Université de Montréal
La Division Internationale
du Travail et les Nouvelles Formes
d'Organisation du Travail:
une nouvelle perspective
par
Michel
Handfield
Département de
Sociologie
Faculté des Arts et des
Sciences
Mémoire présenté à la Faculté
des études supérieures
en vue de l'obtention du
grade de
Maître es sciences (M.
Sc.)
en
Sociologie
(Mai,
1988)
(c) Michel Handfield,
1988.
_____________________________________________
AVIS
La mise en page de ce texte est différente de la
version déposée en 1988 (Word Perfect 4.2). Elle fut modifié en WordPerfect 5.0
(1993) et maintenant en Word XP HTML (2002). Le texte a dû être standardisé
(élimination des coupures de mot et des notes en bas de page). Les notes de bas
de page ont été renvoyées à la fin du mémoire. Lorsqu'il fut jugé nécessaire
qu'elles demeurent à la même page, elles ont été mises entre parenthèses de
manière à conserver le standard.
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Sommaire
Table des matières
Table des tableaux
Liste des abréviations
Remerciements
Introduction
Chapitre premier: La Division Internationale du
Travail
1.1. Histoire des firmes multinationales et
origine de la Division Internationale du Travail
1.2. La différence entre les pays développés et
en voie de développement
1.3. Le rôle économique de la Division
Internationale du Travail
1.4. La Division Internationale du Travail:
stratégie de pouvoir?
Chapitre II: L’utilisation des Nouvelles Formes
d'Organisation du Travail: apparences et réalité
2.1. De la définition des Nouvelles Formes
d'Organisation du travail
2.2. Historique des Nouvelles Formes
d'Organisation du Travail
2.3. Des conditions nécessaires à la réussite
des Nouvelles Formes d'Organisation du Travail: les
apparences
2.4. L'utilisation des Nouvelles Formes
d'Organisation du Travail:la réalité
2.5. Des avantages stratégiques des Nouvelles
Formes d'Organisation du Travail
2.6. Tenir dans l'ignorance: la non utilisation
des Nouvelles Formes d'Organisation du Travail à la Périphérie
Chapitre III: L’utilisation des outils
programmables et automatiques et
leurs effets sur l'organisation du travail au Centre
3.1. De la définition des outils automatiques et
programmables et de leurs limites
3.2. Les conditions nécessaires à l'utilisation
des outils programmables et automatiques: quelques remarques préliminaires
3.2.1. L'utilisation des automatismes
industriels et la taille des entreprises
3.2.2. L'utilisation des automatismes
industriels et le secteur industriel
3.3. Equipements automatiques et organisation du
travail
3.4. L'impact des outils automatiques et
programmables sur l'emploi
Conclusion: L'évolution de l'économie mondiale
et du travail
Annexes: Les cas d'I.B.M. et de
Renault
Notes
Bibliographie
___________________________________
TABLE DES TABLEAUX
Tableau I: Ecarts salariaux (en pourcentage) des
femmes par rapport aux hommes selon le groupe d'âge au Canada
Tableau II: Indice des coûts horaires de
l'ouvrier pour le groupe multinational Philips en 1979
Tableau III: Salaires annuels pour différentes
fonctions dans l'industrie automobile en 1980 (en monnaie nationale et en
dollars américains)
Tableau IV: Revenu national moyen par habitant
pour différents pays. En dollars U.S. (1986 sauf exception)
Tableau V: Durée de la semaine de travail dans
les industries manufacturières
Tableau VI: Les modèles d'outils automatiques
et¸programmables
Tableau VII: Pénétration de la robotique en
France suivant le secteur en 1980
Tableau VIII: Le marché des robots au niveau
mondial (1985‑1991) en millions de
dollars (américains)
Tableau IX: Part du marché de la robotique que
représentent différents secteurs industriels (1985‑1991)
Tableau X: Part estimée du marché de la
robotique que représentent différents secteurs industriels entre 1992 et
1995
Tableau XI: Technique de fabrication pour
certains produits aux Etats‑Unis
Tableau XII: Estimation de la population
mondiale de robot: 1970‑1980
Tableau XIII: Estimation de la population
mondiale de robot: 1981‑1982
Tableau XIV: Changement de la productivité et de
l'emploi dans différents pays: 1977‑1984
Tableau XV: Production de tous véhicules
confondus pour différents pays et le monde entre 1950 et 1982 (en milliers de
véhicules)
____________________________________
Sommaire
Cette étude porte sur
les stratégies d'organisation du travail au sein des firmes multinationales
manufacturières. Nous voulons savoir ici si la Division Internationale du
Travail et les nouvelles formes d'organisation du travail constituent des
aspects communs d'une même stratégie de pouvoir et de plus‑value au sein des
firmes multinationales. Nous tenterons ensuite de voir en quoi l'utilisation des
outils automatiques (dont les robots) peut modifier le recours aux nouvelles
formes d'organisation du travail au sein de ces firmes.
Pour atteindre ce but,
nous nous demanderons d'abord si la Division Internationale du Travail et les
nouvelles formes d'organisation du travail forment une seule stratégie servant à
diviser les ouvriers d'une même entreprise multinationale au plan mondial de
manière à accroître son pouvoir et sa plus‑value. Cependant, comme cette
question ne peut tout couvrir, nous avons cru bon en formuler d'autres pour la
compléter. Premièrement,
la
Division Internationale du Travail a‑t‑elle pour
but de limiter l'application des nouvelles formes d'organisation du travail au
Centre? Deuxièmement, les nouvelles
formes d'organisation du travail, en complémentarité avec la Division
Internationale du Travail, accroissent‑elles le pouvoir des firmes
multinationales en introduisant une concurrence et un conflit (encore non
résolu) entre les ouvriers du Centre qui en bénéficient et ceux de la Périphérie
qui n'en bénéficient pas? Enfin, les outils programmables tracent‑ils les
limites d'application et de revendication concernant les nouvelles formes
d'organisation du travail dans les filiales des firmes multinationales au
Centre?
A cause de l'étendue
du problème posé ici et de l'impossibilité d'en faire une étude sur le terrain,
nous avons procédé par l'étude d'ouvrages théoriques et empiriques à quoi se
sont ajoutés d'autres documents
(rapports de conférences, statistiques, etc.) obtenus de centres de recherche,
d'associations professionnelles et de syndicats. Nous avons aussi visité deux entreprises
(Outils Coupants International Inc. et Recherche et Développement en Robotique
Roy Inc.) pour compléter nos informations.
Quant aux résultats de
cette étude, ils dépassent les idées que nous défendions au départ. Plusieurs
points doivent en être retenues. D'abord, la Division Internationale du Travail
et les nouvelles formes d'organisation du travail ne sont pas partie intégrante d'une même
stratégie, mais distinctes. Si tel est le cas c'est que ce n'est pas la Division
Internationale du Travail qui limite l'usage des nouvelles formes d'organisation
du travail, mais le secteur d'activité de l'entreprise. Les nouvelles formes d'organisation du
travail concernent principalement les secteurs industriels modernes et de
pointe. Par contre, il est possible que la Division Internationale du Travail et
les nouvelles formes d'organisation du travail soient des stratégies
économiques, car elles permettent d'accroître le profit des entreprises dans
certaines conditions. Cela se fait notamment en profitant des écarts économiques
qui existent entre différents pays d'une part et en augmentant la productivité
des ouvriers du Centre d'autre part.
Au niveau du pouvoir leurs effets sont cependant mitigés, leur but
premier étant la plus‑value.
Ensuite, au sujet de nos questions complémentaires, nous devons retenir
que la Division Internationale du Travail ne sert pas à limiter l'usage des
nouvelles formes d'organisation du travail au Centre, mais à les utiliser là où
elles sont le plus rentables, soit au Centre dans le contexte actuel; que la Division Internationale du
Travail ne peut servir à introduire un conflit entre les ouvriers du Centre et
de la Périphérie, ces derniers étant peu au fait de la situation du Centre; et que les outils automatiques peuvent
favoriser l'utilisation des nouvelles formes d'organisation du travail
contrairement à nos attentes, car celles‑ci contribuent à élever la productivité
et la qualité du travail humain en rapport à celle des
machines.
Enfin, nous conclurons
sur l'idée que l'organisation du travail suit toujours l'évolution sociale,
qu'il y concordance entre les deux. C'est probablement là la conclusion la plus
importante de cette étude, celle qui sera encore vraie quand l'organisation du
travail du XXe siècle ne sera plus que de l'histoire
ancienne.
________________________________
LISTE DES ABREVIATIONS
A. Abréviations propres à cette
étude
D.E.P.: Dearborn engine plant
(Ford)
D.I.T.:
Division Internationale du Travail
d.i.t.:
division internationale du travail
F.M.N.:
firme(s) multinationale(s)
M.O.C.N.:
machine outil à contrôle numérique
n.d.i.t.:
nouvelle division internationale du travail
N.F.O.T.:
nouvelles formes d'organisation du travail
O.S.:
ouvrier(s) spécialisé(s)
O.S.T.:
organisation scientifique du travail
P.M.E.:
petite(s) et moyenne(s) entreprise(s)
P.V.D.:
pays en voie de développement
Q.V.T.:
qualité de vie au travail
R. et D. ou R. & D.: recherche et
développement
S.E.M.:
système économique mondial
B. Sigles
courants
A.M.C.: American Motors
Corporation
B.A.S.F.: Badische Anilin et Soda
Fabrik
B.P.: British Petroleum
B.S.N.:
Boussois‑Souchon‑Neuvesel
C.E.E.:
Communauté Economique Européenne
C.F.D.T.:
Confédération Française Démocratique du Travail
C.I.S.L.:
Confédération Internationale des Syndicats Libres
C.S.N.:
Confédération des Syndicats Nationaux (Québec)
E.U.:
Etats‑Unis
F.I.O.M.:
Fédération Internationale des Ouvriers de la Métallurgie (ou Fédération
Internationale des Organisations de
Travailleurs de la
Métallurgie)
F.T.Q.:
Fédération des Travailleurs du Québec
G.M.:
General Motors
H.E.C.:
(Ecole des) Hautes Etudes Commerciales (Montréal)
I.B.M.: International Business
Machines
I.M.F.:
International Metalworkers'Fédération (nom anglais de la
F.I.O.M.)
I.N.P.:
Institut National de la Productivité
I.R.A.T.:
Institut de Recherche Appliquée sur le Travail
I.T.T.: International Telephone &
Telegraph
J.I.R.A.:
Japan Industrial Robotics Association
O.C.D.E.:
Organisation de Coopération et de Développement
Economique
P.U.F.:
Presses Universitaires de France
P.U.L.:
Presses de l'Université Laval
P.U.M.:
Presses de l'Université de Montréal
R.C.A.: Radio Corporation of
America
R.D.R.R.:
Recherche et Développement en Robotique Roy
R.F.A.:
République Fédérale d'Allemagne
R.I.A.: Robotic Industrial
Association
T.U.A.:
Travailleurs Unis de l'Automobile
U.A.W.: United Automobile Workers (synonyme de
T.U.A.)
U.S. ou
U.S.A.: United States ou United
States of America
(nom anglais pour E.U.)
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Remerciements
Nous tenons à remercier ici M. Camille Legendre,
notre directeur de mémoire, pour ses judicieux conseils. Nous tenons aussi à remercier Messieurs Kan Chen,
directeur du "Ph. D. program in Urban Technological & Environmental
Planning" de l'Université du Michigan; Colin Gonze, coordonnateur de la F.I.O.M.
en Suisse; Owen Bieber, président de l'U.A.W. des Etats‑Unis; et Marcel Côté,
professeur à l'Ecole des H.E.C., pour la documentation qu'ils nous ont fait
parvenir. Nous remercions aussi M. Robert J. Thomas, du "Graduate School of
Management" du Boston College qui nous a fourni certaines références pour cette
étude.
__________________________
The myth of
Sisyphus describes the punishment inflicted on Sisyphus by the gods, wherein he
was eternally condemned to push a large rock to the top of a mountain, whence
the rock would roll down again. The gods had determined there could be no
more dreadful punishment than
futile and hopeless work.
(Pines, 1984, p.
196)
___________________________
>>>>>>>>>
Introduction
Si l'on regarde
l'évolution des économies nationales et de l'économie mondiale depuis la
deuxième grande guerre l'on constate une mondialisation des échanges. De plus en
plus de pays de la Périphérie deviennent exportateurs et pénètrent des marchés
du Centre. Par exemple entre 1945 et 1950 le Japon a pénétré les marchés
américains et européens du textile et du vêtement, ce qui porta un dur coup aux entreprises de ces secteurs.
(D'Hérouville, 1969; Destler, Fukui, et Sato, 1979; Schlossstein, 1984) Depuis, ce mouvement s'est étendu à des
produits avancés tels que téléviseurs, ordinateurs, et automobiles qui étaient
jusque‑là la chasse gardée des pays du Centre. Le Japon est ainsi devenu l'un des
principaux pays industriels.(1) Il
est d'ailleurs en liste avec les Etats‑Unis pour le premier rang des pays
industrialisés. (Schlossstein, 1984) C'est là un revirement quand l'on sait que
ce pays est demeuré "dans un isolement féodal
jusqu'en 1868" et qu'il fut fortement affecté
par la seconde guerre mondiale. (F.I.O.M., 1982)
Cependant, depuis la
fin des années 70 cette lutte ne concerne plus que les seuls pays
développés; elle concerne aussi les
pays en voie de développement (P.V.D.):
Brésil, Corée, Mexique, etc.
Ceux‑ci deviennent à leur tour, avec l'aide des entreprises du Centre qui
y trouvent des avantages importants (absence de syndicat, faible coût de main
d'oeuvre, absence de loi sur le travail, etc.), des pays producteurs de biens
de
consommation avancé (caméras, système
informatique, automobiles, etc.).
Les pays du Centre sont ainsi confrontés à une nouvelle concurrence
venant de la Périphérie.
Paradoxalement, ces
pays sont aussi associés entre eux à travers les réseaux des entreprises
multinationales (filiales et fournisseurs). C'est là un fait que l'on voit sans en
être conscient. Ainsi chaque jour il se côtoie sur nos routes des Chevrolet,
Dodge, Fiat, Ford, et Pontiac, pour ne nommer que celles‑là, qui viennent en
tout en partie de P.V.D. et de pays industriels concurrents. C'est la réalité
dans laquelle s'inscrit cette étude.
Ainsi, à la
mondialisation des échanges correspond une mondialisation de la production.
Certains produits ou certaines composantes deviennent le fait de certaines
régions pour des raisons géographiques (proximité des ressources), économiques
(avantages fiscaux, coûts plus faibles des salaires), et techniques (le produit
est spécifique aux artisans, aux méthodes, ou à des équipements qui y sont
exclusifs). Par exemple la production des tissus de coton se fait à la
Périphérie, là où il se cultive, alors que celle des tissus synthétiques se
concentre au Centre, là où ils furent développés. (Standing, 1984) La même chose
est aussi vraie pour l'automobile. La production des modèles grands format se
concentre en Amérique du Nord; celle des intermédiaires et des compactes fait
l'objet
d'une vive concurrence entre l'Amérique,
l'Europe, et le Japon ‑‑ le
principal concurrent des autres pays du Centre dans ce secteur; et celle des
sous‑compactes, qui se concentraient jusqu'alors au Japon, se déplace maintenant
vers les P.V.D. asiatiques, notamment la Corée où est Hyundai. Les firmes
américaines de l'auto font d'ailleurs appel à cette spécialisation. Ainsi, les
Pontiac Firefly et Chevrolet Sprint de G.M. sont faites au Japon par Suzuki.(2)
C'est la spécialisation de l'économie mondiale, la trame de fond de cette
étude.
A cette spécialisation
de l'économie correspond la mondialisation du travail. La production n'est plus
enclavée dans un atelier géopolitiquement délimité mais s'étend à plusieurs
pays. Les produits finis d'une entreprise ou les composantes dont elle a besoin
pour fabriquer ses produits peuvent dorénavant venir de toutes les régions de la
planète où elle a des
installations et des fournisseurs. Par exemple
la nouvelle Mercury Tracer vendue par Ford fut conçue au Japon par Mazda et est
assemblée dans les installations de Ford à Taiwan. (3) Cela est encore plus
apparent si l'on regarde la production des pièces détachées d'automobiles: Fiat
fait venir certains de ses moteurs de Pologne (Bénédict, 1983); le moteur turbo
de la Pontiac Sunbird 1986 venait des installations brésiliennes de G.M.(4);
et
Nissan prévoyait fabriquer des moteurs au Brésil
à partir de 1983 (F.I.O.M., 1982). C'est la Division Internationale du Travail,
le premier thème de ce mémoire.
Les entreprises se
réorganisent aussi au niveau national.
L'organisation traditionnelle du travail ‑‑ le taylorisme et le fordisme
‑‑ fut remise en cause au cours des années 60. Dans les années 70 les tâches ont
été élargies par les entreprises: on a donné plus de responsabilité à l'ouvrier,
on a sollicité son avis, bref on l'a reconnu comme producteur. Il est devenu un
maillon important de l'entreprise, ce qui n'était pas le cas auparavant ‑‑ le
taylorisme et le fordisme l'assimilant à une machine faisant un geste
prédéterminé en un temps délimité. Ce sont les nouvelles formes d'organisation
du travail (N.F.O.T.), le second thème de cette étude, qui
apparaissent.
Plus récemment sont
apparus les outils programmables, dont les robots, ce qui laisse présager de
nouveaux changements dans les entreprises. Des emplois seront‑ils perdus? Mais surtout ces nouveaux
équipements serviront‑ils à imposer
une nouvelle réorganisation du travail? Ce sont là deux questions auxquelles
nous devrons répondre lorsque nous regarderons les outils programmables et
automatiques, notre dernier thème.
En fait, notre objet
d'étude se situe au point de rencontre de tous ces thèmes. C'est le changement
de l'organisation du travail en rapport avec la D.I.T. et les outils
programmables dans le cadre du Système Economique Mondial (S.E.M.). Nous voulons
savoir comment sont liés et évoluent l'organisation du travail, tant humaine que
mécanique et électronique, et la D.I.T. au niveau de l'économie mondiale, ce qui
nous conduit à poser la question suivante:
La Division Internationale du Travail et les
nouvelles formes d'organisation du travail forment‑elles une seule et unique
stratégie servant à diviser les ouvriers d'une firme multinationale au plan
mondial pour accroître le pouvoir et la plus‑value de cette
firme?
Naturellement cette question est loin d'être la
seule que nous pouvons poser. D'autres questions viennent la compléter, soit:
‑ Le but de la D.I.T. est‑il de limiter
l'application des N.F.O.T. au Centre?
‑ Est‑ce que les N.F.O.T., en complémentarité
avec la D.I.T., accroissent le pouvoir des F.M.N. en introduisant une
concurrence et un conflit (encore non résolu) entre les ouvriers des pays
développés qui en bénéficient et ceux des pays en voie de développement qui n'en
bénéficient pas?
- Les outils programmables tracent‑ils les
limites d'application et de revendication concernant les N.F.O.T. dans les
filiales des F.M.N. au Centre?
Pris individuellement
chacune de ces questions semble avoir un aspect de déjà vu, plusieurs auteurs
les ayant en partie regardés depuis leur apparition. Par exemple Barnet et
Muller (1974) ont examiné l'organisation et le pouvoir des multinationales
(principalement américaines) dans les années 70;
Hill (1982) a fait le tour des théories de
l'organisation du travail et discuté du pouvoir au sein des entreprises;
Vaillancourt et Vaillancourt (1981) et Burk (1984) ont présenté les N.F.O.T. et
les ont respectivement illustré avec des exemples québécois et américains;
Coriat (1983) a présenté la robotique et soulevé des questions concernant son
impact sur le travail; et, enfin, Michalet (1976, 1979) a élaboré une théorie de
l'économie mondiale, de l'investissement des F.M.N., et de son impact sur les
Etats nations du Centre et de la Périphérie. Cependant aucun de ces auteurs n'a
tenté d'intégrer en un même modèle tous ces aspects du développement des
entreprises multinationales (D.I.T., N.F.O.T., et outils programmables). C'est
là notre défi. Et si rien n'unit ces thèmes, contrairement à nos attentes, nous
tenterons alors de voir ce qui sous‑tend ces stratégies au niveau mondial,
c'est‑à‑dire ce qui en fait la popularité dans plus d'un pays.(5) Ainsi cette
étude conservera un caractère original.
Ceci soulève ensuite la
question des entreprises étudiées. Notre intérêt porte sur les firmes
multinationales (F.M.N.) du secteur manufacturier, que nous pouvons définir
ainsi: d'une part en tant que F.M.N. ce sont des entreprises ayant des activités
dans plus d'un pays (6) et d'autre part, en tant qu'entreprises manufacturières,
ce sont des firmes qui fabriquent des produits en vue de les vendre, directement
ou non, sur le marché: caméras, avions, ordinateurs, câbles, etc. Elles se
distinguent ainsi des entreprises financières (les banques par exemple) et
commerciale (magasins à rayons, lignes aériennes, restaurants,
etc.).
Cependant, même si ce
sont les multinationales qui sont l'objet de cette étude, rien ne nous empêche
de regarder des firmes locales et nationales, car pour répondre à nos interrogations il nous sera utile
d'opposer les F.M.N. à ces firmes. En fait, plusieurs fois au cours de cette
étude nous ferons des oppositions/interrelations car nous ne croyons pas
que
les choses du social soient totalement
dépendantes ou indépendantes, du moins en ce qui concerne les organisation et
l'organisation du travail.
Pour atteindre ce but
nous devrons trouver des exemples réels, qui montrent comment chacun de ces
termes fonctionnent individuellement et comment ceux‑ci s'articulent ensemble
s'il y a lieu. Trois possibilités s'offrent alors à nous. Il y a les visites
d'entreprises; les interviews; et les recherches bibliographiques, c'est‑à‑dire
trouver des éléments d'analyse dans des travaux et documents
existants.
Pour notre part nous
privilégions l'approche bibliographique car c'est là le moyen le plus pratique
de trouver des éléments d'analyse sur l'organisation du travail, les équipements
utilisés, et leurs interrelations à l'échelle internationale. Visiter des usines
ou faire des interviews à ce niveau serait impensable ici pour des raisons
financières, de culture, et de temps qui n'ont pas besoin d'être davantage
explicitées. Cependant, nous croyons qu'il est bon de conserver ces méthodes en
réserve, au cas où nous manquerions d'informations pour compléter nos
recherches.
Telle était notre
vision méthodologique au départ. Dans les faits nous l'avons en partie suivi,
sauf pour les interviews. Si nous avons visité deux entreprises et discuté avec
leurs directeurs, nous n'avons pas fait d'interviews formels. Et lorsque nous
avons communiqué avec des entreprises internationales (par exemple I.B.M.), des
chercheurs, ou des syndicats (comme la F.I.O.M.) pour obtenir des informations
spécifiques, ils nous ont tous retourné des documents écrits (rapport annuel,
rapport de recherche, etc.) dans lesquels se trouvaient les informations dont
nous avions besoin. En ce sens nous pouvons qualifier notre méthode de
bibliographique et cette étude de théorique.
Enfin, tenter de nous
situer dans un courant théorique précis serait ardu. Contentons nous de
souligner ici que nous sommes près du marxisme tout en adoptant certains aspects
du fonctionnalisme.
D'abord, du marxisme
nous conservons l'idée des oppositions de classe dans les organisations. Nous
prenons ici le parti des hommes plutôt que celui des automatismes. Pour nous il
est clair que des hommes dirigent les organisations et que d'autres sont dirigés
et qu'il y a opposition entre ces deux groupes. De ce conflit naît le
changement, car il doit y avoir des concessions de part et d'autres pour le
résoudre. L'organisation s'adapte ainsi à ses transformations internes (refus du
travail taylorisé, apparition de nouvelles méthodes de gestion défendues par les
jeunes cadres, etc.) et évolue par elle‑même. C'est "l'historicité" (7), un des
aspects essentiels du développement des organisations. A titre d'exemple pensons
seulement aux programmes d'élargissement des tâches qui ont été mis sur pied
pour enrayer les vagues de roulement ("turnover"), d'absentéisme, et de sabotage
dont certaine entreprises étaient victimes au début des années 70 à cause du
caractère aliénant du travail qui s'y pratiquait.
Ensuite c'est du
fonctionnalisme que nous retenons deux idées maîtresses. D'une part, nous
croyons que les organisations constituent une structure visant à atteindre un
but par la coordination du travail des individus vers celui‑ci. C'est par
exemple le cas de la G.M. où les ouvriers contribuent chacun par leur travail à
faire un produit entier: une automobile. D'autre part nous en retenons aussi
l'idée que les conditions externes, par exemple la concurrence étrangère accrue,
ont une influence sur les entreprises en les forçant à s'ajuster à une réalité
toujours changeante. A ce sujet pensons seulement à la réorganisation à la
japonaise des entreprises américaines de l'automobile pour répondre à la
concurrence nippone et asiatique des dernières années.
Ainsi nous croyons que
les organisations sont dynamiques pour répondre tant aux changements de leur
environnement externe (fonctionnalisme) qu'à leurs crises internes (marxisme).
Quant à nommer ce courant, qui puise dans deux théories distinctes pour étudier
ce dynamisme, contentons nous de l'appeler "post‑marxiste" comme l'a fait
Touraine (1978) pour des raisons semblables aux nôtres. (8) Telle est en bref
notre perspective.
La suite de cette étude
se divisera en quatre chapitres. Dans le chapitre premier nous allons définir la
Division Internationale du Travail (que nous appelons la D.I.T.), en présenter
les fondements, et montrer la différence Centre/Périphérie. Au chapitre II nous
regarderons l'arrivée des
nouvelles formes d'organisation du travail (ou
N.F.O.T.), après quoi nous les définirons et nous tenterons de répondre aux
questions que nous nous posons à leur sujet. Au chapitre III nous présenterons
les outils programmables et nous parlerons de leur utilisation et de leurs
effets sur le travail. Enfin, nous conclurons sur l'usage de la D.I.T., des
N.F.O.T., et des outils programmables par les entreprises du Centre dans le
contexte de la nouvelle économie mondiale et nous tenterons de faire apparaître
certaines tendances générales qui se situent derrière l'évolution des sociétés
industrielles et l'évolution de l'organisation du travail au sein des
entreprises capitalistes.
Chapitre I
La Division Internationale du
Travail
La Division
Internationale du Travail, ou la D.I.T.
comme
nous l'appellerons tout au long de cette étude,
est en soi une
stratégie de production. Cela est clair.
Cependant, certaines
questions le sont moins. Ainsi, comment la
D.I.T. est‑elle
apparue? Sur quelle division du système
économique mondial
(S.E.M.) se fonde‑t‑elle? Et, enfin, est‑elle
utilisée dans un
but de pouvoir ou de profit? Telles sont les
questions auxquelles
nous devrons répondre dans ce
chapitre.
1.1. Histoire des firmes multinationales et
origine de la
Division Internationale du
Travail
La question qui se
pose ici est de savoir d'où vient la
D.I.T. Afin d'y répondre il nous faut cependant
regarder
l'histoire des F.M.N., car la D.I.T. n'est que
l'étape la plus
récente de cette histoire.
L'impérialisme
multinational Abaissement bien avant que les
noms de G.M., d'I.T.T., ou de Ford ne soient
connus. Déjà "vers
1760 des compagnies à but lucratif de grande
envergure, telles
que la East India Company ou la Massachussets
Bay Colony,
étaient accréditées par la Couronne britannique"
(Turner, 1971,
p. 11). Certains travaux historiques en font
même remonter
l'existence avant la Mésopotamie. (Tugendhat,
1981) Ces
entreprises ayant presque toutes disparues
aujourd'hui, nous ne
nous attarderons pas davantage sur cette
période.
A la fin du XVIIIe
siècle ce fut la révolution industrielle
britannique, avec l'apparition de la fabrique et
de la mécanique
du travail. La voie venait alors d'être ouverte
à
l'industrialisation de l'Angleterre. Celle‑ci
s'étendit ensuite
au reste de l'Europe et à l'Amérique du Nord au
cours du XIXe
siècle. Enfin, au tournant du XXe siècle, elle
s'étendra au
Japon. (Vial, 1973, Beaud, 1981)
Dans la seconde moitié
du XXe siècle les entreprises
nationales, soit celles qui alimentaient un
marché intérieur
(l'Angleterre, les Etats‑Unis, ou l'Allemagne
par exemple), ont
cherché à conquérir de nouveaux marchés. Cela se
fit d'abord en
exportant des produits finis vers l'étranger et,
ensuite, en y
implantant des filiales. Ce second mouvement
date de 1867. En
effet, c'est cette année là que Singer, une
entreprise
américaine, a ouvert la première filiale au
monde en inaugurant
une fabrique à Glascow, Angleterre. (Tugendhat,
1981) Par la
suite d'autres firmes ont suivi ce mouvement.
Ainsi:
Selon L. G. Franko, le
nombre de filiales implantées à
l'étranger avant 1914 aurait été de 122 en ce qui concerne les firmes d'origine
américaine, de 60 pour les firmes
anglaises, de 167 pour
les autres firmes européennes.
(Michalet, 1976, p. 34)
Ces entreprises utilisaient alors la stratégie
des filiales
relais, c'est‑à‑dire qu'elles produisaient dans
le pays d'accueil
pour fournir le marché national. (Michalet,
1976, 1979)
Cette situation
persista jusqu'aux années 1950. Ensuite, les
conditions d'accumulation changèrent. En effet,
le développement
rapide des F.M.N. américaines après la seconde
guerre mondiale
eut un effet négatif sur la balance des
paiements des Etats‑Unis
‑‑ les investissements américains à l'étranger
étant supérieurs
aux investissements étrangers fait chez eux ‑‑
ce qui conduisit
le gouvernement américain à vouloir attirer
davantage
d'investissements étrangers sur son territoire.
Ces efforts, qui
coïncidaient avec le désir croissant des
entreprises européennes
de s'implanter aux Etats‑Unis, portèrent fruit
et de nombreuses
firmes, comme Hoescht, B.A.S.F., et Bayer pour
ne nommer que
celles‑là, y investirent. Ceci accentua la
concurrence qui
abaissement entre les F.M.N., celles‑ci couvrant
dès lors
l'ensemble des pays développés, et contribua à
uniformiser les
conditions de production du Centre. Certaines
F.M.N. ont alors
cherché de nouvelles zones d'extraction de la
plus‑value dans les
pays du Centre qui offraient des conditions de
travail
inférieures à la moyenne des autres pays
développés, par exemple
l'Espagne, pendant que d'autres firmes, moins
nombreuses, se sont
tournées vers les pays en voie de développement
(P.V.D.), la
Périphérie.
A partir des années 60
certaines entreprises des P.V.D.,
dont les filiales des F.M.N. qui s'y étaient
installées au cours
des années 50, ont commencé à exporter des
produits
concurrentiels et moins chers vers les pays du
Centre. Ceci força
les entreprises des pays développés à s'ajuster
à cette nouvelle
réalité. Cette concurrence ne pouvant être
freinée par des
mesures protectionnistes ‑‑ les pays
exportateurs étant souvent
des pays signataires d'accord de coopération
internationale avec
les pays du Centre ‑‑ ni par une diminution des
conditions de
travail au Centre ‑‑ ces conditions étant protégées par des
lois
et des contrats de travail ‑‑ les entreprises du
Centre ont dû
trouver d'autres solutions pour répondre à cette
concurrence. Si
la plupart des entreprises nationales ont répondu à
cette
concurrence en augmentant la durée d'utilisation
de leurs
équipements (par l'ajout de quart de travail par
exemple), les
F.M.N. ont majoritairement opté pour le
transfert des productions
les plus anciennes, victimes de cette
concurrence, vers les
P.V.D., où les coûts de production sont plus
faibles, et le
maintien des productions les plus récentes et
novatrices au
Centre de manière à protéger les connaissances,
les innovations,
et les avantages qui les entourent. (Vernon,
1966; Tugendhat,
1981) Ainsi Singer vend désormais trois machines
à coudre
produites à l'étranger pour deux faites aux
Etats‑Unis.
(Tugendhat, 1981) C'est la division
internationale du travail
(d.i.t.), la première phase de la D.I.T.
Cette stratégie devint
ensuite la norme et des entreprises
plus petites (locales/nationales) ont dû ouvrir
des filiales à
l'étranger ou y sous contracter une part de leur
production pour
ne pas être victime de la concurrence que leur
livraient ces
entreprises étrangères, dont des F.M.N. qui
bénéficiaient
désormais des conditions de production des pays
en voie de
développement. La d.i.t. devint ainsi une
condition inhérente au
développement du capitalisme dans les secteurs
traditionnels (le
vêtement, la chaussure, et le textile, exception
faite des fibres
synthétiques qui relèvent de la pétrochimie).
Par exemple dans le
textile et le vêtement:
... it
should not be overlooked that the smaller companies
in term of turnover also make a considerable contribution to the volume of employment abroad. This
in itself is a proof of
the thesis that ‑ ... ‑ the stage which the world capitalist system has now reached
contains a tendency which is forcing companies, regardless of their
size, to undertake a
global reorganisation of their manufacturing processes or pain of
extinction. (Frobel, Heinrichs,
and Kreye, 1981, pp.
112‑114)
Il s'ensuivit une spécialisation de l'économie
mondiale, les
productions les plus novatrices et exigeants des
techniques
modernes étant principalement concentrées au
Centre et les
productions les plus anciennes, manuelles, et
mécaniques à la
Périphérie vu les coûts inférieurs de la
main‑d'oeuvre.
Ainsi, sur le marché des caméras, le Japon, qui
a produit 4,8
millions de caméras en 1969, dont plus de la
moitié ont été
exporté (2,9 millions), en a aussi importé un
demi‑million, "en
particulier des modèles bon marché fabriqués à
Hong‑Kong".
(Levinson, 1976, p. 111)
Au milieu des années
60, avec les progrès enregistrés dans
les moyens de communication, de traitement de
l'information, et
de transport, une nouvelle étape fut franchie.
Il devenait
possible de répartir un processus de production
divisible et
maniable entre des filiales réparties dans
plusieurs pays, tant
au Centre qu'à la Périphérie, en fonction des
avantages politico‑
économiques offerts. C'est la nouvelle division
internationale du
travail (n.d.i.t.). Le processus de production
est alors
divisé/unifié à l'échelle mondiale. D'une part
la création des
filiales ateliers permet de produire et
d'assembler les diverses
parties d'un même produit dans des pays
différents (Division) et
d'autre part la centralisation de la direction
de l'entreprise
permet de contrôler l'ensemble du processus de
production au
niveau mondial (Unification). Par exemple chez
I.B.M.:
La manière dont le
projet du modèle 360/40 s'est développé
dans les laboratoires
britanniques illustre bien ce
processus. Si l'ordinateur avait été conçu en
Angleterre,
il devait être
fabriqué en France et dans l'Etat
de New‑
York, à Poughkepsie.
(...) Il serait faux de dire,
d'ailleurs, que le
modèle définitif fut
entièrement
fabriqué en France: sa
mémoire fut mise au point en Ecosse;
ses composantes
logiques solides à Paris; ses boîtes et
toutes les pièces
annexes viennent des Pays‑Bas, de
Suède,
et d'Italie. (Turner,
1971, pp. 38‑9)
Finalement, il faut
souligner que la n.d.i.t. ne peut
s'appliquer qu'aux processus clairement
divisibles, comme la
fabrication des pièces solides et leur montage.
Elle ne pourrait
pas, par exemple, s'appliquer à la production
chimique ou
pétrolière, car il s'agit là de processus
continu, c'est‑à‑dire
que la production se fait par "réaction des
matières entre elles"
et qu'une fois engagée elle peut difficilement
être arrêtée et
encore moins transportée. (Galle et Vatin, 1981)
Cependant, dans
ces cas‑là la d.i.t. peut facilement
s'appliquer. Par exemple
certains produits chimiques dont la fabrication
est interdite au
Centre sont fabriqués dans des P.V.D., où les
lois sont moins
sévères, et sont ensuite exportés vers les pays
utilisateurs du
Centre. (Castelman, 1983) Ainsi tous les
secteurs industriels
peuvent pratiquer la D.I.T. que ce soit sous la
forme de la
n.d.i.t. ou plus simplement de la
d.i.t.
1.2. La différence entre les pays développés et
en voie de
développement
La question qui se
pose maintenant est de savoir en quoi les
pays développés et en voie de développement, le
Centre et la
Périphérie, se différencient. Pour répondre à
cette question l'on
pourrait faire le bilan de chacune de ces
entités et les comparer
ou encore regarder ce qu'il y a au Centre qu'on
ne retrouve pas à
la Périphérie. Nous avons plutôt choisi une
autre voie. Nous
prendrons les P.V.D. comme point de départ et
nous regarderons en
quoi leurs caratéristiques sont intéressantes
pour les
entreprises du Centre, car la question qui se
pose ici est:
pourquoi les entreprises du Centre
déplacent‑elles certaines de
leurs productions vers la Périphérie? Ensuite,
de façon
complémentaire, nous tenterons de savoir
pourquoi certaines
productions ne peuvent être relocalisées dans les P.V.D.
