Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Été 2004 - Vol.06, No.03
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Entre contrôle social et régulation économique: la médiation sur les espaces publics


Alexandre Biotteau

Doctorant en Sociologie politique et politiques publiques, IEP de Paris. a_biotteau@hotmail.com


Résumé

Au cours de la dernière décennie, des milliers d'emplois dits de "médiation sociale" ont été créés à travers la France pour intervenir sur différents types d'espaces ouverts au public. La plupart ont été créés sous la forme de contrats aidés et cet article synthétise les résultats d'une étude comparée alors que les subventions publiques touchent à leur terme. La création de ces emplois est le produit d'une action publique territoriale et les acteurs institutionnels disposent ainsi d'une certaine marge de manoeuvre pour orienter l'activité des médiateurs selon leurs intérêts propres. En outre, l'analyse sociologique des recrutements révèle une certaine instrumentalisation des caractéristiques ethniques qui vise autant à améliorer l'efficacité de leurs interventions qu'à accroître la légitimité des institutions auprès du public. Enfin, la mise en place de médiateurs sur les espaces publics se caractérise fondamentalement comme une politique de création d'emploi mais les conditions de sa mise en oeuvre sont contreproductives sur le plan professionnel. Alors que ces expériences devaient donner naissance à un nouveau métier vecteur d'insertion, la médiation sociale ne constitue pas aujourd'hui un secteur d'activité véritablement structuré et l'avenir de ces emplois paraît sérieusement compromis.


Abstract

Between social control and economic regulation: "social mediators" on public areas.

During the last decade, a considerable number of jobs referred to as "social mediators", or ombudsmen, were created in France to intervene in different types of public areas. The majority were designed under subsidized contracts and this article synthesizes the results of a comparative study about when public subsidies end. The creation of these jobs is the product of a territorial public action; as such institutional actors have a certain ability to manoeuvre and direct the activity of mediators according to their own interests. Moreover, sociological analysis of recruitment reveals utilization of ethnically based methods which aim at improving the efficiency of their interventions as much as increasing the legitimacy of public institutions. Finally, the installation of mediators in public areas is fundamentally characterized as a policy of job creation, however the conditions of its implementation are counterproductive for the professional level. Whereas these experiences gave rise to a new way of integration into the job market, today social mediation does not constitute a structured activity and the future of this form of employment appears seriously compromised.


Le principe de médiation s'est diffusé en France dans de nombreux secteurs et ce terme renvoie aujourd'hui à des activités très variées. Parmi tous ceux qu'on qualifie de "médiateurs sociaux", il existe une catégorie particulière d'employés qui ont pour mission de faire de la médiation sur l'espace public - ou sur les espaces privés ouverts au publics, tels que les réseaux de transport, les halls d'immeubles ou les centres commerciaux. Ces emplois sont créés et financés par différents types d'organismes locaux (les propriétaires des lieux, des collectivités territoriales, des administrations déconcentrées...) et ils sont ainsi au coeur d'une forme d'action publique territoriale spécifique.

Cet article replace les caractéristiques de ces emplois dans le contexte de leur création et souligne les menaces qui pèsent sur leur évolution. Cette analyse tient compte de l'état des recherches sur le sujet et elle s'appuie surtout sur une étude originale de différents dispositifs, réalisée dans le cadre d'un doctorat de sociologie politique dont la soutenance est prévue au cours de l'année 2004, sous l'intitulé (provisoire) suivant: "les emplois de médiateurs sociaux: vers un démembrement des fonctions régaliennes?".

Plusieurs méthodes d'investigation sociologique ont été mobilisées pour cette recherche. Outre le travail d'analyse documentaire des publications officielles et de différents articles relatifs à ces emplois, trois grandes techniques ont été privilégiées. En premier lieu, des questionnaires ont été envoyés à diverses structures susceptibles d'employer des médiateurs, de manière à recenser les expériences existantes, leurs principales caractéristiques et les objectifs officiellement poursuivis par les organismes concernés. Ensuite, plusieurs séries d'entretiens ont été réalisées, au niveau national et au niveau local, auprès d'employeurs, d'employés, de responsables administratifs et de divers professionnels. Enfin, des campagnes d'observation ont été menées. Il ne s'agit pas d'observation participante à proprement parler puisque je n'ai pas moi-même effectué le travail des médiateurs mais j'ai accompagné plusieurs équipes pendant plusieurs jours. Les entretiens concernent une vingtaine de dispositifs mis en place dans différents secteurs d'activité, dans différentes régions (agglomération lyonnaise, métropole lilloise, région parisienne, ville de Marseille,...) et des monographies plus détaillées ont été réalisées sur les villes de Caen, Nice, Paris et Rennes.

Dans cet article, on s'intéresse, en premier lieu, aux tâches confiées aux médiateurs. Il n'existe pas de définition stricte de leurs missions et leur champ d'activité est l'objet d'une construction collective largement déterminée par les intérêts des institutions commanditaires de ces dispositifs et les revendications de leurs "partenaires" professionnels.

Compte tenu de la sur-représentation des jeunes "issus de l'immigration" et des quartiers populaires parmi les médiateurs, on s'interroge ensuite sur l'importance accordée aux appartenances communautaires et aux caractéristiques ethniques des agents.

Enfin, la mise en place des médiateurs répond fondamentalement à une politique de création d'emploi. Mais les choix opérés par les "partenaires" pour mettre en oeuvre ces dispositifs nuisent à la structuration de ce champ d'activité et cette expérience professionnelle se révèle d'un intérêt limité pour les employés.

1. La construction locale du champ d'activité

Les emplois dits "de médiation sociale" constituent en fait une appellation générique pour un ensemble d'emplois relativement hétéroclite. Il n'existe pas de définition unique et précise, de ce type d'emplois et en fait on regroupe communément sous le terme de "médiateur sociaux" un grand nombre d'employés qui reçoivent, parmi leurs missions officielles, celle d'effectuer une forme de "médiation". En 2001, un rapport remis à la Délégation interministérielle à la ville (DIV) dénombrait ainsi près de 20'000 emplois pouvant être inclus dans cette catégorie (Robert, 2001).

1.1 Une action publique territoriale

Tous ces "médiateurs" sont recrutés par des organismes de divers statuts et ils interviennent dans des situations très variées. Cependant, on peut isoler au sein de cet ensemble un sous-groupe particulier d'employés qui exercent leurs missions sur les espaces publics et les espaces ouverts au publics: parcs de logements sociaux, réseaux de transports en commun, équipements municipaux, centres commerciaux, etc. Ces agents se présentent sous des appellations diverses, telles qu'Agent d'ambiance, Correspondants de nuit, Grands-frères ou AMIS (pour Accueil Médiation Information Service) mais ils sont regroupés ici sous le vocable général de "médiateurs sociaux".

La prépondérance des emplois-jeunes

Ces différents emplois ne répondent pas à une définition légale précise, mais d'un point de vue strictement juridique, tous ces postes se caractérisent fondamentalement comme des emplois "aidés", réservés à certaines catégories sociales et faisant l'objet de subventions publiques. Un grand nombre de médiateurs était engagés sur des emplois-ville avant que ce type de contrat ne disparaisse et, depuis 1997, les agents ont le plus souvent été recrutés sur des emplois-jeunes. En 2000, ce type de contrats concernait ainsi 95% des emplois de "médiation sociale" recensés par la DIV - les 5% restant étant constitués de différents emplois d'insertion de type Contrat emploi solidarité (CES), contrat emploi consolidé (CEC), etc.

