Conseil multidisciplinaire

Revue professionnelle
« Défi jeunesse »

Vers le pacifique
Un programme de résolution de conflits et de médiation par les pairs


Claude Moreau, directeur général,
Centre Mariebourg






Vers le pacifique, jeu de mots évocateur qui nous fait rêver à une paisible journée au bord de la mer. Ce jeu de mots est le rêve d’une équipe d’intervenants, afin de répondre au phénomène grandissant de la violence chez nos jeunes. Vers le pacifique, c’est un pas vers la paix, un processus qui passe par l’enseignement de la résolution de conflits et de la médiation.

Fondé en 1976, le Centre Mariebourg est un organisme communautaire de Montréal-Nord qui a pour mission de prévenir l’émergence des problèmes psychosociaux chez les enfants de 6 à 12 ans. En effet, nous intervenons dans un contexte de prévention et nous rejoignons ainsi les enfants après les heures de classe. C’est en côtoyant ces enfants que nous avons réalisé qu’ils étaient démunis face à la résolution de conflits. Trop souvent ces conflits traînaient en longueur et dégénéraient en situation de violence. Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’une solution durable face à la violence devait inclure non seulement la présence des enfants, mais aussi leur participation active dans la recherche de solutions.

Notre intérêt à la médiation débute en 1993 par notre implication à la table de concertation jeunesse de Montréal-Nord, par l’élaboration d’une formation à la médiation pour les intervenants du milieu. Par la même occasion, nous découvrons qu’il existe aux États-Unis des programmes de médiation par les pairs au secondaire qui sont en place depuis le début des années 1980. En fait, selon the National Association for Mediation in Education, plus de 8500 écoles utilisaient déjà un programme de résolution de conflits et de médiation par les pairs en 1995.

Dès 1994, nous élaborons avec le milieu un projet de résolution de conflits et de médiation par les pairs au primaire, que nous présentons au ministère de la Santé et du Bien-être social du Canada. Ce projet est accepté et nous commençons alors le développement dans une école de Montréal-Nord.

L’année suivante, notre programme est implanté dans deux nouvelles écoles. Nous obtenons aussi une subvention de recherche de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-centre. L’équipe de travail est composée de personnes de la Direction de la santé publique, de la Régie régionale et de chercheurs du département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal. La recherche vise à évaluer l’implantation du programme et son impact.

En 1996, nous sommes présents dans cinq écoles primaires de Montréal-Nord. Nous élargissons nos horizons en expérimentant le programme dans une école secondaire de Laval. Nous travaillons étroitement avec l’équipe de chercheurs, afin d’ajuster notre programme aux besoins des enfants.

Chemin faisant, nous constatons les résultats positifs et nous devenons convaincus que ce programme doit être connu et accessible à tous. En effet, trop souvent des expériences significatives au Québec restent dans l’ombre. Nous écrivons alors une première version de nos outils et nous décidons d’élaborer une formation pour l’implantation du programme en 1997. Nous formons alors le personnel d’une école secondaire de Sherbrooke et d’un centre communautaire de la région Hull-Outaouais, lequel, par la suite, a introduit le programme dans quatre écoles primaires.

LES FONDEMENTS THÉORIQUES

La montée de la violence dans les écoles au cours des dernières années est bien documentée (Bouchard et al., 1991 ; Conseil supérieur de l’éducation, 1984 ; Tremblay et al., 1990). Cette violence se manifeste davantage dans les milieux urbains et défavorisés. Les intervenants sociaux se retrouvent trop souvent débordés et, par conséquent, ils interviennent lorsque les conflits ont déjà commencé à dégénérer. Bien qu’il y ait des interventions dans les écoles dont certaines sont à caractère préventif, celles-ci demeurent encore trop limitées en nombre ou souvent réalisées à une petite échelle; par conséquent, elles sont peu généralisables (Bouchard et al., 1991; Hébert, 1991).

Le milieu scolaire représente un terrain privilégié pour des interventions visant la résolution de conflits. Après l’environnement familial, l’école est le deuxième lieu contribuant au développement de l’enfant. Les recherches présentées par le groupe de travail pour les jeunes (Bouchard et al., 1991) démontrent clairement les effets positifs des actions préventives en milieu scolaire.

La prévention de la violence par l’enseignement de la résolution de conflits et par la formation à la médiation repose sur la prémisse suivante : le développement des habiletés sociales de l’enfant favorise l’adaptation et l’utilisation de comportements prosociaux. En effet, il est démontré par plusieurs recherches (rapportées par Cole, Dodge et Kupersmith, 1990) que des déficits précoces sur le plan des habiletés sociales sont des facteurs de risque importants contribuant au développement de difficultés d’adaptation scolaire. Ces enfants sont très souvent rejetés par leurs pairs et les adultes. Il est aussi rapporté (Rondeau et al., publication à venir) que ces enfants ne perçoivent pas correctement les actions des autres. Ils ont aussi tendance à extraire un nombre limité d’informations de leurs interactions sociales, prêtant généralement attention aux indices d’agressivité des autres. En fait, ceci tend à soutenir l’hypothèse de Kohlberg et Mayer (1972 dans Dumas, 1998) à l’effet que " le comportement antisocial est acquis au cours d’interactions sociales avec des adultes et des pairs, non pas en réponse directe à des contingences spécifiques, mais au travers d’un processus de médiation cognitive qui se reflète dans la façon dont l’enfant évalue ces contingences, anticipe les réactions d’autrui et dirige ainsi son comportement " (p. 103).

