Journal de l'Assocation médicale canadienne
1994; 151 : 12981301
Santé Canada, 1994
Reproduit avec la permission du Ministre des Approvisionnements
et Services, 1996
Le CCNI, la SCP, un comité parlementaire permanent et plusieurs autres organismes consultatifs ont recommandé d'ajouter la vaccination contre l'hépatite B aux programmes de vaccination systématique des enfants au Canada. L'Immunization Practices Advisory Committee du service de santé publique des ÉtatsUnis et l'American Academy of Pediatrics ont formulé des recommandations analogues en 1991; ces recommandations n'ont pas encore été entièrement mises en oeuvre.
Les données épidémiologiques relatives à l'hépatite B au Canada sont rares, et il fallait examiner attentivement plusieurs questions, notamment le coût des vaccins et la détermination de l'âge propice à la vaccination, avant de pouvoir formuler des recommandations précises. C'est pourquoi, en juin 1992, on a créé un groupe de travail qui a été chargé de formuler des recommandations concernant la lutte contre l'hépatite B au Canada et de passer notamment en revue les options en matière d'immunisation universelle.
Le Groupe de travail était composé de représentants du CCE, du CCNI, du Laboratoire de lutte contre la maladie (LLCM) et de la SCP.
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Depuis la découverte du virus de l'hépatite B (VHB) par Baruch, Blumberg et coll. dans les années 1960, les chercheurs ont accumulé un corpus considérable de données concernant les aspects virologiques et épidémiologiques, les caractéristiques cliniques et le diagnostic en laboratoire de l'infection par le VHB. Bien que des vaccins efficaces et sûrs soient produits au Canada depuis 1982, les taux déclarés d'hépatite aiguë et de décès attribuables à l'infection par le VHB ont augmenté progressivement au cours des années 1980[1]. Une telle augmentation témoigne de l'échec de la stratégie misant sur la vaccination sélective des groupes à risque élevé reconnaissables pour circonscrire la transmission du virus dans la population. Les professionnels de la santé font exception à cet égard. En effet, la mise en oeuvre de politiques de vaccination dans les hôpitaux s'est soldée par une réduction considérable des taux d'infection aiguë par le VHB parmi les professionnels de la santé[2], mais ce groupe n'a jamais été à l'origine d'une forte proportion des cas signalés au Canada.
De nombreux facteurs expliquent pourquoi l'actuelle stratégie de vaccination sélective n'a pas eu d'effet sur l'incidence de la maladie : le coût du vaccin, le manque de sensibilisation des médecins à ce problème, la difficulté de joindre les membres de groupes à risque élevé, souvent inconscients du risque qu'ils courent, les inquiétudes concernant l'innocuité du vaccin, la nonobservance du calendrier complet de vaccination et l'absence de facteurs de risque reconnus chez 30 % à 60 % des sujets infectés récemment.
Toutes ces raisons ont incité le CCNI à appuyer le principe de la vaccination universelle en 1991[3]; la SCP s'est également prononcée en faveur de la vaccination universelle contre le VHB en 1992[4]. Un programme de vaccination universelle à l'intention des préadolescents vient tout juste d'être mis en vigueur avec succès en Colombie-Britannique.
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Les cas déclarés d'infection par le VHB au Canada ont plus que doublé entre 1980 et 1990, atteignant un sommet en 1989[5]. Bien que l'augmentation observée puisse être partiellement imputable au fait que les médecins et les patients sont plus enclins à dépister la maladie ou à une déclaration plus exhaustive des cas, il n'en demeure pas moins qu'elle s'est produite en dépit des programmes de vaccination sélective (à l'intention des groupes à risque élevé) contre l'hépatite B introduits en 1982. Les taux varient considérablement d'une province et d'un territoire à l'autre, s'échelonnant entre 0,8 et 29,2 cas par 100 000 habitants en 1990, et n'ont pas augmenté dans toutes les provinces. Les taux d'infection par le VHB demeurent néanmoins préoccupants, même dans les provinces où ils ont chuté ou sont demeurés stables au cours de cette période.
Dans 30 % à 60 % des cas déclarés, aucun facteur de risque évident n'a été signalé. En outre, même en présence de facteurs de risque, il est possible que les médecins ne reconnaissent ni le risque ni la nécessité de la vaccination dans une grande proportion de ces cas. Enfin, les programmes ciblés ne sont généralement en mesure de repérer les candidats à la vaccination qu'après l'adoption du comportement à risque. L'incapacité de la stratégie de vaccination sélective d'enrayer à elle seule l'infection par le VHB était donc prévisible.
Moins de 3 % des cas déclarés d'infection aiguë par le VHB sont survenus chez les enfants. Bien qu'on ne connaisse pas la prévalence de l'infection aiguë et chronique non diagnostiquée chez les enfants canadiens, on croit qu'elle est faible, sauf dans les groupes à risque facilement repérables. Les taux ont monté en flèche dans le groupe d'âge des 15 à 19 ans, atteignant un sommet chez les sujets de 20 à 40 ans, ce qui évoque la possibilité que la transmission sexuelle et, éventuellement, l'utilisation de drogues injectables soient des facteurs déterminants de l'infection par le VHB au Canada.
Par conséquent, pour avoir un effet optimal, la vaccination devrait idéalement débuter avant l'âge de 15 ans (avant que les taux ne commencent à grimper), mais pas forcément tôt dans l'enfance, puisque le risque chez les jeunes enfants semble limité à certains groupes restreints bien définis pour lesquels il existe déjà des programmes de prévention les nouveaunés dont la mère est infectée par le VHB, par exemple. Étant donné que le risque n'est pas prévisible dans une importante proportion des cas, une couverture vaccinale universelle s'impose.
