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Revue professionnelle
« Défi jeunesse »

CHRONIQUE JURIDIQUE
La Loi sur les jeunes contrevenants :
au banc des accusés !


Donald Bourget, avocat,
Contentieux






Qu’il suffise d’être le moindrement attentif aux différents médias pour se convaincre de l’ampleur des réactions que suscite le dépôt des amendements à la Loi sur les jeunes contrevenants (LJC)1 par le ministre fédéral de la Justice, en date du 2 juin 1994. Sommairement, les changements envisagés visent un " durcissement " de la loi dans le sens pénal ou punitif du terme (augmentation des peines maximales imposées aux jeunes contrevenants reconnus coupables de meurtre, renvoi facilité devant les tribunaux pour adultes en regard de certains crimes violents, brèche quant à la non-divulgation de l’identité des jeunes contrevenants...). Inutile d’ajouter que toutes les modifications à la loi seront analysées à la lumière de la Charte canadienne des droits et libertés2 et qu’elles peuvent, le cas échéant, être très lourdes de conséquences. Ainsi, il y a fort à parier que la durée maximale de mise sous garde continue actuellement fixée à trois ans (avec possibilité théorique de prolongation) sera augmentée, mais qu’au bout du compte, elle n’ira pas au-delà d’une période de cinq ans moins un jour afin d’éviter les procès devant juge et jury.

Des phénomènes sociaux expliquent en partie le déferlement des passions autour de cette question fort controversée, surtout dans les provinces de l’Ouest d’où viennent les critiques les plus acerbes; mais, le fait demeure qu’une certaine confusion ou incompréhension entoure la LJC et les principes qui la gouvernent.


LE PROCESSUS DÉCISIONNEL


Le 2 avril 1984, la LJC remplace la Loi sur les jeunes délinquants (LJD)3 en préconisant une approche singulièrement différente :

" L’approche de la loi est axée sur les trois principes suivants: les jeunes doivent répondre davantage de leurs actes sans être tenus entièrement responsables vu qu’ils n’ont pas encore atteint la maturité; la société a le droit de se protéger; les jeunes ont les mêmes droits que les adultes en ce qui a trait à l’application régulière de la loi et à un traitement juste et égal, et ces droits doivent être protégés par des garanties spéciales. "4

Auparavant, la défunte LJD " ... était beaucoup plus axée sur les besoins du jeune que sur sa responsabilisation par rapport aux délits qu’il commettait. "5

En vertu de la LJC, les décisions sont prises en fonction de la déclaration de principes qui se trouve bien campée à l’article 3 de la loi et qui prévoit les différents critères applicables : degré de responsabilité moindre pour les jeunes, protection de la société, besoins spécifiques du jeune contrevenant, jouissance des droits et libertés garantis par la Charte, minimum d’entrave à la liberté, primauté de l’autorité parentale... Somme toute, chaque cas est un cas d’espèce et autant que faire se peut, le juge devra rendre une décision individualisée, donc adaptée à la situation particulière du jeune contrevenant qui comparaît devant lui et ce, en déterminant parmi les critères énumérés, ceux qui sont les plus susceptibles de générer des mesures correctives (dans les deux sens du terme !) qui soient appropriées.

En fait, l’article 3 de la LJC constitue bien plus qu’un simple " préambule " malgré des contradictions apparentes dans l’énoncé des objectifs recherchés.6 À elle seule, cette disposition représente la pierre angulaire sur laquelle repose toute l’économie de la loi. Dans leur important ouvrage The Young Offenders Acts: A Revolution in Canadian Juvenile Justice, les auteurs Bala et Kirvan abordent le thème de la dualité qui existe au sein de la LJC entre les deux principaux pôles d’attraction:

" Il est manifeste qu’il existe une certaine ambivalence dans la société quant à l’attitude à adopter envers les jeunes contrevenants. D’une part, on estime que les adolescents qui enfreignent les lois pénales ont besoin d’aide pour leur permettre de devenir des citoyens productifs et respectueux des lois;

(...) D’autre part, le souci de contrôler la criminalité juvénile et de protéger la société est aussi largement répandu dans l’opinion publique.

