La sensibilisation et les perceptions de la population canadienne en matière de mauvais traitements envers les aînés : groupes de discussions

Sommaire

Préparé pour
Le ministère de la Justice du Canada
Le 30 mars 2009

Préparé par :

The Strategic Counsel
21, av. Clair Ave O., suite. 1100
Toronto (Ontario) M4T 1L9
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POR 048-08
Contrat # 19040-080210/001/CY
Date d'attribution du contrat: 2009-01-08


The Strategic Counsel est heureuse de présenter au ministère de la Justice du Canada ce rapport de recherche sur une étude qualitative menée auprès des Canadiens au sujet de la sensibilisation aux mauvais traitements envers les aînés et de la perception de ce phénomène.

A. Objectifs et méthodologie

En mai 2007, le gouvernement du Canada a créé le Conseil national des aînés, dont le mandat est de fournir au gouvernement des conseils concernant les enjeux importants pour les aînés. L’un des premiers domaines cernés par le Conseil était la lutte contre les mauvais traitements envers les aînés. Dans le Discours du trône prononcé à l’automne de la même année, le gouvernement a annoncé qu’il avait l’intention de s’occuper de cette question. Dans le Budget 2008, le gouvernement a affecté un montant de 13 millions de dollars, répartis sur trois ans pour aider les aînés et d’autres personnes à reconnaître les signes et les symptômes liés aux mauvais traitements des aînés et de même que pour  fournir de l’information sur l’aide disponible.

Dans le cadre de la contribution du ministère de la Justice du Canada dans la lutte contre les mauvais traitements envers les aînés, on a décidé d'effectuer une recherche sur la sensibilisation des Canadiens et Canadiennes aux mauvais traitements envers les aînés. Afin de mieux comprendre l’opinion publique sur le sujet, le projet de recherche devait comporter deux phases de recherche. La première phase consistait en un sondage quantitatif permettant de déterminer le degré de sensibilisation du public canadien aux mauvais traitements envers les aînés. La deuxième phase de la recherche, qui comprend la présente étude, est de nature qualitative et est constituée de deux étapes distinctes. La première étape visait à tenir une série de groupes de discussion auprès de divers segments de la population canadienne en vue de compléter et de préciser les résultats du sondage quantitatif. Le présent rapport se veut un résumé des résultats de ces groupes de discussions. La deuxième étape, qui sera effectuée plus tard, visera à tester les documents de communication sur les mauvais traitements envers les aînés qui mettront l’accent sur l’exploitation financière.

Ce rapport résume les conclusions d’une série de groupes de discussion qui cherchait à évaluer le niveau de connaissances générales de la population canadienne et à orienter les stratégies de communication futures.

Les grands objectifs du programme de recherche pour l’exercice 2008-2009 sont :

The Strategic Counsel a tenu une série de 15 groupes de discussion afin de répondre aux objectifs de l’étude et d’effectuer un suivi des principales conclusions de la phase quantitative de l’étude. On a tenu les séances de discussion en soirée à tous les endroits afin de faciliter la présence des participants (p. ex., travailleurs, étudiants, retraités). Chaque discussion durait environ 90 minutes et regroupait un maximum de 10 participants. Des questionnaires de sélection officiels ont été établis avant la phase de recrutement et se trouvent en annexe. Les tableaux donnant les détails sur le profil des participants de tous les emplacements se trouvent également en annexe.

Les groupes de discussion ont eu lieu à six endroits choisis de manière à recueillir les opinions d’un échantillon représentatif de la population canadienne de toutes les régions du pays. Ainsi, entre le 17 février et le 2 mars 2009, des groupes de discussion ont été tenus à Yellowknife, Vancouver (incluant un groupe d’immigrants), Winnipeg (trois groupes de participants autochtones), Toronto (incluant un groupe d’immigrants), Montréal (en français, incluant un groupe d’immigrants) et Moncton (un groupe en français et un groupe en anglais). Dans l’espoir d’obtenir des opinions et des degrés de compréhension différents, on avait divisé les participants en trois groupes d’âge : les 20 à 30 ans, les 35 à 50 ans et les 65 ans et plus (56 ans et plus pour le groupe d’immigrants âgés). Les résultats de l’étude ont révélé le caractère judicieux de cette approche puisque les participants ont discuté ouvertement des questions liées à l’âge, telles que les écarts générationnels et la discrimination fondée sur l’âge.

