Tribune des lecteurs du JAMC

Encourager les dons d'organes : le paradoxe

Affichage sur Internet : le 17 septembre 1997
Publiée : le 1er novembre 1997 (CMAJ 1997;157:1198)
Sujet : Canada's organ shortage is severe and getting worse, Nicole Baer, CMAJ 1997;157:179-82 [full text / en bref]; Decisions about organ donation should rest with potential donors, not next of kin, Eike-Henner Kluge, CMAJ 1997;157:160-1 [full text / en bref]
Les auteurs de ces deux articles soulignent le faible taux de dons d'organes pour transplantation au Canada. Cela pourrait s'expliquer par des messages de sensibilisation mal adaptés auprès du public. En voici quelques exemples :
  • Les équipes soignantes et les médias revendiquent une réussite médicale grâce au don. Or, les familles se trouvent confrontées non au don, mais à la mort, et à une douleur affective intense, associée à ce qui est perçu comme un «échec» médical. Ce décalage brutal entre message formel (don rédempteur) et vécu affectif (mort anéantissante) peut favoriser un refus.

  • Dans nos sociétés individualistes, la mort est un sujet tabou et privé. Le projet de resocialiser par le don des parties du mort est difficile à assumer par les proches.

  • Le message «officiel» repose sur l'autonomie du patient (et de la famille) concernant le choix. Cependant, il est clairement sous-entendu qu'il existe moralement un bon (décision positive) et un mauvais (refus) choix. Implicitement culpabilisant, le refus pourrait suivre dans ce contexte de frustration.

  • Le malade est en état de «mort cérébrale» et n'est pas simplement «mort». Le voir en soins intensifs laisse prétendre qu'il n'est pas mort, qu'il y aurait possibilité de réveil. Un refus peut alors intervenir comme protection contre une dépossession abusive ou une erreur médicale.

  • Les aspects de mutilation du corps sont niés ou banalisés dans le message, alors qu'ils sont une préoccupation majeure pour les proches. Le respect de l'intégrité du mort est une tradition culturelle qui peut entra ner un refus par crainte de mutilation du corps.

  • Les trafics d'organes dans certains pays ont probablement induit une perte de confiance dans les institutions de soins. Incertains de la situation après le prélèvement, les proches refusent le don, qui serait vécu comme un abandon.

  • Le message implique que le don, action positive sur le plan éthique, favorise le deuil des familles. Or, il le rend plus pénible alors même que des parties du mort continuent de vivre sous une autre forme, créant une situation «paradoxale» (vie et mort simultanées).

Expliquer, informer, prévenir les paradoxes (entre message formel et vécu affectif), reconnaître socialement et symboliquement la valeur du don, pourraient avoir un effet positif sur le nombre de greffons disponibles.

Frédéric Pochard, MD
Marc Grassin, PharmD
Daniel Maroudy, RN
Christian Hervé, MD, PhD
Laboratoire d'éthique médicale et de santé publique
UFR Necker Enfants Malades
Université Paris V
Paris
France Fpochard@aol.com


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