Conseil multidisciplinaireRevue professionnelle
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Chantal Fredette M.Sc en criminologie, Université de Montréal |
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Nombreux sont les chercheurs qui se sont penchés sur le phénomène des gangs et sur les méthodes d’intervention à privilégier à l’égard des adolescents qui en font l’expérience. Aucun consensus n’est toutefois établi quant à la définition de gang, membres de gang et incidents de gang, quant aux causes du phénomène et, encore moins, quant aux méthodes d’intervention appropriées à l’endroit des jeunes membres. Bien que la dissidence existe depuis que l’on s’intéresse à la problématique, tous s’entendent néanmoins pour reconnaître que le gang est un support important aux conduites criminelles et violentes et que celles-ci apparaissent précocement et persistent dans la trajectoire de vie des jeunes membres qui accumulent de nombreux déficits personnels et sociaux (Goldstein, 1993; Lanctôt, 1995). Le gang leur sert alors de modèle social et les aide à se construire une identité. Or, Goldstein (1991) affirme que le membre d’un gang n’acquiert jamais véritablement sa propre identité. Afin de conserver l’approbation des pairs, celui-ci doit faire de nombreux sacrifices afin que ses besoins, ses désirs, ses pensées et ses actions soient compatibles avec ceux du gang, sinon il risque d’être exclu. Dans ce contexte, il est possible d’envisager que les relations qu’entretient l’adolescent avec les membres de son gang puissent compromettre sa réadaptation, en jouant notamment un rôle dans sa résistance au changement. S’il apparaît facile d’exclure le garçon de son gang, il s’avère certainement difficile d’effectuer l’inverse, soit de " sortir le gang du garçon ". Pourtant, très peu d’études portent sur les réactions des adolescents membres de gangs suivis en centre de réadaptation et leur adhésion au programme d’intervention offert. Celles effectuées proviennent des États-Unis et se limitent généralement à des études descriptives concernant les caractéristiques des membres de gangs composant la population des centres correctionnels juvéniles et adultes. Dans le cadre de ses travaux, Knox (1994) constate néanmoins que l’affiliation au gang persiste en milieu de détention ou de réadaptation. Parce qu’il est activement engagé dans son gang, qu’il est prêt à tout pour défendre ses couleurs et qu’il risque conséquemment d’être confronté à d’autres membres de gangs alliés ou rivaux lors de sa détention, l’auteur suggère que le contrevenant poursuive sa participation au gang. Ainsi, la présence de plusieurs gangs dans les milieux correctionnels généreraient des problèmes similaires à ceux relevés dans la rue tels le recrutement, les vols, le trafic des stupéfiants et la violence inter-gang. Bien que les écrits en la matière portent presque exclusivement sur les gangs dans les institutions pour adultes, des études révèlent qu’il est possible d’effectuer un parallèle réaliste avec les difficultés causées par les adolescents membres de gangs suivis en centre de réadaptation (Knox, 1994). Il est ainsi possible d’envisager que les jeunes membres tenteront de maintenir la cohésion du gang en répondant toujours, lors du placement, à un système de normes sous-culturelles qui gère leurs pensées, leurs émotions et leurs comportements puisqu’ils n’en connaissent aucun autre ou le privilégient. Les garçons sont donc loin d’être exclus des influences du gang qui représentent les balises de leur fonctionnement. Bien qu’il existe, selon Knox (1994), des différences entre les conflits inter-gangs au sein des institutions adultes et juvéniles, l’auteur affirme qu’on ne peut nier les risques que peuvent occasionner les gangs dans les centres de réadaptation pour mineurs et, encore moins, l’impact de leur violence sur les autres bénéficiaires ou le personnel en présence. Bien qu’un nombre restreint d’auteurs se soient intéressés à la réadaptation des adolescents membres de gangs, les programmes d’intervention ne sont toutefois pas spécifiquement adaptés à eux. Les approches préconisées sont essentiellement les mêmes que celles utilisées auprès des adolescents en difficulté, sans égard à leur participation à un gang. Or, si certaines mesures se révèlent aptes à répondre aux carences individuelles, comportementales et sociales de l’adolescent membre d’un gang, d’autres peuvent s’avérer tout à fait inutiles. Pourtant, aucun modèle d’intervention, à l’exception du programme Aggression Replacement Training (ART) de Goldstein et Glick (1994), n’envisage d’utiliser le gang comme outil clinique. Le programme ART se base sur les principes d’intervention proposés par l’approche cognitivo-comportementale et suggère d’utiliser l’orientation grégaire des adolescents membres de gangs afin de leur permettre de reconnaître et de discerner les forces influentes du gang sur leur mode de vie. L’expérience de praticiens américains et un taux substantiel de recherches empiriques révèlent l’efficacité prometteuse d’une telle approche auprès des adolescents impliqués dans des activités de gangs ou à risque de l’être (Goldstein, 1993; Goldstein et Glick, 1994). Les stratégies cognitivo-comportementales touchent simultanément l’individu et son environnement. L’intervention vise à diminuer la probabilité de répétition des agirs antisociaux et à favoriser l’émergence de conduites prosociales en modifiant simultanément l’environnement, les cognitions, les émotions et les comportements du contrevenant. L’analyse des excès et des déficits, le contrat comportemental, les auto-observations, la restructuration cognitive, l’enseignement aux habiletés sociales, l’entraînement au contrôle de soi, à la gestion de la colère, à la résolution de conflits et au développement du raisonnement moral de l’adolescent de même que la prévention de la récidive sont autant d’outils cliniques favorisés par l’approche cognitivo-comportementale.
