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René Richard et Gabrielle Roy:
le Nord fascinant

par Alain Houle
(collaboration spéciale)

Je me demandais, à travers le vaste tissu de mythes et de légendes dont on aime entourer les personnalités, quel accueil Gabrielle Roy et René Richard nous réservaient... Je me remémorais le coup de fil, passé la semaine précédente, à Gabrielle Roy pour préciser nos ententes, pas de photos s'il-vous-plaît...Nous étions prévenus! Je me devais de convaincre Gabrielle Roy de notre “bonne foi”... Conversation téléphonique où j'en profitai pour lui faire voir, un peu mal assuré, qu'au moins j'avais lu ses oeuvres et établi les différents axes / visions dans lesquels elle entraînait son lecteur... Et Gabrielle Roy de répondre, moqueuse et modeste: “Il faut croire que dans ma vie j'ai eu plusieurs visions...”

Il n'a pratiquement pas cessé de pleuvoir de toute la durée du trajet; depuis Montréal jusqu'à Québec, Grande-Allée. Gabrielle Roy habite en appartement, dans un immeuble vieillot et respectable. N'oublions pas qu'elle passe la saison estivale à sa résidence de Petite-Rivière St-François. Gabrielle Roy vient ouvrir: souriante, des yeux qui pétillent, arborant une de ces tenues sobres qu'on lui connaît: une jupe de tweed gris, un chemisier vert avec par-dessus un gros pull de laine beige...Le vestibule est “hot” au sens McLuhanien du terme: de vieux meubles québécois patinés, sans prétention, ornements d'église... Par l'entrebaillement d'une porte qui donne sur un immense salon, on voit René Richard qui a étendu son grand corps sur un canapé. Là encore, des meubles anciens, des chaises vaguement victoriennes, un foyer, des livres, en quantité raisonnable, un tapis moelleux, sur lequel Gabrielle Roy s'agenouillera tantôt... Des tableaux de Marc-Aurèle Fortin, de René Richard, de Jean-Paul Lemieux, un autre ami de longue date, sont accrochés un peu partout toujours sans ostentation. On sent que l'appartement est “habité”... Tenté d'intégrer l'écriture de Gabrielle Roy au décor, je dois “en rabattre”, c'est son mari, le Dr Carbotte, nous apprend-elle, qui a découvert la plupart des objets qui nous entourent...

A peine les présentations terminées, nouveau coup de sonnette: Hugues de Jouvancourt, l'éditeur de “la Montagne secrète” en album illustré, vient se joindre à nous pour l'occasion. Les conversations vont bon train... Déjà René Richard, l'ermite de Baie St-Paul -- d'ailleurs pas si “ermite” que ça; on pense aux nombreux touristes qui font irruption dans son intimité, à la recherche d'exotisme et de couleur locale -- Richard donc s'enflamme, nous dépeint avec force gestes à l'appui, sa révolte totale contre la société qui l'a amené à contester, à douter de tout puis à créer sur papier et sur toile... Richard nous glisse en passant sa méfiance “naturelle” pour les gratte-papier qui prennent un malin plaisir à tout raconter de travers... Conversations entrecroisées donc; rappels à l'ordre... Les journalistes doivent récolter du formel... Gabrielle Roy tente de ramener Richard à des sentiments plus “orthodoxes” à notre égard, un peu comme on traite un grand enfant ou un grand ami... Gabrielle Roy prend la parole: “René, nous savons tous que vous êtes un grand révolté mais en plus un artiste-peintre, ce qui est peut-être plus important pour M. Houle...”

Les récits de Richard

Nous en venons donc à partir à la recherche des origines de ce fameux roman “la Montagne secrète” de Gabrielle Roy dont les récits de Richard dans le Grand-Nord canadien ont inspiré une bonne partie de la trame...

Même si le roman paraît en 1961, l'intrigue trotte dans la tête de Gabrielle Roy depuis bien des années. En fait l'idée a fait beaucoup de chemin, à l'image de son instigatrice. Puis il y avait le Bulletin des agriculteurs qui envoyait Gabrielle Roy, un peu partout, en mission, à travers le pays, réaliser des reportages. Un jour, ou plutôt un soir, qu'elle se languissait dans une petite auberge de la Côte-Nord, l'hôtesse lui parle de René Richard, qui a planté sa tente dans le coin...Elle lui vante son hospitalité, déjà proverbiale à l'époque, et ses talents de conteur. Voilà de quoi éveiller l'intérêt de notre journaliste...

