Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Été 2004 - Vol.06, No.03
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La construction des rapports sociaux comme l'un des objectifs des dispositifs de médiation


Élise Lemaire

Formatrice et médiatrice en milieu communautaire, Élise Lemaire est consultante au Centre St-Pierre, Montréal, Canada, H2L 2Y7. <elemaire@centrestpierre.cam.org>

Jean Poitras

Professeur spécialisé en négociation, gestion de conflits et médiation, Jean Poitras enseigne à HEC Montréal, 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal, Canada, H3T 2A7. <jean.poitras@hec.ca>


Résumé

Cet article délimite les contours et les apports de la médiation, plus spécifiquement ceux de la médiation sociale et de la médiation communautaire dans la construction des rapports sociaux. D'abord, les concepts de médiation "communautaire" et de médiation "sociale" sont définis et mis en parallèle. Ensuite, les logiques inscrites dans les pratiques de médiation sociale et communautaire sont décrites, ce qui permet de mettre en relief les particularités de ces approches de médiation. Enfin, les contributions propres à ces types de médiation à la discipline de la prévention et du règlement de différends sont exposées. L'article conclut sur la pertinence de les transposer à d'autres sphères d'application de la médiation.

Mots-clés: Médiation sociale, médiation communautaire, logique d'intervention, rapports sociaux


Les pratiques sociales de médiation foisonnent à l'échelle internationale comme au Québec et sont en progression depuis une vingtaine d'années. Ces pratiques aux formes diverses émergent de "crises" et sont vues à la fois comme une conséquence et une réponse adaptée à la désorganisation sociale pour reconstruire une nouvelle forme de cohésion sociale. Les analyses sur l'émergence des pratiques sociales de médiation identifient deux "crises" majeures. Il y a la crise des systèmes judiciaires de régulation des litiges "qui éprouvent de plus en plus de difficultés pour réguler l'ensemble des conflits et prendre en compte l'évolution et la complexité des rapports sociaux" (Bonafé-Schmitt, 1992, p.16) corrélée à la "crise du lien social" qui sévit dans l'ensemble du système de régulation sociale qui comprend la famille, l'école, le travail et l'Église. Une des résultantes de cette crise est l'insuffisance de la simple conformité aux normes sociales à assurer la concorde sociale. Le contexte actuel de désorganisation sociale stimule donc la recherche de nouvelles perspectives d'action en matière de gestion des différends et de rétablissement du lien social. Dans ce contexte, les médiations sociale et communautaire par leur préoccupation de trouver des réponses plus adéquates aux problèmes de cohésion sociale et leur remise en cause des modes de régulation judiciaire et sociale deviennent des avenues intéressantes et peuvent servir de modes de rechange pour régler les conflits et de pratiques sociales renouvelées.

De fait, on observe une progression des projets d'intervention directement liés aux notions de médiation sociale et de médiation communautaire. Au Québec, depuis une dizaine d'années, plusieurs expériences sont menées auprès des jeunes (contrevenants, de la rue, en milieu scolaire), des familles recomposées et des communautés. Les pratiques les plus connues sont celles des organismes de justice alternative (Charbonneau et Béliveau, 1999; ROJAQ, 1997, 1996), du Centre Mariebourg (1998) et du Centre international de résolution de conflits et de médiation (CIRCM) avec le Programme de promotion de la conduite pacifique en milieu scolaire Vers le Pacifique (Rondeau et al., 1999; Saletti, 1995). Les organismes de justice alternative proposent la médiation entre jeunes contrevenants et victimes comme une des mesures alternatives à la judiciarisation prévue en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. Le modèle d'intervention privilégié est celui d'une justice réparatrice et conciliatrice, "approche qui privilégie toute forme d'action (collective ou individuelle) qui se déroule dans un cadre formel ou informel, visant la réparation des préjudices vécus à l'occasion d'une infraction ou d'un conflit" (Jaccoud, 2000, p.1; Langer, 1998). Ces dernières années, des organismes de justice alternative ont développé également des services de gestion de conflits dans la communauté (Action Défi-Jeunesse (Boutique de droit), Mesures Alternatives des Vallées du Nord et Commun Accord). Quant à lui, le Programme de promotion de la conduite pacifique en milieu scolaire Vers le Pacifique vise à prévenir la violence, notamment par la formation d'élèves médiateurs. Son objectif est de faire prendre conscience et de former les élèves aux habiletés sociales et à la médiation comme mécanismes de résolution de conflits interpersonnels.

