Conseil multidisciplinaire

Revue professionnelle
« Défi jeunesse »

L'efficacité des interventions en foyers de groupe
pour mères en difficulté d’adaptation


Daniel Paquette, chercheur,
Institut de recherche pour le développement
social des jeunes et Université de Montréal,
Mark Zoccolillo, pédopsychiatre, Hôpital de Montréal
pour enfants et Université McGill
et Marc Bigras, professeur, Université de Sherbrooke






Les quatre foyers de groupe pour mères en difficulté d’adaptation (MDA) (du Plateau, Christophe Colomb, Dandurand et Rosemont) ont été mis en place par le Centre Rosalie-Jetté avant son intégration au sein des Centres jeunesse de Montréal (CJM). L’objectif de ces foyers était, grâce à la présence constante d’éducatrices, de fournir des services de réadaptation aux adolescentes et aux femmes ayant des difficultés graves d’adaptation et requérant des services d’aide au moment de leur grossesse ou dans leur relation avec leur enfant âgé entre 0 et 5 ans. Cinquante deux pourcent (52 %) de la clientèle de ces foyers était référée par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et les centres hospitaliers, 16 % par les CLSC, 14 % par les centres de réadaptation, et 18 % par les maisons d’hébergement, les organismes communautaires, et les demandes des bénéficiaires elles-mêmes (Vallières-Joly, 1993).

Parmi les mères en difficulté d’adaptation qui ont reçu des services internes ou externes au sein des Centres jeunesse de Montréal durant l’année 1995, 26,7 % des 311 clientes avaient 17 ans ou moins alors que les mères de ce même groupe d’âge totalisaient 1,1 % de la population des mères du Québec. De plus, les mères adolescentes de 17 ans ou moins étaient surreprésentées (57 % d’adolescentes versus 43 % d’adultes) dans les services à l’interne des CJM (en centres de réadaptation, en foyers de groupe, en appartements supervisés…) par rapport aux services à l’externe, c’est-à-dire à domicile (14 % d’adolescentes versus 86 % d’adultes). Les intervenants qui travaillent auprès des MDA étaient donc assez fréquemment en contact avec des mères adolescentes, et exprimaient d’ailleurs souvent leur besoin d’être mieux outillés afin de pouvoir clairement identifier les aspects sur lesquels devraient porter leurs interventions.

Les mères adolescentes n’ont pas nécessairement à leur disposition toutes les ressources (personnelles, sociales, économiques) pour pouvoir bien s’adapter à leur situation de maternité précoce et à tout ce qui en découle. Un certain nombre d’entre elles sont pauvres et peu scolarisées, vivent dans des conditions de stress chronique et ont un réseau social limité (Buchholz et Korn-Bursztyn, 1993). Ces conditions et le fait que leur propre développement n’est pas achevé font en sorte qu’elles sont moins en mesure de prendre adéquatement soin de leur enfant. De fait, les recherches ont montré que généralement les mères adolescentes sont moins sensibles et moins réactives aux besoins de leur enfant, interagissent plus négativement avec lui, sont plus intolérantes et plus enclines à utiliser la punition physique que les mères adultes (Baranowski et al., 1990). Elles ont également plus tendance à percevoir leur enfant comme ayant un tempérament difficile (Frodi et al., 1990). Il semble aussi que les enfants de mères adolescentes aient un attachement insécure dans une proportion supérieure à un échantillon normatif de la population (Egeland et Sroufe, 1981), tout particulièrement un attachement évitant (Lamb et al., 1987). Les mères adolescentes ont aussi plus fréquemment une histoire de maltraitance (Smith, 1996), sont plus souvent dépressives (Osofsky et al., 1993) et manifestent plus de problèmes de comportement (Zoccolillo et al., 1997). En somme, les mères adolescentes, de par leurs conditions et histoire de vie, sont plus fortement à risque de négliger et/ou d’abuser leur enfant qui lui-même en tant que victime est plus à risque de développer des problèmes de comportement.

