Une relation à redéfinir


Pour retrouver l'essence de la relation originelle entre les autochtones et les sociétés colonisatrices, relation décrite au chapitre 1, il faut mettre en place les éléments d'un partenariat moderne. Le point de départ de cette transformation est la reconnaissance des nations autochtones.

Les peuples autochtones en tant que nations

Les arguments à l'appui de la reconnaissance des peuples autochtones en tant que nations se rattachent au passé comme au présent. Les autochtones étaient constitués en nations lorsqu'ils ont contracté des alliances militaires et commerciales avec les Européens. C'est à titre de nations qu'ils ont signé des traités pour partager leurs terres et leurs ressources. Ils forment encore aujourd'hui des nations - par leur cohésion, leur caractère distinct et leur compréhension d'eux-mêmes.

La reconnaissance des nations autochtones ne menace en rien le Canada ni son intégrité politique et territoriale. Les nations autochtones ont presque toujours cherché la coexistence, la collaboration et l'harmonie dans leurs relations avec les autres peuples. Aujourd'hui, elles demandent au Canada la place légitime qui leur revient en tant que partenaires au sein de la fédération canadienne.

Le présent chapitre montre comment les bases de l'identité nationale autochtone ont été minées et comment elles peuvent être restaurées.

Les Gouvernements Autochtones et La Charte Canadienne des Droits et Libertés

La justification de l'autonomie gouvernementale

Les autochtones et leurs régimes de gouvernement existent de temps immémorial. C'est du Créateur lui-même que les autochtones considèrent avoir reçu le droit à l'autonomie gouvernementale. Le Créateur a donné un territoire à chaque nation et il lui a confié la responsabilité de prendre soin de ces terres - et les uns des autres - jusqu'à la fin des temps.

Dans le cas des autochtones, le droit à l'autonomie gouvernementale est conforté par trois autres sources:

Les nations autochtones ont accepté la nécessité de partager le pouvoir avec le Canada. En échange, elles demandent que les Canadiens conviennent que l'autonomie gouvernementale des autochtones n'est pas et ne sera jamais un «don» consenti par un Canada «éclairé». Il s'agit en effet d'un droit inhérent que les autochtones ont exercé pendant des siècles avant l'arrivée des explorateurs et des colons européens, un droit auquel ils n'ont jamais renoncé et qu'ils veulent exercer à nouveau.

Une Nation

À notre avis, les autochtones doivent être accueillis comme des partenaires à part entière dans les structures complexes qui constituent le Canada. En fait, nous soutenons que les gouvernements autochtones forment l'un des trois ordres de gouvernement au Canada - fédéral, provincial et autochtone. Les trois ordres sont autonomes dans leur sphère de compétence respective et ils partagent la souveraineté du Canada dans son ensemble. Les gouvernements autochtones ne sont pas assimilables aux administrations municipales, qui exercent les pouvoirs qui leur ont été délégués par les gouvernements provinciaux ou territoriaux.

Le partage de la souveraineté est une caractéristique importante du fédéralisme canadien. Il a permis le partenariat des débuts entre autochtones et non-autochtones et, par la suite, l'union des provinces formant le Canada.

Les gouvernements canadiens acceptent peu à peu la notion d'une souveraineté partagée et de l'autodétermination autochtone. Ils manifestent toutefois de la réticence à céder toute la gamme des pouvoirs essentiels à l'autonomie gouvernementale véritable et toutes les ressources nécessaires à l'efficacité des gouvernements autonomes.

Réédifier les nations autochtones

Nous avons conclu que le droit à l'autonomie gouvernementale ne pouvait pas être véritablement exercé par de petites collectivités distinctes, qu'il s'agisse de collectivités indiennes, inuit ou métisses. Ce droit revient à des groupes d'une certaine taille - des groupes qui peuvent revendiquer la qualité de «nation».

Malheureusement, les anciennes nations autochtones ont été décimées par la maladie, les réinstallations et tout l'arsenal des politiques gouvernementales assimilatrices. Elles ont été dispersées entre les bandes, les réserves et les petits établissements. Rares sont celles qui fonctionnent encore de façon collective aujourd'hui. Il faudra donc les réédifier en tant que nations.


L'autonomie gouvernementale est un droit auquel les autochtones n'ont jamais renoncé et qu'ils veulent exercer à nouveau.


Nous sommes convaincus que l'appartenance aux nations autochtones ne devrait pas reposer sur le concept de race. Les nations autochtones sont des communautés politiques, qui englobent souvent des peuples d'origines et de traditions diverses. Leurs liens sont tissés par la culture et l'identité, non pas par le sang. Leur unité vient d'une histoire commune et d'un fort sentiment d'appartenance.

Le travail de réédification de ces nations présente un véritable défi aux autochtones. Il leur faudra en effet

Il leur faudra développer leurs ressources humaines. Il leur faudra créer une fonction publique autochtone sur la base solide de l'administration communautaire actuelle. Il leur faudra promouvoir les attitudes nécessaires à l'autonomie gouvernementale. Il leur faudra aussi favoriser la guérison - un processus social et spirituel déjà entamé dans de nombreuses collectivités autochtones.

Pour appuyer la réédification des nations autochtones et remplacer les politiques paternalistes par le partenariat, nous proposons un point de départ audacieux: une nouvelle proclamation royale, entérinée par le monarque qui est notre chef d'État et le gardien des droits des peuples autochtones.

Une nouvelle proclamation ouvrirait avec éclat une ère nouvelle pour les autochtones. Son très important préambule devrait contenir les éléments suivants:

Après la proclamation, le Parlement du Canada adopterait un cadre législatif complémentaire pour créer les lois et les institutions nécessaires à la mise en uvre d'une relation renouvelée. Ces nouvelles lois viseraient toutes à doter les autochtones des pouvoirs et des outils dont ils ont besoin pour structurer eux-mêmes leur avenir politique, social et économique.


