Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Été 2004 - Vol.06, No.03
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L'évaluation de l'activité de médiation de quartier [1]


Jean-Pierre Bonafé-Schmitt

GLYSI-CNRS/Université LyonII. Groupe d'Etude Médiation. ISH.
Jean-Pierre.Bonafe-Schmitt@ish-lyon.cnrs.fr



Résumé

La médiation de quartier en France faisant appel à des habitants comme médiateurs, est un phénomène récent. A la différence des autres modes de gestion des conflits, la médiation repose sur une participation active des parties dans le processus de résolution des conflits mis en oeuvre par les médiateurs, ce qui explique l'importance accordée à l'analyse du profil socioprofessionnel des parties. L'article montre que le processus de médiation s'apparente à un véritable rituel, à processus social qui se construit à partir des interactions verbales entre les différents acteurs. L'analyse de la nature des affaires qui sont prises en charge par les médiateurs montre que celles-ci relèvent du "contentieux du quotidien" (problèmes de voisinage, de consommation,...). Sur un plan normatif, l'étude des accords illustre le rôle joué par ces expériences de médiation en matière de production de règles et de construction d'un nouvel ordonnancement social dans les quartiers.

Mots-clés: médiation, quartier, rituel, règles.


La médiation de quartier en France faisant appel à des habitants comme médiateur, est un phénomène récent puisque les premiers projets datent du milieu des années quatre-vingt et le plus souvent ce sont des expériences éphémères qui ne dépassent pas les deux ou trois années (Bonafé-Schmitt et al., 1999). La question de la pérennisation des projets est actuellement, au centre des préoccupations, des initiateurs de ce type d'expérimentation dans les quartiers. Dans un proche avenir, la situation ne devrait pas se modifier car la médiation de quartier n'est pas prise en compte dans les différents dispositifs de gestion de la conflictualité, mis en oeuvre par les différents ministères, ce qui ne favorise pas le développement de ces projets.

La médiation ne constitue pas encore un objet de recherche ce qui explique le faible nombre d'études en la matière, notamment en matière d'évaluation des effets de ce mode de gestion des conflits sur les relations sociales. Malgré ces difficultés, le GLYSI (Groupe lyonnais de sociologie industrielle) en collaboration avec l'association AMELY (Association de médiation de Lyon) mène un programme de médiation de quartier qui s'est traduit par la réalisation de recherche-actions dans plusieurs agglomérations du Grand Lyon. Au cours de ces années de travail en commun, les deux équipes ont élaboré une problématique et une méthodologie d'intervention et constitué des outils d'évaluation permettant d'assurer le suivi et l'auto-évaluation des projets de médiation de quartier.

Pour mener ce travail, nous avons évité de tomber dans le travers de la division du travail entre les "chercheurs" et les "praticiens", et c'est pour cette raison que nous avons élaboré en commun la méthodologie d'intervention. Comme nous l'avons déjà écrit, il ne s'agit pas pour nous d'abandonner une posture de recherche en confondant allégrement la position du chercheur et de l'acteur dans la production de la connaissance (Bonafé-Schmitt, 2000). Au contraire, nous voulons plaider pour une forme de recherche, alliant une dimension cognitive et praxéologique, et reposant sur une double réflexivité du savoir sociologique: un "va-et-vient entre l'univers de la vie sociale et le savoir sociologique" au cours duquel "le savoir sociologique se modèle et remodèle l'univers social", (Giddens, 1991).

L'adoption de cette démarche de recherche-action nous a posé un grand nombre de problèmes méthodologiques car les méthodes traditionnelles d'évaluation aussi bien quantitatives que qualitatives impliquent que "les objectifs des programmes et leurs mesures soient établis avant l'implantation et restent inchangés au cours de l'évaluation; ceci est rarement le cas, le propre des recherches-action étant justement d'être dynamiques". Nous partageons le point de ce courant de recherche qui prône une "approche compréhensive qui soit une combinaison des méthodes quantitatives et qualitatives de recueil et d'analyses des données et qui servent à la fois à mesurer le développement du programme d'action et son efficacité" (Blomart, Timmermans, 1998, p.3).

Dans le cadre de cet article, nous ne présenterons que l'évaluation du fonctionnement de deux instances de médiation de quartier situés dans le Grand Lyon: les médiateurs de Presqu'île et de Saint Priest. Ces deux instances de médiation de quartier présentent la particularité de fonctionner sur la participation d'habitants comme médiateur et elles appartiennent à la même association: AMELY (Association de Médiation de Lyon) [2]

I- Les usagers de la médiation

A la différence des autres modes de gestion des conflits, la médiation repose sur une participation active des parties dans le processus de résolution des conflits mis en oeuvre par les médiateurs. C'est pour cette raison que nous avons accordé une importance à l'analyse du profil socioprofessionnel des parties car il importait pour nous de vérifier si des variables, comme le sexe, l'âge, la situation familiale, la nationalité, l'activité professionnelle... pouvaient avoir une influence sur le processus de médiation et sur ses résultats.

On pourrait se poser la question de l'intérêt de développer une telle sociologie des usagers de la médiation si ce n'est qu'une telle démarche devrait permettre de mieux comprendre la spécificité de la médiation par rapport aux autres formes de gestion des conflits. Cette meilleure connaissance du phénomène de la médiation nécessite que l'on se donne les moyens de vérifier si les usagers de la médiation sont par exemple les mêmes ou non que ceux qui utilisent les modes juridictionnels, s'ils se recrutent parmi des catégories particulières de la population... Enfin, un suivi sur plusieurs années des instances de médiation permettrait de vérifier si on assiste ou non à une évolution des usagers de la médiation.

Avant de dresser le profil des usagers de la médiation, nous avons cherché à connaître de quelle manière ces derniers avaient connu l'existence des différentes instances de médiation. Ce type d'interrogation n'est pas sans importance car elle contribue à faire émerger, comme nous allons le voir, l'existence de réseaux de connaissance qui ne sont pas sans influence sur la structuration de la "clientèle" des instances de médiation.

1- Les modes de connaissance de l'instance de médiation

Comment les usagers de la médiation ont appris la connaissance de l'instance de médiation? L'analyse des réponses à cette question nous a permis de déceler l'existence de véritables réseaux et d'élaborer une typologie de ces derniers en distinguant, les réseaux relationnels et associatifs, les réseaux institutionnels et enfin les médias et les autres moyens de connaissance.

Seule une analyse en terme de réseaux permettait de resituer la démarche des médiés dans leur tentative de résoudre leur conflit car le choix du recours à la médiation a été le plus souvent induit par l'une des instances de ce réseau (Katuszewski, Ogien, 1978). Il s'agit de réseaux informels dans la mesure où ses différentes composantes ne sont pas toujours en lien direct et que les médiés peuvent passer d'une instance à une autre selon la nature de la demande et en fonction des circonstances. Sans parler de déterminisme, on ne peut objecter l'existence d'une sorte de contrainte pour les usagers de s'inscrire dans une démarche proposée par les représentants de ces réseaux.

