Esprit critique - Revue électronique de sociologie
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Vol.03 No.10 - Octobre 2001
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Numéro thématique - Automne 2001
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Les rapports sociaux sur Internet: analyse sociologique des relations sociales dans le virtuel
Sous la direction de Jean-François Marcotte
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Editorial
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La sociologie des rapports sociaux en réseaux: un champ d'étude en formation
Par Jean-François Marcotte

      De nombreuses transformations sociales sont en cours depuis quelques décennies à tous les niveaux de la vie sociale. Sous l'influence de diverses forces sociales, de nouvelles technologies de communication ont vu le jour. Le procès d'informatisation sociale s'est rapidement déployé sur la base de l'utopie d'une société de communication. Toutefois, des changements bien réels se sont développés dans toutes les sphères de la vie humaine. Les discours derrières l'idéologie de la communication ont eu des impacts au niveau social, économique, politique, etc. C'est ainsi que plusieurs transformations macrosociologiques se sont opérées. De même, les usages sociaux des technologies de communication se sont transformés pour engendrer de nouvelles pratiques sociales et de nouveaux modes d'interaction sociale. L'ampleur et la vitesse de ces transformations sociales ont limité les possibilités d'obtenir un portrait global et cohérent de la situation. Les sciences sociales ont mis beaucoup de temps avant de tenter de percer les mystères de ces phénomènes sociaux particuliers. Les instruments méthodologiques et théoriques des sciences sociales ne pouvaient parfois pas contenir une étude de tels phénomènes. Depuis quelques années, les chercheurs ont commencé à confronter leur pratique pour tenter de développer les outils nécessaires à une telle analyse.

      Au début, il était même difficile pour plusieurs sociologues d'admettre le caractère social de ces phénomènes. La distance géographique séparant des individus pourtant en interaction causait plusieurs problèmes théoriques auxquels il fallait remédier pour amorcer une étude des relations sociales en réseaux. Il a fallu que des sociologues dépassent ce stade pour arriver à surmonter la barrière infranchissable de l'usage des termes. Comme nouveau champ d'étude, s'appliquant à de nouveaux faits sociaux, il fallait ignorer temporairement les débats à savoir si "virtuel", "réseau" ou "cyberespace" étaient appropriés. Il fallait percer le mystère, innover dans les approches et faire les bons choix méthodologiques pour obtenir du contenu pertinent et ayant une valeur pour les études ultérieures.

      Ces chercheurs se sont placés dans un contexte difficile, inconnu et instable, et ils ont permis de comprendre les premières bribes d'informations à la base de ce nouveau champ d'étude. Ils ont su faire preuve de rigueur et prendre les bonnes décisions méthodologiques qui ont fait avancer la sociologie toute entière. Ils ont permis de former les bases du développement de l'ensemble théorique et méthodologique qui permettra de consolider ce champ d'étude. Cette sociologie exploratoire et rigoureuse a permis d'obtenir les premiers éléments théoriques pour commencer à définir ce qui est observé sans tourner en rond. Faisant face à de nouveaux faits sociaux, ces études remettent parfois en question certaines des fondations théoriques de la sociologie. C'est ainsi que ces chercheurs contribuent à une redéfinition de la sociologie toute entière qui fera réfléchir les prochaines générations de sociologues.

      Les environnements virtuels dans lesquelles les individus fondent leur pratique de communication offrent un contexte d'interaction particulier. Outre ce contexte dans lequel ces personnes communiquent, un vie sociale se développe dans la conscience des usagers. Ainsi, ces espaces de discussion génèrent un espace social dans lequel se développe "des manières d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu"[1]. La participation à des groupes de discussion rencontre tous les éléments de la définition d'un fait social, par l'intériorisation de valeurs, de règles, de façons de penser et par la présence d'une contrainte provenant de l'extériorité des règles à respecter. Des normes sociales et des univers symboliques particuliers orientent les interventions des usagers dans leurs relations sociales en réseaux.

      Le développement du réseau Internet constitue aujourd'hui l'un des plus vastes mouvements sociaux du XXe siècle. Il s'agit d'un mouvement social en ce sens que son développement provient d'une convergence d'activités hétérogènes et non-concertés qui s'est imposée graduellement à un ensemble d'individus. La vie de millions de personnes s'est transformée sous l'impact d'idéologies, de pratiques sociales particulières et d'usages sociaux de technologies de communication.