Et Gabrielle Roy de raconter la scène de sa première rencontre avec René Richard: “Il dessinait constamment tout en racontant ses souvenirs. C'était de la même veine que ses rapides croquis: il ne s'embarrassait pas de détails superflus, cela coulait... J'ai passé quatre soirs à l'écouter; subjuguée par sa verve... Puis je me suis dit: Mais qu'est-ce qu'ils vont penser de moi? J'ai résisté un soir, après avoir machinalement ramassé mon manteau et mes choses plusieurs fois... Le soir suivant, ne pouvant plus tenir, je me présente à la porte des Richard...” Elle s'est fait vertement semoncer par René: “Mais qu'avez-vous fait hier soir, nous vous avons attendue!”

Et c'est ainsi qu'avec le temps passant sur ses souvenirs, Gabrielle Roy construit “la Montagne secrète”, espèce de grand point d'interrogation sur le sens à la vie de l'homme artiste, en quête d'absolu: solitude et solidarité comme elle se plaît à le répéter du mot d'Albert Camus. Les grands épisodes de la vie de René Richard deviennent ceux de Pierre Cadorai. Des rencontres “thématiques” s'échelonnant tout au cours du récit viennent réincarner l'expérience de René Richard. La solitude prend le visage de Gédéon, un des derniers chercheurs d'or. Le sentiment amoureux se déploie, mais en vain, face aux charmes de Nina, une jeune serveuse de Fort-Renonciation. La camaraderie de Steve survit à deux saisons consécutives de trappe. Puis c'est le choc, la découverte de la Montagne sur la représentation picturale de laquelle Pierre se bute, exécutant pochades sur pochades... Il frôle la folie et la mort, retourne provisoirement à la civilisation, à Edmonton. Nouvelle rencontre, cette fois avec des amateurs d'art qui lui conseillent d'aller au bout de ses recherches et d'aller à Paris chercher la technique qui lui fait défaut. Le Louvre, les chefs-d'oeuvre, renvoient à Pierre le sentiment de sa relative puissance: d'autres ont créé avant; ont-ils mieux réussi; mieux compris la vie? Le roman, en tant que recherche sur le sens de la vie, nous laisse sur notre faim. Pierre connaît une fin tragique à Paris, confronté à l'irréalisable et intolérable oeuvre. Il meurt après avoir réalisé un autoportrait des plus “bizarres”...

Une Amérique hostile...

Pour ceux qui s'intéresseraient à la vie de René Richard, traitée de façon plus “réaliste”, il faut mentionner l'existence d'un autre album de luxe, rédigé par Hugues de Jouvancourt, relatant à l'aide des récits du peintre les grandes lignes de cette existence mouvementée et qui n'a jamais connu le repos.

Mais le volubile René Richard y est allé de commentaires qui ne font partie d'aucun roman et qu'il ne faudrait pas passer sous silence... Commentaires qui relèvent bien du créateur qui bouillonne en lui. Son approche de la vie est drue, lucide; il a conquis sa liberté en “s'imposant” par-delà sa famille... Nous n'ignorons pas les conditions particulièrement pénibles qui présidaient à l'exode des Européens en terre d'Amérique, à la recherche d'un ailleurs meilleur. La famille Richard vivotait en Suisse, lorsque le père de René eut le goût de l'Amérique. Mais cette Amérique se révéla insolite et hostile: celle de Cold Lake, qui lui fut vantée comme une terre propice à l'agriculture se montra ingrate. Victime d'un escroc voulant écouler des instruments aratoires, la famille ayant construit maison, se vit forcée de rester bon gré, mauvais gré, s'adaptant aux us et coutumes de la chasse et de la pêche...

Pendant que René commençait à crayonner dans son coin, il en profitait pour remettre en cause les principes familiaux. Et de nous confier: “Tout ce que les parents cherchent chez leurs enfants, ce sont des répétitions bien sages d'eux-mêmes et l'éducation qu'ils prétendent inculquer relève plus du bourrage de crâne que d'autre chose... Il ne faut pas tendre à être une réplique de son père ou de sa mère. Il faut se rebeller... Aimer ses parents, c'est la première chose qui nous empêche de raisonner.”

Après avoir décidé d'être “sa propre famille”, Richard se charge de la morale religieuse: “Vous adorez une idole; Dieu, on ne le connaît pas... L'univers est sans commencement, sans fin; un cercle... Dieu, c'est le cosmos... Quand les gens qui se disent près de Dieu vous envoient en enfer à propos de tout et de rien, c'est là que j'ai commencé à douter... C'est pourquoi j'avais choisi le Grand-Nord, afin d'avoir le minimum d'entraves à ma liberté; pour récapituler toutes ces histoires...”

