Un passé, un avenir


Après quelque 500 ans d'une relation fondée tantôt sur le partenariat, tantôt sur la domination, fluctuant du respect mutuel et de la coopération au paternalisme et aux tentatives d'assimilation, le moment est venu pour le Canada de jeter les bases d'une coexistence juste et durable avec les autochtones.

Le point de départ

La Commission a cerné quatre grandes raisons d'agir:

Le Canada, société juste et éclairée

Le Canada a la réputation d'être un pays où les droits et la dignité de la personne sont garantis, où les règles de la démocratie libérale sont respectées, où la diversité des peuples est célébrée. Pourtant, cette réputation n'est pas pleinement méritée.

Une étude attentive de l'histoire de notre pays montre que le Canada s'est construit à partir d'une série d'ententes avec les peuples autochtones - ententes que ce pays n'a jamais pleinement honorées. Les traités entre les gouvernements autochtones et non autochtones étaient des ententes pour le partage des terres. Ces traités ont été remplacés par des politiques destinées à

... chasser les autochtones de leurs terres ancestrales;

... anéantir les nations autochtones et leurs gouvernements;

... miner les cultures autochtones;

... étouffer l'identité autochtone.

Il est temps de reconnaître cette vérité et de commencer à rétablir la relation entre les peuples en la fondant sur l'honnêteté, le respect mutuel et un partage équitable. L'image du Canada dans le monde et dans notre pays n'en exige pas moins.


Les bases d'une relation juste et équitable ont été jetées dès les premiers contacts.


La qualité de vie des autochtones

Le troisième volume de notre rapport, Vers un ressourcement, est consacré à l'étude des conditions sociales chez les autochtones. Le tableau présenté est inacceptable dans un pays considéré par les Nations Unies comme le meilleur au monde.

Le niveau de vie des autochtones s'est amélioré au cours des 50 dernières années, mais il est bien loin d'avoir rattrapé celui des autres Canadiens:

Les autochtones ne veulent pas de pitié ni d'aumône. Ce qu'ils veulent, c'est qu'on reconnaisse que tous ces problèmes sont en grande partie dus à la perte de leurs terres et de leurs ressources, à la destruction de leurs économies et de leurs institutions sociales, et à la négation de leurs identités nationales.

Ils cherchent réparation pour ces injustices, mais ce qu'ils veulent surtout, c'est de pouvoir contrôler leurs vies.



Le Canada peut être un pays diversifié, passionnant, productif et
généreux: un pays où tous les enfants peuvent être confiants et
enthousiastes face à l'avenir.
             Martha Flaherty
            Présidente, Pauktuutit (association des femmes inuit)


Échec des négociations

Une relation aussi complexe que celle qui existe entre les autochtones et les non-autochtones implique nécessairement des négociations. Mais le climat actuel de négociation est trop souvent empoisonné par les conflits, les affrontements, les accusations et la colère.

Dès le départ, il y a antagonisme d'intérêts. Les négociateurs autochtones cherchent à obtenir des ressources et des pouvoirs suffisants pour reconstruire leurs sociétés et exercer leur autonomie gouvernementale - qu'ils considèrent comme un droit et non un privilège. De leur côté, les négociateurs non autochtones s'efforcent de protéger les pouvoirs et les ressources des gouvernements canadiens et traitent les transferts aux collectivités autochtones comme une largesse de leur part.

L'échec fréquent des tentatives d'entente a engendré l'amertume et la méfiance chez les autochtones, le ressentiment et l'apathie chez les non-autochtones.

Dans notre rapport, nous recommandons quatre principes pour renouveler cette relation - pour rétablir un climat positif à la table de négociation - et inscrire ces négociations dans un nouveau cadre politique. Nous examinons les principes de cette démarche à la fin du présent chapitre et le nouveau cadre, au chapitre 2.


Nous en avons assez des promesses du gouvernement fédéral. Nous en
avons assez des commissions. Nous en avons assez de nous faire analyser.
Ce que nous voulons, c'est qu'on passe à l'action.
            Norman Evans
            Pacific Metis Federation


Risques de violence

Les autochtones ont clairement montré, par leurs actes comme par leurs paroles, qu'ils n'accepteront plus d'attendre passivement que leurs griefs soient entendus et que leurs droits soient rétablis. Malgré leur longue tradition de paix, certains dirigeants craignent un vent de violence.