      Devant l'ampleur et la complexité de ce vaste mouvement social, plusieurs champs d'études s'offrent aux chercheurs. Les nouveaux champs empiriques pouvant être appréhendés sont très nombreux et plusieurs restent encore à explorer. Au niveau sociohistorique, une analyse de l'évolution des différentes forces sociales impliquées dans le développement du vaste mouvement social à la base de la formation du réseau Internet est importante. Les aspects politiques, tant au niveau des interventions politiques qui influencent l'évolution des réseaux que de l'auto-gestion des communautés virtuelles sont riches en analyses. Des mouvements activistes et l'émergence de contre-cultures font aussi partie des luttes entre divers agents sociaux pour orienter l'évolution des réseaux. Les aspects économiques et le déploiement de différentes formes d'infrastructures technologiques permettent d'analyser l'émergence de pratiques commerciales et de gestion des réseaux publics. Au niveau culturel, le développement de nouvelles façons d'être et de communiquer est riche en informations sur l'émergence de nouvelles pratiques sociales. Cultures et contre-cultures émergent et fournissent de nouveaux systèmes symboliques et des ensembles de références aux individus. Et encore, l'analyse psychosociale des interactions sociales renseigne sur les dimensions de la construction de la conscience individuelle, des représentations sociales, des identités sociales, de l'appartenance et des implications sur la quotidienneté des individus.

      Ensuite, tout un travail reste à faire au niveau théorique par la conceptualisation de nouveaux phénomènes et de nouveaux contextes d'interaction. De nouvelles approches se développent actuellement en cette période exploratoire, mais il reste un travail important de synthèse à réaliser. Et c'est précisément grâce aux études empiriques exploratoires que l'analyse théorique des relations sociales en réseaux devient possible. Au niveau méthodologique, les recherches exploratoires sur les relations sociales en réseaux ont dû innover dans les approches afin d'appréhender ces phénomènes sociaux particuliers. La plupart des chercheurs ont rencontré des échecs, mais ont aussi fait émerger de nouveaux outils méthodologiques pour la recherche en sociologie. Ainsi, un travail important devra s'amorcer afin de revoir les méthodes sociologiques, tout en tenant compte de ces nouvelles approches pour appréhender les faits sociaux.

      Afin d'entreprendre ce vaste travail pour rassembler les travaux innovateurs de ce champ de recherche, le présent numéro thématique propose un aperçu de divers aspects de la recherche sur les rapports sociaux sur Internet. Dans la foulée des recherches sur les relations sociales en réseaux, plusieurs chercheurs vous présentent les objets de recherche sur lesquels ils travaillent. Pour commencer, Hugues Draelants propose une réflexion sur la création de liens sociaux dans l'environnement virtuel des "chats". Ensuite, Justine Herbet émet une analyse sur le lien social et la citoyenneté dans la société de communication à travers une analyse avec des usagers des "chats". Aussi, Renee Fountain discute des représentations du virtuel et de la participation dans les espaces virtuels en s'appuyant sur une étude réalisée auprès d'étudiants du Gabon. De plus, Jacques Daignault pose une réflexion sur les communautés virtuelles et sur la virtualité en s'appuyant sur un suivi de l'implantation du site Internet de l'Association internationale pour l'avancement du curriculum (IAACS). Ensuite, je vous présente un article portant sur les mécanismes sociaux favorisant la formation et le maintien des communautés virtuelles en m'appuyant sur une étude réalisée auprès d'usagers d'environnements graphiques de discussion. Du point de vue des ensembles théoriques à la disposition des chercheurs, Arnaud Saint-Martin s'est intéressé au concept de "technosocialité" et analyse les incidences théoriques de la notion de "cyberculture". Finalement, Martine Arino conclut avec une réflexion sur la "territorialité" dans les relations sociales sur Internet.

Jean-François Marcotte

Notes:
1.- Durkheim, Émile. Les règles de la méthode sociologique, Paris: PUF, 1983, p.6.
Notice:
Marcotte, Jean-François. "La sociologie des rapports sociaux en réseaux: un champ d'étude en formation", Esprit critique, vol.03 no.10, Octobre 2001, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
 
 
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