présenter en les définissant et en en montrant les limites. Après nous tenterons de répondre aux principales interrogations que soulève l'usage de ces équipements, soit: quelles entreprises les utilisent; quel est leur effet sur l'organisation du travail; et quel est leur impact sur l'emploi.

 

3.1. De la définition des outils automatiques et programmables et de leurs limites

 

     Avant de regarder les conditions d'application des automatismes industriels (1) dans les entreprises et leurs avantages il est nécessaire de définir ces outils et de les classifier, car ils sont nombreux et complexes. (2)  On en verra

aussi les limites, car, contrairement à la croyance populaire, ils ne peuvent pas tout faire.

 

     D'abord il y a les outils automatiques non programmables. Ce sont des équipements qui peuvent faire continuellement un même travail, mais qui ne peuvent en faire un autre que celui pour lequel ils ont été initialement conçus. Ce sont par exemple les robots soudeurs pensés pour un seul modèle d'automobile. Ainsi, quand le produit pour lequel ces outils ont été fabriqués n'est plus fait, ceux‑ci ne sont plus d'aucune utilité. (Shaiken, 1986)

 

     Ensuite il y a les outils automatiques programmables. Ce sont des équipements mécanico‑électroniques qui peuvent  facilement être adaptés, par changement de programme, pour accomplir des tâches pour lesquelles ils n'ont pas été initialement programmés. Ceux‑ci se divisent en deux groupes.

D'abord il y a ceux qui s'adaptent aux variations de la production grâce aux informations que leur transmet un opérateur. Ce sont par exemple les systèmes de production intégrée programmable, qui peuvent faire des outils différents (fraise, drille, etc.) à partir d'une simple modification des "in‑puts" du programme  par un opérateur.  (Hansen et Lund, 1986; Hirschhorn, 1986) Ensuite il y a ceux qui s'adaptent automatiquement aux aléas de la production par les informations qu'ils obtiennent par leurs propres moyens (capteurs de lumière, de chaleur, d'odeurs, de formes, etc.). Ce sont par exemple les robots peintres de l'industrie automobile qui peuvent "développer les trajectoires adéquates à chaque modèle sur une file de modèle disposés au hasard"  (Coriat, 1983, p. 30). 

 

     Maintenant que nous avons défini ces équipements, il nous faut les présenter. C'est ce que nous faisons au Tableau VI de la page suivante.  Pour atteindre ce but nous avons adopté la classification de la Japan Industrial Robotics Association (J.I.R.A.) à laquelle nous avons cependant apporté deux modifications. D'abord, comme elle ne tenait pas compte des systèmes de production intégrée, nous les avons ajouté à celle‑ci. Ensuite, nous avons mis entre crochets deux synonymes qui sont régulièrement utilisés dans la littérature sur les outils automatiques.

 

     Maintenant que nous avons défini les robots et autres outils automatiques, il nous faut en voir les limites, car si l'on veut aller au delà des apparences en matière d'équipements automatisés une question se pose au préalable. Il faut savoir si tout est automatisable. La robotique laisse‑t‑elle une place au travail humain? C'est ce à quoi nous devons maintenant tenter de répondre. Après seulement nous pourrons voir l'impact des automatismes industriels sur le travail.

 

 

Tableau VI: Les modèles d'outil automatique et programmable

Type d'automatisme                 Définition               

Manipulateur:           Dispositif commandé directement    

                         un opérateur humain.               

                                                             

                                                             

Robot séquentiel:       Manipulateur fonctionnant selon    

                         une séquence et des conditions     

                         préétablies.                        

                                                             

‑à séquence fixe:       La séquence et les conditions      

                         sont difficilement modifiables.    

                                                              

‑à séquence variable    La séquence et les conditions      

  [ou manipulateur       sont facilement variables.         

  programmable]:                                             

                                                              

Robot à apprentissage   Manipulateur qui répète une sé‑    

  ‑‑ play back:          quence mémorisée après une sé‑     

                         quence d'apprentissage par un      

                         opérateur humain.                  

                                                             

Robot à commande numé‑  Manipulateur qui reçoit les        

rique [ou machine outil ordres de séquence et de condi‑    

à commande numérique ou tion de travail de façon numé‑     

M.O.C.N.]:              rique.                             

                                                             

Robot intelligent:      Robot réalisant lui‑même des       

                          fonctions variées grâce à ses      

                         capacités d'actions et de per‑     

                         ception sensorielles.              

                                                             

Système de production   Machine ou série de machine        

intégré:                pouvant réaliser un produit        

                         fini à partir d'une pièce brute    

                         avec un minimum d'intervention     

                          humaine.                           

                                                             

Système de production   Système identique au précédent     

intégré programmable:   mais à contrôle numérique, ce       

                         qui permet d'introduire des va‑    

                         riations dans la fabrication du    

                         produit ou de faire des produits   

                         différents par simple changement   

                         de programme.                      

Source: J.I.R.A., cité par Coriat, 1983, p. 23 pour les robots; et Braverman, 1976; Hansen et Lund, 1986; Hirschhorn, 1986; et Shaiken, 1986, pour les systèmes de production intégrée.

 

     Premièrement, il semble faux de croire que tout est automatisable. Certains processus de travail ne le sont pas et ne le seront peut être jamais, car pour automatiser il faut une norme et une définition précise du travail qui sont facilement décomposables. C'est la première limite que rencontre l'automatisation des tâches dans l'industrie. Ainsi la pose d'un clou sur un mur serait difficile à réaliser pour un robot, car aucune norme ne dit où le placer. Et si un ouvrier plaçait le robot devant la portion du mur où va le clou, tous les problèmes seraient encore loin d'être résolu, car cette opération comporte trop d'aléas pour que toutes leurs solutions soient introduites dans son programme. En effet, celui‑ci devrait entre autres connaître un marteau et un clou, savoir les prendre dans le bon sens, savoir centrer son ouvrage sur des murs inégaux, savoir frapper correctement jusqu'à ce qu'il soit au bon angle et à la bonne profondeur, et savoir s'arrêter une fois le travail fait, ce qui exige toute une série de contrôle et de connaissance de la part du robot. Et comment lui expliquer de s'ajuster à des pépins aussi fréquents que de se frapper sur les "doigts", de voir le clou se plier, de le voir tomber, ou encore de le voir prendre une mauvaise trajectoire. (Halary, 1984) Ainsi certains processus

de travail ne peuvent être  automatisés, trop de facteurs devant être considérés à la fois.            

 

     Si l'exemple du clou et du robot semble irréel, il n'en définit pas moins une situation réelle. Certains travaux ne sont pas automatisables, car ils sont trop aléatoires. Et il ne peut en être autrement, car ils ne se fondent pas sur des lois précises, mais sur des acquis pratiques (l'expérience) ou un savoir personnel. Ainsi, entre 1963 et 1971, plusieurs cimenteries américaines ont essayé d'automatiser leur production de pièces en ciment mais aucune n'a réussi avec succès, trop d'éléments ‑‑ et pas tous aussi quantifiables ‑‑ devant être considérés en même temps: quantités à mélanger, taille des particules, température des fours, vitesse de rotation, etc.  (Hirschhorn, 1986)  Cela est aussi vraie pour certaines tâches dans l'industrie automobile, où:

     Il en est ainsi, par exemple, de l'épinglage qui consiste à      préassembler les pièces avec [avant?] le soudage final.   Cette opération exige "un coup d'oeil" pour reconnaître les     anomalies (...), puis un coup de main particulier pour annuler leurs effets. (Bonnafos, Chanaront, et de Mautort,    1983, p. 66)

 

 

     Deuxièmement, pour qu'un processus de travail automatique devienne intéressant, il faut qu'il soit économique, c'est‑à‑dire qu'il soit plus productif que l'ancienne méthode ou qu'il nécessite moins d'ouvriers. Cela n'est possible que de trois façons, soit (i) en augmentant la production qui était faite par l'ancienne méthode; (ii) en conservant le même niveau de production tout en diminuant le nombre d'ouvriers nécessaires à sa réalisation; ou (iii) en faisant faire par la machine le travail que les ouvriers refusent, celui où le danger est grand et les taux de roulement et d'absentéisme élevés. Pour cette raison certains processus de travail ne seront jamais automatisés, car non rentables. Ainsi notre robot poseur de clou ne verra jamais le jour dans l'industrie de la construction, même s'il devient techniquement possible de le créer, car il ne sera pas économe en main‑d'oeuvre, celui‑ci devant toujours être accompagné d'un manoeuvre pour le placer face à son ouvrage. Il est alors plus économique pour le patron de donner un marteau à son ouvrier plutôt qu'un robot poseur de clou. Par contre, si des

tâches semblables doivent être exécutées dans un réacteur nucléaire ou près de celui‑ci, un robot téléguidé devient alors un choix intéressant pour des motifs de sécurité peu importe son rendement et ses coûts de fabrication et d'utilisation. C'est une question de contexte. D'ailleurs il n'est pas rare que des robots semblables agissent...

 

     ... dans des zones d'activités inaccessibles (cas des      manipulateurs dans les réacteurs nucléaires) ou périlleuse    pour l'homme (la forge par exemple dans les industries    mécaniques), [car ce sont des] activités génératrices de   coûts indirects très lourds. (Coriat, 1983, p. 68)

 

 

    

     Troisièmement, pour automatiser un processus de travail il lui faut une durée, sans quoi les outils programmables, même s'ils sont plus productif ou économe en main‑d'oeuvre, ne représenteront pas la solution la plus rentable qui soit. Ainsi, pour qu'un processus de travail, une production donnée, soit intéressante à faire avec des robots il faut que celle‑ci soit faite dans des quantités qui le justifient. C'est notamment le cas dans l'automobile où l'on parle de centaines de milliers de voitures d'un même modèle et de millions pour tous les modèles confondus. Par contre si le produit n'a pas de durée, il n'est pas rentable d'en automatiser la fabrication. C'est le cas des semi‑conducteurs. Comme leur technologie change rapidement les entreprises préfèrent les faire faire par une main‑d'oeuvre peu qualifiée et sous‑payée dans les pays de la Périphérie plutôt que d'investir dans des équipements qui seront désuets après quelques mois seulement. (Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981) La même chose est aussi vraie dans le vêtement, où les changements rapides de la mode rendent l'automatisation difficile.

 

     En conséquence, nous pouvons conclure que tout n'est pas automatisable. Il y a encore et il y aura probablement toujours une place pour le travail humain à côté de celui des machines.

 

     La question qui se pose maintenant est de savoir si l'utilisation des automatismes industriels est due à la taille, à l'organisation mondiale des entreprises, ou plus simplement à leurs produits. On vérifiera aussi si une production entièrement automatisée existe réellement ou si elle n'est qu'un idéal‑type.

 

3.2. L'utilisation des outils programmables et automatiques dans les entreprises

       

     La question  qui nous  intéresse ici est  de savoir quelles entreprises utilisent les équipements automatiques et programmables. Sont‑elles exclusivement l'affaire des grandes

entreprises ou peuvent‑elles se retrouver dans les petites et

moyennes entreprises (P.M.E.)?  Concernent‑elles les secteurs

modernes et de pointes ou tous les secteurs industriels? Telles sont les deux questions auxquelles nous devons répondre maintenant.

 

 

3.2.1. L'utilisation des automatismes industriels et la taille des entreprises

 

     A première vue tout porte à croire que seules les grandes entreprises peuvent se payer l'automatisation. En effet, plusieurs auteurs parlent des coûts élevés de ces équipements; de la nécessité d'investir beaucoup de temps et d'argent dans les cours de formation; et des besoins en personnel spécialisé pour entretenir ces équipements et contribuer à leur développement. Par exemple Ford a investit 600 millions de dollars américains dans la rénovation du Dearborn Engine Plant (D.E.P.); 7 millions dans son programme de formation; et compte sur un personnel technique (ingénieurs, dessinateurs, techniciens) important pour voir à son bon fonctionnement. (Chen, Eisley, Liker, et al., 1984)

 

     Cependant, tel n'est pas toujours le cas. En effet, des P.M.E. utilisent elles aussi ces équipements, car, comme pour tout autre outil, on ne peut en limiter l'usage. Par contre, ces cas sont peu publicisés par la littérature, celle‑ci s'intéressant davantage à la grande industrie, là où ils semblent plus spectaculaires. Nous pouvons néanmoins en citer un: celui  d'Outils Coupants International Inc., une P.M.E. de la région de Montréal. (3) Il s'agit d'une entreprise qui fabrique des drilles et des fraises industrielles de hautes précisions. Parmi ses clients on retrouve d'ailleurs des grands noms de l'industrie tels que Lockheed, Mc Donnel-Douglass, Boeing, G.M., Ford, Chrysler, Rockweell, et plusieurs autres. Voici une brève description du travail qui s'y fait. Les tiges d'aciers sont d'abord coupées avec des outils classiques. Ensuite, une fois qu'elles ont la longueur voulue, elles subissent un premier tournage et fraisage sur des M.O.C.N., c'est‑à‑dire que l'on fait les "raies" primaires de l'outil en fonction du travail qui suivra. Ces "mèches" sont par la suite chauffées ‑‑ pour les durcir ‑‑ et préparées de manière manuelle et mécanique  (nettoyage, polissage, etc.)  pour l'opération finale: l'affûtage. Celle‑ci se fait dans des systèmes flexibles de production intégrée "Huffman" (cela ressemble à des cabines de camions entièrement fermées) où, après que l'opérateur a programmé toutes les données concernant le travail à faire sur un clavier de type ordinateur, l'outil est taillé, fraisé, et affûté à la taille et au degré demandés par le client. Enfin l'outil

passe au contrôle de la qualité avant d'être emballé et expédié.

 

     Ainsi, à première vue, ces équipements semblent accessibles aux P.M.E.  Mais le sont‑ils à toutes les P.M.E. ou sont‑ils le privilège de quelques entreprises comme Outils Coupants International? C'est là la véritable question qui doit être posée ici. Quant à la réponse elle se divise en deux volets. D'abord il y a le cas des robots et ensuite celui des autres systèmes automatiques.

 

     Historiquement les robots furent l'apanage quasi exclusif des F.M.N. qui pouvaient les fabriquer ou collaborer à leur développement, c'est‑à‑dire celles qui avaient des centres de recherche et de développement et des capitaux à investir dans ces activités. C'est ainsi, par exemple, qu'au cours des années 60 G.M. a collaboré avec Unimation ‑‑ maintenant propriété du groupe Westinghouse ‑‑ pour la fabrication du "PUMA" et que Volkswagen fabriquait ses propres robots sans les commercialiser. (Coriat, 1983) La nouveauté leur était alors exclusive.

 

     Cependant, cela ne fut vrai que pour un temps, car maintenant les entreprises commercialisent de plus en plus leurs robots ou des versions de ceux‑ci pour en amortir les coûts. Ainsi un nouveau secteur industriel et commercial s'est développé, ce qui a amené trois changements majeurs.

       

     Premièrement, des firmes comme I.B.M. et Volkswagen, qui fabriquaient des robots pour leur propre usage, entrent maintenant sur ce marché. On voit là un élargissement de ce

secteur qui ne peut résulter qu'en "une puissante synergie

susceptible d'accélérer la diffusion de la technologie"

(Saiken, 1986, p. 176).

 

     Deuxièmement, les entreprises qui fabriquaient ces outils sur commande ont aussi développé des robots commerciaux, facilement adaptables à différents travaux industriels, pour les offrir directement sur le marché des biens d'équipements, ce qui contribue à élargir leur accès à un plus grand nombre d'entreprises. Cependant, même s'ils sont plus accessibles que les outils sur commande, ils sont encore coûteux. Ainsi les grands robots comme le "T3" de Cincinnati-Milacrom, les "P‑5" ("Process Robot") et "AW‑7" ("Arc Welding Robot")  de General Electric,  ou les "2 000",  "4 000", et "8 000" d'Unimation, coûtent en moyenne de 125 000 à 300 000 dollars américains. (Hansen et Lund, 1986, p. 30)

 

     Enfin, plus récemment sont apparus des entreprises qui offrent des outils programmables plus petits, moins coûteux, et fort bien adaptés à des tâches complexes. C'est ainsi que dans les robots de 6 000 à 15 000 dollars américains, ce qui est peu, la firme Seiko, du Japon, offre des choix intéressants. Par exemple:

 

     These units have load limits that range from 12 to 9 pounds, have only two or three axes of rotation, but have accuracies   that may be two orders of magnitude (" .0004" vs. " .04") better than the larger, more versatile machines. (Hansen and   Lund, 1986, pp. 30‑1)

 

     En conséquence, il semble que la robotique est maintenant devenue accessible à toutes les entreprises, des robots adaptés à tous les budgets et à toutes sortes de travaux étant disponibles sur le marché. C'est là un point à retenir.