Dans ces exemples, la médiation y apparaît à la fois comme conséquence de la désagrégation du lien social et réponse adaptée pour reconstruire une nouvelle forme de cohésion sociale devant "l'incapacité des groupes, des organisations ou de la société globale à mettre en oeuvre un être-ensemble des individus" (Bondu, 1998). Cette forme d'intervention s'appuie principalement sur le constat que l'application des seuls modes juridictionnels de règlement des conflits ne convient pas aux différends issus du quotidien et de nature intersubjective et relationnelle (Shonholtz, 1993, 1984) et ne peut agir sur la rupture des liens sociaux et des réseaux de solidarité (Six, 1999; Bondu, 1998; Shonholtz, 1993, 1984; Bonafé-Schmitt, 1992). Les processus de médiations sociale et communautaire favorisent "un plus grand pluralisme des systèmes de régulation sociale" (Bonafé-Schmitt, 1992; Faget, 1997) et se veulent une réponse au pluralisme grandissant des sociétés et aux nouveaux défis qu'elles posent en proposant une démarche participative pour (re)créer le lien social. Les pratiques de médiation sociale et de médiation communautaire présentent beaucoup d'intérêt car elles constituent des tentatives de réponses aux nouveaux problèmes sociaux comme à ceux pour lesquels les solutions traditionnelles se sont révélées inadéquates. Ses modes alternatifs de règlements des conflits sont encore trop peu définis dans leur vision d'un plus grand pluralisme de systèmes de règlement des conflits, leur apport spécifique à la résolution des problèmes sociaux et leur fonction comme "nouveau mode de régulation sociale". Or comment saisir véritablement l'alternative sociale de ces modes de règlements des conflits si l'on n'aborde pas ce que ces modes font advenir dans la société et ce qui est à l'oeuvre pour répondre aux réalités plus complexes et rencontrer leurs finalités propres.

Comme phénomène relativement nouveau, les médiations sociale et communautaire sont plutôt mal définies. Que proposent de nouveau les pratiques de médiation communautaire et de médiation sociale? À cette question simple, il n'existe malheureusement aucune réponse simple. En fait, les concepts de médiation sociale et de médiation communautaire renvoient à un ensemble de nouvelles pratiques assez disparates d'acteurs sociaux. Ces pratiques multiples, encore trop peu évaluées et étudiées, compliquent l'exercice de compréhension du phénomène qualifié de "pluriel" (Bondu, 1998; Bonafé-Schmitt, 1999, 1992). Ce vide conceptuel nous interpelle et commande une meilleure saisie des concepts de médiation sociale et de médiation communautaire afin de mieux comprendre ces phénomènes ainsi que leur portée.

Le présent article a pour objectif de définir les spécificités et les contributions de la médiation sociale et de la médiation communautaire dans l'édification des rapports sociaux. Dans le cadre de cette réflexion, nous tenterons plus précisément de répondre aux trois questions suivantes: Qu'est-ce qui différencie la médiation sociale de la médiation communautaire? Quelles sont les logiques sous-jacentes communes à ces deux notions? Quelle est la contribution de celles-ci à l'égard des rapports sociaux? Les réponses à ces questions permettront de mettre en lumière l'apport spécifique de ces phénomènes à la régulation des conflits et à la régénération de la cohésion sociale.

Différences entre la médiation sociale et la médiation communautaire

Peut-on parler de la médiation sociale et de la médiation communautaire de la même façon? S'agit-il plutôt de deux variantes d'un même phénomène? Dans la documentation, les notions de médiation sociale et de médiation communautaire sont "utilisées de manière indifférenciée et en apparence désignent des phénomènes similaires" (Bonafé-Schmitt, 1999). Néanmoins, l'examen des ouvrages et des pratiques de médiation (Bonafé-Schmitt, 1999, 1992, 1989; Bondu, 1998; Menkel-Meadow, 1995; Merry et Milner, 1993; Shonholtz, 1984) ainsi qu'un retour à la source nord-américaine de la médiation dans le champ social permettent d'établir certaines différences entre les deux. En même temps, il existe des points communs entre la médiation sociale et la médiation communautaire. Bien qu'elles s'insèrent dans une approche similaire de règlement de conflits, ce sont leurs finalités qui les distinguent.

