Le très hon. ARTHUR MEIGHEN
(premier ministre): Monsieur l'Orateur, je n'avais pas l'intention
ni le désir de prendre part au débat, avant d'avoir
eu l'avantage d'entendre les observations de tous nos collègues
qui désirent discuter la question, ainsi que les avis qu'ils
ont à donner afin de faciliter la tâche aux ministres
qui iront représenter le Canada à la prochaine conférence
impériale. Cependant, en face de la détermination extraordinaire
et assurément sans précédent du chef de l'opposition
de profiter de ce débat pour proposer un amendement sur
le passage à l'examen des subsides, je crois devoir dire
tout de suite la pensée du Gouvernement sur la proposition
de mon honorable ami. Jusqu'à présent on n'a jamais
discuté les questions qui devaient venir à une conférence
impériale avant le départ des représentants
canadiens. Il n'est pas à ma connaissance du moins qu'un
débat spécial ait jamais eu lieu dans le but de
régler d'avance la conduite des représentants canadiens
appelés à prendre part à ces délibérations.
Je ne dirai pas que le précédent que nous créons
cet après-midi ne constitue pas un excellent exemple. Si
le Gouvernement avait pensé le contraire, nous l'aurions fait
savoir au Parlement, au lieu d'inviter les représentants
du peuple à discuter la question à une date fixée
d'avance. Au contraire, le fait de fournir l'occasion à
nos honorables collègues de discuter ces questions constitue
un précédent fort précieux. Pour moi, ce
libre échange de vues entre les membres du Gouvernement
et la représentation nationale est de nature à produire
beaucoup de bien, surtout en ce qui concerne certaines questions
qui seront débattues à la prochaine conférence
des premiers ministres de l'empire.
Le Gouvernement est d'avis que la
solution de certains problèmes ne saurait guère
faire de progrès tant qu'ils n'auront pas fait l'objet
d'un débat devant le Parlement; or, il faut du temps pour
cela car une discussion d'un jour, d'une semaine ou un mois ne
servirait pas à grand'chose; nous nous rendons compte aussi
que ces problèmes doivent être étudiés
par la population canadienne, et l'opinion publique devra se prononcer
d'une façon non équivoque avant que les délégués
du Canada ainsi que les représentants du peuple prennent
une décision définitive sur ces questions. Voilà
mon opinion à ce sujet.
Cependant, mon honorable ami (M.
Mackenzie King) profite de l'occasion pour proposer un amendement
sur le passage aux subsides, dans le but de restreindre la liberté
d'action des représentants du Canada à la conférence
des premier ministres coloniaux. Je prétends que jamais
une pareille procédure n'a été suivie relativement
aux autres conférences impériales qui se sont succédées
au cours des vingt dernières années, jamais le parlement
canadien n'a songé à lier les mains de ses représentants
avant leur départ pour assister aux conférences
impériales qui se sont tenues dans le passé.
Pourquoi cette démarche ne
se conseille-t-elle pas? C'est que d'abord, répondrai-je,
elle s'accorderait peu avec le principe de la conférence.
Cette conférence a lieu pour faire connaître l'état
de choses existant dans les diverses colonies aux représentants
de toutes les colonies, et pour qu'on y puisse énoncer
et peser les faits qui peuvent être connus de quelques-uns,
des faits dont l'importance peut n'avoir pas été
bien saisie dans quelques colonies, mais non dans d'autres, afin
qu'on puisse recueillir les opinions que l'on tient pour être
de grande conséquence dans certaines régions du
pays et moins dans d'autres, afin, en un mot, qui puisse être
tirées des conclusions qui semblerait avantageuses à
tous. Telle est la définition qui me semble être
celle de la véritable nature de la conférence elle-même.