Une autre exigence importante de cette étude était de cerner à la fois le point de vue des membres de communautés autochtones ainsi que celles des immigrants récents au Canada. Afin de permettre une discussion plus poussée à propos d’enjeux qui pourraient être propres aux communautés autochtones, The Strategic Counsel a tenu à Winnipeg trois groupes de discussion composés uniquement de membres de ces communautés. Des Autochtones ont également été intégrés aux groupes de Yellowknife, Vancouver et Toronto. Trois séances, une à Vancouver, une à Toronto et une à Montréal, ont eu lieu uniquement avec des personnes nées à l’étranger. Certaines personnes nées à l’étranger ont également été incluses dans d’autres groupes de discussion. Nous avons aussi examiné les différences au chapitre des perspectives des collectivités francophones et anglophones au Canada en tenant quatre des groupes (trois à Montréal et un à Moncton) en français et les autres en anglais. Finalement, il a été impossible de répartir les groupes selon le sexe, mais les animateurs ont également tenu compte de la différence de vue qui semblait plus fréquemment associée avec les hommes ou les femmes.

Remarque importante concernant la méthodologie et l’interprétation des résultats :

Les résultats des études qualitatives ne peuvent être extrapolés à l’ensemble de la population cible avec un certain degré de validité statistique. Par conséquent, cette étude ne présente pas de pourcentages ou de proportions, mais cherche plutôt à mieux comprendre l’opinion et l’attitude des participants au sujet des mauvais traitements envers les aînés. Cette étude vise à orienter le gouvernement du Canada et à lui suggérer des pistes. Elle ne doit pas être interprétée comme une « étude représentative » des Canadiens.

B. Principales constatations

1. Lacune sociétale : placer les aînés en marge

Les participants de la plupart des groupes ont mentionné l’« isolement » des aînés par rapport au reste de la société comme l’un des principaux enjeux sociaux qui contribuent aux facteurs donnant lieu aux mauvais traitements envers les aînés. Cet « isolement » était décrit à la fois comme métaphorique et réel, social et physique, et les participants de tous les groupes d’âge en ont fait état. Le manque de mobilité attribuable aux incapacités physiques et au dysfonctionnement cognitif, de même que l’absence de soutien social généralement offert par la famille, le réseau social et les services de transport qui permettent aux aînés d’obtenir de l’aide, étaient perçus comme donnant lieu à une perte d’autonomie et à une réduction importante de la qualité de vie d’une personne en raison de l’isolement qui en découle. Plusieurs étaient d’avis que la société canadienne, tout comme les autres sociétés occidentales (quelques-uns refusaient l’idée selon laquelle l’Europe faisait aussi partie du problème, blâmant plutôt la société nord-américaine) a collectivement marginalisé les aînés. Les changements sociaux liés aux changements exponentiels en technologie, au rythme de vie plus rapide, à la mobilité professionnelle accrue, à l’importance de la réussite individuelle et aux difficultés financières étaient perçus comme des facteurs ayant contribué à l’isolement de ceux qui nécessitent beaucoup de temps, de patience et de soins.

En général, les participants âgés ont partagé leur sentiment que les aînés sont considérés comme étant inutiles ou qu’ils sont dévalués par la société. Les particpants âgés ont également parlé des effets négatifs de la marginalisation, disant que leur capacité d'apporter leur contribution était souvent rejetée en raison de stéréotypes fondés sur leur âge. Pour ce qui est de l’incidence émotionnelle, la plupart ont parlé qu’on leur manquait de respect, qu’ils avaient perdu leur dignité de manière générale et qu’ils étaient frustrés d’être traités comme des enfants ou comme s’ils avaient déjà « un pied dans la tombe », souvent avant même qu’ils puissent prononcer quelques mots. De l’avis des participants, l’isolement et la solitude rendent les aînés plus vulnérables aux mauvais traitements parce qu’ils sont susceptibles de ne pas tenir compte des mauvais traitements que leur infligent des membres de leur famille afin de préserver la relation et que le soutien familial nécessaire pour se défendre contre d’éventuels agresseurs est lacunaire. Les participants plus jeunes ont expliqué que la contribution des aînés leur est parfois peu utile en raison des différences de valeurs découlant du fait que les aînés ont grandi à une époque différente ainsi que des différences relatives aux connaissances technologiques. Cette diminution grandissante des contacts entre les générations était perçue comme un facteur clé contribuant aux mauvais traitements envers les aînés. Les enfants devenus adultes peuvent vivre loin de la maison familiale en raison de leur travail ou peuvent avoir à jongler avec les exigences de leur emploi et celles de leurs propres enfants, et les personnes âgées sont « entreposées » et laissées à se débrouiller dans des résidences ou des hôpitaux. On considère que les établissements consacrés aux soins des aînés sont sous-financés et manquent de personnel, deux facteurs qui contribuent à isoler davantage les aînés.