Nous
aurons ainsi fait le tour des différences entre
le Centre et la
Périphérie.
Premièrement, il faut
souligner que les conditions politico‑
économiques des P.V.D. semblent avantageuses
pour les entreprises
car elles leur permettent d'exploiter une
main‑d'oeuvre
faiblement protégée. Ces firmes profitent alors
de salaires
beaucoup plus bas qu'au Centre et d'heures de
travail qui y sont
plus longues. (Barnet et Muller, 1974; Beaud,
1981; Frobel,
Heinrichs, et Kreye, 1981; Shaiken, 1986; voir
aussi les tableaux II à V aux pages 17 à 21) Parfois, si l'on considère le
nombre de semaine travaillée dans l'année, le temps supplémentaire, et le peu de
jour de congé, les ouvriers de certains P.V.D. peuvent travailler jusqu'à 50%
plus de temps par année que les travailleurs des pays du Centre. (Frobel,
Heinrichs, et Kreye, 1981) Ainsi, l'entreprise qui y produit en vue de
réexporter sa production vers le Centre accroît sa plus‑value davantage que par
toutes autres formes d'intensification du travail qu'elle aurait pu utiliser au
Centre. C'est d'ailleurs pour cette raison que "Bulova est capable de battre la
compétition étrangère parce qu'elle est elle même cette compétition" comme le
dit Harry B. Henshel, son président. (Barnet et Muller, 1974, p. 305) Et ce
n'est là qu'un portrait partiel de la réalité, ces inégalités étant encore plus
grandes si elles sont stratifiées selon l'âge ou le sexe:
In
developping countries ‑‑ as in industrialized ‑‑ the
price of female
labour‑power is lower than the price of male
labour‑power. In
manufacturing (...) women's wage are
frequently half of
male wage. (Frobel, Heinrichs, and
Kreye,
1981, p. 374) (1)
Deuxièmement, l'absence de lois concernant les
conditions de
travail à la Périphérie constitue un autre
avantage pour les
entreprises comparativement aux règlements des
pays du Centre.
Ceci est particulièrement vrai en ce qui
concerne les normes de
_________________________________________________________________
Les Tableaux statistiques
Tableau I: voir à la note 1 dans la section
réservée aux notes.
Tableau II: Indice des coûts horaires de
l'ouvrier pour le groupe
multinational Philips en 1979 (Base
100=France)
_____________________________________________________________
Pays
coûts horaires
Pays
coûts horaires
_____________________________________________________________
R.F.A.
144
Italie
93
Belgique
143
Finlande
87
Suède
142
Espagne
79
Pays‑Bas
139
Grande‑Bretagne
74
Danemark
136
Irlande
67
Suisse
129
Grèce
42
Norvège
127
Brésil
40
U.S.A.
118
Mexique
33
Canada
110
Portugal
26
Japon
103
Corée du Sud
21
France
100 Hong
Kong
19
Australie
97
Singapour
16
Autriche
95
Formose
15
_____________________________________________________________
Source: Beaud, 1981, p.
328.
Tableau III: Salaires annuels pour différentes
fonctions dans
l'industrie automobile en 1980 (en monnaie
nationale et en
dollars américains)
Pays/fonctions Monnaie
dollars Taux de
change/
nationale
américains
dollar U.S.
Belgique (1) │(Franc) │
│31,52
│
Nettoyeur
│
506 544 │ 16 070 │
│
Monteur │
525 228 │ 16 663 │
│
Maintenance │
│
│
│
des robots │
│
│
│
et outilleurs│
616 572 │ 19 561 │
│
│
│
│
│
France (1) │
│
│
│
(pour Renault) │
(Franc) │
│
4,516
│
Semi‑qualifié │
48 600 │ 10 761 │
│
Qualifié
│
57 804 │ 12 799 │ │
Hautement qual│
76 296 │ 16 894 │
│
│
│
│
│
Allemagne (2) │
│
│
│
(moyenne)
│
(Mark) │
│
1,959
│
Nettoyeur
│
26 270 │ 13 410 │
│
Monteur │
29 848 │ 15 236 │
│
Maintenance │
│
│
│
des robots │
36 067 │ 18 411 │
│
Outilleur
│
37 148 │ 18 963 │
│
│
│
│
│
Espagne (3) │
(Peseta) │
│
79,25
│
Manoeuvre
│ 795 000 │ 10 032 │
│
Contremaître │
1 100 000 │ 13 880 │
│
Ingénieur
│
1 500 000 │ 18 927 │
│
│
│
│
│
Portugal (1) │
(Escudo) │
│
53,04
│
Nettoyeur
│
187 200 │ 3 529 │
│
Monteur │
159 600 │ 3 009 │
│
Outilleur
│
187 200 │ 3 529 │
│
│
│
│
│
Suède (1) │
(Couronne) │
│
4,373
│
Nettoyeur
│
79 800 │ 18 248 │
│
Monteur │
79 800 │ 18 248 │
│
Maintenance │
│
│
│
des robots │
84 000 │ 19 208 │
│
Outilleur
│
84 000 │ 19 200 │
│
│
│
│
│
Canada (5) │
(Dollar) │
│
1,195
│
Manoeuvre
│
19 282 │ 16 135 │
│
Monteur │
20 051 │ 16 779 │
│
Entretien des │
│
│
│
machines
│
23 837 │ 19 947 │
│
│
│
│
│
Etats‑Unis (1) │
│
│
│
Nettoyeur
│
│ 19 092 │
│
Monteur │
│ 19 876 │
│
Outilleur
│
│ 24 252 │
│
│
│
│
│
Brésil (6) │
│ │
│
(pour G.M.) │
│
│
│
Nettoyeur
│
│ 2 159 │
│
Monteur │
│ 4 045 │
│
Outilleur
│
│ 6 522 │
│
│
│
│
│
Mexique (7) │
│
│
│
moyenne:
│
│
│
│
‑Plus bas
│ │ 4 355 │
│
‑Plus élevé │
│ 10 323 │
│
│
│
│
│
Taiwan (1) │
(NT$) │
│
36.24
│
Nettoyeur │
151 200 │ 4 172 │
│
Monteur │
177 600 │ 4 901 │
│
Maintenance │
│
│
│
des robots │
170 400 │ 4 702 │
│
Outilleur
│
194 400 │ 5 364 │
│
│
│
│
│
│
│
│
│
Japon
│
(Yen) │
│
203
│
par âge 25 │
1 840 800 │ 9 068 │
│
30 │
2 222 400 │ 10 948 │
│
35 │
2 700 000 │ 13 300 │
│
40 │
3 184 800 │ 15 689 │
│
contremaître │
5 133 600 │ 25 289 │
│
│
│
│
│
Corée (8) │
│
│
│
Moyenne
│
│ 3 972 │
│
│
│
│
│
Philippines │
(Pesos) │
│
7.6
│
Grade 1 │ 7 839 │ 1 031 │
│
5
│
11 700 │ 1 539 │
│
8
│
14 586 │ 1 919 │
Source: Calculé par nous à partir des données de
F.I.O.M., 1982.
Notes:
1. Fait à partir de données mensuelles.
2. Calculé à partir du salaire horaire le plus
élevé et le plus
bas pour chaque catégorie et pour 40 heures de
travail par
semaine.
3. Données annuelles.
4. Moyenne à partir du salaire le plus élevé et
le plus bas pour
cette catégorie.
5. Fait à partir du salaire horaire pour une
semaine de 40
heures.
6. Fait à partir du salaire horaire et de la
moyenne hebdomadaire
de travail (43,7 heures). Le taux était déjà en
dollars
américains.
7. Calculé à partir de la moyenne horaire des
salaires les plus
bas et les plus élevés pour une semaine moyenne
de 40.85 heures
8. Chiffre mensuel déjà en dollars
américains.
9. Salaire horaire pour une durée de 37,5
heures/semaine chez
Ford.
________________
Tableau IV: Revenu national moyen par habitant
pour différents
pays. En dollars U.S. (1986 sauf
exception)
┌───────────────────────────────────────────────────────────────┐
│Pays
P.I.B./habitant (1)
P.N.B./habitant (2)
│
└───────────────────────────────────────────────────────────────┘
Etats‑Unis
17 404
Japon
16 123
Brésil
1 637 (1985)
Inde
244
Indonésie
589
Australie
10 104
Canada
14 016
Argentine
2 132 (1985)
R.F.A.
14 737
France
13 072
Royaume‑Unis 9
660
Italie
8 796
Espagne
5 840
Mexique 2 086
(1985)
Philippines
547
Thailande
821 (1985)
Corée du Sud 2
346
Portugal
2 809
Salvador
810
Panama
2 017 (1985)
Vénézuela
3 112 (1985)
Hong Kong
5 879 (1985)
Singapour
7 412 (1985)
Taïwan
3 701
Suisse
21 036
Finlande
14 300
Suède
15 718
Norvège
16 432
#───────────────────────────────────────────────────────────────#
Source: fait à partir des données que l'on
retrouve dans
Collectif, L'Etat du Monde 1987‑1988,
Paris/Montréal: La
Découverte/Boréal.
Notes:
1. P.I.B.: richesse créée dans le pays par les
travailleurs et
les capitaux.
2. P.N.B.: P.I.B. plus les revenus rapatriés de
l'étranger moins
les revenus exportés par les travailleurs et les
capitaux.
________________
Tableau V: Durée de la semaine de travail dans
les industries
manufacturières
┌───────────────────────────────────────────────────────────────┐
│ Pays
Heures de travail
Année
│
└───────────────────────────────────────────────────────────────┘
Bolivie (1)
46,3
1981
Burundi
45,0
1983
Costa Rica
49,3 1983
Hong Kong
45,5
1983
Mexique
45,6
1982
Panama
45,5
1982
Sri Lanka
48,9
1983
Suède
37,7
1983
Australie (2)
37,5
1986
Etats‑Unis
40.7
1986
Belgique
33,0
1986
Canada
38,7
1986
Tchécoslovaquie 43,1
1986
El Salvador *
44,0
1985
France
38,6
1986
R.F.A.
40,4
1986
Guatemala
46,5
1983
Irlande
41,2
1986
Japon
41,1
1986
République de Corée
54,7
1986
Pays‑Bas
40,4
1985
Norvège
30,6
1986
Porto Rico
39.0
1986
Afrique du Sud
46.2
1985
Espagne
36.9
1986
Suisse
42.6
1986
Royaume‑Uni
41.6
1986
#───────────────────────────────────────────────────────────────#
Source:
(1) Nations Unies, 1986, Annuaire statistique
1983/84, New York; et (2) Nations Unies, 1987, Bulletin mensuel de statistique,
Novembre, New York.
Note:
* Seul les hommes sont
compris.
_________________________________________________________________
santé et de sécurité au travail, de pollution,
et de santé
publique. Il n'est d'ailleurs pas rare que des
entreprises
relocalisent dans les P.V.D. des productions qui
sont sévèrement
réglementées au Centre de manière à échapper à
ces lois même si
elles connaissent les risques qu'encourent les
populations
environnantes. Le profit, qui se concrétise ici
dans le non
investissement dans les systèmes de protection,
l'emporte sur les
considérations morales telles que les conditions
de vie et de
santé de leurs employés et de la population. Un
exemple qui
illustre cela est le cas d'Amatex. Suite à la
réglementation
américaine de 1972 sur le niveau de fibres
d'amiante par mètre
cube d'air, cette firme a fermé son
établissement de Pensylvanie
et a commencé à importer sa production mexicaine
aux Etats‑Unis.
Quant aux conditions de travail dans ses
installations, elles
sont impropres même si la firme en connaît les
dangers. Ainsi, un
journaliste de l'Arizona Daily Star et un
spécialiste de la santé
industrielle, le Dr. William Johnson,
rapportaient, en mars 1977,
après avoir visité l'usine d'Argua Priest au
Mexique, que la
poussière d'amiante recouvre totalement les murs
de l'usine et se
retrouve même sur le chemin de l'école. A
l'intérieur de l'usine
la machinerie est complètement recouverte de
poussière d'amiante.
Quant aux travailleurs, ils ne possèdent même
pas de masque pour
réduire leur exposition à cette poussière. (2)
Et, ce n'est pas
là un cas isolé. Ainsi, face à l'opposition des
citoyens japonais
concernant les industries polluantes, les aciers
Kawasaki ont
construit une fonderie aux Philippines.
Celle‑ci, en plus de
produire des boulettes d'aciers, produit des
impuretés telles que
de la coke, de la poussière de fer, et des gaz
dont du souffre et
de l'azote. (Castelman, 1983, p. 297) Dès lors
on ne peut que
conclure que les conditions de la Périphérie
deviennent un moyen
d'accroître la plus‑value des firmes en leur
permettant de
contourner les règlements du Centre qu'elles
jugent trop sévères
et trop coûteux. Ainsi, la Périphérie ne fait
pas que vendre sa
main‑d'oeuvre bon marché; elle en laisse les
conditions
d'exploitation à la discrétion des
entreprises.
Enfin, le dernier
avantage que les entreprises trouvent à la
Périphérie sont les conditions répressives et la
position anti‑
syndicale de certains P.V.D. De cette manière
certaines firmes
peuvent y localiser des travaux ardus et ne pas
donner de bonnes
conditions de travail à leurs ouvriers, ces
derniers n'ayant
aucun moyen de pression à leur disposition. Par
exemple, à
l'époque de Franco l'Espagne se voulait un
territoire intéressant
pour les firmes du Centre, toutes formes de
manifestations y
étant violemment réprimées. A ce sujet Bénédict
souligne qu'"à un
moment donné" il y a eu une grève chez Fiat
Espagne et que la
police militaire "est venue en hélicoptère tirer
sur les
travailleurs" (1983, p. 167) Certains Etats se
font même les
spécialistes de telles conditions, allant
jusqu'à les publiciser
pour attirer des investissements sur leur
territoire. (Frobel,
Heinrichs, et Kreye, 1981) C'est tout dire.
Vues ainsi les
différences sociales, économiques, et
politiques entre le Centre et la Périphérie
semblent avantageuses
pour les entreprises. En
effet:
Dans les
filiales‑ateliers, grâce à l'extrême parcellisation
des tâches et à
l'encadrement, la productivité du
travail
ne diffère guère de
celle des pays d'origine. En revanche,
les salaires sont dix
à vingt fois inférieurs; le temps de
travail plus long et
plus intense; les grèves et les
syndicats quasiment inexistants. Ainsi se
trouvent
reconstituées les
conditions de la révolution industrielle
en Europe mais dans un
cadre international, (...).
(Michalet, 1979, p.
41)
Cependant, toutes les entreprises n'ont pas les
moyens financiers
et organisationnels d'y investir. C'est là la
première limite que
rencontrent les entreprises qui veulent profiter
de ces
conditions.
La seconde limite
qu'elles rencontrent est d'un tout autre
ordre. Tous les produits ne peuvent être
fabriqués à la
Périphérie. Ainsi, si les produits et les
composantes
standardisées y sont faits, les nouveaux
produits sont
généralement fabriqués au Centre. Trois facteurs
expliquent cela.
D'abord, les nouveaux
produits et procédés techniques sont
souvent pensée là où la formation générale et
professionnelle des
populations est bonne, car pour concevoir un
nouveau produit il
faut un minimum de connaissances techniques.
Ceci nécessite aussi
de l'information, car pour aller plus en avant
avec un nouveau
produit il faut connaître les nouvelles
découvertes, savoir si un
besoin pour celui‑ci existe, et si rien de
comparable a déjà été
fait ou commercialisé. Ces caractéristiques
étant principalement
l'apanage des pays du Centre, où la formation
scolaire et
professionnelle est plus élevée, où les moyens
de communication
de masse sont nombreux (télé‑information, revues
de vulgarisation
scientifique, etc.), et où des organismes
publics se chargent
d'aider les chercheurs et les inventeurs dans
leurs recherches
d'antécédents et le processus de prise de
brevet, c'est dans ces
pays que l'on peut s'attendre à trouver les taux
d'innovation les
plus forts. C'est là un fait que les chiffres
appuient. Ainsi:
En 1979, 85,3% du
nombre total de brevets déposés dans le
monde l'ont été par
des pays développés de l'O.C.D.E. La
part des pays
sous‑développés était de 6,4% du total, et
celle des pays
socialistes de 8,3%. (Perrin, 1983, p. 38)
Quant au pourcentage de brevets déposés dans les
pays sous‑
développés il est surévalué même s'il est
faible, car dans ces
pays "la proportion des dépôts effectués par des
non‑résidents
est toujours très élevée, dépassant dans la
plupart des cas 90%"
(Perrin, 1983, p. 38).
L'invention n'est
cependant pas l'exclusivité des savants,
des ingénieurs, et des laboratoires de
recherche. Les inventeurs
sont de tous les métiers, d'où l'importance
d'une bonne formation
générale et de l'information dans le processus
de l'innovation.
De fait, plusieurs études montrent bien que la
plupart des
nouvelles inventions sont redevables à des
individus et non aux
grands laboratoires de recherche et
développement (R. et D.) ou à
des
spécialistes.
Empirical studies,
mostly dealing with American experience,
suggest that the more
fundamental inventions are not usually
made in the large R.
& D. laboratory. A pioneering study by
Jewkes and associates
was the first to challenge the
assumption that most
modern inventions were produced by
collaborative research
in large institutions.(3) These
results appeared to
indicate the continued vitality of the
individual inventor.
(...) In the case of Du Pont, ..., it
turns out that nylon
was the exception. A study of the
twenty‑five inventions
that were most important in producing
innovations showed
that only ten of them had been invented
at Du Pont; and of
these only three were commercially
important. (Layton, 1977, pp.
214‑215)
Plusieurs cas confirment d'ailleurs cette
conclusion. Par exemple
le stylo à bille fut inventé par un sculpteur,
le film Kodachrome
par deux pianistes, et le "bulldozer" par un
mécanicien amateur.
(Barnet et Muller, 1974; Layton, 1977)
Ensuite, si ces
inventions ont de l'intérêt, elles sont
achetées par des entreprises qui se chargent de
les développer en
vue de les commercialiser. C'est là le génie des
grandes
entreprises. (Barnet et Muller, 1974) Cette
phase du
développement du produit est à l'avantage des
pays du Centre, car
c'est là que se concentrent les grandes
entreprises et leurs
laboratoires de recherche et
développement.
Cependant, il arrive
parfois que des entreprises passent à
côté d'inventions importantes. L'invention de la
photocopieuse en
est un bon exemple. Après avoir découvert le
principe de la
photocopie en 1938 Chester Carlson, un
conseiller en brevet et
physicien amateur, a vu son invention refusée
par plus d'une
vingtaine d'entreprises dont I.B.M., R.C.A., et
General Electric.
Ce ne sera qu'en 1944 qu'un centre de recherche
sans but
lucratif, le Battelle Memorial Institute, s'y
intéressera et
signera un contrat avec lui pour développer ce
processus. Trois
ans plus tard cet institut signera une entente
avec une petite
firme de papier photographique de Rochester, la
Haloid, pour
développer une machine à "électrophotographie".
Carlson, avec
l'aide d'un étudiant grec de l'Université de
l'Ohio, appelera ce
processus "xerography" et sa machine "Xerox".
Haloid a mis son
premier photocopieur "Xerox" sur le marché en
1949 et en 1961
elle changea de nom pour Xerox. (Hunger,
Conquest, et Miller,
1985)
Enfin, le lieu de
fabrication d'un nouveau produit constitue
une question stratégique pour des motifs
défensifs. En effet, les
firmes qui investissent dans son développement
n'ont aucun
intérêt à ce que des concurrents ne s'en
emparent trop rapidement
tant pour des motifs de rentabilité (récupérer
les sommes
investies) que de profit. Pour atteindre ce but
elles choisissent
le pays où le produit sera le mieux protégé pour
entreprendre la
R. et D. et sa production, soit un pays
développé, les P.V.D.
ayant au contraire tout intérêt à s'accaparer
ces savoirs pour
améliorer leur position face aux pays du Centre.
Cependant, cette
distinction est aussi valable pour les pays du
Centre, certains
d'entre eux offrant des protections moins
généreuses que d'autres
sur certains produits. C'est par exemple le cas
au Canada pour
les produits pharmaceutiques. Ainsi la loi
C‑102, adoptée en
1969, permettait de copier tous les nouveaux
médicaments
moyennant une redevance sur les ventes alors
qu'aux Etats‑Unis
ces produits bénéficiaient d'une protection de
17 ans.(4) Quant à
la nouvelle loi sur les produits pharmaceutiques
adoptée à
l'automne 1987, elle accorde une protection de
dix ans, ce qui
est toujours inférieur à ce qui se fait aux
Etats‑Unis.(5) Cette
question est si importante que même lorsque les
F.M.N.
relocalisent certaines de leurs productions à la
Périphérie
elles les protègent encore pour éviter que
d'autres entreprises
ne s'en emparent et les concurrencent un jour
sur leur propre
terrain. Cette crainte est justifiée si l'on
pense que Nissan est
née dans les années 30, avec des équipements
achetés aux Etats‑
Unis d'une entreprise d'automobile qui avait
fermé ses portes
suite à la crise de 1929, et qu'aujourd'hui le
Japon est devenu
le numéro un mondial de l'auto. (Bonnafos,
Chanaron, et de
Mautort, 1983, p. 29)
Des motifs économiques
et politiques jouent aussi en faveur
du Centre pour la fabrication des nouveaux
produits. Ceux‑ci sont
de deux ordres. D'abord, comme les coûts de
production et de
travail sont plus élevés au Centre, ceci y
favorise l'innovation
et la production de biens "économiques" ("labor saving"). Par
exemple:
In the case of
consumer goods, ..., the high cost of
laundresses
contributes to the origin of the drip‑dry
shirt
and the home washing
machine. In the case of industrial
goods, hight labor
cost leads to the early development and
use of conveyer belt, the fork‑lift
truck, and the automatic
control system. (Vernon, 1966, pp.
192‑3)
Ensuite, comme c'est là que les consommateurs
ont le plus grand
pouvoir d'achat ‑‑ les salaires étant plus
élevés ‑‑ ceci y
favorise la fabrication des produits novateurs,
car c'est là que
la demande est la plus forte pour ces
produits.
Il y a ainsi une
dynamique du nouveau produit au Centre, les
coûts élevés du travail y favorisant
l'innovation et créant un
marché, et une dynamique du produit standardisé
à la Périphérie,
où les coûts de production sont plus faibles. On
rejoint alors la
théorie du cycle du produit de Vernon (1966). Le
nouveau produit
est généralement fait au Centre, là où il fut
découvert, car une
interaction rapide entre les consommateurs et le
producteur est
nécessaire pour l'ajuster aux attentes des
consommateurs et le
corriger en fonction des variations de la
demande. Ensuite, quand
il est mûr, c'est‑à‑dire quand toutes ses
caractéristiques sont
arrêtées, il peut être fabriqué ou monté dans
les autres pays du
Centre où il y a une demande pour celui‑ci.
C'est même la
solution la plus avantageuse, car il peut ainsi
être adapté aux
besoins de ces marchés. Enfin, quand le produit
est standardisé,
c'est‑à‑dire que toutes ses possibilités ont été
exploitées, il
devient avantageux de le fabriquer à la
Périphérie tant qu'une
demande existe pour celui‑ci, car les taux de
plus‑value y sont
plus élevés qu'au Centre. Après, quand la
demande faiblit, il est
appelé à être remplacé par un nouveau produit.
En conséquence, la
D.I.T. peut être vue comme étant d'abord
une stratégie économique, car elle semble servir
à fabriquer le
produit où il apparaît le plus rentable de le
faire. C'est ce
qu'il nous faut maintenant vérifier.
1.3. Le rôle économique de la Division
Internationale du
Travail
Pour nous la D.I.T.
joue d'abord un rôle économique. Deux
faits semblent le démontrer. C'est ce que nous
allons voir ici.
Premièrement, la
D.I.T. sert à accroître la plus‑value des
F.M.N. en profitant des différences politiques,
économiques,
techniques, et sociales qui existent entre différents pays.
C'est là un processus fort simple: comme la
valeur d'une
marchandise est "déterminée par le temps de
travail nécessaire à
sa production et (comme elle) s'exprime dans le
quantum de toutes
autres marchandises qu'a exigé un travail de
même durée" (Marx,
1977, p. 82) on respecte ce principe au plan
local et on
capitalise sur ses différences au plan mondial,
car "les prix des
biens sont déterminés par le Centre" (Michalet,
1976, p. 165).
Ainsi l'ouvrier est payé en fonction du travail
socialement
nécessaire à la reproduction de sa force de
travail dans son
pays, mais le fruit de son labeur est exporté ou
intégré à un
produit fini ailleurs dans le réseau de la firme
et vendu au coût
socialement nécessaire à sa production dans le
pays d'origine de
la F.M.N. Grâce à cette capacité de
délocalisation et de
relocalisation de la production, la F.M.N. peut
alors accroître
son profit en produisant chacune de ses pièces
là où elle juge
que les coûts de travail sont les plus faibles,
la productivité
la plus élevée, et la protection sur ses
produits suffisante.
Comme le dit Michalet:
Par stratégie
productive nous entendons le processus de
multinationalisation
guidé par le souci de tirer avantage de
l'inégalité des coûts
de production d'une région à l'autre.
(...) Les disparités
de salaire semblent constituer
l'élément prépondérant
dans le choix d'une nouvelle
localisation des
unités productives. Dans le cadre de cette
logique,
l'implantation d'une filiale ne sera plus
déterminée par
l'évaluation des possibilités du pays
d'accueil mais par la
dotation en facteur travail. A la
limite la totalité de
la production des filiales sera
réexportée vers le
pays d'origine ou vers un pays tiers.
(1976, p. 152)
Par exemple Crvena Zastava ("l'Etoile rouge"),
qui montait
certains modèles Fiat pour le marché yougoslave,
en vint, à la
fin des années 60, à fabriquer "certaines
pièces, telles que les
panneaux de portes de la "600", pour toutes les
opérations de
Fiat" (Turner, 1971, p. 175). Fiat profitait
alors des
coûts
inférieurs de la main‑d'oeuvre yougoslave pour sa production
des
éléments standardisés dont elle avait besoin.
Il arrive aussi que ce
soit l'inverse qui se produise. Des
entreprises peuvent rapatrier certaines
productions au Centre
lorsque de nouveaux équipements, qui permettent
de produire
davantage avec moins d'ouvriers ("labor saving")
sont
disponibles, car ceci représente une économie de
coût. Par
exemple, dans le vêtement, la firme
Wiedekind/Sprendlingen a
rapatrié sa production de jeans des pays de
l'Est vers
l'Allemagne de l'Ouest où, avec des équipements
modernes, elle
peut les fabriquer beaucoup plus rapidement et à
moindre coût en
plus d'économiser sur les frais de transport.
Par contre, cette
entreprise a toutefois conservé certaines
productions manuelles,
comme celle des ceintures tressées, à la
Périphérie, là où les
coûts de main‑d'oeuvre sont plus faibles qu'au
Centre. (6)
Deuxièmement, cette
stratégie offre aussi des avantages
économiques au niveau de la localisation de la
production.
D'abord, grâce à cette stratégie les F.M.N. sont
moins affectées
par les tarifs douaniers des pays où elles
écoulent leur
production, une part de celle‑ci, que ce soit
des produits finis
ou des composantes, étant fait sur place. Les
F.M.N. ont ainsi
accès à une sorte de libre échange entre leurs
filiales, celles‑
ci s'échangeant souvent leurs produits au prix
coûtant. Elles
reprennent alors le but des filiales‑relais,
soit contourner les
barrières tarifaires des différents pays tout en
accroissant
leurs taux de plus‑value grâce aux différences
qui existent entre
le Centre et la Périphérie. (Michalet, 1976,
1979) Ensuite elles
peuvent obtenir des avantages économiques de
l'extension de leur
réseau en orchestrant une surenchère autour de
la localisation de
leur filiales. Ceci s'explique par le fait que
différents Etats
veulent attirer des firmes étrangères sur leur
territoire
grâce à des mesures fiscales fort lucratives
pour elles:
... comme la majorité
des P.V.D., les pays développés
cherchent à attirer
les investissements étrangers. Des
plaquettes
publicitaires sont diffusés, des bureaux
d'accueil ouverts qui
expliquent aux éventuels candidats les
avantages offerts par
les conditions économiques, socio‑
culturelles,
climatiques, ou politiques du pays. Ces
avantages "naturels"
sont renforcés par une panoplie d'aides
pouvant aller de la
détaxation fiscale pendant 5 ou 10 ans,
à des prêts pour les
investissements, en passant par des
franchises douanières
et la prise en charge par le pays
d'accueil des dépenses
d'infrastructures. Dans certains cas,
les facilités
accordées aux F.M.N. sont exorbitantes par
rapport au régime
appliqué aux firmes locales. (Michalet,
1979, p.
51)
Par exemple, pour attirer des investissements,
la République
d'Irlande est devenue une zone "hors taxe" en
plus d'offrir de
généreuses conditions aux investisseurs, soit:
absence d'impôt
sur les produits destinés à l'exportation;
subventions pouvant
couvrir jusqu'à 50% du coût des nouvelles
installations; paiement
de la formation de la main‑d'oeuvre par l'Etat,
ce même à
l'étranger; offre de terrains et bâtiments à
rabais; et
subvention pour la R. et D. faite sur place.
(7)
Ainsi la D.I.T. semble
d'abord une tactique économique. Elle
sert à fabriquer les différents produits et
composantes dont
l'entreprise à besoin là où il est le plus
rentable pour elle de
le faire en tenant compte des capacités
productives du pays et de
la protection qui lui est accordé sur ces
produits et
composantes. C'est une méthode pour atteindre le
profit maximum
peu importe que ce soit dû aux seules conditions
d'une
localisation (bas salaires, proximité des
ressources, absence
d'impôt, etc.) ou à des conditions artificielles
(absence de
tarifs douaniers, subventions, etc.). C'est ce
que nous pouvons
en retenir. Ceci étant dit, une autre question
apparaît: celle du
pouvoir.
1.4. La Division Internationale du Travail:
stratégie de
pouvoir?
La question se pose
maintenant de savoir si la D.I.T.
est une stratégie de pouvoir? Avant d'y répondre
il faut
cependant dire ce qu'est le pouvoir. Sa
définition la plus simple
est celle qu'en a donné Robert Dahl: "Le pouvoir
de A sur B est
la capacité de A d'obtenir que B fasse quelque
chose qu'il
n'aurait pas fait sans l'intervention de A."
(Crozier, 1970, p.
33) En ce qui concerne les entreprises, notre
objet d'étude, le
pouvoir peut se définir comme la capacité qu'a
une organisation
d'affecter et de diriger le comportement de ses
membres (ce qui
inclut le syndicat) et d'influencer le
comportement d'acteurs qui
lui sont extérieurs (clients, groupes de
pression, gouvernement,
etc.). Pris ainsi le pouvoir peut prendre deux
formes. D'abord,
il signifie la direction vers un but commun.
Ensuite, il
représente l'usage de la pression envers un
opposant dans un
conflit. Préalablement à la poursuite de cette
étude, il nous
faut cependant voir ces deux facettes du pouvoir
pour bien
comprendre le rôle que peut jouer la D.I.T. en
tant que moyen de
pouvoir au sein de
l'entreprise.
Premièrement, le
pouvoir est présent dans la direction des
opérations quotidiennes. Dans ce cas il se
manifeste dans le
droit d'exiger un travail ou un niveau de
rendement donné. Le
pouvoir se confond alors avec l'organisation et
la division du
travail: il est présent dans la position
hiérarchique, l'ordre
donné, les normes prescrites, et le droit d'user
de sanctions.
... work
organizations. By this is meant simply that they
are goal‑oriented
systems designed in a manner which attemps
to ensure that a man's
livelihood hinges on adequate
performance as defined
by his superiors in the organization.
(Tausky, 1970, p. 22)
Chaque cadre est ainsi dépositaire d'une part du
pouvoir de
l'organisation: son autorité. (Mintzberg, 1983)
C'est la
capacité de donner des ordres, de se faire
obéir, et de menacer.
(Weil, 1969; Linhart, 1981) A ce niveau la
D.I.T. n'apporte rien
de neuf. En fait, cette forme de pouvoir fut
associée de tous
temps à la division classique du travail et
celle‑ci suffit
amplement à cette tâche (Marglin, 1973), car ce
pouvoir s'exerce
indépendamment sur chaque ouvrier par son
supérieur. Le seul
apport de la D.I.T. à ce niveau peut être
d'avoir contribué à
étendre cette forme de pouvoir à des sociétés
qui ne la
connaissaient pas auparavant, tels certains
P.V.D.
Cette première forme
de pouvoir peut être qualifiée de
"capitaliste" car elle est liée à l'organisation
capitaliste du
travail, c'est‑à‑dire la soumission de l'ouvrier
à un capital qui
lui est étranger pour le profit de son
propriétaire. Cela est
d'ailleurs tout aussi vrai en régime
capitaliste, socialiste, que
communiste (8); dans les F.M.N. et les petites
et moyennes
entreprises (P.M.E.); dans le secteur public ou
privé. En ce sens
il s'agit d'une forme conventionnelle du
pouvoir.
Ensuite, le pouvoir
peut être vue comme un moyen de
pression face aux ouvriers qui s'opposent à
l'organisation. C'est
davantage à ce niveau qu'une différence peut
être faite entre la
D.I.T. et la division classique du travail, car
nous croyons que
la D.I.T., vu son rayonnement mondial, permet de
diviser
davantage les ouvriers en cas de conflit que ne
le fait la
division du travail. La question qui se pose
alors est de savoir
quels moyens offrent chacune de ces stratégies
pour faire
pression sur les ouvriers en cas de conflit,
sans quoi nous ne
saurons pas si il y a une différence entre les
deux, ni si la
D.I.T. constitue vraiment une stratégie de
pouvoir supérieure.
D'abord, la division
classique du travail ne correspondant
pas à une division socio‑politique et
géographique des ouvriers,
elle semble offrir peu de pouvoir en cas de
conflit. Cependant
ceci mérite une explication plus étoffée, car il
s'agit là d'un
point de vue bien précis.
Nous croyons que la
division du travail constitue une
barrière à l'organisation des ouvriers au sein
de l'entreprise,
car plus ceux‑ci sont divisés, c'est‑à‑dire plus
il y a de titres
d'emplois, plus leur regroupement au sein d'un
syndicat est
difficile. Ainsi chez Polaroid, où il y a 2 100
titres d'emplois
pour 6 397 travailleurs horaires (auxquels
s'ajoutent 3 016
autres travailleurs payés sur une base salariale
fixe), il n'y a
pas de syndicat. (Edwards,
1979)
Cependant, cette
division n'est pas suffisante pour empêcher
les ouvriers de s'organiser. Ceux‑ci peuvent
toujours se
syndiquer sur la base de leur appartenance à une
même firme. Le
pouvoir de l'entreprise risque alors de
s'effriter en cas de
conflit. De fait, du moment où une majorité,
sinon l'ensemble,
des ouvriers d'une entreprise coordonnent leur
action dans un
conflit ouvert, les moyens utilisés pour les
diviser au niveau du
travail (classification, départementalisation,
etc.) perdent leur
vigueur, car il y a entente entre les ouvriers
hors de ces
divisions artificielles. Et si il y a grève,
ceci élimine toutes
les formes de pression que l'entreprise peut
exercer sur les
travailleurs grâce à la division du travail, car il y a
absence
de travail. Ainsi, si la division du travail est
un moyen de
division des ouvriers à l'intérieur de la firme,
là s'arrête son
pouvoir, car si les ouvriers passent outre à ses
règles (moyens
de pression) ou au travail (grève) elle n'a plus
d'effet. C'est
d'ailleurs pour cela que dans la plupart des
conflits les
entreprises s'en remettent à d'autres méthodes
‑‑ gorilles, chien
de garde, menace de fermeture, etc. ‑‑ pour
faire pression sur
les ouvriers. Elles savent bien que la division
du travail est
inutile dans ces cas là. En conséquence, nous
pouvons retenir que
la division classique du travail n'est pas une
méthode de pouvoir
au sens coercitif du terme, mais une méthode de
pouvoir au sens
social, car elle hiérarchise les membres de
l'organisation.
