Déclaration sur les voyages et les maladies transmises sexuellement

Journal de l'Assocation médicale canadienne 1995; 152 : 1831-1833
Santé Canada, 1994
Reproduit avec la permission du Ministre des Approvisionnements et Services, 1996


Demandes de tirés à part du rapport original (Relevé des maladies transmissibles au Canada 1994; 20 : 204­207) : Eleanor Paulson, rédactrice, RMTC, Bureau de l'épidémiologie des maladies transmissibles, Laboratoire de lutte contre la maladie, Parc Tunney, Ottawa ON K1A 0L2.

Contenu


Les personnes qui travaillent à l'étranger, les touristes et les gens d'affaires qui se rendent outre-mer courent un risque important de contracter des maladies transmises sexuellement (MTS). L'anonymat que procure le voyage, le sentiment d'isolement causé par un environnement peu familier et le désir de vivre des expériences exceptionnelles poussent le voyageur à laisser tomber ses inhibitions sociales et sexuelles. Le risque de contracter une MTS pour les voyageurs est d'autant plus grand qu'ils ignorent l'épidémiologie des MTS à l'échelle mondiale et que dans certains pays l'utilisation du condom constitue un tabou culturel. De plus, certaines des infections que l'on peut contracter à l'étranger sont rares en Amérique du Nord et peuvent échapper au diagnostic ou n'être pas traitées convenablement par des médecins qui connaissent peu ces maladies. Divers problèmes médicaux chroniques comme l'infertilité et les grossesses ectopiques dues à une salpingo-oophorite, les ulcérations génitales et les urétrites, les hépatites chroniques actives de type B ou C, les cancers génitaux dus au papillomavirus et le décès prématuré dû au virus de l'immunodéficience humaine (VIH) peuvent être le prix que devront payer, en échange de la liberté sexuelle, ceux qui voyagent dans régions du monde où la prévalence des MTS est élevée. Étant donné cet état de choses, les professionnels de la santé qui donnent des conseils sur les voyages internationaux doivent informer leurs patients des risques de contracter des MTS et des moyens de prévention.

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Le comportement sexuel des voyageurs

Il existe peu d'études sur la prévalence des relations sexuelles occasionnelles chez les voyageurs qui se rendent dans les pays d'outre-mer. Une étude récente menée par Hättich et ses collaborateurs a révélé que, parmi les 30 % de voyageurs suisses ayant répondu à un questionnaire, 5 % à 10 % ont admis avoir eu des relations sexuelles, surtout avec des travailleurs et travailleuses sexuel(le)s de l'endroit visité. Une enquête sur les intentions d'avoir des relations sexuelles effectuée auprès de jeunes Australiens voyageant seuls en Thaïlande a révélé que seulement 34 % des sujets de l'échantillon ont déclaré avant le départ qu'ils n'avaient pas du tout l'intention d'avoir des relations sexuelles.

À quelques exceptions près, les personnes qui travaillent à l'étranger pendant de longues périodes sont plus susceptibles que les autres voyageurs d'avoir des relations sexuelles pendant leur séjour. Parmi un échantillon de Belges de sexe masculin qui travaillent en Afrique centrale, 51 % ont déclaré avoir eu des relations sexuelles extra-conjugales avec une femme du pays d'accueil et 31 % avec une travailleuse sexuelle. Une étude portant sur 1 968 citoyens néerlandais travaillant en Afrique subsaharienne a révélé que 31 % des hommes et 13 % des femmes avaient des relations sexuelles occasionnelles avec des partenaires africains. Moins de 25 % des participants ont déclaré qu'ils utilisaient régulièrement le condom. Plusieurs études ont montré que, s'ils sont plus nombreux que les femmes à avoir des relations sexuelles pendant un séjour à l'étranger, les hommes sont aussi plus nombreux à utiliser le condom.

Une étude a révélé que la proportion de marins et de militaires ayant des relations sexuelles avec les gens du pays d'accueil est très élevée. Sur 1 744 militaires des Navy et Marine Corps des États-Unis déployés à l'étranger pendant 6 mois, 49 % ont déclaré avoir eu des relations sexuelles avec des travailleurs et travailleuses sexuel(le)s. Parmi ceux qui ont déclaré avoir eu du relations sexuelles pendant leur séjour, 70 % ont déclaré qu'ils avaient eu plusieurs partenaires, et presque tous ceux qui utilisaient des condoms ne le faisaient pas de façon systématique. Une étude espagnole portant sur 7 848 marins qui voyageaient en Afrique subsaharienne a révélé que 54,8 % d'entre eux avaient eu des relations sexuelles avec des travailleurs et travailleuses sexuel(le)s et que seulement 25 % d'entre eux utilisaient un condom.