LE PROGRAMME

Le principal but du programme est de prévenir la violence par la promotion des conduites pacifiques. Le programme se scinde en deux volets distincts : la résolution de conflits et la médiation par les pairs.

L’implantation du programme

L’adhésion de la direction d’école, de ses enseignants et de ses professionnels est l’une des conditions essentielles à l’implantation réussie d’un tel programme. Cela doit être une " démarche école ". Non seulement les élèves sont formés à la résolution de conflits et à la médiation, mais aussi l’ensemble du personnel enseignant et non enseignant. Ces personnes doivent recevoir un minimum de formation afin d’assurer une cohésion et une compréhension commune du projet.

Le programme propose deux volets bien distincts. Le premier, soit la résolution de conflits, peut être implanté seul. Par contre, le deuxième volet, soit celui de la médiation, ne peut être mis de l’avant sans qu’il y ait eu préalablement l’implantation de la résolution de conflits. Celle-ci constitue la base de l’intervention. Implanter la médiation sans cette base équivaut à bâtir une maison sans sa fondation.

Bien qu’il soit possible d’implanter la résolution de conflits et la médiation sur une année scolaire, nous recommandons de l’échelonner sur deux années. En effet, l’implantation sur deux ans permet une meilleure intégration par tous et évite l’essoufflement.

Dès le départ, il est important de mettre en place un comité de coordination qui sera responsable de l’application et de l’appropriation du programme. Le comité est formé de membres de la direction et du personnel enseignant, de professionnels et de parents de l’école.

La résolution de conflits

Ce volet a pour objectif de former les élèves à la résolution de conflits. De façon spécifique nous voulons :

Aider les élèves à améliorer leurs relations avec autrui et à augmenter la compréhension qu’ils ont d’eux-mêmes et des autres;

encourager les élèves à acquérir des habiletés d’écoute, de jugement critique et d’expression verbale;

développer chez les élèves une vision différente des situations conflictuelles;

développer chez les élèves une meilleure compréhension ainsi qu’une meilleure gestion de leurs conflits.

Au primaire, nous offrons trois ateliers au premier cycle et huit au deuxième. Les ateliers du premier cycle abordent le conflit, les sentiments, la colère et le règlement d’un conflit tandis que ceux du deuxième cycle touchent le conflit, les sentiments, la colère, l’empathie, l’estime de soi, la communication, l’écoute et, finalement le règlement d’un conflit.

Les ateliers sont présentés à un rythme d’un aux deux semaines. Le défi est d’aller au-delà des ateliers afin de soutenir et d’encourager les élèves à utiliser quotidiennement les notions apprises. La résolution de conflits, cela s’enseigne, mais encore faut-il la faire vivre !

La médiation

Le volet sur la médiation a pour objectif de former tous les élèves à utiliser la médiation comme mode de résolution de conflits. Nous voulons spécifiquement :

Amener les élèves à utiliser la médiation comme alternative efficace aux approches improductives de résolution de conflits;

reconnaître et développer les compétences des élèves quant à leur pouvoir de résoudre des conflits;

encourager l’implication sociale des élèves dans la résolution de conflits;

responsabiliser les élèves dans la gestion de leurs conflits.

Lors d’un atelier s’adressant aux élèves du deuxième cycle, nous expliquons aux enfants ce qu’est la médiation ainsi que les qualités requises d’un bon médiateur. Ceci nous introduit à la sélection des médiateurs, qui se déroule en quatre étapes. La première : nous demandons aux élèves du deuxième cycle et à leurs professeurs de nommer ceux et celles qu’ils considèrent avoir les qualités d’un bon médiateur. C’est une forme de sociométrie appliquée à la médiation. À chaque fois qu’un élève est choisi, cela lui vaut des points. Ce n’est pas un concours de popularité, tous, en principe, sont éligibles à passer à l’étape suivante soit l’entrevue de sélection. Pour des raisons organisationnelles (comme un trop grand nombre d’élèves désirant se présenter à l’entrevue) le choix par les pairs devient un premier critère de sélection. À noter que le test sociométrique nous a démontré que les enfants les plus populaires en classe ne sont pas ceux qui se présentent pour être médiateur, mais plutôt ceux de statut moyen.