D'ailleurs, même lorsqu'il n'y a pas de conflit,
la division
classique du travail n'est pas suffisante comme
moyen de
pression. Ainsi, pour accroître le rendement des
ouvriers,
l'entreprise doit avoir recours à d'autres
formes plus
coercitives et incitatives de pouvoir telles que
la coercition
(menace de suspension ou de renvoi), la
rémunération (paiement
aux pièces et bonis), les cadences
(chronométrage, feuilles de
temps, etc.), et la technologie (chaîne de
montage, robotique)
pour atteindre ce but.
La question qui se
pose maintenant est de savoir si la
D.I.T. est un meilleur moyen de pouvoir que la
division classique
du travail en cas de conflit. Celle‑ci
permet‑elle à une F.M.N.
de diviser ses ouvriers au niveau mondial et de
les opposer les
uns aux autres dans ces cas
là?
Premièrement, en
période de conflit la Division Internationale du Travail permet d'approvisionner
un marché où il
y a grève à partir de la production des filiales
étrangères, ce
qui constitue une menace réelle pour les
ouvriers en grève. Ce
n'est pas le moyen le plus dur, mais il a fait
ses preuves.
Ainsi, en 1966, la firme Goodyear avait
constitué une provision
de pneus à sa filiale suédoise pour éviter une
grève aux Etats‑
Unis, ce qui a réussi. Un an plus tard la même
stratégie fut
reprise avec autant de succès face à ses
employés allemands.
(Tugendhat, 1981)
Le second moyen de
pression que la D.I.T. permet d'utiliser
face à des ouvriers "récalcitrants" est la
menace de faire tous
ses nouveaux investissements ailleurs, où elle
juge le climat
plus favorable. Ford en fournit un bon exemple.
En effet, lorsque
Henry Ford II est allé à Londres en 1971 pour
annoncer de
nouveaux investissements, il y avait une grève à
l'usine de
Dagenham. Il a alors dit à la télévision qu'il
allait faire ses
investissements en Allemagne. Les syndicats
britanniques et
allemands, qui étaient alors réunis à Londres
pour la réunion du
Conseil des travailleurs Ford, se sont dès lors
entendus pour
refuser un tel transfert. Quand Henry Ford II a
appris cela, il a
dit que son voyage en Allemagne était "un
prélude" à son
objectif: "chercher un autre pays pour ses
investissements". Il a
finalement trouvé l'Espagne du dictateur Franco.
(Bénédict, 1983,
p. 164)
Le troisième moyen de
pression que la D.I.T. donne aux
F.M.N. en cas de conflit est celui de menacer
ses ouvriers
d'investir ailleurs et de laisser ses
installations locales se
déprécier. Ceci équivaut à une menace de
fermeture à retardement.
Ce moyen fut par exemple utilisé en 1968 chez
Massey‑Ferguson. En
effet, cette entreprise avait alors menacé ses
ouvriers canadiens
de laisser leur usine dépérir et de faire tous
ses nouveaux
investissements aux Etats‑Unis s'ils
n'abandonnaient pas l'idée
d'un salaire égal à celui des travailleurs
américains.
(Tugendhat, 1981)
Enfin, la pression la
plus forte que la D.I.T. permet
d'exercer sur ses ouvriers est de littéralement
fermer ses
installations et de les transférer dans une
autre région où elle
juge les conditions plus favorables. C'est
cependant un cas
extrêmement rare. Mais le Québec en a connu une
de ses
manifestations les plus spectaculaires: suite à
la
syndicalisation de ses employés la compagnie Ser
Vaas, la seule
firme de recyclage du caoutchouc au pays, "a
déménagé en
catimini, à la faveur de la nuit, au cours de la
fin de semaine
du 26 et 27 octobre dernier", du Québec vers
l'Ontario. (9)
Dans cette
perspective, la D.I.T. semble réellement
constituer une forme de pouvoir coercitif, un
moyen de diviser et
d'opposer les employés d'une même multinationale
en cas de
conflit. En
toute logique:
If a company decides
to expand the capacity of its Belgian
plants, for instance,
at twice the rate of its British and
German factories and
to transfer certain operations from
Britain and Germany to
Belgium, the British and German
workers may object but
it is inconceivable that the Belgians
would join their
protests. (Tugendhat, 1981, pp. 221‑2)
C'est là un point en faveur de l'idée que la
D.I.T. constitue un
pouvoir de division des
ouvriers.
Cependant, la réalité
n'étant pas souvent réductible à un
seul aspect, il faut souligner ici que ce type
d'organisation
peut aussi aider les ouvriers lors d'un conflit.
C'est le
"contre‑pouvoir multinational" pour reprendre le
titre d'un livre
sur le sujet. (Levinson, 1974) Celui‑ci se
manifeste de deux
façons.
Dans le cas de la
division internationale du travail
(d.i.t.), les ouvriers d'une filiale qui
fabrique seule un
produit pour l'ensemble du marché d'une F.M.N.
peuvent bloquer
une production très rentable au plan mondial
lors d'un conflit de
travail. Et s'il s'agit d'un nouveau produit
leur réussite sera
encore plus grande, car l'entreprise ne pourra
pas répliquer avec
des produits semblables. Ce fut par exemple le
cas chez Ford
lorsqu'il y eut une grève en Grande‑Bretagne qui
coïncidait avec
le lancement de la Capri. Ford a alors perdu 69
millions de
dollars pour ses installations britaniques et
26,4 millions de
dollars pour ses autres installations européennes qui
devaient
faire des pièces pour ce modèle de voiture.
(Tugendhat, 1981)
Dans le cas de la
nouvelle division internationale du
travail (n.d.i.t.) la situation est encore plus
dramatique pour
l'entreprise, car les employés d'un plan en
grève peuvent bloquer
sa production mondiale en bloquant la fabrication de
pièces
majeures pour l'entreprise. Ainsi chez
G.M.:
Such was
the case when a group of union members stopped
production and
occupied one of the most critical
plants in
G.M.'s entire empire:
the Flint plant, which produced the
bulk of Chevrolet
engines. With these occupations auto
workers succeded in
crippling General Motors' car production
and the corporation's
rate of output decreased from 50 000
cars per month in
December to only 125 for the first week of
February. G.M. was not
only losing money but even possibly a
"permanent share of
the market to its competitors" (10).
(Arrighi and Silver, 1984, pp.
194‑5)
Ainsi, la force de cette stratégie, la division,
constitue en
même temps son point faible, car les ouvriers
peuvent profiter de
celle‑ci pour bloquer l'ensemble de la
production d'une
entreprise en ne bloquant que quelques usines
stratégiques.
Naturellement, les
multinationales se sont aperçues de cette
faiblesse. Elles ont alors tenté d'y remédier en
doublant leurs
installations les plus importantes, ce qui
constitue cependant
une assurance coûteuse. (Tugendhat, 1981; Piore
et Sabel, 1984;
Shaiken, 1986) Et elle n'est pas garantie. En
effet, les
syndicats peuvent eux aussi adopter cette
stratégie. Les
entreprises doivent alors faire face à des
conflits
multinationaux. Ce fut notamment le cas à la
Saint‑Gobain en
1969. Suite à des transactions entre B.S.N. et
la Saint‑Gobain,
la Fédération Internationale de la Chimie a pris
connaissance des
profits réels de l'entreprise. Charles Levinson,
le secrétaire de
cette Fédération, convoqua alors tous les
syndicats de
l'entreprise à Genève pour juger d'un plan
d'action commun pour
les groupes en négociation soit ceux de France,
des Etats‑Unis,
d'Italie, et de R.F.A. Il fut alors décidé
qu'aucun des syndicats
ne signerait d'accord tant que tous les autres
n'auraient pas
réglé. Quant aux syndicats où il n'y avait pas
de négociation,
ils se sont engagés à ne pas faire de temps
supplémentaires qui
servirait à suppléer l'absence de production des
filiales où il y
avait grève. Ce conflit fut finalement réglé,
après quelques
semaines, à l'avantage des ouvriers. (Turner,
1971; Levinson,
1974; Tugendhat, 1981) Ceci montre bien qu'au
pouvoir des F.M.N.
peut s'opposer un pouvoir syndical à condition
que les syndicats
coordonnent ensemble leur action. Et les
syndicats mondiaux,
comme ceux de la chimie ou de la métallurgie,
sont en position
pour le faire.
Ainsi, si la D.I.T.
s'applique d'abord et avant tout dans un
but de pouvoir sur les ouvriers, on ne peut
conclure à son succès
complet. En effet, si dans certains cas les
ouvriers doivent se
plier à cette menace, dans d'autres ils peuvent
avoir le dernier
mot. Ce n'est pas davantage une question de
secteur industriel
puisque pour une même industrie certaines firmes
sont syndiquées
et d'autres non. Et pourquoi une firme non
syndiquée utiliserait‑
elle la D.I.T. pour briser un syndicat fantôme?
Quant aux firmes
où il y a un syndicat, quelle logique
expliquerait des
investissements de plusieurs dizaines de
millions de dollars pour
briser une grève de quelques semaines, sans
oublier que leurs
nouveaux ouvriers pourraient à leur tour en
venir à faire la
grève. Enfin, qu'est‑ce qui expliquerait qu'une
firme qui se dit
rationnelle investisse des millions dans des
installations pour
les déménager ensuite? Il n'y en a aucune. Il
n'est d'ailleurs
pas rare que ces menaces soient oubliées suite
au règlement d'un
conflit. Ainsi, quelques mois après la grève de
1971 des ouvriers
de Ford Grande‑Bretagne, où la direction avait
menacé de ne plus
investir, l'usine de moteur fut quand même
agrandie. La direction
de Ford n'avait pas le choix, car une usine
neuve aurait été
beaucoup plus coûteuse que l'agrandissement d'une usine
déjà
existante. (Turner, 1971) Vu ainsi la D.I.T.
représente davantage
un moyen de pression sur les ouvriers qu'un
véritable pouvoir à
moins que ces menaces ne s'adressent à des
installations
désuètes. Le but premier de la D.I.T. n'est donc
pas le pouvoir
sur les ouvriers. C'est là un rôle de second
ordre.
La D.I.T. représente
cependant un pouvoir politique. Celui‑
ci se manifeste de deux façons. D'une part, elle
protège les
installations des F.M.N. contre les coups d'Etat
et les projets
de nationalisation en les rendant inutiles hors
de leur réseau,
car seule la F.M.N. peut fournir les entrants
("in‑puts")
nécessaires au bon fonctionnement de chacune de
ses filiales.
Ainsi, si un Etat ou un groupe politique
s'empare d'une de ses
filiales elle ne lui sera que de peu d'utilité,
ne recevant pas
les entrants nécessaires à sa production et se
voyant fermer les
réseaux d'accès de la firme. Ils seront alors
pris avec des
équipements inutiles, surtout s'ils ne servaient
qu'à faire une
seule composante. La F.M.N. aura gagné, car la
D.I.T. aura
atteint son but: rendre ses installations
difficiles à
nationaliser. (Turner, 1971; Michalet, 1976,
1979)
D'autre part, la
D.I.T. permet aussi d'exercer des pressions
sur un Etat si celui‑ci veut entraver ses
objectifs par une loi.
Par exemple, Ford a récemment menacé le
gouvernement américain de
déménager la production de ses moteurs de
grosses cylindrées au
Mexique si les règlements concernant la
consommation d'essence ne
sont pas assouplis de manière à éviter les
centaines de milliers
de dollars de pénalités qu'elle pourrait
encourir à cause de ces
règlements. (11) Cependant, dans les faits, une
telle menace ne
sera appliquée que si l'entreprise estime qu'il
lui en coûtera
moins de la tenir que de se soumettre. Tout est
question du
rapport coût/bénéfice qui en sera fait. Tout
dépend des
investissements en jeu, de la durée de vie
prévue du produit, des
coûts d'une localisation (salaire, impôts,
etc.), et de la
protection qu'elle a sur ces produits.
Nous pouvons ainsi
conclure que la D.I.T. est d'abord une
stratégie économique, car elle sert à produire
là où il est le
plus rentable de le faire et où la protection
qu'elle a sur ses
produits est la meilleure. Ensuite elle
constitue une protection
politique, car elle sert à rendre ses
installations difficiles à
nationaliser en les rendant dépendantes de son
réseau. Enfin elle
constitue une stratégie de pouvoir, car elle
permet de menacer
ses ouvriers ou les Etats nations d'une
délocalisation/
relocalisation s'ils agissent à l'encontre de
ses intérêts. Mais
cette menace n'est valable que si l'intérêt
économique de
l'entreprise est en jeu, sinon elle ne la
tiendra pas. Ce n'est
alors qu'un stratège, le but premier de
l'entreprise étant le
profit. Cependant, si la firme sait qu'ailleurs
elle peut obtenir
un profit supérieur, cette menace peut être
considérée comme
sérieuse. A la limite elle peut n'être qu'un alibi à
une
décision déjà prise pour des motifs de profit.
C'est dire
l'importance qu'a l'aspect économique dans
l'usage de la D.I.T.
Quant à la notion de pouvoir, elle est nettement
moins
importante.
Ceci complète ce que
nous pouvons retenir de la D.I.T.
Voyons maintenant ce qu'il en est des nouvelles
formes
d'organisation du travail, son complément selon
notre question de
départ.
Chapitre
II
Les nouvelles
formes
d'organisation du
travail
La principale question
de cette étude, et l'objet de ce chapitre, est de savoir si la Division
Internationale du Travail et les nouvelles formes d'organisation du travail
(N.F.O.T.) font partie d'une même stratégie. Pour répondre à cette question nous
regarderons si les N.F.O.T. s'appliquent sans la D.I.T. Quels que soit le cas,
nous en rechercherons les raisons. Mais auparavant il nous faut définir les
N.F.O.T. et montrer leurs origines.
2.1. De la définition des nouvelles formes
d'organisation du
travail
Les N.F.O.T. peuvent
être définies comme des aménagements à l'organisation traditionnelle du travail
qui ont pour but de redonner une forme professionnelle au travail manufacturier,
à recréer une ambiance de métier. Cela se fait par l'enrichissement des tâches
dont les formes les plus connues sont:
‑L'élargissement des
tâches, c'est‑à‑dire que l'ouvrier fait le
travail en aval et en amont de sa tâche comme, par exemple, son inventaire et ses commandes
de pièces; les tâches qui sont
complémentaires, tels que l'ensemble des
montages que nécessite un travail (par exemple le montage entier d'un clavier d'ordinateur); et,
enfin, la vérification
de son travail fini.
‑Les groupes
semi‑autonomes, c'est‑à‑dire que les ouvriers d'une même équipe de travail ont
une tâche complète à faire,
par exemple le montage d'un train avant d'automobile, et sont libres de se répartir cette tâche comme ils
l'entendent, en autant que celle‑ci
soit fait en respectant les
normes de temps et de qualité de l'entreprise.
‑La rotation de poste,
c'est‑à‑dire qu'après un certain
temps à un poste donné (par exemple 6 mois) les ouvriers changent de poste de travail de manière à
apprendre toutes les opérations sur une
longue période. Celle‑ci doit cependant se
faire en combinaison avec les deux autres formes
d'enrichissement des tâches sans quoi on ne peut parler de N.F.O.T.,
mais seulement d'une rotation entre des
tâches taylorisées.
Ce sont là les N.F.O.T. les plus connues, celles
dont nous parlerons le plus dans cette étude.
Cependant, il ne faut
pas croire que les N.F.O.T. sont le seul moyen d'encouragement au travail qui
existe. Il y en a d'autres allant plus ou moins loin selon les cas,
soit:
1. Les formes communicatives: Elles donnent
l'illusion d'impliquer les travailleurs en les informant des choses de
l'entreprise. Ce sont, par exemple, les assemblées d'information, les programmes
de consultation des ouvriers, le journal d'entreprise, et les rencontres
informelles. Ce peut aussi être la présence d'un siège réservé aux ouvriers sur
le Conseil
d'administration de l'entreprise, ce qui ne leur
donne aucun pouvoir réel sauf une illusion de participer aux décisions.
L'ouvrier y a plutôt un rôle de "courroie de transmission", c'est‑à‑dire qu'il
sert à transmettre et expliquer aux ouvriers de la base les décisions prisent
par le Conseil d'administration.
(Vaillancourt et Vaillancourt,
1981)
2. Les formes économiques et rémunératives: Ce
sont des encouragements à produire plus et mieux ‑‑ une diminution des pertes
équivalant ici à une hausse de rendement ‑‑ en échange d'avantages économiques
ou d'un sentiment de propriété. Les moyens qui décrivent le mieux cette forme
incitative sont le partage des profits et l'actionnariat. Ce sont les
équivalents
modernes des bonis. Dans quelques cas, comme
chez Eastern Airlines, l'entreprise peut y ajouter une confiscation du salaire
(elle est de 3,5% chez Eastern) si les objectifs ne sont pas atteints. La
réduction du temps de travail fait aussi partie de
cette catégorie, car en échange d'une hausse de
productivité les ouvriers travaillent moins d'heures par semaine ou obtiennent des vacances
supplémentaires pour un même salaire, ce qui constitue une bonification
indirecte de leur salaire. (Vaillancourt et Vaillancourt, 1981; Meadows, 1984;
Morville, 1985)
3. Les N.F.O.T.: Ce sont les aménagements à
l'organisation traditionnelle du travail dont nous avons parlé plus haut. Quant
à leurs buts, c'est ce dont nous parlerons dans la suite de ce
chapitre.
4. Les nouvelles formes de gestion: Ce sont des
formes de gestion dans lesquelles les ouvriers peuvent pleinement participer aux
décisions. Ces nouvelles formes de gestion sont la cogestion, où les ouvriers
peuvent discuter avec les administrateurs en place
des choix à prendre et de leurs conséquences;
l'autogestion, où les ouvriers choisissent parmi un ensemble de possibilités qui
leurs sont soumises par leur Conseil d'administration ou des conseillers
professionnels celles qui leurs semblent les plus conformes à leurs buts et
idéaux; et le coopératisme, où les membres coopérants doivent prendre les
décisions en assemblée générale. (Chauvey, 1970; Baumgartner, Burns, et De
Ville, 1979; Demoustier, 1984) Ce sont cependant des idéals‑types, car si les
intellectuels en parlent, les cas pratiques sont plutôt
rares.
Seules les coopératives de production existent,
et dans plusieurs cas la coopération est si faible que les décisions incombent
souvent aux professionnels et aux délégués, la plupart des membres se contentant
de recevoir les informations et d'entériner les décisions des gestionnaires en
place. (Demoustier, 1984)
Ces formes
d'encouragement au travail ne jouissent pas toutes de la même faveur patronale.
Les nouvelles formes de gestion sont ainsi beaucoup plus discutées qu'utilisées
sauf pour les coopératives de production qui ont une certaine popularité en
Europe. (Demoustier, 1984) Les formes rémunératives et communicatives, quant à
elles, sont beaucoup plus populaires, car elles incitent à une plus grande
productivité et à un attachement à l'entreprise sans remettre en cause sa
structure de direction. Enfin, les N.F.O.T. constituent un moyen terme entre
toutes ces formes d'encouragement au travail, car si elles accroissent la
productivité elles donnent aussi un plus grand rôle à l'ouvrier. Elles prennent
d'ailleurs de la popularité. Cependant, elles sont encore loin de s'appliquer
partout. Nous verrons pourquoi dans la
suite de cette étude.
2.2. Historique des nouvelles formes
d'organisation travail
Si les N.F.O.T. sont apparues
au cours des années 70 dans les entreprises, elles étaient cependant connues
depuis longtemps dans les milieux universitaires et chez les consultants en
organisation. Par exemple, l'expérience de Hawthorne, qui fut menée de 1927 à
1932, avait déjà permis:
... a
refutation of the scientific management assumptions about motivation. Conditions
of work, fatigue, and pay were
secondary factors in comparison to the human elements of work. (Tausky, 1970, p. 48)
Des expériences menées dans les usines de guerre
ont ensuite
démontré que des ouvriers dépourvus de toute
qualification
technique pouvaient exécuter avec succès un
travail qualifié.
C'est ainsi qu'aux
usines Cadillac de Détroit, des ouvrières noires, entièrement dépourvues de qualification
et d'expérience industrielles, étaient
chargées de fabriquer un élément d'avion
en aluminium exigeant une haute précision.
Chacune d'elle terminait entièrement une pièce, travaillant d'après une fiche portant trois séries
d'instructions: la
prochaine opération à effectuer, les précaution nécessaires avant de l'entreprendre (vitesse,
température, etc.) et celles
après l'avoir achevée. (...) En fait, il n'était pas plus difficile de les en
instruire qu'il ne l'eut été de les
dresser au travail à la chaîne orthodoxe. Et pourtant, celui‑ci se trouvait
dépassé par un élargissement de la tâche dont la relative
variété mettait successivement en mouvement toute une gamme de muscles.
(Friedmann, 1964, pp. 91‑2)
Cependant, après la guerre ces expériences
furent oubliées.
L'organisation scientifique du travail (O.S.T.)
revenait en force dans les ateliers.
Toutefois, ces
expériences avaient laissé des marques dans les milieux universitaires.
Plusieurs chercheurs ont alors vérifié si les ouvriers étaient satisfait de leur
travail. La réponse fut négative. Par exemple Guest et Walker ont montré que les
ouvriers du secteur automobile étaient insatisfaits de la production de masse et
qu'il en résultait de l'absentéisme, du roulement, et des grèves. (1) Les
chercheurs ont alors tenté de savoir comment accroître la satisfaction des
ouvriers industriels pour résoudre ces problèmes. Ce fut le coup d'envoi du
courant des relations humaines, qui est apparu dans les années 50 tant aux
Etats‑Unis qu'en Angleterre. (Tausky, 1970; Hill, 1982)
D'abord, aux Etats‑Unis
Mc Gregor remettait en cause le taylorisme qui "reflétait la croyance ‑‑ théorie
X ‑‑ que les gens n'aimaient pas le travail et demandaient à éviter les
responsabilités" (Burk, 1984a, p. 65). Cette théorie, qu'il appela "Y", se
résumait à reconnaître que l'ouvrier est un actif pour l'entreprise qui l'emploi
et que celui‑ci doit avoir une tâche intéressante et faisant appel à la plupart
de ses capacités pour donner un bon rendement. (Tausky, 1970) Pour lui il était
clair que "le travail est aussi naturel que de jouer ou de dormir" et que
"l'homme demande des responsabilités" (Burk, 1984a, p. 65). Il proposa donc de
donner des tâches plus complètes et plus complexes aux ouvriers pour résoudre
ces problèmes. (Tausky, 1970)
Ensuite, et à la même
époque, c'est en Angleterre que des membres du Tavistock Institute of Human
Relation, Emery et Trist, ont montré que le profit de l'entreprise peut être accru si les ouvriers sont
satisfaits de leur travail. Ils recommandaient alors le regroupement des tâches
et la création de groupes de travail pour améliorer la qualité du travail. Ils
rejetaient aussi l'argument du déterminisme technologique, car pour eux toute
technologie offre "un élément de choix pour mettre sur pied une organisation du
travail" (Emery et Trist, 1983, p. 309). Ainsi le travail parcellaire était
remis en cause, car rien ne justifiait son existence à leurs yeux, même pas les
machines. Ils concluaient
d'ailleurs que:
... a firm's
profitability can be improved by designing work organisation in a way
which optimises the satisfaction of human needs within the limits
of what is possible in a given
technology. Specifically, they believe that people will work more productively and with
less grievance activity (...) if their
work tasks are satisfying and their social environment is supportive. They recommend
that work tasks be reorganised
to reduce fragmentation and specialisation, ..., in that a
person completes the whole of an operation rather than just
one part. (Hill, 1982,
pp.88‑89)
Cependant, ces courants
n'ont pas fait de révolution dans le domaine de l'organisation du travail. Les
chefs d'entreprises préféraient toujours l'O.S.T. et le fordisme malgré leurs
problèmes. Deux raisons expliquent cela. D'abord il y avait la peur que les
ouvriers exigent des salaires plus élevés, car ils deviendraient davantage
"indispensables" avec des tâches élargies. Ensuite, les entrepreneurs
considéraient que les coûts plus élevés de formation ne seraient jamais
compensés par les hausses de productivité.
Par
contre, à la fin des années 60, avec l'accentuation des problèmes existants
(absentéisme, roulement, sabotage, alcoolisme, etc.) chez les ouvriers, le refus
de travailler de la part des jeunes, et la concurrence étrangère accrue (ce qui
exige une plus grande productivité et une meilleure qualité du produit), les
entreprises se devaient de trouver une solution à ces problèmes. L'une d'elle
était les N.F.O.T. qu'elles avaient rejetées jusque‑là. Les N.F.O.T. ont ainsi
fait leur apparition dans l'industrie près de 40 ans après l'expérience de
Hawthorne. Cependant, ce ne fut qu'une minorité d'entreprises qui les ont
adoptées.
Conséquemment, il faut
souligner ici que ces N.F.O.T. ne sont pas imputables à Ouchi comme trop
d'auteurs le croient. Par contre, il faut reconnaître qu'après la publication de
"Z theory" (1981) une forte croissance de leur utilisation fut enregistrée.
Ainsi, en France, l'expérience des Cercles de qualités, qui fut introduites en
1971 aux usines Saunier‑Duval,
s'étend à 180 firmes en 1975
et à près de 10 000 établissements en 1984. (Morville, 1985, p. 49) Il en fut de
même au Canada, aux Etats‑Unis, et au Québec, où les N.F.O.T. furent introduites
bien avant qu'on ne parle de sa théorie. Mais, dans ces pays comme en France, ce
n'est qu'après lui qu'elles connurent une forte croissance. (Pignon et Querzola,
1973; Durand, 1978; Bernier, 1982; Drucker, 1983) Là est son apport. Nous devons
le reconnaître.
2.3. Des conditions nécessaires à la réussite
des nouvelles
formes d'organisation du
travail
Si les nouvelles formes
d'organisation du travail sont apparues un choix intéressant pour plusieurs
entreprises à la fin des années 60 et au début des années 70, ce ne sont pas
toutes les entreprises qui connurent le succès avec celles‑ci. Certaines ont su,
il est vrai, maintenir et élargir ces expériences au point qu'elles sont
devenues leur politique d'organisation du travail, mais d'autres, inversement,
ont connu l'échec avec celles‑ci et les ont abandonnées. (Pignon et Querzola,
1973; Durand, 1978) Quant aux raisons de tels échecs, peu d'auteurs les ont
analysé. Pour notre part nous croyons que quatre causes les expliquent, soit
que:
1. Les conditions extrinsèques du travail ne
sont pas jugées satisfaisantes par les ouvriers de
l'entreprise;
2. Les N.F.O.T. ne s'adressent qu'à un groupe
restreint à l'intérieur de l'atelier ou de l'entreprise;
3. Les ouvriers ont peur qu'il y ait des
licenciements;
4. Les cadres intermédiaires s'y opposent ayant
peur de voir les N.F.O.T. devenir la cause de leur congédiement, car plus les
ouvriers sont autonomes meilleur est leur rendement.
D'abord, avant
d'améliorer les conditions intrinsèques du travail, soit "le contenu du travail
lui‑même", il faut que les employés bénéficient déjà de bonnes conditions
extrinsèques de travail, c'est‑à‑dire "un bon contexte de travail ce qui inclut
des facettes aussi variées que la paye, la supervision, et la sécurité du
travail" (2), car l'homme vise d'abord l'amélioration de son mode de vie
(logement, nourriture, loisirs, etc.) avant d'accorder davantage d'importance à
ses conditions de travail (travail parcellaire ou élargi, obéissance aux ordres
ou prise de décision, etc.). En conséquence, l'utilisation des N.F.O.T. ne peut
réussir qu'en autant que les employés bénéficient déjà de bonnes conditions
extrinsèques de travail. Ceci peut favoriser les F.M.N., car celles‑ci paient
généralement des salaires plus élevés et offrent de meilleurs bénéfices
marginaux que les P.M.E. et les entreprises nationales. (Barnet et Muller, 1974)
Inversement, dans le cas des entreprises locales et nationales, où les
conditions extrinsèques de travail sont plus faibles, les
employés préfèrent monnayer leurs mauvaises
conditions de travail au lieu de chercher à les améliorer. (Durand, 1978) Dans
certains cas ceci relève même de l'anomie. Par exemple, un ingénieur
syndicaliste rapporte que:
"Des gens empoussiérés
à 40% disaient: "Dans la nouvelle installation on n'aura pas de prime de
poussière." Et des ouvriers
de chantier préféraient travailler sur une charpente sans filet pour avoir une
prime de risque." (Durand,
1978, p. 88)
Deuxièmement, il faut
que l'entreprise amenuise les tensions que les N.F.O.T. créent entre différents
départements par leur nature exclusive, car les N.F.O.T. n'étant pas applicables
à l'ensemble des activités d'une entreprise (par exemple le montage de
composantes simples comme des semi‑conducteurs) la tension pourrait monter dans
les secteurs où elles ne s'appliquent pas et il en résulterait des hausses
d'absentéisme, de roulement, et de sabotage. Au lieu de résoudre les problèmes
pour lesquels elles auraient été introduites, elles les accentueraient. (Durand,
1978) La solution consisterait alors à relocaliser ailleurs ce travail auquel
les N.F.O.T. ne s'appliquent pas. Ceci favorise nettement les entreprises
multinationales, car elles peuvent utiliser la D.I.T. pour relocaliser ces
productions à la Périphérie, où la main‑d'oeuvre est moins dispendieuse qu'au
Centre et où les conditions socio‑politiques (dictature, absence de législation
sur le travail, condamnation du syndicalisme) ne favorisent pas les
revendications ouvrières. Ainsi les ouvriers
du Centre peuvent tous bénéficier des mêmes
conditions de travail sans que la production globale de la firme n'en soit
affectée, les ouvriers de la Périphérie faisant le travail qu'eux ne font pas.
Inversement, dans les entreprises locales et nationales une telle politique
serait difficile à maintenir, car tous les ouvriers voudraient bénéficier des
mêmes conditions de travail, ce à quoi l'entreprise ne pourrait pas accéder le
travail déqualifié devant lui aussi être fait. L'entreprise devrait alors
reculer sur ce point, ce qui ferait avorter les N.F.O.T. Pour cette raison nous
croyons que les N.F.O.T. concernent principalement les F.M.N. et très peu les
entreprises locales ou nationales.
Troisièmement, cette
politique pourrait remettre en cause le premier facteur extrinsèque du travail,
la sécurité d'emploi et de revenu des ouvriers, car une diminution de la
quantité de travail peut être liée aux hausses de productivité dues aux N.F.O.T.
et à la relocalisation des tâches auxquelles elles ne s'appliquent pas. En
conséquence les travailleurs
pourraient les refuser. Pour que celles‑ci deviennent acceptables l'entreprise
se doit de garantir l'emploi ou d'assurer une compensation à ceux qui la
quitteront (préretraite ou prime de départ). Cette condition semblent favoriser
les entreprises en expansion et les F.M.N., car elles ont davantage de
possibilités de replacer leurs ouvriers dans d'autres tâches ou de les
"récompenser" s'ils quittent leur emploi sur demande.
Enfin, il ne faut pas
sous‑estimer la question des cadres intermédiaires et de gérance, car c'est là
que se situe souvent le problème de l'application des N.F.O.T. une fois les
autres
questions résolues. Comme les fonctions de
vérificateurs, d'ajusteurs, d'inspecteurs, de chef d'équipe, et parfois de
contremaîtres deviennent une surcharge pour l'entreprise qui élargit les tâches
de ses ouvriers, ceux‑ci tenteront d'en bloquer l'utilisation pour sauver leurs
postes. La solution consiste alors à en relocaliser ailleurs, à promouvoir
certains d'entre eux à des postes plus élevés, et à favoriser des retraites
anticipées pour ceux qui le désirent, ce qui est encore à l'avantage des F.M.N.
et des entreprises en expansion.
A ce sujet il est
intéressant de citer le cas d'I.B.M. qui semble illustrer parfaitement les
conditions que nous venons de fixer. Premièrement, les employés de cette firme
bénéficient tous de bonnes conditions de travail, car il est reconnu que "des
compagnies comme I.B.M., pour exclure les syndicats, paient plus que les
entreprises locales" (Barnet et Muller, 1974, p. 314). Deuxièmement, cette firme
possède des installations dans plusieurs P.V.D. et peut ainsi y faire exécuter
des travaux moins qualifiés. (Turner, 1971) Enfin, comme elle connaît une
expansion continue de son marché, elle peut conserver tout son personnel et même
en engager d'autres.(3) Ainsi
I.B.M. répond à toutes les
conditions pour appliquer les N.F.O.T. et elle
les applique
effectivement. Cette entreprise est d'ailleurs
une pionnière en ce domaine, sa première expérience remontant aux années 50 à
l'usine d'Endicott dans l'Etat de New‑York. (4)
En conséquence, nous
croyons que les N.F.O.T. s'appliquent mieux dans les F.M.N. que les entreprises
locales et nationales, car il est beaucoup plus facile pour elles de répondre à
ces dispositions. Cependant, cette hypothèse peut ne pas être fondée. C'est ce
qu'il nous faut voir maintenant.
2.4. L'utilisation des nouvelles formes
d'organisation du travail: la réalité
A première vue les
nouvelles formes d'organisation du travail semblent l'affaire exclusive des
F.M.N. En effet, les cas les plus connus ne sont‑ils pas ceux d'I.B.M., de G.M.,
de Procter & Gamble, et de quelques autres multinationales. Mais depuis
quelques années l'on parle de plus en plus d'élargissement des tâches, de
qualité de vie au travail (Q.V.T.),
et de l'approche socio‑technique dans tous les milieux industriels. En
conséquence, il est clair que des P.M.E. en sont aussi au courant. On peut alors
croire que certaines d'entre elles les ont essayé et peut être même adopté.
C'est ce que nous allons vérifier ici.
Ainsi, contrairement à
nos attentes, les N.F.O.T. pourraient s'appliquer aussi bien dans les P.M.E. que
les F.M.N. Conséquemment, par rapport aux conditions que nous avons formulé plus
haut, certaines questions se posent:
‑ Comment les P.M.E. et les entreprises
nationales qui les appliquent font‑elles pour offrir de bonnes conditions
extrinsèques de travail à leurs ouvriers?
‑ Comment réussissent‑elles à être juste envers
tous leurs employés sans délocaliser les productions
standardisées?
‑ Comment font‑elles pour que leurs ouvriers ne
revendiquent pas davantage de pouvoirs ou ne les concurrencent pas une fois
qu'ils maîtrisent le processus de production?
C'est ce à quoi nous devrons répondre pour
savoir si ce sont là des exceptions ou la règle.
Nous soutenions
précédemment que les F.M.N. ont davantage de chances d'offrir de bonnes
conditions extrinsèques de travail à leurs employés que les firmes locales ou
nationales, car, vu leur position oligopoliste, elles sont mieux placées
qu'elles pour en passer le coût aux consommateurs. Une question se pose alors:
comment une entreprise nationale peut‑elle en faire autant? La réponse est
simple: il faut qu'elle offre un produit pour lequel il y a peu de concurrence
ou qu'elle soit ingénieuse, c'est‑à‑dire qu'elle trouve des solutions peu
coûteuses pour arriver au même but. A première vue ceci semble peu réaliste,
mais tel n'est pas le cas. Prenons l'exemple de l'automobile. Quant on regarde
toutes les entreprises qui gravitent autour de ce secteur on constate que
certaines d'entre elles, comme la métallurgie, font face à une forte concurrence
mondiale qui les oblige à concéder peu d'avantages supérieur à la moyenne de la
branche à leurs employés alors que pour des firmes de secteurs moins
concurrentiels, comme la fabrication de certains accessoires (miroirs,
injecteurs, turbocompresseurs, etc.), il est plus facile de donner de meilleures
conditions extrinsèques de travail aux ouvriers et d'en passer le coût aux
consommateurs, que ce soit directement par la commercialisation de leurs
produits ou indirectement par l'intermédiaire des fabricants. Mais, ce qui est
davantage important c'est d'obtenir la collaboration des employés pour réduire
les dépenses. C'est ce qu'a réussi la Donnelly Mirrors, une entreprise nationale
(5) qui fournit 80% des miroirs utilisés dans l'industrie automobile américaine.
Ainsi, lors de la négociation des salaires la direction demande à chaque
département de faire un bilan dans lequel sont présentés les économies
réalisables par chacun d'eux. Sur la base de ces économies les augmentations
salariales demandées sont acceptées ou renégociées. Par exemple, suite à cette
procédure, en 1970, une augmentation de 11% a été immédiatement accordée aux
ouvriers. (Pignon et Querzola, 1973)
Ainsi, la première
condition pour appliquer les N.F.O.T., les conditions extrinsèques de travail,
n'est pas l'affaire exclusive des F.M.N. mais bien plus une question de secteur
industriel et d'initiative. Elle dépend de la capacité qu'a l'entreprise d'en
passer le coût aux consommateurs, d'inciter les ouvriers à réduire les dépenses
inutiles, et de sa capacité d'accroître la productivité du travail, ce qui
favorise nettement les secteurs modernes comme l'électricité, l'électronique,
les machines‑outils, l'aéronautique, et certains secteurs connexes. C'est ainsi
que des firmes comme I.B.M. ou Olivetti sont favorisées tout comme le sont des
entreprises plus petites telles que la Donnelly, qui, même si elles ne sont pas
des plus modernes, sont monopolistes et ingénieuses.