La liberté possible

Et René Richard de poursuivre sur nos notions d'éducation scolaire: “J'aimais raisonner, analyser... Or, quand on est ignorant, c'est pas facile... Je voulais me débarrasser de toutes ces croyances... Je n'ai pas été à l'école, c'est ce qui fait que je raisonne aujourd'hui...”

La réalité politique et sociale de l'époque n'échappe pas plus à la lucidité du jeune Richard que le reste: “C'est pendant la Crise économique que j'ai cessé de croire aux gouvernements et à ce qu'il y avait dans les journaux...” Heureusement, Gabrielle Roy est là pour temporiser quelque peu son ami tout en évoquant une situation quelque peu becketienne:”René, c'est comme cet homme qui montait dans le plus haut arbre pour être le plus près de Dieu pour lui sacrer en pleine face...”

Nous avons enchaîné en demandant à Richard quelles avaient été ses plus grandes joies... Et de répondre: “Quand j'ai connu le Nord, expression de la liberté et de la beauté de la vie... Cette existence où j'ai préféré me donner les coups de pied moi-même, pour expérimenter toujours davantage le sens du mot liberté...”. “La liberté est une couronne d'épines sur la tête, rétorque Gabrielle Roy. Les hommes ont de moins en moins le courage de l'assumer... D'assumer leur Nord... Notre époque cherche la sécurité... L'illusoire...”

Pour René Richard, le Grand-Nord canadien était donc la liberté possible, à la portée de la main; il ajoute: “Le Nord était le défi. Il n'y a plus de Nord. La civilisation et la crasse sont en train d'en avoir raison. Les Indiens et les Esquimaux se font voler depuis l'époque où la Compagnie de la Baie d'Hudson parlait de “développer” le Nord...” Et la peinture dans tout ça? Richard continue: “Peindre ce Nord, c'était chercher les valeurs de la contestation pour revenir à la civilisation: combattre en ville... Trouver sa raison d'être: l'art est une belle religion...”

Une fois cette “Montagne secrète” réalisée et illustrée, nous nous sommes permis de demander aux deux artistes une question pour le moins insolite, à savoir, ce que chacun y voyait d'interaction chez l'autre... René Richard dit respecter et admirer la forme dans laquelle Gabrielle Roy a transposé allègrement une part de son vécu, de “récupération artistique” de ses expériences. Quant à Gabrielle Roy, même si elle déclare se méfier des illusions “rationalisantes”, il lui semble que chez René Richard, une dimension spirituelle le fait de plus en plus ressembler à Pierre Cadorai, en quête d'absolu et de vérité...“Pierre Cadorai aurait-il eu une influence sur René?” se demande-t-elle...

Une humanité nouvelle

Gabrielle Roy se révèle moins pessimiste (ou plus optimiste...) sur la “survie” de l'humanité et de poursuivre: “Nous sommes au seuil d'une humanité nouvelle... qui nous donne déjà des signes de réconfort... Une histoire entendue jadis, me revient sans cesse dans la tête et qui se rattache à ce “réconfort”. Si vous permettez, je vais vous la raconter... Il existait un train de luxe, qui faisait un périple de Winnipeg-Churchill à travers un paysage sauvage et désertique. C'était une mode que seuls les gens fortunés pouvaient se payer; le voyage durait une semaine... Or, ces gens avaient l'illusion de vivre là de rares instants de liberté... Dans un coin, un couple de petits vieux qui ne payait pas de mine, détonnant sur leurs riches voisins, s'adonnant en silence à la contemplation du paysage. Survint une panne de locomotive; l'itinéraire du voyage subira un retard d'une journée, annonce-t-on. Personne n'y voyait d'inconvénient, sauf notre couple de petits vieux qui manifeste son mécontentement: “Non, non, non! Il faudra rattraper le retard! Mais pourquoi leur demande-t-on? Et la petite vieille de se justifier: -- Un avion m'attend à telle heure pour aller sur la Terre de Baffin. Je dois aller y cueillir une fleur qui ne dure qu'un jour.” Et le petit vieux de poursuivre: -- Moi c'est tout comme, je veux voir éclore le cocon d'un papillon rare qui ne vit qu'un jour.” Le Nord, c'est une vue sur l'idéal... Un dépassement de la vie quotidienne...”

Pendant que René Richard continue de méduser les auditeurs avec ses histoires, Gabrielle Roy nous amène un peu à l'écart pour nous permettre de l'entretenir de son oeuvre de façon plus générale. Nous nous retrouvons dans sa chambre à coucher, qu'elle utilise aussi comme bureau de travail... Pourtant l'appartement serait bien assez grand pour qu'elle puisse s'offrir une pièce à l'usage exclusif de ses écritures. Comme de quoi la simplicité règne... Gabrielle Roy écrit sur ses genoux quand ce n'est pas sur la petite table qu'elle s'était procurée convalescente, il y a bien longtemps, pour écrire au lit... Sentir que l'on est en train d'écrire...