Autrefois, il existait un système de poids et contrepoids qui
fonctionnait bien et qui convenait aux Anishnabés. Nos chefs étaient au
service du peuple et défendaient les valeurs de la communauté. La
responsabilité n'était pas un objectif du système, mais un élément qui en
formait la fibre même.
              Union des Indiens
              de l'Ontario
              Mémoire à la Commission (1993)


Il serait primordial d'adopter, entre autres, une loi sur la reconnaissance et le gouvernement des nations autochtones, pour qu'à la fin du processus de restructuration interne et de mise en place des institutions, les nations puissent être reconnues par le gouvernement du Canada.

Pour préparer le nouveau commencement, le gouvernement fédéral devra procéder à une certaine réorganisation:

Le Premier ministre devrait prendre l'initiative d'amorcer et de maintenir une relation renouvelée et participer à toutes les étapes du processus pour bien montrer l'importance du nouvel accord.

Modèles et pouvoirs des gouvernements autonomes

Les conceptions autochtones de l'autonomie gouvernementale sont aussi variées que les traditions, les circonstances et les aspirations de chaque peuple. Les peuples autochtones de tout le Canada ont soumis une foule de propositions détaillées en vue de l'autonomie gouvernementale. La Commission a défini trois modèles de base qui comportent chacun de nombreuses variantes. Ces modèles sont tous réalistes et applicables dans le cadre de la fédération canadienne.

Gouvernement fondé sur la nation

Les autochtones qui éprouvent un fort sentiment d'identité partagée et qui ont une assise territoriale exclusive choisiront probablement le modèle du gouvernement fondé sur la nation. À l'intérieur de leurs frontières, les gouvernements fondés sur la nation exerceront une large gamme de pouvoirs. Ils pourront choisir d'intégrer des éléments de la structure gouvernementale traditionnelle, opter pour une fédération souple entre régions ou collectivités ou adopter une formule plus centralisée. Il leur faudra définir des façons de représenter les intérêts des résidents non autochtones dans le processus décisionnel.

Gouvernement populaire

Dans certaines régions qu'ils partagent avec des non-autochtones, les autochtones forment la majorité de la population - notamment dans les parties les plus septentrionales du pays. Les accords actuels (p. ex. l'Accord du Nunavut) mentionnent que les nations autochtones dans cette situation choisiront probablement le modèle de gouvernement autonome populaire. Dans ce modèle, tous les résidents participent sur un pied d'égalité au fonctionnement du gouvernement, quelle que soit leur origine. Les structures du gouvernement ressembleraient sans doute à celles des autres gouvernements du Canada, mais elles seraient adaptées de façon à refléter les traditions autochtones et à protéger les cultures autochtones.

Gouvernement fondé sur la communauté d'intérêts

Dans les centres urbains, les autochtones de diverses nations constituent une minorité. Ils ne forment pas une nation au sens où on l'entend généralement, mais ils veulent quand même bénéficier d'un certain degré d'autonomie gouvernementale - surtout en ce qui concerne l'éducation, les services de santé, le développement économique et la protection de leurs cultures. Les gouvernements autochtones urbains pourraient fonctionner efficacement à l'intérieur des municipalités. La participation se ferait sur une base volontaire, et les pouvoirs exercés seraient délégués par les gouvernements des nations autochtones ou les gouvernements provinciaux.


La nation tlingit de Teslin, au Yukon, est en train de passer du statut de clan à celui de nation grâce à la création d'organes gouvernementaux: un conseil général, un conseil exécutif, un conseil des anciens et un conseil de justice. Ces conseils ne font pas que reproduire les institutions tlingit traditionnelles, ils reflètent aussi l'importance des clans par leur composition et leur style consensuel de décision.


À notre avis, le pouvoir des gouvernements autochtones sur les questions se rapportant à la bonne gestion des affaires autochtones et aux intérêts des autochtones et de leurs territoires est un droit ancestral existant qui est reconnu et confirmé dans la Constitution.

Le pouvoir de gouverner se décompose en deux parties: le «centre» et les «confins». Les domaines centraux du champ de compétence autochtone regroupent les questions cruciales pour la vie et le bien-être d'un peuple autochtone, sa culture et son identité, mais qui n'ont pas d'incidences profondes sur les gouvernements voisins et qui ne font pas par ailleurs l'objet d'un intérêt fédéral ou provincial transcendant.

Domaines Centraux de Compétence

Sur le plan juridique, rien n'empêche les gouvernements autochtones de prendre en charge dès maintenant les domaines centraux au sein de leurs collectivités et de leurs nations. Sur le plan pratique, bien sûr, ces aspects sont liés aux ententes de programme actuelles avec d'autres gouvernements. Avant que l'on puisse s'attendre, raisonnablement, à ce que les autochtones exercent ces responsabilités, des accords au sujet de nouvelles formules de financement et de nombreuses autres questions devront être conclus.

Les questions qui se situent aux confins de la compétence autochtone - celles qui touchent les terres, les ressources et d'autres intérêts des populations voisines - doivent faire l'objet d'ententes avec les autres gouvernements. Nous songeons à ces questions qui, à l'occasion, suscitent la controverse, dont la lutte contre la pollution, l'accès aux routes et aux voies ferrées, la protection de la faune et certains aspects du système de justice - des questions qu'il faudra régler par des ententes de partage ou de cogestion.

Le financement des gouvernements autonomes

Le financement des gouvernements autochtones nécessitera de nouvelles approches - des approches reconnaissant qu'une grande partie de la richesse du pays vient de terres et de ressources sur lesquelles, dans de nombreux cas, les autochtones ont des prétentions légitimes.

Si l'autonomie gouvernementale s'accompagne d'une juste redistribution des terres et des ressources - comme tel doit être le cas - les gouvernements autochtones pourraient dans une large mesure s'autofinancer à long terme grâce à un accès amélioré à ce que l'on appelle les «recettes autonomes». Les recettes autonomes parviennent aux gouvernements par des voies familières: l'impôt sur le revenu, l'investissement, l'emprunt, la perception de droits commerciaux et de redevances, les bénéfices des sociétés publiques, des loteries, etc. Ces sources de revenu peuvent et devraient être mises à la disposition des gouvernements autochtones.

