Ce dîner annuel, placé sous
le signe de la fraternité, symbolise une grande vérité,
savoir qu'il y a tellement plus de choses qui unissent les hommes
des différentes races et des différentes religions
qu'il n'y a de facteurs de division, que les hommes ont en commun
tellement plus d'idéaux qu'il n'y a d'intérêts
particuliers qui ne les isolent les uns des autres; qu'ils ont
en commun tant d'aspirations vers le bien et vers la vérité,
qu'ils tiennent ensemble à tant de valeurs communes, lesquelles
ont une signification tellement plus profonde que les préjugés
qui révèlent le côté sombre du coeur
humain.
Cette rencontre annuelle est un hommage
à la fraternité des hommes et à l'unité
du Dieu qui nous unit tous.
Dans un sens réel, le sentiment
de charité à l'égard de son prochain prend
sa source au plus profond du psychisme humain; mais cette qualité
doit être présente aussi dans tout régime politique
pour qu'il y ait de la cohésion et de l'honnêteté
dans un tel régime.
Toute ma vie, j'ai cherché
à favoriser le développement d'un véritable
esprit de fraternité. Ai-je besoin de mentionner l'intérêt
que j'ai pris à des programmes relatifs aux droits de l'homme
tant sur le plan international que sur le plan national?
La bonne volonté seule s'est
révélée insuffisante pour que soit reconnue
l'égalité des hommes devant la loi. Il y a lieu
d'établir des lois qui affirment cette égalité
des hommes devant la loi.
L'homme ne peut légiférer
en ce qui concerne le coeur humain, mais il peut passer des lois
qui le protègent contre ses faiblesses. Nous avons encore
beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir affirmer
qu'il existe maintenant une société parfaite dans
laquelle des considérations de races, de croyances ou de
couleurs n'entrent pas dans la détermination des avantages
auxquels les hommes ont droit, ni des mérites qui sont
la mesure de l'homme.
Bien que personne dans notre pays
ne doive plus ressentir les effets des préjugés,
l'on ne saurait nier qu'il existe encore des murs élevés
d'intolérance.
Le sentiment de fraternité,
bien qu'il naisse au foyer et préside aux relations d'un
peuple, ne saurait s'en tenir là. Les révolutions
dans le monde que l'on a décrites comme "l'affirmation
d'espoirs naissants" et "l'abolition du colonialisme"
ont donné naissance à de nouvelles forces, à
de nouveaux peuple, et à de nouvelles exigences, qui occupent
avec nous les tréteaux de l'histoire contemporaine. Les
nations nouvelles prennent conscience d'elles-mêmes en comparant
leurs conditions économiques et sociales avec celles des
secteurs plus favorisés du genre humain. secteurs auxquels
le Canada appartient. Ces nouveaux venus de la politique mondiale
et de l'histoire du monde tentent de réaliser dès
maintenant leurs espoirs de bien-être et de participation
à égalité de droits. Ce sont des peuples
pressés qui n'attendront pas que l'histoire progresse pour
eux aussi lentement dans l'avenir que ce ne fut le cas dans le
passé.
Il existe un désir universel
que soit reconnue la fraternité et que disparaisse toute
forme d'injustice fondée sur des considérations
de race.
Dans bien des milieux, on s'interroge
avec anxiété sur l'utilité actuelle et future
de l'organisation des Nations-Unies. On a exprimé des inquiétudes
au sujet de la direction donnée à l'ONU par certains
événements récents et au sujet des divers
critères utilisés par certains de ses membres selon
qu'il s'agit d'une nation ou d'une autre.
Il est évident que l'ONU ne
saurait empêcher un conflit entre les grandes puissances.
Ses membres doivent négocier de façon à s'extriquer
de la confusion et des différences qui les divisent. Au
cours des dernières semaines, des fissures ont commencé
d'apparaître dans la glace de la guerre froide qui a figé
les relations entre l'Est et l'Ouest depuis mai 1960.
J'ai reçu il y a quelques
jours une nouvelle proposition de monsieur Khrushchev invitant
les chefs de gouvernement à se réunir pour discuter
des questions très importantes relatives au désarmement.
Ces indices sont toujours les bienvenus, bien que les initiatives
de ce genre en provenance de l'Union-Soviétique doivent
être, et elles le sont, étudier soigneusement par
les puissances de l'Ouest qui se consultent à leurs sujets.
Le désir de l'Occident de trouver des solutions pacifiques
ne saurait être orienté sur de fausses pistes par
des manoeuvres de procédure visant un avantage momentané.
C'est pourquoi il est essentiel d'étudier
avec soin la lettre de monsieur Khrushchev afin de déterminer
si oui ou non son offre est réaliste. Les prochains entretiens
sur le désarmement qui commenceront à Genève,
le 14 mars, se fonderont au départ sur un accord déjà
réalisé quant aux grands principes. Il faudra profiter
de l'occasion pour convertir ces principes en des mesures pratiques
pour le désarmement.