Il est intéressant de noter que cette marginalisation était perçue comme un phénomène touchant surtout ceux dont la famille appartient à la culture occidentale depuis plusieurs générations. Dans toutes les villes, les immigrants ont parlé d’un degré de respect beaucoup plus élevé envers les personnes âgées au sein de leurs cultures d’origines que dans la culture canadienne. Plusieurs participants dont les familles sont établies au Canada depuis plusieurs générations ont aussi parlé de cette différence dans les degrés de respect envers les personnes âgées dans la culture nord-américaine dominante et celle d’autres pays; ils déploraient aussi cet état de fait. Les participants autochtones ont également mentionné que l’on accordait davantage de respect aux personnes âgées dans leurs cultures, bien que plusieurs aient dit que le niveau de respect envers les aînés de leurs collectivités était en déclin aussi en raison de l’érosion des croyances traditionnelles attribuable au système de pensionnats indiens et à d’autres intrusions de la culture moderne.

2. Comprendre n’équivaut pas à être conscientisé

Bien qu’ils aient rarement mentionné spontanément la question des mauvais traitements envers les aînés comme une préoccupation importante pour les aînés, lorsqu’on leur a demandé directement de parler de la question, les participants ont fait preuve d’une bonne compréhension des types et des causes de mauvais traitements envers les aînés. Comment peut-on rapprocher le manque apparent de sensibilisation spontanée des participants de ce qui semble être une bonne compréhension de cet enjeu? La réponse à cette question semble liée au fait que les gens ne parlent que rarement, voire jamais, des mauvais traitements envers les aînés. En effet, bon nombre de participants ont décrit la question comme un sujet privé qui ne concerne que la famille. Ce sentiment semblait particulièrement présent chez les groupes d’immigrants. Cela s’applique à la fois aux membres de la famille, qui peuvent être réticents à l’idée d’exposer leurs problèmes au public, et aux témoins, qui peuvent hésiter à se mêler de questions qui concernent la famille puisque cela ne les regarde pas. Certains ont mentionné que les seules occasions où ils entendaient parler de mauvais traitements envers les aînés, et, par conséquent, où ils y pensaient, étaient lorsque la question était soulevée par les médias. La majorité des participants était d’avis que le manque de visibilité de ce problème était la principale raison pour laquelle ils n’en discutaient pas : ils ne le voient pas et n’en entendent pas parler. Selon quelques participants, le sujet est tabou pour la plupart des Canadiens, et l’un d’entre eux a précisé que « le problème n’existe pas si on n’en parle pas ». D’autres participants ont affirmé qu’ils n’y pensent simplement pas à moins qu’une situation liée à des mauvais traitements se produise dans leur cercle social immédiat. Comme on ne discute pas ouvertement du sujet, certains participants étaient d’avis que bon nombre de victimes, de témoins et d’abuseurs peuvent simplement ignorer l’existence d’une situation abusive ou potentiellement abusive. Cela explique également en partie l’absence de conscience spontanée sur le sujet.

Il est intéressant de noter que durant l’ensemble des discussions, les participants de tous les groupes ont utilisé également les deux termes  « elders » ou « seniors » en anglais et des « aînés » ou « personnes âgées » en français comme étant fragiles (physiquement et mentalement) et dépendants. Bien que les participants aient parlé de manière générale et qu’ils aient rarement visé un groupe d’âge précis, les membres de tous les groupes, y compris les participants âgés (65 ans et plus) de toutes les villes ne se considéraient pas comme étant « vieux » ou vulnérables aux mauvais traitements, du moins. Souvent, lorsqu’ils utilisaient les expressions « old people » ou « les vieux », ils faisaient référence à des personnes beaucoup plus âgées qu’ils ne l’étaient eux-mêmes.