Il importe tout particulièrement que les gouvernements autochtones élaborent leurs propres régimes fiscaux. La plupart des autochtones paient aujourd'hui des impôts, mais au fédéral et aux provinces. Nous recommandons que ceux qui vivent dans les territoires des nations autochtones versent le gros de leurs impôts à leurs propres gouvernements. Ceux qui vivent à l'extérieur des territoires autochtones continueraient de payer des impôts aux gouvernements fédéral et provinciaux.

Comme il faudra du temps pour que les nations autochtones aient accès à des recettes autonomes, les paiements de transfert continueront d'être nécessaires - mais dans une moindre mesure. Nous croyons que les traités et les autres ententes intergouvernementales permettront de libérer les paiements de transfert de certaines contraintes relatives à leur utilisation qui frustrent actuellement les autochtones.

Les nations autochtones, comme les provinces, auront un accès inégal aux ressources et aux occasions de développement économique, d'où des niveaux de prospérité différents. Nous croyons que les nations qui sont prospères aideront celles qui ne le sont pas. Les paiements de transfert des autres gouvernements contribueront à uniformiser les niveaux de service.

Nous nous attendons aussi à ce que, en se développant, les nations autochtones utilisent leurs ressources pour assumer la responsabilité financière de leurs propres gouvernements et services. Les paiements de transfert pourront être structurés afin de favoriser cette évolution, comme c'est actuellement le cas entre le fédéral et les provinces.


Autrefois, nous avions une tradition d'entraide et de partage. Si un
homme était malade ou blessé, le chef envoyait les autres chasser pour lui
et chercher du bois pour sa famille. Nous redistribuions nos richesses
dans l'intérêt de tous. C'est exactement ce qu'un bon système fiscal doit
faire.
              Ernie Crowe, ancien
              Cité par le chef
              Clarence Jules
              Collectivité de Première nation de Kamloops


La redistribution des terres et des ressources

Dans le monde entier et à toutes les époques, le contrôle collectif des terres et des ressources a été la clé de la prospérité et la base de la puissante notion de terre natale d'où un peuple tire son identité. La plupart des autochtones ont encore un lien intensément spirituel avec la terre de leurs ancêtres - un lien qui fait intervenir à la fois la continuité et la responsabilité. On ne saurait donc s'étonner que les conflits les plus intenses entre autochtones et non-autochtones portent sur l'utilisation et le contrôle de la terre.

Dans l'ensemble du pays, les autochtones insistent pour un partage élargi - un partage équitable - des terres et des ressources qui, autrefois, n'appartenaient qu'à eux. C'est ce que leur ont promis la couronne d'Angleterre et son successeur, le gouvernement du Canada. Certaines nations autochtones n'ont signé de traité que sur la foi de cette promesse.

En fait, pourtant, sauf dans le nord du Québec et dans les territoires, la superficie des terres attribuées aux autochtones est infime. Les terres autochtones au sud du 60e parallèle (surtout les réserves indiennes) couvrent moins de 0,5 % du territoire canadien. Par contre, aux États-Unis (sans compter l'Alaska), où les autochtones forment une proportion plus faible de la population, leurs terres représentent 3 % des terres de la nation (voir la carte).

Les terres mises de côté pour les autochtones ont été progressivement détournées de leur destination d'origine. Près des deux tiers ont «disparu» de diverses façons depuis la Confédération. Dans certains cas, le gouvernement n'a pas alloué autant de terres que le prévoyait le traité. Dans d'autres, il a exproprié ou vendu des terres réservées, et les Premières nations étaient rarement parties volontaires à la transaction. De temps à autre, ce sont carrément des fraudes qui ont été perpétrées. Même lorsque les Premières nations avaient réussi à conserver les terres qui leur étaient réservées, le gouvernement a parfois vendu les ressources à des intérêts de l'extérieur.

Ces spoliations ont eu lieu malgré le fait que la Couronne avait le devoir solennel de gérer les terres et les ressources au profit des autochtones.

Les Métis, qui croyaient avoir conquis le droit de posséder leurs propres terres et leurs propres ressources dans l'accord conclu avec Ottawa qui a mené à la Loi sur le Manitoba, ont été repoussés de plus en plus loin vers l'ouest - et finalement dispersés en tant que peuple - par la façon fort malhonnête dont l'accord a été administré.

Plusieurs autres questions de politique territoriale se sont envenimées au fil des ans:

Au début de la relation, les gouvernements coloniaux respectaient les droits et les titres fonciers ancestraux. Mais avec le temps, des conflits sont apparus. Aux yeux des non-autochtones et des gouvernements, les millions d'hectares de terres non cultivées et non exploitées du Canada formaient les «terres de la Couronne», des terres publiques - leurs terres. Pour les autochtones, la terre n'appartenait qu'au Créateur, mais parce qu'ils en étaient les gardiens, il leur revenait d'en prendre soin, de l'utiliser et de la partager selon leur bon vouloir.


Nous n'avons pas vraiment notre place ici, dans notre propre pays. Nos
gens sont condamnés à des amendes et mis en prison parce qu'ils prennent
du gibier et du poisson, alors qu'on nous avait promis un accès permanent
à ce gibier et à ce poisson pour notre subsistance. On nous considère de
plus en plus comme des intrus dans une grande partie de ce pays, notre pays.
              Les chefs des tribus shuswap, okanagan
              et couteau (Thompson)
              de Colombie-Britannique
              Lettre au premier ministre Laurier (1910)


Les traités n'ont pas mis fin aux conflits. En fait, les choses se sont détériorées à mesure que les colons s'installaient dans le voisinage des autochtones, qui n'avaient pas prévu à quel point les murs des colons s'opposeraient aux leurs. Ils croyaient que les promesses scellées par les traités conclus avec la Couronne suffiraient à garantir leur survie et leur indépendance. Ils se trompaient.