Toujours disponible

Nous en profitons pour lui souligner que la conception dans laquelle une certaine presse nous a toujours tenu à son égard, nous la présentant comme une personne secrète et distante semble peu fondée... Là-dessus, elle hausse les épaules: “Je ne me suis jamais cachée de personne...Je puis même vous dire qu'à chaque fois que des lecteurs m'ont écrit sur des points qui les préoccupaient dans mes écrits, j'ai toujours répondu à leurs lettres... De même, je n'ai jamais refusé de recevoir des étudiants ou des gens qui désiraient en connaître davantage sur mon oeuvre...”

-- Gabrielle Roy, certains analystes ont vaguement fait allusion à de mystérieux “Carnets intimes” dans lesquels vous transcriviez certaines idées. S'agirait-il d'une espèce de Journal ou de notes pour la rédaction de vos Mémoires? -- “Oh que non, ce sont de simples pensées que je prends comme cela vient, de façon bien irrégulière. Je n'ai aucun projet de Mémoires pour l'instant... Je continue de travailler mais ce sont toujours des textes romanesques...”Quelques années après la rédaction de “Bonheur d'occasion” vous avez écrit et je cite: ”...Saint-Henri n'avait pas fini de me tenir au bord de notre réalité... Celui qui a mission d'écrire, qui, saisi d'émotion à la vue de certains malheurs, s'est attaché à les formuler, mais qui, plus tard, les voit à la veille de se répéter, celui-la, croyez-moi, éprouve aussi comme un sentiment d'inutilité.” -- Comment envisagez-vous vos rapports avec votre littérature depuis tant d'années passées à écrire sur la “misère” humaine?
G. Roy: -- “Bonheur d'occasion”... je ne sais plus s'il m'appartient encore. Il m'échappe; c'est si loin... Plus je vieillis, plus je deviens Hamlet... La vie c'est l'oscillation perpétuelle... une pièce de monnaie dont tout le plaisir réside dans le fait de tourner et de retourner cette pièce... Eternelle curiosité: la vie serait intolérable sans le mystère...”
Gabrielle Roy et René Richard ont beaucoup vécu, beaucoup rêvé; ils ont fait leur la pensée de Rimbaud: “L'homme est un mendiant quand il raisonne, un prince quand il rêve.” Tous les chemins du rêve ne mènent-ils pas à la réalité? A leur commune recherche de vérité s'accroche le triangle “progrès-foi-amour”. A leurs oeuvres tantôt dures et violentes, tantôt sereines et remplies d'espoir on reconnaît un monde qui se cherche dans une reconstruction adamique dont le Nord aura souvent servi de toile de fond... justement chez Gabrielle Roy, le ciel était toujours aussi sombre, chagrin, chargé de violence et d'électricité; tant au Sud qu'au Nord...

Gabrielle Roy continue de faire ses marques, comme l’un des écrivains les plus lus et appréciés, autant du Canada anglais et français que d’une bonne part du monde occidental. Elle a vécu les premières années de sa vie au Manitoba, à St-Boniface. D’ailleurs, son troisième roman Rue Deschambault (Beauchemin, 1955) reproduit des tranches de cette existence, ce de façon semi-autobiographique. Il en va de même de sa sixième oeuvre, quoique de façon plus psychologique: La route d’Altamont (H.M.H., 1966).

Pendant sept ans, “les plus belles années de sa vie”, Gabrielle Roy se consacre au monde de l’éducation en tant qu’institutrice. De cette expérience de pédagogue jaillira sa deuxième oeuvre: La petite poule d’eau (Beauchemin, 1950). Roman qui sera par la suite illustré par Jean-Paul Lemieux et dont l’O.N.F. fera un court métrage.

Puis c’est un périple en Europe qui draine ses intérêts culturels et artistiques durant deux longues années. Elle y produit ses premiers essais journalistiques, pour le journal La Liberté de de St-Boniface et l’hebdomadaire parisien Je sais tout. C’est là que Gabrielle Roy renonce définitivement à ses ambitions théâtrales, à cause de sa voix, au profit de la littérature.

De retour en Amérique, elle s’établit à Montréal, bien décidée à vivre de sa plume en tant que journaliste à la pige. Elle collabore au journal Le Jour, à la Revue moderne, au Bulletin des agriculteurs et travaille entre-temps sur des émissions, à Radio-Canada.

