Discours prononcé

par

Richard Bedford Bennett

le

19 juin 1935

devant la

Chambre des Communes



Le Canada a une dette que nous avons contractée directement par suite du fait que nous avons pris part au conflit européen; les intérêts annuels que nous devons acquitter excèdent de beaucoup le chiffre que représentait notre dette nationale plusieurs années après l'établissement de la Confédération. Voilà une grave situation. Cependant, exposer la situation n'y apporte pas remède ; le fait de la signaler à l'attention publique ne la fait pas disparaître. Cette situation a été signalée à l'attention de la Chambre et elle le sera encore à l'avenir. J'estime qu'en 1937, quelqu'un devra s'attaquer au grand problème de la conversion de la dette du Canada. Mais, si nous devons réussir à convertir notre dette, il n'y a qu'un moyen de le faire et c'est de maintenir notre crédit (Très bien, très bien.) Si nous perdions notre caractère national, soit notre crédit, il nous serait alors à jamais impossible d'effectuer la conversion. Le seul objet que le Gouvernement ait eu en vue, plus que tout autre, lorsqu'il s'agit de nos problèmes financiers, a été d'administrer nos affaires de façon que les gens raisonnables et sincères puissent dire que nous avons agi à l'endroit de nos créanciers comme doivent le faire des honnêtes gens; que nous avons exercé nos attributions législatives de façon à encourager l'honnêteté chez les gens et les engager à s'acquitter de leurs obligations selon leurs promesses.

Mais la faillite intervient, et la faillite n'est rien de neuf en droit; nous savons sur quoi elle repose, nous savons à quoi elle remonte, et nous avons conçu l'idée que nous pourrions régler les affaires de faillite comme on l'a fait, après qu'elles ont été soumises à la Cour suprême du Canada. Si une mesure, plus que d'autres, a été avantageuse au cultivateur canadien, c'est bien la loi d'arrangement entre cultivateurs et créanciers. (Très bien, très bien). Maintenant, pour ce qui est des autres projets de loi, je n'en dirai que ceci: c'est que, dans la limite de nos attributions, nous avons présenté au Parlement des mesures législatives qui sont de notre ressort au point de vue constitutionnel. L'attaque dirigée contre le ministre de la Justice (M Guthrie) parce qu'il a osé faire observer, comme il était tenu de le faire, et ce pour une raison que je donnerai dans un instant, que des avocats consultés à ce sujet avaient formulé des doutes quant à la régularité de la loi, était un procédé déloyal; c'était précisément ce que l'on devait compter qu'un procureur général du Canada devait faire, à en juger par l'expérience du Parlement dans le passé. Le premier venu, dois-je croire, dirait que c'était le moins qu'un procureur général du Canada pouvait faire. Pourquoi? Parce que la Chambre était saisie d'un rapport d'une commission, et j'ai dit l'autre jour que nous avions décidé, dans la mesure où la loi nous y autorise, à donner suite aux conclusions du rapport. Il saute aux yeux que le ministre devait, pour agir de bonne foi, informer la Chambre qu'on lui avait fait part de doutes sur la régularité du bill. non pas pour dire que la loi serait sans résultats pratiques, mais pour user de sincérité à l'endroit de ceux qui comptaient sur lui, en sa qualité du ministre de la Justice, pour les guider. Ceux qui se souviennent de ce que l'on disait de la loi des chambres de commerce en 1919, -- voyez le hansard -- se souviendront également que l'on avait des doutes à son sujet, mais le Gouvernement poursuivit son projet afin que la question pût être tranchée. Il en est de même de cette mesure; le Gouvernement l'a soumise à la Chambre. Et lorsque nous en arrivons à la loi des compagnies au sujet de laquelle il y a eu, depuis un demi - siècle, comme il y aura encore, des opinions variées quant au meilleur moyen d'atteindre aux résultats visés, le ministre a soumis cette mesure à la Chambre et a dit: Ce bill est le vôtre tout autant que le mien; faites-moi connaître votre manière de voir; je me bornerai à dire que c'est une mesure que, si je pratiquais le droit, j'aurais pu mettre de côté. Ce n'était pas là manquer de sincérité; c'était parce qu'il tenait à ce que la Chambre, en examinant cette loi dont on doutait, puisse profiter de l'opinion d'avocats que l'on avait consultés afin de savoir si l'adoption de la mesure entrait dans les attributions du Parlement. II est bel et bon de dire que les gens sont las d'entendre parler de la loi de l'Amérique britannique du Nord. Nous avons eu de nombreux exemples de son importance lorsque des gens sont venus demander à des parlements et à des législatures d'en ignorer les dispositions. Nous avons eu des renvois devant les tribunaux au sujet des assurances et d'autres que je pourrais mentionner. Nous avons eu l'affaire des chambres de commerce, celle des coalitions, et d'autres de cette nature.

