Journal de l'Association médicale canadienne 1995; 153 : 461-462
Quiconque rencontre le Dr Jack Armstrong pour la première fois fait face non seulement à un médecin à la voix douce et généralement optimiste, mais aussi à une personne qui a de solides convictions.
Nouveau président désigné de l'AMC, le Dr Armstrong a été interviewé en mai au moment où le Manitoba tenait des élections provinciales -- date appropriée étant donné sa participation à la médecine organisée et l'intérêt qu'il porte personnellement à l'administration locale. Réfléchissant sur le mandat d'un an qui l'attend, le Dr Armstrong a fait part de ses vues sur le rôle que joue le président dans l'Association de 45 000 membres.
«Il importe de ne pas arriver au poste avec des idées ou des attentes grandioses en pensant instaurer des changements radicaux, a-t-il dit. Il faut travailler en équipe. Mon rôle est d'essayer d'être le meilleur porte-parole possible des médecins du Canada, aux côtés des autres membres de l'équipe.»
Sa position face aux nombreux enjeux qui touchent la médecine reflète les années de travail qu'il a consacrées aux conseils et aux comités de l'Association médicale du Manitoba (AMM) et de l'AMC. Il y a peut-être encore plus important, soit que son optique a été focalisé par les 24 années qu'il a passées à pratiquer la pédiatrie dans les «tranchées» : Jack Armstrong a payé de sa personne. En bout de ligne, c'est ce qui le garde concentré sur ce qu'il y a de mieux pour ses patients.
«Lorsque je participe à des réunions pour discuter des tendances actuelles aux niveaux de la gestion ou de l'organisation, dire que nous vivons une période de changement rapide [je sais que] c'est un euphémisme. Je pense toutefois qu'il faut éviter de nous précipiter pour instaurer des changements qui ne seront pas productifs ou dans les meilleurs intérêts des patients.» Il reconnaît qu'il faut se pencher sur les réalités budgétaires d'aujourd'hui, mais il remet en question la façon dont on réduit les budgets de la santé et se demande si les provinces pourront fournir des niveaux de soins de santé de base si l'on continue de sabrer dans les budgets. Même si beaucoup de gouvernements provinciaux adoptent la démarche fondée sur les soins communautaires et le «mieux-être», le Dr Armstrong indique qu'elles pourraient agir ainsi pour justifier les compressions dans les hôpitaux et d'autres établissements de soins de santé. Il ajoute que, trop souvent, on impose des changements en légiférant avant que la communauté soit prête à s'occuper des patients.
L'examen détaillé que les gouvernements font des divers aspects des soins communautaires est une source de frustration pour le nouveau président : ces examens débouchent souvent sur l'inertie, car on ne donne pas suite aux études terminées et l'on cherche par la suite à établir de nouveaux comités pour étudier essentiellement les mêmes questions. «Il y a tellement d'études et de comités, déclare-t-il. L'argent consacré aux comités pourrait être mieux placé si on l'affectait au financement de soins de santé en particulier. Les études sont nécessaires, bien entendu, mais ces comités sont devenus une industrie en soi.»
La médecine préventive, les soins communautaires et l'utilisation d'une démarche fondée sur la santé des populations ne peuvent se réaliser simplement par la discussion, ajoute-t-il. «Il règne une certaine hypocrisie lorsque les gouvernements continuent de parler du rôle importand des facteurs déterminants de la santé et de la santé des populations pour réduire ensuite, par exemple, le financement qui vise à aider de jeunes Autochtones à faire des études afin de s'améliorer et d'agir comme chefs de file dans leur communauté tout en nous fournissant à tous des services véritables.»
Les enjeux liés à la santé des Autochtones intéressent particulièrement le Dr Armstrong, qui a adopté une fillette d'ascendance autochtone. «Une partie la plus importante du travail que j'ai fait a consisté à présider le Comité de la santé des Autochtones à l'AMM. Grâce aux membres compétents du comité, nous avons noué de meilleurs liens et amélioré la compréhension entre les peuples des premières nations et ceux qui fournissent des soins de santé aux Autochtones.»
Même si les questions autochtones l'intéressent particulièrement sur le plan personnel, les aspects de la profession médicale qui intéressent le Dr Armstrong sont très variés. La dégradation des communications entre divers professionnels de la santé est troublante, affirme-t-il, même si le phénomène découle en partie de systèmes institutionnels qui nuisent à la collaboration et à la communication. En bout de ligne, ce sont les patients qui en souffrent, car les professionnels cherchent à protéger leur territoire.