Les modes de connaissance des instances de médiation de quartier sont assez diversifiés et ils varient fortement d'une structure à une autre. Ainsi pour celle de Lyon c'est surtout le réseau relationnel et associatif qui est le mode dominant de connaissance (76,9%) alors que pour Saint Priest c'est le réseau institutionnel (67,7%). Ces différences s'expliquent essentiellement par l'histoire de ces deux structures; Les médiateurs de Lyon partagent le même local que la Boutique de Droit et travaillent en collaboration avec les juristes de cette structure ce qui explique que 54% des affaires viennent à partir de l'information donnée par ces derniers. A Saint Priest, c'est le Conseil communal de prévention de la délinquance (CCPD) qui est à l'initiative du projet de médiation de quartier ce qui explique la forte implication des membres de cette institution, comme la mairie, la police et les bailleurs. En fait, c'est un seul bailleur, un office HLM municipal qui renvoie la quasi-totalité des dossiers.

Ces données quantitatives sont confirmées par les entretiens avec les médiateurs de Lyon:

"En premier lieu, c'est la Boutique de droit. Il y a les partenaires, les commissariats de police, les assistantes sociales, le bouche à oreilles, enfin les médias" (F-inactive-quartier-4).

et par ceux de Saint Priest:

"Chez nous, bien souvent, c'est le commissariat qui nous les renvoie, après, c'est les HLM, la mairie, les bailleurs, les connaissances. (...) Notre plus gros pourvoyeur, c'est le commissariat. Ils ont bien compris l'enjeu, le but, parce que quelque part, ça leur facilite le travail, parce que c'est vrai que, quand les gens vont se plaindre que le voisin fait du bruit, que le chien aboie, c'est sûr qu'ils peuvent pas faire grand chose, et ils font une main courante et ils leur disent: "allez voir les médiateurs, peut-être que eux pourront arranger votre problème". Ils nous les envoient systématiquement" (F-inactive-quartier-30).

La faible implication de la Justice dans les modes de connaissance s'explique aussi par la politique judiciaire de développement des Maisons de justice et du droit (MJD) qui a pris en charge ce contentieux de la vie quotidienne. D'ailleurs, il existe un partage implicite des compétences, les médiateurs de quartier ne prennent pas en charge les affaires qui ont fait l'objet d'une plainte pénale ou d'une action judiciaire.

Il est aussi à noter que le réseau relationnel, au fil des années, est en croissance régulière ce qui devrait favoriser l'implantation de ces structures de médiation dans les quartiers et la gestion en amont de la justice de ce contentieux de la vie quotidienne:

"L'année dernière, sur les soixante-dix dossiers, il y en a seize qui sont venus par des connaissances. Donc, ça commence à faire son petit bout de chemin"(F-inactive-quartier-30).

Tableau 1
Répartition des affaires selon le mode de connaissance

 

Lyon

Saint Priest

1-réseau relationnel/associatif

   

boutique de droit

54,0

2,3

médiateurs

5,7

2,3

relations

13,8

6,2

associations

3,4

0,8

2-réseaux institutionnels

   

police

3,4

30,0

justice

-

-

avocats

-

-

inspection du travail

-

-

assistantes sociales

5,7

0,8

mairie

2,3

17,7

bailleurs

4,6

19,2

3-médias et autres

   

médias

2,3

10,0

enseigne

2,3

-

autres

2,3

10,8

total%

100

100

total N

87

130

2- Présentation des médiés

Un des objectifs de cette sociologie des usagers de la médiation était de rechercher s'il existait des catégories particulières de la population qui seraient plus favorables que d'autres à la médiation. Mais, en raison de l'influence des réseaux de connaissance, il serait plus juste de dire quelles sont les catégories particulières qui adhérent à l'idée de médiation proposée par les composantes de ces réseaux.

- la répartition des médiés selon la position dans le conflit

Dans les deux instances de médiation de quartier étudiées, les demandeurs sont quasi-exclusivement des personnes physiques. En revanche, on constate une différence entre les deux instances, en ce qui concerne les mis en cause puisqu'à Lyon les personnes morales sont majoritaires avec 59,3% alors qu'elles sont minoritaires à Saint Priest (21,1%). Ces différences s'expliquent essentiellement, comme nous le verrons plus loin, par le traitement de contentieux différents: à Lyon les conflits opposent principalement des particuliers à des professionnels pour des problèmes locatifs, de consommation... alors qu'à Saint Priest le contentieux est dominé par des affaires de voisinage.

Dans les deux instances, les demandeurs sont quasi-exclusivement des personnes physiques et les personnes morales se retrouvent essentiellement dans une position de mis en cause. Si nous insistons sur ce point c'est simplement pour montrer qu'en matière de saisine, les instances de médiation se différencient des tribunaux d'instances dans la mesure où l'on retrouve un grand nombre de professionnels dans la position de demandeur dans le cadre des actions judiciaires. Comme nous l'avons déjà écrit, les tribunaux d'instance sont utilisés comme agence de recouvrement de créance par les professionnels (Bonafé-Schmitt et al., 1986). La médiation n'est pas à l'abri de cette utilisation instrumentale car, dans le passé, certaines instances de médiation pénale prenaient en charge le contentieux des chèques impayés et se transformaient elles aussi en agence de recouvrement de créances (Bonafé-Schmitt, 1993).

Tableau 2
Répartition des parties selon la position dans le conflit en médiation de quartier

médiation quartier

Lyon

Saint Priest

 

demandeur

mis en cause

demandeur

mis en cause

personnes physiques

99,1

40,9

97,2

78,9

personnes morales

0,9

59,6

2,8

21,1

total%

100

100

100

100

total N

108

109

145

145

- la répartition des médiés selon le sexe

L'intérêt d'analyser la répartition des usagers selon le sexe était de savoir si le genre a une influence ou non sur l'utilisation de la médiation comme mode de gestion des conflits.

A la lecture des résultats, en matière de médiation de quartier on serait tenté de répondre positivement puisque les femmes occupent majoritairement la position de demandeur aussi bien à Lyon (63,0%) qu'à Saint Priest (52,9%), alors que les mis en cause sont majoritairement des hommes. Mais il convient d'être prudent dans l'interprétation de ces résultats, en raison du faible nombre d'affaires étudiées.

Si les demandeurs viennent en couple pour engager une action de médiation, ils sont plus nombreux dans la position de mis en cause. Cette différence s'explique le plus souvent par la mise en cause du couple dans le cas où l'auteur des faits incriminés n'est pas clairement déterminé.