LA RÉADAPTATION DES ADOLESCENTS MEMBRES DE GANGSUne étude effectuée au Centre de réadaptation Cartier à Laval
C’est dans le cadre d’une maîtrise avec stage en intervention à l’École de criminologie de l’Université de Montréal qu’une récente étude a été menée afin d’approfondir les connaissances quant à la nature de l’impact du gang sur le fonctionnement et l’engagement au programme d’intervention des adolescents en difficulté suivis en centre de réadaptation. La problématique a été abordée à travers quatre questions spécifiques: l’association à un gang a-t-elle un impact sur l’adhésion aux programmes d’intervention offerts ? La présence de membres de gangs alliés ou rivaux dans l’unité de vie et au centre de réadaptation peut-elle compromettre les stratégies d’intervention effectuées à l’endroit des adolescents ? Les membres de gangs nécessitent-ils des modalités d’intervention particulières tenant compte de leur affiliation et de leurs caractéristiques personnelles, comportementales et sociales? Les outils cliniques proposés par l’approche cognitivo-comportementale représentent-ils des stratégies d’intervention efficaces à l’endroit des membres de gangs suivis en centre de réadaptation ? Cette étude a été réalisée lors d’un stage en formation clinique d’une durée de huit mois (janvier à août 1996), en raison de trois jours par semaine en moyenne et ce, au module La Frontière du Centre de réadaptation Cartier à Laval où s’y expérimentait un programme spécialisé pour les adolescents violents. Le projet était supervisé par monsieur Jean Proulx, professeur à l’École de criminologie et chercheur au Centre international de criminologie comparée (CICC). Les procédures recommandées par les méthodes d’intervention cognitivo-comportementales étaient alors privilégiées.
L’échantillon
L’échantillon est composé de cinq adolescents âgés de quinze à dix-sept ans, côtoyant un gang et ayant été suivis au module La Frontière du Centre de réadaptation Cartier de Laval en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. La durée de leur séjour s’échelonne d’un à sept mois. Notons que la durée du séjour ne représente pas nécessairement l’ordonnance émise par la Chambre de la Jeunesse à leur égard mais bel et bien la période où ces adolescents ont séjourné au module. En effet, quatre des cinq adolescents se trouvaient en mise sous garde provisoire et en attente de transfert suite à l’émission de leur ordonnance. Un seul garçon s’y trouvait afin de se conformer intégralement à son ordonnance de mise sous garde fermée. Tous les adolescents possédaient des antécédents judiciarisés et n’en étaient pas à leur première mise sous garde. Les délits reprochés aux garçons allaient de l’omission à comparaître, d’entraves aux agents de la paix, de méfaits, de vols à l’étalage, de vols qualifiés, de possession d’armes, de menaces de mort, de voies de fait simples ou graves jusqu’à l’évasion. En ce qui concerne ce dernier élément, notons que trois des garçons se sont évadés de l’institution au cours de la période de cueillette de données. Les adolescents proviennent de divers groupes ethniques, soit québécois, haïtien, latino-américain et marocain et sont tous francophones. Trois des garçons sont nés hors Québec et y ont immigré entre l’âge d’un an et demi et neuf ans. La majorité des adolescents (3/5) proviennent de familles monoparentales (1/3) ou recomposées (2/3). Tous les participants ont complété leurs études primaires et fréquentent l’école secondaire, mais aucun d’entre eux n’avait encore complété son secondaire III.
La cueillette de données
Les données proviennent de trois principales sources, soit l’observation participante, les discussions avec les membres de l’équipe modulaire et les autres intervenants au dossier (délégués à la jeunesse, travailleurs sociaux) ainsi que les entrevues hebdomadaires d’une heure environ. Ces différentes démarches ont permis l’élaboration des histoires de vie des garçons. Les contenus explorés touchaient la famille, l’école, les pairs, l’engagement au gang, les interventions antérieures et actuelles entreprises et le séjour au centre de réadaptation. L’élaboration des histoires de vie a permis: de dresser le profil personnel, comportemental et social des garçons; de dresser un portrait cognitif, affectif et comportemental de leur adaptation de base et leur fonctionnement dans l’unité de vie, leur participation aux activités et la nature de leurs relations interpersonnelles (adultes et pairs) entretenues à l’unité de vie; d’identifier l’impact de leur environnement immédiat ou extérieur (contacts téléphoniques, visites) sur leur fonctionnement et leur adoption des comportements prosociaux dans l’unité de vie; d’identifier l’impact comportemental, cognitif et émotif de leur association au gang sur leur mode de fonctionnement; d’identifier leurs perceptions en lien avec leurs comportements prosociaux et antisociaux, leur participation au gang et les motifs de leur mise sous garde; d’explorer les avantages et les désavantages de demeurer au sein du gang et de le quitter; d’explorer les alternatives afin de combler leurs besoins, outre que par leur participation au gang et par l’adoption de comportements déviants; de dresser un portrait de leur niveau d’engagement dans la démarche clinique cognitivo-comportementale proposée; et d’identifier et d’explorer leurs perceptions entretenues à l’égard d’autrui (adultes et pairs) et des interventions effectuées à leur égard.