Les emplois-jeunes sont des contrats de travail créés en 1997 par le ministère du Travail, alors occupé par Martine Aubry (parti socialiste). Ces emplois pouvaient être créés par les collectivités territoriales, les associations et les organismes délégataires d'une mission de service public (se référer à la loi de 1997). Ils étaient réservés aux 18-25 ans et ils faisaient l'objet de subventions publiques à hauteur de 80% du salaire minimum pendant cinq ans, à compter leur date de création.

En 2002, le gouvernement de J.-P. Raffarin a mit un terme définitif à ce dispositif, et plus aucun emploi n'a été créé sur ce statut. Néanmoins, les postes qui existaient déjà à cette date continuent à percevoir les subventions initialement prévues pour cinq ans et les derniers emplois-jeunes prendront ainsi fin en 2007. Loin d'être un objet d'étude désuet, les emplois-jeunes constituent donc maintenant un sujet particulièrement intéressant à étudier: c'est au moment précis où s'interrompt l'aide publique et que les premiers contrats arrivent à leur terme que l'on peut évaluer la pérennisation de ces expériences et les possibilités d'insertion qu'elles ont offertes aux jeunes.

En effet, l'objectif officiel de la loi dite "Aubry" était d'encourager l'emploi des jeunes en même temps que la création de nouvelles activités, qui répondaient à des besoins émergents ou non-satisfaits par le secteur marchand. Les services du ministère du Travail ont ainsi publié de nombreux documents présentant différents types d'emplois-jeunes possibles, parmi lesquels les fonctions dites "de médiation" étaient souvent évoquées. Mais il ne s'agissait que d'exemples et de modèles fournis à titre indicatif. La loi ne fixait pas de champ d'activité spécifique et la définition des postes était laissée à l'appréciation des employeurs, dans l'objectif officiel de favoriser l'adaptation aux "spécificités locales". Leur seule contrainte légale était de ne pas confier aux emplois-jeunes des activités déjà exercées par d'autres professionnels.

Des emplois créés par différents types d'institutions

D'après les données rassemblées sur les emplois-jeunes, les collectivités territoriales constituent les premiers employeurs de médiateurs (avec plus de 40% des effectifs) suivies de près par les associations, puis par les établissements publics. Ces catégories générales appellent néanmoins des précisions. Parmi les collectivités, d'abord, il apparaît que ce sont les municipalités qui recrutent le plus grand nombre de médiateurs pour circuler sur leur patrimoine. Les médiateurs des conseils généraux, moins nombreux, interviennent plus spécialement dans les collèges.

Quant aux médiateurs employés par les associations, ils interviennent généralement pour le compte d'organismes tiers, qui participent à leur financement, et parfois à leur formation ou à leur encadrement.

Enfin, les emplois-jeunes de l'Éducation nationale font l'objet de statistiques séparées, et les établissements scolaires ne sont pas pris en compte parmi les établissements dits "publics". Il s'agit en fait des différents organismes investis d'une mission de service public: bailleurs d'Habitations à loyer modéré (HLM), sociétés de transport public, compagnie d'Electricité de France (EDF)... Les institutions de ce type recrutent parfois directement des médiateurs mais certaines font aussi appel aux services des associations évoquées précédemment.

Ainsi, de nombreuses institutions de droit public et privé participent au recrutement, au financement et à l'encadrement quotidien de ces emplois. La mise en place des médiateurs repose sur différents accords économiques et juridiques conclus localement entre ces différents organismes, et ces emplois se trouvent donc au coeur de véritables dispositifs d'action publique territoriale.

Par ailleurs, les volumes de recrutement pour un seul employeur sont très variés. Ainsi, certaines municipalités ont embauchés plusieurs dizaines - voire même plusieurs centaines - d'agents. Mais la taille des effectifs n'est pas proportionnelle au nombre d'habitants et de nombreuses communes ont formé de petites équipes de médiateurs (de une à cinq personnes seulement). En fait, au-delà de quelques recrutements massifs, la grande majorité des emplois existants est ainsi constituée d'une multitude de petits dispositifs, dont la dispersion géographique rend le recensement et l'étude plus difficiles.

Il en va de même pour les associations, qui comptent parfois plus de cent médiateurs employés pour le compte de différents partenaires. Les organismes d'HLM, en revanche, ont effectué des recrutements moins importants qui ne dépassent que très rarement la vingtaine d'agents.

Les emplois de médiation sociale constituent ainsi un terrain d'étude très hétérogène et géographiquement dispersé. Ils ne font d'ailleurs pas l'objet d'une catégorie spécifique dans les statistiques des emplois-jeunes publiées par les services du ministère du Travail. Les effectifs sont comptabilisés selon le secteur d'activité de leur employeur ou les axes dominants de leurs missions, et ils se trouvent ainsi dispersés dans différentes catégories: "logement et vie des quartiers", "transports", et "sécurité" en particulier.

1.2. Trois grands pôles d'activités

Dans son acception générale, la médiation désigne l'intervention d'un tiers neutre et dénué de tout pouvoir de coercition, entre deux parties en relation (Six, 1995). Au regard de cette définition, les emplois de médiation sociale semblent donc traduire l'apparition d'un nouveau mode de fonctionnement des institutions à l'égard de leurs usagers. Cependant, les implications concrètes de cet objectif restent relativement vagues et il n'existe pas de champ d'action bien délimité mais plutôt trois grands types de missions confiées aux médiateurs sociaux: les petits services, les missions à caractère social et les missions de sécurisation.

Les petits services à la population

Les emplois de médiation sociale sont officiellement présentés comme des dispositifs au service du public et tous les médiateurs ont d'abord pour rôle de rendre des "petits services" aux usagers. Ces services sont le plus souvent en rapport avec l'espace d'intervention ou les organismes "partenaires" du dispositif: sur les réseaux de transport, ils renseignent sur les horaires et sur les trajets des différentes lignes, ils aident parfois les clients à se déplacer dans les véhicules et ils signalent éventuellement les retards ou les déviations... Dans les espaces HLM, ils peuvent également aider les habitants en faisant quelques commissions pour les personnes âgées ou en les accompagnant dans les escaliers, en aidant les femmes encombrées de poussettes, ou en allant rendre des visites courtoises aux personnes isolées... Sur le territoire communal, les médiateurs donnent souvent des renseignements géographiques et ils font traverser les piétons aux feux rouges... Ils effectuent ainsi un grand nombre de petites actions qui relèvent fondamentalement d'un certain altruisme et de la simple politesse. A travers ces petits services, les emplois de médiation sociale s'apparentent alors à une tentative de professionnalisation du rôle de "bon samaritain".

Les missions à caractère social

Les employeurs attribuent généralement un objectif général de "cohésion sociale" aux médiateurs et ils désignent ce champ d'activité comme le "coeur de métier" de la médiation.

A ce titre, les agents sont investis d'une double mission de médiation. D'une part, ils doivent jouer le rôle d'intermédiaire entre les particuliers, de manière à résoudre les conflits qui les opposent ou simplement pour favoriser leur communication. D'autre part, ils ont pour objectif de remplir une mission dite de "relais" entre les institutions et leurs usagers: ils délivrent différentes informations au public, ils tentent de faciliter les démarches administratives, et ils indiquent parfois à leurs partenaires les personnes qui connaissent des difficultés particulières (détresse sociale ou économique, problèmes de logement, problèmes psychologiques, etc.).

Certaines tâches des médiateurs s'apparentent ainsi à du travail social: certains aident leur public à rédiger un curriculum vitae et à chercher du travail, d'autres informent les usagers des droits ou des tarifs réduits dont ils peuvent bénéficier, et plusieurs équipes participent à des formes d'animation sportive et culturelle (tournois de football, rencontres de locataires, etc.).