En effet, les deux types de médiation peuvent être définis selon des objectifs différents. De la médiation sociale se dégage un ensemble de pratiques visant la nécessité de reconstruire le lien social dans une société "non insérante". Quant à la médiation communautaire, il s'agit de pratiques de rechange autonomes de régulation et d'intégration sociale qui se rapportent à l'appropriation des modes de gestion des conflits par les communautés et leurs membres pour résoudre les problèmes sociaux et favoriser une meilleure vie en commun. Ces différences se concrétisent davantage lorsqu'on pousse la comparaison de l'objet, de l'enjeu primordial et des axes d'intervention de la médiation sociale et la médiation communautaire. Le tableau 1 ci-dessous résume les principales différences entre les deux formes de médiation.

Médiation sociale

L'enjeu primordial de la médiation sociale est la réinsertion de l'individu dans la vie sociale. Bondu (1998, p.17) mentionne que "[La médiation sociale] vise [à] la (re)socialisation des individus confrontés à l'exclusion, grâce à une action de réinstauration du lien social". Il lui donne, comme certains autres auteurs (Parazelli, 2000b), une vocation précise de pratique d'intervention pour rebâtir le lien social par des réponses innovatrices pour (re)socialiser des individus confrontés à l'exclusion.


Tableau 1
Analyse des concepts de médiation communautaire et de médiation sociale

 

Médiation sociale

Médiation communautaire

Définition de la médiation

Pratiques d'intervention visant la re-construction du lien social pour (re)socialiser des individus et lutter contre les phénomènes de désorganisation qui minent la vie sociale.

Pratiques d'intervention visant la réappropriation par les membres d'une communauté de leur capacité d'agir, pour résoudre leurs conflits et rétablir les relations entre les membres.

Objet

Reconstruire des interactions positives entre les individus marginalisés et la société pour que s'effectue la resocialisation.

Favoriser la participation de la population à la résolution de conflits et rétablir la cohésion sociale au sein de la communauté de façon autonome et responsable.

Enjeu primordial

Réinscription de l'individu dans la vie sociale.

Création d'une société harmonieuse par la résolution non violente des conflits par la communauté.

Axes d'intervention

Deux axes: travail relationnel pour repositionner les individus comme acteurs et travail de mobilisation de l'environnement pour améliorer les conditions d'insertion.

Deux axes: création d'une communauté par la formation de ses membres en résolution de conflits et participation des membres à la gestion des conflits et la création de nouveaux liens sociaux.



Dans cette optique, la médiation n'est pas perçue comme une fin en soi pour résoudre des conflits mais plutôt un instrument "pour parvenir à une transformation des relations sociales" (Bondu, 1998; Bonafé-Schmitt, 1992). Son objet d'intervention principal est la reconstruction des interactions positives entre les individus marginalisés et la société. Il se matérialise selon deux axes: une action de proximité tournée vers les individus exclus en vue de les mobiliser à se réintégrer dans la société et une action de transformation sociale du milieu en vue d'une meilleure insertion des individus dans la société. C'est en travaillant sur la relation entre les individus que le médiateur compte accomplir ces objectifs de réinsertion sociale.

Les expériences qualifiées de médiation sociale sont, par exemple, les actions menées auprès de jeunes considérés marginalisés par le dispositif de négociation de groupe à groupe auprès des jeunes de la rue à Montréal (Parazelli, 2000a et b), dont l'objectif est de développer l'autonomie sociale des jeunes de la rue en tant qu'acteurs dans une volonté de s'approprier leurs actes sociaux et de recomposer le lien social par la négociation entre groupes. La médiation et d'autres actions communautaires élaborées par les organismes de justice alternative (Charbonneau et Béliveau, 1999) dans le cadre de mesures de rechange à la procédure judiciaire officielle sont un autre exemple. Selon les perspectives adoptées par la justice réparatrice, elle peut avoir pour effet de réparer des préjudices (réparatrice), responsabiliser le jeune contrevenant (réhabilitative), redonner de la place et du pouvoir aux victimes (autonomisation) et/ou réintégrer les personnes lésées et les personnes responsables des préjudices dans leur communauté (réintégrative), (Jaccoud, 2000).