LES RÉSULTATSLe gang de rue et l’étendue de son pouvoir : une solidarité stupéfiante
Les résultats révèlent que de sérieux problèmes sous-tendent les interventions effectuées à l’endroit des adolescents membres de gangs suivis en centre de réadaptation. Les histoires de vie laissent supposer que l’association au gang influence le mode de fonctionnement des adolescents qui y participent et compromet leur réadaptation. Notons cependant que ce n’est pas en soi le gang qui semble influencer le fonctionnement ou l’engagement aux activités offertes mais plutôt ce qu’il implique, notamment le respect du code d’honneur qui détermine les pensées, les comportements et les réactions des membres de gangs. Sachant que le gang possède une influence importante sur la formation de l’identité de l’individu, la loyauté, le respect et la conformité aux demandes et aux pressions des pairs permettent aux adolescents de maintenir leur image et leur statut. Alors que la majorité des jeunes réussissent à se détacher et à se distinguer progressivement du groupe de pairs afin de terminer leur propre quête identitiaire, le membre d’un gang y arriverait difficilement. À l’instar de Goldstein (1991), les résultats découlant de l’élaboration des histoires de vie des garçons suivis au Centre de réadaptation Cartier soutiennent que l’adolescent membre d’un gang est rapidement engagé dans un processus de désindividualisation, où l’image collective octroyée par le gang submerge son individualité. Une image et un statut qu’il doit constamment défendre et protéger puisque toute humiliation met en cause, et l’individu lui-même, et le gang auquel il est associé. L’ensemble des désirs, des besoins, des motivations et des émotions du membre doivent donc être compatibles avec le gang auquel il adhère. Ainsi, le gang possède une influence considérable sur le mode de fonctionnement individuel de l’adolescent qui semble se sentir " quelqu’un " uniquement lorsqu’il y est associé. Puisque les garçons n’ont plus d’accès direct aux individus qui les personnifient lorsqu’ils sont en centre de réadaptation, ils reproduisent alors, afin de sauvegarder leur identité, les mêmes schèmes comportementaux en s’associant et en s’identifiant aux pairs les plus négatifs et les plus perturbateurs qui sont généralement, mais non exclusivement, des membres de gangs alliés ou rivaux. Ces derniers présentent des similarités avec l’environnement criminogène d’origine des garçons. Ceux-ci recréent alors, à l’intérieur même de l’institution, un environnement le plus identique que possible à celui dans lequel ils évoluent à l’extérieur, soit la culture de gang et le style de vie qui s’y rattache. Ainsi, pour le jeune membre, quitter le gang et ses influences ne signifie pas uniquement se départir d’un style de vie mais perdre également sa propre identité. C’est dans cette perspective qu’il est possible d’envisager que l’association à un gang influencera, de prime abord, le fonctionnement et l’engagement du membre suivi en centre de réadaptation. L’étude amène cependant un éclairage nouveau sur l’impact de la présence de pairs alliés ou rivaux sur une même unité de vie. Bien que la coalition aux pairs alliés n'eût présenté aucun doute, l’association aux membres rivaux étonne. L’analyse des histoires de cas des garçons révèle le développement d’une solidarité, bien que superficielle, entre les protagonistes lors de leur séjour commun. En effet, malgré les intimidations sournoises, ils évitent toute confrontation directe et sont même prêts à se compromettre afin de respecter le code d’honneur des gangs. Les adolescents entretiennent alors avec les pairs auxquels ils sont associés une importante solidarité et ce, même avec les membres de gangs rivaux. Ils conservent ainsi leurs attitudes antisociales afin de maintenir leur image de gangster et la réputation qu’ils ont acquise à l’extérieur de l’institution de même que leur façon d’agir, de penser et de ressentir encouragée par le mode de vie cautionné par le gang. Les adolescents s’engagent dans une sorte de jeu afin de déterminer lequel d’entre eux sera le plus respecté par le groupe. À cet effet, les garçons ont extrêmement besoin de l’approbation et de l’admiration des pairs présents au module comme s’ils ne vivaient que pour le regard d’autrui. Par ailleurs, bien que les garçons soient, de prime abord, intimidés par la présence d’un membre ennemi dans l’unité, ils finissent par s’y associer. Tout se déroule comme s’il y avait un sursis des hostilités lors du séjour. Les protagonistes créent alors une solidarité afin d’éviter le regard et la surveillance de l’adulte, s’intimidant uniquement à son insu. Par contre, les adolescents reconnaissent qu’il peut en être autrement lorsqu’il s’agit d’un membre rival suivi dans un autre module. Bien qu’ils évitent toute exposition, les garçons sont beaucoup plus prudents et à l’affût des signes d’agression. Bien que la présence de membres rivaux dans d’autres modules de vie puisse aussi influencer négativement le fonctionnement et le niveau d’engagement des adolescents, elle crée une pression de même nature que celle des pairs alliés qui se trouvent toujours à l’extérieur. Contrairement à ce que l’on pourrait prétendre, la pression semble effectivement provenir davantage des pairs étant à l’extérieur de l’institution plutôt que des membres ennemis suivis à l’unité de vie ou au centre de réadaptation. À l’exception d’un seul garçon, les adolescents rencontrés au module La Frontière gardent tous contacts avec les membres du gang qui sont à l’extérieur de l’institution. Ces derniers vérifient constamment, soit de façon directe (en entrant eux-mêmes en contact avec les garçons) ou indirecte (en se servant d’intermédiaires tels une amoureuse ou un membre de la fratrie), de l’évolution des adolescents et s’assurent que ces derniers sont toujours fidèles au groupe afin, semble-t-il, de maintenir la cohésion du gang au cours du placement et d’éliminer toute menace de dissolution. Ils discréditent alors les interventions effectuées par les intervenants, cautionnent les agirs antisociaux et tiennent constamment les garçons au courant de ce qui se passe à l’extérieur. Ces derniers, ainsi, s’assurent de respecter le code d’honneur du gang afin de ne pas s’exposer, à leur libération, aux risques d’agression pouvant suivre la violation des normes sous-culturelles. Le gang possède donc autant d’influence sinon davantage, considérant les risques de désaffiliation beaucoup plus élevés puisque le membre est directement confronté aux influences réformatrices (Mailloux et Lavallée, 1964). Les garçons sont, de toutes parts, la proie d’intimidations et de menaces face auxquelles ils réagissent en conservant leurs attitudes antisociales afin de se protéger. Heureusement, nous sommes certainement