Mais les travailleurs sociaux se montrent souvent réticents face à ces événements et, bien que plusieurs dispositifs s'articulent théoriquement avec les services sociaux, leurs relations sont particulièrement rares dans la pratique. En effet, de nombreux travailleurs sociaux affirment que la médiation sociale constitue l'un de leur champ d'intervention et ils craignent que les médiateurs n'empiètent sur leur champ d'action. Ils reprochent souvent aux médiateurs de ne pas être formés aux métiers du social et ils attribuent la création de ces emplois à un choix politique qui privilégie l'utilisation d'une main-d'oeuvre plus malléable et meilleur marché que les travailleurs sociaux.

La lutte contre l'insécurité

Les emplois de médiateurs sont aussi fréquemment associés aux questions de sécurité publique. Cette préoccupation pour les questions d'insécurité est particulièrement soulignée par la création d'un statut de médiateur spécifique par le ministère de l'Intérieur: les agents locaux de médiation sociale (ALMS). Ce type d'emploi est créé en 1997, en même temps que les Contrats locaux de sécurité. Ces contrats inaugurent en fait une politique de partenariat entre l'Etat et différents acteurs publics locaux (municipalités et recteurs d'académies en particulier). Dans ce cadre, des emplois-jeunes sont recrutés au sein de la police nationale et les postes d'ALMS sont "proposés aux collectivités locales, aux bailleurs sociaux, aux autorités organisatrices de transports publics, etc." pour "conforter l'action de la police et de la gendarmerie, notamment en matière de prévention" (Circulaire, 1997) Mais à l'instar des autres emplois de médiateurs, la nature de leur activité n'est pas précisément définie et elle est laissée à l'appréciation de leur employeur. Les textes stipulent seulement qu'ils n'ont aucun pouvoir de sanction et qu'ils ont une triple mission "d'animation dissuasive, de dialogue et de présence préventive" (Charte, 1997). Les médiateurs sont alors présentés comme un moyen de lutter contre le sentiment d'insécurité, les petits désordres et les incivilités.

La notion d'incivilité n'a pas de valeur légale; elle désigne divers comportements, relativement anodins, qui sont censés constituer une gêne pour autrui: les nuisances sonores, les actes de vandalisme, les gens qui crachent par terre... Certaines "incivilités" sont punies par la loi, et d'autres non, mais elles sont toutes présentées comme des problèmes à résoudre parce que leur répétition quotidienne finit par suggérer le désordre et susciter la crainte (Roché, 1993).

1.3. Les différents objectifs des partenaires institutionnels

Ces trois grands secteurs d'activité ne sont pas exclusifs: les interventions des médiateurs s'inscrivent plus ou moins dans chacun de ces champs d'action et les missions à caractère "social" sont souvent étroitement liées aux question de sécurité. Il faut donc considérer ces trois types de missions comme autant de pôles vers lesquels les employeurs orientent plus ou moins le travail des agents.

La définition de leur champ d'action légitime fait l'objet d'une construction collective locale, en fonction des objectifs spécifiques de leurs employeurs et des commanditaires de ces services ainsi que des prérogatives revendiquées par leurs "partenaires professionnels".

Lutter contre les petits désordres dans les quartiers d'habitat social

Les responsables des organismes d'HLM demandent d'abord aux médiateurs d'intervenir sur les troubles de voisinage. En effet, les bailleurs reçoivent beaucoup de plaintes à ce sujet et ils souhaitent désamorcer ces conflits avant que la situation ne se dégrade. Les responsables de ces organismes se sentent relativement démunis face aux fauteurs de troubles: les procédures de sanction et d'expulsion sont longues et relativement complexes, et ils redoutent que ces conflits nuisent à la réputation de leurs logements. Les médiateurs vont donc discuter avec les habitants de manière à se faire leur propre avis de la situation, rappeler les règles d'occupation aux habitants, et tenter finalement de résoudre les conflits "à l'amiable".

Par ailleurs, les "attroupements de jeunes" focalisent tout particulièrement l'attention des employeurs. En effet, des groupes d'adolescents et de jeunes adultes se regroupent souvent en bas des immeubles, dans les halls ou dans les cages d'escaliers, et ils sont fréquemment désignés comme les auteurs de différentes sortes de troubles, allant du trafic illicite au rassemblement simplement bruyant, en passant par divers actes de vandalisme et l'obstruction du passage. Les médiateurs ont alors pour mission de dialoguer avec ces "jeunes" pour les dissuader de commettre des dégradations, leur rappeler les principes élémentaires du règlement intérieur et, éventuellement, les inciter à se déplacer ou à se disperser.

Il arrive également que les médiateurs reçoivent pour rôle d'accompagner les professionnels qui interviennent sur les quartiers d'HLM de manière à les protéger d'éventuelles altercations ou simplement pour les rassurer. Il s'agit d'abord des employés des organismes bailleurs (gardiens, agents techniques, responsables divers) mais aussi de différents professionnels qui se rendent dans les immeubles: postiers, agents EDF, techniciens d'ascenseur ou médecins... Ces missions concernent plus particulièrement les Correspondants de nuit (CDN), qui travaillent jusqu'à des heures très avancées.

Enfin, les organismes d'HLM demandent parfois aux agents de médiation d'effectuer une "veille technique" et de leur signaler les dégradations matérielles, volontaires ou non, sur leur patrimoine. Cette mission est liée à la responsabilité légale des bailleurs en cas d'incidents et au souci de ne pas renvoyer une image d'abandon. Mais certains organismes attribuent plutôt ce rôle aux gardiens d'immeubles et dégagent les médiateurs de cette responsabilité.

Diminuer le sentiment d'insécurité sur les réseaux de transports

Les transporteurs insistent tout particulièrement sur l'application du règlement intérieur. A travers cet objectif, les médiateurs ont une double mission. D'une part, ils doivent lutter contre les actes de vandalisme et les incivilités (mettre les pieds sur la banquette, cracher par terre, fumer dans les véhicules...) qui sont particulièrement dénoncées en raison de la gêne qu'ils suscitent pour les autres voyageurs et des dégradations qu'ils occasionnent. D'autre part, les médiateurs doivent agir contre la fraude.

A la différence des contrôleurs (ou "vérificateurs"), les agents ne sont pas autorisés à dresser des amendes et ils ne peuvent utiliser que le dialogue et dissuader par leur présence. Aussi, ils incitent les voyageurs à prendre un ticket en discutant avec eux, en leur rappelant les différents tarifs existants et la nécessité de payer un service utile à tous. Ils se postent aussi parfois à l'entrée des véhicules et procèdent au contrôle des titres, de façon à dissuader les fraudeurs. Dans certains cas, ils accompagnent même les équipes de contrôleurs et interviennent en cas de conflits ou pour aider aux opérations de contrôle (ils sont alors à la frontière de leurs missions légales).

La mise en place de médiateurs dans les transports relève à ce titre de préoccupations largement économiques, et les transporteurs jugent souvent de l'efficacité des dispositifs en évaluant les statistiques des dégradations et des recettes.

Mais ces médiateurs ont aussi pour mission de lutter contre le sentiment d'insécurité. Il s'agit d'abord de rassurer la clientèle par leur seule présence à bord des véhicules. Mais surtout, fait caractéristique de ce secteur d'activité, les dispositifs sont présentés comme un moyen de rassurer le personnel de contrôle et plus encore, le personnel de conduite. En effet, les conducteurs sont parfois victimes d'insultes ou d'agressions physiques et les véhicules sont occasionnellement visés par des jets de pierres. Les chauffeurs refusent donc parfois de desservir certains quartiers et des grèves sont organisées pour réclamer de meilleures conditions de sécurité. Les responsables institutionnels redoutent d'autant plus ces situations de conflits qu'elles suscitent un manque à gagner et qu'elles menacent le renouvellement de leur mandat de service public. Les médiateurs sont alors présentés comme un soutien au chauffeur et ils interviennent parfois immédiatement auprès d'un conducteur en conflit avec des voyageurs.