La preuve inverse peut
aussi être faite. Dans les secteurs traditionnels et fortement concurrentiels,
où les taux de plus‑value sont faibles, peu d'entreprises, même multinationales,
donneront des conditions extrinsèques de travail supérieures à celles de la
branche. C'est notamment le cas dans le textile et le vêtement où les prix de
revient sont un gage de succès face à la concurrence des P.V.D. même pour les
F.M.N. (Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981) Ainsi, si des lois les y obligent,
comme celle du salaire minimum, elles pourraient préférer
déménager:
Dans l'immédiat, avec
le flot des importations et sans restructuration prévue
prochainement, les 600 entrepreneurs indépendants du Québec
continuent à lorgner de l'autre côté
des frontières. A Cornwall, par exemple, à la frontière ontarienne où cinq nouvelles entreprises se sont
exilées du Québec depuis un an.
Mais, pour André Saint‑Pierre, c'est
Edmunston, la francophone, plutôt que l'Ontario, qu'il choisirait. L'absence de tout comité
paritaire et les
salaires plus bas compensent les coûts plus élevés du transport. (6)
Le choix des Etats‑Unis
ne serait pas à écarter non plus, surtout avec l'accord de libre échange. Et que
dire des pays asiatiques, où plusieurs entreprises du Centre sont déjà
installées. (Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981) La même chose est aussi vraie
dans l'industrie de la chaussure, où, par exemple, des firmes américaines
produisent en Espagne, les coûts étant plus bas. (Levinson, 1974, p. 59) Il est
donc clair que les conditions extrinsèques de travail qu'une entreprise peut
donner à ses ouvriers ne sont pas uniquement fonction de sa taille, mais sont
aussi fonction de son secteur d'activité et de sa position sur le marché. Ceci
explique pourquoi des P.M.E. peuvent donner de bonnes conditions extrinsèques de
travail à leurs ouvriers alors que des F.M.N. ne peuvent en faire autant. Ainsi
les N.F.O.T. peuvent s'appliquer autant dans les P.M.E. que les F.M.N. s'il n'en
tient qu'à cette seule condition.
Cependant, si les
N.F.O.T. s'appliquent sans la D.I.T. on peut se demander comment les entreprises
réussissent à être juste envers tous leurs employés. Comment font‑elles pour
donner les même conditions intrinsèques de travail à tous ‑‑ c'est‑à‑dire des
tâches élargies et plus intéressantes? La réponse est ici semblable à celle que
nous avons donné à la question précédente: c'est une question de secteur
industriel et d'organisation.
Ce sont d'abord les
entreprises des secteurs modernes et de pointes, où les travaux sont
majoritairement professionnalisées et d'avant‑gardes, qui ont le plus de chances
d'appliquer les N.F.O.T. sans égard à leur taille ‑‑ locale, nationale, ou
mondiale ‑‑ le produit étant nouveau ou récent mais rarement standardisé. Ceci
est notamment le cas dans la micro‑informatique, où les changements sont rapides
et où:
Relatively minor
miscalculations in design, production,
marketing, or pricing could mean brankruptcy for an undercapitalized firm. Price cutting was
the rule; the computer which
sold for $8 000 might be discounted to $4 000 within year and be considered
obsolete six months later.
(Sobel, 1981, p.
297)
C'est aussi le cas dans l'aéronautique,
l'électronique, la mécanique de pointe, et les industries reliées aux
télécommunications, où la plupart des travaux, sinon tous les travaux,
nécessitent une qualification plus élevée que la moyenne que ce soit pour en
assurer la qualité ou pour les adapter aux
changements rapides du marché et de ses clients.
Un exemple
intéressant est celui de la firme Leroy‑Sommer,
spécialisée dans la fabrication de moteurs électriques.
Fondée en 1919 à
Angoulème (France) elle compte un établissement au Québec (Granby) depuis 1975.
Sa structure est toutefois comparable à celle d'une P.M.E., car sa production
québécoise n'a aucun rapport avec sa production française et ne vise que le
marché nord‑américain. Quant aux N.F.O.T., elles s'y appliquent de trois
façons. D'abord, l'entreprise donne
un cours d'interprétation des schémas de fabrication des moteurs à ses employés
sur le lieu même du travail. Ensuite, la rotation des postes se fait dans chaque
équipe de travail afin que chaque ouvrier "puisse connaître et exécuter toutes
les tâches à l'intérieur de son atelier" (I.N.P./H.E.C., non daté, p. 4). Enfin,
les employés effectuent eux‑mêmes les tests de vérification une fois le travail
fini.
Par contre, dans les
cas où certaines tâches standardisées subsistent, deux choix s'offrent aux
entreprises locales ou nationales qui veulent appliquer les N.F.O.T. D'une part
elles peuvent faire exécuter ces tâches par tout leur personnel grâce à la
rotation des postes. De cette façon tous les ouvriers sont traités
équitablement, ce qui élimine souvent le premier frein à l'application de ces
méthodes. C'est le cas à la Lawrence Cable Division du Kansas,
où:
... 130 nonunion
employees are grouped in ten teams, ranging from five to twenty‑eight members. Most members
have no specified jobs; they can
handle most of the functions required of
their team. In many cases they can also take on indirectly related tasks, such as driving
a forklift or handling
materials. (Burk, 1984c, p.
114)
D'autre part, des entreprises peuvent
sous‑traiter les tâches auxquelles les N.F.O.T. ne s'appliquent pas, ce qui
calque la nouvelle division internationale du travail sans avoir à investir à
l'étranger. Selon Frobel, Heinrichs, et Kreye (1981) ce serait là une solution
fortement utilisé même s'il n'y a pas de chiffre sur le sujet. Pour eux, ce type
de production serait même plus important que le contrôle direct des moyens de
production dans plusieurs parties du monde. Ceci ne signifie cependant pas que
toutes les entreprises locales ou nationales le font, mais c'est là une solution
techniquement possible. D'ailleurs, même des multinationales utilisant la
n.d.i.t. appliquent cette stratégie pour certaines de leurs opérations non
automatisables, non élargissables, et trop coûteuses à relocaliser. Par exemple
dans l'automobile...
Les grands
constructeurs ont souvent, ..., plusieurs milliers de
fournisseurs, dont la taille varie de l'atelier artisanal de
décolletage, tels ceux de la vallée de l'Arve (Isère) et, qui, pour certains,
fonctionnent avec leur seul propriétaire;
au groupe multinational employant des dizaines de milliers de personnes. (Bonnafos, Chamaront,
et de Mautort, 1983, pp.
89‑90)
Ainsi, rien ne semble
empêcher l'application des N.F.O.T. dans les secteurs industriels modernes peu
importe la taille des entreprises. C'est une question de choix, à moins que
celles‑ci ne remettent en cause leurs pouvoirs. C'est là notre dernière
question: qu'est‑ce que les entreprises locales et nationales peuvent faire pour
que leurs ouvriers ne revendiquent pas davantage de savoirs et de pouvoirs ou ne
deviennent pas leurs concurrents s'ils quittent l'entreprise?
Ici aussi la réponse
est simple. Les entreprises pouvant appliquer les N.F.O.T. étant généralement
des entreprises modernes et à Capital dominant, les ouvriers peuvent
difficilement (i) revendiquer davantage de savoirs et de pouvoirs que ce que les
équipements et la division du travail permettent de leur donner; (ii) imposer
leur rythme à des machines; et (iii) partir à leur compte des entreprises
concurrentes vu les coûts des équipements nécessaires. Regardons cela de plus
près.
Premièrement, avec la
division classique du travail et les outils programmables (apparues au cours des
années 70), qui caractérisent l'industrie moderne et à Capital dominant, les
ouvriers sont enclavés dans des fonctions biens délimitées peu importe que leurs
tâches soient élargies et qu'ils aient accès aux outils programmables ou aux
autres équipements automatisés. [Ces équipements feront d'ailleurs l'objet du
prochain chapitre.] Une part du procès de production leur échappe toujours,
puisqu'il est le travail d'autres groupes professionnels: concepteurs,
ingénieurs, programmeurs, auxquels s'ajoutent les tâches administratives.
L'ouvrier qui fait un montage entier, par exemple un train avant d'automobile,
ne peut donc pas tout comprendre de l'entreprise. Il peut alors difficilement
exercer une pression sur celle‑ci au nom de sa connaissance, car il est loin du
travail entier même avec des tâches élargies.
La même remarque peut
être reprise pour les ouvriers qui travaillent sur les outils programmables, la
programmation initiale de ces équipements relevant des concepteurs de ces
outils, des ingénieurs, et des programmeurs de l'entreprise. Les machines
limitent ainsi les connaissances des ouvriers, une part du travail leur
échappant. D'abord, ils ne connaissent pas les procédures de travail qui sont
utilisées pour certaines tâches, celles‑ci se faisant de façon automatique.
Ensuite, toute la programmation de ces équipements leur échappe. Ainsi le savoir
et le pouvoir des ouvriers est à la fois limité par la division professionnelle
du travail au sein des entreprises et l'enclavage d'une part du travail dans des
automatismes. L'ouvrier sait des choses mais dans les limites que lui fixe
l'entreprise, dans les
limites de la division sociale et technique du
travail. Il sait pour travailler, mais ne voit pas son pouvoir accru pour
autant.
Deuxièmement, les
équipements peuvent servir à donner un rythme à la production. Cela est inscrit
dans leur programme, sinon dans leur conception. Ainsi l'ouvrier ‑‑ ou un groupe
d'ouvriers ‑‑ doit suivre le rythme, car il n'y a pas de négociation possible
avec un robot. Ceci assure donc un contrôle à l'entreprise et empêche les
ouvriers de se servir de leur savoir pour ralentir la production.
L'ouvrier doit subir le
travail ‑‑ la quantité autant que la nature de son travail journalier ‑‑ comme la
seule manière possible de servir une
machine qui, à son tour, doit lui apparaître comme la seule
machine possible: comme la seule solution possible aux
problèmes techniques de la production. (Gorz, 1973, p. 93)
Enfin, les outils
programmables empêchent les ouvriers de partir des entreprises concurrentes
malgré leurs savoir‑faire, car il peut être difficile pour eux d'avoir accès aux
capitaux nécessaires pour acheter les équipements que cela exige. Ainsi, même si
les ouvriers de G.M. ou de Ford savaient comment fabriquer entièrement une
automobile ils ne pourraient pas mettre une telle entreprise sur pied, car cela
exige trop de capitaux. Par exemple, il en coûtera 20 milliards de dollars
américains à Ford pour "remodeler toutes ses chaînes de production d'automobile"
aux Etats‑Unis. (F.I.O.M., 1982, p. 106) Et cela n'est pas exclusif aux F.M.N.:
c'est aussi vrai pour les petites entreprises. Ainsi chez Outils Coupants
International de Montréal, l'agrandissement de l'atelier, l'achat de système de
production intégré, et de machines outils à contrôle numérique (M.O.C.N.) a
coûté 3,3 millions de dollars. (7) C'est là une protection qui permet
d'appliquer les N.F.O.T. Et elle est d'autant plus importante dans les P.M.E.
que la division professionnelle du travail y est beaucoup plus faible que dans
les F.M.N.
Quant aux entreprises
nouvellement formées elles ne constituent pas nécessairement une menace pour les
F.M.N., car celles‑ci occupent souvent des crénaux qu'elles n'exploitent pas. En
fait, elles leurs sont même bénéfiques, car complémentaires. Par
exemple:
Le mois dernier (avril
1983), un groupe de spécialistes
japonais était en visite chez Memotec, à Ville Saint‑Laurent, ..., pour étudier et acheter son
"multiplexeur" statistique avec protocole international X‑25. C'est un appareil
(...) servant à brancher
économiquement une batterie dispersée de mini‑ordinateurs à un réseau public de communication
de données par paquets. Ces japonais, ...,
n'ont rien trouvé de mieux que le
"gadget" de Memotec. (8)
Et si l'entreprise est prometteuse il est
possible qu'une F.M.N. s'y intéresse et l'achète. C'est d'ailleurs ce qui est
arrivé avec Micom, un fabricant de matériel de bureautique, que la F.M.N.
Hollandaise Philips a achetée. (9)
Dans d'autres cas par
contre, si ces entreprises se lancent dans des secteurs près de ceux
qu'exploitent déjà les F.M.N., celles‑ci les y suivront et les concurrenceront.
Cependant les multinationales n'en sortiront pas nécessairement gagnantes. Par
exemple, dans la micro‑informatique, Apple, une entreprise naissante, a ouvert
la voie et est demeurée un leader de ce secteur tandis que Texas Instrument, un
géant de l'électronique, n'a pas connu le succès espéré et s'est retiré de ce
marché. Ainsi, si une entreprise est menacée ce n'est pas tant par des ouvriers
qui en savent trop, mais par ses limites d'innovation, ce qui est loin de
décourager l'usage des N.F.O.T. Au contraire: les N.F.O.T. semblent nécessaires
à la réussite de l'entreprise dans de nouveaux secteurs, car elles favorisent la
participation de l'ensemble du personnel au développement d'un nouveau
produit
et augmentent leur capacité de s'adapter à tout
changement dans la conception et la fabrication du produit pour battre la
concurrence, cela sans égard à la taille de l'entreprise. Ainsi, l'usage des
N.F.O.T. est peut être plus avantageux dans les P.M.E. que ce que l'on croit,
car celles‑ci ont avantage à utiliser les capacités novatrices de leurs employés
pour surmonter le handicap de leur taille, soit des moyens techniques et
financiers inférieurs à ceux des multinationales au niveau de la Recherche et
Développement. (10)
Inversement, s'il
s'agit de secteurs où le travail est le principal facteur de création de la
valeur, l'entreprise n'élargirait pas les tâches même si elle le pourrait, car
une fois que les ouvriers auraient appris le métier ils pourraient forcer le
patron ou ses représentants à accepter leurs conditions, travailler à leur
propre rythme, ou partir à leur compte puisqu'il n'y aurait pas d'équipements
pour limiter leur savoir, leur imposer un rythme, ou limiter leur esprit
d'indépendance et d'entrepreneurship. Cela est particulièrement vrai dans les
secteurs traditionnels, comme le coton ou le vêtement, d'où la division du
travail pour s'assurer la fidélité des ouvriers et le paiement aux pièces pour
accroître leur rendement. C'est ce qu'avaient compris les premiers
entrepreneurs. Ainsi Henry Ashworth Jr., dirigeant d'une entreprise de coton,
loue dans son journal un de ses concurrents "de ne permettre à aucun de ses
employés, pas même à son directeur de mélanger le coton" afin qu'aucun d'eux ne
puissent le concurrencer un jour. (11)
En conséquence,
l'organisation mondiale d'une firme, la Division Internationale du Travail,
n'est pas une condition nécessaire à l'application des nouvelles formes
d'organisation du travail. Seul le secteur d'activité l'est, car il détermine
(i) la capacité qu'a l'entreprise de passer directement aux consommateurs le
coût des avantages extrinsèques du travail dont bénéficient ses employés,
ceux‑ci étant la première condition pour assurer le succès des N.F.O.T. dans les
entreprises; (ii) ses besoins d'action rapide et d'adaptation à un marché en
mouvement, ce qui nécessite du personnel capable de réagir rapidement aux
changements de la production; et (iii) le ratio capital/travail, un ratio élevé
permettant l'application des N.F.O.T. sans compromettre le pouvoir de direction
de la firme sans égard à sa taille. C'est là le premier aspect à retenir. Le
second est que les industries qui répondent à ces conditions sont les industries
modernes ou à capital dominant comme l'automobile, l'électricité,
l'électronique, l'aéronautique, etc. Conséquemment nous pouvons conclure que la
D.I.T. et les N.F.O.T. ne sont pas en symbiose puisque l'application et le
succès des N.F.O.T.
n'est pas question de taille ou d'organisation
mondiale, mais
de secteur industriel.
Cela se confirme aussi
par l'approche inverse: dans les secteurs traditionnels ou standardisés, comme
le textile et le vêtement, les N.F.O.T. ne sont pas utilisées même si la D.I.T.
l'est. Trois causes expliquent ce fait: (i) la concurrence étant vive sur ces
marchés, l'entreprise ne peut donner à ses ouvriers des conditions extrinsèques
de travail supérieures à celles de la branche, car elle ne peut en passer le
coût aux consommateurs sans perdre ses marchés; (ii) le produit étant
standardisé, c'est‑à‑dire que son processus de production est parfaitement
maîtrisé, rien ne sert d'investir dans la surformation et la surqualification
des ouvriers; et (iii) le ratio capital/travail étant faible ceci placerait
l'entreprise dans une position délicate face à des ouvriers qui en savent trop
sur le processus de production. Par exemple, il ne faut que quelques ouvrières
et quelques moulins à coudre pour mettre sur pied une petite manufacture de
vêtement, ce qui explique d'ailleurs la vive concurrence de ce secteur.
Cependant, le fait que
la Division Internationale du Travail et les nouvelles formes d'organisation du
travail ne font pas partie d'une même stratégie de division des ouvriers au plan
mondial, ne sont pas structurellement liées, ne signifie pas pour autant
qu'elles ne peuvent être associées dans les entreprises multinationales à
capital dominant pour en accroître le pouvoir et la plus‑value. Mais si tel est
le cas cela est délibérément choisi par l'entreprise, leur liaison n'étant pas
nécessaire à la réussite des N.F.O.T. Ceci étant dit nous pouvons maintenant
regarder quel est le but des N.F.O.T. Sont‑elles une stratégie de pouvoir, de
plus‑value, ou les deux à la fois?
2.5. Des avantages stratégiques des nouvelles
formes d'organisation du travail
La question qui se pose
ici est de savoir à quoi servent les N.F.O.T. Pour bien le comprendre il est
cependant nécessaire de regarder auparavant l'O.S.T. qui les a précédé.
Le but de
l'Organisation Scientifique du Travail était de spolier les connaissances des
ouvriers pour leur imposer le travail, c'est‑à‑dire leur enlever leur métier,
sous prétexte que ces connaissances acquises sur le tas n'étaient pas les
meilleures, et les remplacer par des procédures de travail codifiées, donc
contrôlables par le patron et ses représentants. La direction pouvait dès lors
pénaliser ceux qui ne répondaient pas aux normes ‑‑ cette pénalité pouvant aller
jusqu'au renvoi. Il devenait alors difficile que des ouvriers "travaillent
délibérément aussi lentement qu'ils l'osent, tout en essayant de faire croire à
leurs supérieurs qu'ils travaillent vite"
(Taylor, 1983, p. 91). Ainsi
le métier, soit la conception et la réalisation du travail par un seul homme,
était appelé à disparaître. C'est ce qui s'est produit dans l'industrie,
l'ouvrier faisant continuellement
la même tâche de la même façon. Le travail devenait l'ombre de lui‑même, un
réflexe. (Friedmann, 1964; Durand, 1978) C'est ce que dit Gary Bryner, président du
local 1112 de l'United Automobile Workers (U.A.W.) et employé de
G.M.:
If the guys didn't
stand up and fight, they'd become robots
too. They're interested in being able to smoke a cigarette, bullshit a little bit with the guy
next to'em, open a book, look at
something, just daydream if nothing else. You can't do that if you become a
machine.
Thirty‑five, thirty‑six
seconds to do your job ‑‑ that
includes the walking, the picking up of the parts, the assembly. Go to the next job (...). (Terkel, 1975, pp.
261‑2)
Ainsi, la
démocratisation de la société et de ses institutions ne franchissait pas les
portes de l'atelier. Celui‑ci demeurait synonyme du bagne taylorien. Une fois
dans cet antre l'ouvrier n'avait plus de droits. Il était donc confronté à une
double existence. A l'extérieur du travail il avait des droits démocratiques,
une liberté d'action et de parole. A l'intérieur de l'atelier il était sujet a
une autorité et un contrôle strict, il n'avait pas de droit de contestation. Il
devait faire ce qu'on attend de lui sans montrer de sentiments. (Baumgartner,
Burns, et De Ville, 1979)
Quant à sa capacité de
forcer les ouvriers au surtravail elle se fondait sur la rémunération à la pièce
(ou la vitesse de la chaîne dans le fordisme) et l'obligation de travailler pour
survivre. Cependant, avec l'amélioration des régimes hégémoniques du Centre,
gagnée par les ouvriers au tournant du siècle, cette forme de coercition a perdu
sa force, car les assurances sociales permettaient dorénavant à l'ouvrier de
survivre même sans travail. (Buravoy, 1984) Il était alors possible de contester
l'organisation du travail tant de façon collective (par la grève)
qu'individuelle (absentéisme et roulement). L'O.S.T. ne pouvait plus forcer
l'ouvrier au surtravail. Une nouvelle méthode devait prendre la relève. Ce fut
les nouvelles formes d'organisation du travail. La question qui se pose alors
est de savoir en quoi
elles sont une stratégie de plus‑value et de
pouvoir et comment elles forcent les ouvriers au
surtravail.
Les N.F.O.T.
apparaissent une stratégie de plus‑value car elles semblent le moyen le plus
économique et le plus rentable d'accroître la productivité d'une entreprise
comparativement aux moyens classiques qui consistaient à accroître le personnel,
les cadences, et les contrôles. A ce sujet plusieurs raisons peuvent être
invoquées.
Premièrement, ces
formes d'organisation du travail permettent d'augmenter le rendement d'une
entreprise en accroissant la charge de travail de l'ouvrier. Cela peut se faire
par la rationalisation des temps de travail et l'élargissement de sa tâche, ce
qui peut prendre deux formes.
La
première de ces formes consiste à donner au travailleur un ensemble de tâches
qui étaient auparavant faites
par les ouvriers des autres postes de travail
tout en augmentant son temps d'opération dans une proportion moindre que le
total des temps qui étaient attribués pour ces tâches. Ainsi sa charge de
travail est accrue, car il a plus de gestes à exécuter et de choses à penser
avec moins de temps pour les faire. Par exemple, à l'atelier G.G. de Renault
(montage des trains avant et arrière des voitures) chaque ouvrier monte deux
demi‑trains avant dans un cycle de 25 minutes, soit 34 demi‑trains par jour par
travailleur pour une augmentation de 10% des cadences. (C.F.D.T., 1977)
(12)
L'autre moyen
d'accroître le travail de l'O.S. consiste à ajouter à sa tâche un travail
complémentaire comme la responsabilité de faire lui‑même ses commandes de pièce.
Ainsi, chez Johnson & Johnson, en demandant à l'ouvrier de faire ses propres
commandes de matériel, la compagnie a récupéré les temps morts. Un travailleur
dit: "Avant, on pouvait tous avoir le temps de fumer une cigarette; maintenant,
on fait des tâches cléricales à la place".
(Bernier, 1982, p. 34)
Deuxièmement,
l'introduction de ces formes d'organisation du travail permet d'éliminer les
travaux faits en double. Ainsi, lorsqu'un travail est fait par un ouvrier,
celui‑ci doit le vérifier, ce qui évite de le reprendre par la suite. C'est
notamment l'une des causes de l'augmentation de la productivité chez I.B.M. aux
Pays‑Bas. Cela a aussi permis d'y éliminer les tâches de vérificateur et de
réparateur et de replacer ces employés au niveau de la production, d'où d'autres
gains au niveau de la productivité. (Hofstede, 1974)
Troisièmement,
l'introduction des N.F.O.T. permet à l'entreprise de profiter des connaissances
de ses ouvriers, ce qu'elle ne pouvait pas faire auparavant. En effet, on le
laisse libre d'utiliser ses trucs, ce qui a souvent pour résultat d'accroître
son rendement. De plus, au lieu de l'épier pour les lui voler, comme à l'époque
taylorienne, on favorise plutôt la libre communication de ceux‑ci dans des
discussions de groupe ou par des concours de suggestions.
Enfin, les N.F.O.T.
contribuent à la productivité de l'entreprise en faisant décroître ses pertes.
Ceci est dû à deux faits. D'abord, la marge de manoeuvre qui est laissée à
l'ouvrier pour faire une série d'opération lui permet de réorganiser son temps
de travail de manière à en passer davantage sur les opérations difficiles et
moins sur celles où il est le plus habile. Ensuite, ce qui est complémentaire,
l'ouvrier qui est tenu responsable de son travail ‑‑ montage et vérification à
laquelle il doit souvent apposer sa signature ‑‑ fait davantage attention à
celui‑ci. Ceci peut être d'un apport important, car à travail égal le nombre de
pièces et de montages réussis est plus élevé avec les N.F.O.T. que sans elles.
Si ces formes
d'organisation du travail sont une stratégie de plus‑value, elles semblent aussi
en être une de pouvoir et de division des ouvriers. Cela se manifeste de
plusieurs façons.
Premièrement, en
changeant l'organisation du travail et en favorisant l'émergence d'une
"autonomie professionnelle" les N.F.O.T. favorisent l'émergence de nouveaux
moyens de contrôle dont les ouvriers sont les instruments. Cela se fait d'abord
par la pression des pairs qui n'hésitent plus à dire quoi faire à un confrère
puisqu'ils ont à le corriger avant de faire leur propre travail s'il fut mal
fait. Cela se fait ensuite par la pression de sa responsabilité personnelle, car
le travail n'est plus anonyme mais signé. Ce sont là des moyens de contrôle et
de pression beaucoup plus fort que ceux qu'offraient l'O.S.T., car ils ne sont
pas au‑dessus des ouvriers mais viennent d'eux.
Deuxièmement, à ces
formes de contrôle s'ajoutent souvent une panoplie d'instruments électroniques
de surveillance. Ce sont par exemple les caméras électroniques, les fichiers
automatisés, et les capteurs de bruits, d'odeurs, et d'empreintes digitales qui
peuvent être installés dans l'atelier en même temps qu'on en fait la
réorganisation. (Faivret, Missika, et Wolton, 1977; Vaillancourt et
Vaillancourt, 1981)
Troisièmement, en
requalifiant les ouvriers et en "reprofessionnalisant" leur travail,
c'est‑à‑dire en les rendant plus autonomes, les N.F.O.T. les divisent. En effet,
comme chaque groupe d'ouvriers reçoit une formation et une tâche distincte de
celle des autres il devient indépendant de ceux‑ci. Ainsi, lorsqu'un problème se
pose le groupe est davantage porté à le régler avec le premier échelon de la
direction plutôt que de passer par des procédures collectives (griefs) ou le
syndicat. Ce qui était auparavant l'affaire d'une collectivité, les O.S.
partageant les mêmes conditions, devient une affaire de groupe (l'équipe
autonome) ou personnelle. Ceci a deux conséquences au niveau du pouvoir de
l'entreprise. D'abord, des changements qui étaient autrefois difficiles à
réaliser, les syndicats opposant leurs experts à ceux de l'entreprise,
deviennent plus faciles à faire puisqu'ils se négocient directement avec les
ouvriers concernés, sans l'apport de ces experts. (Vaillancourt et Vaillancourt,
1981) Ensuite, ce qui est plus important encore, la
négociation des conditions de travail devient
elle aussi de plus en plus personnelles, les ouvriers ayant de moins en moins de
références communes face à leur travail:
On négocie même avec
les individus pris isolément: temps de
travail personnalisés, rémunérations individualisées, plan de carrière... Conséquences de ces
négociations, une individualisation
croissante du rapport salarial. Les
entreprises privilégient les accords ponctuels, limités dans le temps et
dans l'espace. (...) Une telle
orientation passe
évidemment par une certaine marginalisation des syndicats à qui les chefs
d'entreprise contestent le droit d'être
les représentants exclusifs des intérêts des salariés. (Morville, 1985. p. 7)
Quatrièmement, les
N.F.O.T. ont un effet sur la combativité et le rendement des ouvriers en créant
une concurrence entre les entreprises plutôt qu'entre les ouvriers et le patron.
Chacun lutte avec sa firme contre ses concurrents, ce qui élimine le sentiment
d'une même condition entre les ouvriers d'un secteur industriel. Cela peut
parfois aller très loin, jusqu'à rendre immorale la combativité d'un ou de
quelques ouvriers contre les décisions de l'entreprise. Ceux‑ci peuvent même
subir de la pression de la part de leurs confrères de travail. Ainsi au
Japon:
Hypocritically,
dismissal was called "volontary retirement". It happens like this: one day, an elderly worker
is tapped on the shoulder and told
by his foreman/union officier that he had better retire. If he
resists, harassment starts and
continues until he resigns. (Ichiyo, 1984, p. 53)
Cela n'est cependant pas spécifique au Japon
même si leur culture les prédispose à ce type de comportement. Par exemple en
Amérique "il y a des compagnies qui accordent des augmentations de salaire à
ceux qui produisent au dessus de la moyenne, en échange de l'approbation du
syndicat pour le renvoi de ceux qui tombent sous la moyenne" (Vaillancourt et
Vaillancourt, 1981, p. 48). Ainsi, les N.F.O.T. divisent le mouvement ouvriers à
l'intérieur même des entreprises.
Ceci nous permet de
souligner un autre point. Il est possible que la faiblesse actuelle des
syndicats soit liée aux N.F.O.T. Deux faits le montrent. D'abord, la "nouvelle"
solidarité étant fondée autour du travail et de l'entreprise, au lieu de la
condition de classe, le rôle contestataire et revendicatif du syndicalisme est
remis en cause dans les entreprises modernes et de pointes qui utilisent ces
formes
d'organisation du travail. Les syndicats ont
d'ailleurs de la
difficulté à pénétrer ces entreprises. C'est
notamment le cas chez I.B.M. ou Polaroid où il n'y a pas de syndicat. Ensuite,
les syndicats ne pouvant pénétrer ces secteurs, ceux où les ouvriers seraient
pourtant le plus susceptibles de constituer le fer de lance du mouvement
ouvrier, ils doivent se limiter aux secteurs en déclin (Etat, restauration, et
secteurs traditionnels). Ceci ne peut que contribuer à les affaiblir, leurs
instruments d'analyse et de lutte n'étant plus adaptés à la situation qui
prévaut dans les entreprises modernes et d'avant‑gardes. Dans ces conditions les
N.F.O.T. peuvent non seulement être considérées comme l'instrument de division
des ouvriers d'une entreprise, mais aussi comme l'instrument de lutte d'un
secteur entier de l'industrie manufacturière contre le syndicalisme. Ces formes
d'organisation seraient alors un moyen de division du mouvement ouvrier sur la
base du secteur industriel d'appartenance. Elles serviraient à cloisonner
certains secteurs du reste de ce mouvement. (13)
Enfin, il faut
souligner que les N.F.O.T. ne sont pas seulement une stratégie de pouvoir parce
qu'elles divisent les ouvriers. Elles le sont aussi parce que, même si elles
donnent un travail élargi à l'ouvrier, c'est toujours l'entreprise qui le forme
à ses besoins. Ainsi, il ne peut pas facilement changer d'emploi, sa
qualification et son expérience étant spécifique à l'entreprise. C'est toute la
problématique des marchés internes et externes de travail qui est en cause ici.
(Finlay, 1983) C'est un professionnel d'entreprise par opposition aux
professionnel de métiers (électriciens, plombiers, etc.) qui, eux, peuvent
changer d'emploi puisqu'ils possèdent "leur métier dans leur besace". (14)
Ainsi, s'il quitte son emploi il peut rarement améliorer son sort, son
expérience et son savoir "professionnel" n'étant pas
officiellement sanctionné. Cela peut même avoir
l'effet contraire, le système de promotion et de récompense
(salaire,
vacance, bonis) étant souvent basé sur
l'ancienneté, car c'est un gage de fidélité et d'identification aux buts de
l'organisation. (Ouchi, 1981; Finlay, 1983; Mintzberg, 1983; D'Amico, 1984) On
s'approche alors du modèle japonais, où un employé qui est congédié pour une
offense aux règles de l'entreprise aura de la difficulté à obtenir un emploi
comparable dans une autre grande firme. (Ouchi, 1981) C'est là un point
essentiel quand l'on pense que ces nouvelles méthodes d'organisation du travail
ont été introduites dans les entreprises pour résoudre les problèmes de
sabotage, d'absentéisme, et de roulement qui étaient associées au taylorisme.
Elles ne s'y attaquent donc pas que par la méthode douce. Elles ont aussi un
aspect répressif important: la menace implicite de bloquer toutes formes de
mobilité ascensante à l'ouvrier au cours de sa carrière tant dans son entreprise
d'appartenance que dans une autre firme.
En conséquence, les
N.F.O.T. peuvent être considérées comme un moyen de pouvoir et de division des
ouvriers, car elles brisent les solidarités traditionnelles et les remplacent
par une nouvelle forme de solidarité fondée sur l'appartenance à la firme et son
rendement. Les ouvriers ne sont plus une classe solidaire contre le patronat et
la bourgeoisie, mais partenaire avec eux dans une entreprise contre d'autres
entreprises. Ainsi une décision contraire à l'intérêt des ouvriers peut devenir
acceptable si elle est prise pour le bien de l'entreprise.
It is in fact a
hegemonic despotism. The interest of capital and labor continue to be concretely coordinated,
but whereas before labor was granted
concessions on the basis of the
expansion of profits, now labor make concessions on the basis of the relative
profitability of one capitalist
vis‑a‑vis another (...). The point of reference is no longer
primarily the success of the firm from one year to the next
but rates of profit that might be earned elsewhere. At companies losing
profits workers are presented with a choice between wage cut (...) or the loss of their jobs. (Buravoy, 1983, pp.
602‑3)
Quant aux syndicats,
ils ont des positions divergentes sur ce sujet, ce qui les empêche de se
constituer en véritable front revendicatif. Quant les N.F.O.T. ne fonctionnent
pas le syndicat affirme qu'il a bien fait de se tenir à l'écart et, inversement,
quand celles‑ci fonctionnent, il en demande l'élargissement à d'autres groupes.
(Durand, 1978) En ce sens ils sont attentistes, ce qui ne peut que renforcer le
pouvoir des entreprises qui ont su prendre le contrôle de l'introduction des
N.F.O.T. dans les ateliers. Ceci ne peut qu'ajouter à la faiblesse actuelle du
syndicalisme. Seuls quelques syndicats, comme ceux de l'automobile, ont su
négocier ces nouvelles méthodes d'organisation et en tirer un certain profit.
(Burk, 1984b, 1984d) On ne peut donc pas nier la force de division de ces
méthodes, leur pouvoir. C'est là un point essentiel.
Cependant, on ne peut
dire que les N.F.O.T. sont d'abord un moyen de pouvoir. Elles sont avant tout un
outil économique, car si elles ne rapportent pas elles sont abandonnées. Ainsi,
même si elles sont présentées comme un moyen d'humaniser et de démocratiser le
travail, tel n'est pas leur but premier. Si elles sont utilisées c'est d'abord
pour accroître la productivité de la firme, profiter des savoir‑faire ouvrier,
et faire pression sur les plus récalcitrants. Si elles n'éveillent pas autant la
suspicion que l'O.S.T. et le fordisme, l'effet est le même: l'ouvrier voit sa
charge de travail accru et son temps réduit au profit du rendement. Les N.F.O.T.
sont ainsi un investissement dans le capital humain au même titre que celui qui
est fait dans les machines; il n'est pas fait pour rendre l'ouvrier heureux mais
pour le rendre productif. Elles sont sanctionnées par "l'idée que chaque salarié
est un investissement pour l'entreprise qu'il faut chercher à optimiser"
(Morville, 1985, p. 99) On est loin de l'altruisme et près de l'intérêt. Ce
n'est qu'ensuite, si elles rapportent, qu'elles seront considérées comme un
moyen de division et de pouvoir. Leurs objectifs sont ainsi les mêmes que ceux
qu'avaient Taylor au début du siècle:
"Donner à l'un et à l'autre ce qu'ils désirent:
à l'ouvrier, de gros salaires, et au patron, une main‑d'oeuvre bon marché"
(1983, p. 80), soit une main‑d'oeuvre payée au‑dessus de la moyenne mais aussi
beaucoup plus productive que la moyenne. Seul les moyens d'atteindre ce but ont
changé.
Néanmoins, même si ces
méthodes ont pour but le profit et le pouvoir, on ne peut nier qu'elles ont des
aspects positifs pour les ouvriers. Elle le libère notamment des tensions de la
chaîne de montage et du travail parcellaire. En ce sens elles répondent à
certaines attentes des travailleurs d'aujourd'hui qui veulent un travail plus
qualifié et plus intéressant comme l'ont montré plusieurs travaux. (Friedmann,
1964; Pignon et Querzola, 1973; Durand, 1978; Burk, 1984) N'est‑ce pas ce que
Linhart retient de son expérience chez Citroen quant il dit que le travailleur
d'usine "hurle silencieusement: "Je ne suis pas une machine!"" (1981, p.
