Perspectives et réalités


Les Premières nations, les Inuit et les Métis constituent les peuples autochtones du Canada. Les Premières nations sont au moins une cinquantaine et elles ont beaucoup de points communs, mais elles diffèrent les unes des autres - et elles sont tout à fait différentes des Inuit, dont la culture a été modelée par les rigueurs du Nord. Les Métis sont eux aussi différents, à leur manière, car ils ont combiné les traditions autochtones et celles de leurs ancêtres européens pour créer une nouvelle culture unique en soi.

Des peuples nombreux aux voix diverses

Dans les trois premiers chapitres, nous avons examiné la plupart des questions que les autochtones ont le plus à cur. Mais ce serait une erreur de vouloir faire croire que tous les autochtones ont des préoccupations et des priorités identiques.

Certains groupes ont des préoccupations qui transcendent les frontières culturelles et nationales. Les femmes, les jeunes, les anciens, les citadins et les habitants du Nord avaient des préoccupations et des propositions spécifiques à exposer à la Commission. Nous reconnaissons le fait que les peuples autochtones représentent des réalités multiples, et nous leur cédons ici la parole.

Ce regroupement de personnes et d'idées ne signifie pas que nous pensons que toutes les femmes ou tous les Métis ou encore tous les habitants du Nord sont d'accord sur les mêmes problèmes et sur leurs solutions. Il n'en est rien. Mais au cours de nos entretiens avec eux, certains thèmes dominants se sont dégagés et nous vous les présentons ci-dessous. Nous espérons que tous ceux qui nous ont parlé retrouveront un peu d'eux-mêmes dans ce qui suit.


Notre peuple ne guérira et n'accédera à l'autonomie et à la force
d'esprit et de vision que lorsque les femmes elles-mêmes se lèveront pour
guider et soutenir nos chefs. Le moment est venu de le faire.
                   Nongom Ikkwe de la région du sud-est (Manitoba)
                   Mémoire à la Commission


La voix des femmes

Les femmes ont joué un rôle dominant dans la vie politique et culturelle de nombreuses sociétés autochtones traditionnelles. Elles étaient avant tout honorées parce qu'elles étaient la source de la vie. Leur capacité de porter des enfants, de les élever et de former ainsi la nouvelle génération était considérée comme un don spécial du Créateur, la source d'un pouvoir extraordinaire et d'une responsabilité égale à celle des hommes.

Le leadership des femmes variait selon la nation. Les femmes mohawk, par exemple, prenaient une part active à la vie politique du clan, du village, de la nation et de la confédération. Les femmes inuit, elles, s'effaçaient devant les chefs masculins lorsqu'il s'agissait des décisions publiques, mais exerçaient une influence considérable dans les relations sociales et dans la vie familiale, en particulier lorsqu'elles étaient plus âgées. Dans certaines sociétés autochtones, les femmes avaient un rang subalterne; mais même alors, grâce à leurs talents et à leur savoir, elles jouaient un rôle essentiel au sein de la collectivité.

Nous n'avons pas la naïveté de croire qu'avant les premiers contacts avec les Européens, les femmes ne connaissaient aucun problème social dans leur vie. Mais des femmes autochtones nous ont dit qu'à l'arrivée des puissances coloniales, une nouvelle attitude d'esprit inquiétante s'est peu à peu établie dans leurs sociétés. Les politiques et les lois imposées par les gouvernements étrangers ont détruit les traditions culturelles et introduit la discrimination à l'égard des femmes.

Aujourd'hui, les femmes autochtones se sont organisées et sont en mesure de faire avancer les dossiers qui les préoccupent. Presque entièrement réduites au silence pendant de nombreuses années, elles vont maintenant pouvoir faire entendre leur voix.


Les tâches dévolues aux femmes n'étaient pas les mêmes que celles
dévolues aux hommes, mais elles étaient tout autant valorisées. Tous ceux
qui étaient au camp travaillaient avec ardeur et chacun avait son rôle à
jouer.
                   Martha Flaherty
                   Présidente, Pauktuutit


Les femmes et le statut d'Indien

Le premier souci des femmes est celui de leur famille immédiate et de leurs collectivités. Elles ont cependant été aux premières loges pour voir les conséquences désastreuses que peuvent avoir des lois et des politiques à l'emporte-pièce.

Nous avons déjà décrit les restrictions et les contrôles imposés aux autochtones par la Loi sur les Indiens et par d'autres lois adoptées au xixe siècle. Les femmes étaient doublement désavantagées par la nature sexiste de cette loi fondée sur les notions victoriennes de race et de patriarcat. Pendant la plus grande partie de notre siècle, les femmes n'ont pas été autorisées à voter aux élections de bande; elles ne pouvaient pas être propriétaires de biens ni en hériter, et elles étaient en fait traitées comme la propriété de leurs époux en de nombreuses circonstances.

Ce qui est peut-être le plus choquant, c'est que l'identité d'une femme en tant que membre des Premières nations était déterminée par le statut de son époux. Même si elle parlait sa langue autochtone, pratiquait les traditions de sa nation, élevait ses enfants selon la coutume, elle cessait d'être Indienne aux yeux du gouvernement dès l'instant où elle épousait un non-Indien. Du même coup, ses enfants cessaient également d'être Indiens.

Les femmes et les enfants qui perdaient le statut d'Indien perdaient tous les droits qui y étaient attachés. Par contre, les hommes qui épousaient des femmes non indiennes n'étaient pas pénalisés de la même manière. Il a fallu que les femmes autochtones contestent cette situation pendant plus de 10 ans pour que le gouvernement fasse un effort et remédie à cette injustice en adoptant le projet de loi C-31, en 1985.

Le projet de loi C-31 prévoit la réintégration des personnes qui ont perdu leur statut d'Indien en vertu des anciens règlements et accorde le statut d'Indien à leurs enfants. Cependant, le processus et les critères utilisés pour la première inscription sont loin d'être clairs - et ils demeurent difficilement tolérables car c'est encore le gouvernement fédéral et non les autochtones qui se prononcent sur le statut d'Indien inscrit.