Malgré leur faible conscience spontanée, les participants semblaient bien comprendre de nombreux facteurs qui peuvent rendre les aînés plus vulnérables aux mauvais traitements et, de toute évidence, passaient plus de temps à discuter de ces facteurs que de la question même des mauvais traitements. À l’exception de la question des agressions sexuelles, qui les mettait manifestement très mal à l’aise, nous avons pu constater que les participants ont discuté assez ouvertement des sujets soulevés. Les participants ont aussi eu de la difficulté à évaluer l’ampleur du phénomène au sein de la société canadienne, car ils avaient l’impression de n’entendre parler que des cas extrêmes. Beaucoup n’ont pas pu donner une estimation de la mesure dans laquelle les autres formes de mauvais traitements se produisent, tandis que d’autres ont donné des réponses très aléatoires. Les participants ont affirmé qu’il est très difficile de déterminer ce qui constitue ou non des mauvais traitements, particulièrement en ce qui a trait aux relations familiales; il est donc possible que les gens ne puissent pas savoir avec certitude si ce dont ils sont témoins ou victimes est une forme de mauvais traitements envers les aînés. Les participants croient que le fait d’avoir plus de renseignements sur les diverses formes de mauvais traitements aiderait probablement les gens à modifier leur comportement et encouragerait les victimes à se manifester. Les participants d’un groupe ont affirmé que le terme anglais « mistreatment » s’appliquait mieux aux comportements que le terme « abuse », parce qu’il est plus général et qu’il pourrait aider les gens à réfléchir aux conséquences de leurs actes. Deux des groupes de jeunes francophones ont indiqué qu’il y a une différence entre les termes « mauvais traitements » et « violence » et que ce dernier est plus agressif et intense.

Bien que la violence physique ait été le premier exemple mentionné par les participants lorsqu’on leur a demandé de nommer des formes de mauvais traitements envers les aînés, ceux-ci ont été en mesure d’énumérer un très vaste éventail de types de mauvais traitements (y compris la violence émotionnelle ou psychologique et l’exploitation financière) et de donner des exemples, des formes les plus visibles, et parfois les plus violentes, aux cas les plus subtils. Nous avons constaté que les participants de tous les groupes sont passés rapidement de l’exemple de la violence physique aux discussions sur la négligence, sujet qui a fait l’objet de plus longs échanges. Aux yeux de la plupart des participants, la négligence semble être liée au fait que les aînés ne sont pas valorisés et respectés dans la société en général, bien que la négligence sur le plan familial ait également fait l’objet de discussions. Un participant a expliqué de manière très touchante que le problème le plus grave avec lequel les aînés doivent composer est un manque chronique d’amour et une crainte de perdre l’amour de leur famille.

Nous avons aussi pu constater lors des séances que les participants comprenaient bien les grandes inquiétudes des aînés au Canada, outre les mauvais traitements. La santé et les soins de santé arrivaient en tête de liste, et de nombreuses autres questions ont aussi été mentionnées comme les principaux facteurs contribuant à accroître la vulnérabilité des aînés aux mauvais traitements : les incapacités physiques et le dysfonctionnement cognitif, qui entraînent un manque de mobilité et d’autonomie et donc à la dépendance à l’égard des autres, ce qui donne lieu à l’isolement et à la diminution de la sécurité personnelle. Tous ces problèmes sont aggravés par la pauvreté et le manque de logements adéquats.

Les immigrants qui ont participé aux groupes ont aussi identifié spontanément, des obstacles linguistiques comme un problème important avec lequel les aînés doivent composer au sein de la société canadienne. Les participants autochtones ont également discuté de cette question ainsi que des répercussions négatives de la discrimination historique et du degré élevé de toxicomanie qui en découlent comme étant un problème important pour les aînés de leurs collectivités.

3. Identifier les victimes et les abuseurs : pas de stéréotypes clairs

Les participants dans la plupart des groupes ont indiqué que les incapacités physiques et le dysfonctionnement cognitif figurent parmi les principaux facteurs qui rendent les aînés vulnérables aux mauvais traitements. Il était intéressant de constater que bon nombre des hommes ont commencé par parler des mauvais traitements infligés dans les établissements, alors que les femmes ont souvent parlé d’abord de la violence familiale. En général, les participants semblaient plus enclins à discuter du comportement des abuseurs dans les établissements. Quand ils discutaient de ces situations, ils parlaient généralement de personnes qui ont des tendances criminelles. Quand ils parlaient des situations en milieu familial, ils avaient plutôt tendance à nommer les circonstances qui pourraient justifier les comportements violents dans une certaine mesure, comme des antécédents de violence familiale, les problèmes financiers ou l’abus d’alcool ou de drogues. La plupart des participants étaient d’avis que c’est surtout la situation dans laquelle se trouvent les personnes, et non le type de personne, qui mène aux mauvais traitements. Les participants ont affirmé que n’importe qui peut infliger des mauvais traitements à un aîné; l’abuseur peut être un autre aîné ou un adolescent.

