NOTES DEVANT SERVIR AU PREMIER MINISTRE

LE TRÈS HONORABLE M. JOHN G. DIEFENBAKER, C.P., C.R.,

POUR UN DISCOURS À PRONONCER À UN DÎNER OFFERT AU TEMPLE EMMANUEL

MONTRÉAL (QUEBEC), LE 14 FÉVRIER 1962




Ce dîner annuel, placé sous le signe de la fraternité, symbolise une grande vérité, savoir qu'il y a tellement plus de choses qui unissent les hommes des différentes races et des différentes religions qu'il n'y a de facteurs de division, que les hommes ont en commun tellement plus d'idéaux qu'il n'y a d'intérêts particuliers qui ne les isolent les uns des autres; qu'ils ont en commun tant d'aspirations vers le bien et vers la vérité, qu'ils tiennent ensemble à tant de valeurs communes, lesquelles ont une signification tellement plus profonde que les préjugés qui révèlent le côté sombre du coeur humain.

Cette rencontre annuelle est un hommage à la fraternité des hommes et à l'unité du Dieu qui nous unit tous.

Dans un sens réel, le sentiment de charité à l'égard de son prochain prend sa source au plus profond du psychisme humain; mais cette qualité doit être présente aussi dans tout régime politique pour qu'il y ait de la cohésion et de l'honnêteté dans un tel régime.

Toute ma vie, j'ai cherché à favoriser le développement d'un véritable esprit de fraternité. Ai-je besoin de mentionner l'intérêt que j'ai pris à des programmes relatifs aux droits de l'homme tant sur le plan international que sur le plan national?

La bonne volonté seule s'est révélée insuffisante pour que soit reconnue l'égalité des hommes devant la loi. Il y a lieu d'établir des lois qui affirment cette égalité des hommes devant la loi.

L'homme ne peut légiférer en ce qui concerne le coeur humain, mais il peut passer des lois qui le protègent contre ses faiblesses. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir affirmer qu'il existe maintenant une société parfaite dans laquelle des considérations de races, de croyances ou de couleurs n'entrent pas dans la détermination des avantages auxquels les hommes ont droit, ni des mérites qui sont la mesure de l'homme.

Bien que personne dans notre pays ne doive plus ressentir les effets des préjugés, l'on ne saurait nier qu'il existe encore des murs élevés d'intolérance.

Le sentiment de fraternité, bien qu'il naisse au foyer et préside aux relations d'un peuple, ne saurait s'en tenir là. Les révolutions dans le monde que l'on a décrites comme "l'affirmation d'espoirs naissants" et "l'abolition du colonialisme" ont donné naissance à de nouvelles forces, à de nouveaux peuple, et à de nouvelles exigences, qui occupent avec nous les tréteaux de l'histoire contemporaine. Les nations nouvelles prennent conscience d'elles-mêmes en comparant leurs conditions économiques et sociales avec celles des secteurs plus favorisés du genre humain. secteurs auxquels le Canada appartient. Ces nouveaux venus de la politique mondiale et de l'histoire du monde tentent de réaliser dès maintenant leurs espoirs de bien-être et de participation à égalité de droits. Ce sont des peuples pressés qui n'attendront pas que l'histoire progresse pour eux aussi lentement dans l'avenir que ce ne fut le cas dans le passé.

Il existe un désir universel que soit reconnue la fraternité et que disparaisse toute forme d'injustice fondée sur des considérations de race.

Dans bien des milieux, on s'interroge avec anxiété sur l'utilité actuelle et future de l'organisation des Nations-Unies. On a exprimé des inquiétudes au sujet de la direction donnée à l'ONU par certains événements récents et au sujet des divers critères utilisés par certains de ses membres selon qu'il s'agit d'une nation ou d'une autre.

Il est évident que l'ONU ne saurait empêcher un conflit entre les grandes puissances. Ses membres doivent négocier de façon à s'extriquer de la confusion et des différences qui les divisent. Au cours des dernières semaines, des fissures ont commencé d'apparaître dans la glace de la guerre froide qui a figé les relations entre l'Est et l'Ouest depuis mai 1960.

J'ai reçu il y a quelques jours une nouvelle proposition de monsieur Khrushchev invitant les chefs de gouvernement à se réunir pour discuter des questions très importantes relatives au désarmement. Ces indices sont toujours les bienvenus, bien que les initiatives de ce genre en provenance de l'Union-Soviétique doivent être, et elles le sont, étudier soigneusement par les puissances de l'Ouest qui se consultent à leurs sujets. Le désir de l'Occident de trouver des solutions pacifiques ne saurait être orienté sur de fausses pistes par des manoeuvres de procédure visant un avantage momentané.