La Mère Veille est un programme de recherche de l’IRDS dont l’objectif est de mieux comprendre le vécu des mères adolescentes et le développement socio-affectif de leur premier enfant (Paquette et Morrisson, 1998). Nous présentons ici les résultats d'une étude dont l'objectif spécifique est de vérifier l'efficacité au plan parental d'un séjour dans les foyers de groupe pour mères en difficulté d'adaptation des Centres jeunesse de Montréal, sachant que celles-ci y bénéficient d’un plan individualisé d’intervention. Pour cela, il nous fallait démontrer que la proportion de mères sensibles chez les mères adolescentes des foyers de groupe est supérieure à celle de mères adolescentes qui sont tout autant à risque de maltraiter leur enfant mais qui ne bénéficient pas d’un séjour dans les CJM. Par sensibilité, on entend ici l’habileté du parent à percevoir et à interpréter les signaux de l’enfant, et à répondre promptement et de façon appropriée à ses besoins. Nous avons donc recruté, entre 1995 et 1997, 33 adolescentes enceintes (de leur premier enfant) dans les foyers de groupe des CJM et 63 à l'école Rosalie-Jetté. L'âge des mères adolescentes variait entre 13 et 20 ans au moment de leur accouchement (âge moyen = 16,9 ans). Les mères adolescentes de l'école Rosalie-Jetté ont été référées par les écoles des différentes commissions scolaires de la région métropolitaine de Montréal, incluant les rives sud et nord, et par des infirmières et médecins de CLSC. La publicité (émissions de télévision, articles…) a également joué un rôle dans l’inscription de nouvelles étudiantes. Le recrutement et la collecte de données (questionnaires, entrevues…) dans les quatre foyers de groupe pour MDA ont été effectués par quatre éducatrices travaillant dans les foyers en question (Aline Bélec, Chantale Bidégaré, Sylvie Maurice et Diane Rivard), qui sont également membres du comité aviseur de ce programme de recherche. Le recrutement et la collecte des données auprès des adolescentes de l'école ont été effectués par des assistantes et étudiantes de l’Université de Montréal (Rima Azar, Jacinthe Émery, Marie-Ève Labelle et Séfora Rufino Batista).


RÉSULTATS


Le Tableau 1 met en évidence un certain nombre de ressemblances et de différences entre l'échantillon des mères adolescentes de foyers et les mères adolescentes de l'école. Si on considère l’ensemble des adolescentes, on peut dire qu’environ une adolescente sur quatre avait planifié sa grossesse, et que quatre adolescentes sur dix se sont retrouvées sans conjoint durant leur grossesse. De plus, une adolescente sur cinq ne connaît pas son propre père. Et enfin, plus d'une sur quatre a déjà vécu au moins une dépression majeure au cours de sa vie. Le Tableau 1 met aussi en évidence quatre différences. Alors qu’à l’école une mère adolescente sur deux est financièrement aidée par ses parents, moins d'une sur cinq des foyers est aidée par ses parents. Alors que 17 % des mères adolescentes de l’école sont immigrantes, on retrouve 36% d'immigrantes parmi celles des foyers de groupe. Alors que 38 % des mères adolescentes de l’école ont songé à un moment ou l'autre à l'avortement, seulement 18 % des adolescentes des foyers y ont songé. Enfin, on peut constater que la proportion de mères adolescentes qui ont un diagnostic de troubles de comportement (fugue, vol, bataille…) est très élevé. À l’école, une mère adolescente sur deux a un tel diagnostic. Ce résultat n'est pas surprenant puisqu'un certain nombre de chercheurs considèrent les troubles de comportement comme un prédicteur important de la grossesse précoce (Kessler et al., 1997; Serbin et al., 1991). Par contre, dans les foyers, trois mères adolescentes sur quatre ont un diagnostic de troubles de comportement. Cette différence se comprend bien sûr par le fait que c'est généralement la présence de troubles de comportement qui est à l'origine du placement des adolescentes dans les foyers de groupe.