La plupart des participants se sont entendus pour dire que les mauvais traitements envers les aînés transcendent les cultures — « lorsque vous êtes âgés, vous êtes âgés ». Parallèlement, bon nombre des participants dans les groupes d’immigrants ont mentionné le fait qu’au Canada, les aînés semblent être perçues comme un fardeau plutôt qu’une obligation morale et qu’ils sont donc placés en établissement plutôt que soignées à la maison. Les participants autochtones ont discuté d’une érosion des valeurs traditionnelles liées au soin des aînés. Parmi les éléments jugés comme des facteurs augmentant la vulnérabilité des aînés, on retrouve les incapacités physiques et le dysfonctionnement cognitif, la dépendance (à la fois la dépendance à l’égard des autres pour accomplir des tâches simples et pour répondre aux besoins comme la nourriture et le logement, le transport et les médicaments), le manque de respect et les stéréotypes, l’isolement, l’évolution de la technologie, la conservation de valeurs traditionnelles, les obstacles linguistiques et les lacunes institutionnelles (le manque de ressources et de personnel formé dans les résidences pour personnes âgées et les hôpitaux).

Fait intéressant, beaucoup de participants croyaient que les aînés vivant dans de grands centres urbains étaient plus à risque d’être victimes de mauvais traitements que ceux vivant dans des régions rurales. Ils percevaient les villes comme offrant davantage de services, mais également moins d’occasions d’obtenir une attention particulière que dans les petits centres, où les aînés sont connus par un plus grand nombre de personnes. Les grandes villes procurent l’anonymat, rendant ainsi les aînés plus susceptibles d’être isolés et oubliés. Certains participants ont parlé du fait que les aînés dépendent d’autres personnes lorsque les services sont éloignés, notamment au cours de pannes de courant l’hiver dans le Nord. Par contre, certains participants croyaient que les aînés qui habitent de petites villes risquent de ne pouvoir échapper aux mauvais traitements aussi facilement que s’ils habitaient un grand centre et qu’ils ont probablement un accès limité à un système de transport public et aux activités sociales.

Les participants étaient d’avis que les problèmes de santé sont le principal facteur qui influe directement sur la capacité d’une personne de se défendre et de se faire entendre, ce qui la rend vulnérable aux mauvais traitements. Une santé défaillante entraîne une mauvaise qualité de vie, ce que certains ont décrit d’être traités comme des enfants, l’impatience dont les gens font preuve à l’égard des personnes (souvent les gens âgés) qui se déplacent lentement à pied ou en voiture, qui font la queue ou qui utilisent un guichet bancaire, ainsi qu’à un certain désintérêt à l’égard des personnes âgées en général – on les écoute moins et on fait davantage fi de leurs commentaires. L’évolution généralisée de la technologie a contribué à réduire l’accès à l’information et les relations familiales, entraînant également l’isolement. Les participants ont plus associé la violence physique avec les établissements et l’exploitation financière lorsque les aînés demeurent dans la collectivité.

4.  Signaler les mauvais traitements : une tâche difficile

Plusieurs participants ont cité comme principales raisons pour lesquelles de nombreux cas ne sont pas signalés une incertitude à propos du genre de comportements qui constituent des mauvais traitements et le manque de sensibilisation du public. Leur raisonnement était que moins les gens sont sensibilisés au problème, moins ils sont susceptibles de porter attention aux signes de mauvais traitements et de les remarquer. Comme il a été mentionné précédemment, les participants ont aussi discuté du fait que l’on comprend mal ce quoi constitue des mauvais traitements, particulièrement dans les relations familiales. L’absence de conscience spontanée était aussi perçue comme rendant plus facile pour les gens de faire comme s’il ne s’était rien passé ou de dire que cela ne les regarde pas. Selon la plupart des participants, il serait très difficile pour une victime de signaler un cas de mauvais traitements mettant en cause un membre de sa propre famille, particulièrement un enfant devenu adulte, en raison des conséquences dévastatrices qu’un tel signalement pourrait avoir sur la famille. Les participants étaient d’avis que les aînés hésitent davantage lorsque l’aidant est concerné puisque les aînés ont peur des conséquences pour ce membre de la famille dont ils dépendent ou craignent de perdre les soins prodigués par l’aidant. Finalement, les participants croyaient qu’ils ne sauraient ni où ni à qui s’adresser pour signaler un cas de mauvais traitements et obtenir de l’aide; elles étaient aussi d’avis que les victimes étaient peut-être dans la même situation.