Le conflit s'est profondément aggravé lorsque la Loi constitutionnelle de 1867 - rédigée sans consultation avec les autochtones - a attribué aux provinces la propriété de toutes les terres de la Couronne.

Si ce que les autochtones croyaient avoir obtenu avait été fourni - une part raisonnable des terres et des ressources à leur usage exclusif, la protection de leurs activités économiques traditionnelles, des redevances sur les ressources et une participation à la nouvelle économie que les colons étaient en train de créer - leur situation dans le Canada d'aujourd'hui serait fort différente. Ils seraient d'importants propriétaires terriens. La plupart des nations autochtones connaîtraient fort probablement l'autonomie économique. Certaines seraient prospères.

Quelques nations autochtones se sont tournées vers les tribunaux pour forcer les gouvernements à reconnaître leurs droits sur la terre et les ressources, et certaines ont vu leurs efforts couronnés de succès. Des décisions judiciaires ont confirmé que les revendications des peuples autochtones au sujet des terres et des ressources ne reposaient pas uniquement sur un fondement moral, mais aussi sur des droits reconnus par la loi.

En ce qui concerne le titre ancestral, le droit établit trois éléments:

Il est toutefois lourd et coûteux de se tourner vers les tribunaux, et ceux-ci sont parfois insensibles aux problèmes humains sous-jacents aux revendications. Les règlements négociés, en vertu desquels les parties s'entendent directement et parviennent à des accords complexes, sont préférables. Ils sont essentiels dans les rapports de nation à nation.

Les terres et les ressources sont un dû pour les peuples autochtones, pour des raisons aussi bien historiques que contemporaines. Les terres et les ressources forment l'infrastructure indispensable au développement politique, économique et social. Pour réédifier leurs nations, les autochtones ont besoin:


Il n'a jamais été du ressort des tribunaux de définir les conditions
détaillées des ententes entre la Couronne et les Premiers peuples. Nous
nous sommes présentés devant les tribunaux à notre corps défendant.
              Le chef Edward John
              Sommet des Premières nations de Colombie-Britannique


Un plan de partage équitable

Depuis de nombreuses années, le Canada utilise un processus de règlement des revendications territoriales. Son but est de permettre aux Premières nations de présenter soit une revendication particulière (par exemple, la restitution de terres de réserve indûment vendues par le gouvernement), soit une revendication globale visant l'allocation de la terre traditionnelle de la nation dans les cas où aucun traité n'a été conclu avec le Canada.

Le processus actuel de revendications territoriales est largement vicié:

Il est grand temps d'adopter un nouveau processus pour négocier une juste répartition des terres et des ressources. La Commission propose d'intégrer cet aspect à de nouveaux processus relatifs aux traités (décrits dans la suite du chapitre) et de créer trois catégories de terres:

  1. Des terres choisies dans les territoires traditionnels, qui appartiendraient exclusivement aux nations autochtones et seraient placées sous leur seul contrôle.

  2. D'autres terres faisant partie des territoires traditionnels, qui appartiendraient conjointement aux gouvernements autochtones et non autochtones et qui feraient l'objet d'accords de gestion partagée.

  3. Des terres qui appartiendraient à la Couronne et demeureraient sous son contrôle, mais sur lesquelles les autochtones auraient des droits spéciaux, dont le droit d'accès aux lieux historiques et sacrés.

La plupart des terres s'inscriraient dans la troisième catégorie.

À l'appui des nouveaux processus, nous recommandons la création de commissions régionales des traités et d'un tribunal des traités et des terres autochtones.


Nous croyons que le principe du partage de nos terres ancestrales et de
leurs ressources naturelles est la base des ententes conclues par traité.
Les notions de cogestion des ressources et de partage des revenus
conviennent donc tout à fait à la mise en œuvre des traités.
              Le chef George Fern
              Conseil tribal
              de Prince Albert
              La Ronge (Saskatchewan)


Les commissions régionales faciliteraient la négociation des traités, mais elles ne mèneraient pas ces négociations; cette tâche incomberait encore aux dirigeants politiques.

Le tribunal serait d'abord et avant tout chargé de veiller à ce que les négociations relatives à des traités soient menées de bonne foi et convenablement financées. Deuxièmement, il veillerait à ce que les intérêts de toutes les parties soient protégés pendant les négociations. Troisièmement, il entendrait les revendications particulières se prêtant à un règlement à court terme.

Les nouveaux processus que nous proposons en matière de négociation des traités ne donneront pas immédiatement de résultats. Il faut donc prendre des mesures intérimaires pour fournir suffisamment de terres et de ressources pour répondre aux besoins immédiats des nations autochtones.

À défaut d'une redistribution des terres et des ressources, les autochtones en seront réduits à la dépendance à l'égard des autres Canadiens - source inévitable de doléances des deux côtés.


En 1988, le Conseil tribal de Meadow Lake, dans le nord-ouest de la Saskatchewan, a obtenu l'aide du gouvernement fédéral pour acheter 40 % des actions d'une papetière en difficulté, la NorSask Forest Products, et en moderniser l'équipement. L'aide du gouvernement provincial a permis d'obtenir une concession de ferme forestière. Le conseil tribal a ensuite formé de nouvelles entreprises pour procéder à des travaux de reboisement, d'exploitation forestière et de construction routière. Ces entreprises ont depuis lors versé 11 millions de dollars en taxes et impôts et fait économiser 10 millions de dollars à l'aide sociale en fournissant du travail à 240 chômeurs.


Le développement économique

Les autochtones veulent avoir une existence convenable, ne plus être dépendants, cesser d'être stigmatisés, ne plus éprouver le sentiment d'échec personnel qui accompagne la dépendance, ni souffrir des effets débilitants de la pauvreté. L'autonomie économique permettra aux nations autochtones et à leurs membres de s'épanouir et d'assurer le succès de leurs nouveaux gouvernements.

L'autonomie historique des autochtones et de leurs nations a été détruite de diverses façons:

Plusieurs facteurs font de la revitalisation des économies autochtones un défi de taille:

En raison de cette complexité, les moyens et les stratégies permettant de parvenir à l'autonomie économique varieront. Aucun plan ou programme de développement économique ne donnera à lui seul de bons résultats.