Tableau 1
Comparaison entre les mères adolescentes des foyers de groupe et celles de l'école
Pourcentage d'adolescentes... Foyers
(n = 33)
École
(n = 63)
Différence
significative1
Aidées financièrement par leurs parents durant leur grossesse 19,4 45,6 oui
Immigrantes (nées à l'extérieur du Canada) 36,4 17,5 oui
Dont la grossesse était planifiée 33,3 22,2 non
Qui ont songé à se faire avorter 18,2 38,7 oui
Sans conjoint durant leur grossesse 42,4 41,3 non
Qui ne connaissent pas leur père 21,2 20,6 non
Qui ont déjà vécu au moins une dépression majeure 34,5 23,8 non
Qui ont un diagnostic de troubles de comportement 76,7 54,0 oui
1 Chi carré: p < 0,05


Parmi les mères adolescentes fréquentant l’école, 34 adolescentes ont un diagnostic de troubles de comportement (3 et plus avant l’âge de 15 ans) et 29 adolescentes sont sans un tel diagnostic (moins de 3 troubles; évaluées avec le Diagnostic Interview Schedule Robins et al., 1981). Nous sommes donc en mesure de comparer le groupe d'adolescentes MDA des foyers à un groupe de mères en difficulté d'adaptation qui ne fréquentent pas les CJM. Il s'agit maintenant de vérifier si ces deux groupes sont équivalents en termes de risques de maltraitance évalués avant la naissance des enfants puisque les adolescentes ont été questionnées durant leur grossesse. Les recherches antérieures ont mis en évidence plusieurs déterminants de la maltraitance: histoire de maltraitance du parent, faible statut socio-économique, stress social élevé, problèmes affectifs du parent tels un manque de contrôle dans les situations de stress, manque de soutien social, manque de connaissances sur les pratiques parentales et le développement de l'enfant, l’alcoolisme, la dépression, et les troubles de comportement du parent (Cicchetti et Lynch, 1993; Baumrind, 1994; Mrazek, 1993; Serbin et al., 1991; Cassidy et al., 1996). Le Tableau 2 compare certains de ces déterminants de la maltraitance et montre que les deux groupes d'adolescentes à risque ont le même profil psychosocial. Les mères adolescentes en difficulté d'adaptation, qu'elles soient à l'école ou dans un foyer, ont vécu davantage de maltraitance au cours de leur enfance, et ont en moyenne plus de symptômes dépressifs que les adolescentes de l’école sans diagnostic de troubles de comportement. De plus, parmi celles qui ont connu leur père, les adolescentes en difficulté d'adaptation des deux groupes à risque ont reçu moins de soins paternels durant leur enfance que les autres adolescentes. Enfin, parmi celles qui ont un conjoint durant leur grossesse, les mères en difficulté d'adaptation ont tendance à percevoir la qualité de leur relation conjugale comme étant moindre que chez les adolescentes sans troubles de comportement.


Tableau 2
Comparaison des scores moyens des facteurs de risque et de protection de la maltraitance entre le groupe de mères adolescentes qui vont recevoir une intervention des CJM et les deux groupes de mères adolescentes qui ne la recevront pas
Facteurs de risque et de protection de la maltraitance Groupe avec intervention CJM
(foyers: n = 33)
Groupes sans intervention CJM Différence significative entre les groupes
    Avec troubles de comportement
(n = 34)
Sans troubles de comportement
(n = 29)
(test-t)
  score moyen score moyen score moyen  
Histoire de maltraitance        
Abus physique et émotionnel 53,99a  57,71a  40,85b  oui
Négligence affective  52,69  53,47  44,15  non1
Négligence physique 24,27a 20,06 15,72b oui
Abus sexuel 10,90a 8,72 6,52b oui
Score total 9,24a 8,62a 6,61b oui
Histoire d'attachement        
Soins maternels 24,11 24,36 26,41 non
Contrôle maternel 17,65 15,64 13,45 non
Soins paternels 16,62a 18,04 23,92b oui
Contrôle paternel 19,35 15,27 14,35 non
Nombre de symptômes dépressifs  6,20a  6,65a  4,07b  oui
Nombre de troubles de comportement 4,30a 5,47a 1,31b oui
Stress prénatal 173,90 177,24 154,50 non
Réseau réel de support        
Nombre de personnes 13,56 17,61 15,31 non
Besoin de support 18,27 18,53 18,18 non
Satisfaction du support reçu 22,85 22,97 23,31 non
Qualité de la relation conjugale  114,03  111,15a  122,30b  oui
a,b,c les scores se différencient significativement deux à deux (Scheffé: p < 0,05 )
1 presque significatif ( p < 0,06 )