Tableau 3
Répartition des parties selon le sexe en médiation de quartier

médiation quartier

Lyon

Saint Priest

sexe

demandeur

mis en cause

demandeur

mis en cause

hommes

34,3

48,9

43,5

59,8

femmes

63,0

37,8

52,9

29,9

couple

2,8

13,3

3,6

10,3

total%

100

100

100

100

total N

108

45

138

107

- la répartition des médiés selon l'âge

Dans cette tentative de dresser une sociologie des médiés, l'âge nous apparaissait comme une variable à prendre en considération, pour connaître quelles sont les tranches d'âge qui utiliseraient la médiation, comme mode de gestion des conflits. En matière de médiation de quartier, si on pouvait s'attendre à ce que les moins de 20 ans utilisent peu ce mode de gestion des conflits (2,2% pour Lyon), en revanche il est plus surprenant que ces derniers ne figurent pas en tant que mis en cause. En effet, les jeunes sont souvent mis en cause par les habitants des quartiers pour le bruit ou les désagréments qu'ils occasionnent dans les allées ou autour des immeubles d'habitation.

Comment expliquer cette situation? Nous pouvons avancer deux hypothèses, la première c'est que les habitants utilisent d'autres moyens pour gérer ce type de conflit comme la discussion directe ou encore le recours à la police ou bien que pour ce type de problèmes la règle soit celle de l'évitement pour éviter tout phénomène de représailles.

Tableau 4
Répartition des mis en cause selon le sexe et l'âge

 

Lyon

Saint Priest

âge

demandeur

mis en cause

demandeur

mis en cause

moins de 20 ans

2,2

-

-

-

de 20 à 29 ans

18,3

100

10,9

5,8

de 30 à 39 ans

22,6

-

23,4

31,9

de 40 à 49 ans

17,2

-

24,2

21,7

de 50 à 59ans

10,8

-

18,0

26,1

60 ans et plus

29,0

-

23,4

14,5

total%

100

100

100

100

total N

93

1

128

69

- la répartition des médiés selon la situation familiale

L'analyse de la situation familiale des médiés, et plus particulièrement des demandeurs, permet de mettre en évidence des différences entre les deux instances de médiation de quartier. A Lyon, les célibataires et les séparés/divorcés sont en plus grand nombre qu'à Saint Priest; en revanche dans cette ville ce sont les personnes mariées qui sont plus nombreuses. Il est difficile d'interpréter ces résultats d'autant que les données pour les mis en causes ne sont pas significatives. Les différences entre les publics des deux instances s'expliquent, comme nous le verrons plus loin, par la nature différente du contentieux traité.

Tableau 5
Répartition des mis en cause selon la situation familiale

 

Lyon

Saint Priest

situation familiale

demandeur

mis en cause

demandeur

mis en cause

célibataire

27,1

9,1

13,8

7,9

marié

30,2

-

53,8

71,4

concubinage

12,5

45,5

11,5

7,9

séparé/divorcé

21,9

45,5

13,8

11,1

veuf

8,3

-

6,9

1,6

total%

100

100

100

100

total N

96

11

130

63

- la répartition des médiés selon la nationalité

L'analyse de la répartition des médiés selon la nationalité montre qu'il n'existe pas de différences significatives entre les deux instances de médiation à l'exception d'une plus grande présence de ressortissants de l'union européenne à Saint Priest qu'à Lyon. L'étroitesse des échantillons, surtout pour les mis en cause, ne nous permet pas de tirer des conclusions significatives dans les comparaisons entre ces derniers et les plaignants.

Tableau 6
Répartition des médiés selon la nationalité en médiation sociale

 

Lyon

Saint Priest

nationalité

demandeur

mis en cause

demandeur

mis en cause

Français

85,9

85,7

79,3

69,6

Union Européenne

2,4

7,1

11,9

12,6

Algérie/Maroc/Tunisie

11,8

3,6

7,4

16,4

Autres

-

3,6

1,5

1,3

total%

100

100

100

100

total N

85

28

135

79

- la répartition des médiés selon la profession ou le secteur d'activité

Nous avons accordé une attention particulière à l'analyse de la répartition des médiés selon les catégories socioprofessionnelles (CSP) pour rechercher si certaines d'entre-elles seraient plus favorables que d'autres à la médiation. Mais la très forte structuration des publics en fonction de la nature des conflits pris en charge par les instances de médiation ne nous permet pas de répondre à l'objectif que nous nous étions assigné.

Dans le cas de la médiation de quartier, l'analyse des CSP montre que pour Lyon ce sont les employés qui forme le plus gros contingent d'usagers de la médiation. Les retraités représentent le deuxième poste pour Lyon et le premier pour Saint Priest. Les chômeurs, comme les inactifs, représentent aussi des catégories importantes, ce qui validerait d'une certaine manière l'idée que la médiation représente une "justice de deuxième classe" une "justice du pauvre". Mais la part non négligeable, de représentants de "professions intermédiaires", de "cadre et professions intellectuelles" et d'"artisans, commerçants" (20,6% à Saint Priest) comme demandeurs tend à démontrer que la question est plus complexe.

Tableau 7
Répartition des parties selon la profession - Lyon

 

Lyon

profession

demandeurs

mis en cause

Artisans, commerçants, chef d'entreprise

3,0

8,7

Cadres et professions intellectuelles sup.

1,0

-

Professions intermédiaires

7,1

17,4

Employés

32,3

34,8

Ouvriers

9,1

-

Chômeurs

16,2

-

Retraité

22,2

21,7

Personnes non actives

9,0

17,3

total%

100

100

total N

99

23

L'analyse des dossiers de médiation de Saint Priest montre bien que ce ne sont pas les habitants des quartiers les plus "défavorisés" qui utilisent le plus les services de médiateurs mais plutôt ceux qui résident dans des lotissements à propos de problème de mitoyenneté, de parking, de bruits...

Tableau 8
Répartition des parties selon la profession -Saint Priest

 

Saint Priest

profession

demandeurs

mis en cause

Artisan; commerçants, chef d'entreprise

5,8

3,8

Cadres et professions intellectuelles sup.

4,1

5,8

Professions intermédiaires

10,7

9,6

Employés

17,4

11,5

Ouvriers

10,7

17,3

Chômeurs

9,9

1,9

Retraité

25,6

28,8

Personnes non actives

15,7

21,1

total%

100

100

total N

121

52

A Lyon comme à Saint Priest, il est assez rare que les demandeurs soient des personnes morales, elles se retrouvent plutôt dans la position de mis en cause. A Lyon, ce sont surtout les institutions financières, comme les organismes de crédit, ou encore les organismes liés au logement, comme les régies, les syndics de copropriété, qui se retrouvent dans la position de mise en cause dans la médiation.

