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Des gènes et des étoiles JAMC 2000;163(4) : 383 See also: Dans sa nouvelle «Les neuf milliards de noms de Dieu », Arthur C. Clarke raconte l'histoire d'un lama tibétain qui fait appel à une société de génie informatique pour un projet qui occupe son monastère depuis 300 ans : compiler une liste de tous les noms possibles de l'Être Suprême. À la suite d'un mystérieux calcul de leur cru, les moines ont déterminé qu'il est possible d'écrire tous ces noms avec un alphabet de 9 lettres, qu'il y aura au total 9 milliards de permutations légitimes des lettres en question et que le travail prendra 15 000 ans. Or, avec un ordinateur séquentiel automatique Mark V, une génératrice diesel (que les moines utilisent déjà pour faire fonctionner leurs roues à prières) et l'aide de deux ingénieurs, la tâche pourrait être terminée en 100 jours à peine. Clarke a publié ce texte en 1953, année au cours de laquelle Watson et Crick ont créé le modèle de la double hélice. Leur création était étrangement prémonitoire du projet du génome humain, course folle qui vise à séquencer d'ici à 2005 (c.-à-d., en 15 ans et non en 15 000 ans) les 100 000 permutations humaines de l'alphabet à 4 lettres de la vie ATCG. Nous sommes presque parvenus, avant le temps et grâce à une capacité informatique permettant de séquencer 1000 lettres de notre code génétique à la seconde, à établir l'orthographe de nos molécules, les 3 milliards de paires de base sur lesquelles reposent les phénomènes physiologiques, sains ou pathologiques. Lorsqu'il ne leur reste plus que 4 jours, les ingénieurs de Clarke se rendent compte que les moines sont convaincus qu'une fois la tâche terminée, la race humaine aura terminé sa mission sur terre et que Dieu mettra tout simplement fin aux activités. Incrédules et craignant la réaction des moines lorsque l'apocalypse ne se produira pas, les ingénieurs s'esquivent pendant la nuit au moment même où l'ordinateur effectue son dernier calcul. Ils lèvent les yeux vers le ciel et le texte se termine ainsi : «Au-dessus d'eux, les étoiles s'éteignaient en silence.» On a parlé du projet du génome humain en utilisant de belles expressions comme «le livre de la vie», «le code des codes», «la carte la plus merveilleuse jamais produite par l'humanité» comme si le projet promettait de décrire définitevement ce chef-d'uvre qu'est l'homme. Francis Collins, directeur du projet, s'exprime ainsi : «Quelle forme plus puissante d'étude de l'humanité pourrait-il y avoir que lire notre propre manuel d'instructions?»1 Sur le plan philosophique, c'est un peu étrange. Personne ne veut certainement réduire l'être humain à une itération de paires de base. Or, pouvons-nous même considérer la cartographie de nos gènes comme une connaissance de soi? La Maison Blanche a annoncé (prématurément) l'achèvement du projet, mais le firmament ne compte ni moins ni plus d'étoiles. Nous allons acquérir une capacité diagnostique impressionnante, mettre au point des traitements complexes et de nouveaux médicaments, et accroître notre capacité d'eugénie : tout cela nous rendra heureux. Or, en dépit du président Clinton, le cancer ne deviendra pas un souvenir tant que les dangers environnementaux qui en sont la cause persisteront. Les fléaux du monde en développement pauvreté, malnutrition, maladies infectieuses et guerres civiles échapperont à la portée de la génétique futuriste de pointe. Au Canada, nous serons aux prises avec le rationnement, l'équité sociale et la dévolution des soins à la communauté. À cet égard, la responsabilité résidera non pas dans nos gènes, mais plutôt dans nous-mêmes. JAMC Référence
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