encore bien loin des problèmes que pose la guerre des motards dans les institutions carcérales pour adultes. Or, bien qu’en apparence plusieurs gangs semblent coexister au sein des centres de réadaptation, les résultats découlants des histoires de vie des garçons rencontrés à Cartier montrent que la coexistence semble davantage superficielle afin de tromper les adultes et d’assurer à chacun un séjour conforme et sans problème. Bien qu’il existe certainement une différence entre les conséquences institutionnelles dues aux conflits opposants les Hell’s Angels aux Rock Machine par exemple, et ceux des gangs " juvéniles ", il n’en demeure pas moins, en accord avec Knox (1994) et Klein (1995), que le problème existe. La poursuite du membership semble causer notamment un sentiment d’insécurité chez les adolescents membres de gangs affectant ainsi leur fonctionnement. En conséquence, ils refont entre autres leur territoire en apposant des graffitis sur les murs de leur chambre ou des salles communes et en s’intimidant, à l’insu du personnel, par des menaces verbales ou non verbales. La défense du territoire en institution demeure néanmoins symbolique (Knox, 1994). Il n’en reste pas moins que l’adolescent membre d’un gang peut être tenté d’y contrôler les ressources en recréant son propre réseau, ce qui équivaut alors à protéger sa propre réputation et celle de son gang, comme s’il souhaitait passer le message aux autres qu’il y est encore fidèle. Bien que l’étude effectuée au Centre de réadaptation Cartier ne permette pas de conclure que les attitudes des membres de gangs diffèrent des adolescents qui n’en ont jamais fait l’expérience, les données en découlant révèlent toutefois que ces attitudes présentent des caractéristiques particulières associées au mode de vie encouragé par la culture de gang. Les résultats soulèvent également que la présence des membres de gangs alliés ou rivaux influencent de façon importante le fonctionnement des garçons. Or, il importe de préciser que les pairs les plus perturbateurs et négatifs du groupe, sans distinction pour leur appartenance ou non à un gang, influencent également le comportement des adolescents. Ainsi, si les pairs auxquels ils sont associés s’impliquent positivement dans la vie de groupe et les activités offertes, les garçons feront de même. Dans le cas contraire, ils discréditent l’ensemble des actions effectuées à leur égard et contaminent carrément la vie de groupe dans l’unité. Les efforts cliniques fournis à leur endroit risquent d’être compromis par la pression négative des pairs auxquels les garçons se sont affiliés (résistance, discréditation, hyperactivité, impatience, déconcentration). La réaction des garçons dépend donc énormément du regard des pairs de même que de leur approbation. En somme, les adolescents membres de gangs réunissent un ensemble de caractéristiques qui compromettent leur réadaptation, tant au niveau personnel, comportemental que social. L’analyse des histoires de cas rapporte que ces adolescents accusent de sérieux déficits, amplifiés et supportés par le contexte de gang dans lequel ils évoluent. Dès leur pré-adolescence, les garçons construisent leur identité en fonction des pairs qu’ils côtoient et du style de vie qui leur est offert. En centre de réadaptation, ils recréent alors le milieu de vie qui les sécurise et qui les personnifie puisqu’il représente les balises au sein desquelles s’est effectuée leur évolution personnelle et sociale. Par ailleurs, afin d’assurer la cohésion du gang, les membres sont assujettis à un système de normes sous-culturelles qui détermine leurs conduites, leurs pensées, voire même leurs émotions. Ces mêmes règles sont toujours respectées lors de leur séjour. Ainsi, même au centre de réadaptation, le gang possède un impact important sur le mode de fonctionnement des adolescents qui sont loin d’être exclus de ses influences criminogènes et de son emprise.
UNE DISCUSSION - LA FORCE DE NOS ACTIONS : COMPRENDRE ET AGIRQuelques pistes d’intervention à privilégier auprès des membres de gangs
Il est peut-être, à première vue, justifié d’être pessimiste quant à la réadaptation des adolescents membres de gangs. Or, sans minimiser les difficultés, les chances de réussite peuvent certainement être augmentées si les façons d’aborder le problème sont redéfinies. D’abord, des mécanismes d’identification doivent être élaborés pour reconnaître et comprendre les différents types de gang et de membre, leurs activités et la nature de leur cohésion. Afin d’agir efficacement, une connaissance adéquate de la nature de la problématique dans son ensemble, dont l’impact global qu’elle a sur la vie des jeunes qui y sont confrontés, est aussi nécessaire, voire primordiale. Ensuite, l’émergence de techniques spécifiques et adaptées aux membres de gangs doit nécessairement être favorisée puisque si certains programmes s’avèrent efficaces pour la prévention, le contrôle et le traitement de la délinquance en général, elles peuvent s’avérer totalement inefficaces, voire même néfastes, lorsqu’il s’agit d’intervenir auprès des gangs (Goldstein, 1993; Klein, 1995).
Les individus et les gangs
En conjonction avec les résultats émanants de la littérature, l’étude menée au module La Frontière montre que l’intervention de réadaptation auprès des adolescents membres de gangs doit s’articuler en fonction de leurs caractéristiques individuelles, de leur engagement à un gang et de la signification pour eux de cette affiliation. De prime abord, toute action clinique doit fondamentalement permettre au garçon de se reconstruire en tant qu’individu et d’identifier l’influence du gang sur sa vie. En rencontre individuelle, il faut permettre aux adolescents de ventiler sans jugement ni morale et, surtout, sans discréditer le gang afin de briser la loi du silence qui est certainement l’un des premiers obstacles aux interventions. Afin d’approfondir les connaissances sur la nature de l’engagement du garçon de même que la signification du gang pour lui, l’intervenant doit le faire parler. Or, pour une variété de raisons (protection personnelle, méfiance face à l’adulte, anxiété d’être identifié comme un membre actif d’un gang ou un délateur, peur des représailles), les informations transmises par les adolescents peuvent être incongruentes, minimisées ou exagérées (Goldstein, 1991). Il faut pourtant leur permettre de verbaliser afin de travailler honnêtement la dimension du gang. La présentation de bandes audiovisuelles concernant la culture de gang suivie d’une discussion de groupe axée sur les avantages et les désavantages de ce style de vie représentent certainement de bonnes méthodes de ventilation. D’autre part, compte tenu des craintes et des besoins communs identifiés par les adolescents, il est sans doute valable de confronter