Tableau 9
Répartition des parties selon le secteur d'activité économique en médiation de quartier - Lyon

médiation quartier

Lyon

secteur d'activité économique

demandeurs

mis en cause

agriculture/pêche

-

-

industrie agricole alimentaire

-

-

industrie de biens consommation

-

-

industrie automobile

-

-

industrie de biens d'équipement

-

-

industrie de biens intermédiaires

-

1,6

énergie

100

-

construction

-

1,6

commerce

 

9,5

transport

-

-

activités financières

-

30,2

activités immobilières

 

30,2

services aux entreprises

-

4,8

services aux particuliers

-

7,9

éducation/santé/action sociale

-

3,2

administration

-

11,1

autres

 

-

total%

100

100

total N

1

63

A Saint Priest, l'activité des personnes morales qui occupent la positon de mis en cause est plus diversifiée qu'a Lyon. Les organismes liés aux activités immobilières (régies, office HLM) et les institutions financières arrivent en tête, on retrouve aussi les administrations (services fiscaux), les commerces et entreprises de construction....

Tableau 10
Répartition des parties selon le secteur d'activité économique en médiation de quartier - Saint Priest

médiation quartier

Saint Priest

secteur d'activité économique

demandeurs

mis en cause

agriculture/pêche

-

-

industrie agricole alimentaire

-

-

industrie de biens consommation

-

-

industrie automobile

-

-

industrie de biens d'équipement

-

3,3

industrie de biens intermédiaires

-

3,3

énergie

-

-

construction

-

10,0

commerce

25,0

10,0

transport

-

3,3

activités financières

-

16,7

activités immobilières

50,0

20,0

services aux entreprises

-

-

services aux particuliers

-

10,0

éducation/santé/action sociale

-

3,3

administration

-

16,7

autres

25,0

3,3

total%

100

100

total N

4

30

- la répartition des parties selon le domicile

La médiation est souvent présentée comme une structure de proximité de gestion des conflits ce qui est en partie vérifiée si l'on considère que près de 50% des demandeurs en médiation de quartier, demeurent dans les trois arrondissements relevant de la compétence des médiateurs de la Presqu'île, à savoir le 1er, le 2ème et le 4ème arrondissement. Mais, le rayonnement des médiateurs est plus étendu puisque près de 25% des demandeurs résident en dehors de Lyon. En effet, les médiateurs de Lyon n'ont fixé aucune limite à leur champ d'intervention ce qui explique que les cas proviennent de l'ensemble des arrondissements de Lyon ou de communes limitrophes.

En revanche, seulement un peu plus du tiers des mis en cause réside dans les 1er, 2ème et 4ème arrondissements et un autre tiers en dehors de Lyon. Nous sommes donc loin de la gestion de conflit de proximité qui devrait caractériser le contentieux de ce type d'instance de médiation. Il est vrai que cette dispersion des médiés dans l'ensemble des arrondissements de Lyon s'explique essentiellement par la nature du contentieux traité qui relève plus de la gestion des conflits de la vie quotidienne que des relations de voisinage.

Tableau 11
Répartition des plaignants selon le domicile - Lyon

 

Lyon

domicile

demandeur

mis en cause

Lyon 1

33,3

9,4

Lyon 2

4,8

5,7

Lyon 3

6,7

7,5

Lyon 4

14,3

12,3

Lyon 5

1,9

5,7

Lyon 6

5,7

7,5

Lyon 7

4,8

3,8

Lyon 8

-

-

Lyon 9

1,9

2,8

Rhône

23,8

29,2

Autre Rhône

2,9

16,0

total%

100

100

total N

105

101

A la différence de ceux de Lyon, les médiateurs de Saint Priest, traitent des affaires qui relèvent exclusivement de cette ville. Seule une minorité de médiés réside en dehors de Saint Priest et il existe une quasi-similitude entre les lieux de résidence des demandeurs et des mis en cause. Cette situation s'explique par la nature du contentieux traité qui porte essentiellement sur des conflits de voisinage.

Tableau 12
Répartition des plaignants selon le domicile - Saint Priest

 

Saint Priest

domicile

demandeur

mis en cause

Les Marendiers/Vieux village

13,4

12,4

Bel Air.Saythe

17,6

17,5

Cité Berliet

2,8

0,7

Champ Dolin:La Fouillouse/Manisieu

2,1

2,2

Revaison

15,5

16,1

Ménival

4,2

4,4

La Gare

12,0

9,5

Centre Ville

20,4

15,3

Autre Saint Priest

7,0

7,3

Rhône

3,6

12,5

Autre Rhône

1,4

2,2

total%

100

100

total N

142

137

II- Le processus de médiation: un rituel

La médiation est souvent présentée comme un processus informel de règlement des conflits, cela n'empêche pas que celui-ci fasse l'objet d'un minimum de formalisation dans son mode de déroulement. Le processus de médiation s'apparente à un véritable rituel, dans le sens où "il maintient l'expression conflictuelle dans des formes rigoureusement déterminées" (Girard, 1998, p77); avec le respect d'un certain nombre de règles comme la neutralité, la confidentialité, un minimum de formalisme dans l'organisation des rencontres qui marque les différentes phases dans la recherche d'une solution.

Le rituel de médiation s'apparente à un véritable processus social qui se construit à partir des interactions verbales entre les différents acteurs. Nous avons essayé d'analyser toutes les phases du processus de médiation qui contribue à créer ce rituel de médiation, en nous ne limitant pas simplement aux échanges verbaux mais aux dimensions non verbales comme le comportement des acteurs, leurs expressions, leur positionnement dans l'espace.

Pour mener cette analyse sur les rituels, nous avons beaucoup emprunté à Erving Goffman, mais aussi à Jurgen Habermas, et on nous pardonnera cet éclectisme méthodologique qui est directement lié à la spécificité de notre objet d'étude, la médiation, qui est par nature interdisciplinaire (voir Goffman, 1974; Habermas, 1981, p393).

1- Les préliminaires de la médiation

Les préliminaires de la médiation constituent la première phase de ce rituel qui portent essentiellement sur les modes de saisine de l'instance de médiation et la prise de contact des parties en conflit par les médiateurs.

Dans la majorité des cas, les demandeurs en médiation prennent contact avec les médiateurs sur les conseils d'un certain nombre d'institutions: la police, la mairie, les bailleurs sociaux... Pour formaliser ces relations, l'instance de médiation de Saint Priest, a passé une convention qui organise le processus de médiation avec un certain nombre d'organismes comme les offices HLM, la municipalité...