 

     De plus, les robots ne sont pas seuls. En effet, il y a aussi les systèmes intégrés de production qui peuvent fabriquer une pièce finie, à partir d'une pièce de métal brut, sans intervention humaine.

 

     Quant aux coûts de ces systèmes de production intégrée ils ne semblent pas si exorbitants si l'on considère les économies qu'ils permettent de faire réaliser aux entreprises utilisatrices et les possibilités qu'ils leur offrent au niveau de la production. D'abord, des économies substantielles peuvent être obtenues au niveau des inventaires, car ces équipements, travaillant suivant l'ordre des commandes, évitent à l'entreprise d'avoir à se constituer des inventaires coûteux pour répondre rapidement à la demande pour ses produits. Ensuite, c'est au niveau des coûts du travail que d'autres économies peuvent être réalisées, moins d'ouvriers étant nécessaires pour faire une même production. [Cette question sera reprise à la section 3.4.]  

 Celle‑ci peut aussi être faite beaucoup plus rapidement. Par exemple, avec un système flexible de production intégrée un travail de quelques semaines peut‑être réduit à quelques heures. Ainsi, produire des pièces comme l'arbre moteur, l'arbre de transmission, ou l'arbre proprement dit...

 

     ... in a conventional job shop, they might take as long as         10 weeks to be completed and ready for assembly. This is in contrast to getting a completely finished part just 5 or 6 minutes after the system is commanded to produce the part and the proper raw stock is provided to the machine. (Hansen    and Lund, 1986, p. 38)

 

En conséquence, ces avantages ne peuvent que rendre ces équipements davantage accessibles aux P.M.E., leurs coûts étant généralement compensés par ces économies.

 

     A cette diminution des coûts d'achat et d'utilisation des automatismes industriels s'ajoutent aussi des services qui tendent à rendre ces équipements plus facile d'accès aux petites entreprises. Ceux‑ci sont de deux ordres.

 

     D'abord, les entreprises qui fabriquent ces équipements ou qui les commercialisent ont ajouté à leurs produits des cours de formation et des services d'entretien des machines, ce qui les rend plus abordables aux P.M.E. qui n'ont pas les moyens d'assurer par elle‑même ces fonctions. (Perrin, 1983) Par exemple, dans sa publicité, la firme Huffman dit:

 

     When you select Huffman, you get more than just a quality     machine tool. You get a total package. This includes the     proper software as well as all the training and service needed to make the system work profitably for you. (4)

 

     Ensuite, à côté de ces entreprises spécialisées s'est développé un nouveau secteur industriel: celui des maîtres d'oeuvres. Des entreprises de génie se chargent maintenant de faire les plans et devis d'usine, d'en superviser la construction, et de voir à l'achat et l'installation des

équipements qu'elles jugent les plus productifs. Ce sont les

contrats "clés en mains". (Durand, 1978; Parent, 1983) Ainsi les entreprises qui n'ont pas la capacité de prendre en charge leur réorganisation et automatisation peuvent avoir recours à ces firmes pour le faire à leur place. 

  

     C'est là une nouvelle division du travail. Elle se fait maintenant entre les entreprises conceptrices, productives, et utilisatrices, ce qui a pour effet de diminuer les coûts de ces équipements et de les rendre abordables même pour les P.M.E. Les automatismes industriels sont ainsi devenus des biens de consommation courants dans le secteur de la production industrielle. Le cas d'Outils Coupants International Inc. n'est donc pas une exception. Loin de là d'ailleurs. Par exemple, selon une étude de Cavestro pour la France, on retrouvait, en 1982, l'outil informatique dans 65% des P.M.E. et au moins un automatisme industriel (M.O.C.N., manipulateur, et robot) dans 44% d'entre elles.  (1984, p. 435) Que dire de plus, sinon que les automatismes industriels ne sont plus réservés aux F.M.N. mais s'adressent à toutes les entreprises peu importe leur taille.

 

     La question qui se pose maintenant est de savoir si ces équipements sont le fait exclusif de certains secteurs industriels comme pour les N.F.O.T., ce que nous avons vu plus haut, ou s'ils s'adressent à tous les secteurs.

 

 

3.2.2. L'utilisation des automatismes industriels et le secteur industriel

 

     Suite à un examen de la littérature il semble que ces outils  peuvent se  retrouver dans tous les  secteurs industriels. Cependant, ils n'auront pas partout la même importance. De plus, selon le secteur industriel on ne retrouvera pas les mêmes types d'équipements. Ceci mérite d'être davantage explicité.

 

     D'abord, si l'on regarde les robots industriels on constate que ces outils se concentrent davantage dans la construction automobile, l'électricité, l'électronique, et la construction de machines outils. (Levinson, 1973; Coriat, 1983; Coriat et de Terssac, 1984; Kern et Schumman, 1984) Mais c'est nettement dans l'automobile qu'ils dominent pour l'instant. Par exemple, en France, 58% du parc total de robots se concentrait dans ce secteur en 1980. (c.f. Tableau, VII, p. 95) Une étude de l'O.C.D.E. confirme d'ailleurs cette conclusion:

 

     Comme on l'a noté, l'industrie automobile est la principale      utilisatrice des robots industriels dans la plupart des pays Membres actuellement dotés d'une population de robots   relativement étoffée. (1983, p. 41)

 

Et plus récemment, des statistiques publiées par la firme Dataquest Inc. sur la valeur du marché mondial de la robotique allaient dans le même sens: le secteur automobile ("automotive") domine nettement les autres secteurs au niveau des achats de robots pour les années 1985 et 1986 et continuera à dominer à ce chapitre jusqu'en 1991, date à laquelle s'arrêtent leurs prévisions. (c.f. Tableau VIII, p. 96) Cela est fort plausible quand l'on pense qu'en 1984 G.M. prévoyait l'utilisation de 5 000 robots pour 1985 et de 14 000 en 1990 pour ses installations mondiales. (5)

 

     Cependant, comme les spécialistes de la robotique s'accordent à le dire, l'industrie des robots ne peut plus demeurer aussi dépendante du secteur automobile, car une baisse de ce secteur entraînerait nécessairement une crise de l'industrie robotique si elle lui demeure trop liée. Ceci

laisse donc présager qu'au cours des prochaines années les

fabricants de robots feront des efforts commerciaux et en

Recherche et Développement pour pénétrer de nouveaux secteurs

industriels. Donald A. Vincent, le Vice‑président de la Robotic Industries Association (R.I.A.), dit d'ailleurs à ce sujet que:

 

     "With the present situation, the builders and systems people must look beyond the auto industry to such areas as electronics, pharmaceuticals, food processing, textiles, and      other industries in which robots play a vital role in     improving productivity and competitiveness." (Stauffer,      1986, p. 9)

 

_________________________________________________________________


Tableau VII: Pénétration de la robotique en France suivant les secteurs en 1980.

 

_____________________________________________________________

  Secteur                        % du parc de robots        

_____________________________________________________________

 

  Automobile                         58 %

  Transformation des métaux           9 %

  Mécanique                           8 %

  Industrie électrique                6 %

  Industrie électronique              5 %

  Céramique                           5 %

  Caoutchouc                          4 %

  Cycles, motocycles                  2 %

  Aérospatiale                        1 %

  Transformation des métaux           1 %

  Divers                              1 %

_____________________________________________________________

Source: Coriat, 1983, p. 54.

 

_________________________________________________________________

 

On peut donc croire que le portrait des industries utilisatrices de robots sera appelé à changer au cours des prochaines années. De fait, si l'industrie automobile est présentement le secteur où l'on compte le plus de robots et si cette tendance semble vouloir persister jusqu'aux années 90 (c.f. Tableau VIII, p. 95 et IX, p. 98), on peut cependant s'attendre à des changements par la suite. Ainsi, en part de marché (%) la valeur des robots vendus dans le secteur automobile baissera de 17% entre 1985 et 1991 alors qu'elle s'accroîtra de 7% dans le secteur électronique. (c.f. Tableau IX, p. 98) Et si cette tendance se poursuit jusqu'en 1995 (c.f. Tableau X, p. 98) l'industrie électronique devrait alors égaler l'industrie automobile comme  utilisatrice de robots. Ceci est d'ailleurs fort plausible, car, selon le tableau VIII (plus bas), les ventes de l'industrie électronique ("shipment") doivent dépasser celles de l'industrie automobile dès 1988.

 

_________________________________________________________________Tableau VIII: Le marché des robots au niveau mondial (1985-1991) en millions de dollars (américains)

 

Segment     1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991  

Industry:                                              

Automotive     954 1 050 1 130 1 200 1 380 1 550 1 780 

Electronic     369   450   570   750   900 1 100 1 300 

Other          318   380   480   650   800 1 000 1 250  

Total       1 640 1 880 2 180 2 600 3 080 3 650 4 330 

Region:                                                

United States   558   600   660   825 1 030 1 250 1 530 

Japan          659   780   910 1 025 1 150 1 300 1 550 

Europe         375   450   550   650   800   950 1 100 

Rest of World    48    50    60   100   100   150   150  

Total       1 640 1 880 2 180 2 600 3 080 3 650 4 330 

Shipment:                                              

Automotive  15 09517 51019 26021 00024 80028 50033 300  Electronic                                             

      Units 11 71814 43018 49023 00027 75032 95038 850 

Other units 5 366 6 650 8 34010 95014 20017 60021 650  

Total       32 17938 59046 09054 95066 75079 05093 800 

                                                       

Note: colums may not add to totals shown due to rounding.

   

Source: Dataquest Inc., September 1986, cité par Stauffer, 1986, p. 10.         

 

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     De plus, si l'on considère que l'industrie électronique peut fabriquer ses propres robots, ce qui a déjà commencé, elle pourrait même dépasser l'industrie automobile à ce chapitre bien avant 1995. A titre d'exemple:

 

     A Bordeaux, en France, des robots I.B.M. assemblent des composantes pour les grands ordinateurs I.B.M. A Poughkeepsie, dans l'Etat de New‑York, des centaines de   milliers de connexions de circuits imprimés sont testés   automatiquement en quelques heures. A l'usine de Fujisawa,      au Japon, des composantes entrant dans la fabrication des     unités de disques 3380 sont en partie testées par des systèmes automatisés.      (I.B.M., 1983, p. 7)

 

C'est donc dire que la robotique fera des pas de géants dans ce secteur au cours des prochaines années. 

        

     Cependant, si les secteurs automobiles et électroniques compteront chacun pour le tiers du marché de la robotique en 1995, les autres secteurs industriels représenteront tout de même le dernier tiers de ce marché. Puis, après 1995 ils pourront même le dépasser, car c'est dans ces secteurs que se trouve le potentiel de développement futur de la robotique, l'automobile étant déjà fortement robotisé ‑‑ elle ne représentera alors qu'une demande de renouvellement ‑‑ et l'électronique  étant  pour une  part  autosuffisante ‑‑ les  robots représentant une de leurs productions. C'est là un point essentiel, car s'il y a des entreprises modernes et de pointes dans ce marché potentiel (par exemple la construction de machine‑outil et l'aéronautique), il y a aussi des firmes de secteurs plus traditionnels. Par exemple M. Raynald Roy, Ingénieur chez Recherche et Développement en Robotique Roy Inc. (R.D.R.R.), une P.M.E. de la région de Montréal qui fabrique des robots et fait de la consultation en robotique, nous a entre autres mentionné le cas d'une P.M.E. qui utilise des robots Roy pour manipuler des feuilles de métal qui doivent être coupées par des machines automatiques en vue de la fabrication de cheminées de tôle. (6) D'autres entreprises, autant des P.M.E. que des grandes firmes, utilisent aussi leurs robots pour des travaux aussi divers que de l'empaquetage, de la soudure, de l'inspection, de la coupe de tissus ou de verres, etc. En conséquence on peut croire que le robot, comme tout autre outil, n'est pas exclusif à un secteur industriel ou à des entreprises d'une certaine taille. Il est possible de le retrouver aussi bien dans une P.M.E. qu'une F.M.N., car son  

_________________________________________________________________Tableau IX: Part du  marché de la robotique que  représentent   

différents secteurs industriels (1985‑1991)

 

      

Industry     1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991

      

Automotive   58 % 56 % 52 % 46 % 45 % 42 % 41 %      

                                                       

Electronic   23 % 24 % 26 % 29 % 29 % 30 % 30 %      

                                                      

Other        19 % 20 % 22 % 25 % 26 % 28 % 29 % 

                                                     

Total        100 %100 %100 %100 %100 %100 %100 %

 

Source: calculé d'après les données du tableau de Dataquest Inc.,

september 1986, cité par Stauffer, 1986, p. 10, et reproduit en

page 87 de cette étude. (Tableau VIII)

 

 

Tableau X: Part estimée* du marché de la robotique que

représentent différents secteurs industriels entre 1992 et 1995.

 

   

  Industry      1992    1993    1994    1995 

  Automotive    39 %    37 %    35 %    33 % 

                                             

  Electronic    31 %    32 %    33 %    34 % 

                                             

  Other         30 %    31 %    32 %    33 % 

                                             

  Total       100 %  100 %  100 %  100 % 

* Prévision avec une baisse annuelle du marché de la robotique de

2% par an dans le secteur automobile et une hausse de 1% par an

de celui de l'électronique entre 1992 à 1995.

 

Source: Fait à partir des données des tableaux VIII et IX de

cette étude.

 

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utilisation dépend d'abord du travail à faire. Seul le nombre de robots utilisés et le travail qu'ils font peut différer selon le secteur de production et la taille des entreprises utilisatrices.

 

     Cependant, les robots ne sont qu'un des types d'équipements automatisés qui existent sur le marché. S'ils sont les plus remarqués, vu leur connotation futuriste, ils ne sont pas les seuls. Ainsi, si certaines entreprises n'ont pas recours aux robots cela ne signifie pas pour autant qu'elles ne sont pas automatisées. Loin de là d'ailleurs, car ces entreprises peuvent avoir recours aux systèmes de production intégrée. Ceux‑ci sont d'ailleurs beaucoup plus spectaculaires que les robots, même si l'on en parle beaucoup moins. C'est ce qu'il nous faut voir maintenant.

 

     Les systèmes de production intégrée, comme les robots, peuvent se retrouver dans toutes les entreprises peu importe leur secteur d'activité ou leur taille. En voici des exemples variés. Ce sont les tours automatiques, les affûteuses à contrôle numérique, et les pollisseuses automatiques dans l'industrie automobile. (Chen, Eisley, Liker, et al., 1984) Ce sont les assembleuses automatiques dans l'industrie du meuble, qui assemblent un meuble de cuisine en soixante secondes avec l'aide d'un seul homme pour recharger la machine en pièces. (7) Ce sont les équipements automatiques qui servent à cuire, couper, et empaqueter les pains et les gâteaux en processus continu dans les boulangeries modernes. (Hirschhorn, 1986) Ce sont les presses lithographiques électroniques, comme celle de la Ronalds de Montréal qui a une capacité d'impression de 10 millions d'imprimés couleurs par jour.(8) C'est le projet du "Centre de tri de bouteilles entièrement automatisé" de la firme Molson dont l'ouverture est prévu pour 1989. (9) C'est aussi la production de plastique, de papiers, et de batteries en processus continu pour ne nommer que celles‑là. (c.f. Tableau XI, p. 100)

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Tableau XI: Technique de fabrication pour certains produits aux Etats-Unis.