les discours des membres des gangs rivaux et alliés afin de leur permettre de réaliser que peu importe de quel côté ils se trouvent, ils vivent sensiblement les mêmes expériences et sont confrontés aux mêmes réalités. Considérant toujours que l’intervenant puisse faire face à d’importantes résistances de la part du garçon lorsque vient le temps d’aborder sa participation au gang, il est essentiel de ne pas demeurer au premier niveau d’informations offertes par celui-ci. Ainsi, il est suggéré d’utiliser les techniques suivantes afin d’approfondir les éléments apportés par l’adolescent : utiliser le regard d’autrui (Si toi, tu n’y es pas engagé, mais que tu connais des gens qu’ils le sont, que te racontent-ils ? Selon toi, que font-ils ? Pourquoi y participent-ils ? À quels problèmes sont-ils confrontés ?) utiliser la technique de la chaise (Si tu appartenais à un gang, que me raconterais-tu? Selon toi, que te répondrais-je ?) et passer par la " bande " (Si tu étais l’une de ces personnes qui fait partie d’un gang, comment te sentirais-tu ? Selon toi, qu’est-ce que cela peut signifier d’être membre d’un gang ? Si toi, tu étais un leader ou un membre régulier d’un gang, qu’attendrais-tu des autres gars ?). Puis, un travail doit être effectué sur l’identification des cognitions et des émotions spécifiquement liées au mode de vie encouragé par le gang et qui sous-tendent les comportements problématiques des adolescents et ce, afin de leur permettre de reconnaître l’influence que le gang possède sur leur fonctionnement individuel. En somme, compte tenu de l’emprise démesurée du gang sur la vie de ses membres, une emphase particulière doit être mise sur les dimensions cognitives et affectives spécifiquement liées au statut de membre de l’adolescent afin de réduire ses résistances individuelles et de groupe et lui permettre d’identifier l’impact de celles-ci sur l’acquisition des comportements prosociaux et, conséquemment, sur le maintien des comportements antisociaux (Mailloux et Lavallée, 1964; Goldstein, 1993). La prudence est toutefois de mise dans le cadre de ces démarches. Toute confrontation visant à modifier ses fréquentations ou à discréditer le gang rencontreront certainement de fortes résistances si l’adolescent se situe, au moment de son admission à l’institution, dans la période qualifiée de " lune de miel " de son engagement (Mathews, 1993). Cela dit, cette mise en garde ne doit aucunement commander l’inertie de la part des intervenants. Si la " condamnation " de la participation au gang doit être prohibée, d’autres actions doivent être effectuées puisqu’elles peuvent, de façon indirecte, permettre une prise de conscience de la part du jeune. De prime abord, il faut amener le garçon à reconnaître et à comprendre lui-même la dynamique du gang auquel il adhère de même que son influence sur son mode de fonctionnement. Une exploration détaillée des avantages et des désavantages à demeurer au sein du gang ainsi que les conséquences pour l’adolescent de le quitter doit donc être effectuée avec celui-ci. À cet effet, Knox (1994) propose une série de techniques d’interrogation afin de faciliter les verbalisations de l’adolescent concernant le gang auquel il adhère. L’auteur suggère ainsi aux intervenants de démontrer leurs intérêts à l’égard du style de vie que mènent les membres, à la culture de gang et aux idéologies sous-jacentes, de se montrer intéressés également aux méthodes qu’ils utilisent afin d’acquérir et de maintenir leur réputation au sein du gang et, finalement, de s’attarder aux habiletés des garçons et à leurs capacités d’acquérir un leadership au sein de leur entourage. Les programmes d’entraînement aux habiletés sociales permettent de travailler l’influence des pairs sur le mode de fonctionnement des adolescents. Considérant l’importance du groupe de pairs à l’adolescence, Goldstein (1988) suggère, à cet effet, d’utiliser l’apprentissage des habiletés sociales afin de contrer l’influence négative des pairs. Suivant les recommandations de Vorrath et Brendtro (1974), Goldstein et Kanfer (1979) et Goldstein et Glick (1994), et considérant la tendance des membres de gangs à suivre le rythme du groupe de pairs auquel ils sont associés, il semble efficace d’utiliser un pair respecté pour assurer (à l’aide de l’adulte) le leadership des séances d’entraînement et ce, afin d’orienter l’influence des pairs sur le comportement des jeunes vers l’adoption de conduites appropriées plutôt qu’inadéquates. Parallèlement, il est essentiel, selon les auteurs cités ci-haut, de mettre une emphase particulière sur l’utilité des nouveaux acquis quant à l’obtention d’un leadership positif au sein du groupe. Selon Goldstein et Glick (1994), il faut donc favoriser la participation des adolescents à des séances d’activités éducatives permettant l’apprentissage de moyens prosociaux afin de résister à la pression des pairs, d’acquérir un leadership positif et de construire, d’une façon acceptable, une cohésion parmi les participants. En somme, les stratégies d’intervention doivent permettre la compréhension et l’utilisation de l’orientation grégaire du membre, soit l’automatisme à se serrer les coudes dans l’adversité et contre l’adulte, afin de lui permettre de reconnaître et de discerner le phénomène des forces influentes du gang sur son mode de vie. Les intervenants doivent donc être en mesure de comprendre la dynamique de gang et de savoir l’utiliser afin de favoriser une cohésion positive parmi les adolescents présents dans une même unité de vie (Goldstein, 1988). Les techniques de groupe proposées par Goldstein (1988) sont sans doute appropriées, soit une série d’activités collectives afin de stimuler la cohésion parmi les garçons et de leur permettre de reconnaître leur propre influence et celle d’autrui dans le fonctionnement du groupe. Ces activités peuvent prendre la forme de sports, de jeux collectifs ou de discussions de groupe. Elles doivent favoriser le développement des liens entre les participants, l’échange d’informations ainsi que le développement des habiletés de communication et de respect. C’est dans cette optique que l’utilisation du programme d’intervention ART proposé par Goldstein et Glick (1994) s’avère pertinent. Les auteurs relèvent alors la nécessité d’intervenir avec le gang en tant qu’unité. Ils suggèrent donc, idéalement, de constituer des groupes de formation avec des membres de gangs afin de réorienter le groupe dans des directions prosociales, tout en recréant un environnement le plus réel possible. Goldstein et Glick (1994) ainsi que Knox (1994) reconnaissent, à cet effet, la nécessité d’établir un terrain neutre en octroyant un milieu de placement uniquement réservé aux adolescents membres de gangs, puisque ceux-ci nécessitent des techniques d’intervention