Les heures que nous vivons sont d'une
gravité exceptionnelle. Un groupe d'extrémistes
a décidé de s'attaquer par la violence et le terrorisme
à la liberté et à l'unité du pays.
Des menaces pèsent sur la vie de deux hommes innocents.
Ces questions sont extrêmement sérieuses, et je me
dois de vous entretenir de la situation et des mesures que le
Gouvernement a prises pour y faire face.
Ce qui s'est produit à Montréal,
au cours des deux dernières semaines, n'est pas sans précédent.
Cela est arrivé ailleurs dans le monde à plusieurs
reprises, et pourrait se produire dans d'autres régions
du pays. Mais les Canadiens ont toujours cru que de tels événements
ne pourraient survenir ici; c'est pourquoi nous en sommes si bouleversés.
Notre présomption était
peut-être naïve, mais elle s'expliquait aisément,
parce que la démocratie est solidement enracinée
chez nous, et parce que nous avons toujours attaché le
plus grand prix à la liberté individuelle.
En dépit de ce climat - et
peut-être en partie à cause de lui - voici qu'il
suffit de quelques exaltés pour nous révéler
à quel point peut être fragile une société
démocratique lorsque la démocratie n'est pas préparée
à se défendre, et combien peut être vulnérable
au chantage un peuple foncièrement humain et tolérant.
Les gouvernements du Canada et du
Québec se sont fait dire par des groupes de révolutionnaires
que, si l'on ne donne pas suite à leurs demandes, deux
hommes seront assassinés. Les ravisseurs prétendent
agir ainsi pour attirer l 'attention sur des cas d'injustice sociale.
Mais l'attention de qui veulent-ils attirer? Celle du Gouvernement
du Canada? Celle du Gouvernement du Québec? Tous les gouvernements
du pays sont parfaitement conscients qu'il existe des problèmes
sociaux à la fois graves et complexes. Et chaque gouvernement,
au mieux de ses ressources et possibilités, s'attache à
y trouver des solutions. Et si l'on doute de la bonne foi ou de
la compétence de tel ou tel gouvernement, les partis d'opposition,
ou tout nouveau groupe politique, sont là, qui ne demandent
pas mieux que d'avoir l'occasion de gouverner. Bref, partout au
Canada, on peut se prévaloir de moyens pacifiques pour
changer de gouvernement. Les citoyens y ont eu recours maintes
et maintes fois.
Ces victimes qui ont été
enlevées, qui sont-elles? Pour les familles éprouvées,
ce sont des maris et des pères. Pour les ravisseurs, ils
ne sont que des moyens de chantage. Ces ravisseurs en effet auraient
pu s'emparer de n'importe qui, de vous de moi, ou même
d'un enfant. Leur but est d'exploiter les sentiments de compassion
que nous ne pouvons pas manquer d'éprouver dans de telles
circonstances, et de forcer cette sympathie à servir la
violence de leurs ambitions révolutionnaires.
Qu'est-ce que demandent ces gens
en retour de la vie de leurs otages? Plusieurs choses. Entre autres,
ils exigent que soient publiquement étalés leurs
griefs, comme s'il suffisait de lancer des slogans et des injures
pour régler les problèmes de l'univers et pour rallier
l 'opinion à leur cause.
Ils exigent aussi que leur soit sacrifiée
par la police une personne qui aurait, selon eux, contribué
à l'arrestation légale et à la juste condamnation
de certains criminels de leurs amis.
Ils exigent aussi de l'argent.
Ils exigent encore plus. Que soient
libérés de prison 17 criminels et que soient retirées
les accusations portées contre 6 autres hommes, les uns
et les autres étant qualifiés par eux de "prisonniers
politiques". Qui sont-ils, ces individus qu'on voudrait nous
faire passer pour des patriotes et des martyrs? Je vais vous le
dire.
Trois d'entre eux ont été
condamnés pour meurtre; cinq autres ont été
mis en prison pour homicide involontaire; un autre a été
condamné à l'emprisonnement à perpétuité
après s'être reconnu coupable de nombreux délits
en rapport avec des explosions à la bombe un autre encore
a été déclaré coupable de 17 vols
à main armée; deux autres ont été
libérés sur parole mais sont de nouveau incarcérés
et subiront leur procès sous des inculpations de vols.
Et on voudrait nous faire croire
que ces gens ont été victimes d'injustices, qu'ils
ont été emprisonnés à cause de leurs
opinions politiques et qu'ils méritent d'être libérés.
