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La fidélité au Manitoba de Gabrielle Roy

par Annette Saint-Pierre

Gabrielle Roy, d'origine manitobaine, vient de publier Ces enfants de ma vie chez Léméac. Elle en est donc à son dixième livre - et ce n'est pas son dernier - tout en nous laissant soupçonner qu'elle a encore trop de choses à dire pour que nous osions avancer qu'elle est au déclin de sa carrière d'écrivain.

Parce que Bonheur d'occasion avait impressionné la presse et les critiques littéraires, à un point tel qu'elle était rentrée au Manitoba pour fuir la publicité, elle renoue avec son passé et commence quelque temps après, durant un deuxième séjour en France, sa “recherche du temps perdu”. De son pays natal, elle se remémore les belles années de sa vie d'institutrice et tout particulièrement la dernière, passée à la Petite Poule d'eau, dans un coin perdu du Manitoba. Elle présente à ses lecteurs des hommes, des femmes et des enfants tellement vivants, qu'en allant visiter cette contrée sauvage, on y arrive avec un coeur ouvert et une main tendue pour “bonjourer” tous les habitants déjà connus.

L'oeuvre de Gabrielle Roy est surtout une oeuvre de souvenirs que l'on peut comparer à un travail exécuté au crochet. La mémoire qui ressuscite des moments passés, par l'association des idées, cueille au passage des faits oubliés. Comme des mailles s'accrochant les unes aux autres, les souvenirs en appellent d'autres qui jaillissent de cette source intarrissable.

En visitant la Petite Poule d'eau, on se demande comment l'auteur a réussi à créer un univers romanesque dans ce coin perdu du pays, où chaque voyageur se croit le premier à y mettre les pieds. Gabrielle Roy, en revivant des moments de bonheur, ressuscite dans son imagination les visages, les noms, les attitudes, les paroles et les rêves des Manitobains. Elle habite encore avec la famille Côté, elle sent Luzina tout près d'elle, elle voit Hippolyte dans sa chaise berçante et les petites poules d'eau qui glissent sur la rivière qu'elle traverse encore dans la barque de son imagination.

Après La Petite Poule d'eau, l'auteur nous donne un roman de la ville, Alexandre Chenevert, avant de réouvrir un écrin de souvenirs qui n'en finit plus de ravir les lecteurs de tout âge. Madame Roy songe à la ville de Saint-Boniface, à la rue Deschambault, à la maison construite par son père et son passé devient le dynamisme qui anime ses rêveries. Cette fois, elle cueille dans ses souvenirs des tranches de vie. La maison blanche est le berceau de l'enfance heureuse, le nid chaud et tiède, le petit coin où l'on était heureux. Ecrire Rue Deschambault c'était, pour l'auteur, se reposer dans son passé tout en dévoilant des faits qui l'avaient marquée et se libérer davantage de petites peines trop vivaces.

C'est la famille d'une petite fille qui éclate dans ce roman autobiographique; elle voit les grandes soeurs quitter le foyer, accompagne la mère dans ses voyages, visite des cousins, est témoin des angoisses d'un père et rêve à sa vocation. Rue Deschambault, écrit en l955, alors que l'auteur habitait la ville de Québec, est sans doute le fruit mûr de retours en arrière et de rêveries éveillées, le désir d'immortaliser l'existence d'une famille manitobaine qui a connu les luttes scolaires et s'est aguerrie dans le climat rude et sain des plaines.

Madame Roy fait plus que décrire ses personnages. Elle les aime de cette vie qui la possède et la caractérise si bien. N'est-elle pas douée d'un talent exceptionnel pour donner à chaque être une sensibilité et une chaleur qui font naître en nous le désir de savoir si ses personnages ont vraiment existé? Est-ce vérité ou fiction? On ne sait jamais avec cet auteur.

Un trésor littéraire qui rallie toujours les étudiants du Collège Universitaire de Saint-Boniface, dans un élan d'admiration, c'est La Montagne secrète. Ils écrivent fidèlement à l'auteur après l'étude de ce livre qui se classe à la tête des romans placés par ordre de préférence. Le drame de Pierre Cadorai et ses pérégrinations dans le nord du pays interpellent les Manitobains que la vastitude du pays fascine et auxquels le froid sibérien lance des défis. Gabrielle Roy n'aurait pas pu écrire ce livre si elle n'avait vécu ces réalités manitobaines. Conservées précieusement dans sa mémoire, ses images sont de véritables tableaux. L'auteur réussit mieux qu'un artiste peintre à nous les faire apprécier parce que les yeux de son imagination sont plus perçants que le regard de certains peintres devant un paysage de la nature manitobaine.