Lorsque les enfants des mères adolescentes ont atteint l’âge de 4 mois, nous avons enregistré sur vidéo les dyades mère-enfant durant cinq minutes de jeu libre en présence d’une dizaine de petits jouets déposés sur un tapis. Par la suite, la sensibilité maternelle a été décodée par deux assistantes avec la grille de Crittenden (1988) connue sous le nom de Care-Index, grille qui peut être utilisée avec des enfants dont l’âge varie entre 0 et 24 mois. Le décodage couvre les sept dimensions suivantes: l’expression faciale, l’expression vocale, la position, le contact corporel, l’expression de l’affection, la contingence des comportements, le contrôle, et enfin le choix des activités. Cette grille permet de générer trois échelles pour la mère (sensibilité, contrôle, et non-réactivité) et quatre échelles pour l’enfant (coopératif, difficile, passif, et accomodant compulsif). Elle permet finalement d’identifier les trois dynamiques relationnelles suivantes : mère sensible/ enfant coopératif; mère contrôlante/ enfant difficile ou accomodant compulsif; mère peu réactive/ enfant passif. Il est important de préciser que cet instrument a été conçu pour la recherche et n’est pas validé pour des évaluations cliniques.

Le tableau 3 montre que la proportion de mères sensibles est de beaucoup supérieure chez les adolescentes en difficulté qui ont reçu une intervention des CJM (dans le cadre des foyers de groupe) que chez celles qui n’ont pas reçu cette intervention (30,3 % comparativement à 8,8 %). Finalement, les deux premières colonnes de chiffres du tableau 3 mettent en évidence que les interventions ont été très efficaces pour augmenter la réactivité des mères, mais par contre inefficaces pour diminuer le contrôle maternel. L’effet du séjour dans les foyers de groupe des CJM sur le comportement parental des mères adolescentes aurait été encore plus convainquant si nous avions pû montrer l’augmentation effective de la sensibilité en comparant une évaluation au Care-Index peu après l’accouchement à l’évaluation faite à l’âge de quatre mois.


Tableau 3
Pourcentage de mères adolescentes des foyers et de l'école en fonction de trois dynamiques relationnelles mère-enfant évaluées lorsque l'enfant a 4 mois
Dynamique relationnelle
mère-enfant
Foyers de groupe
(n = 33)
École
    Avec troubles de comportement

(n = 34)

Sans troubles de comportement

(n = 29)

mère sensible/enfant coopératif 30,3 8,8 38,0
mère peu réactive/enfant passif 27,3 55,9 31,0
mère contrôlante/enfant difficile ou accomodant compulsif 42,4 35,3 31,0

D’autres analyses nous ont permis de constater que ce sont les adolescentes avec un score de sensibilité de 5 ou 6 (sur une échelle de 14 points) qui ont profité le plus des interventions. La proportion d’adolescentes ayant une sensibilité maternelle de 4 ou moins est relativement la même entre les deux groupes d’adolescentes en difficulté d’adaptation (dans les foyers et à l’école), soit 50 %. Cette proportion est d’ailleurs relativement élevée comparativement à 24 % chez les adolescentes qui n’ont pas ou peu de troubles de comportement. Selon Crittenden (1988), les parents qui obtiennent un score de 4 ou moins sont des cas qui nécessitent une protection de l’enfant. Compte-tenu que 71 % des adolescentes ayant un score de sensibilité de quatre ou moins sont des mères plus contrôlantes, il importe dans l’avenir d’intervenir spécifiquement en fonction de cette dynamique relationnelle.


