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Silhouette littérairepar Alice Parizeau
Gabrielle Roy
À force d’être mince, elle paraissait plus grande. Silhouette frêle, visage à l’ossature slave bien fait pour supporter allégrement l’âge puisque les rides n’altéraient en rien le charme du sourire et une expression très particulière des yeux. Gabrielle Roy avait pourtant peur de son image, de ses photos et de tout contact direct avec son public. Enfermée dans son appartement, ou dans sa maison de campagne proche de la petite rivière Saint-François, elle sortait peu et se glissait alors dans la foule, un fichu ou un chapeau sur la tête de façon à ne pas être reconnue. Discrets, les gens de Québec évitaient de l’importuner; elle refusait les entrevues sollicitées par les journalistes et en dehors de quelques amis, rares étaient ceux qui pouvaient se considérer comme ses intimes. Pour travailler, elle avait besoin de paix et de silence, pour retrouver le monde extérieur, elle avait besoin, comme elle disait, de la nature, du souffle du vent qui vient du fleuve, de longues promenades sur les voies ferrées où il est facile d’imaginer des voyages sans fin et de mieux se souvenir de ceux qu’on a déjà fait dans le passé. En somme, cette romancière née à Saint-Boniface, au Manitoba, devenue québécoise par choix et célèbre par la grâce de Paris, où on lui donna en 1947 le prix Fémina pour son roman Bonheur d’occasion, ne cherchait pas l’inspiration en dehors de sa propre vérité. Dotée d’un sens trop aigu de responsabilité, elle avait aussi un sentiment de culpabilité dont elle n’a pas su se départir tout au long de son existence de femme. En fait, on la découvre pleinement dans son dernier livre. La détresse et l’enchantement, publié à titre posthume, en 1984, aux éditions Boréal Express, qui jette un éclairage nouveau sur l’ensemble de son oeuvre. Cette autobiographie de Gabrielle Roy est particulièrement importante parce qu’elle permet de comprendre la romancière et en même temps de mieux situer les personnages qu’elle avait créés.
Famille pauvre Ces années-là marquent Gabrielle Roy d’une façon indélébile. Très tôt, elle est consciente des sacrifices de sa mère et se sent moralement obligée de la « venger » en quelque sorte en réussissant. Mais le terme de la réussite a des significations multiples et elle va chercher longtemps sa voie. Elle fait du théâtre. Oh, il s’agit d’une troupe bien modeste, le Cercle Molière, qui voyage d’un village à l’autre et joue en français des pièces du répertoire classique. Le succès est garanti. Les salles paroissiales sont pleines. On est avide de ces soirées au Manitoba dans cette population francophone qui applaudit à tout rompre. De là à se considérer comme une future star il y a une grande marge et Gabrielle Roy, dotée d’un solide sens de l’humour, n’est pas et ne sera jamais prétentieuse. Bien au contraire, même plus tard quand elle obtiendra en France, comme au Canada, des prix prestigieux, quand on traduira ses oeuvres en plusieurs langues, elle saura toujours douter...
Complexes d’infériorité C’est encore dans La détresse et l’enchantement qu’elle avoue certaines réalités qu’elle n’a pas voulu admettre de son vivant. « Tout à coup, nous étions moins sûres de nos moyens, notre argent avait diminué, nos désirs prenaient peur », écrit-elle en racontant comment elle quittait avec sa mère Saint-Boniface pour aller faire des courses dans la grande ville de Winnipeg. « Nous continuions à parler français, bien entendu, mais peut-être à voix moins haute déjà, surtout après que deux ou trois passants se furent retournés sur nous avec une expression de curiosité. Cette humiliation de voir quelqu’un se retourner sur moi qui parlais français dans une rue de Winnipeg, je l’ai tant de fois éprouvée au cours de mon enfance que je ne savais plus que c’était de l’humiliation. » À l’opposé aucune révolte face à l’enseignement reçu dans des institutions religieuses. Au contraire, une sorte de reconnaissance lumineuse pour ceux qui tant bien que mal se sont sacrifiés pour maintenir l’enseignement en français et à l’égard de l’Académie où elle a obtenu à l’âge de vingt ans son diplôme d’institutrice. Ensuite, pendant huit ans, elle sera enseignante à son tour, expérience dans laquelle elle va puiser ce qui deviendra plus tard un beau livre : La Petite Poule d’eau, ou encore Ces enfants de ma vie. Gabrielle Roy n’aura pas d’enfants de son mariage avec le docteur Carbotte et pour elle l’image de l’enfance ce sont justement ses élèves de cette époque-là.