Ce dont les autochtones ont besoin est clair, sinon simple:

Les fantômes de l'histoire

Tous les Canadiens seront gagnants si nous parvenons à nous sortir de l'impasse qui engendre des affrontements entre autochtones et non-autochtones et les dressent de part et d'autre de barricades réelles ou symboliques. Pourtant, ces barricades ne tomberont que lorsque nous aurons compris comment elles ont été édifiées.

L'étude du passé nous apprend qui nous sommes et quelles sont nos origines. Elle nous révèle souvent des secrets enfouis que certains s'efforcent de dissimuler et que d'autres essaient de révéler. Dans le cas qui nous occupe, une telle étude aide à comprendre comment sont nées les tensions entre autochtones et non-autochtones et pourquoi elles sont si difficiles à apaiser.

Les Canadiens sont assez peu au courant de la relation paisible et harmonieuse qui s'est établie entre les Premières nations et les premiers Européens arrivés ici. Ils savent encore moins comment cette relation a dégénéré au cours des siècles. Dans notre rapport, nous examinons cette histoire de manière assez détaillée, car ses fantômes nous hantent encore.

Les fantômes prennent des formes diverses: traités non respectés, vol de terres autochtones, élimination des cultures autochtones, enlèvement d'enfants autochtones, appauvrissement et suppression de la liberté d'action des peuples autochtones. Pourtant, au début, personne n'aurait pu prédire ces résultats, car dans la plupart des cas les premiers rapports étaient fondés sur la coopération.

La relation entre les autochtones et les non-autochtones est passée par quatre étapes:

Un grand nombre des lois et des institutions qui fonctionnent si mal aujourd'hui - la Loi sur les Indiens et le morcellement des nations en bandes, pour n'en donner que deux exemples - sont des vestiges de la troisième étape de notre histoire. Mais l'honneur n'était pas absent de ce passé; en fait, les bases d'une relation juste et équitable ont été jetées dès les premiers contacts.


L'Amérique, séparée de l'Europe par un vaste océan, était occupée par
un peuple distinct, réparti en plusieurs nations indépendantes les unes
des autres et du reste du monde, qui avaient leurs propres institutions et
leurs propres lois. Il est difficile de comprendre que la découverte d'un
peuple par un autre ait pour effet de dépouiller ce peuple de ses droits.
            Le juge en chef
            John Marshall
            Cour suprême des États-Unis
            Worcester c. Georgia (1832)


Première étape :
des mondes étanches

Avant 1500, les sociétés autochtones des Amériques et les sociétés européennes ont évolué séparément, sans rien connaître les unes des autres. La diversité de leurs langues, de leurs cultures et de leurs traditions sociales était infinie. Pourtant, des deux côtés de l'Atlantique, des peuples différents dotés de systèmes de gouvernement qui évoluaient - bien que plus modestes et plus simples que les nations et les gouvernements que nous connaissons aujourd'hui - étaient en pleine expansion.

Dans le sud-est de l'Amérique du Nord, les Cherokees formaient une confédération d'environ 30 villes - la plus grande de celles-ci était presque aussi importante que la Londres impériale lorsque les premiers explorateurs anglais la découvrirent. Ailleurs, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, des peuples autochtones avaient créé de vastes empires à même les montagnes et la jungle, et ce bien avant l'arrivée de Cortez.

Dans les régions septentrionales de l'Amérique du Nord, les cultures autochtones étaient modelées par l'environnement et l'évolution de la technologie:

Les Amériques n'étaient donc pas, comme l'avaient cru les Européens à leur arrivée, terra nullius - un territoire sans maître.


La formation et le maintien de ces confédérations sont la preuve d'une
grande habileté politique.
            Bruce Trigger
            À propos de la confédération des Hurons (Wendat)
            dans The Children of Aataentsic


Deuxième étape :
des relations de nation à nation

L'interaction entre les autochtones et les non-autochtones a commencé à prendre de l'ampleur au xvie siècle. En gros, les premiers contacts ont évolué de la manière suivante:

Les comptes rendus non autochtones des premiers contacts ont tendance à souligner les éléments découverte et mise en valeur de l'Amérique du Nord par les explorateurs européens. Mais c'est un point de vue partial. Pendant au moins deux siècles, n'eût été de l'aide des autochtones, les nouveaux venus n'auraient jamais survécu aux rigueurs du climat, ils n'auraient jamais réussi dans leurs entreprises (pêche, pêche à la baleine, traite des fourrures), pas plus qu'ils n'auraient échappé aux balles de leurs adversaires.