Ainsi l'article 3 prévoit:

"L'organisme signataire saisira par écrit les médiateurs aux fins d'organiser une médiation entre le plaignant et le mis en cause. Les affaires envoyées en médiation porteront essentiellement sur des conflits de voisinage, de petites dégradations, de nuisances sonores... à l'exception d'affaires qui auraient fait l'objet d'une action judiciaire".

Une des difficultés dans le cas de la médiation de quartier est de faire venir le mis en cause car les médiateurs ne disposent d'aucun pouvoir de coercition pour l'amener à participer au processus de médiation. Pour y parvenir, les médiateurs ont développé une stratégie particulière, qui va de la lettre de relance, à l'entretien téléphonique pour connaître les raisons du "silence" du mis en cause.

L'ensemble des médiateurs de quartier prennent toujours contact avec les parties par l'intermédiaire d'un écrit. Ce n'est qu'en cas de non réponse, qu'ils contactent les parties par téléphone:

"Le demandeur vient nous voir et nous envoyons une lettre d'invitation puis une relance. S'il n'y a pas de réponse et, à la limite, si la nécessité se fait sentir, la communication téléphonique" (H-retraité-quartier-8).

La "lettre d'invitation" est le plus souvent envoyée au mis en cause car le demandeur se rend le plus souvent à la permanence des médiateurs pour engager une médiation:

"La première personne qui vient, elle vient d'elle-même. C'est soit sur conseil, elle arrive en nous disant: "le commissariat m'a dit de venir vous voir", la mairie, les HLM... Et après, le mis en cause, là, on lui fait un courrier en lui disant qu'on a reçu Monsieur ou Madame Untel pour un problème donc, d'essayer de venir nous voir pour nous donner son avis" (F-retraitée-quartier-30).

La lettre de prise de contact obéit à un certain formalisme, comme l'indication du nom du demandeur, la nature du conflit et le caractère volontaire et confidentiel de la médiation:

M...................

Nous avons reçu à notre permanence M... X, demeurant................, qui nous fait part..................... et qui souhaite trouver une solution amiable par le biais de la médiation.

Vous trouverez joint à cette lettre, un document expliquant qui sont les médiateurs et la médiation qui reste une démarche volontaire et confidentielle et a pour but de trouver une solution librement consentie au différend.

Si vous êtes d'accord sur le principe de la médiation, nous vous proposons de nous faire connaître votre point de vue. Le mieux serait que vous preniez rendez-vous à l'une de nos permanences indiquées ci-dessous. Si cela ne vous est pas possible, vous pouvez nous adresser un courrier ou nous téléphoner au sujet de cette affaire.

Nos permanences ont lieu:

Dans l'attente de votre réponse, nous vous prions de recevoir, M..............., nos salutations distinguées.

(lettre d'invitation à une médiation des médiateurs de Lyon).

En cas de non-réponse, les médiateurs de quartier ont élaboré une procédure de relance, allant du courrier au téléphone:

"Par le biais d'un courrier, puis si le courrier ne suffit pas, une relance de ce courrier, donc un deuxième courrier. Puis si les gens se manifestent en prenant rendez-vous, il n'y a pas de problèmes, mais parfois ils téléphonent pour interroger sur ce qu'est la médiation, donc souvent c'est au niveau de la prise de contact téléphonique que l'on essaie d'expliquer ce qu'est la médiation et à ce moment-là de convaincre les gens de venir en médiation" (F-juriste-quartier-3)

Le processus de relance par écrit consiste en une lettre plus incisive dans laquelle il est souligné qu'en cas de non-réponse de la part du mis en cause, les médiateurs mettraient fin à leur mission et que le demandeur "serait en droit d'engager toutes poursuites ou procédures qu'il ou elle jugerait utiles":

M......................

Nous nous permettons de vous rappeler notre courrier du....Resté sans réponse de votre part à ce jour.

Nous vous rappelons que nous intervenons dans cette affaire à titre de médiateurs dans la recherche d'une solution amiable au problème évoqué.

Nous vous rappelons également que notre ou nos permanences ont lieu:

En cas de non réponse, nous considérerons que notre médiation a échoué et que M... serait en droit d'engager toutes poursuites ou procédures qu'il ou elle jugerait utiles.

Dans l'attente de votre réponse, nous vous prions de recevoir, M..........., nos salutations distinguées.

(lettre relance des médiateurs de Lyon)

Si malgré cette lettre de relance, le mis en cause reste silencieux, les médiateurs font une dernière tentative par téléphone pour le convaincre à participer au processus de médiation:

"Nous envoyons par écrit. Si ensuite la personne ne répond pas au premier courrier, on lui fait une lettre de relance un peu plus "musclée". Et si vraiment on n'a aucune réponse et si on a un numéro de téléphone, on essaie de la contacter parce qu'en fait, en lui expliquant par téléphone qu'il vaut mieux se déplacer, on arrive à décider les gens à venir, et après, une fois qu'ils sont venus... Hier soir, elle était très contente, alors qu'elle ne voulait pas venir quand je l'avais contacté. Je pense que le téléphone, en leur expliquant notre démarche, comment ça se passe, notre rôle, qu'on n'est pas des juges, qu'ils ne vont pas rencontrer la personne, que cela ne les engage en rien surtout, on arrive à les décider à venir. Ils reçoivent des lettres et ils s'en fichent un peu ou alors, ils se disent: "après tout, on le connaît, on a le problème avec l'autre, mais on laisse aller, etc.", mais en fait ils se rendent compte qu'au lieu de le laisser pourrir un peu plus, il vaut mieux le régler" (H-retaité-quartier-8).

Malgré cet apparent unanimisme pour une prise de contact par écrit, certains médiateurs de quartier, critiquent cette manière de faire en raison de la "froideur" de l'écrit:

"C'est vrai qu'un courrier est toujours très, très froid, les heurtent beaucoup. Maintenant on a plus de mal à avoir les gens par téléphone parce que beaucoup sont sur liste rouge" (F-retraitée-quartier-9).

2- La première phase du processus de médiation: la rencontre initiale

Dans le cas de la médiation de quartier, les parties sont toujours reçues séparément alors que la règle est inversée par exemple en médiation familiale où les parties sont reçues ensemble (Bonafé-Schmitt, Robert, 2001, p83). Cette différence résulte en grande partie du type de médiation car dans la médiation de quartier, les médiateurs bénévoles sont saisis par une seule partie: le demandeur. Le principe de l'organisation de rencontre séparée, ne relève pas de leur propre choix, mais s'impose à eux en raison de l'attitude des parties:

"Il y en a un qui arrive et qui explique son histoire, et puis après, il met en cause l'autre, donc c'est très rare qu'ils arrivent tous les deux en disant: "on a un problème ensemble". Il y en a un qui a plus un problème et l'autre ne s'en rend pas compte. Sinon, il n'y a aucun intérêt, l'idéal c'est qu'ils arrivent à deux, c'est plus facile quand ils arrivent à deux" (H-technicien-quartier-22).