(...) Toutefois, ... il importe également de souligner qu’elle (la déclaration de principes) représente un effort honnête pour établir un juste équilibre dans la façon d’aborder un problème social très complexe. "7

Traditionnellement, les tribunaux ont plutôt privilégié la voie de la réadaptation bien que cette tendance puisse changer. Dans la cause D.T.M. et le Procureur général de l’Île-du-Prince-Edouard, l’Honorable juge Lamer de la Cour suprême du Canada concluait en ces termes :

" Il est donc évident que la Loi sur les jeunes contrevenants ne reconnaît pas en général une proportionnalité entre la gravité de l’infraction et la sévérité des peines. Elle reconnaît plutôt la situation particulière ainsi que les besoins spéciaux des jeunes contrevenants, et elle offre aux juges un choix entre diverses peines qui n’existe pas dans le cas d’adultes. Elle vise encore principalement la réadaptation plutôt que le châtiment ou la neutralisation. "8

De même, la cour d’appel du Québec, sous la plume de l’Honorable juge André Brossard, considère que la recherche de la réadaptation de l’accusé demeure le critère prioritaire. Dans un texte fort bien documenté publié dans l’édition 1993 du Prix Charles-Coderre, les auteures Sylvie Gagnon, Josée Lalonde et Julie Tassé écrivaient ce qui suit :

" Plusieurs facteurs aident le juge dans sa recherche des besoins de l’adolescent, notamment son âge, son sexe, son caractère, son milieu familial, les gens qu’il fréquente et son adaptabilité sociale. (...) Ainsi par la notion de besoins, il faut entendre des besoins d’adaptation et de réhabilitation.

(...) Il faut par contre être prudent et ne pas outrepasser l’objectif même de la loi. La Loi sur les jeunes contrevenants n’est pas exclusivement criminelle étant donné qu’elle tente de concilier et non de hiérarchiser les besoins de l’adolescent avec protection de la société et " qu’elle substitue la finalité de la réhabilitation à celle de la punition. "10

(...) Mais il (le juge) doit aussi prendre en considération le côté pénal de la loi et répondre aux besoins de la société, c’est-à-dire, la protéger. Comme nous avons essayé de la démontrer " la protection de la société passe avant tout par la réhabilitation ".11 Notamment : " Protéger la société, c’est certes faire de la prévention pour éviter que de tels gestes soient commis mais c’est aussi lorsqu’ils l’ont été de s’assurer de retourner les accusés dans la société avec des moyens qui les rendront capables d’être des citoyens honnêtes et respectueux des lois et cela à moyen et à long terme. C’est d’ailleurs dans cette voie que la société y trouvera sa meilleure protection.12 "

Ces principes sont repris avec concision et nuances dans une décision récente de la Cour suprême qui fait déjà autorité en la matière :

" Il est vrai que, pour les adultes comme pour les mineurs, la peine doit être proportionnelle à l’infraction commise. Mais, dans la détermination de la peine de contrevenants adultes, le principe de proportionnalité est plus important qu’il ne l’est dans le cas des jeunes contrevenants. Pour les adolescents, une décision appropriée doit tenir compte non seulement de la gravité de l’infraction mais aussi des autres facteurs pertinents. (...) si le principe de l’effet dissuasif doit être considéré, il revêt une moindre importance dans la détermination de la peine appropriée dans le cas du jeune contrevenant. "13

À noter toutefois une exception législative en ce qui concerne le renvoi devant les tribunaux pour adultes alors que le critère de la protection du public prévaut sur tout autre critère (art. 16 (1.1) LJC) .

Enfin, un autre élément majeur doit être pris en considération dans le processus décisionnel comme nous le rappelle si bien l’Honorable juge Beauregard de la cour d’appel du Québec :

" Je suis d’opinion que si la loi concernant les jeunes contrevenants dispose qu’en adoptant une mesure qui entrave la liberté d’un adolescent le juge doit prendre en compte les besoins de celui-ci, cela ne signifie pas que ces besoins peuvent justifier une entrave à la liberté plus importante que si cette entrave était imposée à un adulte. "


LE DIRECTEUR PROVINCIAL


Cette dernière décision de la cour d’appel peut nous aider à comprendre pourquoi la LJC apporte parfois une réponse suffisante aux besoins du jeune contrevenant mais que trop souvent elle n’engendre qu’une solution bien partielle face à l’ensemble de ses problèmes. D’où, le phénomène de signalements faits auprès du directeur de la protection de la jeunesse (DPJ), afin qu’il prenne la relève en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), et dont l’intervention est de plus en plus souvent requise par les juges eux-mêmes siégeant en matière de jeunes contrevenants. D’ailleurs, l’article 33.3 de la LPJ prévoit, et ce n’est pas l’effet du hasard, que les fonctions du directeur provincial (DP) sont assumées au Québec, par le directeur de la protection de la jeunesse.