Son premier roman date de cette période. Bonheur d’occasion (Ed. Pascal, 1945) connaît une popularité sans précédent: plus d’un million d’exemplaires vendus, dans plusieurs langues. Fruit de minutieuses observations du “paysage” montréalais, racontant la vie quotidienne du sous-prolétariat de St-Henri, avec en arrière fond le Mont-Royal et le quartier riche de Westmount. Le roman doit une bonne part de son succès du fait qu’il arrive historiquement à point; offrant une vaste réflexion sociale sur la Deuxième Guerre, la conscription, où chacun tenta de s’en tirer pour le mieux. Pour les chômeurs “chroniques” de St-Henri et d’ailleurs, c’est le salut inespéré mais combien cruel...

Deux ans plus tard, Gabrielle Roy se marie et repart pour l’Europe avec son époux. C’est pendant ce nouveau séjour qu’elle rédige La petite poule d’eau. De retour à Montréal, le couple s’installe finalement à Québec. Elle se lance dans la production de roman, de nouvelles qui, jusqu’à présent, sont regroupés dans neuf volumes; sans compter des collaborations occasionnelles dans différents imprimés.

Dans la même veine d’observation sociale et psychologique qui caractérisait Bonheur d’occasion, Gabrielle Roy écrit Alexandre Chenevert (Beauchemin, 1954). L’année d’ensuite, paraît Rue Deschambault. Avec La montagne secrète (Beauchemin, 1961), elle reprend à son compte les récits de René Richard, pour illustrer l’absolu de la création artistique, en utilisant le Grand-Nord canadien comme champ mythique.

Quelque temps après, c’est La route d’Altamont qui voit le jour, suivi de “La rivière sans repos (Beauchemin, 1970). Dans cette oeuvre, le Grand-Nord est utilisé encore une fois, mettant en scène des personnages esquimaux d’Inuvik, aux prises avec les “affres” de la civilisation et du progrès technologique des Blancs. Cet été qui chantait (Ed. Françaises, 1972) se présente un peu comme une synthèse des écrits de Gabrielle Roy, par le message d’optimisme qu’il tend à diffuser, justifiant les autres romans où l’angoisse n’était qu’un processus supérieur de la foi...Enfin, Un jardin au bout du monde (Beauchemin, 1975), nous offre des nouvelles remaniées et des inédits...

L’existence de René Richard, Suisse d’origine, s’amorce véritablement avec son arrivée au Canada et l’installation de sa famille à Cold Lake, au nord de l’Alberta. Rompant avec la plupart des conventions sociales, il décide, à peine sorti de l’adolescence, de consacrer sa vie à l’ascétisme artistique dans le giron cruel du Grand-Nord. Après s’être suffi lui-même pendant quelques années, il décide d’améliorer ses techniques picturales par le biais d’études sur la composition. Pour ce faire, il se rend à Paris, comme Pierre Cadorai, héros de La montagne secrète.

Ayant pris ce qu’il y avait à prendre, Richard retourne à ses grands espaces nordiques et à ses pérégrinations artistiques. Maintenant fixé à Baie-St-Paul, il n’a pas cessé de créer, utilisant une grande variété de moyens techniques: crayons de plomb, de couleur, gouache, huile...allant du simple croquis aux toiles lyriques, d’une inspiration voisine de cette de Groupe des Sept. Tout en s’étant tenu toute sa vie hors des centres de production artistique et d’échanges, on n’en retrouve pas moins de ses oeuvres dans de nombreuses collections tant publiques que privées et dans plusieurs galeries d’art canadiennes.

L’illustration de La montagne secrète, de Gabrielle Roy, par René Richard aux éditions La Frégate d’Hugues de Jouvancourt, apporte un élément nouveau à l’interaction de la carrière des deux artistes. Il s’agissait pour Richard de réunir un certain nombre de dessins au plomb et de la période dite des crayons à colorier, réalisés entre les années 1930-40, qui collaient avec le plus de vraisemblance aux textes de La montagne secrète. Dans un deuxième temps, il a complété cette série avec de nouveaux croquis aux débuts et fins de chapitres. Et comme on voulait en faire un album de luxe particulièrement attrayant, Richard a produit une série de douze lithographies, le tout dans le style de l’époque.

L’article que nous vous offrons, a pour but de souligner quelques-unes des préoccupations de Gabrielle Roy et de René Richard, notamment en regard du Grand-Nord canadien, ainsi qu’une réflexion se rattachant aux diverses étapes de deux carrières si bien remplies...

Source : La Presse, Montréal, vendredi 31 décembre 1976.

Avec la permission du journal La Presse.


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