Par ailleurs, les enfants des femmes qui ont retrouvé leur statut d'Indienne en vertu du projet de loi C-31 ne bénéficient pas de tous les avantages dont jouissent les hommes qui avaient épousé des femmes non indiennes avant 1985. Et les enfants nés de ces unions après 1985 ne peuvent pas, en général, transférer leur statut à leurs enfants.

Avec le temps et les mariages avec des conjoints non inscrits, la catégorie des Indiens inscrits risque de disparaître complètement.


Je suis maintenant une Indienne inscrite en vertu de l'article 6.2 du
projet de loi C-31. Pourtant, aux yeux du gouvernement, mes filles ne sont
pas des autochtones. Elles ont un quart de sang autochtone. Faut-il que je
leur dise qu'elles ne sont pas autochtones sous prétexte que tel est
l'avis du gouvernement le dit? Non.
                   Connie Chappell
                   Charlottetown
                   (Île-du-Prince-Édouard)


Un autre problème était dû au fait que le projet de loi C-31 habilitait les bandes à décider qui pouvait devenir un de leurs membres et, en conséquence, qui pouvait vivre dans les réserves. Ceux qui ont acquis ou conservé ce statut en vertu du projet de loi C-31 ne deviennent pas automatiquement membres d'une bande ni ne jouissent des droits qui accompagnent ce statut. Dans certains endroits, l'accession aux logements subventionnés dans les réserves est chaudement contestée. Les femmes et les enfants qui bénéficient des dispositions du projet de loi C-31 souffrent parfois sur le plan matériel comme psychologique des mesures d'exclusion imposées par les bandes.

Au lieu de régler une fois pour toute la question de l'inscription, le projet de loi C-31 a créé de nouveaux clivages et des craintes nouvelles. À notre avis, c'est aux autochtones eux-mêmes qu'il revient de trouver les solutions, dans le processus d'édification nationale décrit au chapitre 2. Il n'appartient pas aux gouvernements canadiens de définir les conditions d'appartenance aux nations autochtones - ou de citoyenneté. Cependant, il importe que les femmes autochtones et leurs organisations disposent des ressources nécessaires pour participer pleinement à ce processus et à tous les aspects de l'édification nationale, avant que le gouvernement fédéral ne cède la place.

Une priorité : la guérison

Plus que toute autre chose, peut-être, ce qui importe pour les femmes autochtones, c'est que les autochtones guérissent des conséquences de la domination, du déracinement et de l'assimilation. Elles ont pu voir les effets désastreux de politiques inconsidérées sur la structure sociale de leurs collectivités. Beaucoup d'entre elles nous ont dit que l'autonomie gouvernementale n'est pas possible sans un processus de guérison préalable, car la santé des nations est déterminée par celle des individus et des collectivités.

Pour pouvoir se libérer de la peine, de la colère et du ressentiment hérités de leur passé colonial, il faut que les autochtones et leurs collectivités mettent en uvre leurs propres stratégies de guérison, ce qui implique des initiatives fondées sur les pratiques traditionnelles et sur une véritable compréhension de leurs besoins. Les femmes veulent des services sociaux et des soins de santé plus complets et de meilleure qualité, dotés de ressources suffisantes et d'un personnel à prépondérance autochtone.

La violence familiale est une manifestation particulièrement alarmante de la désagrégation des normes traditionnelles de respect interpersonnel. Beaucoup de femmes nous ont parlé de leurs craintes pour la sécurité de leurs enfants et la leur et de la nécessité de pouvoir disposer de refuges. Dans certaines collectivités, en particulier les plus petites, il est parfois difficile pour une femme et ses enfants de trouver un endroit où se réfugier.

Les femmes autochtones veulent que leurs collectivités et que les chefs de celles-ci adoptent une politique de non-tolérance absolue à l'égard de la violence familiale. Elles estiment qu'il est extrêmement important de mettre sur pied des services de counselling adaptés à la spécificité culturelle des agresseurs et de leurs victimes.


Ils vivent la culture, ils connaissent la culture, elle fait partie
intégrante de leur formation. Voilà ce que sont les vrais anciens.
                   Vern Harper, ancien
                   Toronto (Ontario)


La voix des anciens

Les anciens portent des noms divers dans les sociétés autochtones: les Vieux, les Sages, les Grands-mères et Grands-pères et, chez les Métis, les Sénateurs. Ce sont des précepteurs, des philosophes, des linguistes, des historiens, des guérisseurs, des juges, des conseillers - et ils ont d'autres rôles encore.

Les anciens incarnent les traditions et les cultures autochtones. Grâce aux dons du Créateur et aux années qu'ils ont passées sur cette terre, ils ont acquis les connaissances et l'expérience nécessaires pour vivre et prospérer dans le monde physique. Ils sont en harmonie avec la terre, les cycles et les rythmes de la nature et de la vie.

Les anciens sont les dépositaires du savoir spirituel qui a soutenu leur peuple pendant des milliers d'années - celui des cérémonies et des activités traditionnelles, des lois et des règles fixées par le Créateur pour permettre aux leurs de vivre en tant que nation.

Ces deux formes de connaissance sont également importantes et valables. Il y a fusion entre le spirituel et le temporel, entre le naturel et le surnaturel qui forment comme une torsade autour de l'acte de vivre quotidien. Le royaume du sacré devient un élément de la vie de tous les jours.


La voix humaine laisse une empreinte durable sur la mémoire et les
sentiments humains car, plus que tout autre moyen d'expression, elle est
capable de communiquer ce qu'il y a dans notre cœur et dans notre esprit.
                   Esther Jacko
                   dans Voices: Being Native in Canada (1992)


Tous les anciens ne sont pas des personnes âgées, pas plus que toutes les personnes âgées ne sont des anciens. Certains sont fort jeunes. Les anciens ont cependant une perspicacité et des capacités de communication qui leur permettent de transmettre la sagesse collective des générations passées.