14).
Par contre, comme les
N.F.O.T. servent aussi de prétexte pour accroître la charge de travail, ceci en
limite l'aspect positif. Les ouvriers ne peuvent être entièrement satisfaits,
car même s'il y a changement il se fait dans le sens patronal du terme. C'est la
hiérarchie qui décide. L'ouvrier ne peut pas dire ce qu'il veut. C'est là le
problème des N.F.O.T., non celles‑ci en soi. En conséquence nous croyons à leur
apport pour l'entreprise et ses employés en autant que leur introduction et leur
application soient négociées avec ceux qui auront à les utiliser. C'est là un
point essentiel, car, comme l'ont montré plusieurs études, les ouvriers
acceptent mieux le changement lorsqu'ils sont consultés avant celui‑ci. (Pines,
1984) C'est d'ailleurs ce qu'a essayé de faire Ford lors de la réorganisation du
Dearborn Engine Plant (D.E.P.), car l'entreprise s'était engagée à informer le
syndicat et les ouvriers des changements qui seront apportés à l'usine et de les
discuter. Cependant, un
tel objectif est toujours difficile à tenir.
Ainsi, les ouvriers furent informés des transformations apportés à l'usine mais
n'ont pas été consulté au niveau des décisions. C'était un processus du haut
vers le bas ("a top‑down process"). (Chen, Eisley, Liker, et al., 1984) Néanmoins un effort fut fait, ce qui
montre bien qu'une plus grande démocratisation du travail est possible.
Enfin, une questions
demeure: les N.F.O.T. concernent‑elles uniquement le Centre ou peuvent‑elles
s'appliquer n'importe où dans le monde si des questions de productivité le
justifient? C'est ce qu'il nous faut maintenant vérifier.
2.6. Tenir dans l'ignorance: la non utilisation
des nouvelles formes d'organisation
du travail dans les pays en voie de développement
Nous venons de voir que
les nouvelles formes d'organisation du travail semblent avantageuses au Centre
où sont développés les nouveaux produits et où la main‑d'oeuvre est
dispendieuse, car elles y augmentent la productivité et la flexibilité des
hommes et des machines en proportion plus grande que leurs coûts d'application.
Mais si les conditions de création de la valeur le justifient, pourraient‑elles
s'appliquer dans les pays en voie de développement (P.V.D.)? Et si elles ne s'y
appliquent pas, introduisent‑elles une concurrence entre les ouvriers du Centre
qui en bénéficient et ceux des P.V.D. qui n'en bénéficient pas? Ce sont là deux
questions auxquelles nous devons répondre ici.
A première vue les
N.F.O.T ne s'appliquent pas dans les P.V.D. pour des motifs économiques, car si
la productivité par employés et par heure de travail y est moindre qu'au Centre,
elle y est beaucoup plus élevée par année de travail, les heures et les jours de
travail étant plus nombreux. (15) En
effet:
The high number of
weeks worked in the year, the large
amount of overtime and the low number of days off serve to prolong the total annual
working time still further, so that the
labour‑force in some world market factories works up to 50% more hours per year
than the traditionnal industrial countries. (Frobel, Heinrichs, and Kreye, 1981, p.
353)
En conséquence, appliquer les N.F.O.T. dans les
P.V.D. serait davantage une dépense qu'un investissement vu ces conditions. Mais
dans certains cas particulier, comme celui de l'industrie automobile, où les
syndicats sont bien organisés dans presque tous les pays (16), il pourrait être
rentable de les utiliser. Pourtant il n'est pas sûr qu'elles s'y appliquent.
Pourquoi?
Un facteur qui explique
cette discrimination entre les pays développés et en voie de développement sont
les investissements nécessaires. En effet, si une entreprise veut appliquer les
N.F.O.T. dans un P.V.D. elle devra préalablement améliorer les conditions
intrinsèques de travail. Elle devra alors faire les investissements qu'elle
refusait de faire au Centre, ce pourquoi elle a relocalisé sa production dans ce
pays. Ainsi ses investissements ne seront pas plus économiques qu'au Centre.
C'est là une explication de la non application de ces formes d'organisation du
travail dans les P.V.D. Cependant ce n'est pas la seule explication possible,
car dans certains cas ces investissements sont faits, notamment dans le secteur
automobile. (F.I.O.M., 1982)
C'est d'abord pour des
raisons d'indépendance face à la main‑d'oeuvre que les F.M.N. n'appliquent pas
les N.F.O.T. dans ces pays. En effet, si une entreprise les applique et investit
dans la formation de ses ouvriers ils pourraient alors se servir de leur
position d'irremplacabilité (tous nouveaux ouvriers devant d'abord suivre la
même formation avant de pouvoir les remplacer) pour faire certaines
revendications, car leur démission ou une grève serait difficile à supporter
pour l'entreprise. Comme tous les
professionnels:
[They] play these game
offensively by exploiting their
assets to the limit, emphasizing the uniqueness of their skills and knowledge, the importance of these to
the organization, and its inability
to replace them. (Mintzberg, 1983, p. 198)
L'entreprise serait ainsi défavorisée face à
celles qui pratiquent une politique de bas salaire ("wage saving") et
de
travail déqualifié, celles‑ci ayant des coûts de
production
inférieurs et, surtout, la possibilité de
remplacer beaucoup
plus facilement les ouvriers qui font la grève,
qui la quittent (roulement), ou
qu'elle renvoie. Les N.F.O.T. remettraient alors en cause le modèle
même de valorisation du Capital dans les P.V.D., soit "l'existence d'une armée
de réserve industrielle quasi illimitée" (Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981, p.
361). Conséquemment, les firmes multinationales préfèrent ne pas y appliquer les
N.F.O.T. pour ne pas voir le pouvoir d'une main‑d'oeuvre qu'elles auraient
formée s'accroître à leur dépend et changer les conditions d'accumulation de ces
pays en y reproduisant les conditions de l'inégalité entre les pays développés
et en voie de développement entre les firmes les plus progressives et les moins
progressives au dépend des premières.
Si ceci est plausible
au niveau de chaque firme, ce l'est aussi au niveau de l'ensemble des P.V.D.,
car ces travailleurs qui auraient gagné plus de pouvoirs dans leurs entreprises
pourraient ensuite établir des syndicats pour organiser les autres ouvriers.
Ceux‑ci seraient probablement clandestins au départ, la plupart des pays en
développement bannissant le syndicalisme. (Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981)
Mais, tout comme ce fut le cas autrefois au Centre, ils en viendraient à
être reconnus vu leur poids politique. (Beaud, 1981) Ce serait là
une reprise de l'histoire. C'est justement ce que veulent éviter les firmes qui
produisent dans les P.V.D., car si de tels développements arrivent les
conditions de valorisation du Capital se rapprocheraient alors de celles du
Centre: protection accru des ouvriers, salaires plus élevés, syndicalisation,
droit de grève, etc. Les entreprises n'y trouveraient plus leur compte et les
taux de plus‑value décroîtraient. C'est là le premier frein aux N.F.O.T. dans
ces pays même si elles seraient rentables, car à long terme elles signifieraient
la fin de ce modèle d'exploitation et une perte de plus‑value pour les
entreprises.
Le second frein vient
des Etats‑nations, car ils ne sont pas prêts à rendre des compte à la
population. En effet, si les ouvriers obtiennent une démocratisation au niveau
de l'entreprise celle‑ci sera aussi réclamée aux niveaux social et politique.
Les régimes despotiques ont alors tout intérêt à contraindre les ouvriers et à
proscrire toutes formes de revendications et de contestations, car ceci
signifierait aussi des revendications face à l'Etat. Pour cette raison ils les
répriment violemment. Quant aux entreprises, elles appuient l'Etat dans cette
démarche ‑‑ par exemple en laissant les polices du régime faire la garde dans
leurs installations (C.I.S.L., 1981) ‑‑ car cela leur rapporte: bas salaires,
absence de syndicats, emplois précaires, etc. Des motifs économiques et
politiques expliquent donc cette absence des N.F.O.T. dans ces
pays.
Conséquemment, comme
les ouvriers des pays en voie de développement font face à une répression bien
organisée et sont tenus autant que possible ‑‑ car il peut y avoir des fuites et
des mouvements clandestins ‑‑ dans l'ignorance de ce qui se fait au Centre, dont
l'existence des N.F.O.T., celles‑ci ne peuvent servir à introduire une
concurrence entre les ouvriers du Centre et de la Périphérie sur la base de leur
non application dans les P.V.D. Nos attentes n'étaient pas fondées sur ce point.
Il est aussi peu
probable qu'elles s'appliquent un jour dans les P.V.D., car cela y signifierait
la fin des conditions actuelles de valorisation du capital, ce pourquoi les
multinationales y investissent.
Cependant, il est
possible qu'un jour les N.F.O.T. soient utilisées dans les nouveaux pays
industriels qui émergent à la Périphérie, là où les conditions de valorisation
du capital se rapprocheront davantage de celles du Centre ‑‑ à l'exception des salaires qui y
demeureront plus faibles. (F.I.O.M., 1982; B.I.T., 1983; Perrin, 1983) Nous
pensons entre autres au Mexique et à la République de Corée, où les syndicats
sont reconnus (avec certains contrôles cependant dans le cas de la Corée) et où
les multinationales n'hésitent plus à fabriquer des produits avancés même si
cela exige certaines technologies plus modernes que dans les autres P.V.D. A titre d'exemple soulignons que Ford a
investit 650 millions de dollars américains au Mexique au début des années 80
pour y construire une usine ultra moderne de moteurs pour fournir le Canada et
les Etats‑Unis (F.I.O.M., 1982); que la "Daewoo Optima" 1988 vendu par G.M., fut
dessiné par Opel en Allemagne (une filiale de G.M.) et est fabriquée en Corée
par Daewoo (17); et que Hyundai, une F.M.N. coréenne, a envahit le marché nord
américain de l'auto depuis quelques années avec des modèles moyens et de bas de
gamme.
Si tel devient le cas,
les N.F.O.T. feront d'abord leur apparition dans les multinationales les plus
progressives, tel I.B.M. qui fut une des premières entreprises à les utiliser au
Centre, et dans les usines les plus modernes, comme celle de moteur de Ford au
Mexique. Ce ne sera que plus tard que d'autres firmes en viendront à les
appliquer, quand elles verront que ces expériences auront eu du succès. Quant
aux productions auxquelles elles ne s'appliqueront pas, elles seront transférées
vers les P.V.D. satellites de ces pays, copiant ainsi la stratégie des pays
développés. Les salaires devront aussi y être augmentés pour conserver la
fidélité des ouvriers et accroître l'accès des masses à la consommation ‑‑ et ainsi ouvrir de nouveaux marchés pour
ces produits.
Ainsi, si la première
phase du capitalisme mondial fut l'intégration de la Périphérie (d'où
l'opposition Centre/Périphérie dont nous parlions au début de cette étude), sa
seconde phase sera le passage de quelques P.V.D. de la Périphérie au rang de
pays industriels moyens. Ceci aura pour effet de soutenir les modes actuels de
production et de consommation de masse. L'opposition Centre/Périphérie n'amènera
donc pas davantage la fin du modèle capitaliste que ne l'a amené avant lui le
modèle d'opposition entre propriétaires et ouvriers, car dans ce cas‑ci comme
dans l'autre une classe intermédiaire viendra s'intercaler entre les deux pour
soutenir ce système. On passera alors à un modèle tripartite, soit: pays développés, pays moyennement
développés, et pays en voie de développement. C'est ce que nous pouvons prévoir
pour l'avenir. Il est cependant trop tôt pour faire des hypothèses plus précises
à ce sujet, ce qui clos ce que nous pouvons dire des N.F.O.T. et de la situation
mondiale ici.
Chapitre III
L'utilisation des outils
programmables
et automatiques et
leurs effets sur
l'organisation du
travail au Centre
Suite aux progrès du
génie technique et de l'informatique une nouvelle génération de travailleurs est
apparue au début des années 70: le robot et ses acolytes. Nous allons d'abord
les présenter en les définissant et en en montrant les limites. Après nous
tenterons de répondre aux principales interrogations que soulève l'usage de ces
équipements, soit: quelles entreprises les utilisent; quel est leur effet sur
l'organisation du travail; et quel est leur impact sur
l'emploi.
3.1. De la définition des outils automatiques et
programmables et de leurs limites
Avant de regarder les
conditions d'application des automatismes industriels (1) dans les entreprises
et leurs avantages il est nécessaire de définir ces outils et de les classifier,
car ils sont nombreux et complexes. (2)
On en verra
aussi les limites, car, contrairement à la
croyance populaire, ils ne peuvent pas tout faire.
D'abord il y a les
outils automatiques non programmables. Ce sont des équipements qui peuvent faire
continuellement un même travail, mais qui ne peuvent en faire un autre que celui
pour lequel ils ont été initialement conçus. Ce sont par exemple les robots
soudeurs pensés pour un seul modèle d'automobile. Ainsi, quand le produit pour
lequel ces outils ont été fabriqués n'est plus fait, ceux‑ci ne sont plus
d'aucune utilité. (Shaiken, 1986)
Ensuite il y a les
outils automatiques programmables. Ce sont des équipements
mécanico‑électroniques qui peuvent
facilement être adaptés, par changement de programme, pour accomplir des
tâches pour lesquelles ils n'ont pas été initialement programmés. Ceux‑ci se
divisent en deux groupes.
D'abord il y a ceux qui s'adaptent aux
variations de la production grâce aux informations que leur transmet un
opérateur. Ce sont par exemple les systèmes de production intégrée programmable,
qui peuvent faire des outils différents (fraise, drille, etc.) à partir d'une
simple modification des "in‑puts" du programme par un opérateur. (Hansen et Lund, 1986; Hirschhorn, 1986)
Ensuite il y a ceux qui s'adaptent automatiquement aux aléas de la production
par les informations qu'ils obtiennent par leurs propres moyens (capteurs de
lumière, de chaleur, d'odeurs, de formes, etc.). Ce sont par exemple les robots
peintres de l'industrie automobile qui peuvent "développer les trajectoires
adéquates à chaque modèle sur une file de modèle disposés au hasard" (Coriat, 1983, p. 30).
Maintenant que nous
avons défini ces équipements, il nous faut les présenter. C'est ce que nous
faisons au Tableau VI de la page suivante.
Pour atteindre ce but nous avons adopté la classification de la Japan
Industrial Robotics Association (J.I.R.A.) à laquelle nous avons cependant
apporté deux modifications. D'abord, comme elle ne tenait pas compte des
systèmes de production intégrée, nous les avons ajouté à celle‑ci. Ensuite, nous
avons mis entre crochets deux synonymes qui sont régulièrement utilisés dans la
littérature sur les outils automatiques.
Maintenant que nous
avons défini les robots et autres outils automatiques, il nous faut en voir les
limites, car si l'on veut aller au delà des apparences en matière d'équipements
automatisés une question se pose au préalable. Il faut savoir si tout est
automatisable. La robotique laisse‑t‑elle une place au travail humain? C'est ce
à quoi nous devons maintenant tenter de répondre. Après seulement nous pourrons
voir l'impact des automatismes industriels sur le travail.
Tableau VI: Les modèles d'outil automatique et
programmable
┌─────────────────────────┬─────────────────────────────────────┐
│ Type d'automatisme │
Définition
│
├─────────────────────────┼─────────────────────────────────────┤
│ Manipulateur:
│
Dispositif commandé directement │
│
│
un opérateur humain.
│
│
│
│
│
│
│
│ Robot séquentiel: │
Manipulateur fonctionnant selon │
│
│
une séquence et des conditions │
│
│
préétablies.
│
│
│
│
│ ‑à séquence fixe: │
La séquence et les conditions │
│
│
sont difficilement modifiables. │
│
│
│
│ ‑à séquence variable │
La séquence et les conditions │
│
[ou manipulateur │
sont facilement variables.
│
│
programmable]:
│
│
│
│
│
│ Robot à apprentissage │
Manipulateur qui répète une sé‑ │
│ ‑‑
play back:
│
quence mémorisée après une sé‑ │
│
│
quence d'apprentissage par un │
│
│
opérateur humain.
│
│
│
│
│ Robot à commande numé‑ │
Manipulateur qui reçoit les
│
│ rique [ou machine outil │
ordres de séquence et de condi‑ │
│ à commande numérique ou │
tion de travail de façon numé‑ │
│ M.O.C.N.]:
│
rique.
│
│
│
│
│ Robot intelligent: │
Robot réalisant lui‑même des
│
│
│
fonctions variées grâce à ses │
│
│
capacités d'actions et de per‑ │
│
│
ception sensorielles.
│
│
│
│
│ Système de production │
Machine ou série de machine
│
│ intégré:
│
pouvant réaliser un produit
│
│
│
fini à partir d'une pièce brute │
│
│
avec un minimum d'intervention │
│
│
humaine.
│
│
│
│
│ Système de production │
Système identique au précédent │
│ intégré programmable: │
mais à contrôle numérique, ce │
│
│
qui permet d'introduire des va‑ │
│
│
riations dans la fabrication du │
│
│
produit ou de faire des produits │
│
│
différents par simple changement │
│
│
de programme.
│
└─────────────────────────┴─────────────────────────────────────┘
Source: J.I.R.A., cité par Coriat, 1983, p. 23
pour les robots; et Braverman, 1976; Hansen et Lund, 1986; Hirschhorn, 1986; et
Shaiken, 1986, pour les systèmes de production intégrée.
Premièrement, il semble
faux de croire que tout est automatisable. Certains processus de travail ne le
sont pas et ne le seront peut être jamais, car pour automatiser il faut une
norme et une définition précise du travail qui sont facilement décomposables.
C'est la première limite que rencontre l'automatisation des tâches dans
l'industrie. Ainsi la pose d'un clou sur un mur serait difficile à réaliser pour
un robot, car aucune norme ne dit où le placer. Et si un ouvrier plaçait le
robot devant la portion du mur où va le clou, tous les problèmes seraient encore
loin d'être résolu, car cette opération comporte trop d'aléas pour que toutes
leurs solutions soient introduites dans son programme. En effet, celui‑ci
devrait entre autres connaître un marteau et un clou, savoir les prendre dans le
bon sens, savoir centrer son ouvrage sur des murs inégaux, savoir frapper
correctement jusqu'à ce qu'il soit au bon angle et à la bonne profondeur, et
savoir s'arrêter une fois le travail fait, ce qui exige toute une série de
contrôle et de connaissance de la part du robot. Et comment lui expliquer de
s'ajuster à des pépins aussi fréquents que de se frapper sur les "doigts", de
voir le clou se plier, de le voir tomber, ou encore de le voir prendre une
mauvaise trajectoire. (Halary, 1984) Ainsi certains
processus
de travail ne peuvent être automatisés, trop de facteurs devant
être considérés à la fois.
Si l'exemple du clou
et du robot semble irréel, il n'en définit pas moins une situation réelle.
Certains travaux ne sont pas automatisables, car ils sont trop aléatoires. Et il
ne peut en être autrement, car ils ne se fondent pas sur des lois précises, mais
sur des acquis pratiques (l'expérience) ou un savoir personnel. Ainsi, entre
1963 et 1971, plusieurs cimenteries américaines ont essayé d'automatiser leur
production de pièces en ciment mais aucune n'a réussi avec succès, trop
d'éléments ‑‑ et pas tous aussi quantifiables ‑‑ devant être considérés en même
temps: quantités à mélanger, taille des particules, température des fours,
vitesse de rotation, etc.
(Hirschhorn, 1986) Cela est
aussi vraie pour certaines tâches dans l'industrie automobile, où:
Il en est ainsi, par
exemple, de l'épinglage qui consiste à préassembler les pièces
avec [avant?] le soudage final.
Cette opération exige "un coup d'oeil" pour reconnaître les anomalies (...), puis un coup
de main particulier pour annuler leurs
effets. (Bonnafos, Chanaront, et de Mautort, 1983, p. 66)
Deuxièmement, pour
qu'un processus de travail automatique devienne intéressant, il faut qu'il soit
économique, c'est‑à‑dire qu'il soit plus productif que l'ancienne méthode ou
qu'il nécessite moins d'ouvriers. Cela n'est possible que de trois façons, soit
(i) en augmentant la production qui était faite par l'ancienne méthode; (ii) en
conservant le même niveau de production tout en diminuant le nombre d'ouvriers
nécessaires à sa réalisation; ou (iii) en faisant faire par la machine le
travail que les ouvriers refusent, celui où le danger est grand et les taux de
roulement et d'absentéisme élevés. Pour cette raison certains processus de
travail ne seront jamais automatisés, car non rentables. Ainsi notre robot
poseur de clou ne verra jamais le jour dans l'industrie de la construction, même
s'il devient techniquement possible de le créer, car il ne sera pas économe en
main‑d'oeuvre, celui‑ci devant toujours être accompagné d'un manoeuvre pour le
placer face à son ouvrage. Il est alors plus économique pour le patron de donner
un marteau à son ouvrier plutôt qu'un robot poseur de clou. Par contre, si
des
tâches semblables doivent être exécutées dans un
réacteur nucléaire ou près de celui‑ci, un robot téléguidé devient alors un
choix intéressant pour des motifs de sécurité peu importe son rendement et ses
coûts de fabrication et d'utilisation. C'est une question de contexte.
D'ailleurs il n'est pas rare que des robots semblables
agissent...
... dans des zones
d'activités inaccessibles (cas des manipulateurs dans les
réacteurs nucléaires) ou périlleuse
pour l'homme (la forge par exemple dans les industries mécaniques), [car ce sont des]
activités génératrices de coûts
indirects très lourds. (Coriat, 1983, p. 68)
Troisièmement, pour
automatiser un processus de travail il lui faut une durée, sans quoi les outils
programmables, même s'ils sont plus productif ou économe en main‑d'oeuvre, ne
représenteront pas la solution la plus rentable qui soit. Ainsi, pour qu'un
processus de travail, une production donnée, soit intéressante à faire avec des
robots il faut que celle‑ci soit faite dans des quantités qui le justifient.
C'est notamment le cas dans l'automobile où l'on parle de centaines de milliers
de voitures d'un même modèle et de millions pour tous les modèles confondus. Par
contre si le produit n'a pas de durée, il n'est pas rentable d'en automatiser la
fabrication. C'est le cas des semi‑conducteurs. Comme leur technologie change
rapidement les entreprises préfèrent les faire faire par une main‑d'oeuvre peu
qualifiée et sous‑payée dans les pays de la Périphérie plutôt que d'investir
dans des équipements qui seront désuets après quelques mois seulement. (Frobel,
Heinrichs, et Kreye, 1981) La même chose est aussi vraie dans le vêtement, où
les changements rapides de la mode rendent l'automatisation difficile.
En conséquence, nous
pouvons conclure que tout n'est pas automatisable. Il y a encore et il y aura
probablement toujours une place pour le travail humain à côté de celui des
machines.
La question qui se pose
maintenant est de savoir si l'utilisation des automatismes industriels est due à
la taille, à l'organisation mondiale des entreprises, ou plus simplement à leurs
produits. On vérifiera aussi si une production entièrement automatisée existe
réellement ou si elle n'est qu'un idéal‑type.
3.2. L'utilisation des outils programmables et
automatiques dans les entreprises
La question qui nous intéresse ici est de savoir quelles entreprises utilisent
les équipements automatiques et programmables. Sont‑elles exclusivement
l'affaire des grandes
entreprises ou peuvent‑elles se retrouver dans
les petites et
moyennes entreprises (P.M.E.)? Concernent‑elles les
secteurs
modernes et de pointes ou tous les secteurs
industriels? Telles sont les deux questions auxquelles nous devons répondre
maintenant.
3.2.1. L'utilisation des automatismes
industriels et la taille des entreprises
A première vue tout
porte à croire que seules les grandes entreprises peuvent se payer
l'automatisation. En effet, plusieurs auteurs parlent des coûts élevés de ces
équipements; de la nécessité d'investir beaucoup de temps et d'argent dans les
cours de formation; et des besoins en personnel spécialisé pour entretenir ces
équipements et contribuer à leur développement. Par exemple Ford a investit 600
millions de dollars américains dans la rénovation du Dearborn Engine Plant
(D.E.P.); 7 millions dans son programme de formation; et compte sur un personnel
technique (ingénieurs, dessinateurs, techniciens) important pour voir à son bon
fonctionnement. (Chen, Eisley, Liker, et al., 1984)
Cependant, tel n'est
pas toujours le cas. En effet, des P.M.E. utilisent elles aussi ces équipements,
car, comme pour tout autre outil, on ne peut en limiter l'usage. Par contre, ces
cas sont peu publicisés par la littérature, celle‑ci s'intéressant davantage à
la grande industrie, là où ils semblent plus spectaculaires. Nous pouvons
néanmoins en citer un: celui
d'Outils Coupants International Inc., une P.M.E. de la région de
Montréal. (3) Il s'agit d'une entreprise qui fabrique des drilles et des fraises
industrielles de hautes précisions. Parmi ses clients on retrouve d'ailleurs des
grands noms de l'industrie tels que Lockheed, Mc Donnel-Douglass, Boeing, G.M.,
Ford, Chrysler, Rockweell, et plusieurs autres. Voici une brève description du
travail qui s'y fait. Les tiges d'aciers sont d'abord coupées avec des outils
classiques. Ensuite, une fois qu'elles ont la longueur voulue, elles subissent
un premier tournage et fraisage sur des M.O.C.N., c'est‑à‑dire que l'on fait les
"raies" primaires de l'outil en fonction du travail qui suivra. Ces "mèches"
sont par la suite chauffées ‑‑ pour les durcir ‑‑ et préparées de manière
manuelle et mécanique (nettoyage,
polissage, etc.) pour l'opération
finale: l'affûtage. Celle‑ci se fait dans des systèmes flexibles de production
intégrée "Huffman" (cela ressemble à des cabines de camions entièrement fermées)
où, après que l'opérateur a programmé toutes les données concernant le travail à
faire sur un clavier de type ordinateur, l'outil est taillé, fraisé, et affûté à
la taille et au degré demandés par le client. Enfin
l'outil
passe au contrôle de la qualité avant d'être
emballé et expédié.
Ainsi, à première vue,
ces équipements semblent accessibles aux P.M.E. Mais le sont‑ils à toutes les P.M.E. ou
sont‑ils le privilège de quelques entreprises comme Outils Coupants
International? C'est là la véritable question qui doit être posée ici. Quant à
la réponse elle se divise en deux volets. D'abord il y a le cas des robots et
ensuite celui des autres systèmes automatiques.
Historiquement les
robots furent l'apanage quasi exclusif des F.M.N. qui pouvaient les fabriquer ou
collaborer à leur développement, c'est‑à‑dire celles qui avaient des centres de
recherche et de développement et des capitaux à investir dans ces activités.
C'est ainsi, par exemple, qu'au cours des années 60 G.M. a collaboré avec
Unimation ‑‑ maintenant propriété du groupe Westinghouse ‑‑ pour la fabrication
du "PUMA" et que Volkswagen fabriquait ses propres robots sans les
commercialiser. (Coriat, 1983) La nouveauté leur était alors exclusive.
Cependant, cela ne fut
vrai que pour un temps, car maintenant les entreprises commercialisent de plus
en plus leurs robots ou des versions de ceux‑ci pour en amortir les coûts. Ainsi
un nouveau secteur industriel et commercial s'est développé, ce qui a amené
trois changements majeurs.
Premièrement, des
firmes comme I.B.M. et Volkswagen, qui fabriquaient des robots pour leur propre
usage, entrent maintenant sur ce marché. On voit là un élargissement de
ce
secteur qui ne peut résulter qu'en "une
puissante synergie
susceptible d'accélérer la diffusion de la
technologie"
(Saiken, 1986, p. 176).
Deuxièmement, les
entreprises qui fabriquaient ces outils sur commande ont aussi développé des
robots commerciaux, facilement adaptables à différents travaux industriels, pour
les offrir directement sur le marché des biens d'équipements, ce qui contribue à
élargir leur accès à un plus grand nombre d'entreprises. Cependant, même s'ils
sont plus accessibles que les outils sur commande, ils sont encore coûteux.
Ainsi les grands robots comme le "T3" de Cincinnati-Milacrom, les "P‑5"
("Process Robot") et "AW‑7" ("Arc Welding Robot") de General Electric, ou les "2 000", "4 000", et "8 000" d'Unimation, coûtent
en moyenne de 125 000 à 300 000 dollars américains. (Hansen et Lund, 1986, p.
30)
Enfin, plus récemment
sont apparus des entreprises qui offrent des outils programmables plus petits,
moins coûteux, et fort bien adaptés à des tâches complexes. C'est ainsi que dans
les robots de 6 000 à 15 000 dollars américains, ce qui est peu, la firme Seiko,
du Japon, offre des choix intéressants. Par
exemple:
These units have load
limits that range from 12 to 9
pounds, have only two or three axes of
rotation, but have accuracies that
may be two orders of magnitude (" .0004" vs.
" .04")
better than the larger, more versatile
machines. (Hansen and Lund, 1986, pp.
30‑1)
En conséquence, il
semble que la robotique est maintenant devenue accessible à toutes les
entreprises, des robots adaptés à tous les budgets et à toutes sortes de travaux
étant disponibles sur le marché. C'est là un point à
retenir.
De plus, les robots ne
sont pas seuls. En effet, il y a aussi les systèmes intégrés de production qui
peuvent fabriquer une pièce finie, à partir d'une pièce de métal brut, sans
intervention humaine.
Quant aux coûts de ces
systèmes de production intégrée ils ne semblent pas si exorbitants si l'on
considère les économies qu'ils permettent de faire réaliser aux entreprises
utilisatrices et les possibilités qu'ils leur offrent au niveau de la
production. D'abord, des économies substantielles peuvent être obtenues au
niveau des inventaires, car ces équipements, travaillant suivant l'ordre des
commandes, évitent à l'entreprise d'avoir à se constituer des inventaires
coûteux pour répondre rapidement à la demande pour ses produits. Ensuite, c'est
au niveau des coûts du travail que d'autres économies peuvent être réalisées,
moins d'ouvriers étant nécessaires pour faire une même production. [Cette
question sera reprise à la section 3.4.]
Celle‑ci peut aussi être faite beaucoup
plus rapidement. Par exemple, avec un système flexible de production intégrée un
travail de quelques semaines peut‑être réduit à quelques heures. Ainsi, produire
des pièces comme l'arbre moteur, l'arbre de transmission, ou l'arbre proprement
dit...
... in a conventional
job shop, they might take as long as 10
weeks to be completed and ready for assembly. This is in contrast to getting a completely finished part
just 5 or 6 minutes after the system is
commanded to produce the part and the
proper raw stock is provided to the machine. (Hansen and Lund, 1986, p.
38)
En conséquence, ces avantages ne peuvent que
rendre ces équipements davantage accessibles aux P.M.E., leurs coûts étant
généralement compensés par ces économies.
A cette diminution des
coûts d'achat et d'utilisation des automatismes industriels s'ajoutent aussi des
services qui tendent à rendre ces équipements plus facile d'accès aux petites
entreprises. Ceux‑ci sont de deux ordres.
D'abord, les
entreprises qui fabriquent ces équipements ou qui les commercialisent ont ajouté
à leurs produits des cours de formation et des services d'entretien des
machines, ce qui les rend plus abordables aux P.M.E. qui n'ont pas les moyens
d'assurer par elle‑même ces fonctions. (Perrin, 1983) Par exemple, dans sa
publicité, la firme Huffman dit:
When you
select Huffman, you get more than just a quality machine tool. You get a total
package. This includes the
proper software as well as all the training and service needed to make the system work profitably for
you. (4)
Ensuite, à côté de ces
entreprises spécialisées s'est développé un nouveau secteur industriel: celui
des maîtres d'oeuvres. Des entreprises de génie se chargent maintenant de faire
les plans et devis d'usine, d'en superviser la construction, et de voir à
l'achat et l'installation des
équipements qu'elles jugent les plus productifs.
Ce sont les
contrats "clés en mains". (Durand, 1978; Parent,
1983) Ainsi les entreprises qui n'ont pas la capacité de prendre en charge leur
réorganisation et automatisation peuvent avoir recours à ces firmes pour le
faire à leur place.
C'est là une nouvelle
division du travail. Elle se fait maintenant entre les entreprises conceptrices,
productives, et utilisatrices, ce qui a pour effet de diminuer les coûts de ces
équipements et de les rendre abordables même pour les P.M.E. Les automatismes
industriels sont ainsi devenus des biens de consommation courants dans le
secteur de la production industrielle. Le cas d'Outils Coupants International
Inc. n'est donc pas une exception. Loin de là d'ailleurs. Par exemple, selon une
étude de Cavestro pour la France, on retrouvait, en 1982, l'outil informatique
dans 65% des P.M.E. et au moins un automatisme industriel (M.O.C.N.,
manipulateur, et robot) dans 44% d'entre elles. (1984, p. 435) Que dire de plus, sinon
que les automatismes industriels ne sont plus réservés aux F.M.N. mais
s'adressent à toutes les entreprises peu importe leur
taille.
La question qui se
pose maintenant est de savoir si ces équipements sont le fait exclusif de
certains secteurs industriels comme pour les N.F.O.T., ce que nous avons vu plus
haut, ou s'ils s'adressent à tous les secteurs.
3.2.2. L'utilisation des automatismes
industriels et le secteur industriel
Suite à un examen de
la littérature il semble que ces outils
peuvent se retrouver dans
tous les secteurs industriels.
Cependant, ils n'auront pas partout la même importance. De plus, selon le
secteur industriel on ne retrouvera pas les mêmes types d'équipements. Ceci
mérite d'être davantage explicité.
D'abord, si l'on
regarde les robots industriels on constate que ces outils se concentrent
davantage dans la construction automobile, l'électricité, l'électronique, et la
construction de machines outils. (Levinson, 1973; Coriat, 1983; Coriat et de
Terssac, 1984; Kern et Schumman, 1984) Mais c'est nettement dans l'automobile
qu'ils dominent pour l'instant. Par exemple, en France, 58% du parc total de
robots se concentrait dans ce secteur en 1980. (c.f. Tableau, VII, p. 95) Une
étude de l'O.C.D.E. confirme d'ailleurs cette conclusion:
Comme on l'a noté,
l'industrie automobile est la principale utilisatrice des robots
industriels dans la plupart des pays Membres actuellement dotés d'une population de
robots relativement étoffée. (1983,
p. 41)
Et plus récemment, des statistiques publiées par
la firme Dataquest Inc. sur la valeur du marché mondial de la robotique allaient
dans le même sens: le secteur automobile ("automotive") domine nettement les
autres secteurs au niveau des achats de robots pour les années 1985 et 1986 et
continuera à dominer à ce chapitre jusqu'en 1991, date à laquelle s'arrêtent
leurs prévisions. (c.f. Tableau VIII, p. 96) Cela est fort plausible quand l'on
pense qu'en 1984 G.M. prévoyait l'utilisation de 5 000 robots pour 1985 et de 14
000 en 1990 pour ses installations mondiales. (5)
Cependant, comme les
spécialistes de la robotique s'accordent à le dire, l'industrie des robots ne
peut plus demeurer aussi dépendante du secteur automobile, car une baisse de ce
secteur entraînerait nécessairement une crise de l'industrie robotique si elle
lui demeure trop liée. Ceci
laisse donc présager qu'au cours des prochaines
années les
fabricants de robots feront des efforts
commerciaux et en
Recherche et Développement pour pénétrer de
nouveaux secteurs
industriels. Donald A. Vincent, le
Vice‑président de la Robotic Industries Association (R.I.A.), dit d'ailleurs à
ce sujet que:
"With the
present situation, the builders and systems people must look beyond the auto industry to such areas
as electronics, pharmaceuticals, food
processing, textiles, and other industries in
which robots play a vital role in improving productivity and
competitiveness." (Stauffer, 1986, p.
9)
_________________________________________________________________
Tableau VII: Pénétration de la robotique en France suivant
les secteurs en 1980.
_____________________________________________________________
Secteur
% du parc de robots
_____________________________________________________________
Automobile
58
%
Transformation des métaux
9 %
Mécanique
8 %
Industrie électrique
6 %
Industrie électronique
5 %
Céramique
5 %
Caoutchouc
4
%
Cycles, motocycles
2 %
Aérospatiale
1 %
Transformation des métaux
1 %
Divers
1 %
_____________________________________________________________
Source: Coriat, 1983, p.
54.