Afficher l'engagement des municipalités

La lutte contre l'insécurité évoque l'idée d'un partage des responsabilités et d'une certaine "co-production de la sécurité" (Ocqueteau, 1999, p.7) entre l'Etat, les collectivités territoriales et des organismes de droit privés. Ainsi, les municipalités présentent souvent les médiateurs comme des éléments constitutifs de la politique municipale en matière de sécurité: leur embauche est généralement présentée parmi les engagements pris par la ville dans le contrat local de sécurité, la direction des équipes relève souvent du département "prévention et sécurité", et les policiers municipaux participent alors à leur encadrement. Les emplois de médiation apparaissent ainsi répondre aux revendications portées par de nombreux élus locaux et qui ont donné naissance aux politiques de prévention de la délinquance à partir des années 80 (Duprez, 1997).

Cependant, les médiateurs n'ayant d'autre arme que le dialogue, ils exercent une activité essentiellement discursive et sous couvert de partager les missions de sécurité, les fonctionnaires de police semblent plutôt se dégager des activités de prévention et de la répression des incivilités, qu'ils jugent peu valorisantes et excessivement accaparantes (Monjardet, 1996). Les médiateurs exercent donc un rôle de "sécurisation" tandis que les missions "sécuritaires" ressortent toujours du seul monopole de l'Etat. Certains élus préfèrent donc embaucher des policiers municipaux plutôt que des médiateurs - en particulier ceux qui sont affiliés aux partis de droite, qui soutiennent traditionnellement l'idée de municipalisation de la police et qui s'opposent d'autant plus aux emplois-jeunes qu'il s'agit d'un dispositif créé par le gouvernement socialiste.

Mais le clivage partisan n'est pas totalement discriminant, et plusieurs municipalités "de droite" ont également recruté des agents de médiation. Les missions qui leur sont confiées sont assez variées. Il s'agit, surtout, de délivrer des renseignements d'ordre général, d'être présents dans les équipements municipaux, de signaler diverses dégradations aux services techniques et de faire traverser les passants sur les passages piétons. Ces pratiques poursuivent finalement un objectif très symbolique, qui doit signifier la préoccupation de la municipalité pour le bien-être de ses administrés et donner l'impression d'une forte réactivité face aux demandes de la population. L'uniforme des médiateurs joue alors un double rôle essentiel: mettre clairement en avant l'implication de la mairie et les distinguer manifestement des forces de l'ordre.

2. L'ethnicisation des effectifs

Au regard de l'hétérogénéité qui caractérise les missions de médiation sociale, les effectifs de médiateurs présentent une homogénéité relativement surprenante, puisque les agents sont majoritairement issus de l'immigration et des quartiers populaires. L'appartenance des individus à ces différents groupes sociaux semble ainsi constituer un élément déterminant dans leur recrutement et les emplois de médiateurs sociaux sont alors susceptibles de refléter une certaine "ethnicisation" de l'action publique (Costa-Lascoux, 2001).

2.1. L'étude des caractéristiques ethniques

Le terme d'ethnicisation renvoie fondamentalement au processus de catégorisation des individus selon leur appartenance réelle ou supposée à certaines "ethnies". Mais les caractéristiques mêmes des groupes ethniques ne font pas l'objet d'une définition établie et leur étude soulève des difficultés particulières dans le contexte intellectuel français.

En effet, la loi française interdit toute forme de discrimination et aucune différence de traitement ne peut s'appuyer sur des caractéristiques physiques, raciales ou ethniques. La loi ne reconnaît l'existence d'aucun autre groupe que la nation et la distinction de n'importe quel sous-groupe d'appartenance s'oppose à des impératifs philosophiques (l'égalité en droit), politiques (l'unité républicaine) et moraux (l'antiracisme).

Les chercheurs français ne disposent donc pas du vocabulaire adéquat ni des informations suffisantes pour traiter des processus de discriminations et analyser leurs dynamiques et le champ sémantique de l'ethnie est souvent privilégié pour traiter des phénomènes discriminatoires. Dans le contexte nord-américain, cette notion a été initialement développée pour évoquer les distinctions basées sur les pratiques culturelles, en opposition aux distinctions "raciales". Mais en France, elle tend désormais à être employée comme un euphémisme pour ces dernières. Il est donc souvent difficile de savoir quels sont véritablement les processus en jeu derrière les phénomènes d'"ethnicisation", et si les discriminations se basent sur des critères culturels, sur les origines étrangères ou sur des caractéristiques physiques, telles que la couleur de la peau.

Derrière l'expression de caractéristiques ethniques, il paraît donc préférable de distinguer les critères de nationalité, les origines culturelles, et la couleur de la peau - bien que cette dernière renvoie à une catégorisation grossière et en fait moins objectivable qu'il y paraît. Car les phénomènes de discrimination tiennent également de processus identitaires subjectifs, et dépendent à la fois de l'identité revendiquée par le sujet et de l'identité assignée par autrui.

Les équipes de médiateurs que j'ai rencontrées sont essentiellement composées d'hommes âgés de 18 à 25 ans. Les femmes ne représentent qu'environ 15 à 20% des effectifs et il est très rare que les agents aient plus de 30 ans. La quasi-totalité des médiateurs sont de nationalité française, mais la majorité d'entre eux ont des origines étrangères par au moins l'un de leurs parents. Il s'agit le plus souvent d'origines maghrébines et, dans chaque équipe, 50 à 75% des agents portent un prénom arabe. Les noirs et les blancs sont beaucoup moins nombreux - je n'ai jamais rencontré de médiateur au type asiatique.

2.2. L'objectif officiel de proximité sociale

Pour le recrutement des emplois-jeunes, la loi désigne l'âge comme le seul critère obligatoire; elle ne formule aucune restriction quant au niveau d'étude et ne prévoit aucune forme de discrimination positive sur des critères ethniques. Interrogé sur la composition sociologique des effectifs, les responsables des recrutements tiennent alors des discours relativement ambigus. Ils reconnaissent généralement qu'ils souhaitaient composer des équipes "pluriethniques", composés d'agents de diverses origines et de différentes couleurs de peau mais ils nient farouchement avoir sélectionné les candidats selon leurs caractéristiques ethniques. Ils affirment avoir surtout tenu compte de leur "savoir-être", de leur "connaissance des quartiers" et de leur réputation sur ces espaces. Ces critères de sélection ne défavorisent pas les candidats les moins qualifiés et les trois-quarts des médiateurs ont un niveau inférieur ou égal au baccalauréat et ils ont généralement peu d'expérience professionnelle à leur actif.

La sur-représentation des jeunes issus des quartiers et des membres des "minorités visibles" - pour reprendre une expression canadienne (Zauberman, Lévy, 1998) - peut alors être expliquée par différents facteurs.

L'instrumentalisation des relations interpersonnelles

A la différence des emplois-villes, qui étaient réservés aux jeunes des quartiers les plus défavorisés, les emplois-jeunes ne reposaient initialement sur aucune discrimination territoriale. Puis, afin de favoriser l'embauche des habitants des zones prioritaires de la politique de la ville, 20% de ces contrats leur ont été réservés.