Médiation communautaire

La raison d'être de la médiation communautaire est fortement liée à la volonté des membres d'une communauté de définir eux-mêmes leurs problèmes, leurs besoins, leurs actions et leur qualité de vie. Selon Bonafé-Schmitt (1999, 1992), la nature même des expériences de médiation communautaire est d'élaborer un projet autonome de régulation des conflits sans intervention de l'État et plus près des parties en conflit afin de favoriser un "agir citoyen". Cet agir favorise la réappropriation des modes de gestion des conflits et le "renforcement de la vitalité et la stabilité des relations de voisinage" (Six, 1995, p.225). En bout de ligne, l'enjeu primordial est la création d'une société harmonieuse par la résolution non violente des conflits par la communauté.

L'expérience de la médiation communautaire se veut une solution de rechange au recours à la justice; elle ne vise pas à créer une justice "parallèle" mais à doter les membres d'une communauté de nouveaux lieux de régulation et de socialisation. Deux axes d'intervention prévalent dans la médiation communautaire. D'abord, des lieux "populaires" de prise en charge individuelle et collective des conflits sont définis et créés afin de permettre à la communauté de se réapproprier le pouvoir d'agir et de gérer les conflits pour ensuite créer de nouvelles solidarités. Ensuite, les membres de la communauté participent directement à résoudre les différends (ex.: en prenant le rôle de médiateurs) pour confier à la communauté le rôle de maître d'oeuvre du système. La volonté est de promouvoir un autre modèle de régulation des litiges, une justice "moins conflictuelle et plus consensuelle" où le cheminement en vue d'une entente est plus important que le contenu de l'entente elle-même (Menkel-Meadow, 1995; Merry et Milner, 1993).

L'expérience classique et pionnière de la médiation communautaire est celle du Community Board de San Francisco (Shonholtz, 1993, 1984), qui se fonde sur la capacité des communautés à prendre en charge et à traiter les différends avant qu'ils n'ouvrent la voie à des conflits violents et soient soumis aux tribunaux. Le programme de promotion de la conduite pacifique en milieu scolaire Vers le Pacifique fait état des principales caractéristiques de la médiation communautaire. En formant les élèves à gérer les conflits internes, le programme augmente la capacité des jeunes médiateurs (pairs) à régulariser eux-mêmes les conflits et participe ainsi à la construction d'un milieu de vie plus harmonieux. Le programme promeut la réappropriation par les étudiants de leur capacité de résoudre les conflits et de rétablir des relations de coopération entre les membres de la communauté scolaire. Le but ultime est de diminuer les tensions et l'incidence des comportements violents dans le milieu scolaire.

Quand la manière de chercher des solutions est plus importante que les solutions elles-mêmes

Malgré leurs finalités différentes, la médiation sociale et la médiation communautaire s'inscrivent dans une même approche de traitement des différends et de régulation sociale. En ce sens, la médiation communautaire et la médiation sociale s'insèrent toutes deux dans les logiques premières de réappropriation et d'intégration sociale qui sous-tendent leur développement. Quatre logiques sont au coeur de ces deux formes de médiation: l'autonomie, la reconnaissance et l'intégration des besoins humains, la proximité du processus ainsi que la prévention de futurs conflits. Le tableau 2 ci-dessous résume ces différentes logiques qui sont explorées plus en détails dans les sections suivantes.

