Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Été 2004 - Vol.06, No.03
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La médiation sociale dans la lutte contre l'exclusion sociale à l'île Maurice


Ibrahim Koodoruth

Maître de conférence en Sociologie à l'Université de Maurice, formateur auprès des cadres du ministère de la Jeunesse et des Sports, consultant auprès du ministère de la Femme, détenteur d'un DEA en Sociologie et un DESS en Enquête sociale approfondie de l'Université de Bordeaux II.


Résumé

Le peuplement de l'île Maurice résulte de plusieurs vagues de migration de gens venus de France, d'Afrique, de la Chine et de l'Inde. Une hiérarchisation de ces différentes composantes s'est construite à partir du 18ème siècle. Le processus de développement socio-économique a produit une juxtaposition des groupes ethniques. A partir des années 1990, on a parlé de "Malaise créole" qui s'est exprimé entre autres avec des émeutes en février 1999. Ce malaise résulte d'un phénomène d'exclusion sociale de l'ethnie créole dans la société mauricienne. Cette exclusion trouve son origine dans l'échec scolaire. Dans la lutte contre l'exclusion sociale, l'Etat mauricien a créé des Zones d'éducation prioritaire (ZEP). L'école qui constitue à la fois un lieu de socialisation et un lieu de production de sens est ciblée dans la reconstitution du lien social entre l'enfant et sa scolarité dans la lutte contre l'exclusion sociale. L'Eglise catholique a, elle, mis en place les écoles complémentaires. Des éducateurs de rue et des parents éclaireurs agissent comme des médiateurs et ont pour mission d'intervenir sur les mécanismes de régulation sociale dans ces régions. Leurs statuts sont différents et rendent par là même la nature de leur intervention complémentaires. Cette nouvelle approche suscite néanmoins des angoisses chez les médiateurs qui doivent gérer la problématique des sentiments humains qu'ils éprouvent eux-mêmes ainsi que ceux du public cible. La connaissance de soi s'avère importante dans la gestion des sentiments.

Mots-clés: exclusion sociale, médiation sociale, éducateur de rue, parent éclaireur.


Introduction

L'éducation à la fois formelle et informelle reste plus que jamais au coeur de la problématique de l'exclusion sociale. Une forte corrélation est établie entre échec scolaire et exclusion. Ainsi, plusieurs moyens visant à remédier à cette exclusion sociale sont expérimentés auprès des populations. La médiation sociale représente un des moyens utilisés dans cette démarche. Dans cette perspective, le médiateur tente de recomposer les rapports entre les individus et les institutions en investissant l'environnement social de l'école. Certains acteurs de ce milieu deviennent des médiateurs. Qui sont ces médiateurs? Quel rôle peuvent-ils jouer dans la recomposition du social? Quels sont les défis auxquels ils ont à faire face?

I. La logique d'interaction entre les groupes ethniques à l'île Maurice

Le peuplement de l'île Maurice résulte de plusieurs vagues de migration de gens venus de France, d'Afrique, de la Chine et de l'Inde à partir du 18ème siècle. En 1968, le pays devient un État indépendant. "Sa population, composée de 1'185'000 habitants (en 2001), est particulièrement cosmopolite, puisque née de l'immigration successive d'Européens, d'Africains, d'Indiens et de Chinois. Malgré les barrières ethniques, les groupes en présence ont appris tant bien que mal à coexister au sein d'un espace commun et avec une volonté commune: l'épanouissement de la nation mauricienne. Cependant, cette cohabitation n'est pas sans soulever quelques problèmes. Même si Maurice a su éviter de graves conflits, la situation demeure toujours vulnérable, tant peut être fragile l'équilibre communal de la population." (Martial, D., 2002, p.65)