En outre, de l’avis des participants, les témoins de mauvais traitements sont eux aussi placés dans une situation difficile, parce qu’ils ne connaissent pas les conséquences, sur le plan juridique, de leurs gestes ou de leur inaction et que plus d’information quant aux conséquences de leurs gestes est  nécessaire. Dans les situations familiales, les témoins peuvent non seulement détruire la famille, mais également hériter de la responsabilité de prodiguer des soins à la personne âgée. Les participants ont aussi parlé de la crainte de représailles et du risque que le comportement de l’abuseur s’aggrave si l’abuseur n’est pas puni à la suite de la plainte. Les participants voulaient savoir s’il était possible de poser des questions au sujet d’un cas sans avoir à s’identifier officiellement et comment régler la situation sans avoir à porter des accusations. La difficulté de prouver de nombreuses formes de mauvais traitements était aussi perçue comme un obstacle majeur au signalement, car un témoin voulant aider pourrait être mêlé malgré lui à une poursuite.

Bon nombre de participants ont défini la fierté et la honte comme les principaux obstacles qui empêchent les aînés de signaler les mauvais traitements dont ils sont victimes. Plusieurs étaient d’avis qu’il est difficile pour les aînés d’admettre qu’ils ont subi des mauvais traitements, surtout lorsqu’ils sont victimes de fraude ou trompés de la part d’un étranger. De nombreux participants ont mentionné que si un membre de leur famille leur infligeait des mauvais traitements, ils ne le signaleraient pas pour ne pas embarrasser leur famille, ne pas ternir la réputation de celle-ci ou ne pas projeter une mauvaise image de leur rôle de parent à l’égard de leur enfant maintenant devenu adulte. Cette position est ressortie de tous les groupes, mais était un peu plus forte dans les groupes d’immigrants et d’Autochtones. Les participants immigrants âgés ont dit qu’ils hésiteraient davantage puisque dans leur pays d’origine, le fait de parler des mauvais traitements qu’ils subissent pourrait entraîner des conséquences graves.

D’autres ont défini l’isolement général des aînés comme un problème de taille. Quand les victimes sont isolées, peu de témoins peuvent être au courant de la situation, et la victime n’aura probablement personne vers qui se tourner pour la croire. De l’avis des participants, les personnes souffrant de solitude sont plus susceptibles de tolérer les mauvais traitements si, en échange, elles peuvent avoir des contacts humains et recevoir une forme d’aide quelconque.

Eu égard aux obstacles définis, la plupart des participants croyaient que l’information du public était essentielle pour briser le silence des victimes et des témoins. Il était nécessaire d’obtenir des renseignements clairs au sujet des paramètres des mauvais traitements envers les aînés, d’informer les aînés de leurs droits, de dire aux gens à qui s’adresser pour obtenir de l’aide et signaler les cas de mauvais traitements et d’expliquer ce qui se produit après qu’une plainte est déposée. Selon les participants, l’information améliore la vigilance des gens et les aide à mieux comprendre leurs droits et leurs responsabilités ainsi qu’à mieux connaître les conséquences de leurs gestes.

Dans l’ensemble, plusieurs participants croyaient qu’un changement d’attitude généralisé était nécessaire dans la société pour briser le silence provenant de la discrimination fondée sur l’âge, un changement qui permettrait à tous d’être traités avec respect. Sensibiliser les gens pourrait aider, tout comme mettre l’accent sur le fait que nous vieillissons tous et que nous ferons tous un jour face aux mêmes problèmes, stéréotypes, ainsi qu’à de la discrimination et la discrimination fondée sur l’âge. De plus, selon les participants, il était important d’améliorer les relations entre les générations et de projeter une image positive des aînés dans la société pour changer les perceptions sociales et préoccupé davantage l’esprit des Canadiens à ce problème