Les anciens ne thésaurisent pas leur savoir. Leur tâche la plus importante est au contraire de le transmettre de manière à ce que la culture de leur peuple demeure vigoureuse et capable de s'adapter au changement. La continuité de leurs nations en dépend.

Ils transmettent leurs coutumes et leur culture par l'action, l'exemple et la tradition orale - par les histoires et les plaisanteries qu'ils racontent, les jeux et d'autres activités communes. L'expérience est purement personnelle; l'événement est également partagé par celui qui le raconte et par celui qui l'écoute. Ceux qui écoutent ces histoires et cet enseignement sentent les peines et les joies, revivent les victoires et les défaites de leur peuple. À travers le temps, ils rejoignent les leurs. Le passé, le présent et l'avenir ne font plus qu'un.

Grâce à l'aide de leurs anciens, les nations autochtones ont réussi, non sans mal, à conserver leurs valeurs traditionnelles, leurs langues et leur savoir - en dépit des vigoureux efforts déployés de l'extérieur pour les détruire. Les autochtones se sont férocement battus pour conserver leurs traditions, sachant que celles-ci sont la source principale de leur identité, de leur fierté et de leur force en tant qu'individus et nations.

Aujourd'hui, nous sommes témoins d'une forte résurgence de l'intérêt des autochtones pour leurs langues et leurs traditions, dont beaucoup s'estompaient encore tout récemment. Les intervenants à nos audiences nous ont déclaré que les nouvelles institutions devront s'appuyer sur les enseignements fondamentaux de la tradition autochtone et sur la vision contemporaine du monde qu'offrent les anciens.


Les anciens incarnent les traditions et les cultures autochtones.


Mais faire revivre la tradition ne signifie pas qu'il faille retourner en arrière. La plupart des habitants de notre planète vivent conformément à des religions et à des philosophies qui remontent à des milliers d'années. De la même manière, les traditions et les enseignements autochtones ont été façonnés il y a bien longtemps, mais il est possible de les remodeler pour qu'ils conservent leur utilité dans le monde moderne.

La réussite des anciens qui travaillent avec des détenus autochtones montre bien un des rôles qu'ils peuvent jouer. Lorsque nous avons parlé à des contrevenants autochtones, ils ont raconté comment les anciens les avaient aidés à se comprendre eux-mêmes, comment les anciens les avaient aidés, par leurs conseils et leurs cérémonies, à résoudre les problèmes intérieurs qui contribuent au comportement criminel. Les anciens ont également joué un rôle précieux dans d'autres initiatives judiciaires, en particulier au sein des cercles de consultation où l'on détermine la peine à infliger.


Notre vision est simple. Nous voulons être heureux. Nous voulons
pouvoir nous détendre, rêver et rire. Nous voulons aimer et parler. Nous
voulons connaître notre culture autochtone. Nous voulons nous respecter
les uns les autres. Pour ça, il nous faut un avenir meilleur.
                   Robert Quill
                   Merritt
                   (Colombie-Britannique)


Les anciens nous ont dit qu'ils avaient beaucoup plus à offrir qu'on ne leur demandait. Ils peuvent jouer un rôle utile (ce qu'ils font déjà dans certains cas) dans le domaine de l'éducation, des soins de santé et des services sociaux, au sein des commissions de gestion des terres et des ressources, et ils peuvent apporter leur contribution à la préparation de l'autonomie gouvernementale. Leur apport peut être précieux à n'importe quelle étape et à n'importe quel niveau. Dans le domaine de l'éducation, par exemple, on risque de passer à côté d'une richesse inestimable si l'on se contente d'inviter les anciens dans les classes une fois par an à l'occasion d'une journée de sensibilisation culturelle. Ils pourraient apporter une aide précieuse à la réorganisation des programmes d'études, des méthodes d'enseignement et de l'administration.

Les autochtones veulent que les méthodes utilisées par leurs ancêtres soient reconnues, protégées et utilisées. Il importe que les anciens aient accès aux lieux sacrés pour y tenir des cérémonies et pour y cueillir des plantes traditionnelles. Ils seront alors en mesure de partager leur perspicacité et leur savoir avec la nation. Il doit en être ainsi, car les anciens sont indispensables à la perpétuation et au renouvellement du mode de vie autochtones.


Nous n'avons pas uniquement besoin d'argent. Ce dont nous avons besoin,
c'est de nations, de personnes et de collectivités qui unissent leurs
efforts et qui savent se concerter.
                   Stan Wesley
                   Moose Factory (Ontario)


La voix des jeunes

Les jeunes autochtones constituent le groupe le plus important de la population autochtone : 56,2 % environ des autochtones ont moins de 25 ans. Ce sont ces jeunes gens qui perpétueront les initiatives et les rêves des nations autochtones au cours du prochain millénaire.

Certains des témoignages les plus dynamiques que nous avons entendus ont été faits par des jeunes gens. Ils ont manifesté beaucoup d'acuité d'esprit et un optimisme encourageant dans leurs commentaires sur les nombreux problèmes importants concernant leur avenir. Ils cherchent des solutions pratiques, qui peuvent être mises en uvre dès maintenant dans leurs collectivités. Les obstacles politiques et administratifs ne les effraient pas. Ils veulent mener leur tâche à bien de la manière la plus rapide et la plus efficace possible.

Mais les jeunes n'ont pas le sentiment que leurs idées sont appréciées par leurs chefs. Ils se considèrent comme une ressource gaspillée. Ils ont instamment demandé aux organisations autochtones de suivre l'exemple de l'Association nationale des centres d'amitié et de la Conférence circumpolaire inuit et de prendre des mesures pour les associer plus étroitement à toutes les questions communautaires.