Les différents groupes d'immigrants apportèrent avec eux leurs coutumes, leurs croyances et leurs habitudes. La dynamique sociale engendrée par ce processus de peuplement est caractérisée par tout un système dans lequel s'organise un réseau de refus et d'acceptations. Ceci aura pour résultat un système de cohabitation qui permet d'une part l'accommodation mutuelle sans le fusionnement et d'autre part un niveau de métissage qui n'exclut pas complètement l'autre. En effet, T. Arno et C. Orian constatent que "la fermeture, l'exclusion, nous semblent former le moteur principal de la constitution et la survie des groupes, bien plus que la collaboration...Cette poussée réciproque des groupes mettra en place un système d'évitement et d'ententes, souvent seulement périphériques, d'exclusions et situera le consensus général négativement. Celui-ci procédera par un détour" (Arno, T, et Orian, C, 1986, p.91).

Dans cette logique sociale, la solidarité au groupe devient moteur et des mécanismes de verrouillage de groupes se créent et les clivages entre groupes sont quelquefois poussés à l'extrême. Par ailleurs, l'émancipation inégale des différents groupes ethniques et l'accès au pouvoir politique et économique ont marqué cette logique sociale. Du coup, une hiérarchisation de ces différentes composantes[1] a commencé à se dessiner dès le début du peuplement. Le repli identitaire des groupes ethniques a activé des mécanismes de verrouillage de groupes. Chaque groupe ethnique a connu des mouvements d'émancipation à l'exception des anciens esclaves qui ont été exposés beaucoup plus à l'activité missionnaire de l'Eglise catholique. Cette mission n'a pas consisté uniquement dans la parole de la foi mais aussi dans l'initiation des peuples à la civilisation européenne. Une forme d'aliénation de par l'acculturation et un sentiment d'appartenance au sein de l'Eglise se sont aussi développés parmi les membres de cette ethnie. Comme nous le souligne Didier Colson (1980,p.619): "S'il en est ainsi, l'Eglise de l'Ile Maurice, éclairée de son passé, devra s'efforcer à l'avenir de concevoir sa présence, de formuler son langage, en termes de redécouverte, de respect, d'écoute des valeurs autochtones et d'adaptation à celles-ci, et non en termes de ralliement à la romanité et d'imposition de ce modèle à une minorité catholique... Le rappel de la présence en nombre des religions non-chrétiennes à l'Ile Maurice ne peut au demeurant qu'inciter plus vivement à cette ouverture d'esprit". Les émeutes de 1999 semblent avoir été l'élément qui a déclenché ce processus dont Colson fait mention plus haut au sein de l'Eglise. Vivement critiqué dans leur rôle vis-à-vis de cette ethnie par certaines sections de la population mauricienne, à tort ou à raison, l'Eglise dès lors s'implique davantage dans le social et en particulier dans les régions défavorisées.

Avec l'industrialisation de l'île au 20ème siècle, les disparités socio-économiques sont devenues plus visibles. Ces disparités socio-économiques existent à l'intérieur d'un même groupe ethnique et aussi entre groupes ethniques. Néanmoins, la dynamique sociale et l'occupation de l'espace et des lieux d'habitation ont eu une dimension ethnique. Ainsi, dans les différents quartiers du pays, on trouve majoritairement les gens issus d'une même ethnie. Compte tenu de cette logique du développement et de l'appropriation de l'espace, les poches d'exclusion se trouvent superposées à la notion de territoire et d'ethnicité surtout avec la création des cités ouvrières à la suite des différents cyclones qui ont frappé le pays. Ceci explique pourquoi certaines cités ouvrières sont largement habitées par les membres d'une même ethnie.