_________________________________________________________________
On peut donc croire que le portrait des
industries utilisatrices de robots sera appelé à changer au cours des prochaines
années. De fait, si l'industrie automobile est présentement le secteur où l'on
compte le plus de robots et si cette tendance semble vouloir persister jusqu'aux
années 90 (c.f. Tableau VIII, p. 95 et IX, p. 98), on peut cependant s'attendre
à des changements par la suite. Ainsi, en part de marché (%) la valeur des
robots vendus dans le secteur automobile baissera de 17% entre 1985 et 1991
alors qu'elle s'accroîtra de 7% dans le secteur électronique. (c.f. Tableau IX,
p. 98) Et si cette tendance se poursuit jusqu'en 1995 (c.f. Tableau X, p. 98)
l'industrie électronique devrait alors égaler l'industrie automobile comme utilisatrice de robots. Ceci est
d'ailleurs fort plausible, car, selon le tableau VIII (plus bas), les ventes de
l'industrie électronique ("shipment") doivent dépasser celles de l'industrie
automobile dès 1988.
_________________________________________________________________Tableau
VIII: Le marché des robots au
niveau mondial (1985-1991) en millions de dollars
(américains)
┌────────────┬──────┬──────┬──────┬──────┬──────┬──────┬────────┐
│Segment │ 1985
│ 1986
│ 1987
│ 1988
│ 1989
│ 1990
│ 1991 │
├────────────┼──────┼──────┼──────┼──────┼──────┼──────┼────────┤ │Industry: │ │ │ │ │ │ │
│
│Automotive │ 954│ 1
050│ 1
130│ 1
200│ 1
380│ 1
550│ 1 780 │
│Electronic │ 369│ 450│ 570│ 750│ 900│ 1
100│ 1 300 │
│Other
│ 318│ 380│ 480│ 650│ 800│ 1
000│ 1 250
│
│Total │
1 640│
1 880│
2 180│
2 600│
3 080│
3 650│
4 330 │
├────────────┼──────┼──────┼──────┼──────┼──────┼──────┼────────┤
│Region: │ │ │ │ │ │ │
│
│United
States 558│ 600│ 660│ 825│ 1
030│ 1
250│ 1 530 │
│Japan
│ 659│ 780│ 910│ 1
025│ 1
150│ 1
300│ 1 550 │
│Europe │ 375│ 450│ 550│ 650│ 800│ 950│ 1 100 │
│Rest of World 48│ 50│ 60│ 100│ 100│ 150│ 150 │
│Total │
1 640│
1 880│
2 180│
2 600│
3 080│
3 650│
4 330 │
├────────────┼──────┼──────┼──────┼──────┼──────┼──────┼────────┤
│Shipment: │ │ │ │ │ │ │
│
│Automotive │15
095│17
510│19
260│21
000│24
800│28
500│33 300 │ │Electronic │ │ │ │ │ │ │
│
│ Units
│11
718│14
430│18
490│23
000│27
750│32
950│38 850 │
│Other units
│ 5
366│ 6
650│ 8
340│10
950│14
200│17
600│21 650
│
│Total │32
179│38
590│46
090│54
950│66
750│79
050│93
800 │
│
│ │ │ │ │ │ │
│
└────────────┴──────┴──────┴──────┴──────┴──────┴──────┴────────┘
Note:
colums may not add to totals shown due to rounding.
Source: Dataquest Inc., September 1986, cité par
Stauffer, 1986, p. 10.
_________________________________________________________________
De plus, si l'on
considère que l'industrie électronique peut fabriquer ses propres robots, ce qui
a déjà commencé, elle pourrait même dépasser l'industrie automobile à ce
chapitre bien avant 1995. A titre d'exemple:
A Bordeaux, en France,
des robots I.B.M. assemblent des composantes pour les grands ordinateurs I.B.M. A
Poughkeepsie, dans l'Etat de New‑York, des
centaines de milliers de connexions
de circuits imprimés sont testés
automatiquement en quelques heures.
A l'usine de Fujisawa,
au Japon, des composantes entrant dans la fabrication des unités de disques 3380 sont
en partie testées par des systèmes
automatisés.
(I.B.M., 1983, p. 7)
C'est donc dire que la robotique fera des pas de
géants dans ce secteur au cours des prochaines années.
Cependant, si les
secteurs automobiles et électroniques compteront chacun pour le tiers du marché
de la robotique en 1995, les autres secteurs industriels représenteront tout de
même le dernier tiers de ce marché. Puis, après 1995 ils pourront même le
dépasser, car c'est dans ces secteurs que se trouve le potentiel de
développement futur de la robotique, l'automobile étant déjà fortement robotisé
‑‑ elle ne représentera alors qu'une demande de renouvellement ‑‑ et
l'électronique étant pour une part autosuffisante ‑‑ les robots représentant une de leurs
productions. C'est là un point essentiel, car s'il y a des entreprises modernes
et de pointes dans ce marché potentiel (par exemple la construction de
machine‑outil et l'aéronautique), il y a aussi des firmes de secteurs plus
traditionnels. Par exemple M. Raynald Roy, Ingénieur chez Recherche et
Développement en Robotique Roy Inc. (R.D.R.R.), une P.M.E. de la région de
Montréal qui fabrique des robots et fait de la consultation en robotique, nous a
entre autres mentionné le cas d'une P.M.E. qui utilise des robots Roy pour
manipuler des feuilles de métal qui doivent être coupées par des machines
automatiques en vue de la fabrication de cheminées de tôle. (6) D'autres
entreprises, autant des P.M.E. que des grandes firmes, utilisent aussi leurs
robots pour des travaux aussi divers que de l'empaquetage, de la soudure, de
l'inspection, de la coupe de tissus ou de verres, etc. En conséquence on peut
croire que le robot, comme tout autre outil, n'est pas exclusif à un secteur
industriel ou à des entreprises d'une certaine taille. Il est possible de le
retrouver aussi bien dans une P.M.E. qu'une F.M.N., car son
_________________________________________________________________Tableau
IX: Part du marché de la robotique
que représentent
différents secteurs industriels
(1985‑1991)
┌──────────────┬─────┬─────┬─────┬─────┬─────┬─────┬─────┐
│ Industry │
1985│
1986│
1987│
1988│
1989│
1990│
1991│
├──────────────├─────┼─────┼─────┼─────┼─────┼─────┼─────┤
│ Automotive │
58 %│
56 %│
52 %│
46 %│
45 %│
42 %│
41 %│
│
│ │ │ │ │ │ │ │
│ Electronic │
23 %│
24 %│
26 %│
29 %│
29 %│
30 %│
30 %│
│
│ │ │ │ │ │ │ │
│ Other
│
19 %│
20 %│
22 %│
25 %│
26 %│
28 %│
29 %│
│
│ │ │ │ │ │ │ │
│ Total
│100
%│100
%│100
%│100
%│100
%│100
%│100
%│
└──────────────┴─────┴─────┴─────┴─────┴─────┴─────┴─────┘
Source: calculé d'après les données du tableau
de Dataquest Inc.,
september 1986, cité par Stauffer, 1986, p. 10,
et reproduit en
page 87 de cette étude. (Tableau
VIII)
Tableau X: Part estimée* du marché de la
robotique que
représentent différents secteurs industriels
entre 1992 et 1995.
┌──────────────┬────────┬────────┬────────┬────────┐
│
Industry │ 1992 │ 1993 │ 1994 │ 1995 │
├──────────────┼────────┼────────┼────────┼────────┤
│
Automotive │ 39 % │ 37 % │ 35 % │ 33 % │
│
│
│
│
│
│
│
Electronic │ 31 % │ 32 % │ 33 % │ 34 % │
│
│
│
│
│
│
│
Other
│ 30 % │ 31 % │ 32 % │ 33 % │
│
│
│ │
│
│
│
Total
│
100 % │
100 % │
100 % │
100 % │
└──────────────┴────────┴────────┴────────┴────────┘
* Prévision avec une baisse annuelle du marché
de la robotique de
2% par an dans le secteur automobile et une
hausse de 1% par an
de celui de l'électronique entre 1992 à
1995.
Source: Fait à partir des données des tableaux
VIII et IX de
cette étude.
_________________________________________________________________
utilisation dépend d'abord du travail à faire.
Seul le nombre de robots utilisés et le travail qu'ils font peut différer selon
le secteur de production et la taille des entreprises
utilisatrices.
Cependant, les robots
ne sont qu'un des types d'équipements automatisés qui existent sur le marché.
S'ils sont les plus remarqués, vu leur connotation futuriste, ils ne sont pas
les seuls. Ainsi, si certaines entreprises n'ont pas recours aux robots cela ne
signifie pas pour autant qu'elles ne sont pas automatisées. Loin de là
d'ailleurs, car ces entreprises peuvent avoir recours aux systèmes de production
intégrée. Ceux‑ci sont d'ailleurs beaucoup plus spectaculaires que les robots,
même si l'on en parle beaucoup moins. C'est ce qu'il nous faut voir maintenant.
Les systèmes de
production intégrée, comme les robots, peuvent se retrouver dans toutes les
entreprises peu importe leur secteur d'activité ou leur taille. En voici des
exemples variés. Ce sont les tours automatiques, les affûteuses à contrôle
numérique, et les pollisseuses automatiques dans l'industrie automobile. (Chen,
Eisley, Liker, et al., 1984) Ce sont les assembleuses automatiques dans
l'industrie du meuble, qui assemblent un meuble de cuisine en soixante secondes
avec l'aide d'un seul homme pour recharger la machine en pièces. (7) Ce sont les
équipements automatiques qui servent à cuire, couper, et empaqueter les pains et
les gâteaux en processus continu dans les boulangeries modernes. (Hirschhorn,
1986) Ce sont les presses lithographiques électroniques, comme celle de la
Ronalds de Montréal qui a une capacité d'impression de 10 millions d'imprimés
couleurs par jour.(8) C'est le projet du "Centre de tri de bouteilles
entièrement automatisé" de la firme Molson dont l'ouverture est prévu pour 1989.
(9) C'est aussi la production de plastique, de papiers, et de batteries en
processus continu pour ne nommer que celles‑là. (c.f. Tableau XI, p. 100)
_________________________________________________________________
Tableau XI: Technique de fabrication pour
certains produits aux Etats-Unis.
_________________________________________________________________
Name
Code* Plant
Technology
-----------------------------------------------------------------GM
Battery F/NU Batteries Continuous
process
Familly
Food
F/NU Food
Continuous process
Fall
Mills
F/NU Paper
products Continuous process
Scott
Compressor F/NU Machining Partly
continuous
Fuel
Inc.
P/U Gas
Continuous process
Reading
Meat
F/U
Meat
Mechanical
Office
Inc.
P/U
Data/typing
Computer work stations Smart
Chem
P/NU
Plastics
Continuous process
New
Chem
P/NU Plastics
Continuous process
Big
Chem
F/U
Plastics
Continuous process
Little
Chem
F/NU
Plastics
Continuous process
Trucking
Inc.
F/U
Warehousing
Manual, Assembly
Farm
Inc.
P/NU Farm
products
Mechanical/Partly
continuous
South
Mack
F/NU Ball
bearing
Mechanical/partly
continuous
City Bureau
[of]
Springfield
Ohio P/U Service
Craft
Household
Inc. P/U Consumer pro- Varied
ducts
Sound
Inc.
P/NU
Electronic
Assembly
components
Oil
Inc.
P/U
Oil
Continuous process
General
Foods
F/NU Pet
Food
Continuous process
Paper Inc. (1)
P/NU Paper
Continuous process
Paper Inc.
(2) F/U Paper
Continuous process
Electronics
Inc. F/NU Circuits
Continuous process
-----------------------------------------------------------------*Code:
F=Full sociotechnical design
P=Partial
sociotechnical design
U=Union
plant
NU=Non
Union plant
_________________________________________________________________Source:
Hirschhorn, 1986, p. 122.
_________________________________________________________________
Ainsi, la production
automatique n'est pas l'affaire
exclusive de la robotique, ce que laissent trop
souvent entendre les auteurs. Elle n'est pas non plus affaire de secteur
industriel, ces équipements se retrouvant dans tous les
types d'entreprises. En fait, l'usage de la
robotique ou des
systèmes de production intégrée est d'abord
affaire de travail, car ce n'est pas un secteur entier que l'on automatise, mais
des tâches particulières à l'intérieur des entreprises. C'est la soudure dans
l'automobile, le collage de tissus dans le vêtement, le tournage d'outils dans
les ateliers d'usinage et d'outillage ("machine shop" ou "machine tool"). En
conséquence, le nombre de postes automatisables dans chaque industrie et dans
chaque entreprise varie fortement d'un cas à l'autre. Ainsi, en France, la
transformation des métaux est 9 fois plus automatisée que l'aérospatiale, qui
est pourtant un secteur d'avant‑garde. (c.f. Tableau VII, p. 95) Et d'une
entreprise à l'autre, dans un même secteur, ces taux peuvent fortement varier
selon la spécialisation de chacune des entreprises en cause; leurs capacités
d'investir dans ces équipements; et le degré de standardisation du travail qui
s'y fait.
Conséquemment, s'il
n'y a pas de limite aux secteurs qui peuvent avoir recours aux automatismes
industriels, il y a par contre une limite aux automatismes auxquels un secteur
peut avoir recours. Des secteurs auront plus ou moins d'équipements automatisés
selon le degré de standardisation de leur processus de production et les
quantités à produire. C'est ainsi, par exemple, que dans l'industrie automobile,
où les tâches sont déjà bien délimitées et le travail standardisé (par le
fordisme), il peut y avoir davantage d'automates que dans la production
aérospatiale, où chaque travail représente souvent un nouveau défi tant pour les
ingénieurs que les ouvriers. Cela est clair.
Enfin, une dernière remarque s'impose.
Nous croyons que les taux statistiques d'automatisation des différents secteurs
manufacturiers sont trompeurs. Deux
causes tendent à expliquer ce phénomène.
Premièrement, ces taux
concernent trop souvent les seuls robots et ne tiennent pas compte des systèmes
de production intégrée, ce sur quoi nous avons insisté plus haut. Ainsi tout un
secteur des automatismes industriels est oublié. Et pourtant ces équipements
sont d'un poids important dans l'organisation du travail et la structure de
l'emploi. Par exemple, quand les T.U.A. parlent du déplacement de 3 800 ouvriers
du secteur automobile à cause de l'usage de 2 100 robots (Mc Queen, 1986), c'est
beaucoup en nombre réel. Mais en proportion cela ne représente que 1,8 hommes
par robot (10), ce qui est peu comparativement aux effets des systèmes de
production intégrée qui peuvent déplacer jusqu'à 10 ouvriers par machine. Pourtant on parle moins de ces derniers
déplacements. C'est peut‑être parce qu'ils concernent souvent des P.M.E., comme
les ateliers d'usinage, et sont alors moins spectaculaires en nombre réel.
Néanmoins ils sont tout aussi impressionnants. Par exemple la Yamazaki Machinery
Corporation du Japon soutien qu'avec son système de 18 machines outils un
atelier d'outillage peut fabriquer 74 produits en 1 200 variantes avec 12
opérateurs seulement, ce qui constitue une forte baisse de l'emploi
comparativement aux 68 machines et 250 employés qu'exigerait une installation
classique pour exécuter un travail similaire. (11)
Deuxièmement, quand
les statistiques montrent le secteur automobile comme étant le plus automatisé,
cela est vrai en terme d'unité de robots et autres équipements. On ne peut le
nier. Cependant, au niveau de la proportion de la production faite de manière
automatique ce n'est pas le secteur le plus automatisé. En effet, une large part
du travail y est encore faite de manière manuelle ou mécanique. Par contre,
d'autres secteurs, où il y a parfois moins d'équipements, travaillent en
processus continu. C'est notamment le cas dans les ateliers d'usinage, là où
l'on a recours aux systèmes comme ceux de la Yamazaki, même si ce sont des
P.M.E. L'électronique est aussi très automatisée. Par
exemple
les calculatrices Sharp sont fabriquées sur une
chaîne entièrement automatique qui les produit au "rythme
exceptionnel
d'une unité par seconde". (12) Ainsi, en
confondant automatisation et quantité d'équipements automatiques, les
statistiques cachent certains secteurs qui sont fortement automatisés au dépend
d'autres secteurs qui n'ont parfois pas encore atteint un tel degré
d'automatisation même s'ils ont quantitativement davantage d'équipements. C'est
là un point essentiel, car il montre qu'il faut être prudent dans
l'interprétation de toutes les données que l'on trouve sur l'automatisation des
industries.
En conséquence, nous
pouvons conclure que l'automatisation de la production et du travail n'est ni
affaire de taille ni de secteur industriel. Elle est affaire de tâches. Si
certaines opérations sont assez standardisées pour être maîtrisées par des
outils automatiques elles seront alors technicisées, ce qui peut aussi bien se
faire par la robotique que par les systèmes de production intégrée. Les robots
ne sont donc pas seuls, ce que trop d'auteurs oublient. C'est là un fait dont on
doit tenir compte, car il a un impact sur la qualité et la quantité du travail,
les deux thèmes qui suivent.
3.3. Equipements automatiques et organisation du
travail
Avec l'entrée des
outils programmables et automatiques dans les ateliers certains spécialistes de
l'organisation du travail s'attendaient à ce que l'O.S.T. y revienne en force et
à ce que l'homme soit davantage asservi à la machine, car "quand [les patrons
disposent d'un] bon bâton, pourquoi partager les carottes?" (Vaillancourt et
Vaillancourt, 1981, p. 48). Mais de récents travaux semblent montrer qu'on est
loin de cette déqualification. (Coriat, 1983; Coriat et de Terssac, 1984; Kern
et Schumann, 1984) Qu'en est‑il au juste? C'est ce à quoi nous allons tenter de
répondre ici.
Au niveau de la
production, l'introduction des nouveaux équipements programmables s'accompagne
souvent d'un virage au niveau de l'organisation du travail, sinon à quoi
serviraient des équipements polyvalents si les ouvriers ne sont pas eux‑aussi
polyvalents; s'ils ne peuvent s'adapter aux changements du produit; et, surtout,
s'ils ne peuvent résoudre rapidement les problèmes qui se posent sur leur
machine au risque de la voir gravement endommagée. En conséquence les nouvelles
formes d'organisation du travail y semblent avantageuses, car elles permettent
d'utiliser au mieux ces équipements et les connaissances des ouvriers. C'est ce
que nous allons d'abord vérifier ici. Après, nous regarderons ce qu'il en est
pour les professionnels d'entretien et si ces N.F.O.T. s'appliquent
indistinctement pour tous les ouvriers qui travaillent sur ces
équipements.
Premièrement, il
semble que les N.F.O.T. permettent d'accroître la productivité des équipements
en alliant la productivité du travail vivant à celle des machines. Ainsi, les
ouvriers qui travaillent sur les systèmes automatiques et programmables peuvent
faire des tâches connexes à leur fonction d'opérateur telles que les
changements, réglages, et ajustements d'outils; le nettoyage de leur aire de
travail; et les réparations lors d'un dysfonctionnement mineur. Par exemple au
Dearborn Engine Plant (D.E.P.) de Ford, les ouvriers qui s'occupent du
"polissage des vilebrequins" ("crankshaft grinding") font aussi d'autres
opérations qui sont complémentaires à leur travail:
Beyond a
few isolated cases (e.g., the insertion of worker to visually inspect the newly
ground crankshafts) each person in
grinding is a generalist who sets up the machine, checks gauging, change tools, inspect the work,
loads and unloads crankshafts as
necessary, and has four, not one, machines to tend. The person
who mounts the grinding wheel
also does cleanup and other odd jobs. (Chen, Eisley, Liker, et al., 1984, p.
51)
Il y a donc élargissement des tâches et
rationalisation des opérations par rapport à l'ancien système, où l'opérateur
n'avait qu'à faire fonctionner sa machine et à attendre après l'ajusteur pour
effectuer ses réglages, le "stock handler" pour le libérer du travail fini et
lui apporter d'autres pièces, et le nettoyeur pour entretenir son espace de
travail.
Deuxièmement, ces
formes d'organisation du travail offrent un avantage au niveau de l'utilisation
des systèmes automatiques, car les opérateurs, ayant une qualification élargie,
peuvent prendre en charge le travail de leurs confrères lorsque ceux‑ci sont
absents ou en pause sans que la production ne soit perturbée ‑‑ sauf en quelques
cas comme lors d'un dysfonctionnement majeur. Il en résulte alors une
augmentation de la productivité, les machines étant continuellement en
opération. C'est notamment l'un des buts recherchés par la polyvalence des
tâches dans l'industrie automobile. (Bonnafos, Chanaron, et de Mautort, 1983;
Chen, Eisley, Liker, et al., 1984)
Troisièmement, avec
les outils programmables il devient souhaitable qu'un ouvrier agisse rapidement
sur sa machine en cas de pépin, car tout arrêt de celle‑ci peut entraîner le
blocage ou un bris de la chaîne, chacun de ses éléments étant interreliés. En
conséquence, l'ouvrier doit être assez qualifié pour agir en temps voulu,
parfois avant même que le dysfonctionnement ne se produise, à la simple vue du
risque. (Coriat, 1983) De cette façon l'ouvrier contribue à accroître la
productivité de l'entreprise en empêchant que trop de pièces ne soient manquées.
Ainsi au D.E.P. de Ford l'utilisation des N.F.O.T. avec les systèmes
automatiques a permis d'abaisser les taux de réparation des moteurs à moins de
7% par année, pour une amélioration annuelle de 25%. Et pour 1986 l'entreprise
se fixait comme but d'atteindre un taux de 3% par an, soit le niveau atteint par
les japonais. (Chen, Eisley, Liker, et al., 1984)
Quatrièmement, ces
formes d'organisation du travail assurent une qualité comparable du travail
manuel et automatique, car elles contribuent à améliorer la qualité du travail
manuel. Par exemple, à mesure que l'industrie automobile s'automatise, les
N.F.O.T. y font des entrées de plus en plus importantes pour assurer une qualité
comparable entre le travail manuel et celui fait par les machines. Ainsi, dans
le projet de l'Autoplex de G.M. à Oshawa (Ontario):
The
assembly operations will be redesigned, all but eliminating the traditional assembly line and
replacing it with computer‑controlled
automatic guidance system. These will move
cars to a series of work islands, each of which will be manned by "employee clusters" of eight
to 15 workers. Only when each team
is satisfied with the quality
of its work will the vehicule proceed to the next island. The upgrading also involves the
installation of 750 robots
and the restructuring of supply methods so that the majority of parts will arrive on
a just‑in‑time basis. (Mc Queen,
1986, p. 33)
Il en ressort que les
outils programmables et automatiques,
loin de tracer une limite à l'application des N.F.O.T. peuvent les
favoriser. Il arrive même que l'entreprise devienne "dépendante" de ses ouvriers
spécialisés, même si leur qualification fut acquise sur le tas. Ainsi, au
D.E.P. de Ford:
At least one worker
explained (with obvious pride) that on several occasion he has been called
in from vacation to get his machine
running again after a serious breakdown. (Chen, Eisley, Liker, et al., 1984, p.
94)
Ensuite c'est au
niveau des professionnels d'entretien que des changements à l'organisation du
travail sont apparus. Ceux‑ci se situent au niveau de leur qualification et de
leur autonomie.
D'abord, il semble que
les outils programmables et automatiques ont pour effet d'accroître la
qualification de ces ouvriers. En effet, si d'un côté les opérateurs de ces
équipements assurent une part du travail qui était auparavant dévolu à ces
professionnels (réglages, ajustements, et réparations mineures), de l'autre ces
professionnels doivent
dorénavant assurer des tâches plus complexes et
faisant appel
à une qualification accrue, ces équipements
étant plus sophistiqués et intégrant des principes informatiques et
des
applications de "l'intelligence artificielle":
vision artificielle, senseurs de chaleur, adaptation automatique à
une
variation de modèle sur une chaîne de montage,
etc. Par exemple dans l'industrie automobile:
Les travailleurs du
service entretien deviennent des généralistes capables de
dépanner des pannes
électro‑mécaniques, mécaniques, hydrauliques, pneumatiques et possèdent un niveau de baccalauréat
technique, voir de BTS. Ceux du service
central possèdent un niveau supérieur au BTS et réparent les pannes
complexes et celles qui
affectent le calculateur des machines. (Bonnafos, Chanaron, et de Mautort, 1983, p. 73)
Ainsi les nouveaux équipements, loin d'enlever
la qualification et le statut des professionnels, les bonifient. Ils deviennent
plus important, car c'est sur eux que repose le caractère continu des chaînes de
montage. Par exemple chez
Ford:
Skilled trades workers
(...) occupy a unique position. They
are vital to the efficient functionning of the plant and its hundreds of millions of dollars equipment. (...)
To recognize their special
skills and to avoid losing them to a labor market perennially in
demand of skilled labor, Ford
pays a substential wage differential to tradesmen. Thus, training and pay set skilled
tradesmen apart from other hourly
employees. (Chen, Eisley, Liker, et
al., 1984, p. 69)
Cependant, en
contrepartie à cette hausse de qualification, les professionnels ont vu leur
autonomie décroître, car avec les nouveaux systèmes automatiques ils deviennent
partie intégrante de l'organisation productive du travail, la productivité de
ces équipements dépendant de leur vitesse d'intervention. C'est là un élément si
important que dans plusieurs entreprises les employés d'entretien ont perdu le
privilège d'un local à part et leur indépendance pour être positionné près des
chaînes automatisées, "sous la dépendance hiérarchique de la maîtrise de
fabrication" (Bonnafos, Chanaron, et de Mautort, 1983, p. 74). Mais ce qui est
plus important encore, c'est le fait que plusieurs firmes
pensent
maintenant spécialiser le travail de ces
professionnels selon
les machines et les niveaux de pannes. Ainsi
dans l'industrie
automobile l'idée fut émise d'intégrer une
alarme aux machines qui appellerait le premier niveau des agents d'entretien en
cas de panne et une seconde alarme qui en appellerait le second niveau si elle
n'est pas réparé en temps voulu, ce qui signifierait que la panne était trop
complexe pour eux ou
qu'ils n'ont pas travaillé assez vite.
(Bonnafos, Chanaron,
et de Mautort, 1983) C'est là un point
fondamental, car dans
les industries modernes, où le ratio
capital/travail est
élevé, ce n'est pas le non travail de ces
professionnels qui
est coûteux (peu importe leurs salaires) mais
l'arrêt des
machines. (Levinson, 1976) On ne cherche donc
pas un travail
constant de leur part, mais un travail rapide,
ce qui explique leurs pertes d'autonomie.
Les outils
programmables ne sont donc pas une limite à l'utilisation des N.F.O.T. Au
contraire, ils semblent en favoriser l'usage. D'ailleurs notre tableau XI (p.
100) le montre bien, car toutes les entreprises manufacturières utilisant le
processus continu utilisent soit une approche socio‑technique, soit une approche
partiellement socio‑technique. Si tel est le cas, c'est qu'en améliorant la
productivité des hommes les N.F.O.T. contribuent en même temps à accroître celle
des machines, car si les ouvriers ne peuvent assurer le rythme de ces
équipements ceux‑ci deviennent alors moins productif que les anciennes méthodes
d'où des pertes pour l'entreprise.
D'un autre côté ces
équipements contribuent aussi à améliorer les conditions de travail des ouvriers
en prenant en charge certaines tâches ardues et dangereuses. C'est
particulièrement le cas pour les manipulations dans
l'industrie
nucléaire, le travail de forge dans l'industrie
mécanique, et
la peinture dans l'automobile. (Coriat, 1983) En
ce sens elles complètent les nouvelles formes d'organisation du travail en
libérant l'ouvriers de tâches ardues. Mais ce n'est là qu'un bien mince bénéfice
pour les ouvriers comparativement aux gains de productivité qu'en retirent les
entreprises.
Par contre, et malgré
ces aspects positifs, il ne faut pas croire que les nouvelles formes
d'organisation du travail s'appliquent partout où il y a des outils automatiques
et programmables. Deux faits le montrent, tel que nous l'avons vu au chapitre
précédent.
D'une part, dans les
secteurs traditionnels et à main‑d'oeuvre dominante, comme le vêtement et le
meuble, il y a moins de chance de voir ces N.F.O.T. s'appliquer même s'il y a des outils automatiques, car le
pouvoir des entreprises de ces secteurs se fonde sur la division du travail, vu
la possibilité plus grande que des ouvriers puissent mettre sur pied des
entreprises concurrentes avec un faible apport en capital s'ils connaissent le
métier, et sur l'embauche d'une main‑d'oeuvre faiblement qualifiée, donc plus
facile à remplacer en cas de roulement élevé. (Marglin, 1973; Barnet et Muller,
1974; Levinson, 1976; Frobel, Heinrichs, et Kreye, 1981; Meadows, 1984) De plus,
le paiement de salaires plus faibles, dû en partie aux marges de profits inférieures de ces
secteurs et à la plus forte concurrence qu'ils subissent de la part
d'entreprises de la Périphérie qui bénéficient de conditions socio‑économiques
et politiques plus avantageuses que les leurs, ne favorisent pas la
revendication de meilleures conditions intrinsèques de travail de la part des
ouvriers. En effet, ceux‑ci cherchent d'abord à accroître leurs salaires, pour
améliorer leur niveau de vie, avant de vouloir améliorer leurs conditions de
travail. (Tausky, 1970; Durand, 1978; Ronen et Sadan, 1984)
D'autre part, dans les
cas où les N.F.O.T. peuvent s'appliquer, comme dans les entreprises des secteurs
modernes et de pointes, où les machines protègent les entreprises contre une
possible concurrence de la part des ouvriers et où les salaires sont plus
élevés, ce qui y favorise davantage la revendication de meilleures conditions
intrinsèques de travail, les N.F.O.T. ne s'appliquent pas nécessairement. En
effet, seule la direction de l'entreprise ‑‑ le "management" ‑‑ est libre de
juger si elle utilisera ou non ces formes d'organisation du travail, car pour
chaque machine plusieurs formes d'organisation du travail sont possibles. (Emery
et Trist, 1960; Durand, 1978; Hill, 1982) Ainsi, le fait de répondre à toutes
les conditions pour pouvoir appliquer les N.F.O.T. n'est pas davantage un
incitatif à les utiliser. Celles‑ci relèvent d'abord et avant tout de la volonté
des directions d'entreprise de les mettre en application.
C'est
là un point essentiel à
retenir.
Enfin, il faut
souligner que si ces équipements semblent favoriser une requalification du
travail ouvrier, dans d'autres cas ils contribuent plutôt à une déqualification
de celui‑ci. Cela peut se faire par l'apparition d'un néo‑taylorisme,
l'appropriation de certaines tâches qualifiées par les machines, et, finalement,
les déplacements d'emplois.
D'abord, les systèmes
intégrés de production non flexible favorisent l'apparition d'un néo‑taylorisme
en n'exigeant de l'ouvrier qu'une présence d'appoint pour voir à ce que la
machine ne manque pas d'être approvisionnée en "matières premières"; à ce que le
produit qui en sort soit bien expédié aux autres postes de travail; et à ce
qu'il y ait quelqu'un pour "donner l'alarme" en cas de difficulté. Ainsi au
travail parcellaire se substitue un simple rôle de surveillance et de
manutention, ce qui n'exige pas davantage de connaissance qu'avec l'O.S.T. C'est
par exemple le cas dans le meuble, où:
"Une machine prend les
éléments directement à la sortie de
la tenonneuse, prend dans une trémie les parties métalliques, les insère, visse ou cloue,
et éjecte une étagère
terminée sur un tapis roulant à une cadence de sept à dix à la minute ‑‑ on n'a
besoin que d'un seul opérateur
pour recharger les trémies et les cloueuses. [U.S. Dept. of Labor, Technological
trends in major american industries, bulletin no. 1 474,
Washington, 1966, pp. 45‑6, cité par Braverman, 1976, p. 175]
Ce l'est aussi dans le verre, où, par exemple,
les ouvriers de la Saint‑Gobain doivent fournir des machines qui produisent au rythme de 100 000 à 110
000 flacons de pénicicilines en huit heures. (Durand,
1978)
Ensuite, les robots
menacent de plus en plus les emplois qualifiés à mesure que leur technologie
progresse. Par exemple ceux‑ci sont dorénavant capable de faire des tâches
d'inspection avec des système de mesure au laser, ce qui élimine des postes
d'inspecteurs. Ainsi Shaiken rapporte que chez G.M. des robots "équipés de
télémètre à laser [vérifient maintenant] les dimensions finales des
carrosseries" (1986, p. 169), d'où une perte de travail qualifié pour les
ouvriers.
Enfin, en déplaçant
des ouvriers les équipements automatiques et programmables contribuent à une
déqualification générale du travail. Cela se fait de deux façons.
D'une
part, avec la pénétration des nouveaux
équipements dans les
ateliers, le travail moyennement qualifié voit
sa part décroître au profit du travail peu qualifié (servir une machine en
pièces) et très qualifié (programmation, vérification, et entretien de
l'équipement). (Hansen et Lund, 1986) D'autre part, en éliminant des emplois,
l'automatisation contribue à une déqualification générale du travail, car les
ouvriers qui perdent leur emploi ont davantage de chance de se trouver un emploi
moins qualifié que celui qu'ils ont perdu qu'un emploi équivalent ou supérieur.
Comme le dit Shaiken sans équivoque, les ouvriers déplacés par les robots ont
davantage de chances de "tenir la caisse électronique chez Mc Donalds [que de]
travailler sur des logiciels chez Wang". (1986, p. 182)
Ainsi, si les
équipements automatiques ont des effets positifs sur l'organisation du travail,
ils ont aussi leur contre‑partie négative. Et si tel est le cas c'est que le but
de ces équipements n'est pas de rendre les ouvriers heureux, mais de rendre le
travail plus productif et moins coûteux pour l'entreprise. Alors, peu importe
qu'une tâche soit ardue ou qualifiée, elle sera automatisée s'il est à la fois
possible et rentable de le faire. C'est là le but de ces équipements. (Shaiken,
1986)
En conséquence, si les
N.F.O.T. sont dépendantes des systèmes automatiques de production tel que nous
l'avons dit au chapitre précédent, l'inverse n'est pas vrai. Les systèmes
automatiques peuvent fonctionner avec ou sans ces formes
d'organisation du travail. Cependant, dans les
cas où celles‑ci sont préférables pour des motifs d'efficacité et de
rentabilité, elles seront utilisées. Ces stratégies productives ne s'opposent
donc pas tel que nous nous y attendions au départ, mais se complètent. Néanmoins
cela ne semble pas un motif suffisant pour amener toutes les entreprises à les
utiliser. Cela dépend du secteur industriel et de la volonté des directions
d'entreprises à vouloir les appliquer. C'est là un point
essentiel.
On ne peut pas
davantage conclure à une requalification ou une déqualification du travail
humain, car ces deux tendances sont présentes dans l'utilisation de ces outils.
Tout ce qu'on peut dire c'est que ces outils servent à accroître la
profitabilité du travail humain et que si pour atteindre ce but certaines tâches
doivent être requalifiées elles le seront
et si elles doivent être déqualifiées elles le seront aussi. Seul
l'avenir nous dira si l'une de ces deux tendances prendra le dessus sur
l'autre.
Pour notre part nous
croyons à la poursuite de ces deux tendances à la fois. Pour certains travaux
spécialisés les ouvriers devront être qualifiés. Ce sera par exemple le cas pour
les productions en petites série, comme chez Outil Coupant International, ou
pour des pièces qui doivent répondre à des critères élevés de qualité, comme
dans l'automobile. Pour les travaux exigeant moins de précision on assistera
plutôt à une déqualification du travail, l'ouvrier n'ayant qu'à approvisionner
une machine en pièces et à sonner une alarme en cas de pépin. C'est notamment le
cas dans la menuiserie et pour certaines productions du verre tel que nous
l'avons vu plus haut.
La seule certitude que
nous avons ici est qu'il y aura déqualification pour les ouvriers qui perdront
leur emploi à cause de ces équipements, car les nouveaux emplois qui seront
créés seront soit trop qualifié pour eux (emplois spécialisés), soit moins
qualifié que celui qu'ils auront perdus (emplois de journalier, de manoeuvre, ou
d'entretien) et souvent temporaire. Ainsi, si le bilan de l'automatisation peut
être positif pour les ouvriers qui conserveront leur travail, il le sera
probablement moins pour ceux qui le perdront.
Une dernière question
se pose: quel est l'impact de ces outils et de la nouvelle organisation du
travail sur la quantité de travail? C'est là une question importante, car cette
hausse de productivité, si elle est due aux machines, n'est pas due qu'à
celles‑ci. Elle est aussi redevable aux réaménagements de l'organisation du
travail qui ont accompagné leur entrée dans les entreprises. C'est ce qu'il nous
faut voir maintenant.