La responsabilité de décider
si l'un ou l'autre de ces prisonniers devrait être élargi
appartient au gouvernement fédéral. C'est une responsabilité
que le gouvernement assumera conformément aux dispositions
de la loi. Mais céder aux pressions de ces ravisseurs qui
exigent l'élargissement des détenus ne serait pas
seulement abdiquer cette responsabilité, mais provoquerait
un accroissement de l'activité terroriste au Québec.
Ce serait en outre encourager le terrorisme à travers le
pays et risquer d'y voir se multiplier les enlèvements.
Le FLQ détient comme otages
dans la région de Montréal deux hommes, un diplomate
britannique et un ministre du gouvernement québécois.
On menace de les assassiner. Si les Gouvernements cédaient
à ce grossier chantage, la loi de la jungle finirait alors
par supplanter nos institutions juridiques, qui se désagrégeraient
graduellement. Car enfin, si, comme certains le suggéraient,
on avait accédé cette fois-ci aux exigences des
terroristes, quitte à exercer "la prochaine fois"
une sévérité et une vigilance accrues, on
n'aurait fait que retarder l'échéance. Demain, la
victime aurait été un gérant de caisse populaire,
un fermier, un enfant. Ç'aurait été, dans
tous les cas, un membre de votre famille. Est-ce alors seulement
qu'il aurait fallu s'opposer au chantage? Combien d'enlèvements
aurait-il fallu avant de dire non aux ravisseurs? L'histoire ne
nous a-t-elle pas suffisamment éclairés sur ces
pays qui ont payé cher une complaisance de cet ordre, trop
longtemps entretenue? En décidant de prévenir une
telle éventualité, le Gouvernement n'entend pas
seulement défendre un principe important , il veut protéger,
des périls auxquels j'ai fait allusion, la vie de tous
les citoyens. Les lois sont faites pour sauvegarder la liberté
et la sécurité de chacun, encore faut-il, pour être
efficaces, que ces lois soient respectées.
C'est le devoir des gouvernements
de s'opposer aux exigences des ravisseurs, mais il ne fait aucun
doute que ce sont les ravisseurs qui ont la vie des otages entre
leurs mains. Il faudrait une logique absolument aberrante pour
penser autrement. Rien de ce que les Gouvernements du Canada et
du Québec ont fait, ou n'ont pas fait, n'excuserait jamais
le moindre tort que pourrait subir l'un ou l'autre de ces deux
hommes innocents. Ceux qui ont le doigt sur la gâchette,
ce sont des membres du FLQ. Rien ne saurait donc justifier le
mal qui pourrait être fait à ces deux hommes et,
si, par malheur, quelque chose leur arrivait, le Gouvernement
pourchassera sans relâche les coupables.
Au cours des douze derniers jours,
les Gouvernements du Canada et du Québec se sont constamment
consultés. La ligne de conduite qui a été
adoptée a reçu l'appui complet des deux gouvernements
et des autorités municipales de Montréal. Dans le
but de sauver la vie de Monsieur Cross et celle de Monsieur Laporte,
nous avons établi un contact indirect avec les ravisseurs.
Les ravisseurs n'ont pas encore accepté
notre offre d'un sauf-conduit vers un pays de leur choix en retour
de la libération des otages. Ils n'ont pas encore accepté
non plus l'offre du Gouvernement du Québec de recommander
la libération conditionnelle de cinq détenus éligibles
à ce privilège.
Si nous avons offert un sauf-conduit,
c'est uniquement parce que M. Cross et M. Laporte pourraient identifier
leurs ravisseurs et contribuer à leur éventuelle
condamnation. De cette façon, nous éliminons donc
les motifs que ces derniers pourraient avoir de faire mourir leurs
otages.
Pour survivre, toute société
démocratique doit pouvoir se débarrasser du cancer
que représente un mouvement révolutionnaire armé,
voué à la destruction des fondements mêmes
de notre liberté.
Pour cette raison, après avoir
examiné la situation, et compte tenu des requêtes
du Gouvernement du Québec et de la ville de Montréal,
le Gouvernement du Canada a décidé de proclamer
la Loi sur les mesures de guerre. Ceci a été fait
à 4 heures ce matin, afin de permettre aux autorités
de prendre immédiatement les dispositions nécessaires
pour tenir en échec tous ceux qui préconisent la
violence, ou l'exercent, à des fins politiques.