II. Les mécanismes de (re)production de l'exclusion sociale

La concentration des membres de certaines ethnies dans certains espaces explique pourquoi bien que l'exclusion sociale[2] ne soit pas nécessairement affectée à la notion d'ethnie, n'empêche que la superposition des lieux d'habitation tend à donner une perception ethnicisée de l'exclusion sociale. A partir des années 1990, on commence à parler du "malaise créole" que l'on attribue à l'exclusion sociale car ces lieux d'habitation sont constitués majoritairement de gens issus de l'ethnie créole. Ces lieux d'habitation sont en effet caractérisés par des problèmes sociaux et un manque flagrant d'infrastructures qui affectent la capacité des résidents à modifier leur position au sein de la distribution du revenu et de la hiérarchie sociale. L'exclusion sociale découle des arrangements institutionnels et la vie communautaire découle de ces lieux d'habitation.

En tant que propriété structurelle de l'environnement socio-économique de ces quartiers, l'exclusion sociale affecte indistinctement tous les habitants qui s'y trouvent. Un état de mal-être et d'inhabilité hante les individus qui se voient refuser l'accès au monde du travail et aux activités sociales qui sont attachés à leur qualité de citoyen. "En raison du grand nombre de personnes dans ces cités ouvrières qui n'ont pas accès aux études secondaires ou tertiaires, les salaires des habitants sont très bas. Les enquêtes ont montré que beaucoup de personnes avaient des emplois qui n'étaient pas stables et que leur avenir était très précaire. A Maurice, comme dans beaucoup de pays d'ailleurs, l'accès à l'éducateur est crucial et déterminant pour l'avenir de la situation économique de la famille. L'enquête a aussi montré que les enfants qui ne réussissent pas à l'examen de fin du cycle primaire proviennent de parents qui eux aussi avaient échoué à cet examen. A part ces contraintes économiques, les cités ouvrières sont sérieusement affectées par des maux sociaux. La drogue, la criminalité, la prostitution hantent ces endroits." (Adolphe, 2003).

Dans cette optique, la lutte contre l'exclusion sociale nécessite une approche systémique.

La figure 1 montre les liens entre la vulnérabilité sociale et l'exclusion.



En nous inspirant du schéma ci-dessus de Vercaigne et Walgrave (2000, p.2), nous considérons que ces trois prémisses s'appliquent dans ces zones d'exclusion sociale.

Thèse 1: Les structures matérielles et sociales de certains quartiers renforcent les mécanismes d'exclusion sociale.

Thèse 2: Ces mécanismes ont un impact fondamental sur les conditions de vie des jeunes, sur leur intégration sociale et leurs perspectives.

Thèse 3: L'absence de possibilités de loisirs adaptés aux jeunes les entraîne à traîner en groupe dans certains espaces publics, ce qui génère des 'conflits criminogènes.'

L'interaction entre ces variables laisse supposer que l'exclusion sociale peut être analysée comme un état qui découle d'un processus.

Comment vaincre ce processus menant vers l'exclusion sociale?

Suite aux émeutes[3] de février 1999, des études sur la pauvreté ont été effectuées dans le pays. Il ressort que, dans le contexte mauricien, l'échec scolaire constitue l'une des causes principales de l'exclusion sociale. Une enquête sociale menée par le Diocèse de Port-Louis démontre que "dans les cités ouvrières, en moyenne seulement 30% des élèves réussissent à cet examen en fin de cycle primaire (la moyenne nationale étant de 60%). Pour le secondaire, les chiffres sont les suivants:

  • 10% pour la 'School Cambridge" (BAC-2) - moyenne nationale 40%
  • 5% pour la HSC (équivalent du BAC) - moyenne nationale 20%." (Adolphe, 2003, p2).

Ces chiffres représentent la tendance qui s'est dessinée dans les années 1990. Lors du Forum de l'UNESCO 2000 pour l'Océan Indien (29-31 mars 1999) au Centre International des Conférences à Grand Baie (Ile Maurice), les participants ont en effet souligné que l'une des conditions clés pour lutter contre l'échec scolaire doit être "une interaction étroite et soutenue entre l'école, les parents et les communautés locales dont la disponibilité pour contribuer à l'effort éducatif ne semble souvent pas être prise en compte par les autorités publiques." (Forum UNESCO 2000, 1999, Vol 1 p.28).