La présence des ministres
des Affaires étrangères, représentant les
pays membres du Comité au début des négociations,
permettrait d'y apporter la direction nécessaire aux premiers
travaux du Comité. S'il devait apparaître à
une étape ou l'autre des discussions qu'une rencontre au
niveau des chefs de gouvernement faciliterait le progrès
vers le désarmement, il faudrait tenir une telle rencontre.
Pendant qu'on examine les terrains
de conflit entre l'Est et l'Ouest à la recherche de moyens
qui permettent d'améliorer la situation, il faut étouffer
les foyers de tension internationale qui, à un moment ou
l'autre, peuvent éclater en flammes. Les Nations-Unies
ont démontré leur capacité de maîtriser
des guerres locales, c'est-à-dire ces étincelles
qui jaillissent dans des régions éloignées,
mais qui portent en elles la menace d'une conflagration mondiale.
Elle va même plus loin: l'article
19 prévoit que les membres qui sont en retard quant au
versement de leurs contributions financières n'auraient
point droit de voter à l'Assemblée générale.
Lors de la seizième session,
l'assemblée générale a pris des mesures extraordinaires
afin de parer aux problèmes principaux de financement.
Le Canada a joué un rôle de premier plan dans la
présentation et l'adoption d'une résolution en vertu
de laquelle la Cour de Justice internationale serait consultée
sur la question des obligations en droit qu'ont les membres de
contribuer aux frais des opérations qui ont pour but le
maintien de la paix. Le Canada avec d'autres pays a présenté
une deuxième résolution autorisant le Secrétaire
général a émettre des obligations d'un montant
de $200 millions. L'attitude du Canada sur ces questions traduit
son intérêt à voir grandir le rôle des
Nations Unies en ce qui concerne le maintien de la paix et aussi
à voir s'établir des principes et des méthodes
solides grâce auxquels le fardeau financier sera partagé
par tous les membres.
Aucune organisation internationale
ne peut espérer survivre aux demandes et responsabilités
croissantes si elle n'est assurée d'avoir les ressources
financières nécessaires. On ne saurait justifier
que certains membres supportent une charge financière disproportionnée,
alors que d'autres, non moins en mesure de payer, puissent se
croire permis de contribuer seulement à l'égard
de certaines entreprises qui, comme par hasard, sont de leur goût.
Une cause importante de la faiblesse des Nations-Unies aujourd'hui
est la rivalité persistante qui existe entre les principaux
groupes de nations. Cet entrecroisement de courants de concurrence
n'est pas nouveau. La guerre froide, la lutte anti-coloniale comme
on la désigne et le concours qui se déroule aux
Nations-Unies pour la direction, existent depuis le début.
Ces derniers temps la concurrence a été intensifiée
du fait que les divers gouvernements de nations se sont rapprochés
d'un état d'équilibre.
Ces conditions reflètent les
ajustements compliqués d'un moment en évolution.
Elles peuvent signifier le début d'un nouvelle et plus
forte Organisation des Nations-Unies mais ceci à la condition
seulement que les États membres continuent de reconnaître
qu'il existe un besoin absolu d'une organisation internationale
dans ce monde compliqué d'aujourd'hui.
Même avec toutes ses limitations,
l'ONU a bien des éléments en sa faveur. Aucun État
membre n'a quitté l'organisation. Au contraire les Nations-Unies
ont attiré à elle les nouveaux États qui
ont considéré que le fait d'être admis aux
Nations-Unies représentait pour eux une preuve qu'ils avaient
atteint l'état d'indépendance.
On espère pour l'avenir que
lorsque ces nouvelles nations auront trouvé leur place
dans la communauté internationale, -- et leur appartenance
aux Nations-Unies va certainement les aider dans ce sens, -- elles
feront plein usage des Nations-Unies comme moyen de renforcer
les fondements de la paix et de la sécurité par
la coopération collective.
La Charte a fourni les éléments
nécessaires pour que se développe ce genre de coopération
qui seule peut amener des arrangements, des compromis et, en fin
de compte, l'harmonie essentielle à l'établissement
de l'ordre sur le plan international. Mais il faut un retour voulu
aux buts et aux méthodes fondamentaux des Nations-Unies,
c'est-à-dire aux méthodes de médiation, de
négociation et de conciliation.
D'abord et surtout, au lieu d'insister
sur des sujets confondus avec l'émotion, les Nations-Unies
doivent continuer à concentrer leur attention sur le but
fondamental qui est le maintien de la pays. L'ONU doit, par dessus
tout, tenir compte de la déclaration émouvante des
buts, laquelle déclaration commence par affirmer qu'il
faut sauver les générations qui vont suivre du fléau
de la guerre. Le défi principal qui lui est posé
est de considérer dans leur perspective les buts à
atteindre et les priorités à établir à
ces fins.