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Les risques de contracter une MTS au cours d'un voyage à l'étranger

Dans de nombreux pays en développement, les MTS sont hyperendémiques. Plus de 20 agents pathogènes connus sont transmis par les contacts sexuels. Les données concernant la prévalence tirées d'enquêtes spéciales fournissent des estimations intéressantes, mais elles doivent être interprétées avec prudence parce qu'elles ne sont peut être pas représentatives de la situation dans l'ensemble de la population. Des enquêtes menées dans des cliniques de consultation prénatale africaines ont révélé que la prévalence ponctuelle des MTS variait de 3,4 % à 11,2 %. D'après des enquêtes menées auprès de populations de travailleurs et travailleuses sexuel(le)s le taux de MTS variait de 5 % à 65 % en Afrique, de 0 % à 13,6 % en Asie du Sud-Est, et était de 20,9 % au Brésil. En particulier, de 4 % à 40 % des femmes enceintes fréquentant des cliniques de consultation prénatale en Afrique et de 11 % à 45 % des travailleurs et travailleuses sexuel(le)s dans le monde étaient atteints de gonorrhée. En Afrique, le taux d'infection à Chlamydia trachomatis varie de 6,7 % à 19,7 % chez les femmes enceintes et de 13 % à 32 % chez les travailleurs et travailleuses sexuel(le)s. D'après les résultats de plusieurs études, de 7 % à 19 % des ulcères génitaux en Afrique et jusqu'à 9 % des ulcères génitaux en Asie sont causés par certains sérotypes de lymphogranulome vénérien. Des études sérologiques de la syphilis effectuées dans diverses populations ont révélé que les taux de positivité varient de 5 % à 55 % en Afrique et de 5 % à 6 % en Amérique latine.

La transmission des hépatites B et C par contact sexuel est bien documentée, tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement. Le taux de prévalence des anticorps contre l'hépatite B dépasse 50 % dans certains pays d'Afrique et d'Asie, et le taux de portage de l'antigène de surface (AgHBs) atteint 25 %. En Asie, de 6,1 % à 17,9 % des travailleurs et travailleuses sexuel(le)s sont porteurs de l'AgHBs.

À ce jour, on a signalé des cas d'infection par le VIH dans plus de 160 pays. La transmission sexuelle est responsable de près de 75 % des 16 millions de cas d'infection dans le monde. Contrairement à ce qui a été observé dans les pays industrialisés, où la maladie s'est propagée parmi les hommes homosexuels, dans les pays en développement, la transmission s'est faite principalement par contact hétérosexuel. Les taux de prévalence du VIH-1 sont particulièrement élevés dans certaines régions d'Afrique et varient de 17 % à 32 %. Les statistiques mondiales sur le sida montrent que le taux de cas déclarés varie de 18 à 43 personnes par 100 000 en Afrique et de 61 à 70 personnes par 100 000 dans certaines régions des Antilles. Le risque d'infection est très élevé pour les travailleurs et travailleuses sexuel(le)s. Les taux de prévalence dans cette population sont particulièrement élevés dans les grandes villes, partout dans le monde : Nairobi (81 %), Kinshasa (35 %), Bangkok (44 %) et Port-au-Prince (69 %). La prévalence de l'infection à VIH augmente de façon spectaculaire en Asie du Sud-Est (surtout en Thaïlande) et en Inde. On y a signalé récemment des cas de séropositivité pour le VIH chez des travailleurs originaires des Pays-Bas (0,4 %), de Belgique (1,1 %) et du Danemark (8,6 %). Une étude longitudinale effectuée auprès des volontaires des Peace Corps a montré que, depuis 1987, au moins sept volontaires, dont quatre femmes, ont contracté l'infection après avoir eu des relations sexuelles non protégées avec des gens du pays d'accueil.

Le HTLV-1, un autre rétrovirus, responsable de la paraparésie spastique tropicale et de la leucémie à cellules T, est transmis par contact sexuel ainsi que par d'autres voies. Les taux de prévalence sont de 5 % dans les Antilles et vont de 2,2 % à 31,5 % au Japon.

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Les MTS et la résistance aux médicaments

En plus du risque accru de contracter des MTS dans les pays en développement, les voyageurs seront également confrontés au problème des infections résistantes aux antibiotiques. Des souches de Neisseria gonorrhoeae productrices de bêta-lactamase ou présentant une résistance à médiation chromosomique à la pénicilline sont répandues en Afrique et en Asie. Plusieurs études réalisées en Afrique et en Asie du Sud-Est révèlent que plus de 50 % des isolats sont formés de N. gonorrhoeae résistants à la pénicilline, alors que ce taux n'est que de 6 % au Japon et au Danemark. Au Canada, le taux de N. gonorrhoeae résistants à la pénicilline était de 8,7 % en 1992. De plus, une faible résistance à médiation chromosomique à la tétracycline est courante en Afrique, en Asie et en Espagne, et l'on a commencé à observer une résistance à la spectinomycine.

La résistance de Haemophilus ducreyi, l'agent causal du chancre mou, aux agents antibactériens est répandue partout dans le monde.

La résistance au triméthoprime et aux sulfamides est très courante, surtout en Thaïlande.