III. Les initiatives en milieu scolaire dans les régions défavorisées

La lutte contre l'exclusion a pris une dimension nationale de sorte que ce n'est pas seulement l'Etat qui cherche à résoudre ce problème. L'Etat a mis en place les Zones d'éducation prioritaire (ZEP) et l'Eglise Catholique - qui a une longue contribution au développement du système éducatif dans le pays - a mis en place les écoles complémentaires.

Les Zones d'éducation prioritaires (ZEP) [4]

L'introduction du concept de ZEP dans la réforme éducative effectuée en 2003 démontre que l'Etat le considère comme un des moyens visant à combattre la pauvreté. Le fonds social constitué pour venir en aide aux groupes vulnérables (Trust Fund for the Social Integration of Vulnerable Groups) soutient de plus en plus les enfants scolarisés dans ces régions. Un partenariat a été fondé entre ces firmes privées[5], des ONGs et des parents médiateurs. La participation parentale est un atout non négligeable et les associations de parents de ces écoles sont consultées, impliquées dans l'introduction du projet. Outre l'accompagnement de l'enfant dans son milieu familial et social, le projet ZEP prévoit également une pédagogie appropriée, un carnet de santé et un apport nutritionnel supplémentaire.

Les écoles complémentaires[6]

Suite aux émeutes de février 1999, l'Eglise catholique s'est lancée dans une réflexion qui a débouché entre autres sur la création de l'Ecole pour la Solidarité et la Justice (ESJ). L'ESJ a pour objectif de former des animateurs sociaux et de lancer des projets concrets pour combattre la pauvreté. C'est ainsi qu'ont vu le jour les écoles complémentaires dans les lieux les plus défavorisés du pays.

Ce concept consiste en l'accompagnement scolaire de tous les enfants des cités ouvrières. Chaque après-midi de 15h30 à 18h et les samedis de 9h à 15h00. Cependant, ce qui singularise ce dispositif c'est que:

1) avant le lancement d'une école complémentaire, il y a des réunions de préparation avec les parents, durant plusieurs soirées. Un groupe de parents éclaireurs est constitué. Chaque parent éclaireur est responsable d'une rue et garde ainsi le contact avec les autres parents.

2) Ce projet repose sur la solidarité d'une part des entreprises privées et d'autre part des individus qui interviennent comme bénévoles.[7]

3) Toute une série d'activités est organisée parallèlement avec cette école: un 'Centre of Learning' des cours de leadership social, de projets de développement communautaire, des bourses pour enfants défavorisés entre autres.

4) Les bénévoles bénéficient d'une formation avant d'intervenir.

Une analyse de ces deux initiatives (le ZEP etl'école complémentaire) pourrait se faire à l'aide de la matrice suivante.



Cette matrice comporte deux axes (définition d'un problème et la solution au problème) qui nous permet d'identifier quatre cases:

1. Définition du problème de l'intérieur et la solution trouvée à l'intérieur du groupe: la conscientisation du groupe par le groupe.

3. Définition du problème de l'extérieur et la solution proposée vient en dehors du groupe concerné: les politiques de développement préconisent très souvent des agents externes / extérieur au problème.

2 et 4. Définition et sa solution impliquent les populations concernées par le problème.

On constate que les écoles ZEP constituent en fait un cas 3. C'est l'Etat qui identifie le problème et cherche à le résoudre. Bien que les parents deviennent partenaires au projet, on pourrait considérer leur intervention comme étant de la pseudo-participation. En effet, l'école complémentaire se rapproche plus des stratégies mixtes où il y a une participation des parents et des volontaires dans l'élaboration même de l'école complémentaire. Cette politique d'accompagnement ne se met pas en place du jour au lendemain[8]. A travers la dynamique de l'Ecole complémentaire, c'est le développement intégral de toute la cité qui est ciblé par le biais de la prise en main de leur destinée par les habitants eux-mêmes.