La Loi sur les mesures de guerre
accorde au Gouvernement des pouvoirs très étendus.
Elle met aussi en suspens l'application de la Déclaration
Canadienne des droits de l'homme. Je peux vous assurer que ce
n'est pas de gaieté de coeur que le Gouvernement assume
de tels pouvoirs. Il ne s'y est résolu que lorsqu'il est
devenu évident que la situation ne pouvait plus être
maîtrisée autrement. Les pouvoirs que leur confère
la loi sur les mesures de guerre permettront aux gouvernements
de parer aux dangers très graves que représentent
pour la société les organisations terroristes. Le
droit criminel, dans son état actuel, est insuffisant face
à l'action du terrorisme systématique.
Par conséquent, il a été
accordé à la police certains pouvoirs extraordinaires
qui lui permettront de faire un travail de détection plus
efficace, et d'éliminer le FLQ ou tout autre groupe préconisant
l'usage de la violence à des fins politiques. Ces groupes
et l'appartenance à de tels groupes ont été
déclarés illégaux. Ces pouvoirs comprennent
le droit de procéder sans mandat à des perquisitions
ou à des arrestations, de détenir des suspects sans
avoir à porter immédiatement contre eux des accusations
précises, et de recourir à la détention sans
cautionnement.
Ce sont là de très
amples pouvoirs, qui ne me sourient pas plus qu'à vous,
j'en suis sûr. Mais, sans eux, la police ne pourrait pas
avoir raison, de ces individus qui se sont voués au renversement
de notre régime démocratique par la violence.
Le Gouvernement est conscient de
sa grave responsabilité en intervenant dans l'exercice
de certaines libertés, et il répondra de ses actions
devant le peuple. D'autre part, il révoquera cette proclamation
le plus tôt possible, compte tenu de son obligation de protéger
l'État contre l'insurrection.
Comme je l'indiquais à la
Chambre des communes ce matin, le gouvernement prévoit
un laps de temps suffisant pour déterminer quel devrait
être le contenue d'une loi qui conviendrait aux circonstances
présentes. J'ai fermement l'intention de discuter avec
les chefs les partis de l'Opposition l'opportunité de présenter
une loi d'une portée plus restreinte que celle de la loi
sur les mesures de guerre. A cet égard, j'ai prié
instamment l'Opposition de faire des propositions positives relativement
à l'amendement du règlement adopté la nuit
dernière. L'inclusion possible de telles propositions
dans la nouvelle loi sera prise en sérieuse considération.
Le peuple doit être protégé
contre les menées de fanatiques capables de tout, même
les crimes les plus odieux, qu'ils tentent de faire passer pour
des actes d'héroïsme.
La menace des terroristes du FLQ
est tout à fait disproportionnée à leur nombre.
Cela tient à ce qu'ils agissent dans la plus totale clandestinité
et que nous les savons en possession d'une quantité considérable
de dynamite.
Je sais que le fait d'acculer le
gouvernement à des mesures d'exception peut devenir un
piège tendu à l'État par les extrémistes.
C'est une tactique bien connue des mouvements qui tentent de détruire
la société par la violence que de pousser les gouvernements
à durcir leurs attitudes. Les extrémistes invoquent
ensuite ces apparences d'autoritarisme pour justifier une recrudescence
de leurs attaques contre les structures sociales. Les décisions
que le gouvernement à du prendre ont été
prises en réponse au terrorisme. Ce sont les extrémistes
qui ont amorcé ce processus; ce sont eux qui ont eu recours
à la bombe, au meurtre et à l'enlèvement.
Je suis convaincu que le public ne sera pas dupe de cette stratégie.
Pour parer au sérieux danger
d'attentats et d'explosion de bombes dans les installations et
les édifices publics, le gouvernement du Québec
a sollicité la présence des Forces Armées
Canadiennes qui prêteront assistance à la police
en plusieurs endroits de la province. Dès hier, ces troupes
étaient rendues à destination.
Malheureusement, la violence n'est
pas étrangère à la décennie qui commence.
Le discours inaugurant la présente session du Parlement
il y a quelques jours, précisait que nous vivons à
une époque de tension profonde. De plus, nous ne devons
pas oublier que la violence est souvent le symptôme d'un
malaise social aigu. Le gouvernement s'est engagé à
présenter un ensemble de projets de loi qui s'attaquera
non seulement aux symptômes, mais aussi aux causes des problèmes
sociaux qui souvent sont à la source du crime et du désordre
- et leur servent d'excuse.