Il cite toutefois des expériences positives tirées de sa propre pratique en pédiatrie : «Il y a des gens qui savent ce qui se passe dans le cas d'un patient et [qui] partagent leurs connaissances [avec le médecin] -- il peut s'agir d'un psychologue, d'un travailleur social, ou d'un enseignant qui parle des problèmes de comportement d'une jeune personne.»
Dans la profession médicale, le Dr Armstrong est d'avis qu'il faut dissiper les craintes des étudiants et des jeunes médecins, dont le moral est bas face à l'incertitude de l'avenir. Une question persiste : on se demande s'il convient que les étudiants en médecine doivent choisir leur spécialité au début de leurs études.
La menace que représente le départ pour les États-Unis de jeunes diplômés et de médecins chevronnés le préoccupe aussi. «Il est essentiel de maintenir un bassin solide de médecins de premier recours», affirme-t-il, tout en musclant les volets recherche et activités universitaires de la médecine.
Le Dr Armstrong est d'avis que l'AMC est la mieux placée pour se pencher sur ces intérêts et ces préoccupations de la profession médicale et il parle en termes très élogieux des comités de l'Association, des médecins qui les président et y siègent, ainsi que du personnel d'appui. La régionalisation, les guides de pratique, l'éthique, la gestion des effectifs médicaux et le financement des soins de santé font partie des enjeux importants dont l'AMC s'occupe avec compétence, signale le Dr Armstrong.
La profondeur et l'envergure de l'intérêt que le nouveau président porte à la médecine se reflètent dans sa vie personnelle. Ses goûts dans le domaine de la lecture, des sports, des arts et de la musique sont éclectiques -- ses vastes intérêts peuvent découler en partie de l'époque qu'il a passée à l'université. Outre son diplôme en médecine, le Dr Armstrong a obtenu un diplôme en arts et a passé une partie de son temps, pendant ses années d'université, à travailler avec des adolescents perturbés du coeur de Winnipeg. Cette expérience est à l'origine de l'intérêt qu'il a toujours porté aux «personnes dans l'adversité».
Ses activités dans les organisations médicales ne se sont pas limitées au travail qu'il a fait à l'AMC et à l'AMM. Il a siégé au comité directeur du Réseau consultatif sur la santé créé par le ministre de la Santé du Manitoba et a été nommé récemment au conseil d'administration du Centre d'élaboration et d'évaluation de la politique des soins de santé du Manitoba. Le Dr Armstrong a aussi trouvé on ne sait trop comment le temps d'oeuvrer dans des organisations non médicales, dont Centraide et son église. Il a siégé au conseil d'administration de Centraide de la région métropolitaine de Winnipeg, ainsi qu'à plusieurs de ses sous-comités. Il a déjà présidé le conseil d'administration de l'église unie Saint-Vital.
Son épouse Glenda et lui -- ils ont deux filles -- ont aussi été une des familles fondatrices du projet Opikihiwawin, organisation d'appui aux familles qui ont adopté des enfants autochtones. L'organisation assure la liaison entre les familles et la communauté autochtone afin de les aider à mieux comprendre le patrimoine de leurs enfants et à en tirer fierté.
«Glenda m'a toujours appuyé, affirme le Dr Armstrong. Elle a laissé tomber certains de ses objectifs personnels afin de me permettre de donner suite à certains de mes intérêts. Son travail d'infirmière et sa participation [au projet] lui permettent de comprendre à fond et d'appuyer l'intérêt que je porte à la santé des Autochtones. Son intuition féminine m'a probablement aidé à prendre certaines décisions ou à comprendre certaines choses, ce que je n'aurais peut-être pu faire autrement.»
Tout en se préparant pour le Conseil général et la 128e assemblée annuelle de l'AMC à Winnipeg, du 13 au 16 août, le Dr Armstrong avait hâte d'entreprendre son mandat d'un an à la présidence avec son enthousiasme tranquille habituel. Il s'est dit frappé d'«humilité» devant la possibilité qui lui est offerte de diriger l'organisation.
La cérémonie d'investiture du Dr Armstrong aura lieu le 16 août. Le président sortant est le Dr Bruno L'Heureux, médecin de famille de Laval (Québec).