Mon devoir, tel que je le conçois, est de présenter des lois en cette Chambre, que le ministre de la Justice, avec l'aide du légiste qu'il a consulté, croit constitutionnelles et valides. S'il existe des doutes, alors nous voulons bien que la Chambre assume la responsabilité de légiférer selon qu'elle le juge à propos, mais il nous incombe de faire part à la Chambre de ce doute. Le ministre de la Justice serait-il excusable de cacher ces faits et dire à la Chambre: Voici une mesure législative valide que vous pouvez adopter; ou est-il juste et convenable qu'il déclare que jusqu'à un certain point il ne semble exister le moindre doute, que les tribunaux ont décidé que nous avons le pouvoir, mais qu'outre cela il y a doute et incertitude. Je me contente de dire que l'on m'a exprimé ces opinions comme je vous les manifeste moi-même.

Si l'on a fait croire au peuple que le Parlement peut adopter n'importe quelle loi indépendamment de la constitution, c'est que nous en sommes arrivés à un âge d'anarchie. Il ne faut pas nous méprendre à cet égard. Ceux qui lisent l'histoire et ce qui en découle savent quel a été le premier pas vers le fascisme en Europe. Ce fut un appel aux préjugés du petit homme. Puis est venu le souverain et inévitable mépris des limites et des libertés constitutionnelles. Il y a un moyen dont notre pays peut obtenir pour ce Parlement l'autorité de traiter ces questions. II se peut que le Parlement canadien devrait être muni de pouvoirs plus grands que ceux qu'il possède; les opinions sont fort partagées à ce sujet. En ces temps difficiles, certains ont conclu que si nous avions un Parlement central avec des conseils de comté, au lieu de législatures provinciales, tout serait pour le mieux. C'est possible. Il se peut que le rajustement de la situation financière des provinces et des municipalités limite l'exercice du pouvoir des législatures provinciales. Cela est possible également, mais on ne peut obtenir ce résultat en cherchant à faire croire au peuple que le Parlement peut enfreindre les décisions des tribunaux. Je le répète, la troisième branche du gouvernement, la branche judiciaire, est devenue excessivement importante. C'est pourquoi j'ai dit que, en dernière analyse, nous devons toujours dépendre des conclusions et des décisions des tribunaux. C'est pourquoi, en fin de compte, si nous sommes un peuple respectueux des lois, ayant foi dans la réforme et non dans la révolution, nous devons procéder graduellement afin d'atteindre nos fins d'une manière légale et ordonnée. Mais il n'est pas bien, il ne sera jamais bien, de laisser croire à ceux qui ne comprennent pas qu'un Parlement a un pouvoir et qu'il ne l'exerce pas par crainte ou entêtement. Cela ne sert qu'à amener le peuple à penser qu'un corps de législateurs siège en cette Chambre et que certains parmi eux sont moins honnêtes que d'autres, et que, par conséquent, ils refuseront d'accomplir leur devoir.