Pour gérer cette situation, une des premières difficultés pour les médiateurs est d'amener le mis en cause à participer au processus de médiation en organisant une rencontre séparée avec lui. Cette seconde rencontre constitue la deuxième phase de cette "médiation proposée et acceptée" et le préalable à la rencontre de médiation entre les parties. C'est à la suite de ces rencontres que les médiateurs décident s'ils organiseront une médiation directe (rencontre en face à face) ou indirecte (diplomatie de la navette):

"Dans le cadre de la médiation, il y a toujours trois phases: à la fois la première écoute, l'entretien avec la personne qui vient me contacter, ce que nous appelons le plaignant, donc c'est un entretien séparé, ensuite un deuxième entretien séparé avec la personne qui est mise en cause et ensuite l'entretien de médiation avec les deux parties, si les deux parties souhaitent une médiation directe. Car il se peut, dans certains cas, que nous ayons une médiation indirecte, c'est-à-dire que les personnes ne veulent pas être en contact mais veulent quand même essayer de gérer leur conflit. Donc on fait un peu la navette entre les deux" (F-juriste-quartier-3)

3- La deuxième phase du processus de médiation: le choix entre médiation directe et indirecte

Si dans certains cas le choix entre médiation directe et indirecte dépend de la stratégie adoptée par les médiateurs notamment dans les cas où ils se sentiraient incapable de gérer la violence de l'une ou des deux parties, le plus souvent ce choix s'impose à eux. C'est le cas notamment lorsque les parties ne veulent pas se rencontrer en face à face ou en raison de la présence d'organismes dont le mode de fonctionnement ne repose que sur l'échange d'écrits.

Le choix entre médiation directe et indirecte est induit par le type de médiation et non par le statut des médiateurs. Si les médiateurs de quartier sont les plus grands utilisateurs de médiations indirectes c'est tout simplement que celles-ci s'imposent a eux en raison des modes de saisine ou de la volonté des parties. En effet, les médiateurs bénévoles ignorent au début d'une médiation si le processus se déroulera selon le principe du face à face ou de la diplomatie de la navette. Cette incertitude dans le déroulement du processus de médiation est particulièrement bien soulignée par les médiateurs de quartier:

"L'un et l'autre: une médiation peut commencer en séparé, et puis finir en direct ou indirect, on se rend compte que ça.... Les deux aspects sont possibles" (F-inactive-quartier-6)

ou encore

"Plutôt séparées, mais ce n'est pas un choix théologique mais que c'est, de fait, comme cela que cela se passe" (H-retraité-quartier-11).

La médiation directe s'impose souvent aux médiateurs en raison du refus de la rencontre par l'une des parties, comme les organismes privés ou publics qui privilégient l'écrit dans la gestion des conflits:

"On a des médiations aussi avec des organismes ou avec..., enfin des particuliers avec leur régie, avec les HLM, donc, là, les régies ne se déplacent pas, donc ça se fait par courrier, par téléphone. Les choses s'arrangent comme ça, et il n'y a pas de face à face. Quand ce sont deux particuliers, si la partie adverse est d'accord, ce qui n'est pas toujours le cas ce sont des courriers, quelques fois ça peut suffire à régler le problème. On fait ce qu'on peut, on ne peut pas forcer les gens à venir. Et s'ils viennent effectivement, là, c'est du face à face" (F-professeur-quartier-32)

A partir de l'analyse des dossiers, nous avons cherché à déterminer quel était dans la pratique la part de la médiation directe et indirecte et pour les deux instances de médiation étudiées et c'est la médiation indirecte qui est la plus utilisée avec 76,8% des cas.

Tableau 13
Types de médiation

Type de médiation

quartier

médiation directe

23,2

médiation indirecte

76,8

autres

-

total%

100

total N

125

Ce sont surtout les conflits interpersonnels comme les problèmes entre personnes (42,9%), c'est-à-dire les litiges relatifs à des agressions verbales ou physiques qui font l'objet d'une médiation directe. Ces résultats sont conformes à une certaine idée de la médiation qui repose avant tout sur l'organisation d'un échange réparateur sur la base d'un face à face, entre deux personnes en conflit. Il en est de même des problèmes de bruit (27,3%), ou encore les litiges relatifs à la propriété immobilière (24,2%) comme les problèmes de mitoyenneté. En revanche, pour les problèmes mobiliers (10,7%) c'est-à-dire les problèmes de crédit, de vente... ou encore les problème sociaux et administratifs, qui opposent souvent des particuliers à des professionnels, la médiation indirecte s'impose en raison du refus de ces institutions de se déplacer et de leur mode de gestion des conflits par l'écrit (Bonafé-Schmitt et al., 1992).

Tableau 14
Types de médiation en matière de médiation de quartier

Type de médiation

problèmes

bruits

problèmes

mobilier

problèmes

immobilier

problèmes

sociaux

problèmes

personnes

médiation directe

27,0

10,7

24,2

-

42,1

médiation indirecte

73,0

89,3

75,8

100

57,9

autres

-

-

-

-

-

total%

100

100

100

100

100

total N

37

28

33

7

19

III- Nature des affaires et temporalité de la médiation

En France, il n'existe aucune recherche véritable sur le contentieux et sur les résultats des médiations et les seules informations dont on dispose, ce sont celles tirées des bilans d'activité des instances de médiation. Or, il est difficile de cerner la nature du contentieux traité par ces instances ainsi que les résultats des médiations car lorsqu'elles élaborent leur bilan d'activité, elles utilisent leurs propres catégories, ce qui rend impossible toute comparaison.

Il en est de même de la temporalité de la médiation ou peu de recherches ont été consacrées à cette question. Pourtant la notion de temps représente un des éléments constitutifs du processus de médiation que ce soit dans la durée des rencontres ou dans le nombre de sessions à organiser pour parvenir à trouver une solution. La temporalité de la médiation est souvent confondue avec une forme de "justice expéditive" devant se terminer dans un délai de six mois comme le prévoit la législation en vigueur en matière de médiation judiciaire[3]. A la différence de la temporalité judiciaire, celle de la médiation est directement tributaire de la volonté des parties, de leur capacité à résoudre leur conflit, ce qui explique la grande variation des délais.

1- La nature des affaires traitées en médiation

Définir la nature du contentieux pris en charge par les médiateurs de quartier relève du tour de force en raison de la diversité des affaires traitées. A la différence des médiations familiale et du travail qui gèrent un contentieux spécialisé, les médiateurs de quartier prennent en charge une diversité d'affaires qui relève de ce que nous avons appelé le "contentieux du quotidien". Comme son nom l'indique, ce contentieux est lié aux problèmes de la vie quotidienne: problèmes de voisinage, de consommation, locatifs, administratifs...