IV. La nature de la médiation pratiquée

L'on se retrouve ainsi face à deux types de médiateurs dans cette intervention contre l'exclusion[9]: d'une part les parents éclaireurs des écoles complémentaires issus du même quartier, qui se portent volontaires, qui n'ont pas de formation sociale a priori; et d'autre part des éducateurs de rue qui sont des travailleurs sociaux, agents de l'Etat qui viennent d'ailleurs avec des apports théoriques et qui se positionnent en tant qu'éducateur de rue.

L'état d'esprit de ces deux types de médiateurs est différent:

Dans le cas du parent éclaireur, il/elle se sent personnellement concerné(e) car son intervention se situe sur sa famille, ses voisins, ses habitudes ainsi que celles de ses voisins, son quartier, son statut dans le quartier et sa propre image en tant que personne. L'éducateur de rue, lui, parle avec plus de distance personnelle par rapport à son intervention. Compte tenu de la différence de statut, il est important que l'éducateur de rue se fasse accepter dans le quartier. De la même façon, il est impératif que le parent éclaireur soit quelqu'un(e) qui dégage le consensus dans sa rue.

Pour les deux types de médiateurs, il s'agit d'aider un individu en perte de repères, en "décrochage" à se construire un parcours, à se "lier" au social en se constituant comme acteur autonome et responsable dans un processus d'émancipation à long terme. L'éducateur de rue est pratiquement en position d'ethnologue dans le milieu qu'il pénètre, il se doit d'accepter l'existence de modes de fonctionnement sociaux dont il est le témoin. Cette position de réserve et de discrétion est complètement à l'opposé du parent éclaireur qui lui se comporte comme militant d'une cause et sur le fonctionnement du groupe. Ainsi, le type de relation qu'ils établissent entre eux et leur champ d'intervention n'est pas le même. Néanmoins, on peut constater une grande complémentarité dans leur intervention respective.

En effet, ils ont tout deux le même public cible: les habitants de ces quartiers défavorisés. En adoptant une typologie simple qui distingue trois domaines différents, on se rend compte de l'aspect complémentaire que ces deux types de médiateurs peuvent jouer dans ce contexte.

On a d'abord la prévention sociale, qui intervient en amont des risques, sur le contexte de vie, pour transformer la relation des habitants dans leur quartier et faire évoluer leur qualité de vie là où ils sont. En renforçant le lien social, la vie collective, elle augmente la prise de responsabilité "citoyenne" et améliore les facteurs de sociabilité, de régulation et d'éducation sur un territoire déterminé. L'aspect développement communautaire pourrait être cité à titre d'exemple. Dans ce cas précis, en conjuguant leurs initiatives, l'effet synergie pourrait se manifester. En effet, les parents éclaireurs peuvent agir comme des véritables leaders d'opinions auprès du public cible tandis que l'éducateur de rue trouve en eux les ressources afin de gagner la confiance de cette population. L'éducateur de rue tient certes son mandat de l'autorité publique, mais il doit recueillir l'adhésion des personnes qu'il accompagne. Par ailleurs, de par leur formation et en étant les agents de l'Etat ils constituent le pont entre la population et les autorités et l'administration.

Vient ensuite la prévention éducative qui vise des individus ou des groupes d'individus - essentiellement des jeunes scolarisés aussi bien ceux se trouvant en dehors du système scolaire - exposés à des risques dont la délinquance est la plus visible. De caractère ciblé, par un travail sur les personnalités, la prévention éducative cherche par des interventions spécifiques (activités partagées, sorties organisées, nettoyage du quartier...) à infléchir la trajectoire de ces jeunes pour que les risques auxquels ils sont exposés ne se traduisent pas dans leur vie quotidienne. On constate ici que c'est l'éducateur de rue qui peut prendre les devants de l'intervention, mais par la suite, tout en gardant l'anonymat, peut diffuser des conseils aux parents médiateurs afin de réduire les risques qui peuvent annihiler l'impact de son intervention chez le jeune.