C'est pourquoi il est essentiel d'étudier avec soin la lettre de monsieur Khrushchev afin de déterminer si oui ou non son offre est réaliste. Les prochains entretiens sur le désarmement qui commenceront à Genève, le 14 mars, se fonderont au départ sur un accord déjà réalisé quant aux grands principes. Il faudra profiter de l'occasion pour convertir ces principes en des mesures pratiques pour le désarmement.

La présence des ministres des Affaires étrangères, représentant les pays membres du Comité au début des négociations, permettrait d'y apporter la direction nécessaire aux premiers travaux du Comité. S'il devait apparaître à une étape ou l'autre des discussions qu'une rencontre au niveau des chefs de gouvernement faciliterait le progrès vers le désarmement, il faudrait tenir une telle rencontre.

Pendant qu'on examine les terrains de conflit entre l'Est et l'Ouest à la recherche de moyens qui permettent d'améliorer la situation, il faut étouffer les foyers de tension internationale qui, à un moment ou l'autre, peuvent éclater en flammes. Les Nations-Unies ont démontré leur capacité de maîtriser des guerres locales, c'est-à-dire ces étincelles qui jaillissent dans des régions éloignées, mais qui portent en elles la menace d'une conflagration mondiale.

Elle va même plus loin: l'article 19 prévoit que les membres qui sont en retard quant au versement de leurs contributions financières n'auraient point droit de voter à l'Assemblée générale.

Lors de la seizième session, l'assemblée générale a pris des mesures extraordinaires afin de parer aux problèmes principaux de financement. Le Canada a joué un rôle de premier plan dans la présentation et l'adoption d'une résolution en vertu de laquelle la Cour de Justice internationale serait consultée sur la question des obligations en droit qu'ont les membres de contribuer aux frais des opérations qui ont pour but le maintien de la paix. Le Canada avec d'autres pays a présenté une deuxième résolution autorisant le Secrétaire général a émettre des obligations d'un montant de $200 millions. L'attitude du Canada sur ces questions traduit son intérêt à voir grandir le rôle des Nations Unies en ce qui concerne le maintien de la paix et aussi à voir s'établir des principes et des méthodes solides grâce auxquels le fardeau financier sera partagé par tous les membres.

Aucune organisation internationale ne peut espérer survivre aux demandes et responsabilités croissantes si elle n'est assurée d'avoir les ressources financières nécessaires. On ne saurait justifier que certains membres supportent une charge financière disproportionnée, alors que d'autres, non moins en mesure de payer, puissent se croire permis de contribuer seulement à l'égard de certaines entreprises qui, comme par hasard, sont de leur goût. Une cause importante de la faiblesse des Nations-Unies aujourd'hui est la rivalité persistante qui existe entre les principaux groupes de nations. Cet entrecroisement de courants de concurrence n'est pas nouveau. La guerre froide, la lutte anti-coloniale comme on la désigne et le concours qui se déroule aux Nations-Unies pour la direction, existent depuis le début. Ces derniers temps la concurrence a été intensifiée du fait que les divers gouvernements de nations se sont rapprochés d'un état d'équilibre.

Ces conditions reflètent les ajustements compliqués d'un moment en évolution. Elles peuvent signifier le début d'un nouvelle et plus forte Organisation des Nations-Unies mais ceci à la condition seulement que les États membres continuent de reconnaître qu'il existe un besoin absolu d'une organisation internationale dans ce monde compliqué d'aujourd'hui.

Même avec toutes ses limitations, l'ONU a bien des éléments en sa faveur. Aucun État membre n'a quitté l'organisation. Au contraire les Nations-Unies ont attiré à elle les nouveaux États qui ont considéré que le fait d'être admis aux Nations-Unies représentait pour eux une preuve qu'ils avaient atteint l'état d'indépendance.

On espère pour l'avenir que lorsque ces nouvelles nations auront trouvé leur place dans la communauté internationale, -- et leur appartenance aux Nations-Unies va certainement les aider dans ce sens, -- elles feront plein usage des Nations-Unies comme moyen de renforcer les fondements de la paix et de la sécurité par la coopération collective.

La Charte a fourni les éléments nécessaires pour que se développe ce genre de coopération qui seule peut amener des arrangements, des compromis et, en fin de compte, l'harmonie essentielle à l'établissement de l'ordre sur le plan international. Mais il faut un retour voulu aux buts et aux méthodes fondamentaux des Nations-Unies, c'est-à-dire aux méthodes de médiation, de négociation et de conciliation.