Dans une certaine mesure, l’écueil résulte du constat que la réponse adéquate aux besoins du jeune contrevenant ne fait pas nécessairement bon ménage avec la responsabilisation dans le sens punitif du terme (conséquence à l’acte) tel que préconisée par la LJC. Ceci dit, bien que les procédures, les règles de preuve et même la finalité des deux lois diffèrent, la LJC et la LPJ se révèlent être complémentaires dans la prise en charge éventuelle d’un jeune présentant des problèmes multiples et complexes.16

Dans un tel contexte, les attentes déçues au niveau des moyens de réhabilitation en vertu de la LJC peuvent, le cas échéant, trouver satisfaction dans l’application conjuguée des mesures de protection. En ce sens, le défi qui se pose à l’établissement et aux intervenants concernés, est de concilier l’un et l’autre des outils d’intervention dans le cadre d’une relation d’aide continue, qui en définitive, ne s’adresse qu’à un seul et même jeune, avec un ensemble de besoins, indépendamment des distinctions légales qui peuvent être faites par ailleurs.

L’ambiguïté vient en bonne partie du fait que la LJC prétend être à la fois une loi à caractère punitif et à vocation d’aide, sans être franchement ni l’une ni l’autre. Bien que la LJC se veut d’abord et avant tout une loi d’allégeance curative, il n’en demeure pas moins que la prévention ne serait-ce que de la récidive, la réponse aux besoins d’aide ainsi que l’énoncé de principe quant à la primauté de l’autorité parentale rejoignent sensiblement l’approche préconisée par sa cousine la LPJ. A cet égard, les données préliminaires recueillies par le Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant dirigé par M. Marc LeBlanc (Université de Montréal, mars 1993) établissent des liens de parenté clinique au niveau des personnes visées par l’application des deux lois.

Quoiqu’il en soit, la LJC continuera pour un certain temps encore, d’animer les discussions et de faire couler beaucoup d’encre. Mais dans la tourmente de ce choix de société qui se pose à nous, le risque est grand de perdre de vue les réels enjeux pour ceux à qui la loi s’adresse, au profit de considérations et préoccupations qui, toutes légitimes soient-elles, sont le reflet d’une société en mutation ... et aussi, il faut bien le dire, en mal de tolérance.

Enfin, dans un tout autre ordre d’idées, j’attire votre attention sur une décision récente de l’Honorable juge Omer Boudreau, Chambre de la jeunesse, cour du Québec, qui avec références jurisprudentielles et doctrinales à l’appui, " réhabilite " de façon convaincante le directeur provincial dans son pouvoir de formuler des recommandations dans les rapports prédécisionnels demandés par la cour, laquelle par ailleurs n’est pas liée par de telles opinions ou suggestions.17 Ce jugement, à saveur prémonitoire, trouve d’ailleurs écho dans le Projet de loi proposant les amendements à la L.J.C. (Art. 6 al. 3 P.L.).


NOTES


1 Loi sur les jeunes contrevenants L.R.C. (1985) ch. Y-1.

2 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, (Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982), R-V. c. (1).

3. Loi sur les jeunes délinquants S.R.C. (1970), c.j-3.

4. R.c.J. (J.T.) (1990) 2 R.C.S. 755, 779 (L’Honorable juge l’Heureux-Dubé, Cour suprême du Canada).

5. Honorable juge Isabelle Lafontaine, C.Q.J. de Montréal, le 19 janvier 1994, 500-03-000452-931.

6 R.c.V.T. (1992) I.R.C.S. 749, 765 (L’Honorable juge L’Heureux-Dubé).

7 Nicholas Bala et Mary-Anne Kirvan " The Young Offenders Act : A Revolution in Canadian Juvenile Justice " (1991), Toronto University Press, pp. 80-81.

8 D.T.M. et la Procureur général de l’Ile-du-Prince-Edouard (1991) 1 R.C.S. 252, 271.

9 M.S.c.R. : Cour d’appel du Québec, (no500-08-000012-916), Honorables juges Rothman, Brossard et Proulx J.C.A., 7 août 1991, p. 2.

10 Protection de la jeunesse - 439 (1990) R.J.Q. 1506, 1509.

11 Protection de la jeunesse - 580 (1992) R.J.Q., 2964, 2968.

12.Protection de la jeunesse - 571 J.E. 92-1416 p. 23 (C.Q.J.).

13 R.c.M. (J.J.) (1992) 2 R.C.S. 421, pp. 431-432 et 434.

14 R.c.N. (E.) (1990) 68 C.C.C. (3d) 574, 576.

15 Loi sur la protection de la jeunesse L.R.Q. - ch. P-34.1.

16 Honorable juge Isabelle Lafontaine, C.Q.J., (op. Cit. Note 5).

17 Honorable juge Omer Boudreau, C.Q.J. de Montréal, le 12 novembre 1993, 500-03-001495/1581/1587-93.