«Et comme il est juste, raisonnable & essentiel à nos intérêts & à la
sureté de nos colonies que les différentes nations de sauvages avec
lesquelles nous avons quelques relations & qui vivent sous notre
protection, ne soient ni inquiétées & ni troublées dans la possession de
telles parties de nos domaines & territoires comme ne nous ayant pas été
cèdés, ni achetés par nous, leur sont réservés, ou à aucun d'eux, comme
leur pays de chasse...»
            Proclamation royale de 1763


Cette période, qui a duré jusqu'au xviiie ou au xixe siècle, selon la région, s'est caractérisée par une coopération prudente et non par les conflits. Dans l'ensemble, les autochtones et les non-autochtones se considéraient comme des éléments séparés, distincts et indépendants. Chacun était à son affaire. Chacun pouvait négocier ses propres alliances militaires, ses accords commerciaux, et les arrangements qui lui convenaient le mieux avec les autres.

Cette coopération a reçu une double consécration:

Les traités

La conclusion de traités entre peuples autochtones remonte à une époque très antérieure à l'arrivée des Européens. Ces traités avaient pour objet d'établir la paix, de réglementer le commerce, de partager l'utilisation des terres et des ressources, et d'organiser leur défense mutuelle. La cérémonie du calumet et d'autres cérémonies analogues conféraient à ces accords la valeur sacrée d'un serment.

Chez les Européens, la tradition du traité remonte à l'époque romaine, mais elle devait acquérir une importance nouvelle au xviie siècle. Les traités sont alors devenus pour les nouveaux États d'Europe un moyen d'éviter les guerres et de connaître des périodes de paix prolongées. Les traités étaient une façon de reconnaître l'indépendance et la souveraineté des uns et des autres et constituaient une marque de respect mutuel.

Dans les colonies qui devaient devenir le Canada, on n'a pas tardé à constater la nécessité d'avoir des traités. Le territoire était immense, et les colons peu nombreux. Ils craignaient la force des nations autochtones qui les entouraient. Les puissances coloniales se faisaient la guerre sur tout le continent, avides d'imposer leur domination et de contrôler le commerce. Il était indispensable qu'elles concluent des alliances avec les nations indiennes.

Le gouvernement colonial britannique avait une attitude schizophrène à l'égard des traités. En signant ces traités, les autorités britanniques donnaient l'impression de reconnaître que les peuples autochtones constituaient des nations et qu'ils étaient leurs égaux. Elles s'attendaient cependant aussi à ce que les Premières nations reconnaissent l'autorité du monarque et, de plus en plus, acceptent de placer de vastes territoires sous le contrôle britannique - afin de permettre aux colons de s'y établir et de protéger ces territoires contre d'autres puissances européennes ou les États-Unis, qui auraient pu vouloir s'en emparer.

Les autochtones avaient une conception toute différentes des traités. Ils croyaient ce que les représentants du Roi disaient et que les inscriptions portées sur les parchemins captaient l'essence même de leurs conversations. Lorsqu'ils ont découvert plus tard que les engagements oraux pris entre chefs n'avaient pas été consignés avec exactitude, ils en ont été atterrés et ont réagi avec colère. Certes, les autochtones reconnaissaient le monarque, mais uniquement comme une sorte de parent, de protecteur lointain à qui ils pouvaient faire appel pour défendre leurs intérêts et faire respecter les traités. L'idée de céder leurs terres ne leur venait pas à l'esprit car c'était là une notion totalement étrangère aux cultures autochtones.


Pendant plusieurs centaines d'années, les traités ont servi à maintenir la paix et à partager la richesse du Canada.


Le wampum à deux rangs, ceinture commémorative du traité de 1613 entre les Mohawk et les Hollandais, illustre parfaitement la manière dont les peuples autochtones comprenaient ces choses - pour eux, les traités symbolisaient la paix, l'amitié, le partage ou l'alliance, et non la soumission ou la reddition:


La notion de cession n'existe pas dans ma langue. Il n'y a pas de mot
pour cela. Je ne peux même pas vous parler de cession dans ma langue.
Comment alors mon peuple aurait-il pu signer un acte de cession?
            Le chef François Paulette
            Conseil tribal du Traité 8
            Yellowknife
            (Territoires du Nord-Ouest)


La Proclamation royale

La Proclamation royale de 1763 est un document déterminant de la relation entre autochtones et non-autochtones en Amérique du Nord. Établie au nom du Roi, cette proclamation résumait les dispositions qui devaient régir les négociations entre les Britanniques et les autochtones - en particulier pour la primordiale question des terres.