La propriété des terres et des ressources est essentielle pour créer le revenu et la richesse dont ont besoin les autochtones et leurs nations. Cette propriété n'est toutefois pas suffisante. Les collectivités et les nations qui désirent contrôler la richesse que représentent leurs ressources ne veulent pas que leur économie soit gérée par des spécialistes de l'extérieur. Les collectivités autochtones commencent seulement à relever le défi qui consiste à mettre en valeur les talents nécessaires à l'activité économique moderne ou traditionnelle.

Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux devraient uvrer de concert pour stimuler la vitalité économique, tant dans le secteur traditionnel que dans le secteur moderne - afin que tous les autochtones puissent mener une existence convenable, que l'on soit sculpteur à Cape Dorset, enseignant à Saskatoon ou piégeur à temps partiel et technicien radio à Moose Factory.

Le développement économique récent permet d'espérer un avenir meilleur. Le défi qui consiste à transformer un progrès ponctuel en révolution de la vie économique des autochtones demeure immense.

Les leviers du changement économique

Il ne sera pas facile de transformer les économies autochtones pour qu'elles passent de la dépendance à l'autosuffisance. Pour la plupart des nations, l'élan viendra principalement de l'accès à une juste part des terres et des ressources.

Les récents règlements de revendications territoriales permettent de croire que les nations utiliseront leurs forêts, leurs ressources minières, leur poisson, leur faune et d'autres ressources pour créer des emplois, produire des revenus et jeter les bases d'une économie diversifiée. L'accès aux ressources est la clé du développement, mais l'accroissement de l'assise territoriale et des ressources ne suffira pas. Il faut aussi prévoir d'autres stratégies.


Il n'y a que cinq ingénieurs forestiers et moins de dix géologues agréés qui sont d'origine autochtone dans l'ensemble du Canada. Dans un récent document de travail consacré à la réforme de la sécurité sociale, Développement des ressources humaines Canada estimait que 45 % de tous les nouveaux emplois créés entre 1990 et l'an 2000 nécessiteraient plus de 16 ans d'études et de formation.


Rétablissement du contrôle

Les Cris de L'ést de La Baie James

À l'heure actuelle, les collectivités autochtones ont accès à des programmes de développement économique changeants, la plupart du temps gérés à distance depuis les bureaux des gouvernements. Elles doivent adapter leurs projets de développement à des critères définis par des autorités extérieures.

Nous demandons aux gouvernements fédéral et provinciaux de conclure des accords de développement à long terme avec les nations autochtones pour leur fournir le soutien, les conseils et le financement stable nécessaires au développement économique. Les nations autochtones pourraient concevoir des programmes, prendre des décisions d'investissement et répondre de la gestion des ressources devant leurs membres.

Le rétablissement du contrôle sur les questions économiques ne créera que des difficultés aux nations autochtones si ces dernières n'ont pas les ressources humaines et la capacité de gestion nécessaires. Il leur faut de l'aide pour former du personnel et créer des institutions régionales et nationales pour investir dans des secteurs précis - l'exploitation des ressources, l'agriculture, les communications, le tourisme, etc. - et gérer des entreprises.

Création d'entreprises

Les gouvernements ont collaboré avec les entrepreneurs autochtones pour les aider à devenir l'un des moteurs de la croissance économique dans les collectivités autochtones. Beaucoup ont montré qu'ils avaient toute une gamme de talents comme entrepreneurs et gestionnaires d'entreprises communautaires.

Les entrepreneurs font face aux mêmes défis qu'ailleurs: il faut planifier, trouver des capitaux, offrir un bon produit et le commercialiser efficacement. Les entrepreneurs autochtones sont toutefois confrontés à d'autres défis: les capitaux sont limités, les banques et les autres institutions financières ne leur font pas confiance, il n'y a ni services ni conseillers pour les entreprises locales, les marchés locaux sont de taille très réduite et, parfois, les communautés voisines manifestent de l'hostilité.

C'est peut-être dans le domaine des entreprises collectives que les nations autochtones ont connu le plus de succès - les actions de la société sont alors détenues par le gouvernement de la collectivité ou de la nation, au nom de ses membres. Par l'entremise de leurs sociétés, des collectivités exploitent des services aériens régionaux. Elles participent à la gestion forestière, à la sylviculture, à la récolte et à la transformation du bois. Elles exploitent des épiceries et des réseaux de distribution de produits alimentaires en gros, des motels, des hôtels, des salles de quilles, des terrains de golf, ainsi de suite.


Mon beau-père a frémi la première fois qu'il a entendu dire que l'aide
sociale serait offerte dans le Nord. D'après lui, cette mesure ne pouvait
pas apporter aux Inuit de solution économique acceptable à long terme,
mais elle allait créer une grande dépendance, à laquelle personne ne
pourrait plus échapper.
              Charlie Evalik
              Cambridge Bay
              (Territoires du Nord-Ouest)


Certaines ont connu des difficultés: elles ont fait des erreurs, perdu de l'argent, parfois même déclaré faillite. Mais ces expériences ont permis de tirer des leçons précieuses, et il y a maintenant de nombreux autochtones qui ont les connaissances et la confiance nécessaires pour gérer des entreprises commerciales modernes.

Ceux-là, et ceux qui les suivront, auront besoin d'aide. Nous recommandons que les gouvernements autochtones et non autochtones travaillent de concert pour mettre sur pied:

Emploi

Le problème de l'emploi est immense. Il faudrait créer à l'heure actuelle 80 000 emplois, simplement pour porter le taux d'emploi des autochtones au même niveau que le taux global de l'emploi au Canada. Sans intervention, la situation se détériorera. La population autochtone est jeune: 56 % des autochtones ont moins de 24 ans, contre 34 % de la population canadienne. Il faudra trouver 225 000 emplois supplémentaires pour ces jeunes au cours des 20 prochaines années.