Deuxièmement, afin de bien
remplir son rôle, les Nations-Unies doivent être fortes
moralement et matériellement. Elles doivent résister
à toute tentation de mobiliser une opinion massive pour
appuyer des condamnations faites dans la colère et des
menaces vides.
Les débats et la propagande
doivent être subordonnés au besoin d'un action efficace.
Troisièmement, il existe un
important et urgent besoin pour les Nations-Unies de consacrer
toute leur attention et toute leur énergie à améliorer
leurs méthodes en vue du maintien de leur pays. Il lui faut
créer de nouveaux moyens de mettre rapidement sur pied
un mécanisme efficace qui peut être mis en opération
chaque fois qu'il y aura tension ou danger quelque part. L'expérience
du passé dans ce domaine de la préservation de la
paix, indique la direction à prendre pour ce qui est de
renforcer les méthodes d'observation, de surveillance et
de conciliation. Les États membres et le Secrétariat
disposent de ressources importantes qui peuvent être employées
plus utilement.
Finalement, il est impérieux
que soient appliqués les principes et les dispositions
de la Charte, selon une conception unique applicable à
tous les membres des Nations-Unies. C'est là une condition
essentielle à l'espoir des nations qui veulent renforcer
leur organisation internationale à l'avenir.
Cela implique de la part de tous
les États membres, pour favoriser le renforcement de la
paix dans le plus grand nombre de pays possibles, la volonté
de réconcilier leurs intérêts nationaux et
régionaux avec la cause commune et aussi de fournir un
appui suffisant, politique, moral et financier, afin d'assurer
que les Nations-Unies pourront poursuivre leurs objectifs sans
flancher.
Je crois qu'on se rend compte de
plus en plus, des dangers graves qui résulteraient si l'on
permettait aux Nations Unies de défaillir ou de s'écrouler.
J'espère que ce sentiment de responsabilité se cristallisera
en la détermination de la part des membres de l'ONU d 'adapter
l'Organisation aux exigences essentielles de notre époque.
De cette façon, même dans les circonstances nouvelles
et énormément changées des années
soixante, les Nations Unies réussiront peut-être
à atteindre ses buts et à établir les principes
qui lui ont été imposés par la Charte de 1945 et
qui demeurent encore aujourd'hui une des expressions des plus
hautes aspirations de l'homme.
En dehors des Nations Unies, le sens
de la fraternité joue un rôle sur le plan mondial
et se manifeste de diverses façons. Le Plan de Colombo,
le programme français d'aide à la Communauté
française en Afrique, l'immense programme américain
d'aide technique et de placement, l'aide constante du Gouvernement
britannique à ses colonies anciennes et actuelles, le programme
d'aide technique d'Israël en vertu duquel des talents scientifiques
et administratifs sont mis à la disposition des pays sous-développés,
tous ces programmes représentent la fraternité devenue
une réalité.
Est-ce que tous ces programmes permettent
vraiment de croire qu'à l'intérieur comme à
l'extérieur des Nations Unies se développe un sens
de la communauté qui donnerait une signification, de quelque
façon qu'on l'utiliserait, à cette phrase "Je
suis un citoyen du monde" ?
La course est engagée entre
l'établissement dans le monde de la compréhension
entre les hommes et les forces explosives de la crainte et de
l'ignorance. C'est l'avenir du genre humain qui se joue dans cette
course. En outre, cette compréhension doit franchir deux
grands gouffres: le gouffre idéologique qui sépare
le monde soviétique du monde non-soviétique et le
gouffre que représente l'écart des standards de
vie entre les peuples du Sud et ceux du Nord. Les moyens dont
nous disposons pour construire les ponts nécessaires ne
sont pas les mêmes dans les deux cas, bien que la force
de cohésion dont nous disposons pour tous ces ponts est
la fraternité.
Dans la tradition judéo-chrétienne,
la réponse à la question "Suis-je le gardien
de mon frère" fournit la trame de la commune histoire
biblique. Si la paix doit régner dans le monde ce concept
doit être la clé de voûte de la destinée
du genre humain.
Nous cherchons à comprendre
tout ce que l'humanité a en commun devant les menaces qui
pèsent sur l'espèce humaine tout entière.
Nous pouvons peut-être espérer que l'on reconnaîtra
enfin, et plus tôt qu'on ne l'aurait cru possible il y a
à peine quelques années, que la fraternité
de tous les hommes fournit le seul moyen à l'humanité
d'atteindre son plus haut objectif : la pleine réalisation
de la personne humaine à l'image de Dieu.