Les jeunes autochtones ont décrit leurs quatre objectifs essentiels:

La guérison et la redécouverte des valeurs spirituelles sont indispensables pour que les jeunes autochtones puissent s'assurer une assise solide dans leurs cultures et leurs traditions. Cela leur épargnera le sentiment d'aliénation et de désespoir qui conduit à la drogue, à la criminalité et aux comportements suicidaires. La Commission est d'accord avec les jeunes lorsque ceux-ci demandent qu'on leur offre plus de possibilités de découvrir leurs propres cultures - vues non pas comme des abstractions ou des reliques mais comme des traditions vivantes et dynamiques.

La guérison de l'esprit implique un milieu scolaire dans lequel les apports des peuples autochtones au Canada et au monde entier sont étudiés, respectés et validés. Les jeunes ont besoin d'un programme d'études qui englobe l'histoire autochtone et les réalités contemporaines. Ils ont besoin d'établissements d'enseignement dirigés par des autochtones pour les autochtones. Ils ont besoin d'une aide financière plus importante pour entreprendre et terminer leurs études.


Les jeunes d'aujourd'hui ont besoin d'activités constructives. Dès
qu'ils feront quelque chose de valable, leur confiance reviendra et ils
pourront avoir une meilleure opinion d'eux-mêmes.
                   Kathy Nelson
                   Roseau River (Manitoba)


C'est peut-être avec l'aide des anciens que la guérison des émotions est la plus efficace. Les jeunes autochtones considèrent que, lorsqu'ils sont en difficulté, ce sont les anciens qui sont les mieux placés pour leur donner des conseils dans une perspective contemporaine modulée par une vision traditionnelle du monde. Ils ont aussi besoin de s'aménager un espace pour engager entre eux un débat sur des questions importantes et pour partager le fardeau émotionnel qu'assume aujourd'hui tout autochtone au Canada.

La guérison du corps vient boucler le cercle. Les jeunes ont besoin de plus de possibilités et d'activités sportives et récréatives afin de les aider à établir des liens sociaux avec leurs collectivités, à jeter des ponts entre celles-ci et d'autres collectivités et à développer leurs capacités de leadership et leur esprit d'équipe. Certains nous ont dit que les problèmes sociaux dont ils sont témoins autour d'eux pourraient être atténués s'il existait des programmes récréatifs conçus en fonction de tels objectifs.

À l'heure actuelle, il existe un salmigondis de programmes et d'initiatives, d'ailleurs peu efficaces, qui ont été établis à l'intention des jeunes autochtones par divers ministères et gouvernements. Nous estimons qu'il est indispensable d'établir un cadre de mesures coordonnées à l'échelle du Canada pour répondre aux préoccupations des jeunes autochtones - et qu'il faut adopter une approche intégrée à l'égard de l'éducation, de la justice, de la santé et de la guérison, de l'emploi, du sport et des loisirs, et des questions urbaines.

Ceux qui ont comparu devant la Commission étaient en général optimistes face à l'avenir, mais de nombreux obstacles se dressent entre les jeunes autochtones et un avenir sûr et satisfaisant. Avec un peu d'aide, ils sont prêts à retrousser leurs manches et à faire leur part pour remodeler l'avenir.

La voix des Métis

Quelque 139 000 Canadiens se considèrent comme Métis. Leur histoire remonte à des centaines d'années, mais la plupart des Canadiens ne savent pas grand-chose à leur sujet. Les Métis sont des peuples autochtones avec une histoire, une langue et une culture bien à eux.

Les commerçants de fourrure et les colons européens ont commencé à courtiser des femmes autochtones et à les épouser peu de temps après leur arrivée aux Amériques. Au début, les enfants issus de ces unions étaient habituellement élevés dans une seule culture - européenne ou autochtone. Mais avec le temps, les enfants de ces mariages mixtes ont commencé à combiner les deux cultures, d'où l'émergence d'un groupe de peuples autochtones original, celui des Métis.

La culture des Métis est le produit de leur mode de vie. Dans les Prairies, la langue des Métis - le michif (et ses nombreux dialectes) - était un mélange de français et de plusieurs langues amérindiennes. Les déplacements constants des Métis ont inspiré un art facile à transporter - chansons et danses exubérantes, répertoire de violoneux, vêtements magnifiquement décorés. Certains Métis ont formé des établissements permanents autour de postes de traite. La chasse au bison a aussi joué un rôle important dans l'organisation d'autres groupes métis plus mobiles. Pour les Métis de l'Est, c'est la pêche qui a souvent déterminé les modes d'établissement.

Les Métis ont utilisé leurs liens familiaux, leurs talents de survie dans la nature et leur connaissance des langues européennes et autochtones pour faciliter la pénétration européenne dans l'intérieur nord-américain et ils ont ainsi joué un rôle crucial dans l'édification de notre pays.


Je suis un Métis. C'est une question de culture, une question
d'histoire, une question de mode de vie. Ce n'est pas l'aspect extérieur
qui compte. Ce qui est important, c'est ce qui se passe en vous, dans
votre esprit, dans votre âme et dans votre cœur.
                   Delbert Majer
                   Saskatchewan Metis Addictions Council
                   Regina (Saskatchewan)


Au chapitre 2, nous avons défini le terme nation et recommandé que l'on adopte une politique de reconnaissance des nations autochtones. Les membres de la nation métisse de l'Ouest satisfont à nos critères dans ce domaine. Ils constituent depuis longtemps un groupe culturellement distinct, ils manifestent une solide cohésion sociale et ils ont fait la preuve de leur efficacité sur le plan politique. Ils pourraient très bien être un des premiers peuples à acquérir le statut de nation selon la démarche que nous proposons. Nous nous attendons à ce que les Métis du Labrador et d'autres collectivités métisses suivent leur exemple par la suite.

Lorsqu'il a affaire aux Métis, le gouvernement du Canada devrait traiter de nation à nation, comme pour tous les autres peuples autochtones. La Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît déjà qu'ils sont un groupe de peuples autochtones, mais le gouvernement refuse de les faire bénéficier de la plupart des programmes et services destinés aux autochtones.