Logique d'autonomie

La logique d'autonomie présuppose la réappropriation du pouvoir de gérer les conflits et du pouvoir d'agir comme sujet de leur existence. L'objectif de réappropriation des expériences de médiation communautaire et de médiation sociale renvoie à une dynamique individuelle et collective et s'apparente à l'approche d'autonomisation (empowerment), (Le Bossé, 1996), c'est-à-dire l'appropriation par les personnes et les communautés d'un pouvoir sur leurs actes ainsi que la régulation des conflits et la restauration d'interactions positives entre elles et dans la société. Cette perspective exige que le médiateur ne prenne pas charge des personnes comme objets passifs de la médiation, mais plutôt qu'il les aide à s'approprier de leur pouvoir et de (re)construire les interactions et l'identité sociale des personnes et des groupes. Dans cette perspective, la méthode utilisée pour trouver une solution est plus importante que la solution elle-même. L'autonomisation des expériences de médiation sociale et de médiation communautaire renvoie à une dynamique à la fois individuelle et collective.

L'autonomisation individuelle se réfère à la participation des personnes à une démarche d'acquisition d'une conscience de soi sur soi, d'une maîtrise sur les ressources et sur leurs actes et d'une conscience de soi parmi les autres dans une perspective d'expression des besoins pour assurer l'épanouissement de la personne et le bien-être collectif. En ce sens, le processus de médiation est une expérience éducative, un processus de reconstruction d'interactions positives et un mode de gestion des différends qui peut se résumer ainsi:

"La médiation, [...], est un processus qui amène les personnes à réaliser qu'elles sont en mesure de prendre leurs responsabilités. Cette démarche [...] rehausse leur estime de soi, tout en contribuant à développer un sens d'appartenance à la communauté dans laquelle elles vivent" (ROJAQ, 2000, p.25).


Tableau 2
Logiques communes à la médiation communautaire et la médiation sociale

Logique

Description

Autonomie

Reconquête d'un pouvoir de détermination par la personne et la communauté. Création de pratiques sociales responsabilisantes et de lieux de régulation des conflits et de socialisation autonomes de l'État.

Reconnaissance et intégration des besoins

Reconnaissance et intégration des besoins fondamentaux des personnes (conscience de soi, reconnaissance, libre disposition et maîtrise de sa destinée) à l'intérieur des espaces interactionnels.

Proximité

Rapprochement des processus de régularisation et de décision des personnes et des communautés participantes

Prévention

Augmentation de la capacité des personnes et des communautés à désamorcer les situations conflictuelles et à créer de nouvelles solidarités, réduisant ainsi les tensions sociales et rehaussant la vie collective.



Dans sa dimension communautaire, le processus d'appropriation s'adresse à l'ensemble d'une communauté et son action s'inscrit dans un environnement local et social. L'autonomisation communautaire actualise la raison d'être du processus d'appropriation, notamment d'être "pour, par et dans la communauté". Il s'appuie sur les forces d'une communauté, sa capacité à prendre conscience de la dimension collective et sociale des problèmes et à les résoudre, à développer des réseaux, des lieux de participation aux prises de décision ainsi qu'à renforcer un sentiment d'appartenance. Dans la logique d'autonomie communautaire, ce qui prévaut est la mobilisation de la communauté pour en faire un réseau ainsi qu'un forum de délibération et de socialisation.

Pour soutenir la participation des membres de la communauté, des pairs médiateurs seront formés afin de créer un réseau communautaire de soutien et d'intervention dans une relation de proximité avec les personnes. Le développement d'habiletés individuelles ne vise pas à assujettir la collectivité au pouvoir de quelques "spécialistes", mais il est considéré un moyen important pour l'autonomisation individuelle et collective. Le but est d'assurer une gestion autonome des conflits par le développement de compétences afin que les communautés ne dépendent pas de médiateurs externes et puissent rétablir elles-mêmes des liens sociaux.

Logique de reconnaissance et d'intégration des besoins

Les processus de médiation communautaire et de médiation sociale répondent, selon des optiques différentes, à l'importante aspiration sociale qu'est le besoin de reconnaissance. La perspective de reconnaissance adoptée renvoie à celle définie par Bush et Folger (1994): "le désir et la capacité de reconnaître, de considérer et d'être interpellé par les autres". Bondu (1998, p.142) va même un cran plus loin: "Il s'agit de s'approcher d'autrui pour le reconnaître, et par là même, être reconnu et sortir ainsi de son inexistence sociale. Il s'agit donc de (ré)apprendre la possibilité de sortir de son quant-à-soi pour établir une relation fondatrice avec autrui". Pour le médiateur, la clef de voûte du processus est donc la reconnaissance mutuelle entre les parties.