Ron Jamieson, Mohawk des Six-Nations et vice-président de la Banque de Montréal: «On a souvent l'impression, chez les autochtones comme chez les autres Canadiens, que les autochtones n'ont ni le talent ni le tempérament voulus pour s'imposer comme entrepreneurs. Je ne suis pas d'accord.» Jamieson a défini quatre qualités essentielles à la réussite en affaires: le goût du risque, la discipline, la clarté de vision et l'aptitude à répondre aux besoins de la collectivité ou du client. Les autochtones possèdent ces qualités.


Nous proposons un effort soutenu pour accroître l'emploi des autochtones, entre autres:

Éducation et formation

L'investissement public dans le domaine de l'éducation et de la formation est essentiel à l'amélioration des perspectives d'emploi des autochtones dans le marché actuel de l'emploi. Il y a pénurie d'autochtones formés dans des domaines comme l'économie, la santé, le génie, la planification de l'habitat, la foresterie, la gestion de la faune, la géologie et l'agriculture - pour n'en nommer que quelques-uns.

Les nations autochtones ne pourraient reconstruire leurs institutions politiques, gérer leurs économies ou doter leurs services sociaux sans un personnel compétent. Pourtant, les taux de réussite à l'école secondaire et à l'université sont faibles chez les jeunes autochtones.

Il est essentiel de donner aux jeunes la volonté de terminer leurs études si l'on veut améliorer la situation économique des collectivités autochtones. Les jeunes ont besoin d'une solide formation traditionnelle et des aptitudes utiles à la société contemporaine. Ceux qui possèdent ces aptitudes et contribuent au progrès de leurs collectivités et de leurs nations doivent être considérés comme les équivalents modernes des grands chasseurs et chefs d'autrefois.

L'éducation et la formation sont abordées plus en détail au chapitre 3.

Solutions de rechange à l'aide sociale

Dans les collectivités autochtones, le recours à l'aide sociale est une conséquence de la confiscation de portions de plus en plus importantes de terres. Les autochtones ont commencé à souffrir de pauvreté, de sous-alimentation et de divers maux. Beaucoup sont morts jeunes. Le gouvernement a choisi d'offrir une aide à court terme plutôt que d'appuyer de façon soutenue la restructuration des économies autochtones dévastées - un choix reconfirmé à maintes reprises au cours des deux derniers siècles.


Il y a quelques années, dans la collectivité dénée de Fort Franklin (Territoires du Nord- Ouest), le conseil a décidé d'utiliser une partie des fonds de l'aide sociale pour verser un salaire aux bénéficiaires de l'aide sociale contre l'exécution de travaux dont la municipalité avait grand besoin: rénover et repeindre les édifices publics, nettoyer les aires publiques, ramasser du bois pour les anciens et pour les mères sans conjoint. Cette initiative a donné d'assez bons résultats, mais elle a été interrompue par le gouvernement lorsque les responsables ont découvert que les bénéficiaires travaillaient pour toucher leurs prestations.


À partir des années 60, l'aide sociale a été dispensée aux autochtones au même titre qu'aux autres Canadiens. Depuis, de plus en plus d'autochtones en sont devenus dépendants. Le taux de dépendance des autochtones à l'égard de l'aide sociale est maintenant de deux à quatre fois supérieur à celui de l'ensemble des Canadiens. De nombreux intervenants ont, au cours des audiences publiques de la Commission, déploré la perte d'autonomie de peuples autrefois réputés pour cette autonomie, une érosion attribuable à l'effondrement de l'économie et à la disponibilité de l'aide sociale.

Il n'y aura peut-être jamais suffisamment d'emplois pour combler tous les besoins des collectivités autochtones. Pourtant, l'aide sociale comme elle se présente maintenant n'est pas satisfaisante, car elle condamne les bénéficiaires à la marginalité. Elle évite peut-être une pauvreté abjecte, mais elle peut aussi étouffer l'initiative individuelle et ne contribue guère à améliorer les conditions qui entraînent la dépendance.


Lorsque les jeunes autochtones cherchent un emploi, ils doivent non
seulement surmonter tous les obstacles habituels que rencontrent les
jeunes, mais aussi faire face au racisme systémique et individuel. Très
peu d'employeurs sont disposés à nous donner simplement la chance de
prouver que nous sommes capables d'être à la hauteur. Quand serons-nous
traités de façon équitable et juste par ceux avec qui nos ancêtres ont si
généreusement partagé notre terre et ses ressources?
              Gail Daniels
              Anishnaabe Oway-Ishi
              Toronto (Ontario)


Nous croyons que les collectivités autochtones doivent pouvoir affecter les fonds actuellement versés aux prestataires de l'aide sociale à la promotion d'un développement économique plus global:

Il est urgent de procéder à des réformes. Selon les recherches commandées par la Commission, on prévoit que si les conditions économiques et les programmes d'aide sociale dans les réserves ne sont pas radicalement modifiés dans un proche avenir, le coût de l'aide sociale atteindra 1 milliard de dollars en 1999 et 1,5 milliard de dollars en 2002.

Les traités, vecteurs de changement

La Commission propose un vaste programme de changement axé sur deux objectifs:

Même si le projet semble complexe, il est réalisable. Le mécanisme central du changement est le traité.

Les traités sont depuis longtemps une façon honorable de régler les différends entre les peuples, les nations et les gouvernements. Même si les traités conclus entre le Canada et les nations autochtones ont été ignorés et violés au cours des ans, la formule du traité demeure un outil puissant pour définir les conditions d'une relation.


Les traités sont depuis longtemps une façon honorable de régler les différends entre les peuples, les nations et les gouvernements.


Pour voir comment les traités peuvent être employés dans le contexte contemporain, les Canadiens doivent mieux les comprendre. En gros, les traités sont:


Le moyen de faire régner la paix dans ce pays existe déjà: ce sont les
relations d'amitié établies par nos traités. C'est l'incontournable point
de départ.
              Charlie Patton
              Mohawk Trail Longhouse
              Kahnawake (Québec)


Respect et renouvellement des traités

Les comptes rendus des négociations qui ont mené à la conclusion des traités historiques sont truffés de malentendus et de contradictions. On ne saurait s'en étonner. Les négociateurs ne parlaient pas la même langue et ils vivaient dans des univers différents. Malgré leurs cultures et leurs visions du monde profondément différentes, ils tentaient de définir des façons de partager un domaine.