Mais en ce qui concerne les emplois de médiateurs, le pourcentage d'employés issus de ces quartiers est bien supérieur à ce minimum et, avec les emplois d'agent de sécurité, il s'agit même des emplois-jeunes les plus occupés par les habitants des zones urbaines sensibles (Bellamy, 2000, p.6).

La plupart des employeurs déclare avoir délibérément embauché des jeunes qui habitent ce type de quartier pour faciliter leur travail et augmenter leur efficacité. Selon eux, cette origine sociogéographique commune entre les médiateurs et leur public constitue une forme de "proximité sociale" qui augmente l'efficacité d'action des médiateurs.

En effet, une grande partie des problèmes d'incivilité que les médiateurs doivent résoudre est imputée aux "jeunes des quartiers" et les médiateurs recrutés dans les quartiers sont susceptibles de les connaître personnellement. Ils peuvent ainsi entrer facilement en discussion/contact avec eux et, éventuellement, menacer les plus jeunes de signaler leurs agissements à leurs familles. En outre, les médiateurs présentent souvent leurs collègues à leurs connaissances, de manière à ce qu'ils acquièrent un peu de leur légitimité à leurs yeux. L'activité des médiateurs repose ainsi sur un important travail de mise en relation que les employeurs cherchent à exploiter pour bénéficier d'un plus grand crédit auprès des habitants. Les médiateurs leur apparaissent comme des "clefs d'entrée" dans des quartiers que certains jeunes revendiquent parfois comme leur territoire (Begag, Delorme, 1994).

La composition des effectifs est en partie façonnée par cette discrimination territoriale à l'embauche et la racialisation des emplois de médiateurs reflète alors indirectement l'ethnicisation des quartiers. Les "minorités visibles" y sont sur-représentées parce qu'elle sont également plus nombreuses dans les quartiers défavorisés. Mais la recherche de proximité sociale repose aussi sur une conception relativement culturaliste de la population et des problèmes.

Une interprétation culturaliste des problèmes sociaux

Les commanditaires des dispositifs soulignent fréquemment que la population des quartiers défavorisés compte un grand nombre de chômeurs, d'immigrés et de familles monoparentales et que les divers personnels amenés à intervenir (entretien, réparations, livraisons, etc.) sont relativement "étrangers" à ces univers: ils n'y habitent pas, ils ont souvent un revenu plus élevé que la moyenne des habitants et ils sont majoritairement français et, de surcroît, blancs.

Ils considèrent donc que ces différences socioculturelles entraînent des problèmes de communication entre les institutions et les usagers et entre les usagers eux-mêmes. Ils cherchent donc des médiateurs qui savent parler la même langue que les habitants d'origine étrangère, qui connaissent les principes d'organisation des différentes communautés et qui disposent de la légitimité suffisante pour entrer en contact avec elles. Cette approche culturaliste s'inscrit donc essentiellement dans une interprétation "ethnicisante" des problèmes par laquelle les "jeunes issus de l'immigration" sont désignés comme les principaux fauteurs de troubles (Macé, 1998).

Mais les employeurs considèrent également, qu'au-delà des relations interpersonnelles et du contexte propre à un quartier, les habitants des quartiers pauvres partagent des "façons de faire" qui leur sont propres. Les médiateurs recrutés parmi cette population sont donc susceptibles d'adopter l'attitude la plus adaptée à leurs interlocuteurs, même s'ils ne les connaissent pas personnellement. Ils supposent ainsi une certaine incorporation des normes de conduites propre à un groupe social, tel que défini par l'habitus. Mais certains responsables institutionnels vont jusqu'à faire l'amalgame entre les codes socioculturels et la couleur de peau, considérant que les gens de même couleur ont la même culture ou qu'ils se connaissent tous et donc, qu'ils communiquent mieux.

2.3. Le faciès comme signe de légitimité

En dehors de toute référence culturelle précise, le faciès est également instrumentalisé pour lui-même. D'une part, la couleur de peau est perçue comme une source de légitimité pour les médiateurs et, d'autre part, les employeurs espèrent que la présence même des médiateurs au sein de leur personnel valorisera leur image aux yeux d'une partie de leur public.

Faciliter l'intervention des médiateurs

A défaut de connaître personnellement leurs interlocuteurs, les médiateurs ont effectivement la possibilité de s'appuyer sur leur couleur de peau pour acquérir une certaine légitimité auprès de leur public. Non seulement ils ne peuvent pas être accusés de racisme lorsqu'ils interviennent auprès des individus qui ont la même couleur de peau mais ils peuvent même mettre en avant ce point commun pour revendiquer une expérience commune avec leurs interlocuteurs afin d'obtenir plus de crédit auprès d'eux.

Les médiateurs distinguent souvent sans complexe les arabes, les noirs et les blancs et plusieurs d'entre eux revendiquent leur appartenance à l'un de ces groupes et, comme leurs employeurs, ils considèrent leur faciès comme un atout potentiel. Mais ils ne soulignent pas toujours explicitement qu'ils appartiennent à la même minorité visible et ils n'interviennent pas systématiquement auprès des individus qui ont la même couleur de peau. Leurs employeurs ne leur donnent d'ailleurs aucune directive à ce sujet et les médiateurs ne se partagent pas le travail sur ce critère. Ils soulignent, en outre, que ce point commun ne suffit pas à éviter tous les conflits et que les "fauteurs de troubles" sont en fait d'origines très variées, du point de vue ethnique ou générationnel. Dans certains cas, leur couleur de peau se révèle même contre-productive: les médiateurs sont parfois victimes de remarques racistes, certains usagers blancs reprochent à leurs responsables d'embaucher des médiateurs "de couleur" et les membres des minorités visibles accusent parfois les médiateurs de trahir leurs origines en collaborant avec les services de répression, essentiellement dirigés par des blancs.

Il ne s'agit donc pas d'un business ethnique, qui serait mis en place au sein d'un seul et même groupe ethnique, à l'image de certaines sociétés de sécurité privée, où des responsables originaires d'Afrique noire embauchent volontairement des vigiles de même origine (Hug, 2000). Les dispositifs de médiation évoquent plutôt une forme d'indigénat, qui repose sur l'utilisation d'individus issus des mêmes "minorités" que leur public par les membres d'un autre groupe "ethnique".

Accroître la légitimité des institutions

Les recrutements ne sont pas seulement déterminés par une logique fonctionnelle, selon laquelle les caractéristiques des médiateurs constituent des instruments d'action. En étudiant la genèse de ces dispositifs, on s'aperçoit que la décision de créer des emplois est souvent prise avant même d'en avoir déterminé la fonction et que les missions confiées aux médiateurs continuent d'évoluer au cours du temps. En dehors de l'activité qui leur est confiée, c'est donc le recrutement même des agents qui est au coeur de la logique poursuivie par ces employeurs et les commanditaires de ces dispositifs.

En effet, le recrutement de noirs et d'arabes est généralement présenté comme une réponse aux pratiques discriminatoires sur le marché du travail. Les responsables de la décision initiale dénoncent plus particulièrement les difficultés d'insertion professionnelle que rencontrent les "minorités visibles" et les jeunes des quartiers mal réputés. Selon eux, cette situation entraîne une certaine "fracture sociale" qui délégitime les institutions aux yeux d'une partie de la population et qui incite certains jeunes à des représailles violentes et à des pratiques délinquantes compensatoires.