particulières qui ne sont pas nécessairement appropriées aux autres bénéficiaires. L’intervention auprès de groupes composés uniquement d’adolescents membres de gangs peut présenter plusieurs désavantages, notamment l’augmentation de la cohésion du gang, l’intimidation, le caïdage, les menaces, l’agressivité et les risques d’altercations physiques. Ainsi, selon Knox (1994), il est important d’isoler les leaders des autres types de membre afin d’éviter les intimidations ou le recrutement auprès de la périphérie et de balancer le nombre de membres rivaux au sein d’une unité afin d’équilibrer le pouvoir et l’opposition. La constitution des groupes d’intervention doit ainsi tenir compte du rôle tenu par les adolescents pris en charge, leur niveau d’engagement au gang et des rivalités existantes entre les gangs. Malgré tout, certains diront encore qu’une telle homogénéité au sein d’un groupe d’adolescents suivis en centre de réadaptation peut présenter certains risques, dont l’accentuation des traits négatifs présents chez les adolescents en difficulté et la solidification de la cohésion antisociale entre eux s’ils sont regroupés au sein d'une même unité (Cusson, 1968). Tel que stipulé précédemment, il est sans doute probable que les adolescents recréeront une sous-culture où domineront les valeurs antisociales et où les individus s’opposeront au milieu et aux adultes en neutralisant et en contestant les interventions (Mailloux et Lavallée, 1964; Cusson, 1968). Il est toutefois possible de neutraliser cette sous-culture délinquante en contrôlant l’influence des pairs de même que les rapports de force existants entre les jeunes et les intervenants et ce, en gérant notamment les actions des leaders négatifs (Cusson, 1968). Ainsi, il est possible d’arriver à déstabiliser le leadership négatif des meneurs d’un groupe afin de reconstruire ce dit leadership de façon positive. Tel que l’exposent Cusson (1968) ainsi que Vorrath et Brendtro (1974), les intervenants doivent apprendre à utiliser le pouvoir des chefs naturels afin que ceux-ci influencent les conduites des autres adolescents suivis à l’unité de vie. L’objectif étant alors de redéfinir les normes de la sous-culture de sorte qu’elle s’organise avec les éducateurs plutôt que contre ceux-ci. Dans ce contexte, les adultes doivent utiliser les forces des leaders, en s’alliant à eux, afin que ces derniers poussent leurs pairs à collaborer plutôt qu’à résister. Ainsi, les meneurs naturels participeront à la création d’un climat d’entente et de collaboration nécessaire au fonctionnement et à la participation des adolescents au programme d’intervention (Cusson, 1968). En leur octroyant des responsabilités (où ils y trouveront bien sûr des intérêts) et en assurant des contacts fréquents avec eux, les intervenants peuvent réussir à persuader les leaders d’influencer positivement leurs pairs de sorte qu’ils géreront eux-mêmes leurs comportements et ce, sur des bases socialement acceptables plutôt qu’en fonction de valeurs délinquantes. Si les leaders se sentent acceptés et reconnus au sein d’un groupe uni et fonctionnel, il est très possible qu’ils encourageront les comportements de collaboration et puniront les attitudes de résistance, tout en transmettant aux nouveaux admis les normes sur lesquelles se base la vie modulaire. Ainsi, si les jeunes retrouvent un sentiment d’appartenance (qui leur est si cher) au sein du groupe, il est probable qu’ils favoriseront des rapports confiants et ouverts avec les intervenants de façon à organiser la vie de groupe sur des bases positives plutôt que fondées sur des relations empreintes de méfiance et d’hostilité (Cusson, 1968).
La gestion, l’encadrement et les gangs
Suite aux réserves émises ci-haut, il est essentiel d’assurer une gestion clinique adéquate des adolescents membres de gangs qui participent au programme d’intervention. La composition des groupes retrouvés dans les unités de placement requiert effectivement une attention particulière. Il devient ainsi pertinent d’obtenir le plus d’informations possibles quant à la participation d’un adolescent à un gang. L’administration des Centres jeunesse doit donc avoir une connaissance approfondie des gangs existant dans les divers quartiers de leur région et des antagonismes entre eux. Ils doivent connaître suffisamment les types de gang, les divers rôles existant au sein de ceux-ci et de celui rempli par le garçon admis. Dans ce contexte, la collaboration des policiers est souhaitable. À partir des informations recueillies, une banque de données doit être créée afin d’analyser adéquatement la problématique des gangs dans la région où les services sont offerts. Cette banque d’informations doit, selon Goldstein (1993), considérer les types de gang et de membre, leur organisation, leur structure, leurs motivations et leurs activités. De plus, l’administration des centres jeunesse et les intervenants doivent être entraînés à reconnaître les comportements associés aux gangs (territoires, rivalités) afin de neutraliser les risques de recrutement, d’affrontement ou d’intimidation (Goldstein et Glick, 1994; Knox, 1994). Par ailleurs, les habiletés des intervenants à gérer les forces influentes du groupe ainsi qu’à identifier les jeux de pouvoir et de force, sont primordiales. Les éducateurs doivent donc, selon Goldstein et Glick (1994), être en mesure de maintenir un leadership lors des séances ainsi que de gérer et de réduire les résistances que peuvent présenter les participants, telles l’inactivité, l’hyperactivité et l’agressivité. De plus, considérant la méfiance extrême qu’ont les jeunes membres de gangs à l’égard des figures d’autorité, l’adulte doit obligatoirement, selon Goldstein et Glick (1994), être en mesure d’établir et de maintenir une relation significative avec eux. Sans quoi toutes autres interventions risquent d’être sujettes à l’échec. Or, la principale erreur commise en matière d’intervention auprès des membres de gangs est sans aucun doute la méconnaissance à l’endroit du phénomène. Il est pourtant logiquement impossible d’en parler adéquatement, et du même coup d’intervenir efficacement auprès des adolescents qui y participent, si nous ne connaissons ni la nature de la problématique des gangs ni leur impact sur la vie des jeunes. La littérature soulève la nécessité de connaître et de comprendre les perceptions, les motivations, les aspirations et les schèmes comportementaux des adolescents membres de gangs. En somme, à l’instar de Goldstein et Glick (1994), il faut obligatoirement, dans toutes interventions, tenir compte de la dynamique et de la structure du gang auquel adhère l’adolescent de même que des caractéristiques des autres membres et de leur rôle respectif au sein du gang. L’intervenant doit donc connaître et comprendre adéquatement la