La Proclamation est un document juridique complexe, mais les messages principaux dont elle est porteuse ressortent clairement du préambule. Les autochtones ne devaient être ni inquiétés ni troublés sur leurs terres. La Couronne et les assemblées de sauvages devaient négocier en bonne et due forme les transactions portant sur les terres autochtones. L'acquisition de ces terres devait respecter les règles de l'équité, c'est-à-dire faire l'objet de traités ou d'un achat par la Couronne.

Dans la Proclamation, les nations indiennes sont représentées comme des entités politiques conservant leur autonomie politique interne bien qu'elles soient placées sous la protection de la Couronne. La Proclamation combine de façon subtile la sauvegarde des droits ancestraux et l'élaboration d'un processus d'implantation des Britanniques. Elle trouve un compromis en permettant aux autochtones et aux non-autochtones de partager les mêmes droits souverains à l'égard des terres qui forment aujourd'hui le Canada.

Plus d'un siècle plus tard, en 1867, cet arrangement, que nous appelons aujourd'hui la Confédération, devait également offrir aux différents peuples et gouvernements la possibilité de partager le pouvoir. Mais c'est avec les Premières nations que fut négociée la première forme d'entente confédérative.

Troisième étape :
la domination s'installe

Au cours du xixe siècle, la relation entre les autochtones et les non-autochtones, qui reposait sur un principe de quasi-égalité, a commencé à se dégrader. Le nombre des colons a continué à augmenter et leur pouvoir s'est accru. Les colons sont devenus plus puissants grâce aux quatre grandes mutations que vivait le pays:

  1. La composition de la population a évolué en faveur des colons. L'immigration est venue grossir leurs rangs tandis que la pauvreté et la maladie affaiblissaient les nations autochtones. En 1812, les immigrés étaient 10 fois plus nombreux que les autochtones dans le Haut-Canada.

  2. Le commerce de la fourrure se mourait et, avec lui, le vieil esprit de partenariat économique qui unissait négociants et trappeurs. La nouvelle économie reposait sur le bois, les minéraux et l'agriculture. Elle réclamait la terre et non la main-d'uvre des autochtones, considérés désormais comme des obstacles au progrès et non plus comme des partenaires estimés.

  3. Les gouvernements coloniaux du Haut et du Bas-Canada n'avaient plus besoin de leurs alliés autochtones. Les Britanniques avaient triomphé de tous leurs adversaires au nord du 49e parallèle. Au sud, les États-Unis avaient obtenu leur autonomie politique par la force. La paix régnait sur le continent.

  4. Une idéologie proclamant la supériorité des Européens sur tous les autres peuples de la terre était en train de s'implanter. Elle justifiait les mesures de domination et d'assimilation qui progressivement ont remplacé l'esprit de partenariat dans les colonies nord-américaines. Au fil des ans et des générations, ces mesures se sont multipliées et ont eu des effets de plus en plus préjudiciables sur les autochtones.


L'histoire n'a pas encore été écrite du point de vue des Indiens.
            Violet Soosay
            Collectivité de Première nation Montana
            Hobbema (Alberta)


Ironiquement, le passage du respect à la domination a été déclenché par les moyens mêmes qui devaient instituer un partenariat: les traités et la Proclamation royale de 1763. Ces documents offraient aux autochtones non seulement la paix, l'amitié, le respect et une égalité approximative, mais également une protection.

La politique de protection constituait le premier pas vers la domination. À l'origine, cette politique devait empêcher que les colons n'empiètent sur les terres des autochtones et ne menacent leur intégrité culturelle. Puis elle s'est transformée en politique d'assistance, mot codé impliquant qu'il fallait inciter les autochtones à renier leur identité et à se fondre dans la société coloniale.

La politique de protection prenait différentes formes: scolarité obligatoire, programmes d'ajustement économique, contrôle politique et social exercé par des agents fédéraux, etc. Ces mesures, qu'accompagnaient les efforts de civilisation et de conversion des missionnaires, ont gravement entamé les cultures et l'autonomie des autochtones et ébranlé leur confiance en eux.