La mise en uvre des conditions et des promesses des traités a fait problème dès le départ. À mesure que le temps passait et que l'équilibre des pouvoirs entre autochtones et non-autochtones se modifiait, les gouvernements ont pu ignorer les conditions et les promesses qui ne leur convenaient plus. Ainsi,

Ces promesses n'ont pas été honorées. Les Canadiens considèrent que l'équité et le respect des traités sont encore aujourd'hui un devoir du Canada.

Le renouvellement des traités permet de régler les désaccords fondamentaux entre les autorités autochtones et non autochtones au sujet de la teneur et du but véritable des traités.

De nombreux autochtones affirment que la version écrite des traités ne reflète pas avec exactitude les engagements essentiels pris verbalement par les négociateurs. Ils soutiennent de plus que les traités ne sont pas simplement la consignation d'un accord, mais qu'ils constituent aussi une tentative d'influer sur l'entreprise infiniment complexe que représente le partage d'un pays. Il s'agit d'ententes qui portent sur la vie en commun, de documents vivants qui doivent être révisés et réinterprétés de façon régulière en fonction de leur objectif.

Les gouvernements non autochtones y voient des documents de portée beaucoup plus restreinte. Ils soutiennent que le traité écrit est le traité complet et qu'il faut l'interpréter de façon littérale.

Les preuves historiques sont indéniables quant au premier point en litige: les textes des traités ne sont pas la reproduction complète et fidèle des ententes conclues.


Lorsqu'il s'agit d'interpréter les conditions d'un traité... il y va
toujours de l'honneur de la Couronne et aucune apparence de «manœuvres
malhonnêtes» ne doit être tolérée.
              Cour d'appel de l'Ontario
              R. c. Taylor and Williams (1981)


Au sujet du deuxième point, la Commission a déterminé que les traités devaient être mis en uvre pour refléter leur objectif - non pas seulement les mots, prononcés ou écrits. Le libellé des traités d'autrefois reflète les valeurs d'autrefois.

Par exemple, la rente annuelle de 5 $ que prévoyait le traité - un don commémorant l'accord aux yeux des autochtones, une forme de rente en contrepartie de l'utilisation de la terre aux yeux des Européens - était une somme importante à l'époque. Pareillement, la promesse d'un buffet à médicaments constituait pour ceux qui signaient le Traité 6 un engagement à fournir les meilleurs soins de santé possible à cette époque.


Ce qui caractérise un traité, c'est l'intention de créer des
obligations... Une fois que l'on constate l'existence d'un traité valide,
ce traité doit, à son tour, recevoir une interprétation juste, large et
libérale.
              Cour suprême du Canada
              R. c. Sioui (1990)


Lorsque les autorités canadiennes insistent sur une interprétation littérale de ces dispositions, elles tentent uniquement de défendre leurs intérêts. Pour établir une relation saine entre autochtones et non-autochtones, il faut appliquer les traités en allant au-delà de leur formulation désuète et en retrouvant l'esprit qui les animait.

Pour que soient respectés et renouvelés les traités historiques, nous recommandons que les gouvernements canadiens

Conclusion de nouveaux traités

Dans les premiers temps, les gouvernements coloniaux et canadiens ont signé des traités seulement avec les Premières nations - et même, seulement avec certaines Premières nations. Ces dernières années, le Canada a conclu quelques nouveaux accords qui s'apparentent à des traités, notamment

Mais de nombreuses nations n'ont pas encore signé de traité d'aucun type. Nous croyons que celles qui n'ont ni traité ni autre entente précisant leur relation avec le Canada ont le droit de chercher à en conclure. De son côté, le Canada a le devoir de signer de tels instruments.


Il est vain d'adopter une politique présupposant que les conditions de
règlement des revendications territoriales puissent être fixées à
perpétuité. Aucune décision ne peut être irrévocable au sujet des
compromis qui doivent être faits, génération après génération, entre
sociétés. La conclusion d'une entente moderne pour régler une
revendication territoriale doit être considérée comme un début, non pas
comme une fin.
              Bernadette Makpah
              Nunavut Tunngavik Inc.


Nous proposons un nouveau processus d'établissement de traités pour parvenir à la réconciliation au cours des 20 prochaines années. Un processus convenu d'établissement de traités permettrait d'appliquer pratiquement toutes les recommandations contenues dans notre rapport - en fait, il pourrait bien s'agir du seul mécanisme qui s'offre à nous.

Les principaux objectifs du nouveau processus s'énonceraient ainsi:

Les Canadiens peuvent se demander pourquoi, après toutes ces années de promesses brisées et d'espoirs déçus, les autochtones mettraient leur confiance dans un nouveau processus. Nous croyons que leur confiance peut être ravivée, et leur participation obtenue, si le nouveau processus d'établissement de traités repose sur un fondement incontestable dans les mots et dans les gestes - conformément à son importance en tant qu'outil servant à façonner un État.

Pour débuter, nous recommandons que le Parlement manifeste son appui à une relation scellée par traité, sous la forme d'une nouvelle proclamation royale. En soi, une nouvelle proclamation ne changera rien; il faut qu'elle s'accompagne d'une législation établissant les principes directeurs des processus relatifs aux traités et créant de nouveaux organes décisionnels indépendants du gouvernement pour mener les négociations.