Descendant au sud du Manitoba, après sa longue randonnée au nord du pays en l961, Gabrielle Roy fait une autre excursion dans la région de ses souvenirs. Tout comme elle a su décrire avec précision la démarche du solitaire, Pierre Cadorai, dans La Montage secrète, elle réussit tout aussi bien dans La route d'Altamont à cheminer en compagnie des Manitobains de son enfance. Cet “excès d'enfance”, cette “enfance qui dure” est le vaisseau sanguin dans lequel coule un sang toujours neuf et toujours pur.

Il va sans dire que les visites de Gabrielle Roy, effectuées de temps à autre au Manitoba, n'ont pas peu contribué à alimenter son esprit de créativité. Pouvait-elle revoir le Manitoba, converser avec les parents et les amis, sans remplir son imagination d'images nouvelles? Elle illustre des thèmes qu'elle rajeunit sans cesse sous une plume agile commandée par une clarté de style et surtout un coeur d'écrivain qui ne peut oublier son pays natal.

Après La rivière sans repos et Cet été qui chantait, l'auteur tourne de nouveau son regard vers la prairie manitobaine en 1976. Un jardin au bout du monde est un livre qui ne devait naître qu'ici. [TEXTE MANQUANT] frappe à la porte des Roy pour les abreuver de mensonges dans le but de profiter de leur hospitalité demeure quand même très sympathique à la mère et aux enfants. Et le bon Sam Lee Wong? C'est à Gabrielle Roy que revient l'honneur d'avoir introduit la première personne chinoise dans notre littérature canadienne-française. Ce Chinois, elle ne l'a pas connu dans l'Est mais dans l'Ouest canadien, au milieu d'immigrants venant des quatre coins du monde. On y retrouve dans le coeur de cette femme un amour inébranlable des humbles et des faibles, une compréhension profonde de problèmes qu'elle a peut-être connus. Les Doukhobors de la vallée Hondou sont présents en elle comme au temps où son père les installait sur des terres. Les chants plaintifs des nouveaux venus s'élèvent encore dans le coeur de l'écrivain et les fleurs de la vieille Martha dans Un jardin au bout du monde remplissent ses visions intérieures de couleurs et de parfums.

Les fleurs de l'Ouest sentent bon, elles poussent dans un jardin inconnu et lointain sous un ciel manitobain. Dans ce jardin en fleurs, des êtres plus précieux montrent la tête et demandent droit de parole. Ce sont les élèves de l'institutrice, ceux qui peuvent dire aujourd'hui: “Notre institutrice est devenue un écrivain célèbre au Canada et à l'étranger.”

Gabrielle Roy a enseigné un an à l'école de Cardinal, sept ans à l'Ecole Provencher et un an à la Petite Poule d'eau. Elle a parlé de cette dernière dans La Petite Poule d'eau et de celle de Cardinal dans Rue Deschambault. Puisque tous les souvenirs ne sont pas taris, elle revient à l'école de Cardinal dans son dernier romain Ces enfants de ma vie et nous introduit dans sa classe à l'Ecole Provencher, située dans la ville de Saint-Boniface, à quelques pas de la rue Deschambault.

Tous ces enfants nous captivent par leur innoncence ou leur gentillesse. Comment produire ces petits chefs-d'oeuvre littéraires sans une imagination fertile et un talent indiscutable? En lisant Ces enfants de ma vie, on revit les jours de la rentrée scolaire si l'on est enseignant, on reçoit l'institutrice chez soi si l'on est un parent, on se souvient des difficultés pour communiquer avec les autres si l'on est d'une nationalité étrangère, on écoute le chant du petit prodige si l'on vit dans un foyer de la ville de Saint-Boniface.

Ces enfants de ma vie est un autre présent que l'auteur vient de faire à ses compatriotes franco-manitobains. Elle leur redit son éternel attachement et leur donne la preuve d'une imagination peuplée de souvenirs qui font le succès de ses oeuvres parce qu'elle sait les cristalliser par un talent sûr et un coeur vraiment manitobain. Gabrielle Roy est fière de son héritage manitobain et toute son oeuvre le crie. Elle nous redonne le goût de la lutte pour une éducation française, elle nous suggère une plus grande sympathie pour tous les peuples de la terre et elle nous fait apprécier les beautés du paysage unique sous le ciel des plaines.

Source : La Liberté, 24 novembre 1977.

Avec la permission du journal La Liberté.


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