                                                            

_________________________________________________________________

 Name               Code*   Plant           Technology

-----------------------------------------------------------------GM Battery         F/NU    Batteries       Continuous process

Familly Food       F/NU    Food            Continuous process

Fall Mills         F/NU    Paper products  Continuous process

Scott Compressor   F/NU    Machining       Partly continuous 

Fuel Inc.          P/U     Gas             Continuous process

Reading Meat       F/U     Meat            Mechanical        

Office Inc.        P/U     Data/typing     Computer work stations  Smart Chem         P/NU    Plastics        Continuous process

New Chem           P/NU    Plastics        Continuous process

Big Chem           F/U     Plastics        Continuous process

Little Chem        F/NU    Plastics        Continuous process

Trucking Inc.      F/U     Warehousing     Manual, Assembly   

Farm Inc.          P/NU    Farm products   Mechanical/Partly 

                                           continuous    

South Mack         F/NU    Ball bearing    Mechanical/partly 

                                           continuous 

City Bureau [of]

Springfield Ohio   P/U     Service         Craft

Household Inc.     P/U     Consumer pro-   Varied

                           ducts

Sound Inc.         P/NU    Electronic      Assembly

                            components

Oil Inc.           P/U     Oil             Continuous process

General Foods      F/NU    Pet Food        Continuous process   Paper Inc. (1)     P/NU    Paper           Continuous process

Paper Inc. (2)     F/U     Paper           Continuous process

Electronics Inc.   F/NU    Circuits        Continuous process

-----------------------------------------------------------------*Code: F=Full sociotechnical design

       P=Partial sociotechnical design

       U=Union plant

       NU=Non Union plant

_________________________________________________________________Source: Hirschhorn, 1986, p. 122.

 

_________________________________________________________________

 

     Ainsi, la production automatique n'est pas l'affaire

exclusive de la robotique, ce que laissent trop souvent entendre les auteurs. Elle n'est pas non plus affaire de secteur industriel, ces équipements se retrouvant dans tous les

types d'entreprises. En fait, l'usage de la robotique ou des

systèmes de production intégrée est d'abord affaire de travail, car ce n'est pas un secteur entier que l'on automatise, mais des tâches particulières à l'intérieur des entreprises. C'est la soudure dans l'automobile, le collage de tissus dans le vêtement, le tournage d'outils dans les ateliers d'usinage et d'outillage ("machine shop" ou "machine tool"). En conséquence, le nombre de postes automatisables dans chaque industrie et dans chaque entreprise varie fortement d'un cas à l'autre. Ainsi, en France, la transformation des métaux est 9 fois plus automatisée que l'aérospatiale, qui est pourtant un secteur d'avant‑garde. (c.f. Tableau VII, p. 95) Et d'une entreprise à l'autre, dans un même secteur, ces taux peuvent fortement varier selon la spécialisation de chacune des entreprises en cause; leurs capacités d'investir dans ces équipements; et le degré de standardisation du travail qui s'y fait.  

                             

     Conséquemment, s'il n'y a pas de limite aux secteurs qui peuvent avoir recours aux automatismes industriels, il y a par contre une limite aux automatismes auxquels un secteur peut avoir recours. Des secteurs auront plus ou moins d'équipements automatisés selon le degré de standardisation de leur processus de production et les quantités à produire. C'est ainsi, par exemple, que dans l'industrie automobile, où les tâches sont déjà bien délimitées et le travail standardisé (par le fordisme), il peut y avoir davantage d'automates que dans la production aérospatiale, où chaque travail représente souvent un nouveau défi tant pour les ingénieurs que les ouvriers. Cela est clair.

 

     Enfin, une dernière remarque s'impose. Nous croyons que les taux statistiques d'automatisation des différents secteurs manufacturiers sont trompeurs.  Deux causes tendent à expliquer ce phénomène.

 

     Premièrement, ces taux concernent trop souvent les seuls robots et ne tiennent pas compte des systèmes de production intégrée, ce sur quoi nous avons insisté plus haut. Ainsi tout un secteur des automatismes industriels est oublié. Et pourtant ces équipements sont d'un poids important dans l'organisation du travail et la structure de l'emploi. Par exemple, quand les T.U.A. parlent du déplacement de 3 800 ouvriers du secteur automobile à cause de l'usage de 2 100 robots (Mc Queen, 1986), c'est beaucoup en nombre réel. Mais en proportion cela ne représente que 1,8 hommes par robot (10), ce qui est peu comparativement aux effets des systèmes de production intégrée qui peuvent déplacer jusqu'à 10 ouvriers par machine.  Pourtant on parle moins de ces derniers déplacements. C'est peut‑être parce qu'ils concernent souvent des P.M.E., comme les ateliers d'usinage, et sont alors moins spectaculaires en nombre réel. Néanmoins ils sont tout aussi impressionnants. Par exemple la Yamazaki Machinery Corporation du Japon soutien qu'avec son système de 18 machines outils un atelier d'outillage peut fabriquer 74 produits en 1 200 variantes avec 12 opérateurs seulement, ce qui constitue une forte baisse de l'emploi comparativement aux 68 machines et 250 employés qu'exigerait une installation classique pour exécuter un travail similaire. (11)

 

     Deuxièmement, quand les statistiques montrent le secteur automobile comme étant le plus automatisé, cela est vrai en terme d'unité de robots et autres équipements. On ne peut le nier. Cependant, au niveau de la proportion de la production faite de manière automatique ce n'est pas le secteur le plus automatisé. En effet, une large part du travail y est encore faite de manière manuelle ou mécanique. Par contre, d'autres secteurs, où il y a parfois moins d'équipements, travaillent en processus continu. C'est notamment le cas dans les ateliers d'usinage, là où l'on a recours aux systèmes comme ceux de la Yamazaki, même si ce sont des P.M.E. L'électronique est aussi très automatisée. Par exemple

les calculatrices Sharp sont fabriquées sur une chaîne entièrement automatique qui les produit au "rythme exceptionnel

d'une unité par seconde". (12) Ainsi, en confondant automatisation et quantité d'équipements automatiques, les statistiques cachent certains secteurs qui sont fortement automatisés au dépend d'autres secteurs qui n'ont parfois pas encore atteint un tel degré d'automatisation même s'ils ont quantitativement davantage d'équipements. C'est là un point essentiel, car il montre qu'il faut être prudent dans l'interprétation de toutes les données que l'on trouve sur l'automatisation des industries.

 

     En conséquence, nous pouvons conclure que l'automatisation de la production et du travail n'est ni affaire de taille ni de secteur industriel. Elle est affaire de tâches. Si certaines opérations sont assez standardisées pour être maîtrisées par des outils automatiques elles seront alors technicisées, ce qui peut aussi bien se faire par la robotique que par les systèmes de production intégrée. Les robots ne sont donc pas seuls, ce que trop d'auteurs oublient. C'est là un fait dont on doit tenir compte, car il a un impact sur la qualité et la quantité du travail, les deux thèmes qui suivent.

 

3.3. Equipements automatiques et organisation du travail

 

     Avec l'entrée des outils programmables et automatiques dans les ateliers certains spécialistes de l'organisation du travail s'attendaient à ce que l'O.S.T. y revienne en force et à ce que l'homme soit davantage asservi à la machine, car "quand [les patrons disposent d'un] bon bâton, pourquoi partager les carottes?" (Vaillancourt et Vaillancourt, 1981, p. 48). Mais de récents travaux semblent montrer qu'on est loin de cette déqualification. (Coriat, 1983; Coriat et de Terssac, 1984; Kern et Schumann, 1984) Qu'en est‑il au juste? C'est ce à quoi nous allons tenter de répondre ici.

 

     Au niveau de la production, l'introduction des nouveaux équipements programmables s'accompagne souvent d'un virage au niveau de l'organisation du travail, sinon à quoi serviraient des équipements polyvalents si les ouvriers ne sont pas eux‑aussi polyvalents; s'ils ne peuvent s'adapter aux changements du produit; et, surtout, s'ils ne peuvent résoudre rapidement les problèmes qui se posent sur leur machine au risque de la voir gravement endommagée. En conséquence les nouvelles formes d'organisation du travail y semblent avantageuses, car elles permettent d'utiliser au mieux ces équipements et les connaissances des ouvriers. C'est ce que nous allons d'abord vérifier ici. Après, nous regarderons ce qu'il en est pour les professionnels d'entretien et si ces N.F.O.T. s'appliquent indistinctement pour tous les ouvriers qui travaillent sur ces équipements.

 

     Premièrement, il semble que les N.F.O.T. permettent d'accroître la productivité des équipements en alliant la productivité du travail vivant à celle des machines. Ainsi, les ouvriers qui travaillent sur les systèmes automatiques et programmables peuvent faire des tâches connexes à leur fonction d'opérateur telles que les changements, réglages, et ajustements d'outils; le nettoyage de leur aire de travail; et les réparations lors d'un dysfonctionnement mineur. Par exemple au Dearborn Engine Plant (D.E.P.) de Ford, les ouvriers qui s'occupent du "polissage des vilebrequins" ("crankshaft grinding") font aussi d'autres opérations qui sont complémentaires à leur travail:

 

     Beyond a few isolated cases (e.g., the insertion of worker    to visually inspect the newly ground crankshafts) each person in grinding is a generalist who sets up the machine, checks gauging, change tools, inspect the work, loads and unloads crankshafts as necessary, and has four, not one,     machines to tend. The person who mounts the grinding wheel     also does cleanup and other odd jobs. (Chen, Eisley, Liker,   et al., 1984, p. 51)

 

 

Il y a donc élargissement des tâches et rationalisation des opérations par rapport à l'ancien système, où l'opérateur n'avait qu'à faire fonctionner sa machine et à attendre après l'ajusteur pour effectuer ses réglages, le "stock handler" pour le libérer du travail fini et lui apporter d'autres pièces, et le nettoyeur pour entretenir son espace de travail.

 

     Deuxièmement, ces formes d'organisation du travail offrent un avantage au niveau de l'utilisation des systèmes automatiques, car les opérateurs, ayant une qualification élargie, peuvent prendre en charge le travail de leurs confrères lorsque ceux‑ci sont absents ou en pause sans que la production ne soit perturbée ‑‑ sauf en quelques cas comme lors d'un dysfonctionnement majeur. Il en résulte alors une augmentation de la productivité, les machines étant continuellement en opération. C'est notamment l'un des buts recherchés par la polyvalence des tâches dans l'industrie automobile. (Bonnafos, Chanaron, et de Mautort, 1983; Chen, Eisley, Liker, et al., 1984)

 

     Troisièmement, avec les outils programmables il devient souhaitable qu'un ouvrier agisse rapidement sur sa machine en cas de pépin, car tout arrêt de celle‑ci peut entraîner le blocage ou un bris de la chaîne, chacun de ses éléments étant interreliés. En conséquence, l'ouvrier doit être assez qualifié pour agir en temps voulu, parfois avant même que le dysfonctionnement ne se produise, à la simple vue du risque. (Coriat, 1983) De cette façon l'ouvrier contribue à accroître la productivité de l'entreprise en empêchant que trop de pièces ne soient manquées. Ainsi au D.E.P. de Ford l'utilisation des N.F.O.T. avec les systèmes automatiques a permis d'abaisser les taux de réparation des moteurs à moins de 7% par année, pour une amélioration annuelle de 25%. Et pour 1986 l'entreprise se fixait comme but d'atteindre un taux de 3% par an, soit le niveau atteint par les japonais. (Chen, Eisley, Liker, et al., 1984)        

       

     Quatrièmement, ces formes d'organisation du travail assurent une qualité comparable du travail manuel et automatique, car elles contribuent à améliorer la qualité du travail manuel. Par exemple, à mesure que l'industrie automobile s'automatise, les N.F.O.T. y font des entrées de plus en plus importantes pour assurer une qualité comparable entre le travail manuel et celui fait par les machines. Ainsi, dans le projet de l'Autoplex de G.M. à Oshawa (Ontario):

 

     The assembly operations will be redesigned, all but eliminating the traditional assembly line and replacing it with computer‑controlled automatic guidance system. These will move cars to a series of work islands, each of which will be manned by "employee clusters" of eight to 15   workers. Only when each team is satisfied with the quality    of its work will the vehicule proceed to the next island.   The upgrading also involves the installation of 750 robots    and the restructuring of supply methods so that the majority      of parts will arrive on a just‑in‑time basis. (Mc Queen, 1986, p. 33)

 

     Il en ressort que les outils programmables et automatiques,  loin de tracer une limite à l'application des N.F.O.T. peuvent les favoriser. Il arrive même que l'entreprise devienne "dépendante" de ses ouvriers spécialisés, même si leur qualification fut acquise sur le tas. Ainsi, au D.E.P. de Ford:

 

     At least one worker explained (with obvious pride) that on    several occasion he has been called in from vacation to get his machine running again after a serious breakdown. (Chen,    Eisley, Liker, et al., 1984, p. 94)

 

     Ensuite c'est au niveau des professionnels d'entretien que des changements à l'organisation du travail sont apparus. Ceux‑ci se situent au niveau de leur qualification et de leur autonomie.

 

     D'abord, il semble que les outils programmables et automatiques ont pour effet d'accroître la qualification de ces ouvriers. En effet, si d'un côté les opérateurs de ces équipements assurent une part du travail qui était auparavant dévolu à ces professionnels (réglages, ajustements, et réparations mineures), de l'autre ces professionnels doivent

dorénavant assurer des tâches plus complexes et faisant appel

à une qualification accrue, ces équipements étant plus sophistiqués et intégrant des principes informatiques et des

applications de "l'intelligence artificielle": vision artificielle, senseurs de chaleur, adaptation automatique à une

variation de modèle sur une chaîne de montage, etc. Par exemple dans l'industrie automobile:

 

     Les travailleurs du service entretien deviennent des     généralistes capables de dépanner des pannes   électro‑mécaniques, mécaniques, hydrauliques, pneumatiques   et possèdent un niveau de baccalauréat technique, voir de BTS. Ceux du service central possèdent un niveau supérieur     au BTS et réparent les pannes complexes et celles qui      affectent le calculateur des machines. (Bonnafos, Chanaron,   et de Mautort, 1983, p. 73)

 

Ainsi les nouveaux équipements, loin d'enlever la qualification et le statut des professionnels, les bonifient. Ils deviennent plus important, car c'est sur eux que repose le caractère continu des chaînes de montage. Par exemple chez Ford:

     Skilled trades workers (...) occupy a unique position. They   are vital to the efficient functionning of the plant and its hundreds of millions of dollars equipment. (...) To    recognize their special skills and to avoid losing them to a     labor market perennially in demand of skilled labor, Ford     pays a substential wage differential to tradesmen. Thus,     training and pay set skilled tradesmen apart from other   hourly employees. (Chen, Eisley, Liker, et al., 1984, p. 69)

 

 

     Cependant, en contrepartie à cette hausse de qualification, les professionnels ont vu leur autonomie décroître, car avec les nouveaux systèmes automatiques ils deviennent partie intégrante de l'organisation productive du travail, la productivité de ces équipements dépendant de leur vitesse d'intervention. C'est là un élément si important que dans plusieurs entreprises les employés d'entretien ont perdu le privilège d'un local à part et leur indépendance pour être positionné près des chaînes automatisées, "sous la dépendance hiérarchique de la maîtrise de fabrication" (Bonnafos, Chanaron, et de Mautort, 1983, p. 74). Mais ce qui est plus important encore, c'est le fait que plusieurs firmes pensent

maintenant spécialiser le travail de ces professionnels selon

les machines et les niveaux de pannes. Ainsi dans l'industrie

automobile l'idée fut émise d'intégrer une alarme aux machines qui appellerait le premier niveau des agents d'entretien en cas de panne et une seconde alarme qui en appellerait le second niveau si elle n'est pas réparé en temps voulu, ce qui signifierait que la panne était trop complexe pour eux ou

qu'ils n'ont pas travaillé assez vite. (Bonnafos, Chanaron,

et de Mautort, 1983) C'est là un point fondamental, car dans

les industries modernes, où le ratio capital/travail est

élevé, ce n'est pas le non travail de ces professionnels qui

est coûteux (peu importe leurs salaires) mais l'arrêt des

machines. (Levinson, 1976) On ne cherche donc pas un travail

constant de leur part, mais un travail rapide, ce qui explique leurs pertes d'autonomie.