Pour analyser ce type de contentieux, nous avons dû élaborer nos propres catégories pour pouvoir analyser la diversité du contentieux traité par ces instances de médiation de quartier. Dans la perspective de procéder à des comparaisons avec les instances judiciaires, nous avons pris en compte la nomenclature des affaires établie par le ministère de la Justice. Ce travail de catégorisation nous a amené à créer cinq catégories:

  • les conflits liés au bruit: il s'agit des nuisances sonores provoquées par les animaux, les personnes, mais aussi les activités industrielles et commerciales...
  • les conflits liés à la propriété mobilière: sous cette rubrique nous avons regroupé les problèmes relatifs à l'exécution de contrat, de vente, d'achat, d'assurance,...
  • les conflits liés à la propriété immobilière: ce sont tous les problèmes de paiement de charge de copropriété, de loyers... mais aussi les problèmes de mitoyenneté, de dégradations de biens immobiliers...
  • les conflits de nature sociale ou administrative: il s'agit des problèmes relatifs à la rupture de contrat de travail, au paiement de prestations sociales, des impôts...
  • les conflits liés à la personne: cette rubrique regroupe les questions relatives à l'exercice de l'autorité parentale, les obligations nées du divorce et de la séparation, mais aussi toutes les formes de violence à la personne (verbale, physique...).

C'est en partant de ces catégories que nous avons analysé le contentieux pris en charge par les médiateurs de Lyon et Saint Priest. Il ressort de cette étude comparée que derrière une apparente similitude de traitement des conflits liés à la vie quotidienne se cache de profondes différences dans la nature des affaires traitées. Ainsi, le contentieux des médiateurs de Saint Priest est dominé par les conflits liés au bruit (42,3%) c'est dire essentiellement des conflits de voisinage, alors que pour leurs homologues de Lyon, ce sont les conflits liés à la propriété mobilière (36,1%) qui arrivent en tête: problèmes de dettes, d'exécution de contrats...; En seconde position, on retrouve pour les deux instances de médiation, les conflits liés à la propriété immobilièreavec des pourcentages de 21,3% pour Lyon et de 21,1% pour Saint Priest: problème de mitoyenneté, de paiement de loyers... Les conflits entre personnes arrivent en troisième position, avec 21,3% pour les médiateurs de Lyon et 17,6% pour ceux de Saint Priest: problèmes de violence verbales et physiques, droit de visite des enfants...

Tableau 15
Répartition selon la nature du conflit

Nature du conflit

Lyon

Saint Priest

conflit/bruit

9,3

42,3

conflit/propriété mobilière

36,1

14,8

conflit/propriété immobilière

21,3

21,1

conflit/sociaux, administratifs

12,0

4,2

conflit/personnes

21,3

17,6

total%

100

100

total N

108

142

Pour affiner notre connaissance du contentieux traité par les médiateurs de quartier, nous avons subdivisé les cinq grandes catégories génériques que nous avons créées en sous-catégories. Ce travail de subdivision nous a amené à constater qu'au sein de chacune des catégories, il existait d'importantes différences dans la nature des affaires traitées par les médiateurs de Lyon et de Saint Priest.

- les conflits liés au bruit:

Au sein de cette catégorie ce sont les nuisances sonores produites par les personnes qui arrivent en première position avec 23,4% du total des affaires pour Saint Priest et 4,5% pour Lyon. Ce sont essentiellement "les cris stridents d'enfants", "les pleurs de bébé", "l'utilisation de patins à roulette dans d'appartement", "les bruits de talons le soir très tard", "les jets de balles avec le chat"...

En seconde position, on trouve les nuisances causées par l'utilisation d'équipements ou d'appareils domestiques, comme "les bruits de machine à laver", sans oublier la sacro-sainte "perceuse"; mais aussi la chaîne Hi-Fi pour écouter de la "musique technoà fond à des heures impossibles", "le bruit de l'aspirateur passé à midi quand on mange", "la chasse d'eauqui fait un bruit de turbine à 5h du matin", "le trimbalement incessant de chaises", "les bruits de piano"...

Les animaux domestiques sont aussi des sources de nuisances et arrivent en troisième position avec les "aboiements de chiens pendant les déplacements à l'école", "le jappement de chien dans l'allée"...

Enfin, les activités industrielles et commerciales provoquent aussi des nuisances sonores comme "le bruit des compresseurs des camions frigorifiques"...

Ce catalogue à la Prévert de bruits divers tend à démontrer que la notion de bruit est très subjective et constitue, comme l'ont démontré de nombreuses études, une des premières préoccupations des français. Cette subjectivité, cette plus grande sensibilité au bruit par certaines personnes comme les retraités qui "sont à l'écoute des bruits" ne doit pas occulter des problèmes plus structurels comme le manque d'insonorisation de ces grands ensembles construits à la fin des années soixante.

- les conflits liés à la propriété mobilière:

C'est la principale rubrique de conflits pour les médiateurs de Lyon avec 36,1% d'affaires. Ce pourcentage important s'explique par le lien étroit existant entre les médiateurs et la Boutique de Droit de la Croix Rousse qui renvoie les affaires de consommation pouvant faire l'objet d'une médiation.

Il s'agit le plus souvent de problèmes classiques de consommation opposant un particulier à un professionnel de la vente comme "la contestation du prix d'achat d'un véhicule aux enchères car il se révèle être accidenté", "la demande de remboursement d'un objet commandé par VPC (Vente par correspondance) et non livré". Les relations avec les assurances donnent aussi lieu à des conflits comme "la contestation du montant de remboursement par l'assurance à la suite d'une inondation".

L'activité des professions libérales donne lieu aussi à des litiges comme le prix de leurs prestations: "remise en cause du prix d'un acte d'huissier relatif au constat d'une mauvaise réparation faite sur une porte de garage par un artisan".

Tous les conflits ne concernent pas les professionnels, il existe aussi des litiges entre particuliers que ce soit dans le domaine financier: "refus de remboursement de prêt d'argent entre deux amis", "de refus de paiement de dommages-intérêts à la suite d'une condamnation de justice". Les ventes entre particuliers donnent lieu aussi à des conflits: "problème de lecture d'un magnétoscope"...

- les conflits liés à la propriété immobilière:

Ce sont surtout les questions de mitoyenneté qui donnent lieu à des conflits et ce type de conflit représente 9,2% de l'activité des médiateurs de Saint Priest. Ce type de conflictualité est très diverse, elle concerne aussi bien "le problème de la construction d'une véranda sur le mur mitoyen sans permis de construire", que "le refus de raccordement à l'eau dans une impasse", sans oublier les droits de passage: "refus d'un droit de passage dans une impasse", "le stationnement abusif de véhicules"; les problèmes d'entretien de parties mitoyennes suscitent aussi des conflits entre voisins: "dégradation du crépi sur mur mitoyen"...