3.4. L'impact des outils automatiques et
programmables sur l'emploi
L'apparition des
premiers équipements automatiques au cours des années 60 n'a pas immédiatement
soulevé de craintes de la part des ouvriers, cette arrivée se faisant en période
d'expansion économique et de "plein emploi". Cependant, l'arrivé des robots à la
fin des années 70 et au début des années 80 a pour sa part constitué un
échappatoire pour toutes les craintes accumulées jusqu'à ce jour face aux
automatismes industriels. Deux causes l'expliquent. D'abord, il y a le nom même
de robot qui laissait présager, par la littérature et les films de science
fiction, l'apparition d'outils qui pourraient remplacer l'homme dans toutes ses
tâches. Ensuite, comme ces outils sont apparus dans une période de crise
économique, déjà au prise avec le problème du chômage, ils ont accentué les
craintes déjà présentes de voir l'emploi décroître drastiquement. Il n'y avait
plus rien de rassurant. Mais, en même temps, les "gourous" de la robotique
voyaient dans ces nouveaux équipements les sauveurs de
l'économie
moderne. Qu'en est‑il réellement? C'est ce qu'il
nous faut voir ici.
Si l'on observe
l'évolution "démographique" des robots entre 1970 et 1982, on constate qu'elle
fut plutôt lente. Selon l'O.C.D.E. (c.f. Tableau XII et XIII, p.117) on en
comptait seulement 1 000 en 1970 pour le monde (ce qui peut même être
surreprésentatif vu les différentes définitions utilisées), 3 500 en 1974, 13
734 en 1980, et 31 000 en 1982. Ainsi considéré le robot ne semble pas des plus
menaçant. Mais c'est là un paradoxe.
En effet, si l'on
considère ces données sur la base des Etats‑nations on s'aperçoit que certains
pays, le Japon et les Etats‑Unis en particulier, possèdent plus de robots que
d'autres, ce qui y représente davantage une menace à l'emploi. Pourtant, dans le
cas du Japon cette menace ne semble pas s'être concrétisée, car ce pays a vu sa
productivité croître de 2,8% par année en moyenne entre 1973 et 1983 pendant que
son taux de chômage est demeuré stable à 2,0% par an. (13) Cependant, ces
données doivent être manipulées avec soin comme le dit Ichiyo, le directeur du
Pacific‑Asia Resource Center de Tokyo, car entre 1973 et 1979 le nombre de
travailleurs industriels japonais a diminué d'un million suite à des mises à la
retraite "forcée". (1984) Mais, comme cela se fait souvent sous le couvert de
départ volontaire, ceci fausse les statistiques officielles. (Ichiyo, 1984)
Ainsi, en terme réel, l'emploi peut avoir diminué plus qu'il ne l'est reconnu au
Japon et les processus d'automatisation
(robots et systèmes de production intégrée),
responsables des
hausses de productivité ne sont peut être pas
étranger à cette situation. Mais on ne peut l'affirmer, car les données
nationales recouvrent tous les secteurs industriels, ce qui contribue à cacher
bien des mouvements.
Des statistiques récentes sur la
productivité et l'emploi dans le secteur manufacturier de différents pays
tendent cependant à confirmer l'hypothèse d'une diminution de l'emploi liée à
l'automatisation. (c.f. Tableau XIV p. 118) Par exemple l'Italie et la Belgique, avec
des hausses de productivité de près de 13%, ont connu en même temps des baisses
d'emplois de 11 et 20%. La France, avec une hausse de productivité de 9,6%, a pour sa part connu une baisse
d'emploi de 13,2%, et les Etats‑Unis, avec une hausse de productivité de 17,9%,
ont connu une diminution de l'emploi de 1%. On peut alors croire à un effet
négatif des équipements automatiques et des N.F.O.T. sur l'emploi, car en
agissant positivement sur la productivité, ils agissent négativement sur la quantité de travail. Seul le Japon a
connu une hausse notable de l'emploi (5,8%). Cependant,
comme
cette hausse est plus de dix fois inférieure à
la hausse de
productivité qu'il a connu sur la même période
(65,2%), ceci
laisse croire que l'automatisation y a tout au
moins supprimé des emplois potentiels, des emplois à être créés, sinon la hausse
d'emploi de l'industrie japonaise aurait été nettement supérieure à 6% avec une
telle hausse de productivité. Ces chiffres semblent donc confirmer ce que
plusieurs études disaient déjà. (Coriat, 1983; Shaiken, 1986) Ceci apparaît
logique:
Parce‑que son but est
de remplacer la main‑d'oeuvre par des procédés automatisés,
l'investissement dans l'innovation technologique engendre
finalement une baisse de l'emploi. Il est
vrai que l'investissement dans les unités à facteur capital dominant a pour effet immédiat de créer
de l'emploi, et donc de la demande de
consommation, pendant le stade de réalisation du projet. Cependant, dès que
l'unité devient
opérationnelle et commence à produire selon le programme prévu, l'effet à plus long
terme est une diminution nette de l'emploi. En effet,
le rapport capital/travail est plus
élevé dans la nouvelle unité que dans celle qu'elle remplace. (Levinson, 1976, pp.
52‑3)
Cependant, il faut
faire attention à ces données. Par exemple, si l'emploi diminue dans les
secteurs automatisés, comme l'automobile, mais s'accroît dans les secteurs peu
automatisés, comme la construction, les données nationales montreront une hausse
au niveau de l'emploi et de la productivité qui n'est pourtant pas liée. Et
l'inverse aussi est vrai. Il peut y avoir hausse d'emploi dans des secteurs
fortement automatisés, comme l'électronique, et baisse d'emploi dans des
activités peu automatisées, comme la chaussure, et les statistiques montreront
alors une baisse d'emploi et une hausse de productivité. On peut
_________________________________________________________________
Tableau XII: Estimation de la population
mondiale de robots: 1970‑1980.
────────────────┬───────────┬───────────┬───────────┬───────────┐
│ 1970 │
1974 │ 1978 │ 1980 │
Pays
│Nombre│
% │Nombre│
% │Nombre│
% │Nombre│
% │
────────────────┼──────┼────┼──────┼────┼──────┼────┼──────┼────┤
Japon
│ 161│16,1│
1 500│42,9│
3 000│37,5│ 6000│43,7│
Etats‑Unis │ 200│20,0│
1 200│34,3│
2 500│31,2│ 3500│25,4│
Suède
│ 55│ │ 135│ │ 490│ │
1 200│8,7
│
Allemagne │ │ │ 133│ │ 600│ │
1 133│8,2
│
Italie
│ │ │ 93│ │ 300│ │ 400│2,9
│
Royaume Uni │ │ │ 136│ │ │ │ 371│2,7
│
France
│ │ │ 30│ │ │ │ 200│1,4
│
Finlande
│ │ │ │ │ │ │ 130│0,9
│
Europe
│ │ │ 800│22,8│
2 000│25,0│ │ │
Autres pays │ │ │ │ │ │ │ │ │
occidentaux │ │ │ │ │ │ │ 300 │2,1*│
(dont Australie)│ │ │ │ │ │ │ (40│0,3)│
Pays socialistes│ │ │ │ │ │ │ 500│3,6
│
────────────────┼──────┼────┼──────┼────┼──────┼────┼──────┼────┤ MONDE
│
1 000│
100│
3 500│
100│
8 000│
100│13
734│100
│
────────────────┴──────┴────┴──────┴────┴──────┴────┴──────┴────┘
* Oublié dans la version originale.
(N.D.L.R.)
Source: O.C.D.E., L'incidence des équipements
industriels automatisés sur les industries manufacturières des pays membres,
1982, cité in Coriat, 1983, p.
39.
Tableau XIII: Estimation de la population
mondiale de robots:
1981‑1982.
┌───────────────────┐┌─────────────────┐┌───────────────────────┐
│
││ 1981 ││ 1982
│
├───────────────────┤├─────────────────┤├───────────────────────┤
│ Pays
││ Nombre ││ Nombre
│
├───────────────────┤├─────────────────┤├───────────────────────┤
│Japon
││ 9 500 ││ 13 000
│
│Etats‑Unis
││ 4 500 ││ 6 250
│
│Suède
││ 1 700 ││ 1 300*
│
│Allemagne
││ 2 300 ││ 3 500
│
│Italie
││
450
││ 790
│
│Royaume‑Uni
││
713
││ 1 152
│
│France
││
790
││ 950
│
│Pays‑Bas
││
62
││ ‑‑‑‑‑
│
│Monde (estimé) ││ 22 000 ││ 31 000 │
└───────────────────┘└─────────────────┘└───────────────────────┘
* Données révisées en baisse à la suite d'une
modification de
définition.
Source: O.C.D.E., 1983, p.
54.
Tableau XIV: Changement de la productivité et de
l'emploi
dans différents pays: 1977‑1984
┌─────────────┐┌────────────────┐┌─────────────┐┌───────────────┐
│
││ Changement en ││Changement
de││
Variation de │
│Pays
││ % de la pro‑ ││la
production││
l'emploi du │
│
││ duction du ││par
employé ││
secteur ma‑ │
│
││ secteur manu‑ ││en
%
││
nufacturier │
│
││ facturier ││
││
en %
│
└─────────────┘└────────────────┘└─────────────┘└───────────────┘
┌─────────────┐┌────────────────┐┌─────────────┐┌───────────────┐
│Japon
││ 65,2 ││ 56,2 ││ 5,8 │
│Danemark ││ 20,6 ││ 21,2 ││ ‑0,4 │
│Etats‑Unis ││ 17,9 ││ 19,2 ││ ‑1,0 │
│Italie ││ 13,1 ││ 27,3 ││ ‑11,1 │
│Belgique ││ 12,8 ││ 41,1 ││ ‑20,0 │
│Suède
││ 12,4 ││
27,2 ││ ‑11,6 │
│Pays‑Bas ││ 10,8 ││ 34,7 ││ ‑17,7 │
│Canada ││ 10,1 ││ 9,1 ││ 0,9 │
│France ││ 9,6 ││ 26,3 ││ ‑13,2 │
│Allemagne ││ 7,5 ││ 19,1 ││ ‑9,7 │
│Norvège ││ 1,2 ││ 17,9 ││ ‑14,2 │
│Royaume‑Uni ││ ‑7,6 ││ 22,7 ││ ‑24,7 │
└─────────────┘└────────────────┘└─────────────┘└───────────────┘
Source: Manufacturing Productivity Frontiers,
juin 1986, cité in Bulletin CAD/CAM, Conseil Canadien CAD/CAM, Ottawa, Sept.
1986, Tableaux 1, 2, et 3, pp. 6‑7.
_________________________________________________________________
alors difficilement parler d'une relation de
cause à effet entre la productivité et l'emploi à partir de telles données. On
peut par contre les considérer comme des indices, mais on se doit d'aller
beaucoup plus loin que ces simples chiffres nationaux dans l'analyse.
Si l'on regarde
ensuite ces données par secteur industriel on s'aperçoit alors que l'emploi
semble diminuer là où les systèmes automatiques sont utilisés en grand nombre.
C'est notamment le cas dans l'automobile, où des milliers d'emplois ont été
perdus au début des années 80 aux Etats‑Unis, en France, en Angleterre, en
Allemagne, et en Suède à cause de l'automatisation des entreprises. (F.I.O.M.,
1982; Coriat, 1983; Salzman, 1985) Même pour le Japon la F.I.O.M. dit qu'"on
peut difficilement s'attendre à une augmentation de la main‑d'oeuvre étant donné
la baisse de croissance de la production et la robotisation" (1982, p. 218).
En conséquence, on
peut croire que les équipements automatiques, grâce à leurs effets sur la
productivité, contribuent à une diminution de l'emploi là où ils sont utilisés.
C'est d'ailleurs ce que recherchent les entreprises, sinon à quoi servirait
d'investir dans ces équipements si aucunes économies ne leurs sont associées.
C'est ainsi que chez Renault "l'usinage des porte‑fusées R 9 s'effectue ‑‑ à
quantité de production égale ‑‑ avec une diminution du personnel voisine de 40%"
(Coriat, 1983, p. 111) et que chez Chrysler 98% des 3 000 soudures du modèle K
sont réalisées par des robots (Shaiken, 1986). D'ailleurs, selon une enquête
effectuée par la firme Hitachi dans 106 ateliers, "les réductions d'effectifs
s'échelonnent entre 40 et 70% suivant les types de fonction envisagés". (14)
L'effet net de l'automatisation est donc négatif. Comme Coriat nous pouvons dire
que "les emplois créés sont loin de compenser les emplois supprimés" et que
seule l'importance de ces pertes est discutable. (1983, p. 110)
Cependant, si dans
certains cas les entreprises choisissent de congédier leur personnel ainsi
libéré, ce ne sont pas toutes les firmes qui prennent cette décision. Certaines
d'entre elles en profitent plutôt pour mettre sur pied un autre quart de travail
et ainsi faire tourner leurs équipements plus longtemps. Cela est même
avantageux pour elle, car à masse salariale égale, la production peut être
doublée, d'où une hausse de productivité des plus profitable pour l'entreprise.
C'est notamment ce qui est arrivé aux firmes Thomson‑Angers (montage d'appareils
de télévision) et Leroy‑Somer (fabrication de moteurs électriques) de France ,
où le travail en deux équipes fut instauré avec le personnel libéré par
l'arrivée des nouveaux équipements, ce qui a permis de "rentabiliser ces
équipements" et d'accroître les bénéfices de ces entreprises selon Morville.
(1985)
Avec certains
réaménagements, il y a donc des possibilités de conserver les emplois même avec
l'entrée des automatismes industriels dans les entreprises. Parfois, suite
à l'amélioration de la qualité du
produit et à la hausse de demande qui en résulte, il y a même des occasions de
créer de nouveaux emplois. C'est notamment ce qui est arrivé suite à
l'automatisation de l'usine 599 de Buick: le travail y a afflué et l'entreprise
procéda alors à l'embauche de 300 personnes au lieu d'y faire des renvois.
(F.I.O.M., 1981) Cependant, si l'on considère le niveau de production atteint
l'on constate que moins d'ouvriers sont nécessaires à sa production qu'avec les
anciennes méthodes. Ainsi, pour ces emplois sauvegardés ou créés des emplois ont
été perdus ailleurs, dans d'autres installations nationales et étrangères, car
pour répondre à une demande donnée moins d'ouvriers sont nécessaires. Par exemple, alors que G.M. est
davantage automatisé que jamais auparavant, elle menace de fermer une dizaine de
ses usines en Amérique du Nord (les moins automatisées et les moins productives)
au nom de son efficience sur le marché mondial. (15) C'est donc dire que
l'automatisation n'est pas créatrice d'emplois quoi qu'en disent ses défenseurs.
Cependant, cela ne
constitue pas une raison de rejetter l'automatisation des entreprises, car si
elles ne s'automatisent pas et que des firmes étrangères le font, elles seront
alors dépassées par celles‑ci et perdront leurs marchés. Des emplois seront
ainsi perdus, davantage même que si elles s'automatisent. C'est notamment ce qui
est arrivé dans le cas de l'automobile au tournant des années 80, alors que les
entreprises américaines ont perdus une forte part de leurs marchés aux mains des
entreprises japonaises plus avant‑gardistes. (F.I.O.M., 1982) Ainsi, des 430 000
emplois perdus dans le secteur automobile américain au cours de cette période
(F.I.O.M., 1982), les robots seraient loin d'être les seuls responsables. En
effet, Salzman (1985) a calculé, en leur appliquant un taux de perte de deux
emplois par robot, (16) que ceux‑ci n'expliqueraient que 10 000 emplois perdus
dans ce secteur. Et si l'on évalue les systèmes de production intégrée au même
nombre (5 000 unités) et que l'on considère qu'ils déplacent environs 16 hommes
par machine, ceux‑ci peuvent avoir causé la perte de 80 000 emplois. (17) C'est
donc dire que d'autres facteurs que l'automatisation ont contribué à la baisse
de l'emploi, puisque des 430 000
emplois perdus dans ce secteur près de 80% de ces pertes (340 000)
ne
seraient pas imputables aux automatismes
industriels. (18)
En fait, ces pertes
d'emplois sont principalement dues à la concurrence étrangère. Des statistiques
confirment d'ailleurs cette hypothèse. En effet, en 1979 les Etats‑Unis étaient
le leader incontesté du secteur automobile avec 11,4 millions de véhicules
produits. En 1981 leur nombre était tombé sous les 8 millions pendant que les
japonais avaient franchi le cap des 11 millions de véhicules produits. (c.f.
Tableau XV plus bas) C'est là une explication plausible aux pertes massives
d'emplois que les Etats‑Unis ont connu dans ce secteur. Celles‑ci ne sont donc
pas dues à priori à l'automatisation comme plusieurs le croient.
Ainsi, les principaux
facteurs de pertes d'emplois sont la Division Internationale du Travail et la
concurrence mondiale accrue, non les automatismes industriels. Plusieurs facteurs expliquent
cela.
D'une part, en
divisant la production entre différents pays, la D.I.T. y divise aussi les
emplois. Quand des secteurs presque entier de l'industrie, comme la chaussure,
le vêtement, et l'acier s'en vont produire dans les P.V.D. et que des secteurs
comme l'automobile, l'électronique, ou l'aéronautique y déplacent la production
de certaines pièces vu les coûts plus faibles de la main‑d'oeuvre, les
législations moins sévères, et l'absence
________________________________________________________________
Tableau XV: Production de tous véhicules confondus
pour différents pays et le monde entre 1950 et 1982. (en milliers de
véhicules)
┌────┐
┌─────────┬─────────┬────────┬────────┬────────┬────────┐ │ │ │ Japon │ Etats‑ │
R.F.A. │
France │
Canada │
Grande‑│ │ │ │
│ Unis │
│
│
│
Bret. │ │‑‑‑‑│ │
‑‑‑‑‑‑‑‑│‑‑‑‑‑‑‑‑‑│‑‑‑‑‑‑‑‑│‑‑‑‑‑‑‑‑│‑‑‑‑‑‑‑‑│‑‑‑‑‑‑‑‑│ │1950│ │ 31,6│ 8 003,1│ 304,9│ 357,7│ 390,1│ 783,7│ │1965│ │ 1 875,6│
11 137,8│
2 976,5│
1 616,1│ 849,9│
2 177,3│ │1970│ │ 5 289,2│ 8 283,9│
3 829,9│
2 756,2│
1 188,5│
2 098,5│ │1975│ │ 6 941,6│ 8 989,2│
3 186,2│
2 861,4│
1 450,0│
1 648,4│ │1979│ │ 9 635,5│
11 480,7│
4 249,7│
3 613,5│
1 623,5│
1 478,9│ │1981│ │
11 179,0│ 7 936,2│
3 897,0│
3 019,4│
‑ ‑‑‑‑‑│
1 184,2│ │1982│ │
10 737,0│ 6 986,0│
4 062,7│
3 148,8│
1 234,6│
‑ ‑‑‑‑‑│ │ │ │
│
│
│
│
│
│ └────┘ └─────────┴─────────┴────────┴────────┴────────┴────────┘
Source: U.S. Department of Commerce, INSEE,
Argus, CSCA, in Bonnafos, Chanaron, et de Mautort, p. 117.
_________________________________________________________________
d'organisation syndicale, des emplois suivent
ces déplacements. (Barnet et Muller, 1974; Levinson, 1974; Frobel, Heinrichs, et
Kreye, 1981; Salzman, 1985) A titre d'exemple pensons seulement aux voitures
japonaises et asiatiques qui remplacent désormais
des modèles bas de gamme chez certains
producteurs américains, comme la Chevrolet Sprint fabriquée par Suzuki au Japon
et la Mercury Tracer assemblée dans les installations de Ford à Taiwan.
D'autre part, la
concurrence mondiale accrue a elle aussi un impact négatif sur l'emploi. En
effet, en partageant le marché mondial entre de plus en plus de concurrents,
ceci ne peut que provoquer un nouveau partage de l'emploi entre eux et des
baisses dans certains pays. Cela se fait de deux façons.
D'abord, cette
concurrence en est une entre entreprise. Des firmes de tous les pays se
concurrencent pour gagner des parts de marché et des emplois. Cela signifie en
même temps que des entreprises perdent des parts de marché et des emplois aux
mains de leurs concurrents. Cela n'est pas nouveau. Cependant, ce qui est
nouveau c'est que ces entreprises ne sont plus nécessairement de la même
nationalité, ce qui implique un transfert de l'emploi d'un pays à l'autre.
(Barnet et Muller, 1974; Frobel, Heinrichs, and Kreye, 1981; Salzman, 1985) Par
exemple quand Ford recule par rapport à G.M. et fait des mises à pieds d'autres
emplois sont créés aux Etats‑Unis ou au Canada. Mais quand Ford ou G.M. reculent
par rapport à leurs concurrents japonais et asiatiques, les emplois perdus le
sont aussi pour le pays, car le gain se
fait ailleurs.
Ensuite, c'est entre
les pays que se fait la compétition. Ceux qui offrent les salaires les plus bas,
les meilleures conditions de production, et des protections adéquates aux
entreprises, attirent des investissement, d'où une perte d'emploi dans le pays
qui subit un désinvestissement (délocalisation de la production). Et comme ces
transferts se font souvent du Centre vers la Périphérie, où les coûts de
main‑d'oeuvre et de production sont inférieurs, ce sont les pays développés qui
subissent ces désinvestissement et voient leurs taux de chômage s'accroître. Ce
n'est pas la technologie qui est ici en cause. Au contraire, car seule les
productions avancées et technicisées semblent échapper à ces mouvements pour des
raisons stratégiques. (Michalet, 1976; 1979)
Une part de ces pertes
peut aussi être imputée aux N.F.O.T. Cependant ces pertes doivent être encore
plus faibles que celles qui sont
dues aux automates industriels, car ce sont toujours des ouvriers qui doivent
accomplir ces tâches.
En conséquence, si
l'automatisation des tâches peut expliquer certaines pertes d'emplois, elle
n'est pas seule. Il ne faut donc pas rejeter l'automatisation sous ce prétexte.
Au contraire même, car l'effet brut de l'automatisation des entreprises peut
être positif. En effet, dans une perspective nationale ces outils peuvent être
créateurs d'emplois, car l'entreprise ou le pays le plus technicisé, donc le
plus concurrentiel, peut attirer davantage de travail chez lui. C'est par
exemple le cas des entreprises japonaises, sinon comment expliquer qu'avec une
hausse de productivité de l'ordre de 65% elles ont pu créer près de 6% de
nouveaux emplois. (c.f. Tableau XIV, p. 118) C'est d'ailleurs ce qui fait dire à
plusieurs auteurs que les automatismes industriels sont créateurs d'emplois.
Cependant, dans une
perspective mondiale, c'est un leurre, car à ces emplois créés dans un pays
correspondent des pertes ailleurs. Par exemple, l'automatisation plus rapide de
l'industrie automobile japonaise a contribué à y créer des emplois en
s'accaparant une plus grande part de ce marché, mais en revanche des parts de
marché et des emplois ont été perdus aux Etats‑Unis. Et au total, en faisant le
compte entre tous les emplois perdus et déplacés, quelques milliers d'emplois
ont certainement été victimes des automatismes industriels au niveau
mondial.
Néanmoins, dans le
cadre de la concurrence capitaliste mondiale il ne semble pas y avoir
actuellement d'autres choix pour chaque pays. Ceux‑ci se doivent de suivre ce
mouvement ou de voir l'emploi continuer à décroître chez eux. La concurrence
capitaliste n'est donc plus limitée aux seules entreprises qui luttent pour
s'accaparer des parts de marché; elle concernent désormais les pays et les
ouvriers qui veulent conserver ou obtenir des emplois. Et dans ces conditions
les automatismes industriels deviennent une arme offensive. C'est là une autre
facette du nouveau despotisme industriel dont parle Buravoy (1983, 1984):
automatiser pour sauver l'entreprise et une part des emplois ou voir
l'entreprise fermer ses portes et perdre tous les emplois.
Enfin, une nouvelle
menace semble planer sur les emplois du Centre. C'est celle du piratage
industriel. En effet, plusieurs pays asiatiques ‑‑ Taïwan, Hong Kong, Singapour,
Thaïlande, Indonésie, Corée, Malaisie, et Philippines ‑‑ copient des produits de
luxe développés et fabriqués au Centre et les vendent sur le marché pour
environs le quart du prix des originaux, d'où des pertes de marché et d'emploi
pour ces entreprises. Celles‑ci sont d'ailleurs fort importantes ‑‑ on parle de
100 000 emplois
perdus en Angleterre et 250 000 aux Etats‑Unis à
cause de ce
phénomène ‑‑ et ne laissent plus aucun secteur
industriel à l'abri. En effet, ces copies vont des montres de luxe
(Rolex,
Cartier, etc.) aux ordinateurs (Apple, I.B.M.)
en passant par les parfums, les pièces d'automobiles et d'avions, et même les
médicaments. C'est donc un phénomène fort important ‑‑ il expliquerait
d'ailleurs une partie de la richesse récente de certains de ces pays ‑‑ auxquels
les entreprises devront bientôt trouver une solution (par exemple utiliser des
technologie particulière de production plus difficiles à copier). Les chercheurs
en sciences sociales et économiques devront aussi s'y attarder, car ce phénomène
aura des répercussions sérieuses sur l'environnement social, économique, et
politique des pays du Centre qui subissent cette concurrence indue et sur le
développement des pays de la Périphérie, d'où l'importance de le souligner ici.
(19)
En conclusion, il est
clair que les robots et autres automates ont une part de responsabilité dans les
pertes d'emplois. D'ailleurs pour certaines tâches on les tiens responsables
d'une diminution de l'emploi pouvant aller jusqu'à 90% ( Coriat, 1983; Salzman,
1985; Hansen et Lund, 1986) Cependant, cela n'est pas vrai pour toutes les
tâches ni pour tous les secteurs industriels. C'est là donner à ces outils un
poids et une importance qu'ils n'ont pas. En fait, la D.I.T. et la concurrence
mondiale ont un poids beaucoup plus grand sur la perte d'emploi que les
automates, mais ce sont ces derniers, à cause de leur connotation futuriste, qui
ont le plus frappé l'imagination du public. Pourtant, aussi étrange que cela
puisse paraître, ce sont ces automates qui sont l'allié le plus important des
ouvriers dans la lutte mondiale que se livrent les entreprises et les pays, car
en les rendant plus productifs ils s'accaparent ainsi des marchés et des emplois
étrangers. Les japonais et les asiatiques l'ont bien compris. C'est là une des
cause du déclin industriel de l'Amérique du Nord et de l'Europe et de la montée
des pays d'Asie.
Dans ce contexte
l'automatisation devient un moyen de protéger et d'accroître l'emploi en
accroissant la position
concurrentielles des entreprises d'un pays face
à ses concurrents étrangers. C'est l'effet brut de l'automatisation, soit la
création ou la sauvegarde d'emploi dans les entreprises et sur les territoires
les mieux préparés à cette lutte. Son effet net est par contre une diminution de
l'emploi au niveau du système économique mondial, car moins d'ouvriers sont
nécessaires pour faire la production mondiale. (Frobel, Heirichs, et Kreye,
1981) Des pays sont donc sévèrement touchés par ces pertes d'emplois et de
marchés. S'ils s'automatisent ils pourront arrêter ce
déclin,
mais il n'est pas sûr qu'ils regagneront des
emplois. Ils pourraient même en perdre encore quelques milliers, vu l'effet
réducteur des automatismes industriels. Par contre ces pertes seront
certainement moins importantes que celles qu'ils subiraient sans
l'automatisation, car alors les pertes d'emplois se feront au profit de pays
étrangers et au prix de fermeture d'usine. (Buravoy, 1983, 1984; Salzman,
1985)
Ainsi l'impact des
outils automatiques est ambiguë. Au niveau national leur impact est loin de
n'avoir que des effets négatifs, car certains pays se sont vus avantagés par
leur automatisation rapide. C'est notamment le cas du Japon. Inversement
d'autres pays ont subi des pertes importantes à cause de leur impact sur la
concurrence mondiale. Ils ont aussi eu à subir l'impact de leur propre
automatisation pour répondre à cette concurrence. C'est le cas des Etats‑Unis.
Et maintenant, la plupart des grandes entreprises étant automatisées,
l'automatisation devient une conditions inhérente de la concurrence capitaliste
au niveau de l'économie mondiale tout comme ce fut autrefois le cas pour la
D.I.T. (20) Quel en sera le résultat plus tard? Il est un peu tôt pour le dire
mais nous croyons que tout comme pour leur impact sur la qualité du travail,
leur impact sur la quantité de travail dépendra de l'usage qui en sera fait.
Pour l'instant il y a perte. Si de nouveaux usages leurs sont trouvés peut être
qu'un jour il y aura gain. C'est là une possibilité, car ces deux tendances sont
présentement inscrites dans ces outils.
Conclusion:
L'évolution de l'économie
mondiale et du travail
Augmentation de la
productivité, amélioration de la qualité, automatisation, élargissement des
tâches, et diminution de l'emploi font maintenant partie du paysage industriel.
C'est là un revirement par rapport aux décennies précédentes où l'on parlait
d'organisation scientifique du travail (O.S.T.), de plein emploi, de roulement,
et de sabotage. Mais ces changements ne sont pas dus au hasard. Ils sont
redevables à des transformations sociales, économiques, et politiques qui ont
obligé les entreprises à changer, à s'adapter. C'est là un point essentiel, car
il montre que les organisations, loin d'être statiques, sont dynamiques. C'est
ce que nous allons voir ici de façon historique.
Au XIXe siècle, suite
à la concurrence accrue sur les marchés locaux, certaines entreprises ont choisi
d'exporter une part de leur production vers d'autres pays. Il en résulta une
réaction de défense de la part de ces Etats et ils imposèrent des droits de
douanes sur les produits étrangers. Certaines de ces entreprises exportatrices
ont alors répondu à ce protectionnisme en implantant des filiales sur place pour
y fabriquer leurs produits. Les firmes multinationales, ou F.M.N., venaient
alors de naître pour répondre aux conditions du marché de l'époque. C'est ce
qu'expliquait William Lever, un des fondateurs de Lever Brothers, en
1902:
"The
question of erecting works in another country", he said, "is dependant upon the tariff or duty. The
amount of duties we pay
on soap imported into Holland and Belgium is considerable, and it only requires that these
shall rise to such a
point that we could afford to pay a separate staff or managers with a separate plant to make soap to
enable us to see our
way to erect works in those countries. When the duty exceeds the cost of
separate managers and separate plants, then it will be an economy to erect
works in the country
that our customers can be more cheaply supplied from them." (WILSON, Charles, The history of Unilever,
Volume I, Cassell, cité
in Tugendhat, 1981, pp. 34‑5)
Ce mouvement a débuté en 1867, avec
l'implantation de Singer en Angleterre (Michalet, 1976; Tugendhat, 1981), et se
poursuit encore aujourd'hui, avec l'implantation de firmes des nouveaux pays
industriels dans les pays du Centre. A ce sujet nous n'avons qu'à penser à la
venue récente d'Hyundai, une multinationale coréenne, au
Canada.
Près de 100 ans plus
tard, vers 1960, quand la concurrence fut trop sévère dans les pays du Centre,
certaines F.M.N. ont relocalisé leurs productions qui étaient victimes de cette
concurrence dans les pays en voie de développement, où les coûts du travail sont
beaucoup plus faibles qu'au Centre et les taux de plus‑value plus élevés. Ainsi
ils pouvaient répondre à la concurrence du Centre avec des produits beaucoup
moins dispendieux. A un nouveau problème ils avaient trouvé une nouvelle
solution.
En même temps, la
concurrence étant aussi de plus en plus vive pour les produits avancés faits au
Centre, certaines entreprises ont choisi de requalifier les tâches ouvrières
pour en accroître la productivité. Ce fut notamment le cas chez I.B.M. aux
Etats‑Unis et chez Hoover en Angleterre, où de telles expériences ont débuté
dans les années 50. Ainsi chez Hoover...
... la "ligne"
d'assemblage des moteurs destinés aux aspirateurs était organisée
par les ingénieurs (1951) de
telle manière que les membres des équipes, comprenant seize ouvriers et ouvrières, pouvaient répartir entre
eux les tâches avec une certaine liberté,
s'aider les uns les autres, constituer une
collectivité de sub‑assembly où joue
la coopération lorsque la chaîne, sur la section dont ils sont chargés, se trouve trop
encombrée. (Friedmann, 1964, p. 64)
Cependant, ces
programmes n'ont pas connu un large succès à cette époque. Seules quelques
firmes plus avant‑gardistes que les autres les ont adoptés, la majorité des
entreprises leurs préférant toujours l'O.S.T. qui les liaient beaucoup moins aux
ouvriers et qui étaient ainsi beaucoup moins menaçantes pour
elles.
Il a fallu attendre la
fin des années 70 pour voir les nouvelles formes d'organisation du travail faire
une percée importante dans les entreprises. En effet, à la fin des années 70
deux changements importants sont apparus au niveau du système économique mondial
(S.E.M.).
D'une part, avec la
crise du pétrole, le Japon a fait une percée importante sur le marché de
l'automobile, qui était jusque‑là la chasse gardée des entreprises américaines
et européennes, grâce à ses petites voitures moins énergivores. Ainsi, si en
1979 les Etats‑Unis étaient les leaders incontestés de ce secteur, avec plus de
11 millions de voitures produites, en 1981 cette part n'était plus que de 8
millions comparativement à 11 millions pour les japonais. (F.I.O.M., 1982;
Bonnafos, Chanaront, et de Mautort, 1983) Ceci sonna l'alarme auprès des
fabricants d'automobile mais aussi de plusieurs autres corporations qui
réalisèrent alors que les japonais leurs faisaient la course dans plusieurs
domaines où ils étaient autrefois les maîtres: aciers, machines‑outils,
informatique, et tous les secteurs de l'électronique (photocopieurs,
télévisions, etc.) pour ne nommer que ceux‑là. (Schlossstein, 1984) La même
constatation due aussi être faite en Europe, les japonais ne négligeant pas
davantage ce marché. (Bonnafos, Chanaront, et de Mautort, 1983; Morville, 1985) Une réponse devait alors
être trouvée à ce problème.
Cela était d'autant plus
pressant que, d'autre part, immédiatement après cette percée japonaise certains
P.V.D. plus avancés que d'autres ‑‑ principalement des P.V.D. asiatique comme la
Corée et Taiwan qui bénéficiaient du dynamisme de leur voisin japonais ‑‑ ne se
contentaient plus seulement de fabriquer des produits standardisés mais se sont
mis à faire des produits nouveaux (notamment des automobiles). Ils sont ainsi
entrés eux aussi en concurrence avec les pays développés qui s'étaient toujours
réservés ces crénaux. Cette situation s'avéra déstabilisatrice pour les
entreprises des pays du Centre qui devaient maintenant faire face à une double
concurrence japonaise et asiatique qui bénéficiaient de conditions différentes
des leurs: dynamisme technologique, "coopération" patronale/syndicale, et
salaires plus faibles dans le cas du Japon; journée de travail plus longue,
faible protection sociale, absence de syndicat, et salaires nettement inférieurs
dans le cas des P.V.D.
Pour répondre à ces
nouvelles conditions du marché mondial les entreprises américaines et
européennes ont alors dû choisir ‑‑ sinon elle devront le faire bientôt ‑‑ la
voie de la rationalisation et de la productivité, c'est‑à‑dire faire autant avec
moins de personnel ou plus avec le même personnel.
Pour atteindre ce but
plusieurs grandes firmes se sont tournées vers les N.F.O.T. et autres programmes
de qualité de vie au travail. Ces stratégies devenaient une réponse à la
concurrence étrangère. C'est ainsi par exemple qu'en 1979 le Conseil
d'Administration de Westinghouse a créé un comité, doté d'un budget de 20
millions de dollars américains, pour trouver des moyens d'accroître la
productivité; qu'en août 1980 Ouchi fut invité à Pittsburg pour expliquer sa
théorie; et qu'à l'automne de la même année ce programme a vu ses premières
applications dans cette entreprise. (Main, 1984a) Suite aux succès des grandes
firmes américaines avec ces méthodes, publicisés par Ouchi dans "Theory Z"
(1981), celles‑ci sont devenues un idéal‑type a atteindre pour nombre de firmes
du Centre. On parle alors de cette recette dans plusieurs pays industrialisés.
C'est un signe des temps, la plupart de ces éléments étant connus depuis fort
longtemps:
But it took
ten year or more until the late Abraham Maslow, in his book Eupsychian Management
(Homewood Ill.: Richard D.
Irvin Inc., 1965.), calling his solution "Theory Z", established clearly that the responsible
worker and self‑governing plant community
require strong leadership by management,
uncompromising goals and standards, and very high self‑discipline.
And American society in the fifties and sixties was so unready
for a gospel of hard work, high
standards, and self‑discipline that Maslow's Theory Z, ..., was almost completely overlooked.
When twenty years later we
became receptive to such heresies, Maslow's work had been forgotten so completely that William Ouchi could
publish a best‑selling book in 1981
under the title "Theory Z" without
acknoledging that Maslow had first developed the theory and had coined the term
(...). (Drucker, 1983, pp.