D'abord et surtout, au lieu d'insister sur des sujets confondus avec l'émotion, les Nations-Unies doivent continuer à concentrer leur attention sur le but fondamental qui est le maintien de la pays. L'ONU doit, par dessus tout, tenir compte de la déclaration émouvante des buts, laquelle déclaration commence par affirmer qu'il faut sauver les générations qui vont suivre du fléau de la guerre. Le défi principal qui lui est posé est de considérer dans leur perspective les buts à atteindre et les priorités à établir à ces fins.

Deuxièmement, afin de bien remplir son rôle, les Nations-Unies doivent être fortes moralement et matériellement. Elles doivent résister à toute tentation de mobiliser une opinion massive pour appuyer des condamnations faites dans la colère et des menaces vides.

Les débats et la propagande doivent être subordonnés au besoin d'un action efficace.

Troisièmement, il existe un important et urgent besoin pour les Nations-Unies de consacrer toute leur attention et toute leur énergie à améliorer leurs méthodes en vue du maintien de leur pays. Il lui faut créer de nouveaux moyens de mettre rapidement sur pied un mécanisme efficace qui peut être mis en opération chaque fois qu'il y aura tension ou danger quelque part. L'expérience du passé dans ce domaine de la préservation de la paix, indique la direction à prendre pour ce qui est de renforcer les méthodes d'observation, de surveillance et de conciliation. Les États membres et le Secrétariat disposent de ressources importantes qui peuvent être employées plus utilement.

Finalement, il est impérieux que soient appliqués les principes et les dispositions de la Charte, selon une conception unique applicable à tous les membres des Nations-Unies. C'est là une condition essentielle à l'espoir des nations qui veulent renforcer leur organisation internationale à l'avenir.

Cela implique de la part de tous les États membres, pour favoriser le renforcement de la paix dans le plus grand nombre de pays possibles, la volonté de réconcilier leurs intérêts nationaux et régionaux avec la cause commune et aussi de fournir un appui suffisant, politique, moral et financier, afin d'assurer que les Nations-Unies pourront poursuivre leurs objectifs sans flancher.

Je crois qu'on se rend compte de plus en plus, des dangers graves qui résulteraient si l'on permettait aux Nations Unies de défaillir ou de s'écrouler. J'espère que ce sentiment de responsabilité se cristallisera en la détermination de la part des membres de l'ONU d 'adapter l'Organisation aux exigences essentielles de notre époque. De cette façon, même dans les circonstances nouvelles et énormément changées des années soixante, les Nations Unies réussiront peut-être à atteindre ses buts et à établir les principes qui lui ont été imposés par la Charte de 1945 et qui demeurent encore aujourd'hui une des expressions des plus hautes aspirations de l'homme.

En dehors des Nations Unies, le sens de la fraternité joue un rôle sur le plan mondial et se manifeste de diverses façons. Le Plan de Colombo, le programme français d'aide à la Communauté française en Afrique, l'immense programme américain d'aide technique et de placement, l'aide constante du Gouvernement britannique à ses colonies anciennes et actuelles, le programme d'aide technique d'Israël en vertu duquel des talents scientifiques et administratifs sont mis à la disposition des pays sous-développés, tous ces programmes représentent la fraternité devenue une réalité.

Est-ce que tous ces programmes permettent vraiment de croire qu'à l'intérieur comme à l'extérieur des Nations Unies se développe un sens de la communauté qui donnerait une signification, de quelque façon qu'on l'utiliserait, à cette phrase "Je suis un citoyen du monde" ?

La course est engagée entre l'établissement dans le monde de la compréhension entre les hommes et les forces explosives de la crainte et de l'ignorance. C'est l'avenir du genre humain qui se joue dans cette course. En outre, cette compréhension doit franchir deux grands gouffres: le gouffre idéologique qui sépare le monde soviétique du monde non-soviétique et le gouffre que représente l'écart des standards de vie entre les peuples du Sud et ceux du Nord. Les moyens dont nous disposons pour construire les ponts nécessaires ne sont pas les mêmes dans les deux cas, bien que la force de cohésion dont nous disposons pour tous ces ponts est la fraternité.

Dans la tradition judéo-chrétienne, la réponse à la question "Suis-je le gardien de mon frère" fournit la trame de la commune histoire biblique. Si la paix doit régner dans le monde ce concept doit être la clé de voûte de la destinée du genre humain.

Nous cherchons à comprendre tout ce que l'humanité a en commun devant les menaces qui pèsent sur l'espèce humaine tout entière. Nous pouvons peut-être espérer que l'on reconnaîtra enfin, et plus tôt qu'on ne l'aurait cru possible il y a à peine quelques années, que la fraternité de tous les hommes fournit le seul moyen à l'humanité d'atteindre son plus haut objectif : la pleine réalisation de la personne humaine à l'image de Dieu.





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