Le gouvernement soutient que sa responsabilité à l'égard des «Indiens et des terres réservées pour les Indiens», aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, ne s'étend pas aux Métis. Nous ne sommes pas d'accord. Il y a plus de 50 ans, la Cour suprême a statué que la compétence fédérale en vertu du paragraphe 91(24) s'étendait aux Inuit. Le gouvernement leur offre aujourd'hui la plupart de ses programmes et services. Il est injuste et déraisonnable de priver les Métis des possibilités offertes aux autres peuples autochtones.

D'une façon générale, les objectifs des Métis ne sont guère différents de ceux des autres autochtones. Ils veulent, eux aussi, renforcer leur culture, assumer leur autonomie politique, obtenir suffisamment de terres pour poursuivre leur développement économique et culturel et s'assurer que leurs enfants sont en bonne santé, qu'ils reçoivent une bonne éducation et qu'ils sont prêts à prendre la relève et à diriger la nation à leur tour.

Il est particulièrement important qu'un territoire leur soit assigné car, à l'exception de l'Alberta, les Métis n'en ont pas. De vastes étendues de terre dans les Prairies auraient dû leur être distribuées en vertu de la Loi de 1870 sur le Manitoba et de la Loi sur les terres du Dominion de 1879, grâce à un système de certificats. Mais ceux qui ont essayé d'obtenir les terres qu'on leur devait se sont heurtés à des retards, à toutes sortes de tergiversations, voire à des escroqueries.

Dans bien des cas, les terres allouées étaient si éloignées de l'endroit où vivait le bénéficiaire que celui-ci n'avait d'autre choix que de la vendre au plus offrant. Les spéculateurs locaux étaient bien entendu prêts à les acheter - pour une bouchée de pain.

Le système des certificats n'était pas destiné à créer un véritable territoire pour les Métis. Le certificat était accordé à titre individuel et permettait aux bénéficiaires de s'installer avec leurs familles sur des parcelles de terrain non contiguës. Cela n'avait rien à voir avec le système des réserves selon lequel les Premières nations partageaient un terrain qui leur appartenait en exclusivité. Le gouvernement de l'époque craignait le nombre croissant de Métis, leur force économique et militaire, et il cherchait à démanteler leurs collectivités.

Le manque d'honnêteté de ce traitement a incité les Métis des Prairies à faire valoir que leurs droits fonciers demeurent entiers. Les Métis d'autres régions du pays ont échappé au résultat catastrophique du système des certificats et réclament maintenant des terres dans le contexte des droits ancestraux.

La notion de nation autochtone a toujours été étroitement liée à la possession d'un territoire. Pour pouvoir satisfaire leurs aspirations sociales, culturelles, politiques et économiques légitimes, il est indispensable que les Métis aient, eux aussi, des terres.

Nous demandons instamment aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux d'agir rapidement afin de reconnaître la ou les nations métisses et de leur permettre de négocier des traités et des accords au même titre que les autres peuples autochtones. Ces traités définiraient les pouvoirs impartis à leurs gouvernements, l'étendue des terres qui leur reviendraient, les indemnités qui devraient leur être versées pour les injustices passées, leurs droits ancestraux (comme le droit de chasser, de pêcher et de piéger sur les terres de la Couronne en toutes saisons) et la nature de leurs arrangements financiers avec les autres gouvernements. Ces négociations ne seront ni rapides, ni faciles - raison de plus pour qu'elles commencent dès maintenant.

Les Métis qui sont entrés dans le xxe siècle étaient des être déracinés, aliénés et découragés. Ils sont fermement décidés, au cours du prochain siècle, à retrouver la place qui leur revient en tant que peuple autochtone autonome, autosuffisant et dynamique au sein d'une société canadienne plus égalitaire.


Il faut que les Métis aient leurs propres terres, leurs propres
ressources. C'est absolument fondamental. Lorsque l'on parle de terres et
de ressources, il y a toujours les mythes selon lesquels les Métis ont
moins de droits que certains autres autochtones de ce pays. Nos droits
sont les mêmes que ceux des autres peuples autochtones du Canada.
                   Gary Bohnet
                   Président, Nation métisse des Territoires
                   du Nord-Ouest


La voix du Nord

Le nord du Canada est peuplé par les Inuit, les Premières nations et les Métis ainsi que par des non-autochtones qui y ont été attirés par son extraordinaire beauté, ses perspectives économiques et le mode de vie unique qu'il offre. C'est un terrain d'essai pour les idées et les systèmes politiques, un endroit où il est possible de mettre à l'épreuve de nouvelles initiatives audacieuses. Le Nord demeure donc un lieu d'exploration et de découverte, un monde où l'on peut tracer des voies nouvelles et faire figure de pionnier.


La relation entre les Inuit et le Canada est essentiellement fondée sur
le déséquilibre des forces; dans cette relation, nos droits ont souvent
été bafoués, et nos pouvoirs usurpés par des gouvernements que nous
n'avions pas créés.
L'accès des Inuit à l'autonomie gouvernementale et le règlement de
leurs revendications territoriales devraient remédier à cette situation en
permettant de négocier la création de nouveaux organismes gouvernementaux
dans nos territoires et d'affirmer légitimement notre statut de peuple,
tout en respectant les droits d'autrui.
                   Rosemarie Kuptana
                   Présidente, Inuit Tapirisat


La dimension politique

Les peuples autochtones du Nord vivent selon des structures politiques diverses.

Les 17 collectivités de Premières nations du Yukon ont récemment négocié une entente-cadre finale qui augmente considérablement leurs terres et leurs ressources et met à leur disposition une masse considérable de capitaux. L'entente fournit également un cadre général pour les accords d'autonomie gouvernementale individuels et, pour la première fois, n'exige pas des autochtones qu'ils renoncent à tous leurs titres ancestraux.

Les Dénés ont signé deux des traités historiques, le Traité 8 et le Traité 11. D'autre part, deux revendications territoriales contemporaines ont été réglées, la première avec les Dénés Gwich'in et les Métis, la seconde avec les Dénés Sahtu et les Métis. Les Dogribs négocient actuellement un troisième règlement. Les autres Dénés du Nord s'attendent à ce que la mise en uvre de leurs traités les conduise à l'autonomie gouvernementale.