L'enjeu des deux modèles de médiation se ressemble. Pour ce qui est de la médiation sociale, il réside dans la possibilité qui est offerte par le processus d'établir des liens authentiques avec les autres (Umbreit, 1997). Sur le plan communautaire, il réside dans un plus grand sens de la communauté et de l'harmonie sociale et dans la création par la résolution des conflits d'une communauté forte et pacifique où les interactions sociales sont harmonieuses et les membres se reconnaissent mutuellement (Shonholtz, 1993). C'est cette reconnaissance qui jette les bases d'une réconciliation véritable et durable ainsi que d'une communauté respectueuse et harmonieuse.

Parallèlement à la reconnaissance, la médiation sociale et la médiation communautaire pratiquent des espaces interactionnels ouverts d'intégration des besoins fondamentaux des personnes (la conscience de soi, la reconnaissance, la libre disposition et la maîtrise de sa destinée) et de découverte de l'autre dans l'interdépendance et l'intersubjectivité (Bondu, 1998; Umbreit, 1997; Menkel-Meadow, 1995). L'acceptation de ces besoins fondamentaux de l'autre devient la base d'une solution au différend qui oppose les parties. Selon cette logique sous-jacente, aucune réconciliation n'est possible sans la reconnaissance et l'acceptation de ces besoins fondamentaux.

Logique de proximité

Une troisième logique est celle de la proximité du processus d'intervention des parties en conflit et de la communauté. Il s'agit ici d'une proximité structurelle et sociale: structurelle, car le contrôle du processus décisionnel est rapatrié par les parties qui y prennent part directement. Ce sont les parties qui trouvent ensemble des réponses pour sortir des impasses où elles se trouvent. Il n'y a plus d'intermédiaires entre les parties comme ceux qu'on trouve dans les cadres juridique et administratif des modèles de gestion de conflit plus institutionnalisés. Ce sont les parties qui ont la responsabilité de trouver une solution à leur différend. Cette proximité structurelle s'inscrit dans l'objectif de responsabilisation de la médiation sociale.

Il s'agit également d'une proximité sociale, car le processus de gestion des conflits demeure solidement ancré dans la communauté. La médiation s'inscrit dans une dynamique collective par laquelle les "habitants" sont amenés à trouver ensemble des réponses collectives à leurs besoins hors des "espaces institués" (Bondu, 1998) et au sein de "lieux de socialisation et de médiation que peuvent représenter les quartiers" pour la médiation communautaire (Bonafé-Schmitt, 1999; Shonholtz, 1993). Cette dernière dimension témoigne de la conception d'acteur direct sur le terrain de la fonction de médiateur. Que l'on fasse appel à des membres de la communauté sans compétence précise qui exercent ces fonctions bénévolement ou auprès d'intervenants sociaux professionnels (animateurs, éducateurs, travailleurs), le principal travail de l'acteur de la médiation consistera à créer des conditions d'ouverture et à favoriser le développement d'interactions positives entre les personnes et les groupes de personnes, entre la communauté et son environnement social.

Logique de prévention

Bien qu'elles représentent plus qu'une solution à un différend donné, la médiation sociale et la médiation communautaire cherchent à prévenir l'émergence de nouveaux conflits. Cet objectif est atteint entre autres par la réinsertion sociale, la reconstruction de liens sociaux détruits et le développement des compétences des personnes et des communautés. Le travail de prévention va de pair avec l'existence de processus de socialisation et d'intégration sociale efficaces "pour le plus grand nombre" (Bondu, 1998) et avec la mobilisation communautaire. En ce qui a trait davantage à la médiation sociale, cette pratique sociale préconise à la fois la prévention de risques sociaux à court terme de même que la réinsertion sociale et la reconstruction d'un lien social à long terme (Bondu, 1998). Quant à la médiation communautaire, la prévention aborde la réorganisation des communautés, ce qui suppose des modifications structurelles et la vitalisation du tissu communautaire. L'objectif est de diminuer la portée des facteurs qui conduisent à l'éclosion de nouveaux conflits dans le cas de la médiation sociale et de renforcer les communautés de référence pour qu'elles puissent agir de manière continue et permanente sur la résolution des conflits dans le cas de la médiation communautaire.