Plus concrètement, il y a souvent très peu de noirs ou d'arabes au sein des organismes "partenaires" et le recrutement des médiateurs vise à démentir les accusations de racisme et à renvoyer l'image d'institutions "ouvertes à leur environnement" en montrant que les membres de toutes les catégories sociales et/ou ethniques peuvent être embauchés. Les médiateurs doivent apparaître comme des modèles d'insertion sociale et professionnelle et leur recrutement doit pousser les autres jeunes à les imiter. Certains employeurs embauchent aussi des candidats ayant un passé judiciaire dans le but de leur donner une chance d'insertion mais aussi d'inciter les autres délinquants à suivre leur exemple.

La création de ces emplois s'insère ainsi dans une politique d'affichage qui ne se limite pas aux seules caractéristiques ethniques. Les institutions qui interviennent dans les quartiers espèrent améliorer leur image auprès des habitants en recrutant les médiateurs parmi eux. De la même manière, les municipalités recrutent essentiellement parmi leurs administrés, affichant ainsi une certaine préoccupation pour le chômage qui frappe leur électorat.

Cependant, les médiateurs noirs et arabes sont en moyenne plus qualifiés que les médiateurs blancs. D'après les employeurs, en effet, les blancs sont beaucoup moins nombreux à se porter candidat pour les postes de médiateurs, et ceux qui le font sont globalement moins qualifiés (Duprez et alii, 2001). La composition des effectifs reflète donc aussi des phénomènes de discrimination à l'embauche antérieurs au recrutement et le faciès se trouve ainsi l'élément le plus manifeste de cette sémiotique d'ouverture institutionnelle.

3. Le poids des logiques institutionnelles sur les dynamiques professionnelles

L'enjeu officiel du dispositif emplois-jeunes était de favoriser l'insertion professionnelle en créant de nouveaux métiers dans des secteurs d'activité originaux. La gageure principale consistait à pérenniser ces expériences en construisant un champ d'action spécifique et en trouvant des sources de financements alternatives aux subventions publiques. Mais l'atteinte de ces objectifs rencontre plusieurs obstacles dans le cadre des emplois de médiation sur les espaces ouverts au public.

3.1. Un nouveau métier spécialisé dans les relations publiques?

Les médiateurs interviennent généralement dans des lieux relativement désertés par les institutions ou à des heures pendant lesquelles les autres services sont fermés. Le déploiement des médiateurs vise donc à pallier ces absences en mettant les agents à la disposition du public et en permettant en même temps aux institutions d'avoir un "oeil" sur la situation, d'obtenir des informations, et éventuellement de déclencher des procédures d'urgence.

Bien que certains organismes cherchent à sensibiliser leur personnel à de nouvelles formes de relations avec leurs usagers, la création des emplois de médiateurs caractérise ainsi l'émergence de la médiation comme une fonction spécifique et distincte au sein des institutions.

Les médiateurs tendent alors à exercer l'ensemble des tâches relevant des relations avec la clientèle tandis que le reste du personnel diminue les contacts directs avec le public. En ce qui concerne les bus, par exemple, de nombreux agents commerciaux de conduite s'opposent à la transformation de leur activité en conducteur-vérificateur, considérant que le contrôle des titres de transports à l'entrée des véhicules constitue une source de conflits avec les voyageurs. L'intervention des médiateurs auprès des fraudeurs et des fauteurs de troubles se rapproche donc plus de l'interposition que de la médiation: elle creuse plus la distance qui sépare le public des chauffeurs qu'elle ne favorise leur entrée en contact. Comme le soulignent Claude Brévan et Paul Picard dans leur rapport, "il y a là une tentative paradoxale, qui consiste à créer de la proximité entre les institutions et les usagers par une forme "officialisée" de mise à distance, la création de corps intermédiaires nouveaux entre les institutions et une certaine partie de la population" (Brévan, Picard, 2000, p.90).

Cette dynamique de spécialisation des tâches se manifeste d'ailleurs à travers l'inscription même des emplois de médiateurs au sein des organigrammes institutionnels. Selon l'orientation donnée à ces dispositifs, les agents de médiation sont placés sous la responsabilité de différents départements: tantôt celui de la Sécurité et de la prévention, tantôt celui du Développement social; parfois même, le service de médiation est directement relié à la direction des ressources humaines ou au service de l'exploitation.

Mais de nombreuses institutions font aussi le choix de ne pas employer directement les médiateurs qui interviennent pour leur compte. Plutôt que d'embaucher "en interne", ces organismes font alors appel aux services d'associations qui constituent les véritables employeurs des médiateurs du point de vue légal.

L'émergence de prestataires spécialisés dans la médiation sociale

D'un point de vue légal, ce sont près de 40% des agents de médiation qui sont employés par des associations. Mais cette catégorie regroupe en fait des structures de nature relativement différentes. Ainsi, les associations "caritatives" sont très minoritaires: les femmes-relais ou les médiateurs familiaux, par exemple, sont souvent bénévoles et ils n'interviennent pas spécialement dans les espaces ouverts au public. En revanche, on dénombre plusieurs associations "d'insertion", qui ont officiellement pour vocation de favoriser l'insertion professionnelle de leurs employés et qui s'appuient essentiellement sur différentes sortes d'emplois aidés. Les médiateurs travaillent alors pour divers types d'organismes dans le cadre de conventions spécifiques. En raison du statut associatif de ces structures, leurs responsables réfutent généralement le qualificatif de "prestataire" de service, qui relève plutôt des activités à caractère commercial et lucratif et lui préfèrent la phraséologie du partenariat. Cependant, les contrats qui régissent ces dispositifs portent sur des financements relativement importants et on discerne aisément tout l'intérêt pécuniaire que cela représente pour certaines "associations" qui facturent parfois très largement leurs frais de fonctionnement ou de formation... Le champ de la médiation apparaît alors comme un véritable marché économique au sein duquel certains acteurs associatifs entrent en concurrence.

Mais les "associations" qui emploient le plus grand nombre de médiateurs sont en fait des structures ad hoc, créées spécialement par différents organismes pour embaucher les agents qui seront ensuite mis à leur disposition. On les désigne généralement comme des "groupements d'employeurs". Cette configuration particulière repose sur une stratégie de "mutualisation des moyens" particulièrement valorisée par la Délégation Interministérielle à la Ville (DIV), le ministère de l'Emploi et différents rapports officiels (Robert, 2001; Brévan, Picard, 2000). Habituellement, en effet, lorsque les prestataires associatifs ont plusieurs contrats, chaque client finance un certain nombre de médiateurs qui se consacrent exclusivement à lui. En revanche, les groupements d'employeurs s'inscrivent plutôt dans la perspective des "emplois partagés": les mêmes médiateurs peuvent alors intervenir pour le compte de différents organismes auxquels sont facturées les heures d'intervention. Les organismes de transports publics et EDF ont particulièrement recours à ce type de montage financier, tandis que les prestataires "associatifs" interviennent plus souvent pour les HLM. Les municipalités, en revanche, recrutent directement les agents qui travaillent pour leur compte mais elles apportent parfois leur contribution financière à différentes associations.

Les obstacles à la constitution d'un secteur spécifique

Les organismes commanditaires participent généralement au jury de sélection des candidats, ils leur donnent généralement une formation rapide sur leur organisation et désignent des membres de leur personnel pour encadrer les médiateurs. Mais les responsables de ces structures se déclarent souvent incompétents en matière de médiation et ils tirent plusieurs avantages à faire appel à des partenaires extérieurs.

En premier lieu, le montage "externe" évite d'engager la responsabilité légale des commanditaires à l'égard des agents de médiation. Ainsi, les conventions stipulent souvent que les ALMS sont placés sous la responsabilité civile de l'association, épargnant ainsi aux "partenaires" la charge d'assumer les conséquences d'un accident ou d'une agression physique.