 

     Les outils programmables ne sont donc pas une limite à l'utilisation des N.F.O.T. Au contraire, ils semblent en favoriser l'usage. D'ailleurs notre tableau XI (p. 100) le montre bien, car toutes les entreprises manufacturières utilisant le processus continu utilisent soit une approche socio‑technique, soit une approche partiellement socio‑technique. Si tel est le cas, c'est qu'en améliorant la productivité des hommes les N.F.O.T. contribuent en même temps à accroître celle des machines, car si les ouvriers ne peuvent assurer le rythme de ces équipements ceux‑ci deviennent alors moins productif que les anciennes méthodes d'où des pertes pour l'entreprise.

 

     D'un autre côté ces équipements contribuent aussi à améliorer les conditions de travail des ouvriers en prenant en charge certaines tâches ardues et dangereuses. C'est particulièrement le cas pour les manipulations dans l'industrie

nucléaire, le travail de forge dans l'industrie mécanique, et

la peinture dans l'automobile. (Coriat, 1983) En ce sens elles complètent les nouvelles formes d'organisation du travail en libérant l'ouvriers de tâches ardues. Mais ce n'est là qu'un bien mince bénéfice pour les ouvriers comparativement aux gains de productivité qu'en retirent les entreprises.                        

     Par contre, et malgré ces aspects positifs, il ne faut pas croire que les nouvelles formes d'organisation du travail s'appliquent partout où il y a des outils automatiques et programmables. Deux faits le montrent, tel que nous l'avons vu au chapitre précédent.

 

     D'une part, dans les secteurs traditionnels et à main‑d'oeuvre dominante, comme le vêtement et le meuble, il y a moins de chance de voir ces N.F.O.T. s'appliquer même  s'il y a des outils automatiques, car le pouvoir des entreprises de ces secteurs se fonde sur la division du travail, vu la possibilité plus grande que des ouvriers puissent mettre sur pied des entreprises concurrentes avec un faible apport en capital s'ils connaissent le métier, et sur l'embauche d'une main‑d'oeuvre faiblement qualifiée, donc plus facile à remplacer en cas de roulement élevé. (Marglin, 1973; Barnet et Muller, 1974; Levinson, 1976; Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981; Meadows, 1984) De plus, le paiement de salaires plus faibles, dû en partie  aux marges de profits inférieures de ces secteurs et à la plus forte concurrence qu'ils subissent de la part d'entreprises de la Périphérie qui bénéficient de conditions socio‑économiques et politiques plus avantageuses que les leurs, ne favorisent pas la revendication de meilleures conditions intrinsèques de travail de la part des ouvriers. En effet, ceux‑ci cherchent d'abord à accroître leurs salaires, pour améliorer leur niveau de vie, avant de vouloir améliorer leurs conditions de travail. (Tausky, 1970; Durand, 1978; Ronen et Sadan, 1984)

 

     D'autre part, dans les cas où les N.F.O.T. peuvent s'appliquer, comme dans les entreprises des secteurs modernes et de pointes, où les machines protègent les entreprises contre une possible concurrence de la part des ouvriers et où les salaires sont plus élevés, ce qui y favorise davantage la revendication de meilleures conditions intrinsèques de travail, les N.F.O.T. ne s'appliquent pas nécessairement. En effet, seule la direction de l'entreprise ‑‑ le "management" ‑‑ est libre de juger si elle utilisera ou non ces formes d'organisation du travail, car pour chaque machine plusieurs formes d'organisation du travail sont possibles. (Emery et Trist, 1960; Durand, 1978; Hill, 1982) Ainsi, le fait de répondre à toutes les conditions pour pouvoir appliquer les N.F.O.T. n'est pas davantage un incitatif à les utiliser. Celles‑ci relèvent d'abord et avant tout de la volonté des directions d'entreprise de les mettre en application. C'est

là un point essentiel à retenir.

 

     Enfin, il faut souligner que si ces équipements semblent favoriser une requalification du travail ouvrier, dans d'autres cas ils contribuent plutôt à une déqualification de celui‑ci. Cela peut se faire par l'apparition d'un néo‑taylorisme, l'appropriation de certaines tâches qualifiées par les machines, et, finalement, les déplacements d'emplois.

 

     D'abord, les systèmes intégrés de production non flexible favorisent l'apparition d'un néo‑taylorisme en n'exigeant de l'ouvrier qu'une présence d'appoint pour voir à ce que la machine ne manque pas d'être approvisionnée en "matières premières"; à ce que le produit qui en sort soit bien expédié aux autres postes de travail; et à ce qu'il y ait quelqu'un pour "donner l'alarme" en cas de difficulté. Ainsi au travail parcellaire se substitue un simple rôle de surveillance et de manutention, ce qui n'exige pas davantage de connaissance qu'avec l'O.S.T. C'est par exemple le cas dans le meuble, où:

 

     "Une machine prend les éléments directement à la sortie de    la tenonneuse, prend dans une trémie les parties   métalliques, les insère, visse ou cloue, et éjecte une     étagère terminée sur un tapis roulant à une cadence de sept     à dix à la minute ‑‑ on n'a besoin que d'un seul opérateur     pour recharger les trémies et les cloueuses. [U.S. Dept. of      Labor, Technological trends in major american industries,      bulletin no. 1 474, Washington, 1966, pp. 45‑6, cité par Braverman, 1976, p. 175]

 

 

Ce l'est aussi dans le verre, où, par exemple, les ouvriers de la Saint‑Gobain doivent fournir des machines qui  produisent au rythme de 100 000 à 110 000 flacons de pénicicilines en huit heures. (Durand, 1978)

 

     Ensuite, les robots menacent de plus en plus les emplois qualifiés à mesure que leur technologie progresse. Par exemple ceux‑ci sont dorénavant capable de faire des tâches d'inspection avec des système de mesure au laser, ce qui élimine des postes d'inspecteurs. Ainsi Shaiken rapporte que chez G.M. des robots "équipés de télémètre à laser [vérifient maintenant] les dimensions finales des carrosseries" (1986, p. 169), d'où une perte de travail qualifié pour les ouvriers.

 

     Enfin, en déplaçant des ouvriers les équipements automatiques et programmables contribuent à une déqualification générale du travail. Cela se fait de deux façons. D'une

part, avec la pénétration des nouveaux équipements dans les

ateliers, le travail moyennement qualifié voit sa part décroître au profit du travail peu qualifié (servir une machine en pièces) et très qualifié (programmation, vérification, et entretien de l'équipement). (Hansen et Lund, 1986) D'autre part, en éliminant des emplois, l'automatisation contribue à une déqualification générale du travail, car les ouvriers qui perdent leur emploi ont davantage de chance de se trouver un emploi moins qualifié que celui qu'ils ont perdu qu'un emploi équivalent ou supérieur. Comme le dit Shaiken sans équivoque, les ouvriers déplacés par les robots ont davantage de chances de "tenir la caisse électronique chez Mc Donalds [que de] travailler sur des logiciels chez Wang". (1986, p. 182)

 

     Ainsi, si les équipements automatiques ont des effets positifs sur l'organisation du travail, ils ont aussi leur contre‑partie négative. Et si tel est le cas c'est que le but de ces équipements n'est pas de rendre les ouvriers heureux, mais de rendre le travail plus productif et moins coûteux pour l'entreprise. Alors, peu importe qu'une tâche soit ardue ou qualifiée, elle sera automatisée s'il est à la fois possible et rentable de le faire. C'est là le but de ces équipements. (Shaiken, 1986)

 

     En conséquence, si les N.F.O.T. sont dépendantes des systèmes automatiques de production tel que nous l'avons dit au chapitre précédent, l'inverse n'est pas vrai. Les systèmes automatiques peuvent fonctionner avec ou sans ces formes

d'organisation du travail. Cependant, dans les cas où celles‑ci sont préférables pour des motifs d'efficacité et de rentabilité, elles seront utilisées. Ces stratégies productives ne s'opposent donc pas tel que nous nous y attendions au départ, mais se complètent. Néanmoins cela ne semble pas un motif suffisant pour amener toutes les entreprises à les utiliser. Cela dépend du secteur industriel et de la volonté des directions d'entreprises à vouloir les appliquer. C'est là un point essentiel.

 

     On ne peut pas davantage conclure à une requalification ou une déqualification du travail humain, car ces deux tendances sont présentes dans l'utilisation de ces outils. Tout ce qu'on peut dire c'est que ces outils servent à accroître la profitabilité du travail humain et que si pour atteindre ce but certaines tâches doivent être requalifiées elles le seront  et si elles doivent être déqualifiées elles le seront aussi. Seul l'avenir nous dira si l'une de ces deux tendances prendra le dessus sur l'autre.

 

     Pour notre part nous croyons à la poursuite de ces deux tendances à la fois. Pour certains travaux spécialisés les ouvriers devront être qualifiés. Ce sera par exemple le cas pour les productions en petites série, comme chez Outil Coupant International, ou pour des pièces qui doivent répondre à des critères élevés de qualité, comme dans l'automobile. Pour les travaux exigeant moins de précision on assistera plutôt à une déqualification du travail, l'ouvrier n'ayant qu'à approvisionner une machine en pièces et à sonner une alarme en cas de pépin. C'est notamment le cas dans la menuiserie et pour certaines productions du verre tel que nous l'avons vu plus haut.

 

     La seule certitude que nous avons ici est qu'il y aura déqualification pour les ouvriers qui perdront leur emploi à cause de ces équipements, car les nouveaux emplois qui seront créés seront soit trop qualifié pour eux (emplois spécialisés), soit moins qualifié que celui qu'ils auront perdus (emplois de journalier, de manoeuvre, ou d'entretien) et souvent temporaire. Ainsi, si le bilan de l'automatisation peut être positif pour les ouvriers qui conserveront leur travail, il le sera probablement moins pour ceux qui le perdront.

 

     Une dernière question se pose: quel est l'impact de ces outils et de la nouvelle organisation du travail sur la quantité de travail? C'est là une question importante, car cette hausse de productivité, si elle est due aux machines, n'est pas due qu'à celles‑ci. Elle est aussi redevable aux réaménagements de l'organisation du travail qui ont accompagné leur entrée dans les entreprises. C'est ce qu'il nous faut voir maintenant.

 

3.4. L'impact des outils automatiques et programmables sur l'emploi

 

     L'apparition des premiers équipements automatiques au cours des années 60 n'a pas immédiatement soulevé de craintes de la part des ouvriers, cette arrivée se faisant en période d'expansion économique et de "plein emploi". Cependant, l'arrivé des robots à la fin des années 70 et au début des années 80 a pour sa part constitué un échappatoire pour toutes les craintes accumulées jusqu'à ce jour face aux automatismes industriels. Deux causes l'expliquent. D'abord, il y a le nom même de robot qui laissait présager, par la littérature et les films de science fiction, l'apparition d'outils qui pourraient remplacer l'homme dans toutes ses tâches. Ensuite, comme ces outils sont apparus dans une période de crise économique, déjà au prise avec le problème du chômage, ils ont accentué les craintes déjà présentes de voir l'emploi décroître drastiquement. Il n'y avait plus rien de rassurant. Mais, en même temps, les "gourous" de la robotique voyaient dans ces nouveaux équipements les sauveurs de l'économie

moderne. Qu'en est‑il réellement? C'est ce qu'il nous faut voir ici.

 

     Si l'on observe l'évolution "démographique" des robots entre 1970 et 1982, on constate qu'elle fut plutôt lente. Selon l'O.C.D.E. (c.f. Tableau XII et XIII, p.117) on en comptait seulement 1 000 en 1970 pour le monde (ce qui peut même être surreprésentatif vu les différentes définitions utilisées), 3 500 en 1974, 13 734 en 1980, et 31 000 en 1982. Ainsi considéré le robot ne semble pas des plus menaçant. Mais c'est là un paradoxe.

 

     En effet, si l'on considère ces données sur la base des Etats‑nations on s'aperçoit que certains pays, le Japon et les Etats‑Unis en particulier, possèdent plus de robots que d'autres, ce qui y représente davantage une menace à l'emploi. Pourtant, dans le cas du Japon cette menace ne semble pas s'être concrétisée, car ce pays a vu sa productivité croître de 2,8% par année en moyenne entre 1973 et 1983 pendant que son taux de chômage est demeuré stable à 2,0% par an. (13) Cependant, ces données doivent être manipulées avec soin comme le dit Ichiyo, le directeur du Pacific‑Asia Resource Center de Tokyo, car entre 1973 et 1979 le nombre de travailleurs industriels japonais a diminué d'un million suite à des mises à la retraite "forcée". (1984) Mais, comme cela se fait souvent sous le couvert de départ volontaire, ceci fausse les statistiques officielles. (Ichiyo, 1984) Ainsi, en terme réel, l'emploi peut avoir diminué plus qu'il ne l'est reconnu au Japon et les processus d'automatisation

(robots et systèmes de production intégrée), responsables des

hausses de productivité ne sont peut être pas étranger à cette situation. Mais on ne peut l'affirmer, car les données nationales recouvrent tous les secteurs industriels, ce qui contribue à cacher bien des mouvements.

 

     Des  statistiques récentes sur la productivité et l'emploi dans le secteur manufacturier de différents pays tendent cependant à confirmer l'hypothèse d'une diminution de l'emploi liée à l'automatisation. (c.f. Tableau XIV p. 118) Par  exemple l'Italie et la Belgique, avec des hausses de productivité de près de 13%, ont connu en même temps des baisses d'emplois de 11 et 20%. La France, avec une hausse de productivité de  9,6%, a pour sa part connu une baisse d'emploi de 13,2%, et les Etats‑Unis, avec une hausse de productivité de 17,9%, ont connu une diminution de l'emploi de 1%. On peut alors croire à un effet négatif des équipements automatiques et des N.F.O.T. sur l'emploi, car en agissant positivement sur la productivité, ils agissent négativement sur la  quantité de travail. Seul le Japon a connu une hausse notable de l'emploi (5,8%). Cependant, comme

cette hausse est plus de dix fois inférieure à la hausse de

productivité qu'il a connu sur la même période (65,2%), ceci

laisse croire que l'automatisation y a tout au moins supprimé des emplois potentiels, des emplois à être créés, sinon la hausse d'emploi de l'industrie japonaise aurait été nettement supérieure à 6% avec une telle hausse de productivité. Ces chiffres semblent donc confirmer ce que plusieurs études disaient déjà. (Coriat, 1983; Shaiken, 1986) Ceci apparaît logique:

 

     Parce‑que son but est de remplacer la main‑d'oeuvre par des      procédés automatisés, l'investissement dans l'innovation      technologique engendre finalement une baisse de l'emploi. Il est vrai que l'investissement dans les unités à facteur capital dominant a pour effet immédiat de créer de l'emploi, et donc de la demande  de  consommation,  pendant  le stade de réalisation du projet. Cependant, dès que l'unité devient     opérationnelle et commence à produire selon le programme     prévu, l'effet à plus long terme est une diminution  nette       de l'emploi. En effet, le rapport capital/travail est plus    élevé dans la nouvelle unité que dans celle qu'elle   remplace. (Levinson, 1976, pp. 52‑3)

 

     Cependant, il faut faire attention à ces données. Par exemple, si l'emploi diminue dans les secteurs automatisés, comme l'automobile, mais s'accroît dans les secteurs peu automatisés, comme la construction, les données nationales montreront une hausse au niveau de l'emploi et de la productivité qui n'est pourtant pas liée. Et l'inverse aussi est vrai. Il peut y avoir hausse d'emploi dans des secteurs fortement automatisés, comme l'électronique, et baisse d'emploi dans des activités peu automatisées, comme la chaussure, et les statistiques montreront alors une baisse d'emploi et une hausse de productivité. On peut                    

_________________________________________________________________

                   

Tableau XII: Estimation de la population mondiale de robots: 1970‑1980.         