problématique ainsi que son impact dans la trajectoire de vie de l’adolescent. La nécessité d’une formation structurée et prolongée sur la problématique globale des gangs et sur la façon d’agir auprès des membres qui y sont confrontés est indispensable. Par ailleurs, comme l’intervention auprès des adolescents membres de gangs suivis en centre réadaptation peut présenter de nombreuses difficultés, les intervenants doivent être en mesure d’obtenir l’aide et le support appropriés et ce, de façon permanente afin qu’ils puissent être secondés et soutenus dans leurs démarches. Les centres jeunesse doivent mettre à leur disposition des professionnels qualifiés en matière de gangs qui pourront, en tout temps, leur offrir un appui personnel et professionnel nécessaire à la qualité de leur travail. D’autre part, il est essentiel qu’un climat sécuritaire pour les intervenants soit assuré par l’institution. À cet égard, les interventions effectuées à l’endroit des membres de gangs doivent l’être en centre de placement sécuritaire. Il est nécessaire d’assurer une étroite surveillance des lieux de passage, des salles de bain, des cafétérias, des gymnases, des cours extérieures et de toutes zones de risque afin d’établir un climat de sécurité au sein duquel d’autres interventions peuvent être effectuées. De plus, parce que les adolescents membres de gangs ont besoin énormément de supervision, il apparaît essentiel que les intervenants fassent particulièrement sentir leur présence et qu’ils les investissent constamment. De plus, ce type de groupe d’intervention, constitué uniquement d’adolescents membres de gangs, doit être restreint à environ six ou huit participants afin d’assurer un encadrement serré et efficace. Par ailleurs, le nombre d’employés par quota d’adolescents doit être augmenté afin que l’encadrement soit maximisé et, conséquemment, que l’impact des interventions le soit également. Aussi, considérant le nombre important d’obstacles à surmonter, tels la méfiance, le manque de motivation et la résistance ouverte aux interventions, ces jeunes doivent bénéficier d’une longue période de suivi (qui doit se poursuivre au-delà du placement) afin qu’ils amorcent, d’une part, un processus de changement significatif et qu’ils généralisent, d’autre part, leurs acquis. Parallèlement, une étroite surveillance et un encadrement intensif doivent donc être assurés. Les règles doivent être clairement établies et appliquées sous leur forme la plus contraignante possible. Au début du séjour des garçons, le principe de " tolérance zéro " doit être appliqué. Compte tenu que le jeune membre joue énormément sur les limites, tente de contourner les consignes et essaie de s’évincer des conséquences, les règles doivent lui être clairement expliquées et être appliquées de façon certaine, cohérente et immédiate afin de laisser peu de place à la manipulation. Les techniques de renforcement (positif et négatif) sont sans doute appropriées. L’adolescent membre d’un gang doit ainsi comprendre que ses efforts seront récompensés mais que ses écarts de conduite seront sanctionnés. À cet égard, et en conformité aux travaux de Knox (1994), il est essentiel que des conséquences sûres et sévères suivent les comportements inappropriés.
La réinsertion sociale des adolescents membres de gangs
Finalement, considérant d’abord l’échec des interventions cliniques au niveau du transfert et du maintien des acquis en termes d’habiletés sociales (Goldstein et Kanfer, 1979; Goldstein et Huff, 1993). Compte tenu ensuite que l’exposition à des modèles antisociaux influence le maintien des comportements d’agression puisque les pairs, et quelquefois même la famille, ignorent et punissent les actions prosociales (Goldstein et Glick, 1994). Considérant aussi que les adolescents, étant confrontés à ces modèles déviants, ont plus de chances de voir leurs conduites antisociales récompensées, ce qui limite considérablement les capacités de généralisation des acquis (Goldstein et Kanfer, 1979; Goldstein et Glick, 1994). Un suivi externe étroitement encadré est nécessaire afin de maximiser les efforts cliniques et la capacité de généralisation des acquis des adolescents. Il est donc nécessaire de mettre à contribution la réinsertion sociale sous forme d’un suivi externe prolongé et intensif afin de maintenir l’encadrement et le support que nécessite l’adolescent membre d’un gang. Les interventions préconisées doivent ainsi consolider les acquis obtenus lors des interventions précédentes. L’action effectuée à cette étape doit consister en une supervision directe de l’agir et en une rétroaction qualitative constante quant au maintien des acquis. Une relance systématique du jeune membre d’un gang sur une période prolongée doit être effectuée. Il faut surprendre les garçons, les débalancer, déstabiliser leur quête de pouvoir et leur sentiment d’omnipotence, tout en faisant peser sur eux le poids de conséquences drastiques à la moindre défaillance. Le suivi et l’encadrement assurés ne doivent être desserrés qu’avec la plus grande prudence. Il est fort à parier que si le support est trop rapidement retiré, l’adolescent membre d’un gang se sentira vulnérable, ira chercher l’appui du gang et sera conséquemment tenté de reprendre son ancien mode de vie. Par ailleurs, considérant les risques possibles de représailles suite à la désaffiliation au gang, il faut, dans certains cas, envisager la possibilité d’éloigner les garçons de leur milieu d’origine afin de leur procurer une protection personnelle outre que leur gang. En effet, les garçons rencontrés au Centre de réadaptation Cartier admettent que ce n’est pas de sortir du gang qui est difficile, c’est d’y survivre puisqu’une fois seuls ils deviennent des proies faciles pour les gangs rivaux. À cet égard, les garçons reconnaissent qu’à l’exception de situations particulières (délation, tricherie, tromperie), leur gang ne leur causera pas de véritables problèmes s’ils désirent le quitter. Au pire, ils peuvent être ridiculisés ou, pour certains, être frappés en signe d’adieu. Par contre, il semble clair que les membres du gang ne seront plus disponibles afin d’assurer leur protection ou leur défense en cas d’éventuelles agressions par les adhérents de gangs rivaux. Ainsi, la majorité des jeunes membres préfèrent demeurer, au détriment des dangers possibles, au sein du gang qui, dans le cas échéant, pourra à tout le moins assurer leur vengeance (Mathews, 1993). Ainsi, afin d’éliminer cette alternative et de façon à les protéger des attaques physiques éventuelles (qui dans certains cas ont comme but ultime de causer la mort), il serait pertinent, si nécessaire, d’éloigner l’adolescent de son environnement immédiat, en lui trouvant un refuge sécuritaire afin de l’écarter des risques que représentent sa désaffiliation.