Par ailleurs, les institutions disposent ainsi d'une plus grande liberté de mouvement. Les conventions sont généralement prévues pour des périodes limitées et les "partenaires" peuvent ainsi se retirer plus facilement de ces dispositifs qu'ils ne le pourraient en embauchant eux-mêmes les médiateurs. De cette manière, en outre, ils peuvent expérimenter ces services sans engager toute leur responsabilité symbolique vis-à-vis de leurs usagers ou de leurs clients. Certains organismes ont ainsi refusé d'afficher leur implication avant d'avoir évalué l'impact de ces services auprès du public.

Enfin, cette configuration leur permet surtout de ne pas intégrer les agents au sein même de leur personnel. Ils évitent ainsi de faire miroiter des promesses d'embauche définitive aux médiateurs et ils diminuent en même temps les risques de contestations corporatistes qui pourraient émaner des autres employés.

Mais, ce faisant, l'organisation des dispositifs devient plus complexe et leur mise en oeuvre plus problématique. Ainsi, les prestataires ont souvent des difficultés à valoriser le travail des médiateurs auprès des commanditaires: il est effectivement difficile d'évaluer concrètement les vertus du dialogue, les effets de la dissuasion, la baisse du sentiment d'insécurité... et certaines institutions doutent de l'utilité des dispositifs. Aussi, l'activité des médiateurs est-elle parfois mesurée sous la formes de statistiques qui la réduisent à des événements excessivement pragmatiques: nombre de renseignements donnés, nombre de jeunes rassemblés dans un endroit donné, type et quantité d'incivilités "réprimées", etc. En outre, les dispositifs étant généralement mis en oeuvre en association avec d'autres actions, il est difficile d'isoler les effets induits par les seuls médiateurs et les prestataires peinent souvent à trouver des financements suffisants pour pallier la fin des subventions publiques.

Par ailleurs, la recherche de contrats et de subventions aiguise les rapports de concurrence entres les prestataires. Aussi, il est rare que les différentes structures collaborent; elles tendent plutôt à se critiquer réciproquement ou, au mieux, à s'ignorer. Il y a très peu de forums d'échange et de partage d'expériences qui permettraient de constituer un secteur homogène de la médiation autour d'un seul "tronc commun". On distingue plutôt différents réseaux qui défendent chacun leur modèle de médiation et qui tentent de développer des rapports privilégiés avec les pouvoirs publics pour donner naissance à des labels et des formations spécifiques. Ainsi, il existe aujourd'hui plusieurs diplômes, de différents niveaux, en matière de médiation, et d'autres sont encore en cours de validation.

Enfin, il n'existe pas vraiment d'interlocuteur privilégié au sein de l'Etat, qui permettrait à l'un ou l'autre des prestataires d'instaurer un leadership sectoriel sur la base de relations clientélistes. Les emplois de médiation dépendent à la fois des préfectures et des directions départementales du Travail, mais aussi du ministère du Travail et de l'Emploi, du ministère de l'Intérieur et de la Délégation interministérielle à la Ville ainsi que des réflexions du Centre national de la Fonction publique territoriale et des procédures de validation du ministère de l'Education...

3.2. Une configuration défavorable aux médiateurs

Pour les médiateurs, la dynamique de spécialisation des tâches entraîne également une certaine confusion. En effet, ils se trouvent distingués des salariés qu'ils sont amenés à côtoyer au quotidien et ils occupent à ce titre une position "à part" au sein du personnel.

Au départ de nombreux dispositifs, les agents n'étaient accompagnés d'aucun supérieur hiérarchique pendant leur travail. Mais cette relative autonomie a donné lieu à de nombreux cas d'absentéisme et d'abandon de poste et, en règle générale, les médiateurs ont finalement été placés sous la tutelle d'"encadrants" pour diriger leur travail et en surveiller la bonne exécution.

Or, leurs "partenaires" leur donnent des consignes qui entrent parfois en contradiction avec celle de leurs supérieurs hiérarchiques et il est parfois difficile pour les agents d'identifier ceux dont ils doivent effectivement suivre les ordres: les objectifs de leurs missions apparaissent alors encore plus flous et cela nourrit des tensions au sein des équipes.

Des employés stigmatisés au sein des entreprises

Les médiateurs se sentent également dévalorisés au sein des entreprises qui les emploient ou de leurs commanditaires.

Ainsi, nombre d'entre eux se plaignent de subir du racisme dans leur cadre professionnel et de travailler dans une ambiance relativement désagréable, empreinte d'hypocrisie et de sous-entendus injurieux. Les médiateurs considèrent les comportements racistes comme le fait d'une minorité mais, d'une façon plus générale, les relations qu'ils entretiennent avec les autres salariés sont plutôt ténues. Ils se trouvent même relativement isolés, physiquement, et lorsque des locaux leur sont attribués, il ne s'agit le plus souvent que de lieux délaissés ou destinés à un autre usage (caves de HLM, bureaux éloignés des agences, couloir en guise de pièce de repos, etc.).

Néanmoins, les organisations syndicales interviennent parfois en faveur des médiateurs. Certaines les perçoivent comme des adhérents potentiels et elles favorisent leur l'intégration professionnelle en encourageant les salariés à les accueillir ou en faisant pression sur la direction pour améliorer leurs conditions de travail. Mais, dans la plupart des cas étudiés, les syndicats se tiennent plutôt en retrait et ils ne se préoccupent pas des médiateurs. Il arrive même que ces organisations se montrent explicitement hostiles à l'embauche de ces employés, qu'elles dénoncent comme une main-d'oeuvre de substitution, qui déroge aux principes des conventions collectives et qui met en danger les autres salariés.

Une activité peu valorisante

Par ailleurs, les agents affirment souvent qu'ils ne bénéficient d'aucune reconnaissance professionnelle et qu'on ne leur confie que les tâches les plus ingrates. Le plus souvent, en effet, l'exercice de leurs missions les conduit à déambuler sans motif précis dans les quartiers défavorisés ou à rester debout à l'intérieur des véhicules et ils considèrent que leur uniforme et leur appellation ajoutent généralement à leur ridicule. Ou bien ils sont envoyés "en première ligne" dans des situations de crise, pour désamorcer des débuts d'émeutes dans les quartiers populaires, ou affronter les usagers victimes de grève dans les transports, par exemple.

Ils se sentent alors d'autant plus mal à l'aise qu'ils n'ont pas vraiment de ressources à leur disposition pour résoudre les problèmes de leurs interlocuteurs et pour satisfaire leur demande. Ils considèrent que leurs "partenaires professionnels" ne tiennent pas suffisamment compte des informations qu'ils leur font remonter et des suggestions qu'ils leur adressent. Plusieurs médiateurs déplorent ainsi avoir perdu tout crédit auprès de leur public après lui avoir formulé certaines promesses institutionnelles qui ne furent jamais tenues (relatives à des questions d'aménagement, de mise à disposition de salles, etc.).

D'ailleurs, les médiateurs sont souvent victimes de moqueries ou même de véritables insultes de la part des usagers. Lorsqu'on ne leur reproche pas d'être inutiles, on leur reproche de collaborer avec la police, les propriétaires d'HLM et les contrôleurs des bus et ils sont généralement accusés d'être des agents indicateurs et de servir d'auxiliaires aux services de répression. De plus, les "fauteurs de troubles" auprès desquels ils doivent intervenir sont parfois leurs propres amis ou leurs voisins d'immeubles et ils redoutent alors d'être perçus comme des "traîtres". L'exigence de proximité sociale les place ainsi entre le marteau et l'enclume. Les médiateurs ont parfois des difficultés pour concilier leur vie professionnelle et leur vie privée, et certains sont mêmes victimes de menaces ou de violences physiques en représailles.