246‑7)
En conséquence, ces
nouvelles formes d'organisation du travail ne sont pas devenues populaires dans
un but de pouvoir et de division. C'est d'abord pour accroître la productivité
des ouvriers et la position concurrentielle des entreprises occidentales face à
leurs concurrents nippons et asiatiques que celles‑ci ont eu du succès. Comme
toutes les autres stratégies elles sont avant tout une réponse à un problème
particulier, ici l'apparition de nouveaux concurrents bénéficiant de conditions
de création de la valeur différentes des leurs.
En même temps, la
protection de l'emploi est devenue un critère beaucoup moins considéré. Si deux
ouvriers peuvent faire le travail de trois lorsqu'un des leurs est absent, ils
peuvent aussi le faire le reste de l'année pour sauver leur emploi face à la
concurrence se disent les administrateurs d'entreprises. Au niveau des relations
de travail cette philosophie devient l'occasion d'un durcissement. Les
conditions du marché s'insèrent dorénavant dans la négociation et deviennent le
prétexte d'un nouveau marchandage, car sans entreprises il n'y a pas d'emploi.
(Morville, 1985) Quant aux choix il n'y en a bien souvent que deux: abaisser les
conditions de travail et d'emploi ou voir l'entreprise fermer ses portes.
C'est le nouveau
despotisme industriel dont parle Buravoy:
The point of reference
is no longer primarily the success of the
firm from one year to the next but rates of profit that might be earned elsewhere. At companies
losing profits workers
are presented with a choice between wage cut (...) or the loss of their jobs.
(...) The fear of being fired is replaced
by the fear of capital flight, plant closure, the transfer of operations, and disinvestment.
(1983, p.
603)
Ces nouvelles formes
d'organisation du travail s'appliquent cependant que dans les entreprises à
capital dominant, soit les entreprises modernes et de pointes. Si tel est le cas
c'est que même si les ouvriers connaissent une large part du processus de
production, ils ont peu de chance de mettre sur pied des entreprises
concurrentes, cela exigeant beaucoup de capitaux, vu le prix de ces équipements,
et des connaissances auxquelles ils n'ont pas accès, celles‑ci étant "coulées"
dans les machines. Ainsi les équipements automatiques et programmables sont loin
de limiter l'usage des N.F.O.T., mais rendent possible leur entrée dans les
ateliers en protégeant la propriété et le "savoir" capitaliste, ce que les
entrepreneurs ont toujours fait auparavant par la division du
travail.
Inversement, dans les
entreprises des secteurs traditionnels, où la suprématie du patron est assuré
par son savoir et non par des machines, les N.F.O.T. peuvent difficilement s'y
appliquer pour des raisons stratégiques. En
effet, si ces entreprises appliquent ces formes
d'organisation du travail en leur sein et que les ouvriers apprennent le métier,
ceux‑ci pourraient ensuite les quitter pour partir à leur compte et les
concurrencer. C'est là un point essentiel. Il est d'ailleurs à l'origine même du
développement de la division du travail. Ainsi, depuis les débuts du capitalisme
britannique toutes les entreprises ont utilisé la division du travail sauf une:
l'industrie charbonière. Et si tel fut le cas ce n'est pas que la division du travail ne
pouvait pas s'y appliquer. C'est plutôt parce que cette industrie n'en avait pas
besoin, car elle n'avait pas peur de voir ses ouvriers être tentés de la
concurrencer un jour, toutes les mines ayant déjà un propriétaire. En effet,
pourquoi utiliser la division du travail quand le travail élargi y est plus
rentable et qu'il n'offre pas de risque de se voir déposséder de son affaire par
ses ouvriers? Ainsi le but de la division du travail n'est pas tant la
productivité que d'assurer la protection des savoirs capitalistes nécessaires
pour affermir la suprématie des propriétaires des moyens de production sur les
ouvriers. (Marglin, 1973) C'est d'ailleurs cette même idée qui fut reprise plus
tard par Taylor. En divisant à l'extrême le travail, il enlevait son métier à
l'ouvrier et celui‑ci devenait alors dépendant de
l'entreprise
capitaliste qui l'engageait, car il n'avait plus
de métier à
offrir sur le marché. C'était cela le but
premier de Taylor,
non le rendement, car bien d'autres méthodes
étaient supérieures à l'O.S.T. pour atteindre un rendement plus élevé.
(Braverman, 1976; Edwards, 1979) A ce sujet nous n'avons qu'à penser aux
premières expériences d'élargissement des tâches, qui furent pratiquées avec
succès dans les mêmes conditions que l'O.S.T. au cours des années 30. Pourtant
elles n'étaient jamais acceptées par les entrepreneurs même si elles leurs
offraient un rendement supérieur à celui du taylorisme. (Tausky, 1970)
En conséquence, les
entreprises des secteurs traditionnels (vêtement, textile, etc.) qui ont été
frappées par cette concurrence accrue des P.V.D. et des nouveaux pays
industriels à la fin des années 70 ont dû choisir des solutions différentes.
Celles‑ci se sont principalement limitées à relocaliser ou à sous‑traiter une
part de leurs productions à la Périphérie pour bénéficier des conditions
économiques de ces pays. (Barnet et Muller, 1974; Frobel, Heirichs, et Kreye,
1981) Elles ont ainsi contribué à la désindustrialisation des pays du Centre
dans les secteurs industriels traditionnels. D'autres firmes, moins nombreuses,
ont cependant trouvé des solutions originales. Ainsi, la firme Crompton, un des
seuls fabricants américains de corduroy et de velours, a réussi à accroître sa
productivité avec une nouvelle stratégie du temps de travail. Les ouvriers
travaillent 36 heures par semaine sur trois jours et sont payés pour 40
heures, avec une semaine de congé toutes les
huit semaines,
en échange de quoi l'entreprise fonctionne 350
jours par année, 24 heures sur 24. (Meadows, 1984)
Si ces stratégies sont
des réponses aux nouvelles conditions de l'économie mondiale de la part des
entreprises du Centre, elles ont cependant un impact important au niveau des
économies nationales du Centre. En effet, la perte de marchés aux mains de
concurrents étrangers, la perte de travail due aux hausses de productivité (une
conséquence des systèmes automatiques et des nouvelles formes d'organisation du
travail), et la relocalisation d'une part du travail à la Périphérie, ont
entraîné une diminution des emplois industriels au Centre. (Standing,
1984)
Cependant, une
solution à ces problèmes semble vouloir apparaître grâce aux méthodes qui ont
accéléré cette crise: les N.F.O.T. et les systèmes automatiques. En effet, comme
ces outils sont de moins en moins coûteux et que les ouvriers maîtrisent de
mieux en mieux le travail grâce aux N.F.O.T., il devient possible qu'eux ou de
petits investisseurs mettent sur pied des petites entreprises spécialisées dans
des crénaux laissés pour compte par les grandes firmes, notamment les produits
sur commande. C'est d'ailleurs un processus qui semble amorcé même s'il est
encore marginal. Par exemple, avec l'apparition de minis fours à arc électrique,
plus flexibles, de petites aciéries sont nées depuis les années 60 et ont su
développer des alliages particuliers qui
sont difficiles à faire dans les grandes
aciéries, faute de flexibilité de leurs équipements, ou qui s'adressent à des
marchés trop restreints pour qu'ils soient rentables de
les
fabriquer en grande quantité, d'où une faible
possibilité de
concurrence de la part des grandes aciéries.
(Piore et Sabel,
1984) C'est aussi le cas des ateliers d'usinage.
Avec la flexibilité des nouveaux systèmes automatiques des
ouvriers
professionnels peuvent mettre sur pied des
P.M.E. spécialisées dans la fabrication de pièces sur commande, ce qui est moins
rentable pour les entreprises qui font des grandes séries, leur marge de profit
étant calculée sur des économies d'échelles. (Hansen et Lund, 1986; Hirschhorn,
1986) La même chose est aussi vraie dans le textile où maintenant des P.M.E.
peuvent produire des tissus fins et originaux qui s'intègrent facilement entre
les tissus artisanaux et commerciaux. (Piore et Sabel, 1984). Ainsi, grâce à ces
équipements les ouvriers trouveront peut‑être une réponse à leurs problèmes
actuels. L'une d'elle pourrait par exemple être la création de coopératives de
production. (Laflamme, 1980; Demoustier, 1984) L'effet de ces nouvelles
technologies deviendrait ainsi positif.
Un changement est
aussi à prévoir au niveau mondial avec l'ascension de certains pays en voie de
développement au rang de nouveaux pays industriels. En effet, lorsque les F.M.N.
y localiseront de nouvelles productions, elles pourront aussi y implanter les
formes d'organisation du travail qui les accompagnaient au Centre, soit les
N.F.O.T. Ceci sera
possible car ces nouveaux pays industriels
auront dorénavant
la possibilité de relocaliser les tâches les
moins intéressantes dans les P.V.D. qui les entourent comme l'ont fait avant eux
les pays industriels du Centre.
Ces changements
amèneront une nouvelle spécialisation du travail au niveau du système économique
mondial. Les pays industriels deviendront alors le lieu de fabrication des
produits nouveaux et de luxe et le centre de décision des F.M.N. Au niveau
intermédiaire se trouveront les nouveaux pays industriels qui seront alors le
lieux de fabrication des produits murissants, c'est‑à‑dire des produits récents
mais que l'on tend à élargir pour les rendre accessible aux masses, et le lieu
de coordination des échanges entre les pays développés et en voie de
développement. Enfin, on retrouvera les P.V.D. qui dépendront des décisions
prises aux deux autres niveaux et qui fabriqueront pour eux les produits
standardisés et dépassés tel que c'est le cas actuellement pour la majorité de
ces pays.
Ce mouvement semble
d'ailleurs amorcé. Par exemple, dans l'automobile les japonais fabriquent les
modèles de luxe chez eux mais font faire certains modèles bas de gamme en Corée,
un nouveau pays industriels, et des accessoires en Chine, un P.V.D. (Barnet et
Muller, 1974; F.I.O.M., 1982) D'après nous une telle spécialisation de
l'économie mondiale ne pourra que s'accroître. On voit d'ailleurs de plus en
plus que les vieilles industries comme le textile, la métallurgie, et la
construction navale, qui ont des problèmes dans les pays du Centre semblent au
contraire de plus en plus prospère dans les nouveaux pays industriels et les
P.V.D.
Ainsi, le premier
point à retenir de cette étude est que l'organisation des entreprises et du
travail évoluent, sans quoi on en serait resté aux firmes locales et à
l'organisation scientifique du travail malgré les problèmes qui leur sont
associés. C'est là un point essentiel. Il ne peut d'ailleurs en être autrement,
car l'entreprise fait partie de la société et, comme elle, elle doit s'adapter
pour survivre à ses crises. C'est là une conclusion qui demeurera vraie dans 10,
15, 20, ou 100 ans que nous ayons raisons ou non quand à nos prédictions de voir
apparaître un jour des entreprises autogérées au Centre et de voir l'économie
mondiale se spécialiser davantage.
Plusieurs autres
conclusions ressortent de cette étude. Celles‑ci peuvent se résumer en quatre
points.
Premièrement,
l'utilisation des N.F.O.T. n'est pas affaire de taille, mais de secteur
industriel. Celles‑ci peuvent s'appliquer dans les entreprises à capital
dominant, où le savoir capitaliste est protégé par des machines, mais
s'appliquent difficilement dans les entreprises traditionnelles, où seule la
division du travail protège ce savoir.
Deuxièmement, les
N.F.O.T. ne peuvent s'appliquer à la Périphérie. En effet, comme le travail y
est principalement manuel et mécanique, y appliquer ces formes d'organisation du
travail équivaudrait à donner davantage de pouvoir aux ouvriers, ceux‑ci
devenant plus difficile à remplacer. Ils pourraient alors s'organiser et devenir
beaucoup plus revendicatif. Ainsi les conditions plus avantageuses de la
Périphérie disparaîtraient, car ils demanderaient à la fois de meilleurs
salaires et de meilleures conditions intrinsèques de travail ce qui ne ferait
pas l'affaire des entreprises du Centre qui y investissent pour éviter ces
coûts. C'est ce qui explique la non utilisation de ces formes d'organisation du
travail à la Périphérie même si parfois
elles y seraient avantageuses.
Troisièment, il est
clair que les entreprises ne cherchent pas à profiter de la différence entre le
Centre et la Périphérie pour introduire une concurrence entre les ouvriers des
pays industrialisés et de la Périphérie, car les entreprises du Centre tiennent
à ce que les ouvriers de la Périphérie restent dans l'ignorance de ce qui se
fait au Centre pour éviter qu'ils ne deviennent plus revendicatifs.
Naturellement, un jour il y aura certainement une lutte avec des syndicats
clandestins, soutenus par des organisations du Centre, car les syndicats des
pays développés vont trouver un intérêt à organiser ces masses laborieuses. Mais
ce ne sont pas les F.M.N. qui vont leur faciliter la tâche en y introduisant les
nouvelles formes d'organisation du travail.
Quatrièmement, les
outils automatiques et programmables, loin de limiter l'utilisation des N.F.O.T.
les favorisent. Si cela est d'abord vrai parce qu'elles protègent les
connaissances capitalistes, ce l'est aussi pour des questions de rendement. En
effet, en accroissant la qualité du travail ouvrier elles favorisent un meilleur
équilibre entre le travail manuel et automatique. C'est là leur premier aspect
positif. Le second, est qu'en augmentant le savoir et la responsabilité de
l'ouvrier qui travaille sur ces équipements, celui‑ci peut voir beaucoup plus
adéquatement à leur bon fonctionnement et intervenir beaucoup plus rapidement en
cas de dysfonctionnement, ce qui contribue à limiter les pertes de
l'entreprise.
Ainsi, Division
Internationale du Travail, nouvelles formes d'organisation du travail, et outils
programmables et automatiques sont d'abord les instruments du capitalisme
pour
accroître son rendement. Et, dans ces
conditions, rien ne l'empêche de remanier ces instruments pour poursuivre
son
développement une fois qu'il sera limité par les
conditions
actuelles de valorisation du capital. C'est
notamment ce que
semble montrer la tendance actuelle, où l'on
voit se profiler
l'idée du passage d'un monde bipolarisé
(Centre/Périphérie) à
un monde tripartite (pays industrialisés,
nouveaux pays industriels, et pays en voie de développement). En
conséquence,
les tenants des théories de la crise de
l'impérialisme (Amin,
Faire, Hussein, et Massiah, 1975) et ceux qui croient qu'avec l'opposition
actuelle entre le Centre et la Périphérie "le grand empire est en passe d'atteindre ses limites extrêmes"
(Michalet, 1979, p. 56) semblent s'être trompés pour cette fois encore, car le
système capitaliste se montre une fois de plus capable de s'adapter à cette
nouvelle crise. C'est peut être là la force de ce système: sa capacité
d'adaptation et d'auto‑développement. Pour emprunter une expression de Touraine,
ce système a la "capacité (...) de produire son organisation et ses pratiques".
(1978, p. 159) C'est peut‑être ce sur quoi les nouveaux penseurs critiques
devraient se pencher pour bien comprendre le capitalisme et ses modes de
développements. Ne l'oublions pas, Marx avait prédit la fin du capitalisme au
siècle dernier et ce type de capitalisme qu'il décrivait (ouvriers non protégés,
travail des enfants, insalubrité des villes) est en partie disparu, remplacé par
un nouveau type de capitalisme (mesures sociales, syndicalisme, éducation
gratuite, etc.), qui a son tour disparaîtra pour être encore remplacé par une
nouvelle forme de capitalisme. Mais l'organisation capitaliste en soi n'est pas
disparue. Au contraire. Elle est même présente dans certaines sociétés
communistes. (Harastzi, 1978) Nous n'avons qu'à penser au stokhanovisme, le
taylorisme soviétique, et maintenant à la "perestroïka", leurs nouvelles formes
d'organisation du travail, pour nous en convaincre. C'est ce mouvement
d'adaptation du capitalisme, avec ses fondements et son articulation, qu'il faut
comprendre au lieu de chercher à prédire la fin du capitalisme, car c'est
seulement à cette condition que des modèles de développement et d'analyse
originaux pourront être pensés. Voilà la tâche qui attend maintenant les
sociologues.
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Annexes
Suite à ce que nous
avons vu dans cette étude deux cas sont à souligner ici. D'abord il y a la
première expérience d'élargissement des tâches chez I.B.M., qui date des années
50 à l'usine d'Endicott dans l'Etat de New‑York. Ensuite il y a deux des
premières expériences d'élargissement des tâches de la Régie Renault, qui
montrent d'une part que si ces expériences ne sont pas bien pensées elles ne
sont alors pas mieux que les anciennes formes d'organisation du travail qu'elles
remplacent, mais que, d'autre part, celles‑ci peuvent cependant être améliorées.
A) L'expérience d'I.B.M.:
Avant l'introduction du
"programme", des opérateurs, travaillant depuis des
années sur les mêmes machines,
n'avaient pas le droit de procéder eux‑mêmes aux montages, aux affûtages et aux
contrôles, bien qu'il en eussent souvent
le désir. Dans les ateliers de production d'Endicott, d'où rayonnèrent les
premières applications du plan, la plupart des
tâches étaient celles d'O.S. dont le temps de formation n'excédait
pas quelques semaines: une pièce
était saisie par l'opérateur, placée sur la machine, celle‑ci mise en route, l'outil coupant
ou le foret faisant
le travail, la machine
était arrêtée et la pièce enlevée. Tous les travaux
préparatoires et montages avaient été effectués, auparavant, par des
professionnels. (...)
En élargissant les
tâches, on s'est précisément soucié
de les enrichir grâce à de nouvelles exigences de responsabilité et d'habileté: on y incluait, par
exemple, des affûtages d'outils, le
réglage de la machine pour chaque nouvelle série de "bleus", la
connaissance des principes de calibrage,
de ses incidences sur la suite des opérations et, mesure sans doute la
plus importante, le contrôle complet de la
partie finie, ce qui impliquait l'utilisation des jauges,
calibres et
comparateurs. (Friedmann, 1964, pp. 99‑100)
Cette expérience n'eut aucun effet négatif sur
les postes de cadres comme le souligne Friedmann:
L'expérience a
entraîné le déplacement de bon
nombre de
professionnels, de régleurs et contrôleurs, dont les fonctions se trouvaient
désormais comprises dans les tâches "élargies" des ouvriers spécialisés. On a pu
immédiatement les "replacer" dans l'usine, en
pleine expansion, sans que leur salaire fût jamais
diminué. Il a même été augmenté pour un
tiers d'entre eux. (Ch. R. Walker, "The
problem of the repetitive
job", Harvard Business Review, mai 1950, p. 55.) (1964, p. 100)
B) L'expérience de l'atelier G G des usines
Renault (montage de trains avant et arrière de
voitures):
1. La chaîne classique:
une vingtaine d'ouvriers travaillent debout, entre la chaîne qui passe devant eux à
une vitesse constante (3 à 4 mètres
par minute) et des caisses alignés derrière eux, dans lesquelles ils prélèvent les
pièces à monter: chacun d'eux fait
un nombre d'opérations réduit
correspondant à un temps de cycle d'environs 30/100e de minute.
2. La première
expérience de janvier 1972: le montage suivi. Elle a été faite sur la chaîne de train avant
des R 5. Dans
cette expérience, l'organisation technique de la de la chaîne ne change pas, ce sont les travailleurs
qui se déplacent pour
monter, chacun, un train avant. L'ouvrier suit la chaîne en montant les
pièces successives dont il s'approvisionne à des
endroits fixes. Le cycle opératoire passe de 1 minute à environs
15 minutes. Depuis, l'expérience a été
élargie au montage des trains de R 12, R 15, et R 17; en tout 80 O.S.
sont concernés.
3. La deuxième
expérience de février 1973: le montage sur table. Dans ce cas là la
chaîne est supprimée. Chaque O.S. monte
complètement les trains en restant au même poste, tout le matériel nécessaire est autour de lui (ce qui
supprime donc les
déplacements). Chaque travailleur monte deux demi‑trains à la fois.
Le cycle opératoire dure près de 25
minutes.
b. Un
bilan.
Dans l'atelier G
G, les travailleurs sont loin d'être
satisfaits dans l'ensemble. (...)
1. Dans l'expérience de
montage suivi, les ouvriers se
déplaçant le long de la chaîne, se plaignent des "kilomètres" à effectuer. L'installation
d'un trottoir
roulant avec approvisionnement mobile a été refusé net par la direction. D'autre part, le fait
d'enregistrer et de
coordonner 76 opérations à la suite accroît la difficulté du travail, alors que le
rythme du travail reste imposé par la
chaîne.
Enfin, chaque O.S.
contrôle lui‑même son travail et effectue les retouches, ce qui représente en fait une
augmentation de la charge de travail sans
contre‑partie au niveau des
cadences.
2. Dans l'expérience de
montage sur table, la revendication essentielle porte sur
la cadence (34 demi‑trains par journée de
travail, soit une augmentation de plus de 10% des cadences). Il semble d'ailleurs que
cette accélération des cadences se
retrouve dans presque toutes les expériences tentées.
Sur un plan plus
général, les salaires aussi sont en cause:
le travail fourni se rapproche de celui de certains professionnels. Or,
comparativement, l'augmentation des
salaires est faible. (...)
(...) Sur le fond, il
n'y a pas de réticences fondamentales. Ce
qui est surtout perçu par les syndicats et les travailleurs, c'est le décalage entre ce qui
pourrait être tiré de positif de
telles expériences et la façon dont elles
se déroulent concrètement. Le patronat conçoit davantage ces expériences comme des opérations de
rentabilisation plutôt
que comme une recherche d'amélioration de l'organisation du travail. (C.F.D.T.,
1977, pp. 170 @ 172)
Notes
Notes de l'Introduction:
1.Fait intéressant, en devenant un pays
industriel avancé le
Japon a lui aussi vu ses industries
traditionnelles avoir des
difficultés face aux exportations des
P.V.D. Il suit ainsi
le
même modèle de développement qu'ont suivi les
autres pays
industriels avant lui. (Barnet et Muller, 1974)
C'est d'ailleurs
ce que montre le déclin de son industrie textile
au cours des
années 70, à cause des exportations de plus en
plus importantes
des P.V.D. (Destler, Fukhui, et Sato, 1979)
Ainsi, quand l'on
parlera des pays développés, le Japon en fait
pleinement partie.
2. DUQUET, Denis, "Des améliorations et une
distribution
élargie", La Presse, 24 novembre 1986, p.
C‑1.
3. DUQUET, Denis,"Ford 1987: une année de
transition", La Presse,
17 novembre 1987, p. E‑1.
4. Selon le feuillet publicitaire de la Sunbird
1986 obtenu chez
un concessionnaire Pontiac‑Buick.
5.
Nous nous situons ainsi dans une perspective mondiale.
En
effet, nous croyons que l'Etat nation est de
moins en moins une
entité autonome au niveau économique et devient
de plus en plus
dépendant de décisions qui sont prises hors de
son territoire. Le
monde, au sens global du terme, devient un
immense territoire
pour les F.M.N. qui produisent dans n'importe
quel pays (tant
capitaliste que communiste, tant développé qu'en
voie de
développement) à condition que cela leur soit
profitable.
(Levinson, 1974, 1976; Michalet, 1976, 1979)
Ceci ne signifie
cependant pas que nous allons regarder tous les
pays. Par contre,
le seul fait de regarder l'organisation du
travail au sein du
système économique mondial nous situe résolument
dans ce courant
de pensée.
6. BERNARD, Yves, COLI, Jean‑Claude, 1980,
Vocabulaire économique
et financier, France: Seuil, coll. Point, p.
346.
Vu cette définition nous incluons les firmes en
voie de
multinationalisation dans cette catégorie, soit
celles qui ont
des activités dans moins de cinq pays. (Niosi,
1983)
7. Il s'agit d'un concept développé par Touraine
(1978) pour
expliquer l'autodéveloppement des sociétés et
que nous appliquons
ici aux organisations.
8.
Nous nous en distinguons cependant car nous nous
intéressons
exclusivement aux organisations alors que
Touraine s'intéresse
aux mouvements sociaux pris en leur sens le plus
large.
Notes du Chapitre I:
1. Ceci est aussi vrai pour les pays du Centre.
En 1974 Dofny
écrivait que les disparités salariales entre
hommes et femmes
sont énormes. Aujourd'hui, cette situation ne
semble pas avoir
évolué, ce que montre le tableau
suivant:
Tableau I: Ecarts salariaux (en pourcentage) des
femmes par
rapport aux hommes selon le groupe d'âges au
Canada
┌──────────┬───┬───┬───┬───┬───┬───┬───┬───┬───┬───┬───┬────┐
│
│ │20
│25
│30
│35
│40
│45
│50
│55
│60
│65
│ │
│
Ages │‑20│24
│29
│34
│39
│44
│49
│54
│59
│64
│69
│70+
│
│__________│___│___│___│___│___│___│___│___│___│___│___│____│ │ Homme...│100│100│100│100│100│100│100│100│100│100│100│100
│
│
│ │ │ │ │ │ │ │ │ │ │ │ │
│ Femmes..│76%│71%│56%│46%│42%│42%│44%│44%│48%│53%│68%│83%
│ │
│ │ │ │ │ │ │ │ │ │ │ │ │
│ Ecart...│24%│29%│44%│54%│58%│58%│56%│56%│52%│47%│32%│17%
│ └──────────┴───┴───┴───┴───┴───┴───┴───┴───┴───┴───┴───┴────┘
Source: Revenu Canada, Impôt, Statistique
fiscale (1975 et 1985),
Tableau 4 (sommaire) (analyse des déclarations
de revenus 1973 et
1983). In La Presse, 7 mars 1987, p. B‑1
(Spécial pour la journée
internationale des femmes ‑‑ 8 mars).
La même chose est aussi vraie pour les
inégalités raciales. Ainsi
Mare et Winship (1984) soulignent qu'aux
Etats‑Unis les jeunes
noirs ne sont pas davantage victimes
d'inégalités raciales
qu'autrefois au niveau de l'emploi, mais ils ne
le sont pas moins
non plus. Ainsi, alors que la plupart des
inégalités raciales ont
diminué, celles portant sur l'emploi y sont
demeurées stables.
2. YOAKUM,
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star,
March, 27, 1977, cité in Caslelman, 1983, p. 278.
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4. WAGNIERE, Frederic, "L'utilité sociale des
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Presse, 25 mai 1986, p. A‑6; et CHEVALIER,
Manon, (sous la
direction de), "La recherche pharmaceutique au
Canada. Enfin un
climat d'investissement?", Publiscopie, La
Presse, 26 avril 1986.
5. Renseignements obtenus au téléphone auprès du
laboratoire
pharmaceutique du Canada à
Longueil.
6. Textil‑Wirtschaft, 52,
1975, cité par Frobel, Heinrichs, et
Kreye, 1981, p. 127.
7. NADEAU, Michel, "L'Irlande. Tout pour séduire
l'investisseur",
in Le Devoir, 27 juin 1978, p. 16, cité in
CAMPBELL, 1983, pp.
204‑5.
8. En effet, tout nous porte à croire que la
différence entre
ces régimes se situe au niveau de l'utilisateur
de la plus‑
value. Dans un cas c'est le propriétaire
capitaliste qui en
dispose et dans l'autre l'Etat. Mais au niveau
du travail, il y a
peu de différence entre les deux. L'ouvrier
travaille et crée une
plus‑value pour le propriétaire des moyens de
production et ne
peut rien dire quant à son utilisation. On le
force cependant à
être plus productif, à rapporter davantage à
l'entreprise. C'est
ainsi qu'à
l'O.S.T. le communisme a répondu par le
stokhanovisme. (Vaillancourt et Vaillancourt,
1981) A ce sujet
Harastzi, un intellectuel hongrois qui s'est
fait ouvrier, écrit:
For
example, in one newspaper, a Hungarian expert on
"management science"
claimed that payment by result was the
ideal for socialist
wages. It was, he said, the embodiment
of the principle,
"from each according to his capacity, to
each according to his
work". (...) I read up the statistics
and found out that
most industrial workers were on
piecerates; I also
discovered ‑‑...‑‑ that this
chemically
pure form of socialist
wage‑labour was the privilege of such
workers alone; their
bosses had to get by on much
more
antiquated forms of
pay. (1978, p. 21)
9. Sans auteur, "La société Ser Vaas aurait fui
le Québec pour
éviter la C.S.N.", La Presse, 18 avril 1986, p.
C‑16.
10.
DUBOFSKY and VAN TINE, 1977, John L. Lewis: A Biography,
Chicago: Quadrangle books, pp.
268‑9.
11. A.F.P., C.D.J., "Ford menace de construire
au Mexique ses
grosses cylindrées", La Presse, 27 août 1985, p.
C‑9.
Notes du
Chapitre II:
1.GUEST and
WALKER, 1952, The man on the assembly line,
Cambridge, rapporté par BURK, 1984a, p.
64.
2. HERZBERG
and al., 1959, The motivation to work, New‑York, John
Wiley; cité par RONEN and SADAN, 1984, p.
78.
3. Par exemple entre 1961 et 1967 sa force de
travail s'est
accrue de 50 000 personnes au niveau
mondial.(Sobel, 1981) Et
encore aujourd'hui, alors que partout l'on parle
de
rationalisation de la force de travail, I.B.M.
dit conserver
une politique de plein emploi.(I.B.M., 1985)
4.
Voir ce cas en annexe I.
5. Il faut souligner que cette entreprise
familiale possède
quelques établissements aux Etats‑Unis et un en
Irlande.
Cependant, l'exemple cité ne concerne que le
plan de Holland,
E.‑U., où près de 300 personnes travaillent. En
ce sens il est
assimilable à une P.M.E.
6. WOOD, Chris, "Une industrie qui perd sa
chemise", L'Actualité,
juin 1985,
p. 87.
7.International
Cutting Tools Inc., Soaring into the future, A
special
supplement to Canadian Machinery & Metalworking,
undated,
p. S‑8.
8. AUBIN, Benoît, "Microchips et fleur de lys",
L'Actualité, mai
1983, p.
46.
9 AUBIN, Benoît, Ibid., p.
46.
10.
Il faut souligner ici que si la R. et D. est
principalement
affaire de grandes entreprises selon l'O.C.D.E.,
il y a par
contre de grandes firmes qui en font peu alors
que des P.M.E. en
font beaucoup. (Freeman, 1977) Cela est affaire
de secteur
industriel ‑‑ les firmes des secteurs de pointes
en faisant
davantage que les autres ‑‑ et de statistiques,
les P.M.E.
n'ayant pas de département de R. et D. ne
faisant pas parties de
ces statistiques.
11. BOYSON, Rhodes, The Ashworth Cotton
Entreprise, Oxford
University Press, England, 1970, p. 96, cité par
Marglin, 1973,
p. 55.
12. Voir ce cas en annexe
I.
13.
C'est là une hypothèse plausible. Nous ne la
vérifierons
pas ici, celle‑ci étant hors de notre cadre.
Cependant il était
important de la souligner.
14.
C'est ainsi que le disait Jacques Dofny dans ses cours
sur
le travail [Sociologie industrielle, sociologie
du travail, et
sociologie du
syndicalisme].
15.
Voir le Tableau V à la page 20 à ce sujet.
16.
C'est ainsi par exemple qu'en Thailande, où seulement 4%
de
la main‑d'oeuvre est syndiquée, tous les
ouvriers du secteur
automobile le sont. C'est ce que nous apprend
Preecha Seemesap,
Secrétaire Général de l'I.M.F.‑T.C. de Thailande. (in
I.M.F.,
1984, World
auto council ‑ Japan, summary,Tokyo, Japan, April
26‑27, 1984, p. 7)
17. Selon des renseignements obtenus chez un
concessionnaire G.M.
et selon des renseignements de la F.I.O.M.
(1982).
Notes du Chapitre III:
1.
En fait plusieurs auteurs parlent de nouvelles
technologies
mais ceci ne tient pas compte de l'étymologie de
ce terme, car la
technique signifie "l'étude des techniques, des
outils, des
machines, [et] des matériaux" (Micro‑Robert, p.
1052), ce qui est
beaucoup plus vaste que le seul domaine des
machines outils et
des robots. Par exemple, un nouveau procédé
chimique est une
nouvelle technologie au même titre qu'un robot.
C'est pour cette
raison que nous préférons parler d'outils
automatiques et
programmables ou d'automatismes
industriels.
2.
En fait, ici on est loin du seul robot, car il n'est
qu'un
des outils automatiques dont nous parlerons.
Cependant, comme
plusieurs auteurs ne voient qu'eux ou ne parlent
que d'eux, voici
la définition qu'en donne l'Organisation
internationale de
normalisation:
[C'est] "un
manipulateur multifonctions, programmables, dont
la position est
contrôlée automatiquement, qui a plusieurs
degrés de liberté et
qui est capable de saisir des
matériaux, des pièces,
des outils, ou des appareils
spécialisés pour leur
faire subir des
opérations
programmées." (Coriat,
1983, p. 24)
3. Nous avons visité cette entreprise le 22 août
1986. Nous
remercions ici M. Luca Catoni qui nous l'a fait
visité et M. Eddy
Minicozzi, le directeur, qui nous en a donné la
permission et qui
a aimablement répondu à nos questions.
4.
International Cutting Tools Inc., Soaring into the future,
A
special
supplement to Canadian Machinery & Metalworking,
undated,
p.S‑29.
5. Sans auteur, "14 000 robots chez G.M. en 90",
La Presse, 26
juin 1984, p. D‑7.
6. Nous remercions M. Roy qui a répondu à nos
questions en
l'absence de son frère Marcel, le fondateur de
R.D.R.R. Cette
visite fut effectuée au mois de février
1987.
7. U.S.
Dept. of Labor, Technological Trends in Major American
Industries,
bulletin no. 1 474, Washington, 1966, pp. 45‑6, in
Braverman, 1976, p. 175.
8. DURIVAGE, Paul, "Ronalds inaugure sa
nouvelle
super‑imprimerie", La Presse, 17 février 1987,
p. D‑1.
9. BELLEMARE, Pierre, "Molson construira à
Boucherville un centre
de tri de bouteilles entièrement automatisé", La
Presse, 11
février 1988, p. E‑3.
10. Salzman (1985) et Hansen et Lund (1986)
parlent de deux
hommes par
robot.
11. VERNYI,
Bruce, "Building tools the Japanese Way ‑ In the US",
American
Metal Market, December 14, 1981, cité par Shaiken, 1986,
p. 157.
12. Sharp, feuillet publicitaire des
calculatrices 1985, p. 1.
13. SAINT‑AMOUR, Pierre, "Productivité et
chômage sont‑ils
vraiment indissociables?", in Productividées,
Journal de
l'I.N.P., Vol. 5 no. 3, (Août‑Sept. 1984), p.
1.
14. In GEZE, F., "Automatisation, productivité,
emploi: quelques
réflexions sur le cas japonais", in ADEFI, Les
mutations
technologiques, Actes du Colloque Economica,
1981, cité in
Coriat, 1983, p. 111.
15. DUBUC, Alain, "G.M.: le chantage a une
compagnie", La Presse,
2 avril 1987, p. C‑1.
16. Hansen et Lund qui arrivent à ce même taux
expliquent que le
robot déplace 1 homme à la fois pour un ratio de
3 pour 1 pour
trois quart de travail. Cependant, comme il faut
ajouter à ce
ratio une série de nouveaux emplois de soutien
(entretien,
programmation, et réparation), ils en arrivent à
un taux de perte
de 2 pour 1. Ils ajoutent cependant que d'autres
auteurs parlent
de taux allant jusqu'à 4 pour 1. (1986, p. 29)
Il est donc permis
de penser qu'un taux de 2 ou 3 pour 1 est
raisonnable pour 3
quarts de travail comme c'est le cas
ici.
17. Hansen et Lund parlent d'un ratio variant de
7 pour 1 à 10
pour 1, et dans certains cas de 30 pour 1 pour
trois quarts de
travail (1986, pp. 40‑1). Pour notre part nous
parlions plus haut
d'un ratio maximum de 10 pour 1 par quart de
travail (p. 93), ce
qui nous fait adopter ici un taux moyen de 16
pour 1 pour trois
quarts de travail.
18. En leur appliquant les ratios maximums (3:1
et 30:1) on
arrive à expliquer 165 000 pertes d'emplois à
cause des
automatismes, ce qui laisse encore 265 000
pertes d'emplois, plus
de la moitié, dues à d'autres facteurs.
19. DASSE, Martial, "Le piratage industriel en
Asie", in
Collectif, L'état du monde 1987‑1988,
Paris/Montréal: La
découverte/Boréal, pp.
508‑10.
20. Nous avons parlé de cela dans la section 1.1
de cette étude.