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Traitement des MTS

Le traitement des MTS chez les voyageurs qui reviennent de pays en développement doit être ajusté en fonction des résistances aux médicaments des bactéries de la région visitée. Dans certains cas, par exemple dans le traitement de la syphilis ou de l'infection à Chlamydia, les lignes directrices publieés dans le Rapport des maladies transmissibles au Canada [1992; 18S1] s'appliquent toujours. Le traitement de toute MTS devrait néanmoins être fonction de la sensibilité de chaque isolat. Pour une infection à gonocoques non compliquée contractée dans une région où les bactéries peuvent présenter une résistance aux antibiotiques, on peut administrer un traitement empirique à la ceftriaxone (une dose de 250 mg IM), à la céfixime (une dose de 400 mg par voie orale) ou à la spectinomycine (une dose de 1 g). Les quinolones sont également efficaces en une dose unique prise par voie orale : 800 mg de norfloxacine, 500 mg de ciprofloxacine et 400 mg d'ofloxacine. À l'exception de la spectinomycine, tous ces traitements permettent d'éliminer l'infection gonococcique pharyngée concomitante. Pour le chancre mou, on peut administrer un traitement présomptif, notamment un traitement à la ceftriaxone, aux quinolones ou à l'amoxicilline et à l'acide clavulanique.

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Prévention des MTS

De toute évidence, la meilleure façon d'éviter de contracter des MTS au cours d'un voyage est d'avoir des relations sexuelles dans le cadre d'une relation monogame stable et d'éviter les relations sexuelles occasionnelles à risque élevé. Les méthodes de contraception de barrière, en particulier les condoms, sont la meilleure solution après l'abstinence parce qu'elles préviennent le contact direct avec les lésions ou les sécrétions génitales infectieuses. Ces moyens sont plus efficaces lorsqu'on les utilise avec des spermicides. Les condoms en matière synthétique, comme le latex, offrent une meilleure protection que les condoms «naturels» faits de membrane d'origine animale. Des modèles expérimentaux ont montré que le virus de l'hépatite B peut traverser ces derniers.

L'efficacité de la protection contre les infections transmises sexuellement que confère l'utilisation systématique et adéquate des condoms de latex pendant les relations sexuelles varie de 40 % à 70 %. In vitro, les spermicides, comme le nonoxynol-9, qui altèrent la viabilité du sperme, ont une activité anti-N. gonorrhoeae, anti-herpès simplex et anti-VIH. S'il est vrai qu'une gelée spermicide associée à l'utilisation adéquate et systématique d'un diaphragme ou d'un condom réduit le risque de contracter une gonorrhée, l'efficacité de cette méthode pour prévenir la transmission du VIH pendant les relations sexuelles n'est pas encore prouvée.

Le vaccin contre l'hépatite B permet de prévenir efficacement l'infection contractée selon divers modes de transmission. La vaccination est recommandée pour les voyageurs qui pourraient avoir des relations sexuelles dans des pays où le taux de séroprévalence est élevé.

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Conclusion

Les voyageurs qui ont des relations sexuelles avec plus d'un partenaire, surtout ceux qui ont des relations sexuelles avec des habitants d'un pays d'outre-mer, risquent de contracter diverses MTS, dont certaines résistent de plus en plus fréquemment aux traitements antibiotiques qui ont cours en Amérique du Nord. Les personnes qui ont des relations sexuelles non protégées, surtout avec des travailleurs et travailleuses sexuel(le)s à l'étranger, courent un risque significatif de contracter une hépatite B, une hépatite C, une infection à VIH et d'autres infections transmises sexuellement. Bien que les méthodes contraceptives de barrière soient un excellent moyen de prévention des MTS, leur efficacité n'est pas absolue. L'abstinence et les relations sexuelles monogames avec un partenaire «connu» présentent un risque beaucoup moins élevé que la plus sûre des pratiques sexuelles à risque réduit. S'il arrivait toutefois qu'une personne ait des relations sexuelles avec un nouveau partenaire, il est fortement recommandé qu'elle se fasse vacciner contre l'hépatite B et qu'elle utilise systématiquement et correctement des condoms en latex.

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Références choisies

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Source : Comité consultatif de la médecine tropicale et de la médecine des voyages

Membres : Dr S. Dumas, Dr G. Horsman (Comité consultatif de l'épidémiologie), Dr J.S. Keystone, Dr D. Lawee, Dr J.D. MacLean, Dr D.W. MacPherson (président), Dr J. Robert, Dr R. Saginur, Dr D. Scheifele (Comité consultatif national de l'immunisation), et Mme R. Wilson (CUSO). Membres d'office : Dr P. Percheson (Direction générale de la protection de la santé [DGPS], Santé Canada), Dr E. Gadd (DGPS, Santé Canada), Dr S. Mohanna (Direction générale des services médicaux, Santé Canada), Dr R. Nowak (ministère de la Défense nationale), Dr M. Tipple (Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis), Dr C.W.L. Jeanes (secrétaire), Dr J.S. Spika (Laboratoire de lutte contre la maladie [LLCM], Santé Canada), Mme S. Ladouceur (responsable du secrétariat du Comité consultatif), Dr J. Losos (LLCM, Santé Canada), et Mme S. Herman (secrétaire).

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Avertissement

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