DISCUSSION


Les résultats de cette recherche sont très encourageants en termes de prévention. Ils nous démontrent qu'un suivi intensif de mères adolescentes en difficulté d'adaptation sociale, au cours des quatre premiers mois après leur accouchement, permet d’augmenter la réponse sensible à leur enfant. Bien qu’un parent peu réactif à son enfant ne signifie pas qu’il soit négligent à son égard, on peut penser que les interventions puissent diminuer à plus long terme les risques de négligence.

L'efficacité des services à l'interne dans les foyers de groupe pour MDA peut résulter de plusieurs facteurs. D'abord, le bébé a de meilleures chances d'être en bonne santé. D'une part, si les adolescentes, durant leur grossesse, s'alimentent bien et ont moins d'opportunités pour consommer des cigarettes, de l'alcool ou des drogues et d'autre part, si les éducatrices voient à ce que la mère réponde aux besoins de base de son enfant en termes de soins et à ce qu'elle respecte les rendez-vous médicaux prévus, il y a de fortes chances qu'un bébé en santé, actif et souriant influence positivement la relation avec sa mère qui, elle, se sentira plus compétente comme parent. L’hébergement permet momentanément aux jeunes mères de prendre distance par rapport à un certain nombre de problèmes reliés aux conditions de vie (logement, revenu, support social, conflits conjugaux), ce qui facilite probablement leur apprentissage et ce, en diminuant leur stress. Enfin, alors que de nombreuses mères adolescentes sont isolées, souvent en conflit avec leurs propres parents, celles qui sont hébergées en foyers de groupe bénéficient de modèles (les éducatrices) pour réaliser les apprentissages nécessaires à l’exercice du rôle parental.

Par contre, d’après les pourcentages de mères contrôlantes dans les différents groupes, on peut dire que les interventions des éducateurs n'ont pas permis de diminuer le contrôl parental. Un parent contrôlant n’est pas et ne deviendra pas nécessairement un parent abuseur. Il est normal qu’un parent exerce un certain contrôle de l’enfant. Toutefois, il est possible aussi qu’une intervention précoce puisse diminuer le risque éventuel d'abus envers l'enfant. Nos résultats nous amènent à penser que les éducateurs pourraient grandement profiter d'une formation pour mieux détecter un contrôle parental excessif puisqu’il est difficile pour toute personne de déterminer par observation à partir de quel moment le comportement parental devient trop contrôlant, c'est-à-dire que le parent s'occupe de son enfant non plus selon les besoins de ce dernier mais en fonction de la satisfaction de ses propres besoins.

Parmi les adolescentes de l’école, 56 % de celles qui ont un diagnostic de troubles de comportement sont peu réactives à leur enfant comparativement à 31 % des adolescentes sans un tel diagnostic. Par contre, il y a autant de mères contrôlantes dans les deux groupes de l’école (voir les deux dernières colonnes du tableau 3). Ces données appuient les résultats obtenus par Cassidy et al. (1996) qui avaient trouvé que les troubles de comportement sont plus associés à la passivité qu'au contrôle maternel.

La sensibilité parentale étant généralement considérée comme le meilleur prédicteur de l’attachement de l'enfant, il sera tout particulièrement intéressant de vérifier à plus long terme si le séjour des adolescentes dans les Centres jeunesse de Montréal a aussi un effet sur la relation d'attachement lorsque les enfants ont quinze mois, c'est-à-dire vérifier si la proportion d'enfants avec un attachement sécurisant sera plus élevée chez les adolescentes en hébergement que dans le groupe ne recevant pas de services des CJM. D'après les récents résultats obtenus par Shaw et al. (1998), on pourrait aussi s'attendre à ce que les enfants ayant une mère plus sensible manifestent moins de comportements externalisés à partir de l'âge de 24 mois.