                    1970     1974        1978       1980     Pays            Nombre %  Nombre %  Nombre %  Nombre % 

Japon              16116,1 1 50042,9 3 00037,5  600043,7

Etats‑Unis         20020,0 1 20034,3 2 50031,2  350025,4

Suède               55       135       490    1 2008,7

Allemagne                    133       600    1 1338,2

Italie                        93       300       4002,9

Royaume Uni                  136                 3712,7

France                        30                 2001,4

Finlande                                         1300,9

Europe                       80022,8 2 00025,0         

Autres pays                                            

occidentaux                                     300 2,1*

(dont Australie)                                 (400,3)

Pays socialistes                                 5003,6

MONDE           1 000 100 3 500 100 8 000 10013 734100

* Oublié dans la version originale. (N.D.L.R.)  

Source: O.C.D.E., L'incidence des équipements industriels automatisés sur les industries manufacturières des pays membres,

1982, cité in Coriat, 1983, p. 39.

                   

                    

                   

Tableau XIII: Estimation de la population mondiale de robots:

              1981‑1982.

                         1981            1982             

Pays                   Nombre          Nombre            

Japon                    9 500          13 000            

Etats‑Unis               4 500           6 250            

Suède                    1 700           1 300*           

Allemagne                2 300           3 500            

Italie                     450             790             

Royaume‑Uni                713           1 152            

France                     790             950            

Pays‑Bas                    62           ‑‑‑‑‑            

Monde (estimé)          22 000          31 000             

* Données révisées en baisse à la suite d'une modification de

  définition.      

                   

Source: O.C.D.E., 1983, p. 54.

 

Tableau XIV: Changement de la productivité et de l'emploi

             dans différents pays: 1977‑1984

 

               Changement en Changement de Variation de 

Pays           % de la pro‑  la production l'emploi du   

               duction du    par employé  secteur ma‑  

               secteur manu‑ en %         nufacturier  

               facturier                  en %         

Japon             65,2          56,2           5,8      

Danemark          20,6          21,2          ‑0,4      

Etats‑Unis        17,9          19,2          ‑1,0      

Italie            13,1          27,3         ‑11,1      

Belgique          12,8          41,1         ‑20,0      

Suède             12,4         27,2         ‑11,6      

Pays‑Bas          10,8          34,7         ‑17,7      

Canada            10,1           9,1           0,9      

France             9,6          26,3         ‑13,2      

Allemagne          7,5          19,1          ‑9,7      

Norvège            1,2          17,9         ‑14,2      

Royaume‑Uni       ‑7,6          22,7         ‑24,7      

Source: Manufacturing Productivity Frontiers, juin 1986, cité in Bulletin CAD/CAM, Conseil Canadien CAD/CAM, Ottawa, Sept. 1986, Tableaux 1, 2, et 3, pp. 6‑7.

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alors difficilement parler d'une relation de cause à effet entre la productivité et l'emploi à partir de telles données. On peut par contre les considérer comme des indices, mais on se doit d'aller beaucoup plus loin que ces simples chiffres nationaux dans l'analyse. 

 

     Si l'on regarde ensuite ces données par secteur industriel on s'aperçoit alors que l'emploi semble diminuer là où les systèmes automatiques sont utilisés en grand nombre. C'est notamment le cas dans l'automobile, où des milliers d'emplois ont été perdus au début des années 80 aux Etats‑Unis, en France, en Angleterre, en Allemagne, et en Suède à cause de l'automatisation des entreprises. (F.I.O.M., 1982; Coriat, 1983; Salzman, 1985) Même pour le Japon la F.I.O.M. dit qu'"on peut difficilement s'attendre à une augmentation de la main‑d'oeuvre étant donné la baisse de croissance de la production et la robotisation" (1982, p. 218).

  

     En conséquence, on peut croire que les équipements automatiques, grâce à leurs effets sur la productivité, contribuent à une diminution de l'emploi là où ils sont utilisés. C'est d'ailleurs ce que recherchent les entreprises, sinon à quoi servirait d'investir dans ces équipements si aucunes économies ne leurs sont associées. C'est ainsi que chez Renault "l'usinage des porte‑fusées R 9 s'effectue ‑‑ à quantité de production égale ‑‑ avec une diminution du personnel voisine de 40%" (Coriat, 1983, p. 111) et que chez Chrysler 98% des 3 000 soudures du modèle K sont réalisées par des robots (Shaiken, 1986). D'ailleurs, selon une enquête effectuée par la firme Hitachi dans 106 ateliers, "les réductions d'effectifs s'échelonnent entre 40 et 70% suivant les types de fonction envisagés". (14) L'effet net de l'automatisation est donc négatif. Comme Coriat nous pouvons dire que "les emplois créés sont loin de compenser les emplois supprimés" et que seule l'importance de ces pertes est discutable. (1983, p. 110)                                       

     Cependant, si dans certains cas les entreprises choisissent de congédier leur personnel ainsi libéré, ce ne sont pas toutes les firmes qui prennent cette décision. Certaines d'entre elles en profitent plutôt pour mettre sur pied un autre quart de travail et ainsi faire tourner leurs équipements plus longtemps. Cela est même avantageux pour elle, car à masse salariale égale, la production peut être doublée, d'où une hausse de productivité des plus profitable pour l'entreprise. C'est notamment ce qui est arrivé aux firmes Thomson‑Angers (montage d'appareils de télévision) et Leroy‑Somer (fabrication de moteurs électriques) de France , où le travail en deux équipes fut instauré avec le personnel libéré par l'arrivée des nouveaux équipements, ce qui a permis de "rentabiliser ces équipements" et d'accroître les bénéfices de ces entreprises selon Morville. (1985) 

 

     Avec certains réaménagements, il y a donc des possibilités de conserver les emplois même avec l'entrée des automatismes industriels dans les entreprises. Parfois, suite à  l'amélioration de la qualité du produit et à la hausse de demande qui en résulte, il y a même des occasions de créer de nouveaux emplois. C'est notamment ce qui est arrivé suite à l'automatisation de l'usine 599 de Buick: le travail y a afflué et l'entreprise procéda alors à l'embauche de 300 personnes au lieu d'y faire des renvois. (F.I.O.M., 1981) Cependant, si l'on considère le niveau de production atteint l'on constate que moins d'ouvriers sont nécessaires à sa production qu'avec les anciennes méthodes. Ainsi, pour ces emplois sauvegardés ou créés des emplois ont été perdus ailleurs, dans d'autres installations nationales et étrangères, car pour répondre à une demande donnée moins d'ouvriers sont nécessaires.  Par exemple, alors que G.M. est davantage automatisé que jamais auparavant, elle menace de fermer une dizaine de ses usines en Amérique du Nord (les moins automatisées et les moins productives) au nom de son efficience sur le marché mondial. (15) C'est donc dire que l'automatisation n'est pas créatrice d'emplois quoi qu'en disent ses défenseurs.

 

     Cependant, cela ne constitue pas une raison de rejetter l'automatisation des entreprises, car si elles ne s'automatisent pas et que des firmes étrangères le font, elles seront alors dépassées par celles‑ci et perdront leurs marchés. Des emplois seront ainsi perdus, davantage même que si elles s'automatisent. C'est notamment ce qui est arrivé dans le cas de l'automobile au tournant des années 80, alors que les entreprises américaines ont perdus une forte part de leurs marchés aux mains des entreprises japonaises plus avant‑gardistes. (F.I.O.M., 1982) Ainsi, des 430 000 emplois perdus dans le secteur automobile américain au cours de cette période (F.I.O.M., 1982), les robots seraient loin d'être les seuls responsables. En effet, Salzman (1985) a calculé, en leur appliquant un taux de perte de deux emplois par robot, (16) que ceux‑ci n'expliqueraient que 10 000 emplois perdus dans ce secteur. Et si l'on évalue les systèmes de production intégrée au même nombre (5 000 unités) et que l'on considère qu'ils déplacent environs 16 hommes par machine, ceux‑ci peuvent avoir causé la perte de 80 000 emplois. (17) C'est donc dire que d'autres facteurs que l'automatisation ont contribué à la baisse de l'emploi, puisque des  430 000 emplois perdus dans ce secteur près de 80% de ces pertes (340 000) ne

seraient pas imputables aux automatismes industriels. (18)

 

     En fait, ces pertes d'emplois sont principalement dues à la concurrence étrangère. Des statistiques confirment d'ailleurs cette hypothèse. En effet, en 1979 les Etats‑Unis étaient le leader incontesté du secteur automobile avec 11,4 millions de véhicules produits. En 1981 leur nombre était tombé sous les 8 millions pendant que les japonais avaient franchi le cap des 11 millions de véhicules produits. (c.f. Tableau XV plus bas) C'est là une explication plausible aux pertes massives d'emplois que les Etats‑Unis ont connu dans ce secteur. Celles‑ci ne sont donc pas dues à priori à l'automatisation comme plusieurs le croient. 

     Ainsi, les principaux facteurs de pertes d'emplois sont la Division Internationale du Travail et la concurrence mondiale accrue, non les automatismes industriels. Plusieurs  facteurs expliquent cela.

 

     D'une part, en divisant la production entre différents pays, la D.I.T. y divise aussi les emplois. Quand des secteurs presque entier de l'industrie, comme la chaussure, le vêtement, et l'acier s'en vont produire dans les P.V.D. et que des secteurs comme l'automobile, l'électronique, ou l'aéronautique y déplacent la production de certaines pièces vu les coûts plus faibles de la main‑d'oeuvre, les législations moins sévères, et l'absence

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Tableau XV:  Production de tous véhicules confondus pour différents pays et le monde entre 1950 et 1982. (en milliers de véhicules)

 

             Japon   Etats‑ R.F.A. France Canada Grande‑                   Unis                           Bret.    ‑‑‑‑  ‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑  1950       31,6  8 003,1   304,9   357,7   390,1   783,7  1965    1 875,6 11 137,8 2 976,5 1 616,1   849,9 2 177,3  1970    5 289,2  8 283,9 3 829,9 2 756,2 1 188,5 2 098,5  1975    6 941,6  8 989,2 3 186,2 2 861,4 1 450,0 1 648,4  1979    9 635,5 11 480,7 4 249,7 3 613,5 1 623,5 1 478,9  1981  11 179,0  7 936,2 3 897,0 3 019,4 ‑ ‑‑‑‑‑ 1 184,2  1982  10 737,0  6 986,0 4 062,7 3 148,8 1 234,6 ‑ ‑‑‑‑‑                                                                 

Source: U.S. Department of Commerce, INSEE, Argus, CSCA, in Bonnafos, Chanaron, et de Mautort, p. 117.

 

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d'organisation syndicale, des emplois suivent ces déplacements. (Barnet et Muller, 1974; Levinson, 1974; Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981; Salzman, 1985) A titre d'exemple pensons seulement aux voitures japonaises et asiatiques qui remplacent désormais

des modèles bas de gamme chez certains producteurs américains, comme la Chevrolet Sprint fabriquée par Suzuki au Japon et la Mercury Tracer assemblée dans les installations de Ford à Taiwan.  

     D'autre part, la concurrence mondiale accrue a elle aussi un impact négatif sur l'emploi. En effet, en partageant le marché mondial entre de plus en plus de concurrents, ceci ne peut que provoquer un nouveau partage de l'emploi entre eux et des baisses dans certains pays. Cela se fait de deux façons.

 

     D'abord, cette concurrence en est une entre entreprise. Des firmes de tous les pays se concurrencent pour gagner des parts de marché et des emplois. Cela signifie en même temps que des entreprises perdent des parts de marché et des emplois aux mains de leurs concurrents. Cela n'est pas nouveau. Cependant, ce qui est nouveau c'est que ces entreprises ne sont plus nécessairement de la même nationalité, ce qui implique un transfert de l'emploi d'un pays à l'autre. (Barnet et Muller, 1974; Frobel, Heinrichs, and Kreye, 1981; Salzman, 1985) Par exemple quand Ford recule par rapport à G.M. et fait des mises à pieds d'autres emplois sont créés aux Etats‑Unis ou au Canada. Mais quand Ford ou G.M. reculent par rapport à leurs concurrents japonais et asiatiques, les emplois perdus le sont aussi pour le pays, car le gain se

fait ailleurs.

 

     Ensuite, c'est entre les pays que se fait la compétition. Ceux qui offrent les salaires les plus bas, les meilleures conditions de production, et des protections adéquates aux entreprises, attirent des investissement, d'où une perte d'emploi dans le pays qui subit un désinvestissement (délocalisation de la production). Et comme ces transferts se font souvent du Centre vers la Périphérie, où les coûts de main‑d'oeuvre et de production sont inférieurs, ce sont les pays développés qui subissent ces désinvestissement et voient leurs taux de chômage s'accroître. Ce n'est pas la technologie qui est ici en cause. Au contraire, car seule les productions avancées et technicisées semblent échapper à ces mouvements pour des raisons stratégiques. (Michalet, 1976; 1979)

 

     Une part de ces pertes peut aussi être imputée aux N.F.O.T. Cependant ces pertes doivent être encore plus faibles que  celles qui sont dues aux automates industriels, car ce sont toujours des ouvriers qui doivent accomplir ces tâches.

 

     En conséquence, si l'automatisation des tâches peut expliquer certaines pertes d'emplois, elle n'est pas seule. Il ne faut donc pas rejeter l'automatisation sous ce prétexte. Au contraire même, car l'effet brut de l'automatisation des entreprises peut être positif. En effet, dans une perspective nationale ces outils peuvent être créateurs d'emplois, car l'entreprise ou le pays le plus technicisé, donc le plus concurrentiel, peut attirer davantage de travail chez lui. C'est par exemple le cas des entreprises japonaises, sinon comment expliquer qu'avec une hausse de productivité de l'ordre de 65% elles ont pu créer près de 6% de nouveaux emplois. (c.f. Tableau XIV, p. 118) C'est d'ailleurs ce qui fait dire à plusieurs auteurs que les automatismes industriels sont créateurs d'emplois.

 

     Cependant, dans une perspective mondiale, c'est un leurre, car à ces emplois créés dans un pays correspondent des pertes ailleurs. Par exemple, l'automatisation plus rapide de l'industrie automobile japonaise a contribué à y créer des emplois en s'accaparant une plus grande part de ce marché, mais en revanche des parts de marché et des emplois ont été perdus aux Etats‑Unis. Et au total, en faisant le compte entre tous les emplois perdus et déplacés, quelques milliers d'emplois ont certainement été victimes des automatismes industriels au niveau mondial. 

 

     Néanmoins, dans le cadre de la concurrence capitaliste mondiale il ne semble pas y avoir actuellement d'autres choix pour chaque pays. Ceux‑ci se doivent de suivre ce mouvement ou de voir l'emploi continuer à décroître chez eux. La concurrence capitaliste n'est donc plus limitée aux seules entreprises qui luttent pour s'accaparer des parts de marché; elle concernent désormais les pays et les ouvriers qui veulent conserver ou obtenir des emplois. Et dans ces conditions les automatismes industriels deviennent une arme offensive. C'est là une autre facette du nouveau despotisme industriel dont parle Buravoy (1983, 1984): automatiser pour sauver l'entreprise et une part des emplois ou voir l'entreprise fermer ses portes et perdre tous les emplois. 

