Trois médecins politiciens essaient de vendre le message de la souveraineté pour le compte du Parti québécois

Michel Martin

Journal de l'Association médicale canadienne 1995; 152 : 1126-1127


Résumé

Trois médecins élus à l'Assemblée nationale du Québec au cours des élections provinciales de 1994 essaient de vendre les avantages de la souveraineté. Le psychiatre Denis Lazure affirme que le moment est venu pour le Québec de faire cavalier seul parce que «le Canada compte deux peuples distincts dont un n'a pas de pays». Il affirme que les expériences qu'il a vécues dans les organisations médicales l'ont amené à tirer cette conclusion. Le Dr Ed Coffey, président de l'Association médicale du Québec, conteste les conclusions du Dr Lazure.
Le Parti québécois essaie encore une fois de séparer le Québec de la Confédération et trois des politiciens qui essaient de vendre son message sur les avantages de la séparation sont des médecins. Siègent à l'Assemblée nationale depuis les élections de 1994 Denis Lazure et Camille Laurin, psychiatres, et Jean Rochon, spécialiste en santé publique et ministre de la Santé et des Services sociaux du gouvernement de Jacques Parizeau.

Au cours d'une entrevue, le Dr Lazure a déclaré que son attitude prosouverainiste émane, du moins en partie, des expériences qu'il a vécues dans les organisations médicales. Lorsqu'il était président de l'Association canadienne de psychiatrie en 1966-1967, il a conclu que «le Canada compte deux peuples distincts dont un n'a pas de pays. Nous avons chacun notre façon différente de percevoir, de planifier, d'organiser.»

Le Dr Lazure, qui a obtenu son diplôme de l'Université de Montréal en 1952, soutient qu'«à cause de sa structure actuelle, le Canada est impossible à gouverner». Pendant une entrevue au cours de laquelle il a décrit comment son gouvernement espère convaincre les Québécois de la nécessité de la souveraineté, il a déclaré que la présence du Québec dans la Confédération «nuit au Canadiens anglais qui veulent un solide gouvernement central.» Par ailleurs, a-t-il ajouté, «les Québécois veulent exactement le contraire ù limiter les pouvoirs du gouvernement fédéral.»

Sur le plan constitutionnel, dit-il, c'est l'impasse. «Même la condition minimale que constitue la reconnaissance du Québec comme société distincte prévue dans l'Accord du lac Meech est inacceptable pour les Canadiens anglais. Les Québécois doivent créer leur propre pays, doté de tous les moyens d'un État moderne.» Le Dr Lazure, qui se considère comme un «socio-démocrate engagé», a déjà fait partie d'un gouvernement péquiste. En 1978, membre du gouvernement de René Lévesque, il était chargé de créer un organisme gouvernemental pour les personnes handicapées et de mettre en oeuvre des mesures afin de les intégrer dans la société.

Beaucoup de choses ont changé depuis, déclare le Dr Lazure, y compris ce que les gens pensent de la souveraineté. Il refuse d'accepter l'hypothèse selon laquelle les Québécois rejetteront la souveraineté au cours du prochain référendum, comme ils l'ont fait en 1981. «Nous avons obtenu 45 % du suffrage populaire [au cours des élections provinciales de 1994]. Il suffit maintenant d'aller chercher 5 % de plus.» Le Dr Ed Coffey, président de l'Association médicale du Québec (AMQ), réagit avec scepticisme à ces propos (il a souligné que ses vues sont personnelles et qu'il ne parlait pas comme président de l'AMQ; l'AMQ ne prendra pas position officiellement au sujet du référendum). Le Dr Coffey affirme que le Dr Lazure, en déclarant que les Québécois veulent se séparer du Canada anglais, semble contredire les résultats d'un sondage récent au sujet de ce que les médecins pensent de l'AMQ.

«Le sondage a révélé que ce qui importe le plus pour l'AMQ, c'est de maintenir les liens avec les médecins du reste du Canada. C'est intéressant. Au lieu de rompre les liens avec le reste du Canada, comme l'a laissé entendre le Dr Lazure, ils veulent les resserrer.»

«Je pense aussi que le vote populaire au cours des élections de septembre a été très révélateur, a ajouté le Dr Coffey. Le PQ s'est mérité 44,7 % des suffrages ù 0,4 % de plus que les Libéraux. Pour moi, ces chiffres démontrent que la séparation n'intéresse pas les Québécois.»

Quant à lui, le Dr Lazure affirme que les sondages montrent que 70 % des Québécois appuient l'autonomie de la province sur le plan des lois, des impôts et du pouvoir de signer des traités internationaux. «En fait, ce sont là les éléments de base de la souveraineté, a-t-il dit. Il faudra l'expliquer aux Québécois.»

Le Dr Lazure est convaincu que la souveraineté contribuera au progrès social de la province. «Lorsque le PQ était au pouvoir, soit entre 1976 et 1985, nous avons montré une façon différente de gouverner, a-t-il dit. Nous avons lancé des services novateurs comme les soins dentaires gratuits pour les enfants et les médicaments prescrits gratuits pour les personnes âgées. Les Québécois veulent davantage de services sociaux et ils sont prêts à payer.»

En fait, les questions liées aux services de santé ont été un élément important du programme du PQ au cours des dernières élections. Le parti a soulevé des questions comme le ticket modérateur, la pénurie de médecins à l'extérieur de Montréal et de Québec et les listes d'attente en chirurgie. Le PQ a déclaré qu'un sondage effectué en 1993 par les chirurgiens généraux de la province a révélé que les périodes d'attente pouvaient atteindre 6 semaines dans les cas de chirurgie pour le cancer, 8 mois dans les cas de chirurgie élective et 18 mois dans les cas de chirurgie de jour. À Montréal, a ajouté le PQ, des patients ont attendu jusqu'à 45 jours pour subir un test de laboratoire pendant que 3 000 enfants attendaient de subir une intervention chirurgicale à l'hôpital Sainte-Justine.

Au cours de la campagne électorale, le PQ a promis de réduire de 50 % la liste d'attente et de remettre en question des compressions de 875 millions de dollars déjà prévues par le gouvernement précédent. La conjoncture économique sombre révélée récemment dans la province, dont le déficit dépasse d'un milliard de dollars le niveau prévu, pourrait toutefois affecter ces promesses. C'est le ministre Rochon, ancien doyen de la Faculté de médecine de l'Université Laval, qui devra répondre aux préoccupations des Québécois dans le domaine de la santé. Entre-temps, Camille Laurin a été nommé délégué du PQ pour la région de Montréal. Il est connu surtout pour avoir parrainé le litigieux projet de loi 101 sur la langue, alors qu'il était ministre du gouvernement péquiste.

Le Dr Coffey a déclaré que la question du référendum est un sujet de discussion populaire dans les salons de médecins. «Personnellement, je crois que s'il y a référendum, le PQ perdra, a-t-il dit. Le moment n'est peut-être pas venu de se séparer, mais il est mûr pour une foule de belles paroles et un gros battage publicitaire.»


CMAJ April 1, 1995 (vol 152, no 7) / JAMC le 1er avril 1995 (vol 152, no 7)