Les agents ont alors tendance à exploiter la petite marge de manoeuvre dont ils disposent dans l'exercice de leur mission pour éviter ce type de conflits. Ils ignorent parfois délibérément certains comportements sur lesquels ils sont pourtant censés intervenir: ils n'essaient pas de disperser les groupes qui se réunissent paisiblement dans les halls d'immeubles ou ils s'arrangent discrètement avec des voyageurs en infraction pour leur éviter une amende...

Quelques employeurs tolèrent cette forme de négociation de la règle qu'ils jugent plus efficace à moyen terme qu'un affrontement immédiat, mais certains partenaires s'en offusquent tout particulièrement: ils accusent les médiateurs de protéger les fauteurs de troubles, voire de profiter de leurs fonctions pour instaurer une sorte de caïdat auprès des jeunes et ils reprochent aux employeurs qui tolèrent ces pratiques "d'acheter la paix sociale" de cette manière. Aussi, les services de police procèdent souvent à des enquêtes "de moralité" sur chaque candidat et ils interdisent aux employeurs d'embaucher ceux qui ont des antécédents judiciaires.

Pour toutes ces raisons, le poste de médiateur social n'est pas vraiment considéré comme une profession durable, qui puisse être exercée indéfiniment, mais plutôt comme un emploi transitoire, qui doit servir de "tremplin" pour l'insertion professionnelle des employés.

L'enjeu de l'insertion professionnelle

Plusieurs médiateurs se portent candidats sur ces emplois dans l'espoir d'être engagés définitivement par l'un des organismes partenaires, sur un poste "classique". Aussi, l'obtention d'un contrat à durée indéterminée, constitue souvent le principal enjeu des relations professionnelles. Certains employeurs utilisent d'ailleurs cet espoir comme élément de motivation pour inciter les agents à faire preuve de rigueur dans l'exécution de leurs missions. Mais les possibilités d'évolution professionnelle sont relativement limitées. Le nombre de place est parfois inférieur aux nombres de candidats et l'emploi de médiateur opère alors comme une phase de sélection pour les employeurs. Cette forme de tri suscite une certaine rivalité entre les agents et les membres des minorités visibles qui ne sont pas sélectionnés accusent parfois leurs employeurs de s'appuyer sur des critères racistes.

Néanmoins, les médiateurs ne sont pas toujours intéressés par les postes accessibles (conducteurs de bus, gardiens d'HLM...) tandis que d'autres démissionnent ou sont licenciés avant d'avoir pu prétendre à une quelconque promotion professionnelle.

Enfin, il arrive aussi que les institutions ne proposent aucune voie d'intégration au sein de leur personnel. Soit que leurs responsables s'y refusent délibérément, soit que leur statut légal leur interdisent, à l'image des collectivités locales, dont le personnel doit obligatoirement être reçu aux concours externes pour intégrer la Fonction publique territoriale. Différents types d'employeurs cherchent alors à pallier ces difficultés en encourageant les médiateurs à suivre différentes formations professionnelles et en leur prodiguant les meilleurs conseils pour préparer d'éventuels concours.

L'intérêt de ce type d'emploi sur la trajectoire professionnelle des agents se révèle ainsi très mitigé. Il est très rare que tous les employés bénéficient d'une intégration définitive à la suite de leur contrat et les anciens médiateurs ne semblent pas particulièrement tirer profit de cette expérience. Plusieurs d'entre eux poursuivent souvent une trajectoire d'insertion en multipliant les petits boulots ou en travaillant encore comme médiateur dans d'autres dispositifs...

La grande majorité des médiateurs se déclare donc relativement sceptique quant à la valeur de cette expérience dans leur trajectoire professionnelle et les membres des "minorités visibles" redoutent plus particulièrement d'être embauchés sur un emploi de seconde catégorie en raison de leur couleur de peau. Ils se sentent ainsi cantonnés dans une catégorie ethnique plus étroite que celle dans laquelle ils se reconnaissent et l'emploi de médiateur tend alors à nourrir une certaine forme d'"assignation à résidence identitaire" (Palau, 1996, p.622) plutôt que de favoriser l'insertion sociale et professionnelle des agents.

Conclusion

Les expériences menées dans le domaine de la médiation sociale sur les espaces ouverts se heurtent à différentes difficultés qui compromettent l'avenir de ce type d'action publique. Le nombre d'agents locaux de médiation sociale effectivement mis en place ne représente que la moitié de celui fixé initialement par les objectifs du ministère de l'Intérieur; les volumes des effectifs décroît dans la quasi-totalité des dispositifs et aucun type d'emploi, public ou privé, n'est disponible aujourd'hui pour succéder à tous les emplois-jeunes en fin de parcours.

Il ne s'agit pas, cependant, de dénoncer les institutions "partenaires" de ces dispositifs ni de mettre en cause la qualité du travail accompli par ces milliers d'employés mais plutôt de mettre en lumière les différents facteurs qui conduisent à ce résultat.

L'action menée par les pouvoirs publics est le premier élément explicatif de cette dynamique. Dans la continuité du mouvement enclenché depuis les années 70, l'Administration se retranche dans un rôle exclusivement procédurier (Lascoumes, Le Bourhis, 1997). A travers la multiplication des politiques contractuelles, l'Etat devient alors un "diseur de la règle" (Donzelot, Estèbe, 1994, p.227) qui se charge plus de désigner quelques acteurs responsables et d'organiser leurs relations que d'énoncer la substance de leurs actions.

La latitude ainsi accordée aux acteurs locaux quant à la mise en oeuvre des emplois doit officiellement favoriser une plus grande adaptation au contexte de chaque dispositif. Mais, au lieu de faire de la médiation une sorte d'"idéologie molle" (Jobert, Muller, 1987, p.65) qui agrégerait les différents intérêts, cette imprécision majore surtout l'influence des rapports interpersonnels, des relations clientélistes et des revendications corporatistes.

L'activité des médiateurs constitue alors un assemblage hétérogène et désordonné, plutôt que le résultat d'une logique collective cohérente. En raison de la définition par défaut qui circonscrit le champ de la médiation, les missions paraissent fondamentalement construites sur le modèle de garbage can (poubelle) proposé par Lindblom (1980): elles résultent de l'agrégation d'actions hétéroclites qui ne sont pas revendiquées par les autres acteurs comme des prérogatives spécifiques et les "métiers" de la médiation s'en trouvent ainsi particulièrement difficiles à légitimer.

L'approche ethnique opère alors comme un schème d'interprétations unificateur des pratiques. Elle fournit en effet un cadre explicatif et des recettes d'action publique pour les institutions dont les routines de fonctionnement paraissent inadaptées à ce type de problèmes.

Mais l'importance ainsi accordée aux appartenances communautaires a également pour effet d'enfermer les agents dans une catégorie stéréotypée qui néglige les différences qu'ils présentent entre eux et vis-à-vis de leur public et surtout, qui masque leur statut économique. Les dispositifs sont associés aux questions d'intégration culturelle alors qu'ils mettent fondamentalement en question les possibilités d'insertion professionnelle et de promotion sociale des plus défavorisés. Les emplois de médiation sociale entraînent ainsi un certain containment des problèmes socio-économiques posés par les jeunes "surnuméraires" au marché du travail (Castel, 1995, p.645 sq) en les maintenant dans la sphère du territoire et de l'ethnie.

Alexandre Biotteau

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Notice:
Biotteau, Alexandre. "Entre contrôle social et régulation économique: la médiation sur les espaces publics", Esprit critique, Été 2004, Vol.06, No.03, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr
 
 
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