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Gabrielle Roy sait trouver la note juste lorsque chante son âme

Quel livre délicieux et charmant et humain que le dernier ouvrage de Gabrielle Roy: RUE DESCHAMBAULT (1) On peut lui reprocher, surtout dans les premiers chapitres, plusieurs phrases lourdes, l'une ou l'autre expression d'un français douteux comme “pratiquer son piano”, un manque d'aisance parfois dans la succession des temps des verbes, mais comme ces défauts (de puriste?) sont largement compensés par une sensibilité frémissante, un amour et une compréhension des hommes qui élèvent son livre au-dessus des petits intérêts de famille et de province et lui font atteindre à l'universel.

Déjà, dans ce chef-d'oeuvre qui s'appelle LA PETITE POULE D'EAU, Gabrielle Roy, laissant le milieu ouvrier de BONHEUR D'OCCASION ou industriel d'ALEXANDRE CHENEVERT, nous avait fait aimer sa province lointaine du Manitoba. RUE DESCHAMBAULT est de la même veine que LA PETITE POULE D'EAU, et, personnellement, je l'aime mieux là que dans les rives de Saint-Henri. Cet écrivain, qui a toujours rêvé d'écrire, trouve dans ses souvenirs de famille et dans les premiers paysages qui ont impressionné ses yeux d'enfant, un terrain plus à sa taille, plus doux, plus féminin, en un mot plus poétique.

Car c'est une grande âme et un grand poète qui a écrit RUE DESCHAMBAULT. Etre poète, c'est vibrer devant la beauté d'un paysage, c'est en saisir toutes nuances. Lisez le chapitre intitulé “MA COQUELUCHE”, un des plus beaux sans doute de tout l'ouvrage. Quelle finesse! Toute jeune, en repos forcé dans son hamac, elle finit par comprendre la musique du vent dans les fils du téléphone ou dans les feuilles des arbres. “Au fond, tous les voyages de ma vie, depuis, n'ont été que des retours en arrière pour tâcher de ressaisir ce que j'avais tenu dans le hamac et sans le chercher”. (p. 63)

Etre poète, c'est aimer la solitude pour pénétrer en soi-même et se découvrir. La petite fille qu'elle décrit trouve tout, perdue toute seule dans son grenier, au sommet de la maison et regardant l'univers par l'étroite lucarne.

Etre poète, c'est savoir l'âme humaine et éprouver pour les “frères humains” une grande commisération! Si, dans LA PETITE POULE D'EAU, Gabrielle Roy aimait dessiner une paysanne solide et bien bâtie, entourée d'enfants, joyeuse et confiante dans la vie, dans RUE DESCHAMBAULT, la tristesse est répandue abondamment, comme si elle faisait partie essentielle de la poésie! Le chapitre intitulé “PETITE MISERE” est un des plus émouvants. “Son” père apparaît vaincu par la vie, épuisé par la maladie, trompé par son honnêteté même, comme si l'avenir décapait toujours l'idéal. Mais quelle belle figure d'homme! Le chapitre intitulé LE PUITS DE DUNREA le montre pleinement.

Etre poète lorsqu'on est enfant, c'est tenir à un rien, à un petit rien qui brille. Lisez UN BOUT DE RUBAN JAUNE et vous verrez que rarement écrivain a su exprimer tant de délicatesse et tant de vérité. Et vous donnerez peut-être à ce chapitre le premier prix!

Etre grand écrivain, c'est exprimer avec justesse ce que l'on ressent, ni plus ni moins, ni au-dessus, ni en-dessous. Le style, c'est non seulement “de l'homme” ou “de la femme”, c'est aussi “de la chose”. Gabrielle Roy est un grand écrivain qui sait trouver la note juste lorsque chante son âme.

Paul GAY, ptre, C.S.Sp.

(1) Gabrielle Roy, RUE DESCHAMBAULT. Flammarion éditeur, Paris, 1955.

Source : Le Droit, Ottawa, mercredi 11 janvier 1956.

Avec la permission du journal Le Droit.


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