Le problème de l’argent En 1937, à vingt-six ans, Gabrielle Roy ose enfin, tout en se sentant coupable à l’égard de sa mère surtout, car il faut vendre la maison, l’installer dans un petit appartement, l’abandonner en quelque sorte, pour pouvoir s’en aller à la découverte du vieux continent. En Angleterre, elle étudiera l’art dramatique, en France elle vivra la liberté joyeuse et sans attaches. Des rencontres, un homme, un nationaliste ukrainien qui se bat pour la libération des siens et qui n’ose pas aimer une femme ayant décidé de consacrer son existenee à une grande cause. Le retour est d’autant plus pénible ! « Mon enfant, te voilà donc de retour à Montréal », écrivait sa mère, « plus tellement loin maintenant de la maison ». C’est-à-dire nous n’avons plus de maison. Mais avec les quelques sous que j’ai encore et ce que tu gagneras, nous nous ferons une assez bonne vie, tu verras, et je tâcherai, toi qui es indépendante et moi peut-être trop possessive, d’apprendre à te laisser vivre à ta guise... Je peux attendre ton retour pour bientôt, j’imagine... La Commission scolaire de Saint-Boniface. me rappelant qu’elle m’avait gardé mon poste sans solde pour une deuxième année d’absence mais ne pouvait me renouveler ce privilège, note Gabrielle Roy, je savais que l’heure était venue de prendre une décision irrévocable...
Elle réfléchit Message posthume de Gabrielle Roy qui était en fait celui de tous les écrivains du Québec qui savent qu’en dehors de leur coin du pays ils ne peuvent écrire et être lus dans leur langue, à moins de s’expatrier et d’aller ailleurs, de l’autre coté de l’Atlantique, où on ne les attend pas... Gabrielle Roy, pour sa part, s’installe à Montréal, à Saint-Henri, près de la voie ferrée, où les loyers ne sont pas chers et loin du Manitoba, loin de sa mère ! Elle vient de faire son choix. Elle vivra dans un milieu pauvre, où on parle français et elle écrira. C’est cela sa voie. À force de collaborer aux diverses revues de l’époque, elle gagnera sa pitance, mais ne pourra pas aider sa famille et le remord ne cessera pas de la poursuivre. Toute l’oeuvre de Gabrielle Roy prend sa source dans l’époque de son enfance et de sa jeunesse. Ce qui viendra à l’âge adulte et plus tard encore nourrira son style, mais guère son inspiration. Dans son premier roman Bonheur d’occasion, publié en l945, elle racontera, inconsciemment sans doute, l’histoire qui est un peu celle de sa mère, de son père et aussi de son frère fantaisiste qui venait autrefois à la maison pour en repartir en emportant l’argent durement gagné et péniblement économisé. En même temps, cependant, il s’agit de sentiments qui sont éternels et qui hantent tous et chacun à des degrés divers. Rue Deschambault, c’est la maison de l’enfance, La Montagne secrète, c’est la quête d’une voie, d’un destin, qui justifie le refus d’assumer le fardeau commun à une famille ou à un groupe minoritaire auquel on appartient par le hasard de la naissance. C’est cela le secret de la réussite de la romancière !
Traduits dans plusieurs langues Sur la Grande Allée, les feuilles jaunes, brunes et or tombent sur les trottoirs. C’est l’été des Indiens, la saison magnifique qu’elle aimait tant, le vent du fleuve est doux encore et les gens se promènent devant le château Saint-Louis où elle habitait. Comme disait son éditeur italien qui avait publié Rue Descharnbault sous le titre de La Strada di Casa Mia, l’oeuvre de Gabrielle Roy survivra au-delà du rythme des saisons littéraires et des modes et c’est sans doute un des plus grands hommages qu’on puisse rendre à une romancière. Alice Parizeau, journaliste et romancière, est membre du Conseil Consultatif du Livre du Québec. Source : La Press-Plus, Montréal, 2 novembre 1985. Avec la permission du journal La Presse. | ||||||
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