Les Métis du nord du Canada ne sont pas signataires des traités 8 et 11, mais les deux ententes conclues sur les revendications récentes s'appliquent à eux. Ils cherchent des moyens de rétablir et de protéger leurs droits dans le cadre d'un processus combiné de mesures constitutionnelles et de revendications territoriales.

Les 38 000 Inuit qui vivent dans le Nord comptent exercer leur droit à l'autodétermination au moyen d'un gouvernement populaire (modalité de la fonction gouvernementale examinée au chapitre 2). Pour pouvoir y participer, il faut être un résident de longue date sans nécessairement appartenir à une nation ou à un groupe autochtone. Cependant, comme les Inuit forment une majorité sur leurs territoires traditionnels, il leur est possible de contrôler l'activité du gouvernement.

La plupart des Inuit du Nord sont parties à un des trois principaux accords sur les revendications territoriales: la Convention de la Baie James et du Nord québécois, signée en 1975; la Convention définitive des Inuvialuit de 1984, portant sur les Inuvialuit de l'Arctique de l'Ouest, ainsi que la Loi concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et la Loi sur le Nunavut (1993), qui créeront un nouveau territoire dans la partie est des Territoires du Nord-Ouest en 1999. Le Labrador est la seule région peuplée en majorité par des Inuit qui n'a pas encore fait l'objet d'un accord. Le gouvernement a transféré les pouvoirs administratifs aux Inuit du Labrador pour certains types de programmes, et il est à espérer qu'il sera possible de conclure un accord plus général.

Depuis 20 ans, la situation politique a évolué avec une rapidité remarquable dans le Nord. Les habitants de toutes les régions s'emploient actuellement à créer des institutions qui correspondent à la diversité sociale et culturelle qu'on trouve au nord du 60e parallèle.


Par tradition, les autochtones sont des gens de la terre. Ils ont des
liens naturels très étroits avec la terre et toute solution à leurs
problèmes économiques exige qu'ils continuent à vivre sur leurs terres.
                   Rae Stephensen
                   Old Crow (Yukon)


La gérance de l'environnement

La plupart des autochtones du Nord gagnent leur vie dans le cadre d'une économie mixte, c'est-à-dire que leurs revenus proviennent de deux types de sources: emploi, aide sociale ou artisanat d'une part; chasse, pêche et récolte d'autre part. En fonction des fluctuations de l'emploi, du prix du poisson et des fourrures, et de leur situation personnelle, les gens combinent leurs activités différemment.

La santé de cette économie mixte dépend de celle de l'environnement. La protection de l'environnement est donc une question de survie pour les peuples autochtones du Nord - il s'agit en effet de la survie de cette économie mixte et de leur mode de vie.

La plupart des autochtones du Nord sont partisans du développement commercial, à condition qu'il s'effectue dans le respect des terres et de toutes les formes de vie qu'elles supportent. Pourtant, les dommages écologiques sont tout ce qui reste des nombreux chantiers d'extraction minière et des installations militaires qui ponctuent encore le paysage dans le Nord.

Les habitants du Nord qui ont témoigné devant la Commission ont insisté sur la nécessité d'assainir ces lieux et d'éviter d'autres cas de pollution; d'améliorer le fonctionnement des organes de réglementation; d'utiliser la connaissance qu'ont les autochtones des phénomènes naturels pour assurer l'utilisation durable des ressources.

Des initiatives telles que les conseils de cogestion de la faune, qui combinent les compétences des chausseurs autochtones et des scientifiques non autochtones pour résoudre les problèmes de protection et de récolte, sont un exemple de l'approche adoptée dans le Nord pour gérer l'environnement et qui mériterait d'être encouragée et étendue.

Le soutien à l'économie du Nord

Même lorsque l'environnement est sain, une question se pose : comment tous les habitants du Nord parviendront-ils à gagner leur vie à l'avenir? La population des adultes augmentera sensiblement au cours des 10 prochaines années et dépassera les prévisions les plus optimistes en matière d'emploie. Le coût de la vie est élevé et les dépenses publiques ne permettront pas de satisfaire tous les besoins.

Les autochtones sont capables de jouer un rôle plus important dans la conception des mesures requises pour accroître l'autonomie de ceux qui, du fait de leur situation, auront peut-être toujours besoin d'un supplément de revenu quelconque, et ils se doivent de le faire. Des programmes qui s'inspirent des valeurs des autochtones, qui font appel à la connaissance qu'ils ont d'eux-mêmes et à leur créativité, auront des effets bien plus positifs sur ceux qui ont besoin d'aide que n'en ont les programmes actuels.

C'est ainsi que les fonds affectés aux programmes d'aide sociale pourraient être utilisés pour soutenir les activités de récolte traditionnelles ou offrir du travail rémunéré. Dans les deux cas, la collectivité bénéficierait de l'effort en faveur de l'autonomie.

Notre rapport contient également des propositions en faveur d'un soutien à l'économie salariale. Les autochtones du Nord n'ont jamais pleinement partagé les avantages économiques de l'extraction minière sur leurs territoires traditionnels. Nous décrivons les moyens par lesquels les entreprises et les industries résidentes pourraient rendre au Nord une partie de ce qu'elles lui prennent - en recrutant plus d'employés autochtones, en aidant ces régions à former une main-d'uvre plus qualifiée, en apportant une aide aux entreprises locales et en créant plus de coentreprises avec des particuliers, des collectivités et des nations autochtones.


Nous constatons aujourd'hui que beaucoup des nôtres qui viennent vivre
en milieu urbain sont incapables de supporter la vie moderne s'ils sont
privés de leurs valeurs traditionnelles.
                   Nancy Van Heest
                   Urban Images
                   for First Nations
                   Vancouver
                   (Colombie-Britannique)


La prise de contrôle

Le mode de vie des autochtones s'est transformé au cours des 20 dernières années. Alors qu'autrefois ils pouvaient se déplacer librement, la plupart d'entre eux vivent aujourd'hui dans des collectivités bien établies. Alors qu'autrefois ils connaissaient l'indépendance - et l'insécurité - des petites sociétés fondées sur la chasse et la cueillette, la plupart des autochtones sont aujourd'hui tributaires d'un travail rémunéré ou de l'aide sociale.

