Conseil multidisciplinaireRevue professionnelle
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Robert Dubuc, psychoéducateur DSRA Suzanne Gagnon, criminologue DPJ |
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Cet article est le premier d'une nouvelle chronique de la revue. Il vise avant tout à définir ce qu'est l'éthique et à démontrer comment elle fait partie de notre quotidien. Dans les prochains numéros nous aborderons de façon plus substantielle des situations éthiques qui auront fait l'objet d'une réflexion en comité multidisciplinaire.
DE L'ÉTYMOLOGIE AU CODE D'ÉTHIQUE
L'éthique est un terme souvent galvaudé auquel on donne parfois une définition qui s'apparente à celle du mot déontologie. Pour bien saisir la différence entre l'éthique et la déontologie, quoi de mieux que l'étymologie. Le mot éthique prend sa racine du terme grec ethikos ou ethike de ethos qui se traduit par moeurs. Pour sa part, le terme déontologie se définit par la racine du grec deon ou deontos qui signifie devoir ou ce qui convient et logos pour discours. De façon concrète il s'agit en ce qui concerne la déontologie, de la théorie des devoirs comparativement à la science de la morale pour ce qui est de l'éthique. Si la déontologie est associée à une norme, à une règle, à un devoir, l'éthique est à toute fin pratique la réflexion qui a amené cette norme, cette règle ou ce devoir. L'éthique est rattachée aux valeurs et aux attitudes. Elle s'actualise par des comportements qui sont issus de nos valeurs morales. Selon Hurteau (1993):
D'où nous proviennent ces valeurs? La première à laquelle nous sommes confrontés, c'est la valeur vitale. Tout être humain recherche la sécurité personnelle, les moments de plaisir et tout ce qui peut lui permettre de répondre à ses besoins fondamentaux. Dans les premières années de notre existence cette recherche est inconsciente. En effet, nous ne pouvons pas relier les sentiments vécus aux gestes posés car aucune activité cognitive ne nous permet de faire cette association. Par la suite, plusieurs autres classes de valeurs se retrouvent sur notre chemin; ce sont les valeurs économiques, affectives, intellectuelles, esthétiques, juridiques et sociales de même que celles religieuses. Notre système de valeurs puise ses références dans la famille immédiate pour ensuite s'inspirer de la famille élargie, des amis, de l'école et de la société en générale. Il ne faut pas sous-estimer le rôle des médias, que ce soit la presse écrite ou électronique, car ils ont une influence considérable dans le mode de vie préconisé par les gens. Au fil des années, l'homme reçoit du monde extérieur des stimulations qui viennent ébranler son système de valeurs. Il doit donc y apporter les changements qui lui semblent opportuns pour vivre en harmonie avec lui-même et par le fait même avec les gens qui l'entourent. Les valeurs ont donc deux fonctions principales. Elles permettent la socialisation et elles donnent un sens à la vie. L'homme est enclin par sa nature à porter des jugements de valeurs, et il est important d'en reconnaître la provenance. Nous en dénombrons cinq sources, dont la première est la religion. Par exemple, les gens vont proclamer que l'avortement est illégal simplement parce que le Vatican maintient cette assertion. La deuxième est associée à l'opinion publique. Elle permet aux gens de justifier leurs valeurs en s'appuyant sur ce que la majorité des gens en disent. La troisième se rapporte aux sentiments et aux goûts; elle est intangible et relative car ce qui est beau pour une personne ne l'est pas nécessairement pour une autre. La quatrième fait référence à la conscience, et comme les trois précédentes, elle est subjective. Elle implique que certaines personnes basent leurs jugements de valeurs en référant à leur conscience (connaissance sur le moment de sa propre activité psychique). Par exemple, dans le cas d'Hitler, sa conscience lui dictait d'exterminer les juifs, car il les considérait comme une race inférieure. La cinquième source est la raison. C'est la seule source à être objective, elle se base sur des faits observables et vérifiables et s'appuie sur des connaissances acquises par la recherche. Les établissements publics comme les Centres jeunesse de Montréal doivent faire connaître les valeurs qu'ils préconisent et qui sous-tendent leurs interventions. Pour ce faire, ils doivent les formuler à l'intérieur d'un code d'éthique. Le législateur a d'ailleurs prévu dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chap.42) l'obligation d'adopter un tel document. L'article 233 se lit comme suit: «Tout établissement doit se doter d'un code d'éthique qui indique les droits des usagers et les pratiques et conduites attendues des employés..» (p.71) Il existe plusieurs raisons qui ont conduit le gouvernement à préconiser l'imposition d'un code d'éthique dans les établissements. C'est un document qui permet une réflexion collective, qui amène à un rapprochement des valeurs et qui favorise leur cohésion. Il sert aussi à informer et à sensibiliser les gens sur les valeurs prônées ainsi que sur les attentes du milieu à leurs égards. Enfin, il encourage l'autodiscipline et il améliore la qualité de services rendus aux usagers. Il ne faut pas oublier que les usagers doivent recevoir des services de qualité, en ce sens, les fonctions d'un code d'éthique, sont de réveiller le sens moral des intervenants et de faire appel à leur sens du devoir. Il permet aussi à ceux qui oeuvrent à l'intérieur de l'organisation de se remémorer les droits des usagers. Enfin, le code d'éthique permet à l'employé de proclamer son engagement moral et il est un point de repère en cas de dérogations. Les documents légaux qui servent de points d'appui à un code d'éthique sont nombreux, mentionnons : les Chartes des droits et droits et libertés de la personne du Canada ainsi que du Québec, le Code civil du Québec, la Loi sur la protection du malade mental, la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur les services de santé et les services sociaux, la Loi sur la protection de la jeunesse, la Loi sur les jeunes contrevenants et tout autre loi susceptible d'avoir un impact sur la qualité de vie des usagers.