Contribution de la médiation sociale et de la médiation communautaire à la construction des rapports sociaux

Les logiques sous-jacentes à la médiation sociale et la médiation communautaire ont non seulement démontré les particularités des ces types de médiation, mais ont également souligné leur contribution spécifique. Au travers de ces logiques, la médiation sociale met de l'avant, d'une manière qui lui est propre, une perspective d'intercompréhension qui n'est pas nécessairement au coeur des formes de médiation plus conventionnelles telles que la médiation commerciale. Quant à la médiation communautaire, elle vise une transformation sociale, objectif qui n'est pas nécessairement partagé par les autres formes de médiation. Ces perspectives dépassent le simple cadre d'une recherche de solutions et méritent d'être approfondies davantage.

Médiation sociale et perspective d'intercompréhension

L'enjeu de la médiation sociale n'est pas tant la recherche d'un règlement que la recherche d'une intercompréhension mutuelle par un processus de communication. Toute l'action de la médiation réside dans la mise en oeuvre d'une situation interactionnelle où s'édifie une prise de parole commune (Bondu, 1998; Six, 1995). Dans un lien dynamique qui permet d'aller "au bout de ses explications, de rendre compte en totalité de sa propre logique", de cheminer dans un choc "des raisons, des univers de valeurs séparés", une transformation progressive des logiques tend vers une compréhension mutuelle et la constitution d'un monde commun (Bondu, 1998; Langer, 1997; Umbreit, 1997; Bush et Folger, 1994). La médiation sociale vise donc à construire une intercompréhension tout autant qu'à trouver une solution ponctuelle au différend. C'est cette recherche de l'intercompréhension, à la base de la réinsertion et la reconstitution du lien social, qui est la principale contribution de la médiation sociale au champ du règlement des différends. En bout de ligne, la médiation sociale cherche à assurer une meilleure relation et une (ré)intégration sociale.

Médiation communautaire et transformation de la société

La médiation communautaire peut être perçue comme un moyen d'habiliter davantage la communauté dans la gestion des problèmes sociaux et d'habiliter ses membres à se réapproprier un pouvoir sur leur vie "tout en développant une plus grande cohésion communautaire" (Bonafé-Schmitt, 1999, 1992; Charbonneau et Béliveau, 1999). Elle correspond à un modèle de justice sociale qui cherche à créer une société plus juste, plus démocratique et plus humaine en réglant les problèmes collectifs selon la typologie de Bush et Folger (1994). La pratique de médiation communautaire se veut un "acteur de changement social", de par son esprit émancipatoire et sa critique de la cohérence de la société et de ses visées de transformation des rapports sociaux de nature plus globale. Dans cette optique de transformation sociale, chaque médiation vise à construire une société meilleure.

Dans la poursuite de l'étude des médiations sociale et communautaire et des apports propres à chacune, il serait important de combler le vide actuel concernant l'évaluation de la portée de leurs pratiques: Dans quelle mesure la médiation sociale permet-elle de reconstruire un lien social? La médiation communautaire représente-t-elle un moyen de participer à des changements sociaux? La communauté apprend-t-elle à régler ses autres conflits (c'est-à-dire ceux qui ne sont pas portés à l'attention de projets [expériences, projets-pilotes, programmes] de médiation communautaire) de façon plus harmonieuse? L'incidence de ces autres conflits diminue-t-elle? Pris ensemble, les résultats obtenus jusqu'à ce jour permettent-ils d'atteindre ou du moins d'amorcer les visées? Des recherches observent les effets (Jaccoud, 2000a; Parazelli, 2000a; Bonafé-Schmitt, 1999; Rondeau, Bowen et Bélanger, 1999; Bondu, 1998; Merry et Milner, 1993) et permettent de mieux comprendre les interactions possibles des interventions de médiation et d'en percevoir le potentiel et les limites. Elles mènent à des constats positifs et soulèvent de nombreux questionnements.