 

     Enfin, une nouvelle menace semble planer sur les emplois du Centre. C'est celle du piratage industriel. En effet, plusieurs pays asiatiques ‑‑ Taïwan, Hong Kong, Singapour, Thaïlande, Indonésie, Corée, Malaisie, et Philippines ‑‑ copient des produits de luxe développés et fabriqués au Centre et les vendent sur le marché pour environs le quart du prix des originaux, d'où des pertes de marché et d'emploi pour ces entreprises. Celles‑ci sont d'ailleurs fort importantes ‑‑ on parle de 100 000 emplois

perdus en Angleterre et 250 000 aux Etats‑Unis à cause de ce

phénomène ‑‑ et ne laissent plus aucun secteur industriel à l'abri. En effet, ces copies vont des montres de luxe (Rolex,

Cartier, etc.) aux ordinateurs (Apple, I.B.M.) en passant par les parfums, les pièces d'automobiles et d'avions, et même les médicaments. C'est donc un phénomène fort important ‑‑ il expliquerait d'ailleurs une partie de la richesse récente de certains de ces pays ‑‑ auxquels les entreprises devront bientôt trouver une solution (par exemple utiliser des technologie particulière de production plus difficiles à copier). Les chercheurs en sciences sociales et économiques devront aussi s'y attarder, car ce phénomène aura des répercussions sérieuses sur l'environnement social, économique, et politique des pays du Centre qui subissent cette concurrence indue et sur le développement des pays de la Périphérie, d'où l'importance de le souligner ici. (19)

 

     En conclusion, il est clair que les robots et autres automates ont une part de responsabilité dans les pertes d'emplois. D'ailleurs pour certaines tâches on les tiens responsables d'une diminution de l'emploi pouvant aller jusqu'à 90% ( Coriat, 1983; Salzman, 1985; Hansen et Lund, 1986) Cependant, cela n'est pas vrai pour toutes les tâches ni pour tous les secteurs industriels. C'est là donner à ces outils un poids et une importance qu'ils n'ont pas. En fait, la D.I.T. et la concurrence mondiale ont un poids beaucoup plus grand sur la perte d'emploi que les automates, mais ce sont ces derniers, à cause de leur connotation futuriste, qui ont le plus frappé l'imagination du public. Pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, ce sont ces automates qui sont l'allié le plus important des ouvriers dans la lutte mondiale que se livrent les entreprises et les pays, car en les rendant plus productifs ils s'accaparent ainsi des marchés et des emplois étrangers. Les japonais et les asiatiques l'ont bien compris. C'est là une des cause du déclin industriel de l'Amérique du Nord et de l'Europe et de la montée des pays d'Asie.

 

     Dans ce contexte l'automatisation devient un moyen de protéger et d'accroître l'emploi en accroissant la position

concurrentielles des entreprises d'un pays face à ses concurrents étrangers. C'est l'effet brut de l'automatisation, soit la création ou la sauvegarde d'emploi dans les entreprises et sur les territoires les mieux préparés à cette lutte. Son effet net est par contre une diminution de l'emploi au niveau du système économique mondial, car moins d'ouvriers sont nécessaires pour faire la production mondiale. (Frobel, Heirichs, et Kreye, 1981) Des pays sont donc sévèrement touchés par ces pertes d'emplois et de marchés. S'ils s'automatisent ils pourront arrêter ce déclin,

mais il n'est pas sûr qu'ils regagneront des emplois. Ils pourraient même en perdre encore quelques milliers, vu l'effet réducteur des automatismes industriels. Par contre ces pertes seront certainement moins importantes que celles qu'ils subiraient sans l'automatisation, car alors les pertes d'emplois se feront au profit de pays étrangers et au prix de fermeture d'usine. (Buravoy, 1983, 1984; Salzman, 1985)

 

     Ainsi l'impact des outils automatiques est ambiguë. Au niveau national leur impact est loin de n'avoir que des effets négatifs, car certains pays se sont vus avantagés par leur automatisation rapide. C'est notamment le cas du Japon. Inversement d'autres pays ont subi des pertes importantes à cause de leur impact sur la concurrence mondiale. Ils ont aussi eu à subir l'impact de leur propre automatisation pour répondre à cette concurrence. C'est le cas des Etats‑Unis. Et maintenant, la plupart des grandes entreprises étant automatisées, l'automatisation devient une conditions inhérente de la concurrence capitaliste au niveau de l'économie mondiale tout comme ce fut autrefois le cas pour la D.I.T. (20) Quel en sera le résultat plus tard? Il est un peu tôt pour le dire mais nous croyons que tout comme pour leur impact sur la qualité du travail, leur impact sur la quantité de travail dépendra de l'usage qui en sera fait. Pour l'instant il y a perte. Si de nouveaux usages leurs sont trouvés peut être qu'un jour il y aura gain. C'est là une possibilité, car ces deux tendances sont présentement inscrites dans ces outils. 

       

        

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion:

 

          L'évolution de l'économie

                     

           mondiale et du travail

 

 

 

     Augmentation de la productivité, amélioration de la qualité, automatisation, élargissement des tâches, et diminution de l'emploi font maintenant partie du paysage industriel. C'est là un revirement par rapport aux décennies précédentes où l'on parlait d'organisation scientifique du travail (O.S.T.), de plein emploi, de roulement, et de sabotage. Mais ces changements ne sont pas dus au hasard. Ils sont redevables à des transformations sociales, économiques, et politiques qui ont obligé les entreprises à changer, à s'adapter. C'est là un point essentiel, car il montre que les organisations, loin d'être statiques, sont dynamiques. C'est ce que nous allons voir ici de façon historique.

 

     Au XIXe siècle, suite à la concurrence accrue sur les marchés locaux, certaines entreprises ont choisi d'exporter une part de leur production vers d'autres pays. Il en résulta une réaction de défense de la part de ces Etats et ils imposèrent des droits de douanes sur les produits étrangers. Certaines de ces entreprises exportatrices ont alors répondu à ce protectionnisme en implantant des filiales sur place pour y fabriquer leurs produits. Les firmes multinationales, ou F.M.N., venaient alors de naître pour répondre aux conditions du marché de l'époque. C'est ce qu'expliquait William Lever, un des fondateurs de Lever Brothers, en 1902:

 

     "The question of erecting works in another country", he said, "is dependant upon the tariff or duty. The amount of     duties we pay on soap imported into Holland and Belgium is considerable, and it only requires that these shall rise to     such a point that we could afford to pay a separate staff or managers with a separate plant to make soap to enable us to     see our way to erect works in those countries. When the duty      exceeds the cost of separate managers and separate plants,    then it will be an economy to erect works in the country     that our customers can be more cheaply supplied from them." (WILSON, Charles, The history of Unilever, Volume I,     Cassell, cité in Tugendhat, 1981, pp. 34‑5)

 

 

Ce mouvement a débuté en 1867, avec l'implantation de Singer en Angleterre (Michalet, 1976; Tugendhat, 1981), et se poursuit encore aujourd'hui, avec l'implantation de firmes des nouveaux pays industriels dans les pays du Centre. A ce sujet nous n'avons qu'à penser à la venue récente d'Hyundai, une multinationale coréenne, au Canada.

 

     Près de 100 ans plus tard, vers 1960, quand la concurrence fut trop sévère dans les pays du Centre, certaines F.M.N. ont relocalisé leurs productions qui étaient victimes de cette concurrence dans les pays en voie de développement, où les coûts du travail sont beaucoup plus faibles qu'au Centre et les taux de plus‑value plus élevés. Ainsi ils pouvaient répondre à la concurrence du Centre avec des produits beaucoup moins dispendieux. A un nouveau problème ils avaient trouvé une nouvelle solution.

 

     En même temps, la concurrence étant aussi de plus en plus vive pour les produits avancés faits au Centre, certaines entreprises ont choisi de requalifier les tâches ouvrières pour en accroître la productivité. Ce fut notamment le cas chez I.B.M. aux Etats‑Unis et chez Hoover en Angleterre, où de telles expériences ont débuté dans les années 50. Ainsi chez Hoover...     

     ... la "ligne" d'assemblage des moteurs destinés aux     aspirateurs était organisée par les ingénieurs (1951) de    telle manière que les membres des équipes, comprenant seize ouvriers et ouvrières, pouvaient répartir entre eux les tâches avec une certaine liberté, s'aider les uns les autres, constituer une collectivité de sub‑assembly où joue   la coopération lorsque la chaîne, sur la section dont ils    sont chargés, se trouve trop encombrée. (Friedmann, 1964, p.     64)

 

 

     Cependant, ces programmes n'ont pas connu un large succès à cette époque. Seules quelques firmes plus avant‑gardistes que les autres les ont adoptés, la majorité des entreprises leurs préférant toujours l'O.S.T. qui les liaient beaucoup moins aux ouvriers et qui étaient ainsi beaucoup moins menaçantes pour elles.

 

     Il a fallu attendre la fin des années 70 pour voir les nouvelles formes d'organisation du travail faire une percée importante dans les entreprises. En effet, à la fin des années 70 deux changements importants sont apparus au niveau du système économique mondial (S.E.M.).

 

     D'une part, avec la crise du pétrole, le Japon a fait une percée importante sur le marché de l'automobile, qui était jusque‑là la chasse gardée des entreprises américaines et européennes, grâce à ses petites voitures moins énergivores. Ainsi, si en 1979 les Etats‑Unis étaient les leaders incontestés de ce secteur, avec plus de 11 millions de voitures produites, en 1981 cette part n'était plus que de 8 millions comparativement à 11 millions pour les japonais. (F.I.O.M., 1982; Bonnafos, Chanaront, et de Mautort, 1983) Ceci sonna l'alarme auprès des fabricants d'automobile mais aussi de plusieurs autres corporations qui réalisèrent alors que les japonais leurs faisaient la course dans plusieurs domaines où ils étaient autrefois les maîtres: aciers, machines‑outils, informatique, et tous les secteurs de l'électronique (photocopieurs, télévisions, etc.) pour ne nommer que ceux‑là. (Schlossstein, 1984) La même constatation due aussi être faite en Europe, les japonais ne négligeant pas davantage ce marché. (Bonnafos, Chanaront, et de Mautort, 1983;  Morville, 1985) Une réponse devait alors être trouvée à ce problème.      

 

     Cela était d'autant plus pressant que, d'autre part, immédiatement après cette percée japonaise certains P.V.D. plus avancés que d'autres ‑‑ principalement des P.V.D. asiatique comme la Corée et Taiwan qui bénéficiaient du dynamisme de leur voisin japonais ‑‑ ne se contentaient plus seulement de fabriquer des produits standardisés mais se sont mis à faire des produits nouveaux (notamment des automobiles). Ils sont ainsi entrés eux aussi en concurrence avec les pays développés qui s'étaient toujours réservés ces crénaux. Cette situation s'avéra déstabilisatrice pour les entreprises des pays du Centre qui devaient  maintenant faire face à une double concurrence japonaise et asiatique qui bénéficiaient de conditions différentes des leurs: dynamisme technologique, "coopération" patronale/syndicale, et salaires plus faibles dans le cas du Japon; journée de travail plus longue, faible protection sociale, absence de syndicat, et salaires nettement inférieurs dans le cas des P.V.D.

 

     Pour répondre à ces nouvelles conditions du marché mondial les entreprises américaines et européennes ont alors dû choisir ‑‑ sinon elle devront le faire bientôt ‑‑ la voie de la rationalisation et de la productivité, c'est‑à‑dire faire autant avec moins de personnel ou plus avec le même personnel.

 

     Pour atteindre ce but plusieurs grandes firmes se sont tournées vers les N.F.O.T. et autres programmes de qualité de vie au travail. Ces stratégies devenaient une réponse à la concurrence étrangère. C'est ainsi par exemple qu'en 1979 le Conseil d'Administration de Westinghouse a créé un comité, doté d'un budget de 20 millions de dollars américains, pour trouver des moyens d'accroître la productivité; qu'en août 1980 Ouchi fut invité à Pittsburg pour expliquer sa théorie; et qu'à l'automne de la même année ce programme a vu ses premières applications dans cette entreprise. (Main, 1984a) Suite aux succès des grandes firmes américaines avec ces méthodes, publicisés par Ouchi dans "Theory Z" (1981), celles‑ci sont devenues un idéal‑type a atteindre pour nombre de firmes du Centre. On parle alors de cette recette dans plusieurs pays industrialisés. C'est un signe des temps, la plupart de ces éléments étant connus depuis fort longtemps:

 

     But it took ten year or more until the late Abraham Maslow,   in his book Eupsychian Management (Homewood Ill.: Richard D.     Irvin Inc., 1965.), calling his solution "Theory Z",   established clearly that the responsible worker and self‑governing plant community require strong leadership by management, uncompromising goals and standards, and very      high self‑discipline. And American society in the fifties     and sixties was so unready for a gospel of hard work, high    standards, and self‑discipline that Maslow's Theory Z, ...,    was almost completely overlooked. When twenty years later we     became receptive to such heresies, Maslow's work had been forgotten so completely that William Ouchi could publish a   best‑selling book in 1981 under the title "Theory Z" without    acknoledging that Maslow had first developed the theory and      had coined the term (...). (Drucker, 1983, pp. 246‑7)

       

 

     En conséquence, ces nouvelles formes d'organisation du travail ne sont pas devenues populaires dans un but de pouvoir et de division. C'est d'abord pour accroître la productivité des ouvriers et la position concurrentielle des entreprises occidentales face à leurs concurrents nippons et asiatiques que celles‑ci ont eu du succès. Comme toutes les autres stratégies elles sont avant tout une réponse à un problème particulier, ici l'apparition de nouveaux concurrents bénéficiant de conditions de création de la valeur différentes des leurs.

 

     En même temps, la protection de l'emploi est devenue un critère beaucoup moins considéré. Si deux ouvriers peuvent faire le travail de trois lorsqu'un des leurs est absent, ils peuvent aussi le faire le reste de l'année pour sauver leur emploi face à la concurrence se disent les administrateurs d'entreprises. Au niveau des relations de travail cette philosophie devient l'occasion d'un durcissement. Les conditions du marché s'insèrent dorénavant dans la négociation et deviennent le prétexte d'un nouveau marchandage, car sans entreprises il n'y a pas d'emploi. (Morville, 1985) Quant aux choix il n'y en a bien souvent que deux: abaisser les conditions de travail et d'emploi ou voir l'entreprise fermer ses portes. C'est le nouveau despotisme industriel dont parle Buravoy:

 

     The point of reference is no longer primarily the success of the firm from one year to the next but rates of profit that   might be earned elsewhere. At companies losing profits     workers are presented with a choice between wage cut (...)     or the loss of their jobs. (...) The fear of being fired is replaced by the fear of capital flight, plant closure, the transfer of operations, and disinvestment. (1983, p. 603)

 

 

     Ces nouvelles formes d'organisation du travail s'appliquent cependant que dans les entreprises à capital dominant, soit les entreprises modernes et de pointes. Si tel est le cas c'est que même si les ouvriers connaissent une large part du processus de production, ils ont peu de chance de mettre sur pied des entreprises concurrentes, cela exigeant beaucoup de capitaux, vu le prix de ces équipements, et des connaissances auxquelles ils n'ont pas accès, celles‑ci étant "coulées" dans les machines. Ainsi les équipements automatiques et programmables sont loin de limiter l'usage des N.F.O.T., mais rendent possible leur entrée dans les ateliers en protégeant la propriété et le "savoir" capitaliste, ce que les entrepreneurs ont toujours fait auparavant par la division du travail.