Cela étant, il me semble que la Chambre aurait tort de
vouloir tracer la marche que devront suivre les représentants
de ce pays dans un examen de certaines matières soumises
à la discussion. Ce n'est pas tout, cependant, l'attitude
que l'on nous demande de prendre cet après-midi, demande
que l'on fait sans avoir pour but, nous assure-t-on, d'embarrasser
le Gouvernement, mais plutôt de lui venir en aide dans l'accomplissement
de cette importante mission; cette attitude, dis-je, que l'on
nous demande de prendre cet après-midi, pourra devenir
une pratique à suivre par les autres Dominions, une pratique
à suivre non seulement à l'égard des matières
spécialement indiquées dans la proposition d'amendement,
mais aussi à l'égard de certains autres sujets-puisque
si nous avons raison de donner un ordre quant à l'un d'eux,
nous avons raison de le donner quant à un autre. Supposons
que cette attitude soit prise également par l'Australie,
par la Nouvelle-Zélande, par Terre-Neuve, par l'Inde, par
la Grande-Bretagne, et que chacun de ces pays la mène à
sa conclusion logique; supposons que les délégués
se rendent à la conférence avec ordre donné
par leurs gouvernements d'agir dans un certain sens sur un point
ou sur tous, je me demande pourquoi ces délégués
iraient là-bas.
Quel est l'objet de la conférence?
La conférence n'aura-t-elle pas été détruite
dès l'heure de sa conception? En vérité,
la démarche que l'on nous propose cet après-midi
serait le premier pas vers un état de choses où
il deviendrait inutile aux divers pays de l'empire de se consulter
dans un intérêt commun.
L'honorable chef de la gauche me
prie de bien vouloir ne pas tenir sa proposition pour une demande
faite à la Chambre de déclarer qu'elle n'a pas confiance
dans le Gouvernement. Mais si l'honorable député
a confiance dans le Gouvernement et, plus particulièrement,
dans le premier ministre au sujet de cette conférence,
je ne sais plus vraiment pourquoi la motion est proposée.
Au reste, une telle motion dans la circonstance pose de prime
abord la question de cabinet. II y a quelques jours, l'honorable
député de Queen-et-Shelburne (M. Fielding), désireux
de persuader au Parlement qu'une demande d'adopter le vieux pacte
de réciprocité de 1911, demande faite par voie d'amendement
à celle de se former en comité des subsides, n'avait
pas le caractère d'une question de cabinet, a fait part
à la Chambre du résultat de ses recherches à
cet égard et j'ai pris plaisir à l'écouter.
II était parvenu à découvrir deux amendements
proposés depuis la confédération dans les
mêmes circonstances, amendement que l'on a pas tenu pour
l'expression d'un manque de confiance dans le Gouvernement; deux
en cinquante-quatre ans. Pas n'est besoin de raisonner ensuite
pour savoir qu'une motion présentée avant le passage
aux subsides, pose de prime abord la question de confiance, d'autant
surtout qu'une telle motion serait faite par le chef de la gauche,
qui cherche à lier les mains d'un représentant du
pays au moment où il se prépare à se rendre
à une conférence des premiers ministres de l'empire.
Quoi qu'il en soit de la réponse à cette question,
il serait peu prudent de la part de cette Chambre de s'engager
dans une voie menant à la destruction de l'unique but que
nous pouvons viser à titre de colonies autonomes associées
à la Grande-Bretagne, but qui est l'avancement de nos intérêts
communs et les mesures à prendre pour que l'empire subsiste
dans les conditions actuelles.
Pendant que j'ai la parole, et puisque
je ne pourrai pas le faire plus tard, je vais dire les motifs
de cette convocation; je vais dire de plus quelles sont les matières
que l'on y discutera. Je m'efforcerai en même temps d'établir
en quoi la présente conférence se distingue des
autres qui lui sont semblables sous quelques rapports. A mesure
que j'avancerai dans ces explications, je répondrai aux
questions que vient de me poser le chef de la gauche.