M. POULIOT: Nommez-les.

Le très hon. M. BENNETT: Je ménagerai les sentiments de l'honorable député; je pourrais le nommer. Je prétends, monsieur l'Orateur, que la seule manière dont le Parlement possédera les pouvoirs qu'on veut lui faire exercer consiste en modifications de la constitution qui seront amenées par une conférence constitutionnelle. Comme je l'ai dit, on a tenu une conférence constitutionnelle pendant les années antérieures à 1867, une conférence qui n'était pas limitée aux hommes d'un parti, mais à laquelle prirent part les représentants de tous les partis qui discutèrent de quelle façon on réussirait à créer l'union des provinces de l'Amérique britannique du Nord. Si nous désirons modifier notre constitution, nous pouvons le faire d'une manière régulière et convenable; mais tant que nous ne l'aurons pas fait, restons, en citoyens loyaux et respectueux des lois, liés par les décisions des tribunaux du pays qui ont été constitués afin de décider jusqu'où nous pouvons aller et où il faut mettre un frein à notre fierté.

Voilà le principe sur lequel le Gouvernement s'est basé en s'attaquant à ces problèmes depuis quelques mois. Je veux faire remarquer que, même si nous demeurons ici jusqu'à la fin de l'été, nous devrons nous contenter d'adopter des lois qui sont de notre compétence. Quand on nous fera des suggestions conformes à la loi d'après les avis de jurisconsultes compétents, par exemple au sujet de la loi des compagnies, je serai heureux de les entendre. Le présent bill même, dont on propose la troisième lecture, a été modifié à la demande de l'honorable député de Weyburn (M. Young), qui réclamait une plus grande publicité. Je n'ai pas hésité à dire que c'était une suggestion opportune, et nous avons inséré un amendement prescrivant que le public intéressé aura l'occasion de se faire entendre avant que tout accord projeté entre producteurs ne reçoive la sanction de la Commission

On a prétendu que la Commission du tarif n'est pas capable d'entreprendre cette tâche parce qu'elle est trop occupée. Je me contente de répondre que le président de la commission a déclaré qu'il croit cette dernière capable d'entreprendre cette tâche. Nous n'avons demandé à la Chambre d'autoriser la Commission du tarif à s'occuper de ces choses, qu'après avoir appris qu'elle croyait pouvoir avoir le temps et la compétence nécessaire. De plus, nous ne pouvons pas demander et nous ne demanderons pas au Parlement de nommer une commission ayant le pouvoir de faire des lois, car c'est là une délégation de pouvoirs qui n'est pas constitutionnelle, d'après la jurisprudence actuelle. C'est le Parlement qui doit adopter les lois et il peut charger toute commission de faire les règlements autorisés par ses lois; or la commission en question a été désignée par la loi dont nous proposons en ce moment la troisième lecture. Ce projet de loi donne suite, autant que nous le permet la compétence du Parlement, à tout principe prôné par la commission sur les écarts des prix; quant aux autres projets de loi que j'ai mentionnés et dont je ne parlerai pas davantage cet après-midi, on constatera que nous avons donné suite à chaque avis de cette commission dans la limite de notre compétence. Si nous ne l'avons pas fait de manière à satisfaire tous les membres de la commission, je le regrette mais aucun règlement ne dit que nous devons nécessairement faire adopter des lois agréables à chaque membre d'une commission. Aucune règle n'oblige le Parlement à adopter des lois conformes aux avis d'une commission, à moins que ces avis ne soient légaux. En effet, il y a seize ans, ces avis ont été formulés de bonne foi et ont fait l'objet de lois invalides et contraires à la constitution. Sachant quelles ont été les décisions des tribunaux depuis seize ans, nous croyons avoir évité les dangers que le Conseil privé a signalés.

En demandant la troisième lecture de cette mesure j'affirme à la Chambre que nous avons fait un effort sincère -- non pas le dernier effort, mais un effort sincère -- pour atteindre le but visé. S'il arrive que nous ne l'atteignions pas tout de suite, je me contenterai de rappeler que le développement des institutions britanniques, des institutions dont nous jouissons aujourd'hui, ainsi que de notre droit commun, s'est fait petit à petit, précepte par précepte ligne par ligne, jusqu'à ce que le bon sens ait atteint son plein développement en se manifestant dans les lois qui reflètent la volonté et l'intention du peuple.





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