La Loi sur les Indiens nous a dépouillés de notre indépendance, de
notre dignité, du respect de nous-mêmes et de notre sens des
responsabilités.
            Kaherine June Delisle
            Première nation de Kanien'kehaka
            Kahnawake (Québec)


Les mesures de domination et d'assimilation

Aucun Canadien connaissant les mesures de domination et d'assimilation ne s'étonnerait de la méfiance qu'éprouvent les autochtones par rapport à la bonne volonté affichée aujourd'hui par les non-autochtones et leurs gouvernements.

La Politique d'assimilation

Les gouvernements britanniques et canadiens pratiquaient cependant une politique d'exclusion à l'encontre des Métis. Ils n'étaient considérés ni comme des Indiens, ni comme de véritables colons. On les qualifiait habituellement de squatters et on les expulsait peu à peu des terres qu'ils cultivaient pour laisser la place aux vrais colons.


Les promesses que nous devons vous faire ne valent pas seulement pour
aujourd'hui, mais aussi pour demain, et pas seulement pour vous mais aussi
pour vos enfants et toute votre descendance. Et les promesses que nous
vous faisons aujourd'hui seront respectées aussi longtemps que le soleil
brillera dans les cieux et que les fleuves se jetteront dans l'océan.
            Alexander Morris, lieutenant-gouverneur
            du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest
            Discours prononcé devant les Cris et les Saulteux,
            Fort Qu'Appelle (1874)


Sous Louis Riel, les Métis de la vallée de la rivière Rouge se sont battus pour avoir des terres et leur propre gouvernement. La Loi de 1870 sur le Manitoba les leur garantissait, mais ces promesses ne furent pas tenues. De nombreux Métis partirent s'installer plus au nord et à l'ouest du pays, où ils reprirent leur combat pour obtenir des terres et la reconnaissance politique. Au printemps 1885, leur armée fut écrasée à Batoche par un corps expéditionnaire envoyé par Ottawa. Ils ont à nouveau été dispersés, et leurs revendications territoriales et politiques ne sont toujours pas réglées.


Notre loi sur les Indiens repose en général sur le principe selon
lequel les autochtones doivent être maintenus sous notre tutelle et
traités comme les pupilles ou les enfants de l'État. La sagesse et le
devoir nous enjoignent de faire accéder l'Indien, par l'éducation et
d'autres moyens, à un niveau supérieur de civilisation en l'encourageant à
assumer les privilèges et les responsabilités d'un citoyen à part entière.
            Rapport annuel du ministère de l'Intérieur (1876)


Ces dispositions, entre autres, ont été codifiées dans les lois sur les Indiens de 1876, 1880, 1884 et suivantes. Le ministère de l'Intérieur (qui allait devenir le ministère des Affaires indiennes) avait envoyé à l'époque des agents dans toutes les régions afin de s'assurer que les lois étaient observées.

La fréquentation de ces établissements était obligatoire. Les enfants devaient abandonner tout ce qui les caractérisait comme autochtones: langues, coutumes et tournures d'esprit. Les liens de centaines d'enfants autochtones avec leurs familles et leurs nations ont ainsi été déformés ou brisés, avec des résultats désastreux.

Les survivants ne réclamaient pas d'honneurs particuliers, mais ils s'attendaient à être traités de la même façon que les autres soldats à leur retour au Canada, ce qui n'a pas été le cas. On leur a en effet refusé la plupart des avantages accordés aux autres. Leurs réserves ont été amputées d'une partie de leurs terres qui ont été utilisées à des fins militaires ou attribuées à des anciens combattants non autochtones. Ceux qui sont encore vivants aujourd'hui continuent à lutter pour qu'on reconnaisse leur apport à l'effort de guerre et qu'on les dédommage des pertes subies plus tard.

Pour les autochtones, ces traités étaient destinés à trouver des moyens de partager les terres et les ressources avec les colons, sans rien perdre de leur indépendance. Mais pour les représentants de la Couronne, les traités étaient simplement devenus un outil destiné à débarrasser les terres convoitées de la présence des autochtones.

Pour encourager les Premières nations à signer, les négociateurs coloniaux ont continué à leur assurer qu'il ne s'agissait pas simplement d'une entente, mais d'une garantie qui demeurerait valable aussi longtemps que le soleil brillerait et que les rivières continueraient à couler.