Enfin, on a la prévention situationnelle qui se situe sur les circonstances dans lesquelles les incidents se déroulent. On ne se préoccupe pas de transformer les individus ou d'améliorer le contexte dans lequel ils vivent, mais avant tout d'éviter les passages à l'acte par une action anticipatrice ou dissuasive. Dans les quartiers défavorisés, de par la nature criminogénique de cet environnement, ce type d'intervention devient crucial. Quelquefois on peut anticiper les éléments qui peuvent mener vers de telles situations mais ce n'est pas toujours le cas. Le partage d'idées, de connaissance du terrain, des expériences vécus par l'éducateur de rue et le parent médiateur peuvent s'avérer cruciaux.

Les sentiments humains constituent un autre élément qu'ils partagent: que l'on soit parent éclaireur ou éducateur de rue - bref, médiateur - il y a une réalité que l'on ne peut outrepasser: la problématique des sentiments chez soi et chez l'autre. Les sentiments humains se révèlent très importants et il est souvent difficile d'en parler. C'est quelque chose qu'on ressent au fond de soi et qu'on n'arrive pas nécessairement à exprimer avec des mots. La douleur peut paralyser la personne et la faire basculer dans la pitié de soi ou de l'autre. Elle peut aussi empêcher de parler pour des raisons d'éthique ou pour des raisons d'estime de soi. Aborder la question des sentiments devient ainsi une question primordiale chez le médiateur en raison de la place qu'elle occupe dans la vie quotidienne. Les sentiments jouent en effet un rôle important dans tout ce qui est relation: avec le public cible, les services sociaux, le voisinage, etc.

On peut répertorier quelques grandes familles de sentiments:

  • Les sentiments liés à la honte et/ou la culpabilité
  • Les sentiments qui regrouperaient l'incompréhension, l'isolement, le découragement, le désespoir et l'abandon.
  • Les sentiments liés à la peur, l'angoisse, le stress, etc.
  • Les sentiments liés au respect, à l'estime de soi et de l'autre
  • Les sentiments liés à sa conviction de lutter: la révolte, le défi, l'espoir du bien-être, etc.

Dans sa pratique quotidienne, le médiateur doit être conscient de l'existence de ces sentiments chez l'autre mais aussi chez lui. Comment réagir et gérer ces sentiments? Les situations de pauvreté et d'exclusion ne peuvent pas ne pas nous interpeller. Son savoir faire, son savoir-faire, sa connaissance, ses expériences vécues, son silence, sa spiritualité sont mis en interface, que se soit dans son intervention ou dans sa vie privée. Face à ces convergences, le défi que doit relever le médiateur est d'abord et avant tout la connaissance de soi. Savoir ses capacités, ses forces et ses faiblesses devient un outil que tout médiateur doit maîtriser dans sa vie de tous les jours afin de bien cerner et gérer les sentiments et auxquels il/elle doit faire face.

Conclusion

Le combat contre l'exclusion sociale consiste à lutter contre le décrochage scolaire en milieu défavorisé. L'établissement des écoles ZEP ainsi que de l'école complémentaire dans les régions défavorisées a vu l'émergence de deux types de médiateurs: l'éducateur de rue, agent de l'Etat, et le parent éclaireur- membre actif du quartier. Leur intervention constitue un relais entre les multiples composantes de l'environnement social du quartier ainsi que l'établissement scolaire. Une concertation entre ces deux types de médiateurs va apporter un effet de synergie auprès des publics cibles. Cependant, ils doivent être en mesure de gérer la problématique des sentiments humains.