Pour certains d'entre eux, cela s'est traduit par une désagrégation des normes et des valeurs traditionnelles ainsi que du comportement social responsable que cela impliquait. Beaucoup d'habitants du Nord expliquent l'alcoolisme et les autres problèmes sociaux qu'ils connaissent par le rythme et l'ampleur des changements auxquels ils ont été soumis.

Nous approuvons leur intention de prendre le contrôle des institutions, des processus et des programmes qui permettront de diriger et de contrôler le changement dans le Nord. Cela leur permettra de créer de nouveaux codes de comportement social responsable et de nouvelles méthodes de partage d'une région en devenir qui est aussi leur patrie.

La voix des autochtones citadins

Près de la moitié des autochtones du Canada vivent dans les zones urbaines, et il y a autant d'autochtones à Winnipeg que dans l'ensemble des Territoires du Nord-Ouest. Cela paraîtra surprenant à beaucoup de Canadiens, et il est certain que les gouvernements semblent avoir peu tenu compte de cette réalité dans le choix de leurs politiques et de leurs programmes.

Cette lacune sur le plan de l'information et des politiques tient, au moins en partie, à certaines idées éculées sur la place qui revient aux autochtones. Les Canadiens et leurs divers gouvernements semblent penser que les autochtones ne sont pas faits pour la vie urbaine - ou que s'ils décident de venir en ville, ils devraient vivre comme des «Canadiens ordinaires».

Pourtant, la culture n'est pas un bagage encombrant que les autochtones abandonnent aux portes de la ville. L'univers culturel dans lequel ils ont grandi et ont trouvé leur identité est quelque chose qui demeure vivant au plus profond d'eux-mêmes et qui les marque dans tous les domaines de leur existence, quel que soit l'endroit où ils vivent.

Qui sont les autochtones citadins?

Quelque 320 000 personnes qui se sont identifiées comme autochtones vivent en milieu urbain - c'est-à-dire 45 % du total de la population autochtone, pourcentage qui devrait continuer à croître.

Les autochtones gagnent les villes pour diverses raisons. Bien souvent, ils cherchent une nouvelle chance - celle de s'instruire, de trouver un emploi, d'améliorer leurs conditions de vie. Certaines femmes s'en vont pour échapper à la violence. D'autres se voient interdire la possibilité de résider dans les collectivités où elles sont nées (malgré le projet de loi C-31). Quelles que soient les raisons, il y a plus de femmes autochtones que d'hommes dans la population urbaine.

La ville n'est pas toujours la terre promise qu'espèrent les autochtones. Ceux-ci sont nettement désavantagés par rapport à leurs voisins non autochtones. En règle générale, ils sont moins instruits, leurs chances d'obtenir un emploi sont moindres et ils sont plus susceptibles d'être pauvres.

La question de l'identité

Les autochtones établis en ville ont d'énormes obstacles à surmonter pour conserver leur culture et leur identité - sans même parler de les transmettre à leurs enfants. La vie urbaine, avec sa multitude de cultures et de modes de vie, ne valide pas nécessairement les leurs. Les incidents de racisme amènent beaucoup d'autochtones à s'interroger sur leur identité et sur leurs propres valeurs. Certains nous ont dit qu'ils ont peur de perdre leur identité ou qu'ils se sentent tiraillés entre deux mondes. D'autres renoncent à leur identité en niant le fait qu'ils sont autochtones ou en s'abandonnant à un comportement autodestructeur.


La culture n'est pas un bagage encombrant que les autochtones abandonnent aux portes de la ville.


À notre avis, les autochtones devraient pouvoir se sentir chez eux et ils devraient pouvoir affirmer leur identité quel que soit l'endroit où ils décident de vivre. Pour que la culture autochtone survive dans les villes, il est indispensable que des collectivités dynamiques soient créées et que celles-ci puissent s'appuyer sur des institutions représentatives de leur culture.

Au cours de nos audiences publiques, les intervenants ont souvent déclaré que les centres d'amitié étaient des endroits où tous les autochtones pouvaient trouver de l'aide afin de se faire accepter dans la ville. Ces centres ont une longue expérience des programmes d'éducation et de redécouverte culturelles, et ils méritent que le gouvernement fédéral leur assure les fonds nécessaires pour poursuivre leur tâche.

Dans certaines villes, les autochtones ont ouvert leurs propres écoles, dans le souci premier d'assurer leur survie culturelle. Outre les matières du programme provincial, on y enseigne les langues, l'histoire et les traditions autochtones. Les anciens participent normalement aux activités scolaires, ce qui crée un lien important avec les jeunes en l'absence de la famille étendue.


La façon la plus efficace de tuer ces problèmes dans l'œuf est d'aider
l'individu à affirmer son identité et à prendre conscience de l'existence
de la collectivité autochtone urbaine.
                   David Chartrand
                   Président, Association nationale des centres d'amitié


Comme nous l'avons vu au chapitre 3, les organismes autochtones de services à l'enfance et à la famille deviennent également plus nombreux. Ces agences pratiquent des politiques de placement des enfants dans leur propre milieu culturel, lorsque c'est possible, et constituent donc un moyen de défense contre l'assimilation graduelle des autochtones citadins.

Malheureusement, les programmes et les services offerts par les gouvernements aux autochtones citadins manquent totalement d'uniformité. Le soutien financier n'est en général accordé qu'à court terme ou réservé à des projets pilotes et il se limite à quelques aspects de la vie courante tels que le logement et les services de garderie.

Nous proposons que tous les paliers de gouvernement collaborent afin d'accroître l'aide aux initiatives en faveur de la survie culturelle. Les bonnes idées abondent mais l'appui financier est bien maigre.