L'ÉTHIQUE AU-DELÀ DES CODES
Même si, depuis des siècles, on tente de régir l'éthique à l'intérieur de guides et de codes, ces guides paraissent impuissants à résoudre toutes les questions qui surgissent devant les développements importants de la science, notamment en biotechnologie et en génétique. Cette difficulté s'accentue dans un contexte économique défavorable où des priorités doivent être établies. Se préoccuper d'éthique implique donc d'aller au-delà des codes pour parler de ce qui se cache derrière ce mot, c'est-à-dire de valeurs et de responsabilités. À la simple lecture de l'actualité, nous pouvons constater que peu de programmes ou de projets privés ou publics peuvent être présentés sans éveiller l'attention à des valeurs ou des croyances sous-jacentes aux actions proposées. C'est souvent l'occasion d'un débat sur les principes qui devraient guider ou orienter l'action.Ces débats se retrouvent de plus en plus à tous les paliers de notre administration publique, du bureau du premier ministre d'où émergent les grandes orientations à celui du gestionnaire et de l'intervenant qui doivent voir à l'application des mesures. L'angle sous lequel nous abordons les différents problèmes amène aussi une vision très variée de la priorisation des valeurs qui sous-tendent les décisions. Prenons par exemple, une situation qui nous a tous interpellés : les fameuses taxes sur les cigarettes. Qui n'a pas, à un moment, ou à un autre, confronté ses propres valeurs à l'intérieur des grands débats sociaux suscités par cette problématique. Que la question soit abordée d'un point de vue santé publique, lutte à la contrebande ou économique, des valeurs différentes et parfois contradictoires sont mises en évidence. La décision très politique des parlementaires de baisser les taxes pour résoudre une dimension légale et économique du problème fut prise en opposition avec les recommandations du ministère de la Santé et des Services sociaux qui estimait que la santé, particulièrement chez les jeunes, pouvait être grandement compromise par cette action. Il n'est pas rare qu'au niveau politique, les décisions soient influencées par la pression populaire et par des groupes d'intérêt qui mettent le focus sur certaines valeurs au détriment d'autres. La notion d'analyse éthique devient donc particulièrement importante en matière d'allocation des ressources, surtout lorsque ces ressources sont restreintes et imposent le choix de priorités. Les plans d'action se doivent d'être élaborés après que soit examiné l'ensemble des problématiques, tenant compte non seulement des besoins répertoriés et des attentes mais aussi sous l'angle de l'équité et de l'efficience. Que de débats éthiques risquent de surgir dans ce contexte pour obtenir la cohérence entre ce en quoi l'on croit et ce que l'on fait.La gestion n'est pas exempte d'implication éthique, malgré les codes, les normes et les procédures élaborés par les établissements pour baliser l'action et préciser un certaine nombre de paramètres qui facilitent le jugement et la décision dans les situations les plus fréquentes. Prenons par exemple, un responsable d'unité qui a le choix
pour l'attribution d'un poste dans un secteur où les communautés
culturelles sont peu représentées, entre une personne immigrée
et un candidat dont la productivité serait plus immédiate et
plus sûre. Dans ce cas, plusieurs valeurs sont en cause pour
déterminer le meilleur candidat et ce qui est certain, c'est que
le gestionnaire doit pouvoir rendre compte de son choix sur une
base de valeurs privilégiées.Dans nos établissements, le
personnel clinique, administratif ou de soutien est aussi
régulièrement confronté à des situations éthiques de plus en
plus complexes et pour lesquelles il n'existe pas toujours de
réponses simples. Les exemples abondent, ils sont de diverses
natures et impliquent souvent un grand nombre de partenaires:
clients, intervenants, gestionnaires, directions et conseils
d'administration, dans la recherche des solutions. En voici un
aperçu: Nous pourrions poursuivre pendant plusieurs pages l'énumération de situations où le raisonnement éthique est mis à contribution, et il n'est pas toujours facile de déterminer toutes les valeurs qui sous-tendent notre évaluation. Pourtant, qu'elles soient de nature affectives, intellectuelles, esthétiques, économiques, juridiques, sociales ou religieuses; ces valeurs auront à être confrontées et priorisées pour appuyer nos décisions. C'est en confrontant notre système de valeurs à celui des autres qu'il sera possible de découvrir de nouvelles avenues pour que l'éthique soit non seulement dynamique mais aussi dynamisante.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. BOURGEAULT, G. et al. L'éthique professionnelle. Réalités du présent et perspectives d'avenir au Québec. Cahier de recherche éthique 13. Rimouski, Fides, (1989). 2. Échange. Bulletin de liaison produit par l'office des ressources humaines. Gouvernement du Québec. vol.9, no1, février 1993. 3. EMPAIN, L. Vers une nouvelle éthique... Paris, Éditions du Jour, 1973. 4. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. Loi sur les services de santé et les services sociaux. Québec. L.R.Q. Chap. S-5. 1989. 5. HURTEAU, M. Compte rendu du colloque annuel de la société canadienne en évaluation. (mai 1992). Ottawa, 1993. 6. MEHL, R. Les attitudes morales. Paris, P.U.F., coll. SUP, 1971. 7. MOESSINGER, P. La psychologie morale. Paris, P.U.F, 1989. 8. MORAZAIN, A. et PUCELLA, S. Ethique et politique. Des valeurs personnelles à l'engagement social. Montréal, Éditions du renouveau pédagogique inc, 1988. 9. VATTIER, G. L'action éducative en milieu ouvert. Recherche d'une éthique. Paris, Les Éditions sociales françaises, 1968. 10. EYO, M., Ethics and economics in health resource allocation administration health science medecine. Université d'Ottawa, 1993.
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