Ibrahim Koodoruth

Notes:

1.- On distingue les groupes ethniques suivants: hindous, musulmans, créoles, chinois et franco-mauriciens. Chronologiquement, on a assisté à l'arrivée des franco-mauriciens de France puis des créoles, des descendants d'africains comme esclaves. Avec l'abolition de l'esclavage, l'immigration indienne a commencé, en 1835, et est identifiée en termes de coolie trade. La migration chinoise prit de l'ampleur en 1861. De nos jours, les hindous constituent 50% de la population, les créoles 30%, les musulmans 17%, les chinois 2% et les franco-mauriciens 1%. Par ailleurs, l'anglais est la langue officielle, mais le français domine dans les médias. La compréhension du français est facilitée par l'usage de la langue créole car le vocabulaire comporte beaucoup de mots empruntés au français. Cette langue est parlée par la quasi-totalité de la population.

2.- Trois paradigmes principaux ont été identifiés pour analyser l'exclusion sociale: 'la solidarité', 'la spécialisation' et 'le monopole.' Ces paradigmes font référence à la structuration et à l'organisation de la société.' Dans le cas de l'île Maurice nous considérons que c'est le paradigme du monopole qui peut nous aider dans notre analyse: "Le troisième paradigme, le monopole, considère la société comme une structure hiérarchique dans laquelle différents groupes contrôlent les ressources. Chaque groupe protège son domaine contre ceux de l'extérieur, en élevant des barrières et en limitant l'accès - aux emplois, aux ressources culturelles, aux biens et services. En même temps, la solidarité est encouragée à l'intérieur du groupe. L'appartenance à la société est donc nécessairement inégale. Mais le tableau peut être complexe, avec une hiérarchie d'inclusions et d'exclusions plutôt qu'un simple dualisme comme dans le modèle de la solidarité. Les règles déterminant l'accès aux groupes privilégiés définissent aussila vulnérabilité et déterminent qui est exclu. L'identité de l'exclu est donc socialement construite." (Exclusion Sociale et Stratégies de Lutte Contre La Pauvreté, Organisation internationale du Travail (OIT), Institut International d'études sociales, p.2)

3.- A la suite de la mort du chanteur Kaya, qui habitait Roche Bois, un quartier pauvre de Port-Louis et qui est le père du seggae-mélange (la musique traditionnelle mauricienne, le séga avec le reggae) - en cellule policière, des affrontements eurent lieu entre certaines personnes d'origine créole et les policiers. Par la suite, des affrontements eurent lieu entre certains membres de la communauté créole et hindoue - (Voir l'article de Catherine Boudet, 2000).

4.- Une liste d'écoles au niveau primaire a été établie en fonction des taux de réussite aux examens en fin de cycle primaire. Les écoles ayant eu un taux de réussite de moins 40% pendant les cinq dernières années (1997-2001) sont considérées comme faisant partie de la ZEP. Pour l'année 2002, 28 écoles ont été classes dans cette catégorisation.

5.- Soulignons que la Mauritius Employers Federation (syndicat des travailleurs) vient de faire un don de 83 ordinateurs aux écoles ZEP(voir document "Processus de la réforme dans l'éducation").

6.- Les écoles complémentaires ont commence à exister à partir le l'an 2000.

2000 - Ecole complémentaire de Barkly au Collège de la Confiance.

2001 - Ecole complémentaire de Kennedy/ Bassin au Collège du St Esprit.

2002 - Ecole complémentaire de Cité La Cure au Collège Lorette de port Louis.

2003 - Ecole complémentaire de Cité La Chaux au Collège Lorette de Mahebourg

2004 - Ecole complémentaire de Cité Richelieu au Collège d'Etat la Tour Koeing en partenariat avec l'Etat

7.- Le tableau ci-dessous donne le nombre d'élèves, d'éducateurs et de volontaires dans les 4 écoles complémentaires en 2003.