Sur les plans individuel et familial, l'autodétermination est l'assise
de l'existence des autochtones, qu'ils vivent dans des réserves ou non.
                   Dan Smith
                   Président
                   United Native Nations
                   Vancouver
                   (Colombie-Britannique)


Une question de responsabilité

Un grand nombre des problèmes décrits par les autochtones citadins sont dus au manque de coordination des mesures prises pour répondre à leurs préoccupations. Ils ne bénéficient pas du même niveau de services, ni des mêmes avantages que le gouvernement fédéral offre aux membres des Premières nations et aux Inuit vivant dans leurs collectivités (même si ce sont des Indiens inscrits). Malgré cela, ils se heurtent à divers obstacles lorsqu'ils veulent se prévaloir des programmes provinciaux accessibles à tous.

Le gouvernement fédéral considère habituellement qu'une fois que les autochtones ont quitté leur réserve ou leur établissement, il n'a plus aucune obligation envers eux. Certaines autorités provinciales soutiennent cependant que le gouvernement fédéral devrait continuer à respecter ses obligations envers les Indiens inscrits.

À notre avis, le gouvernement fédéral devrait être responsable des domaines suivants:

Il incombe aux gouvernements provinciaux et territoriaux de rendre toute la gamme des programmes et services généraux accessible à tous les autochtones vivant en milieu urbain, quel que soit leur statut. Lorsque le nombre le justifie, les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent s'assurer que leurs services sont adaptés aux besoins culturels des autochtones.

Des services enrichis ou des services de rattrapage nous paraissent également nécessaires afin d'aider les autochtones à accéder à une qualité de vie similaire à celle des autres Canadiens établis en ville. Le coût de ces services pourrait être partagé entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, selon une formule adaptée à la capacité financière de chacun.

Nous souhaiterions que les services urbains soient fournis sans tenir compte du statut des autochtones. Autrement dit, ils devraient être accessibles à tous les autochtones, quelle que soit leur nation d'origine. Dans certaines provinces, cependant, les services fournis aux membres des Premières nations et aux Métis sont distincts. Là où ce système donne de bons résultats, nous ne voyons aucune raison de le changer.


Ce ne sont pas les structures qui font les changements, ce sont les gens.


L'autonomie gouvernementale en milieu urbain

Une des questions les plus difficiles à résoudre en milieu urbain est celle de l'autonomie gouvernementale. Il est relativement facile d'imaginer une telle autonomie dans les collectivités autochtones disposant de leurs propres terres. Mais comment concilier cela avec la vie citadine? Y créera-t-on des «zones autochtones», avec leurs propres lois et leurs propres gouvernements?

Trois approches à l'autonomie gouvernementale nous paraissent possibles en milieu urbain:

De plus, en particulier dans l'Ouest, il pourrait y avoir des services et des organismes spécifiques destinés aux Métis, pour constituer un réseau d'organes de prise de décisions sur le plan local, régional, provincial et national.

Il faudra un certain temps pour que ces trois approches et les autres que nous avons examinées dans notre rapport puissent se réaliser. L'idée de l'autonomie des autochtones citadins est encore toute nouvelle, et la plus grande partie du travail de conception devra être effectuée par les autochtones eux-mêmes. Nous encourageons donc vivement les gouvernements, non autochtones et autochtones, à coopérer afin d'apporter le soutien nécessaire au stade de la planification et de reconnaître les gouvernements urbains viables qui se constitueront.

Comme autochtones et non-autochtones vivent en voisins dans les zones urbaines, les villes canadiennes sont un terrain propice à l'établissement de ponts entre les cultures. Nous souhaiterions que plus de Canadiens prennent l'initiative de telles activités.


Notre relation a besoin de redevenir un partenariat: une relation de
personne à personne, de culture à culture, de nation à nation. Voilà la
voie à prendre.
                   Al Ducharme
                   Professeur d'histoire métis
                   La Ronge (Saskatchewan)


La reconnaissance de la diversité

Au cours de nos entretiens avec les autochtones dans tout le Canada, nous avons pris conscience - dans certains cas, pour la première fois - de l'énorme diversité qui existe entre eux. Les autochtones ne constituent pas une entité monolithique, conduite par une pensée unique et s'exprimant d'une seule et même voix. Les Canadiens n'attendent pas de leurs dirigeants qu'ils soient d'accord entre eux; ils ne doivent pas non plus s'attendre à une telle unanimité de la part des chefs autochtones.


La capacité de se forger une identité, qu'il s'agisse d'un individu ou
d'un groupe, est au cœur de la modernité. Je vois aujourd'hui un groupe
d'autochtones qui sont en train de se forger une identité positive, qui se
considèrent maintenant comme faisant partie intégrante de la société qui
les entoure, qu'ils viennent eux-mêmes enrichir.
        David Newhouse
        Université Trent

Les autochtones appartiennent à des traditions nationales diverses. Leurs langues, leurs croyances et leurs philosophies diffèrent sur des plans importants - bien qu'ils aient aussi beaucoup de points communs. Ces différences se retrouvent également dans leur expérience de la vie au Canada - selon l'âge, la région et l'endroit.

La diversité des points de vue autochtones est une réalité que les autres Canadiens doivent accepter, s'ils souhaitent mieux comprendre les différences culturelles existantes. Les autochtones eux-mêmes s'efforcent de concilier les différences qui les séparent de manière à pouvoir s'exprimer d'une même voix et servir ainsi leur intérêt collectif.

Lorsqu'il s'agira de fixer des orientations, il sera important de reconnaître la diversité des autochtones car il est exclu qu'une seule réponse aux questions posées puisse tous les satisfaire. Aucun modèle unique - qu'il s'agisse d'autonomie gouvernementale, de centre de guérison ou de type de logement - ne pourra convenir à toutes les nations autochtones. À la diversité des voix doit répondre celle des solutions.

retournez Mise à jour : 2000-06-21


Copyright et déclaration de désistement