L’entrevue de sélection se fait en groupe et, bien entendu, nous voulons faire ressortir les jeunes les plus aptes à être médiateur. Ce sont les points accumulés lors du choix par les pairs, le choix par le professeur ainsi que l’entrevue de sélection qui déterminent l’identification des meilleurs candidats. Cependant, il existe aussi d’autres considérations, tel le nombre de médiateurs requis par niveau. Très souvent, un plus grand nombre de médiateurs sont choisis en 4ième et 5ième années, car ils sont la relève. À l’inverse, il y en a moins en 6ième année parce qu’ils quittent le primaire l’année suivante. Les médiateurs doivent aussi représenter tant les composantes ethniques du milieu scolaire que le nombre de garçons et de filles.

Il est entendu qu’une fois sélectionnés, les futurs médiateurs doivent suivre une formation de dix heures. La formation est étalée sur une ou deux semaines et, tout au plus, sur des blocs de deux heures. Il est important de bien situer auprès des médiateurs, leur cadre d’intervention.

En général, la présence des médiateurs est requise lors des récréations et des heures de dîner, mais ceci peut différer d’une école à une autre, selon les besoins spécifiques de l’école. En principe, ils assurent une présence à une ou deux récréations par semaine. Il est aussi possible de mettre sur pied un service de boîte aux lettres qui permet à des jeunes d’exprimer leur désir de rencontrer un médiateur après les heures de classe dans un bureau prévu à cet effet.

LES RÉSULTATS

L’impact du programme a été évalué par une équipe de chercheurs provenant de l’Université de Montréal et de la Direction de la santé publique pour les années scolaires 1995-1996 et 1996-1997. Les résultats seront connus au printemps 1999.

Au printemps 1998 nous avons effectué un sondage auprès des cinq écoles de Montréal-Nord pour connaître la perception des jeunes et des adultes sur les retombées du programme. La proportion des enfants qui ont répondu est de 83 % (1324 répondants) et 76 % (64 répondants) en ce qui concerne le personnel enseignant. Voici les deux grands constats :

78 % de l’ensemble des répondants perçoivent que le programme a occasionné des changements positifs dans la manière dont les élèves règlent leurs conflits ;

79 % de l’ensemble des répondants trouvent qu’ils y a moins de violence à l’école depuis l’implantation du programme.

En fait, si les enseignants et les élèves perçoivent une diminution de la violence, c’est qu’ils perçoivent nécessairement que leur environnement est moins violent.

Pour vous donner une image de la médiation dans les écoles primaires de Montréal-Nord, pour l’année scolaire 1997-1998, les médiateurs ont offert ou répondu à 882 demandes de médiation et elles ont conduit à un succès dans 86 % des cas.

PERSPECTIVES

Rendre accessible la résolution de conflits et la médiation par les pairs est l’un des objectifs que nous poursuivons. C’est pourquoi nous avons mis énergie et temps pour produire une série d’outils décrivant le programme ainsi que des formations. Nous sommes particulièrement heureux de constater que Vers le pacifique a répondu à un besoin réel. Le programme est aujourd’hui présent dans plus de 60 écoles au Québec, ce qui représente plus de 2400 élèves formés à la résolution de conflits. De plus nous voulons aussi souligner qu’en partenariat avec la Commission scolaire de Montréal, l’Institut de recherche pour le développement social des jeunes et les Centres jeunesse de Montréal, nous sommes présentement à adapter l’implantation de notre programme dans une école spéciale pour élèves en troubles de comportement, Espace-Jeunesse.

L’enseignement de la résolution de conflits et la médiation représente sans contredit une piste de solution importante pour contrer un phénomène de violence grandissant et aussi une piste de solution intéressante pour nous sortir tous de cette impuissance face à la violence. Vers le pacifique est une solution qui mobilise les enfants, les jeunes et les adultes. Ne perdons pas de vue que lorsqu’il y a un problème à régler, nous faisons à la fois partie du problème et de la solution.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Bouchard, C., et al. (1991). Un Québec fou de ses enfants - rapport du groupe de travail pour les jeunes, Québec, Gouvernement du Québec, Ministère de la Santé et des Services sociaux.

Cole, J.D., Dodge, K.A. et J. Kupersmith (1990). " Pear Group Behavior and Social Status ", In Asher S.R. et J.D. Cole (Eds), The rejected child, Cambridge, Cambridge United Press, 19-59.

Conseil Supérieur de l’Éducation (1984). L’école primaire face à la violence, Avis au ministère de l’Éducation du Québec.

Dumas, J.E. (1988). " Les désordres de la conduite chez l’enfant : Recencement et Évaluation des études quantitatives et travaux d’intervention en langue anglaise ", dans During, P. (Éd.), Éducation familiale : un panorama des recherches internationales, Paris, Éditions Matrice, 93-133.

Hébert, J. (1991). La violence à l’école - Guide d’intervention et de prévention, Montréal, Logiques.

Rondeau, N., Bowen, F. et J. Bélanger. Évaluation d’un programme de promotion de la conduite pacifique en milieu scolaire primaire. Rapport Final, Publication à venir au printemps 1999.