Conclusion

L'analyse de la médiation sociale et de la médiation communautaire proposée dans cet article a permis, dans un premier temps, de mieux différencier ces deux types de médiation. Tandis que la médiation sociale met l'accent sur la reconstruction du lien social entre les parties, la médiation communautaire mise sur la réappropriation par la communauté et ses membres du pouvoir de régler eux-mêmes les conflits qui les concernent. Malgré ces différences de finalité, ces deux types de médiation partagent des logiques communes.

Plus précisément, quatre logiques prévalent. Premièrement, la logique d'autonomisation comporte deux volets: autonomisation des parties quant au développement de l'individualité de chacune en relation avec d'autres dans la société, autonomisation de la communauté quant aux mécanismes de régulation des différends. Deuxièmement, la logique de promotion de la reconnaissance entre les parties en conflit et de reconnaissance mutuelle entre les membres d'une communauté humanise quant à elle le processus de résolution des différends. Troisièmement, la logique de proximité comporte deux dimensions: celle du processus de décision qui se rapproche des parties et celle du réseau et du forum de résolution du conflit qui se rapproche du contrôle de la communauté. Quatrièmement, la logique de prévention des conflits passe par la reconstruction d'un lien social et la consolidation de la cohésion communautaire. Ces logiques constituent en fait l'apport initial de la médiation sociale et la médiation communautaire qui favorisent l'intercompréhension et la transformation de la société par leur entremise.

En guise de réflexion finale, il est intéressant de se demander s'il est possible d'appliquer les logiques des médiations sociale et communautaire à d'autres domaines de la médiation? Les exemples d'interventions dans les champs de la médiation familiale (Gaudreau, 1995) et de la médiation pénale (Bonafé-Schmitt, 1999; ROJAQ, 1997) nous démontrent, à tout le moins, que cette approche peut offrir des réponses intéressantes aux pratiques traditionnelles dans l'optique d'une prise en charge individuelle et collective des problèmes sociaux. En effet, l'utilisation de la médiation dans ces deux champs s'apparente à la médiation sociale et communautaire tel qu'élaborées dans cet article.

Par contre, certaine utilisation de la médiation ne capture pas les logiques de la médiation sociale et la médiation communautaire. La principale réserve a trait à l'adoption de la finalité de reconstruire une cohésion sociale par les acteurs de la vie sociale. Lorsque que l'utilisation de la médiation par une organisation est considérée comme un simple moyen d'améliorer l'efficacité dans la gestion de conflits, tel que la réduction des coûts et des délais administratifs, alors nous assisterons à un appauvrissement du potentiel de reconstruction de rapports sociaux. Dans cette optique, l'utilisation de la médiation ne traduit pas alors les logiques de la médiation sociale et de la médiation communautaire.

Élise Lemaire
Jean Poitras

Références bibliographiques:

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Bonafé-Schmitt, Jean-Pierre (1992). La médiation: une justice douce, Paris, Syros Alternatives, 279 pages.

Bonafé-Schmitt, Jean-Pierre (1989). "Une esquisse d'état des lieux de médiation", Le groupe familial, vol.125, no 10, p.5-15.

Bondu, Dominique (1998). Nouvelles pratiques de médiation sociale, Paris, ESF éditeur, 219 pages.

Bush, Robert A. Barush et Joseph P., Folger (1994). The Promise of Mediation, San Francisco, Jossey-Bass Publishers, 296 pages.

Centre Mariebourg (1998). La médiation par les pairs au primaire, Guide d'animation, Programme Vers le Pacifique, Montréal, Corporation Foyer Mariebourg, 248 pages.

Centre Mariebourg (1998a). La résolution de conflits et la médiation par les pairs au secondaire, Guide d'animation, Programme Vers le Pacifique, Montréal, Corporation Foyer Mariebourg, 302 pages.

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Notice:
Lemaire, Élise et Poitras, Jean. "La construction des rapports sociaux comme l'un des objectifs des dispositifs de médiation", Esprit critique, Été 2004, Vol.06, No.03, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr
 
 
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