Diviser pour régner

Bruce P. Squires, MD, PhD
Rédacteur en chef

Journal de l'Association médicale canadienne 1996; 154 : 623


La réalité sans doute la plus alarmante à laquelle le gouvernement, la profession médicale et la population ont dû faire face, c'est qu'il n'y aura jamais assez d'argent pour financer tous les soins de santé que nous aimerions obtenir. Même si, par miracle, le Canada devait connaître une décennie de croissance record, les soins de santé engloutiraient une part toujours croissante du gâteau économique. En bout de ligne, nous nous écraserions une fois de plus tête première sur le mur de pierre de l'économie.

Une demande qui dépasse l'offre est une cause de tensions. Face à une dette écrasante, les gouvernements provinciaux essaient, comme on pouvait le prévoir, mais parfois de façon irrationnelle, de limiter les activités de ceux qu'ils considèrent comme la principale cause des dépenses de santé, les membres de la profession médicale. En exerçant des pressions sur la profession, les gouvernements ont révélé les fissures internes de la médecine et menacent de détruire la profession médicale telle que nous la connaissons.

Les gouvernements ont déjà essayé de déterminer où les médecins peuvent pratiquer, ce qui a eu l'effet malheureux d'aliéner les jeunes médecins, surtout lorsqu'ils croient que leurs collègues établis plus âgés ne semblent pas défendre les droits des jeunes. Si la profession ne peut appuyer tous ses membres, ce sera la scission en factions rivales.

En outre, les pressions de l'économie ont incité certains gouvernements à envisager de solliciter séparément les médecins de famille et les spécialistes. Les sollicités peuvent accueillir chaleureusement les avances de ceux qui leur font la cour en croyant à tort que des arrangements distincts rendront leur groupe plus puissant. Une telle scission ne peut toutefois que forcer les deux collèges à se chamailler au sujet de la grosseur relative de leur part du gâteau.

Il n'a jamais été aussi important pour la profession médicale que ses divers secteurs demeurent unis. Il y a des décisions très difficiles et douloureuses à prendre. Si elles sont prises individuellement par des groupes qui ont des intérêts acquis, toute la profession et les soins de santé de la population canadienne en pâtiront.


| JAMC le 1er mars 1996 (vol 154, no 5) |
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