Quant à ceux qui appuient
les méthodes du FLQ, pensent-ils sérieusement que
l'utilisation de la violence et du crime va valoir une plus grande
justice sociale au Québec ? Le terrorisme va-t-il
nous aider à réduire le nombre des chômeurs
chez nous ? Va-t-il nous donner les ressources nécessaires
pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoins ?
Va-t-il aider les jeunes à jouer pleinement leur rôle ?
Poser la question, c'est y répondre. Tout ce que des méthodes
comme celles du FLQ peuvent produire, c'est une aggravation, et
non une diminution des injustices qui existent chez nous ;
c'est une accentuation et non une réduction des maux, comme
le chômage et la pauvreté, qui affligent notre peuple.
C'est dans cet esprit que j'avais
déclaré à la Chambre des communes, il y a
un an, que, pour apporter des changements à la société
canadienne, il est absolument injustifié de recourir à
la violence, contrairement à ce que prétendent certains
esprits sectaires. I1 y a peut-être des lieux dans le monde
où la loi est si inflexible et si impitoyable qu'on peut
songer à de tels recours. Mais ce n'est pas le cas chez
nous. J'ajoutais alors - et je le répète - que ceux
qui veulent défier la loi, sans égard aux moyens
dont ils disposent pour faire redresser leurs torts et obtenir
satisfaction, ceuxlà ne seront pas entendus par le
Gouvernement.
I1 y a eu trop de violence au pays,
au nom de la révolution, depuis quelque douze mois. Nous
commençons à en percevoir les conséquences.
Ceux qui ont recours à la violence attisent délibérément
la haine parmi nous. Et ils le font au moment précis où,
pour édifier la société que nous voulons
tous, il est impérieux que le pays, oubliant toute animosité,
fasse preuve de tolérance et de compréhension. Et
pourtant, ceux qui méprisent le cours normal des lois s'exposent
à voir les honnêtes gens, dans la colère et
la peur, durcir leurs positions et se refuser à tout changement,
voire à toute amélioration. Car la peur tend à
inhiber l'esprit de tolérance et le sens de la justice.
Le Gouvernement, lui, n'agit pas
sous l'effet de la peur. Il agit pour empêcher la peur de
se propager. Il agit pour maintenir l'autorité de la loi
sans laquelle la liberté n'est plus possible. Il agit pour
faire comprendre aux ravisseurs, aux révolutionnaires et
aux assassins que, dans ce pays, ce sont les représentants
élus du peuple qui font les lois et qui les modifient -
et non pas une poignée d'aspirants dictateurs. Car ceux-là
qui cherchent à s'emparer du pouvoir par la terreur, si
jamais ils y parvenaient, règneraient par la terreur. Le
Gouvernement agit donc pour protéger vos libertés
et vos vies.
Il agit également pour que
M. Cross et M. Laporte soient libérés sains et saufs.
C'est au nom de millions de Canadiens que je dis à leurs
femmes et à leurs familles courageuses combien profondément
nous sympathisons avec elles pendant cet horrible cauchemar. Nos
voeux et nos prières les accompagnent.
Le Canada demeure l'un des pays les
plus sains et les plus civilisés du monde Si nous savons
être fermes, nous aurons tôt fait de venir à
bout de la situation présente, et nous pourrons déclarer
avec fierté, comme nous l'avons si longtemps fait, que
s'il y a place chez nous pour l'opposition et la dissidence, il
n'y en a pas pour l 'intimidation et la terreur.
Il arrive rarement dans l'histoire
d'un pays que tous les citoyens doivent prendre position sur des
problèmes cruciaux. C'est ce qui nous arrive.
Ceux qui ont déclenché cette
série d'événements dramatiques l'ont fait
dans le dessein de briser notre société et de déchirer
notre pays; c'est le contraire qui arrivera, j'en suis sûr.
Le résultat de leur action ce sera une société
plus forte dans un pays plus uni. Ils voulaient nous diviser,
ils auront fait notre union.
Je comprends l'inquiétude
de tant de Canadiens. Plusieurs d'entre vous sont bouleversés,
et cela s'explique. Je veux vous assurer que les autorités
ont la situation en main. Nous faisons tout ce qui doit être
fait. Tous les niveaux de gouvernement au pays sont prêts
à agir dans l'intérêt du salut public.