La conférence impériale
de 1917 - je crois que c'est cette conférence et non le
cabinet de guerre impérial-adopta une résolution
où il était déclaré que la question
de tout remaniement nécessaire des rapports constitutionnels
des diverses colonies autonomes entre elles et avec la mère
patrie était si importante et si complexe qu'il fallait
en confier l'étude à une conférence spéciale
qui aurait lieu après la guerre, et qu'aucune décision
à intervenir ne devrait ignorer ni réduire les pouvoirs
inhérents à l'autonomie de ces possessions ni même
faillir de reconnaître leur droit de se prononcer quand
il s'agirait de déterminer le caractère et les principes
de la politique étrangère intéressant l'empire
tout entier. Je vais faire la distinction des diverses conférences
qui ont eu lieu, afin que la Chambre ne se méprenne pas.
Je commencerai par signaler la conférence
impériale. Elle a tenu des réunions périodiques
dès avant ce siècle. En 1907, elle décide
par une résolution - la résolution n° 1 - de se
réunir tous les quatre ans. Elle se compose de ministres
représentant la Grande-Bretagne et les diverses parties
de l'empire. Elle a pour président le premier ministre
d'Angleterre, mais elle est convoquée à la demande
du secrétaire d'État aux colonies, et le rouage
de sa procédure, c'est-à-dire le secrétariat
de la conférence, est sous la surveillance de celuici.
De fait, c'est lui qui préside d'ordinaire, en sa qualité
de vice-président de la conférence. Le thème
des délibérations de la conférence impériale
a invariablement consisté en ce qui pouvait intéresser
l'empire et ses parties intégrantes au point de vue domestique,
il n'y a jamais été question de politique étrangère.
Au cours de la guerre a surgi ce
qu'on a appelé le cabinet de guerre impérial, nom
qui pouvait répugner à quelquesuns sous prétexte
qu'il donnait à entendre plus qu'il ne signifiait réellement.
De fait, l'ancien chef de l'opposition, sir Wilfrid Laurier, a
trouvé que le nom de "conseil" eut été
préférable. Ce cabinet se composait de ministres
d'Angleterre et de possessions de l'empire. Sa composition ressemblait
donc à celle de la conférence impériale.
Il avait pour président le premier ministre d'Angleterre.
Le secrétaire des colonies n'y était pas spécialement
concerné. Il était convoqué par le premier
ministre d'Angleterre, et le thème de ses délibérations
différait essentiellement de celui des délibérations
de la conférence impériale. Il s'occupait de questions
de haute politique, de questions concernant les affaires étrangères
et surtout l'union des efforts de toutes les parties de l'empire
en vue de remporter la victoire. Voilà ce qui en était
de ce cabinet.
Je rappellerai qu'avant cette époque
c'est-à-dire en 1911, il s'était agi du renouvellement
de l'alliance japonaise, question relative aux affaires étrangères
et au sujet de laquelle le Canada avait fait entendre sa voix
par l'entremise de sir Wilfrid Laurier, son représentant.
Toutefois, le Canada s'était prononcé à une
réunion non pas de la conférence impériale
mais du comité de la défense impériale, institution
toute différente. J'ajouterai qu'il fut prévu par
le cabinet de guerre impérial que toute possession britannique
autonome pouvait faire assister un de ses ministres à toute
séance tenu par ce cabinet au sujet de la guerre, entre
ses séances plénières. Mais comme on ne s'est
jamais prévalu de ce privilège, qu'il me suffise
d'y faire allusion.
A la conférence de la paix
qui eut lieu à Paris, les ministres des diverses possessions
autonomes - tous leurs premiers ministres étaient là,
je crois - crurent devoir se réunir pour discuter certains
points et conclure certains arrangements de souveraine importance
d'après eux, avant la réunion de la conférence
constitutionnelle prévue par la résolution de la
conférence impériale de 1917 dont j'ai parlé.
Mais la réunion de ces ministres n'eut pas lieu, parce
qu'ils ne réussirent pas à en fixer le lieu ni
la date. Ce ne fut qu'en octobre dernier que le premier ministre
d'Angleterre suggéra, dans un message confidentiel, que
certains premier ministres pouvant plutôt assister à
une conférence au mois de juin. Le Canada fut représenté
par son premier ministre à cette conférence, qui
avait lieu en Angleterre dans ce moislà.