 

     Inversement, dans les entreprises des secteurs traditionnels, où la suprématie du patron est assuré par son savoir et non par des machines, les N.F.O.T. peuvent difficilement s'y appliquer pour des raisons stratégiques. En

effet, si ces entreprises appliquent ces formes d'organisation du travail en leur sein et que les ouvriers apprennent le métier, ceux‑ci pourraient ensuite les quitter pour partir à leur compte et les concurrencer. C'est là un point essentiel. Il est d'ailleurs à l'origine même du développement de la division du travail. Ainsi, depuis les débuts du capitalisme britannique toutes les entreprises ont utilisé la division du travail sauf une: l'industrie charbonière. Et si tel fut le cas ce  n'est pas que la division du travail ne pouvait pas s'y appliquer. C'est plutôt parce que cette industrie n'en avait pas besoin, car elle n'avait pas peur de voir ses ouvriers être tentés de la concurrencer un jour, toutes les mines ayant déjà un propriétaire. En effet, pourquoi utiliser la division du travail quand le travail élargi y est plus rentable et qu'il n'offre pas de risque de se voir déposséder de son affaire par ses ouvriers? Ainsi le but de la division du travail n'est pas tant la productivité que d'assurer la protection des savoirs capitalistes nécessaires pour affermir la suprématie des propriétaires des moyens de production sur les ouvriers. (Marglin, 1973) C'est d'ailleurs cette même idée qui fut reprise plus tard par Taylor. En divisant à l'extrême le travail, il enlevait son métier à l'ouvrier et celui‑ci devenait alors dépendant de l'entreprise

capitaliste qui l'engageait, car il n'avait plus de métier à

offrir sur le marché. C'était cela le but premier de Taylor,

non le rendement, car bien d'autres méthodes étaient supérieures à l'O.S.T. pour atteindre un rendement plus élevé. (Braverman, 1976; Edwards, 1979) A ce sujet nous n'avons qu'à penser aux premières expériences d'élargissement des tâches, qui furent pratiquées avec succès dans les mêmes conditions que l'O.S.T. au cours des années 30. Pourtant elles n'étaient jamais acceptées par les entrepreneurs même si elles leurs offraient un rendement supérieur à celui du taylorisme. (Tausky, 1970)   

 

     En conséquence, les entreprises des secteurs traditionnels (vêtement, textile, etc.) qui ont été frappées par cette concurrence accrue des P.V.D. et des nouveaux pays industriels à la fin des années 70 ont dû choisir des solutions différentes. Celles‑ci se sont principalement limitées à relocaliser ou à sous‑traiter une part de leurs productions à la Périphérie pour bénéficier des conditions économiques de ces pays. (Barnet et Muller, 1974; Frobel, Heirichs, et Kreye, 1981) Elles ont ainsi contribué à la désindustrialisation des pays du Centre dans les secteurs industriels traditionnels. D'autres firmes, moins nombreuses, ont cependant trouvé des solutions originales. Ainsi, la firme Crompton, un des seuls fabricants américains de corduroy et de velours, a réussi à accroître sa productivité avec une nouvelle stratégie du temps de travail. Les ouvriers travaillent 36 heures par semaine sur trois jours et sont payés pour 40

heures, avec une semaine de congé toutes les huit semaines,

en échange de quoi l'entreprise fonctionne 350 jours par année, 24 heures sur 24. (Meadows, 1984)           

 

     Si ces stratégies sont des réponses aux nouvelles conditions de l'économie mondiale de la part des entreprises du Centre, elles ont cependant un impact important au niveau des économies nationales du Centre. En effet, la perte de marchés aux mains de concurrents étrangers, la perte de travail due aux hausses de productivité (une conséquence des systèmes automatiques et des nouvelles formes d'organisation du travail), et la relocalisation d'une part du travail à la Périphérie, ont entraîné une diminution des emplois industriels au Centre. (Standing, 1984)

 

     Cependant, une solution à ces problèmes semble vouloir apparaître grâce aux méthodes qui ont accéléré cette crise: les N.F.O.T. et les systèmes automatiques. En effet, comme ces outils sont de moins en moins coûteux et que les ouvriers maîtrisent de mieux en mieux le travail grâce aux N.F.O.T., il devient possible qu'eux ou de petits investisseurs mettent sur pied des petites entreprises spécialisées dans des crénaux laissés pour compte par les grandes firmes, notamment les produits sur commande. C'est d'ailleurs un processus qui semble amorcé même s'il est encore marginal. Par exemple, avec l'apparition de minis fours à arc électrique, plus flexibles, de petites aciéries sont nées depuis les années 60 et ont su développer des alliages particuliers qui

sont difficiles à faire dans les grandes aciéries, faute de flexibilité de leurs équipements, ou qui s'adressent à des marchés trop restreints pour qu'ils soient rentables de les

fabriquer en grande quantité, d'où une faible possibilité de

concurrence de la part des grandes aciéries. (Piore et Sabel,

1984) C'est aussi le cas des ateliers d'usinage. Avec la flexibilité des nouveaux systèmes automatiques des ouvriers

professionnels peuvent mettre sur pied des P.M.E. spécialisées dans la fabrication de pièces sur commande, ce qui est moins rentable pour les entreprises qui font des grandes séries, leur marge de profit étant calculée sur des économies d'échelles. (Hansen et Lund, 1986; Hirschhorn, 1986) La même chose est aussi vraie dans le textile où maintenant des P.M.E. peuvent produire des tissus fins et originaux qui s'intègrent facilement entre les tissus artisanaux et commerciaux. (Piore et Sabel, 1984). Ainsi, grâce à ces équipements les ouvriers trouveront peut‑être une réponse à leurs problèmes actuels. L'une d'elle pourrait par exemple être la création de coopératives de production. (Laflamme, 1980; Demoustier, 1984) L'effet de ces nouvelles technologies deviendrait ainsi positif.

 

     Un changement est aussi à prévoir au niveau mondial avec l'ascension de certains pays en voie de développement au rang de nouveaux pays industriels. En effet, lorsque les F.M.N. y localiseront de nouvelles productions, elles pourront aussi y implanter les formes d'organisation du travail qui les accompagnaient au Centre, soit les N.F.O.T. Ceci sera

possible car ces nouveaux pays industriels auront dorénavant

la possibilité de relocaliser les tâches les moins intéressantes dans les P.V.D. qui les entourent comme l'ont fait avant eux les pays industriels du Centre.

 

     Ces changements amèneront une nouvelle spécialisation du travail au niveau du système économique mondial. Les pays industriels deviendront alors le lieu de fabrication des produits nouveaux et de luxe et le centre de décision des F.M.N. Au niveau intermédiaire se trouveront les nouveaux pays industriels qui seront alors le lieux de fabrication des produits murissants, c'est‑à‑dire des produits récents mais que l'on tend à élargir pour les rendre accessible aux masses, et le lieu de coordination des échanges entre les pays développés et en voie de développement. Enfin, on retrouvera les P.V.D. qui dépendront des décisions prises aux deux autres niveaux et qui fabriqueront pour eux les produits standardisés et dépassés tel que c'est le cas actuellement pour la majorité de ces pays.

 

     Ce mouvement semble d'ailleurs amorcé. Par exemple, dans l'automobile les japonais fabriquent les modèles de luxe chez eux mais font faire certains modèles bas de gamme en Corée, un nouveau pays industriels, et des accessoires en Chine, un P.V.D. (Barnet et Muller, 1974; F.I.O.M., 1982) D'après nous une telle spécialisation de l'économie mondiale ne pourra que s'accroître. On voit d'ailleurs de plus en plus que les vieilles industries comme le textile, la métallurgie, et la construction navale, qui ont des problèmes dans les pays du Centre semblent au contraire de plus en plus prospère dans les nouveaux pays industriels et les P.V.D.

 

     Ainsi, le premier point à retenir de cette étude est que l'organisation des entreprises et du travail évoluent, sans quoi on en serait resté aux firmes locales et à l'organisation scientifique du travail malgré les problèmes qui leur sont associés. C'est là un point essentiel. Il ne peut d'ailleurs en être autrement, car l'entreprise fait partie de la société et, comme elle, elle doit s'adapter pour survivre à ses crises. C'est là une conclusion qui demeurera vraie dans 10, 15, 20, ou 100 ans que nous ayons raisons ou non quand à nos prédictions de voir apparaître un jour des entreprises autogérées au Centre et de voir l'économie mondiale se spécialiser davantage.

 

     Plusieurs autres conclusions ressortent de cette étude. Celles‑ci peuvent se résumer en quatre points.

 

     Premièrement, l'utilisation des N.F.O.T. n'est pas affaire de taille, mais de secteur industriel. Celles‑ci peuvent s'appliquer dans les entreprises à capital dominant, où le savoir capitaliste est protégé par des machines, mais s'appliquent difficilement dans les entreprises traditionnelles, où seule la division du travail protège ce savoir.

 

     Deuxièmement, les N.F.O.T. ne peuvent s'appliquer à la Périphérie. En effet, comme le travail y est principalement manuel et mécanique, y appliquer ces formes d'organisation du travail équivaudrait à donner davantage de pouvoir aux ouvriers, ceux‑ci devenant plus difficile à remplacer. Ils pourraient alors s'organiser et devenir beaucoup plus revendicatif. Ainsi les conditions plus avantageuses de la Périphérie disparaîtraient, car ils demanderaient à la fois de meilleurs salaires et de meilleures conditions intrinsèques de travail ce qui ne ferait pas l'affaire des entreprises du Centre qui y investissent pour éviter ces coûts. C'est ce qui explique la non utilisation de ces formes d'organisation du travail à la Périphérie même si parfois

elles y seraient avantageuses.

 

     Troisièment, il est clair que les entreprises ne cherchent pas à profiter de la différence entre le Centre et la Périphérie pour introduire une concurrence entre les ouvriers des pays industrialisés et de la Périphérie, car les entreprises du Centre tiennent à ce que les ouvriers de la Périphérie restent dans l'ignorance de ce qui se fait au Centre pour éviter qu'ils ne deviennent plus revendicatifs. Naturellement, un jour il y aura certainement une lutte avec des syndicats clandestins, soutenus par des organisations du Centre, car les syndicats des pays développés vont trouver un intérêt à organiser ces masses laborieuses. Mais ce ne sont pas les F.M.N. qui vont leur faciliter la tâche en y introduisant les nouvelles formes d'organisation du travail.

 

     Quatrièmement, les outils automatiques et programmables, loin de limiter l'utilisation des N.F.O.T. les favorisent. Si cela est d'abord vrai parce qu'elles protègent les connaissances capitalistes, ce l'est aussi pour des questions de rendement. En effet, en accroissant la qualité du travail ouvrier elles favorisent un meilleur équilibre entre le travail manuel et automatique. C'est là leur premier aspect positif. Le second, est qu'en augmentant le savoir et la responsabilité de l'ouvrier qui travaille sur ces équipements, celui‑ci peut voir beaucoup plus adéquatement à leur bon fonctionnement et intervenir beaucoup plus rapidement en cas de dysfonctionnement, ce qui contribue à limiter les pertes de l'entreprise.

 

     Ainsi, Division Internationale du Travail, nouvelles formes d'organisation du travail, et outils programmables et automatiques sont d'abord les instruments du capitalisme pour

accroître son rendement. Et, dans ces conditions, rien ne l'empêche de remanier ces instruments pour poursuivre son

développement une fois qu'il sera limité par les conditions

actuelles de valorisation du capital. C'est notamment ce que

semble montrer la tendance actuelle, où l'on voit se profiler

l'idée du passage d'un monde bipolarisé (Centre/Périphérie) à

un monde tripartite (pays industrialisés, nouveaux pays industriels, et pays en voie de développement). En conséquence,

les tenants des théories de la crise de l'impérialisme (Amin,

Faire, Hussein, et Massiah, 1975) et  ceux qui croient qu'avec l'opposition actuelle entre le Centre et la Périphérie "le grand empire est en  passe d'atteindre ses limites extrêmes" (Michalet, 1979, p. 56) semblent s'être trompés pour cette fois encore, car le système capitaliste se montre une fois de plus capable de s'adapter à cette nouvelle crise. C'est peut être là la force de ce système: sa capacité d'adaptation et d'auto‑développement. Pour emprunter une expression de Touraine, ce système a la "capacité (...) de produire son organisation et ses pratiques". (1978, p. 159) C'est peut‑être ce sur quoi les nouveaux penseurs critiques devraient se pencher pour bien comprendre le capitalisme et ses modes de développements. Ne l'oublions pas, Marx avait prédit la fin du capitalisme au siècle dernier et ce type de capitalisme qu'il décrivait (ouvriers non protégés, travail des enfants, insalubrité des villes) est en partie disparu, remplacé par un nouveau type de capitalisme (mesures sociales, syndicalisme, éducation gratuite, etc.), qui a son tour disparaîtra pour être encore remplacé par une nouvelle forme de capitalisme. Mais l'organisation capitaliste en soi n'est pas disparue. Au contraire. Elle est même présente dans certaines sociétés communistes. (Harastzi, 1978) Nous n'avons qu'à penser au stokhanovisme, le taylorisme soviétique, et maintenant à la "perestroïka", leurs nouvelles formes d'organisation du travail, pour nous en convaincre. C'est ce mouvement d'adaptation du capitalisme, avec ses fondements et son articulation, qu'il faut comprendre au lieu de chercher à prédire la fin du capitalisme, car c'est seulement à cette condition que des modèles de développement et d'analyse originaux pourront être pensés. Voilà la tâche qui attend maintenant les sociologues.      

 

 

 

 

 

 

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                   Annexes

 

 

     Suite à ce que nous avons vu dans cette étude deux cas sont à souligner ici. D'abord il y a la première expérience d'élargissement des tâches chez I.B.M., qui date des années 50 à l'usine d'Endicott dans l'Etat de New‑York. Ensuite il y a deux des premières expériences d'élargissement des tâches de la Régie Renault, qui montrent d'une part que si ces expériences ne sont pas bien pensées elles ne sont alors pas mieux que les anciennes formes d'organisation du travail qu'elles remplacent, mais que, d'autre part, celles‑ci peuvent cependant être améliorées.

 

 

A) L'expérience d'I.B.M.:

    

 

          Avant l'introduction du "programme", des opérateurs,      travaillant depuis des années sur les mêmes machines,     n'avaient pas le droit de procéder eux‑mêmes aux montages,     aux affûtages et aux contrôles, bien qu'il en eussent souvent le désir. Dans les ateliers de production    d'Endicott, d'où rayonnèrent les premières applications du      plan, la plupart des tâches étaient celles d'O.S. dont le     temps de formation n'excédait pas quelques semaines: une   pièce était saisie par l'opérateur, placée sur la machine,   celle‑ci mise en route, l'outil coupant ou le foret faisant

     le travail, la machine était arrêtée et la pièce enlevée.     Tous les travaux préparatoires et montages avaient été    effectués, auparavant, par des professionnels. (...)

 

          En élargissant les tâches, on s'est précisément soucié    de les enrichir grâce à de nouvelles exigences de responsabilité et d'habileté: on y incluait, par exemple, des affûtages d'outils, le réglage de la machine pour chaque     nouvelle série de "bleus", la connaissance des principes de calibrage, de ses incidences sur la suite des opérations et,      mesure sans doute la plus importante, le contrôle complet de la partie finie, ce qui impliquait l'utilisation des jauges,

     calibres et comparateurs. (Friedmann, 1964, pp. 99‑100)

 

 

Cette expérience n'eut aucun effet négatif sur les postes de cadres comme le souligne Friedmann:

 

     L'expérience a entraîné le déplacement de  bon nombre de      professionnels, de régleurs et contrôleurs,  dont les     fonctions se trouvaient désormais comprises dans les tâches "élargies" des ouvriers spécialisés. On a pu immédiatement    les "replacer" dans l'usine, en pleine  expansion,  sans que      leur salaire fût jamais diminué. Il a même été augmenté pour un tiers d'entre eux. (Ch. R. Walker, "The problem of the    repetitive job", Harvard Business Review, mai 1950, p. 55.)      (1964, p. 100) 

 

B) L'expérience de l'atelier G G des usines Renault (montage de trains avant et arrière de voitures):

 

 

     1. La chaîne classique: une vingtaine d'ouvriers travaillent debout, entre la chaîne qui passe devant eux à une vitesse   constante (3 à 4 mètres par minute) et des caisses alignés derrière eux, dans lesquelles ils prélèvent les pièces à   monter: chacun d'eux fait un nombre d'opérations réduit     correspondant à un temps de cycle d'environs 30/100e de    minute.

 

     2. La première expérience de janvier 1972: le montage suivi. Elle a été faite sur la chaîne de train avant des R 5. Dans      cette expérience, l'organisation technique de la de la chaîne ne change pas, ce sont les travailleurs qui se     déplacent pour monter, chacun, un train avant. L'ouvrier     suit la chaîne en montant les pièces successives dont il      s'approvisionne à des endroits fixes. Le cycle opératoire     passe de 1 minute à environs 15 minutes. Depuis, l'expérience a été élargie au montage des trains de R 12, R     15, et R 17; en tout 80 O.S. sont concernés.

 

     3. La deuxième expérience de février 1973: le montage sur     table. Dans ce cas là la chaîne est supprimée. Chaque O.S. monte complètement les trains en restant au même poste, tout le matériel nécessaire est autour de lui (ce qui supprime    donc les déplacements). Chaque travailleur monte deux      demi‑trains à la fois. Le cycle opératoire dure près de 25      minutes.

 

     b. Un bilan.

 

     Dans l'atelier G G, les travailleurs sont loin d'être    satisfaits dans l'ensemble. (...)