Les traités nécessitent un processus quelconque de mise en œuvre, une
entente institutionnelle qui permettra de veiller à ce que leur esprit
même soit respecté, à ce que la relation soit renouvelée et à ce que les
traités soient reconnus par tous ceux qui vivent dans le pays.
              Tony Hall
              Université de Lethbridge
              Lethbridge (Alberta)


Dans cette législation complémentaire, il faudrait notamment inclure en priorité une loi d'exécution des traités avec les autochtones, aux fins suivantes:

Les traités existants peuvent et doivent être respectés, et la possibilité de conclure des traités devrait être offerte à toutes les nations autochtones. Si le processus est mené avec honnêteté et équité, l'établissement de traités restaurera le partenariat entre autochtones et non-autochtones.

Le Canada peut se permettre de procéder ainsi. En fait, il ne peut pas se permettre de faire autrement, car il se trouverait alors à maintenir les autochtones dans un état de dépendance et de désorganisation sociale - mesuré en termes de détresse humaine, de productivité perdue et de prolifération des programmes gouvernementaux - à un coût énorme, comme nous l'exposons au chapitre 5.

Une relation redéfinie

Dans le présent chapitre, nous avons esquissé les grandes étapes nécessaires à la transformation de la relation entre les autochtones et les autres Canadiens. Il faut corriger la situation actuelle, marquée par les tensions et les initiatives malheureuses, pour passer à la collaboration et à des réussites de plus en plus éclatantes. La route est longue et peut sembler impraticable. Les étapes en sont pourtant logiques et progressives et elle se renforcent les unes les autres. Elles forment un plan réaliste. Examinons-les rapidement.

  1. Le gouvernement fédéral devrait amorcer le cycle du renouveau par un geste solennel qui exprimerait une intention nationale : une nouvelle proclamation royale.

    La Commission demande de rompre avec les pratiques du passé, ancrées dans les préjugés au sujet des autochtones et de leurs droits, ternies par les négociations avortées et les promesses brisées. Nous proposons une nouvelle proclamation royale par laquelle le Canada exprimera son engagement à l'égard des principes de reconnaissance, de respect, de responsabilité et de partage, dans le cadre d'une relation entre les premiers occupants du pays et ceux qui sont venus par la suite.

  2. Le Parlement devrait adopter une législation complémentaire pour donner forme et substance à ces intentions et créer le cadre législatif nécessaire à leur mise en uvre.

    Trois grandes lois seraient nécessaires:

    Il faudrait que tout cela se fasse en étroite consultation avec les organisations nationales autochtones et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Pendant les consultations, une campagne de sensibilisation de la population devrait être mise en uvre pour amener tous les Canadiens à bien comprendre la situation.

  3. Le gouvernement fédéral devrait instituer un organe de négociation de l'accord-cadre pancanadien qui précisera les règles fondamentales des processus visant à établir la nouvelle relation.

    Les membres de cet organe devraient être convoqués sous les auspices des premiers ministres de tout le pays et des chefs des organisations autochtones nationales, et ils seraient appelés à se pencher au moins sur les questions suivantes:

  4. Les nations autochtones devraient s'engager dans un processus de réédification.

    Les nations autochtones ont besoin de temps et de moyens pour se reprendre en main avant de demander la reconnaissance officielle du Canada. En particulier, elles doivent déterminer des critères de citoyenneté, mettre sur pied des institutions et préparer les ressources humaines en vue de l'autonomie gouvernementale, avec tout ce que cela comporte.

  5. Tous les gouvernements devraient se préparer à participer au nouveau processus d'établissement de traités.

    Après la reconnaissance, toutes les nations autochtones auront besoin de demander à leurs membres un mandat pour entamer un processus de renouvellement et de négociation de traités. Ces négociations entraîneront le règlement des questions liées aux terres, aux ressources, à la fonction gouvernementale et au financement.

    Le gouvernement fédéral aura besoin d'adopter une nouvelle législation et de réorganiser ses structures internes, suivant nos recommandations. Les provinces devront se doter d'une législation parallèle leur permettant de participer au processus d'établissement de traités à l'intérieur de leurs frontières.

  6. Les gouvernements devraient prendre des mesures intérimaires, comme le propose notre commission, pour redistribuer les terres et les ressources.

    La richesse du Canada doit être équitablement partagée avec les premiers occupants du territoire. L'engagement à l'égard de l'autonomie gouvernementale autochtone ne prendra vraiment tout son sens que lorsque les nations autochtones auront accès à une assise territoriale convenable et aux ressources correspondantes. L'essentiel des décisions concernant cette redistribution se prendront pendant la négociation des traités. Toutefois, nous proposons des mesures intérimaires pour apporter une solution à court terme et nous pressons les gouvernements de se mettre à la tâche dès maintenant.

  7. Les gouvernements autochtones et non autochtones devraient collaborer pour stimuler le développement économique.

    La création d'emplois valorisants pour les citoyens des nations autochtones nécessitera des stratégies à long terme car il faudra diversifier l'activité économique. Les stratégies que nous proposons sous-entendent une collaboration entre les gouvernements, avant et après la mise en place des vastes processus de changement.

Ces étapes, combinées, peuvent permettre de concrétiser un changement fondamental - dans les curs, les esprits et la vie des autochtones qui attendent depuis si longtemps qu'on leur fasse justice, et dans le pays tout entier, puisque l'équité est une valeur à laquelle les Canadiens sont très attachés. Chaque étape et les raisons qui la sous-tendent doivent rallier les autochtones et les non-autochtones ainsi que leurs dirigeants; tous doivent manifester leur bonne volonté et faire preuve de détermination.


Les gouvernements non autochtones n'ont pas mis fin aux traités. Ils
n'ont pas restreint leur application. Ils ont simplement oublié que les
traités existaient et que nous revendiquions des terres.
              Le chef Albert Levi
              Collectivité de Première nation de Big Cove
              Big Cove
              (Nouveau-Brunswick)


Cela est possible.

Mais il faudra que les autochtones participent à cette uvre, au sein de leurs nations et de leurs collectivités comme dans leur vie personnelle. À cette fin, ils devront développer et mettre à profit tous les talents qu'ils possèdent en tant qu'individus et citoyens de leurs nations. Ce défi de taille est l'objet du chapitre suivant.

retournez Mise à jour : 2000-06-21


Copyright et déclaration de désistement