L’INDIVIDU, SON GANG ET SON ENVIRONNEMENT
L’intervention auprès des adolescents membres de gangs nécessite la présence constante et essentielle de structures, de contraintes ainsi que d’un encadrement serré et prolongé. L’intensité de l’intervention doit être soigneusement graduée et l’intervenant ne doit desserrer le contrôle qu’avec la plus grande prudence. Les actions cliniques doivent s’inscrire dans une approche de confrontation des schèmes comportementaux et cognitifs des jeunes, tout en tenant obligatoirement compte du contexte de culture de gang dans lequel ils évoluent. Il est aussi essentiel de travailler dans un environnement le plus naturel possible en constituant des groupes d’intervention composés uniquement de membres de gangs et ainsi diriger l’orientation grégaire des adolescents à des fins prosociales. Les adolescents membres de gangs doivent apprendre ensemble à gérer leurs conflits, donc à adopter des comportements prosociaux. Étant tous soumis aux mêmes interventions, la peur de discréditer leur image en s’y engageant risque alors d’être minimisée, ce qui peut, souhaitons-le, encourager l’utilisation des nouvelles habiletés de même que leur intégration. Il faut donc travailler dans un milieu des plus naturels possible de façon à ce que l’adolescent expérimente ses acquis parmi ceux auprès desquels il devra les maintenir. Or, considérant qu’il peut devenir difficile d’agir directement sur le gang à l’extérieur de l’institution, il faut alors tenter de recréer celui-ci au sein de l’institution en formant, tel que le suggèrent Goldstein et Glick (1994), des groupes d’intervention composés uniquement d’adolescents membres de gangs. En conformité aux travaux de Goldstein (1988), il s’avère aussi important d’agir sur l’environnement extérieur des garçons, soit la famille, l’école, la communauté et les pairs. Les intervenants doivent donc informer les membres de leur famille et toutes personnes significatives présentes dans leur environnement des acquis effectués et former ceux-ci à agir auprès d’eux. Ainsi, la collaboration de tous les intervenants appelés à oeuvrer, de près ou de loin, auprès des adolescents membres de gangs est sans contredit essentielle pour permettre le maintien des acquis et conséquemment de maximiser les efforts cliniques à leur endroit. En somme, l’adolescent membre d’un gang nécessite des modalités d’intervention cliniques particulières qui tiennent compte, et de ses caractéristiques personnelles, sociales et comportementales et surtout de son affiliation au gang qui influence son fonctionnement et son engagement au programme d’intervention offert. Les outils cliniques proposés par le programme ART de Goldstein et Glick (1994) représente sans aucun doute une voie d’action prometteuse afin d’intervenir efficacement auprès des adolescents membres de gangs suivis en centre de réadaptation.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES SÉLECTIVES
Cusson, M. (1968). Relations sociales dans les pavillons d’un centre de rééducation, Mémoire de maîtrise inédit, Université de Montréal, École de criminologie. Fredette, C. (1997). Le pouvoir des gangs de la rue aux institutions de réadaptation: revoir le problème, réajuster nos interventions, Rapport de stage de maîtrise clinique inédit, Université de Montréal, École de criminologie. Goldstein, A.P. (1988). The prepare curriculum: Teaching prosocial competencies, Champaign Ill, Research Press. Goldstein, A.P. (1991). Delinquent gang, a psychological perspective, Research Press. Goldstein, A.P. (1993). " Gang Interventions: Issues and Opportunities ", In Goldstein, A.P., Huff, R.C., The gang intervention handbook, Champaign III, Research Press. Goldstein, A.P. et B. Glick (1994). The Prosocial Gang: Implementing Aggression Replacement Training, Sage Publications. Goldstein, A.P. et R.C. Huff (1993). The gang intervention handbook, Champaign Ill, Research Press. Goldstein, A.P. et H. Kanfer (1979). Maximing treatment gains: Transfert enhancement in psychotherapy, New York, Academic Press. Klein, M.W. (1995). The American Street Gang: Its nature, prevalence and control, New York, Oxford University Press. Knox, G.W. (1994). An introduction to gangs, Berrien Springs, MI, Vande Vere. Lanctôt, N. (1995). Caractéristiques personnelles, sociales et comportementales des adolescents en difficulté membres de bandes marginales, Mémoire de maîtrise inédit, Université de Montréal, École de criminologie. Mailloux, N., et C. Lavallée (1964). " Mécanismes de défense caractéristiques des groupes de jeunes délinquants en cours de rééducation ", Revue canadienne de criminologie, no 6. Mathews, F. (1993). Youth gangs on youth gangs, Sollicitor General Canada, Ministry Secretariat Police, Policy and Research Division. Spergel, I.A. (1995). The Youth Gang Problem: A community Approach, New York, Oxford University Press. Vorrath, H.H. et L.K. Brendtro (1974). Positive peer culture, Chicago, Illinois, Aldine Publishing Company.
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