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Le CCNI a publié dernièrement une prise de position générale concernant les vaccins contre l'hépatite B[6]. Trois doses de vaccin confèrent une immunité protectrice à plus de 90 % des personnes en santé, le taux de séroconversion atteignant 99 % chez les sujets de 2 à 19 ans. En Colombie-Britannique, on a observé un taux de séroconversion de 97 % parmi les étudiants de sixième année. La protection semble durable, même si les titres d'anticorps chutent ou ne sont plus décelables. Les jeunes enfants (10 ans ou moins) répondent à de plus petites doses que les adultes; il est parfois indiqué de réduire également la dose chez les adolescents (selon le produit utilisé). On procède actuellement à des essais afin de déterminer si les jeunes adolescents répondraient à des doses plus faibles.
Si le calendrier optimal semble celui qui prévoit l'administration d'une dose à 0, 1 et 6 mois, à peu près tous les calendriers étudiés semblent donner des taux de séroconversion et des titres d'anticorps satisfaisants, ce qui confère une grande latitude dans la conception des programmes de vaccination.
Il n'a pas été établi qu'il était nécessaire d'administrer des doses de rappel après la primo-vaccination. Selon des études, la protection conférée contre la maladie et l'état de porteur dure au moins 10 ans. On ne saura pas avant bon nombre d'années si des doses de rappel sont indiquées 15 à 25 ans après la primo-vaccination. Cette question théorique revêt une importance particulière si l'on a recours à un programme de vaccination chez les nourrissons, mais elle pourrait également être d'intérêt en cas de vaccination des groupes plus âgés.
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Le Groupe de travail a examiné quatre options et dressé une liste des avantages et des inconvénients de chacune d'entre elles (Annexe 1). Voici ces options : (a) le statu quo (c.àd. la vaccination sélective des sujets à risque élevé), (b) la vaccination universelle des nourrissons, (c) la vaccination universelle des adolescents (c.àd. de 14 à 18 ans) et (d) la vaccination universelle des enfants de 9 à 13 ans. (Les limites exactes de ce groupe d'âge étaient difficile à définir et il en allait de même du terme utilisé pour le décrire. C'est le terme «préadolescent» qui était le plus couramment utilisé, mais l'on a jugé qu'il n'était pas satisfaisant, surtout lorsqu'il englobait les jeunes de 12 et 13 ans.) Quelle que soit la stratégie adoptée, on recommanderait de poursuivre le dépistage anténatal universel, l'administration d'immunoglobulines contre l'hépatite B (IgHB) et d'un vaccin aux nouveaunés de mères infectées, et la vaccination systématique des enfants à risque élevé. (On estime en effet que jusqu'à 35 % des porteurs le seraient devenus à la suite d'une infection pendant la petite enfance; de tels programmes permettraient donc de prévenir 90 % ou plus de ces cas.) Il faudra en outre, dans l'avenir, poursuivre et améliorer la vaccination sélective chez les adultes à risque. (Le Groupe de travail n'a pas évalué en profondeur une cinquième option la vaccination des enfants par le médecin, le coût étant payé par les parents parce qu'elle ne permettrait pas de circonscrire l'infection par le VHB. Il est cependant fait brièvement mention de cette possibilité dans les recommandations.)
Le Groupe de travail a consulté le document de planification que la Colombie-Britannique a utilisé pour concevoir et étayer son programme, ainsi qu'une analyse coûtsavantage préparée par Krahn et Detsky à la demande du LLCM. Le premier document serait difficilement applicable à l'ensemble du Canada, tandis que le second exigerait une importante mise à jour ainsi que l'ajout de renseignements additionnels avant d'être vraiment utilisable. L'évaluation du rapport coûtefficacité qui s'est avérée la plus précieuse a été celle de Bloom et coll.[6]; les auteurs ont conclu qu'on obtiendrait le meilleur résultat au moindre coût en ayant recours à une stratégie de dépistage prénatal et de vaccination des nouveaunés exposés au virus conjuguée à la vaccination systématique des enfants de 10 ans.
Le Groupe de travail a été impressionné par l'efficacité du programme de vaccination contre l'hépatite B chez les enfants de sixième année en Colombie-Britannique. Bien audelà de 90 % des enfants admissibles ont accepté la vaccination, et 92 % d'entre eux ont reçu la série complète de trois doses. Les effets secondaires signalés ont été bénins. On est donc arrivé à la conclusion qu'un programme à l'intention de ce groupe d'âge est réalisable et abordable, mais que sa mise en oeuvre dans le cadre d'un programme scolaire relevant exclusivement du système de santé publique est une condition essentielle à sa réussite.
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(a) Mettre en place un programme de vaccination universelle contre l'hépatite B dans l'enfance, qui serait intégré aux calendriers de vaccination systématique. Le vaccin devrait être administré :
(b) Poursuivre le dépistage anténatal de l'antigène de surface du virus de l'hépatite B (HBsAg) chez toutes les femmes enceintes. Les nourrissons dont la mère est HBsAg positive devraient recevoir des IgHB dès que possible après la naissance et, par la suite, trois doses de vaccin contre l'hépatite B. On devrait procéder à une épreuve sérologique après la vaccination afin d'évaluer le succès de la prophylaxie. Les responsables de la santé publique devraient suivre de près ces programmes de dépistage et de vaccination afin de s'assurer qu'ils atteignent leurs objectifs.
Source : Groupe de travail : Les Drs J. Carlson (CCE), F. Stratton (CCE), G. Delage (SCP), S. Tamblyn (CCNI), D. Holton (LLCM), L. Tyrrell (CCNI), V. Marchessault (SCP), J. Waters (président; CCNI/CCE), A. Bell (épidémiologiste provincial, ColumbieBritannique conseiller auprès du Comité) et Mme S. Ladouceur (LLCM, soutien administratif).
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