 

     1. Dans l'expérience de montage suivi, les ouvriers se    déplaçant le long de la chaîne, se plaignent des   "kilomètres" à effectuer. L'installation d'un trottoir      roulant avec approvisionnement mobile a été refusé net par la direction. D'autre part, le fait d'enregistrer et de      coordonner 76 opérations à la suite accroît la difficulté du      travail, alors que le rythme du travail reste imposé par la   chaîne.

 

     Enfin, chaque O.S. contrôle lui‑même son travail et effectue les retouches, ce qui représente en fait une augmentation de la charge de travail sans contre‑partie au niveau des   cadences.

 

     2. Dans l'expérience de montage sur table, la revendication      essentielle porte sur la cadence (34 demi‑trains par journée de travail, soit une augmentation de plus de 10% des    cadences). Il semble d'ailleurs que cette accélération des cadences se retrouve dans presque toutes les expériences tentées.

 

     Sur un plan plus général, les salaires aussi sont en cause:   le travail fourni se rapproche de celui de certains     professionnels. Or, comparativement, l'augmentation des   salaires est faible. (...)

    

     (...) Sur le fond, il n'y a pas de réticences fondamentales. Ce qui est surtout perçu par les syndicats et les travailleurs, c'est le décalage entre ce qui pourrait être   tiré de positif de telles expériences et la façon dont elles   se déroulent concrètement. Le patronat conçoit davantage ces expériences comme des opérations de rentabilisation plutôt      que comme une recherche d'amélioration de l'organisation du      travail. (C.F.D.T., 1977, pp. 170 @ 172)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                              Notes

 

 

Notes de l'Introduction:

 

1.Fait intéressant, en devenant un pays industriel avancé le

Japon a lui aussi vu ses industries traditionnelles avoir des

difficultés face aux exportations des P.V.D.  Il suit ainsi le

même modèle de développement qu'ont suivi les autres pays

industriels avant lui. (Barnet et Muller, 1974) C'est d'ailleurs

ce que montre le déclin de son industrie textile au cours des

années 70, à cause des exportations de plus en plus importantes

des P.V.D. (Destler, Fukhui, et Sato, 1979) Ainsi, quand l'on

parlera des pays développés, le Japon en fait pleinement partie.

 

2. DUQUET, Denis, "Des améliorations et une distribution

élargie", La Presse, 24 novembre 1986, p. C‑1.    

 

3. DUQUET, Denis,"Ford 1987: une année de transition", La Presse,

17 novembre 1987, p. E‑1.

 

4. Selon le feuillet publicitaire de la Sunbird 1986 obtenu chez

un concessionnaire Pontiac‑Buick.

 

5.  Nous nous situons ainsi dans une perspective mondiale. En

effet, nous croyons que l'Etat nation est de moins en moins une

entité autonome au niveau économique et devient de plus en plus

dépendant de décisions qui sont prises hors de son territoire. Le

monde, au sens global du terme, devient un immense territoire

pour les F.M.N. qui produisent dans n'importe quel pays (tant

capitaliste que communiste, tant développé qu'en voie de

développement) à condition que cela leur soit profitable.

(Levinson, 1974, 1976; Michalet, 1976, 1979) Ceci ne signifie

cependant pas que nous allons regarder tous les pays. Par contre,

le seul fait de regarder l'organisation du travail au sein du

système économique mondial nous situe résolument dans ce courant

de pensée.                     

 

6. BERNARD, Yves, COLI, Jean‑Claude, 1980, Vocabulaire économique

et financier, France: Seuil, coll. Point, p. 346.

 

Vu cette définition nous incluons les firmes en voie de    

multinationalisation dans cette catégorie, soit celles qui ont

des activités dans moins de cinq pays. (Niosi, 1983)

 

7. Il s'agit d'un concept développé par Touraine (1978) pour   

expliquer l'autodéveloppement des sociétés et que nous appliquons

ici aux organisations.

 

8.  Nous nous en distinguons cependant car nous nous intéressons

exclusivement aux organisations alors que Touraine s'intéresse

aux mouvements sociaux pris en leur sens le plus large.

 

 

 

Notes du Chapitre I:

 

1. Ceci est aussi vrai pour les pays du Centre. En 1974 Dofny

écrivait que les disparités salariales entre hommes et femmes

sont énormes. Aujourd'hui, cette situation ne semble pas avoir

évolué, ce que montre le tableau suivant:

 

Tableau I: Ecarts salariaux (en pourcentage) des femmes par

rapport aux hommes selon le groupe d'âges au Canada

 

   

                 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65    

     Ages    ‑2024 29 34 39 44 49 54 59 64 69 70+

    _______________________________________________       Homme...100100100100100100100100100100100100

                                                  

      Femmes..76%71%56%46%42%42%44%44%48%53%68%83%                                                    

      Ecart...24%29%44%54%58%58%56%56%52%47%32%17%     

Source: Revenu Canada, Impôt, Statistique fiscale (1975 et 1985),

Tableau 4 (sommaire) (analyse des déclarations de revenus 1973 et

1983). In La Presse, 7 mars 1987, p. B‑1 (Spécial pour la journée

internationale des femmes ‑‑ 8 mars).                            

                                                                

La même chose est aussi vraie pour les inégalités raciales. Ainsi

Mare et Winship (1984) soulignent qu'aux Etats‑Unis les jeunes

noirs ne sont pas davantage victimes d'inégalités raciales

qu'autrefois au niveau de l'emploi, mais ils ne le sont pas moins

non plus. Ainsi, alors que la plupart des inégalités raciales ont

diminué, celles portant sur l'emploi y sont demeurées stables.  

        

2. YOAKUM, G., "Workers inhale deadly asbestos", Arizona Daily

star, March, 27, 1977, cité in Caslelman, 1983, p. 278.

 

3. JEWKES, J., and al., The sources of invention, London, Mac

Millan, 1958.

 

4. WAGNIERE, Frederic, "L'utilité sociale des brevets" , La

Presse, 25 mai 1986, p. A‑6; et CHEVALIER, Manon, (sous la

direction de), "La recherche pharmaceutique au Canada. Enfin un

climat d'investissement?", Publiscopie, La Presse, 26 avril 1986.

 

5. Renseignements obtenus au téléphone auprès du laboratoire

pharmaceutique du Canada à Longueil.

 

6. Textil‑Wirtschaft, 52, 1975, cité par Frobel, Heinrichs, et

Kreye, 1981, p. 127.

 

7. NADEAU, Michel, "L'Irlande. Tout pour séduire l'investisseur",

in Le Devoir, 27 juin 1978, p. 16, cité in CAMPBELL, 1983, pp.

204‑5.

 

8. En effet, tout nous porte à croire que la différence entre  

ces régimes se situe au niveau de l'utilisateur de la plus‑

value. Dans un cas c'est le propriétaire capitaliste qui en 

dispose et dans l'autre l'Etat. Mais au niveau du travail, il y a

peu de différence entre les deux. L'ouvrier travaille et crée une

plus‑value pour le propriétaire des moyens de production et ne

peut rien dire quant à son utilisation. On le force cependant à

être plus productif, à rapporter davantage à l'entreprise. C'est

ainsi qu'à  l'O.S.T. le communisme a répondu par le

stokhanovisme. (Vaillancourt et Vaillancourt, 1981) A ce sujet

Harastzi, un intellectuel hongrois qui s'est fait ouvrier, écrit:

   

     For example, in one newspaper, a Hungarian expert on

     "management science" claimed that payment by result was the

     ideal for socialist wages. It was, he said, the embodiment

     of the principle, "from each according to his capacity, to

     each according to his work". (...) I read up the statistics

     and found out that most industrial workers were on

     piecerates; I also discovered ‑‑...‑‑  that this chemically

     pure form of socialist wage‑labour was the privilege of such

     workers alone; their bosses  had to get by on much more

     antiquated forms of pay. (1978, p. 21)

 

9. Sans auteur, "La société Ser Vaas aurait fui le Québec pour

éviter la C.S.N.", La Presse, 18 avril 1986, p. C‑16.

 

10. DUBOFSKY and VAN TINE, 1977, John L. Lewis: A Biography,

Chicago: Quadrangle books, pp. 268‑9.

 

11. A.F.P., C.D.J., "Ford menace de construire au Mexique ses

grosses cylindrées", La Presse, 27 août 1985, p. C‑9.

 

Notes du Chapitre II:

 

1.GUEST and WALKER, 1952, The man on the assembly line,

Cambridge, rapporté par BURK, 1984a, p. 64.

 

2. HERZBERG and al., 1959, The motivation to work, New‑York, John

Wiley; cité par RONEN and SADAN, 1984, p. 78.

 

3. Par exemple entre 1961 et 1967 sa force de travail s'est

accrue de 50 000 personnes au niveau mondial.(Sobel, 1981) Et

encore aujourd'hui, alors que partout l'on parle de

rationalisation de la force de travail, I.B.M. dit conserver 

une politique de plein emploi.(I.B.M., 1985)

 

4.  Voir ce cas en annexe I.

 

5. Il faut souligner que cette entreprise familiale possède

quelques établissements aux Etats‑Unis et un en Irlande.

Cependant, l'exemple cité ne concerne que le plan de Holland,

E.‑U., où près de 300 personnes travaillent. En ce sens il est

assimilable à une P.M.E.

 

6. WOOD, Chris, "Une industrie qui perd sa chemise", L'Actualité,

juin 1985, p. 87.

 

7.International Cutting Tools Inc., Soaring into the future, A

special supplement to Canadian Machinery & Metalworking, undated,

p. S‑8.

 

8. AUBIN, Benoît, "Microchips et fleur de lys", L'Actualité, mai

1983, p. 46.

 

9  AUBIN, Benoît, Ibid., p. 46.

 

10.  Il faut souligner ici que si la R. et D. est principalement

affaire de grandes entreprises selon l'O.C.D.E., il y a par

contre de grandes firmes qui en font peu alors que des P.M.E. en

font beaucoup. (Freeman, 1977) Cela est affaire de secteur

industriel ‑‑ les firmes des secteurs de pointes en faisant

davantage que les autres ‑‑ et de statistiques, les P.M.E.

n'ayant pas de département de R. et D. ne faisant pas parties de

ces statistiques. 

 

11. BOYSON, Rhodes, The Ashworth Cotton Entreprise, Oxford

University Press, England, 1970, p. 96, cité par Marglin, 1973,

p. 55.   

 

12. Voir ce cas en annexe I.

 

13.   C'est là une hypothèse plausible. Nous ne la vérifierons

pas ici, celle‑ci étant hors de notre cadre. Cependant il était

important de la souligner.

 

14.  C'est ainsi que le disait Jacques Dofny dans ses cours sur

le travail [Sociologie industrielle, sociologie du travail, et

sociologie du syndicalisme].

 

15.  Voir le Tableau V à la page 20 à ce sujet.

 

16.  C'est ainsi par exemple qu'en Thailande, où seulement 4% de

la main‑d'oeuvre est syndiquée, tous les ouvriers du secteur

automobile le sont. C'est ce que nous apprend Preecha Seemesap,

Secrétaire Général de l'I.M.F.‑T.C. de  Thailande. (in I.M.F.,

1984, World auto council ‑ Japan, summary,Tokyo, Japan, April

26‑27, 1984, p. 7)

 

17. Selon des renseignements obtenus chez un concessionnaire G.M.

et selon des renseignements de la F.I.O.M. (1982).

 

 

Notes du Chapitre III:

 

1.   En fait plusieurs auteurs parlent de nouvelles technologies

mais ceci ne tient pas compte de l'étymologie de ce terme, car la

technique signifie "l'étude des techniques, des outils, des

machines, [et] des matériaux" (Micro‑Robert, p. 1052), ce qui est

beaucoup plus vaste que le seul domaine des machines outils et

des robots. Par exemple, un nouveau procédé chimique est une

nouvelle technologie au même titre qu'un robot. C'est pour cette

raison que nous préférons parler d'outils automatiques et

programmables ou d'automatismes industriels.          

 

2.  En fait, ici on est loin du seul robot, car il n'est qu'un

des outils automatiques dont nous parlerons. Cependant, comme

plusieurs auteurs ne voient qu'eux ou ne parlent que d'eux, voici

la définition qu'en donne l'Organisation internationale de

normalisation:

 

     [C'est] "un manipulateur multifonctions, programmables, dont

     la position est contrôlée automatiquement, qui a plusieurs

     degrés de liberté et qui est capable de saisir des

     matériaux, des pièces, des outils, ou des appareils

     spécialisés pour leur faire  subir des opérations

     programmées." (Coriat, 1983, p. 24)

 

3. Nous avons visité cette entreprise le 22 août 1986. Nous

remercions ici M. Luca Catoni qui nous l'a fait visité et M. Eddy

Minicozzi, le directeur, qui nous en a donné la permission et qui

a aimablement répondu à nos questions.  

 

4. International Cutting Tools Inc., Soaring into the future, A

special supplement to Canadian Machinery & Metalworking, undated,

p.S‑29.

 

5. Sans auteur, "14 000 robots chez G.M. en 90", La Presse, 26

juin 1984, p. D‑7. 

 

6. Nous remercions M. Roy qui a répondu à nos questions en

l'absence de son frère Marcel, le fondateur de R.D.R.R. Cette

visite fut effectuée au mois de février 1987.

 

7. U.S. Dept. of Labor, Technological Trends in Major American

Industries, bulletin no. 1 474, Washington, 1966, pp. 45‑6, in

Braverman, 1976, p. 175.

 

8. DURIVAGE, Paul, "Ronalds inaugure sa nouvelle

super‑imprimerie", La Presse, 17 février 1987, p. D‑1.

                                                          

9. BELLEMARE, Pierre, "Molson construira à Boucherville un centre

de tri de bouteilles entièrement automatisé", La Presse, 11

février 1988, p. E‑3.  

 

10. Salzman (1985) et Hansen et Lund (1986) parlent de deux

hommes par robot.

 

11. VERNYI, Bruce, "Building tools the Japanese Way ‑ In the US",

American Metal Market, December 14, 1981, cité par Shaiken, 1986,

p. 157.

 

12. Sharp, feuillet publicitaire des calculatrices 1985, p. 1.

 

 

13. SAINT‑AMOUR, Pierre, "Productivité et chômage sont‑ils

vraiment indissociables?", in Productividées, Journal de

l'I.N.P., Vol. 5 no. 3, (Août‑Sept. 1984), p. 1.

 

14. In GEZE, F., "Automatisation, productivité, emploi: quelques

réflexions sur le cas japonais", in ADEFI, Les mutations

technologiques, Actes du Colloque Economica, 1981, cité in

Coriat, 1983, p. 111.

 

15. DUBUC, Alain, "G.M.: le chantage a une compagnie", La Presse,

2 avril 1987, p. C‑1.

 

16. Hansen et Lund qui arrivent à ce même taux expliquent que le

robot déplace 1 homme à la fois pour un ratio de 3 pour 1 pour

trois quart de travail. Cependant, comme il faut ajouter à ce

ratio une série de nouveaux emplois de soutien (entretien,

programmation, et réparation), ils en arrivent à un taux de perte

de 2 pour 1. Ils ajoutent cependant que d'autres auteurs parlent

de taux allant jusqu'à 4 pour 1. (1986, p. 29) Il est donc permis

de penser qu'un taux de 2 ou 3 pour 1 est raisonnable pour 3

quarts de travail comme c'est le cas ici.

 

17. Hansen et Lund parlent d'un ratio variant de 7 pour 1 à 10

pour 1, et dans certains cas de 30 pour 1 pour trois quarts de

travail (1986, pp. 40‑1). Pour notre part nous parlions plus haut

d'un ratio maximum de 10 pour 1 par quart de travail (p. 93), ce

qui nous fait adopter ici un taux moyen de 16 pour 1 pour trois

quarts de travail.

 

18. En leur appliquant les ratios maximums (3:1 et 30:1) on

arrive à expliquer 165 000 pertes d'emplois à cause des

automatismes, ce qui laisse encore 265 000 pertes d'emplois, plus

de la moitié, dues à d'autres facteurs. 

 

19. DASSE, Martial, "Le piratage industriel en Asie", in

Collectif, L'état du monde 1987‑1988, Paris/Montréal: La

découverte/Boréal, pp. 508‑10.

 

20. Nous avons parlé de cela dans la section 1.1 de cette étude.