Quatrième étape :
renouveau et renégociation

Les politiques de domination et d'assimilation ont ébranlé les institutions autochtones à un point tel qu'elles se sont parfois effondrées. La pauvreté, la maladie et la désintégration des structures sociales se sont aggravées. Les autochtones ont continué à lutter pour survivre individuellement, maintenant que le concept de nation avait été effacé de la psyché nationale et qu'il avait été presque totalement oublié par les autochtones eux-mêmes.

La résistance à l'assimilation a faibli, mais elle n'a jamais totalement disparu. Au cours de la quatrième étape de la relation, il y a eu une nouvelle flambée qui a progressivement pris la forme d'un mouvement politique. Un des facteurs qui ont contribué à ce mouvement a été le Livre blanc du gouvernement fédéral sur la politique indienne, publié en 1969.


Il reste que lorsque les colons sont arrivés, les Indiens étaient déjà
là, ils étaient organisés en sociétés et occupaient leurs terres comme
leurs ancêtres l'avaient fait depuis des siècles. C'est ce que signifie le
titre indien...
            Cour suprême du Canada
            Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique (1973)


Le Livre blanc proposait d'abolir la Loi sur les Indiens et tout ce qui survivait de la relation spéciale entre les autochtones et le Canada - en offrant une nouvelle formule, celle de l'égalité. Les Premières nations ont presque unanimement rejeté cette idée. Pour elles, cette forme d'égalité imposée était le cercueil de leurs identités collectives, la fin de leur existence en tant que peuples distincts. Avec les Inuit et les Métis, elles ont commencé à se rendre compte de toute l'importance de leur survie face aux efforts soutenus d'assimilation déployés contre elles. Elles ont commencé à voir que leurs efforts s'inscrivaient dans un mouvement mondial de défense des droits des peuples autochtones. Elles ont commencé à rassembler les arguments juridiques justifiant leur continuité en tant que peuples - en tant que nations au sein du Canada - et à défendre publiquement leur position.

En étudiant leur propre histoire, les Premières nations ont découvert la preuve qu'elles possédaient des droits découlant de l'esprit et de l'objectif de leurs traités et de la Proclamation royale de 1763. Elles ont été confortées par les décisions des tribunaux canadiens, surtout depuis 1971, affirmant leur relation spéciale avec la Couronne et leur intérêt particulier dans leurs terres traditionnelles. C'est avec une ardeur nouvelle qu'elles ont donc entrepris de réédifier leurs collectivités et leurs nations.


Les rapports entre le gouvernement et les autochtones sont de nature
fiduciaire plutôt que contradictoire et [...] la reconnaissance et la
confirmation contemporaines des droits ancestraux doivent être définies en
fonction de ces rapports historiques.
            Cour suprême du Canada
            R. c. Sparrow (1990)


La forte opposition des autochtones à l'invitation contenue dans le Livre blanc de s'intégrer à la société dominante a pris les non-autochtones à l'improviste. La question de savoir qui sont les autochtones et quelle est leur place au Canada est alors devenue un élément essentiel du débat national.

Un tournant historique s'est produit après une douzaine d'années de lutte politique intense par les autochtones, y compris des appels à la Reine et au Parlement britannique. Les droits existants - ancestraux ou issus de traités - des peuples autochtones ont été reconnus dans la Loi constitutionnelle de 1982.

Les conditions nécessaires à un changement profond de la relation entre les peuples du Canada étaient désormais réunies, changement que la plupart des gouvernements ont cependant trouvé difficile à accepter.

La voie de l'avenir

Les politiques du passé n'ont pas réussi à apporter l'élément de paix et d'harmonie nécessaire aux relations entre les peuples autochtones et les autres Canadiens. Elles n'ont pas réussi non plus à rendre les autochtones prospères ni à les satisfaire.

À chaque consultation, les Canadiens déclarent qu'ils veulent que justice soit rendue aux autochtones mais qu'ils ne savent pas comment procéder. Dans les chapitres qui suivent, nous présenterons un ensemble d'idées aussi convaincantes que cohérentes sur la manière d'aller de l'avant.

Depuis la publication du Livre blanc, les gouvernements canadiens ont été encouragés à accorder plus de contrôle aux collectivités autochtones sur le plan local. Ils ont davantage associé les autochtones à la prise de décision et leur ont cédé des bribes du pouvoir administratif qui continue à régenter leurs vies.