La faible proportion (38 %) de mères sensibles et ce, même chez les adolescentes qui ne sont pas en difficulté d'adaptation (selon le nombre de troubles de comportement) pourrait être inquiétante et montrer l'importance de desservir tout autant cette clientèle au cours des mois suivant l'accouchement que les adolescentes avec troubles de comportement. Une intervention préventive efficace au niveau de la sensibilité parentale pourrait permettre d'éviter que les enfants des mères adolescentes se retrouvent dans nos services plusieurs années plus tard. Toutefois, il est difficile de se prononcer sur la réelle signification de cette proportion puisque nous ne savons pas quel est le pourcentage de mères sensibles chez les mères adultes tout venant. De plus, l’utilisation d’une seule évaluation avec le Care-Index pourrait avoir causé un biais puisque nous ne pouvons être certains que cette évaluation soit représentative du quotidien de la relation chez toutes les dyades mère-enfant. Par contre, il n’y a pas de raison de penser que ce biais ait affecté les proportions relatives entre les trois groupes d’adolescentes.

Les résultats rapportés dans cet article ne pourraient probablement pas être reproduits avec les adolescentes que nous avons recrutées depuis l'application de la réforme. En effet, présentement, les deux foyers de groupe pour MDA encore ouverts ne traitent presque exclusivement que des cas extrêmes, des situations d'urgence nécessitant une évaluation des capacités parentales avant de passer au tribunal, c'est-à-dire des cas qui ont de fortes chances de mener à un placement des enfants. Donc, les occasions d'effectuer un travail de réadaptation dans les services d’hébergement auprès des adolescentes à moindre risque se font de plus en plus rares. Le problème s'accentue du fait que les mères adolescentes sont présentement peu rejointes par les services externes. Il serait souhaitable de trouver des moyens d'une part, pour atteindre ces jeunes mères et d'autre part, pour identifier rapidement la dynamique relationnelle mère-enfant. L'un des avantages des foyers de groupe est justement d'offrir quotidiennement de nombreuses occasions aux éducatrices pour identifier les problèmes parentaux et pour intervenir rapidement. Dans les services externes, l'identification des problèmes parentaux est liée au hasard des visites à domicile, moments qui ne reflètent pas nécessairement le quotidien de la relation mère-enfant. Et pourtant le temps nous presse si l'on veut éviter l'établissement rigide d'une dynamique relationnelle qui pourrait avoir des répercussions négatives sur le développement et la santé de l'enfant.

En conclusion, les résultats de cette étude semblent indiquer que les services d’hébergement pour MDA permettent une augmentation significative de la sensibilité maternelle à l’égard d’enfants âgés de quatre mois. Ces services donneraient donc une chance aux enfants d’établir une relation d’attachement sécurisante nécessaire au développement de leur plein potentiel d’adaptation sociale.


À partir de nos résultats, il est possible d’identifier plusieurs pistes pour l’intervention:
- Mieux identifier la dynamique relationnelle mère-enfant, et intervenir en distinguant bien les deux types d’insensibilité;
- maintenir des services adaptés aux mères adolescentes, tels l’école Rosalie-Jetté et les foyers de groupe pour MDA;
- effectuer des visites à domicile rapprochées aux mères adolescentes qui sont desservies par les services externes;
- encourager l’implication des pères auprès de leur enfant, et les intégrer dans les plans d’intervention.




NOTE DES AUTEURS


Cette étude n'aurait pu voir le jour sans la participation active des jeunes mamans. Nous tenons aussi à remercier l'école Rosalie-Jetté, en particulier Michèle Boily, agente de service social, et Danielle Woolley, directrice, pour leur précieuse collaboration. Un gros merci aux éducatrices des Centres jeunesse de Montréal et aux étudiantes de l'Université de Montréal pour la collecte des données. Enfin, nous remercions Donald Morrisson pour la gestion de la base de données et Sylvie Cormier pour son excellent travail de secrétariat.



RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES


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