Lieu

Eclaireur

Volontariat

Elèves

Cité Barkly (Beau Bassin)

70

168

806

Cité Kennedy et Bassin (Quatre-Bornes)

66

145

707

Cité La Cure (Port Louis)

50

125

475

Cité La Chaux (Mahebourg)

85

160

560

Total

271

598

2,548


Source: Diocèse de Port-Louis (2004)

8.- A titre d'exemple: les parents de cité Richelieu ont planché sur le projet pendant deux ans avant de lancer leur école complémentaire.

9.- Comme le montre Michèle Guillaume-Hofnung (1995), la médiation (sociale) assume, en fait quatre fonctions: la création de lien social, la réparation du lien social, la prévention des conflits et enfin le règlement des conflits. Soit la médiation comme mode de retissage du lien social et la médiation comme gestion des conflits, ou encore la médiation des différences et médiation des différends.

La médiation s'entend alors d'une manière globale, selon la définition qu'en propose Michèle Guillaume-Hofnung, comme "un mode de construction et de gestion de la vie sociale grâce à l'entremise d'un tiers, le médiateur, neutre, indépendant, sans autre pouvoir que l'autorité que lui reconnaissent les médiés qui l'auront choisi ou reconnu librement." (Guillaume-Honfnung, 1995, p.74).

Suivant Jean-Pierre Bonafé-Schmitt (1999), deux médiations de nature différents méritent d'être distinguées:

  • une médiation institutionnelle, émanant des institutions et contrôlée par elles, qui court le risque d'être instrumentalisée;
  • une médiation citoyenne, issue de la société civile, moins tributaire des modèles et impératifs institutionnels.

Références bibliographiques:

Adolphe Jean-Noël Document de réflexion (non publié), 11.08.03, Ecole pour la Solidarité et la Justice dans le cadre de la visite de Trinh Xuan Thuan, professeur à l'Université de Virginie USA.

Arno, T, et Orian, C, Ile Maurice: une société multiraciale, 1986, Editions L'Harmattan, 182 pages.

Bonafé-Schmitt JP et.al. Les médiations, la médiation, Ed. Erès, 1999

Bonafé-Schumit, J-P., La médiation scolaire par les élèves, ESF éditeur, Issy-les-Moulineaux, 2000.

Bondu Dominique, Nouvelles pratiques de médiation sociale, jeunes en difficulté et travailleurs sociaux, ESF éditeur, 1998, Paris, 219p

Boudet C, "Emeutes et élections à Maurice", Politique Africaine no79, octobre 2000 - à l'adresse suivante: http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/079153.pdf

Colson, D. Approches de la pratique missionnaire catholique à l'île Maurice entre 1840 et 1895. Thèse de doctorat non publiée, soutenue en 1980.

Deboutte, G., L'Enfant, ni loup, ni agneau..., Conseils aux parents, enseignants, éducateurs, Editions Chronique Sociale, Lyon, 1997.

Forum UNESCO 2000 pour l'Océan indien - Final report, Vol 1, 1-18 June 1999, 48p, consulté sur Internet:http://www.unesco.org/opi2/news/freport.htm

Guillaume-Hofnung M. La médiation, PUF, 1995.

Martial, D, Identité et Politique Culturelle à l'île Maurice, Regards sur une société plurielle, Editions L'Harmattan, 2002, 237 pages.

Ministère de l'Éducation et des Recherches scientifiques, 2002, Zones d'éducation prioritaires, Ile Maurice.

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Vercaigne, C., et Walgrave, Urbanisation, exclusion sociale des jeunes et criminalité de rue, 2000, ISEG Institut voor Sociale en Economiesce Geografie, KU Leuven, OGJC, Onderzoeksgroep Jeugdcriminologie, K.U.Leuven, OGJC, Mistiaen P et Kesteloot, C, ISEG, 2000, 12 pages.


Notice:
Koodoruth, Ibrahim. "La médiation sociale dans la lutte contre l'exclusion sociale à l'île Maurice", Esprit critique, Été 2004, Vol.06, No.03, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr
 
 
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