Jusqu'ici, les gouvernements ont toujours refusé de reconnaître la continuité des nations autochtones et la nécessité d'enfin les décoloniser. En actes, sinon en paroles, les gouvernements continuent à empêcher les nations autochtones d'assumer les pouvoirs qui leur permettraient de structurer leurs propres institutions et d'élaborer leurs propres solutions aux problèmes sociaux, économiques et politiques. En fait, c'est ce refus qui empêche tout progrès.

La nouvelle relation que nous envisageons est bien plus qu'une relation politique ou institutionnelle. Il faut qu'elle représente l'engagement sincère des peuples de vivre ensemble dans la paix, l'harmonie et la sollicitude.


Nous proposons quatre principes de base pour une relation renouvelée: reconnaissance, respect, partage et responsabilité.


Pour qu'un tel engagement soit possible dans le climat actuel de tension et de méfiance, il doit reposer sur des principes qui expriment une vision. Il doit également comporter des mécanismes pratiques destinés à résoudre les conflits qui se sont accumulés et à réglementer le fonctionnement quotidien de cette relation.

Pour renouveler cette relation, nous proposons les quatre principes suivants:

  1. Reconnaissance

    Le principe de la reconnaissance mutuelle implique que les Canadiens non autochtones reconnaissent le fait que les autochtones sont les premiers habitants et gardiens des terres de notre pays et que cela leur confère des responsabilités et des droits particuliers. Il importe que les autochtones reconnaissent que les non-autochtones appartiennent également à ce territoire, de naissance et par adoption, et qu'ils lui sont attachés par des liens solides d'amour et de loyauté. Il importe que les deux parties se reconnaissent mutuellement comme partenaires et se traitent en tant que tels, en respectant leurs lois et leurs institutions respectives et en coopérant dans leur intérêt mutuel.

  2. Respect

    Le principe du respect exige de tous les Canadiens qu'ils créent un climat de respect mutuel entre les peuples et au sein de ceux-ci. Le respect est une protection contre les tentatives de domination et de contrôle d'un partenaire sur un autre. Le respect du statut et des droits particuliers des Premières nations ainsi que de la culture et du patrimoine précieux dont est dépositaire tout autochtone devra devenir partie intégrante du caractère national du Canada.

  3. Partage

    Le principe du partage exige l'équité des avantages reçus et accordés. C'est sur cette base que le Canada a été fondé, car si les peuples autochtones avaient refusé de partager leurs ressources et leur connaissance du pays, beaucoup de nouveaux arrivants n'auraient pas survécu ni prospéré. Le principe du partage est un élément essentiel des traités et un facteur déterminant de l'égalité réelle qui pourrait exister un jour entre les peuples du Canada.

  4. Responsabilité

    La responsabilité est la caractéristique d'une relation parvenue à sa maturité. Les parties à cette relation doivent assumer les promesses qu'elles ont faites, elles doivent avoir un comportement honorable et tenir compte de l'effet de leurs actes sur leur bien-être mutuel. Nous partageons la terre et le ferons toujours; il est donc dans l'intérêt des autochtones et des non-autochtones de se conformer aux normes les plus rigoureuses de responsabilité, d'honnêteté et de bonne foi les uns à l'égard des autres.


Les Six-Nations de la Confédération iroquoise ont décrit l'esprit de la
relation que symbolise la chaîne d'alliance en argent. «L'argent est un
métal solide qui ne se brise pas aisément; il ne rouille ni ne se
détériore avec le temps. Il finit cependant par se ternir. Chaque fois que
nous nous réunirons, il faudra donc polir et repolir cette chaîne, afin de
rendre son éclat original à notre amitié.»
            Le chef Jacob E. Thomas
            Première nation
            des Cayugas
            Confédération haudenosaunee (iroquoise)


Nous proposons, pour mettre ces principes en pratique, d'utiliser le mécanisme des traités. Pendant plusieurs centaines d'années, les traités ont servi à maintenir la paix et à partager la richesse du Canada. Les traités qui existent entre les autochtones et les non-autochtones, si poussiéreux soient-ils, contiennent des dispositions précises qui même aujourd'hui aident à définir les droits et les responsabilités des signataires.

Nous sommes convaincus qu'il est possible d'utiliser des traités nouveaux et renouvelés pour concrétiser les quatre principes d'une relation fondée sur la justice. Nous expliquons comment le faire au chapitre 2.

retournez Mise à jour : 2000-06-21


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