Pour les médiateurs de Lyon, ce sont les questions locatives qui arrivent en première position avec les litiges liés à "la restitution de caution" (5,5%), le paiement des loyers et charges (4,5%): "non règlement de loyers dans le cas d'une sous location".

La question des réparations locatives représente aussi une part importante du contentieux pour les médiateurs de Saint Priest (5,7%): "création de bouches d'aération dans la salle de bain", "recherche de fuite dans les WC", "réfection de murs en raison de l'humidité"...

Les dégradations causées aux biens suscitent de nombreux litiges que ce soit entre particuliers("dégradation du grillage par les enfants en jouant au ballon", "bris de vitre") ou avec des professionnels ("dégradation de la clôture par un camion")...

Enfin, un certain nombre de problèmes liés à la propriété immobilière suscite des demandes d'intervention des médiateurs, comme le "trop versé pour construction de maison"...

- les conflits liés à la personne:

Ce type de conflits constitue en ordre d'importance, le troisième secteur d'activité des médiateurs de quartier. La part importante de litiges relative à l'exercice de l'autorité parentale que traite les médiateurs de Lyon (9,1%) pose un problème de délimitation entre les activités de médiateurs de quartier et ceux de la famille. Ce pourcentage important s'explique essentiellement par la présence parmi les médiateurs de Lyon d'une ancienne avocate qui se charge plus particulièrement de gérer ce type d'affaire; alors qu'à Saint Priest ce type de contentieux est renvoyé sur des structures de médiation familiale. Il s'agit essentiellement de conflits liés à l'exercice du droit de visite à la suite de la rupture de concubinage ("refus de mon ex-concubine que je vois mon enfant"). Ce recours aux médiateurs de quartier s'explique aussi par la gratuité de leurs services alors que la plupart des médiateurs familiaux font payer leur prestation.

Pour les médiateurs de Saint Priest, ce sont les problèmes de violences qui constituent le poste le plus important, que ce soit les violences verbales (7,8%) ou physiques (4,3%). Cette sur-représentation de la rubrique "violences" par rapport à Lyon, s'explique par les bonnes relations qui existent entre les médiateurs et le commissariat qui renvoie les affaires mentionnées en "main courante" pouvant faire l'objet d'une médiation.

C'est dans les conflits de voisinage que l'on retrouve le plus grand nombre de violences verbales sous la forme d'insultes mais les relations familiales ne sont pas indemnes de ce phénomène: "un beau-père insulte sa belle-fille et son mari ne dit rien". Parfois, le conflit s'envenime et les voisins en viennent aux mains: "coups de poing échangés à propos d'une place de stationnement", "bagarre entre deux voisins à la suite de remarques faites à un enfant"...

La rupture de vie en commun est aussi source de conflits, notamment dans le cas de concubinage, où l'une des parties refuse de rendre des biens qui appartiennent à l'autre: "refus de rendre une télévision et un magnétoscope".

Les médiateurs sont aussi sollicités par des personnes qui ont des troubles psychiatriques comme dans ce cas où une personne se plaignait "d'envoûtement à la suite de la remise de quelque chose dans son café". Ces cas sont assez rares mais ils témoignent de ce rôle de socialisation des médiateurs qui peuvent orienter ces personnes sur des structures de soins.

- les conflits de nature sociale ou administrative:

Ce sont les médiateurs de Lyon qui sont le plus sollicités pour des conflits liés aux relations de travail (8,2%) pour des problèmes assez divers comme le "le non paiement du salaire d'une garde d'enfant" ou encore "des problèmes de harcèlement moral pour pousser à la démission". Les conflits concernent le plus souvent des employeurs individuels ou des petits commerces où il n'existe pas de structures de représentation du personnel et la médiation peut être un mode approprié pour régler le problème avant d'intenter une action devant le conseil de prud'homme.

Les relations des usagers avec les administrations publiques ou parapubliques donnent lieu aussi à de nombreux conflits. Parmi ces dernières ont peut citer les services fiscaux pour le paiement des impôts et taxes: "menace de saisie à la suite de contestation de paiement de la redevancetélévision"; ou encore les services municipaux: "refus de donner un acte de naissance à la suite de la perte de papier pour toucher les ASSEDIC". Pour le traitement de ces problèmes administratifs, les médiateurs de quartier ont pour ligne de conduite de les prendre en charge et ce n'est qu'en cas de non réponse ou d'échec de leur démarche qu'ils orientent les usagers vers les délégués départementaux du Médiateur de la République.

Tableau 16
Répartition des affaires selon la nature des conflits

Nature des conflits

Lyon

Saint Priest

1-conflits/bruits

   

-domestiques

3,6

9,9

-animaux

-

6,4

-personnes

4,5

23,4

-activité industrielles/commerciales

-

0,7

-autres

0,9

0,7

2-conflits/propriété mobilière

   

-dettes/prêts

17,3

4,3

-assurances

5,5

2,1

-ventes

5,5

1,4

autres

6,4

2,1

3-conflits/propriété immobilière

   

-paiement de charges de copropriété

1,8

-

-paiement loyers/charges

4,5

1,4

-restitution de caution

5,5

1,4

-entretien des parties privées/communes

0,9

0,7

-travaux à effectuer

2,7

5,7

-problème de mitoyenneté

-

9,2

-dégradations

1,8

2,1

-autres

6,4

5,0

4-conflits/sociaux et administratifs

   

-relations de travail

8,2

2,1

-sécurité sociale

0,9

0,7

-services fiscaux

-

0,7

-autres

3,6

-

4-conflits/personnes

   

-autorité parentale

9,1

-

-obligation alimentaire

0,9

-

-divorce/séparation

0,9

2,8

-succession

1,8

0,7

-violence familiale

0,9

0,7

-violences verbales

1,8

7,8

violences physiques

0,9

4,3

autres

2,7

2,8

total%

100

100

total N

110

141

Pour procéder à une comparaison du contentieux pris en charge par les médiateurs avec celui des juridictions, nous avons repris les rubriques de la nomenclature du ministère de la Justice. Mais ces résultats doivent être pris avec prudence car nous avons rencontré des problèmes pour classer certains types de conflit comme les conflits de voisinage liés au bruit. Selon ce type de classement, il apparaît que le contentieux traité par les médiateurs de Lyon relève à plus de 50% du droit des contrats alors que celui de leurs homologues de Saint Priest concerne essentiellement la responsabilité.

Tableau 17
Répartition des affaires selon la nomenclature civile

 

Lyon

Saint Priest

droit des personnes

9,7

2,5

droit de la famille

5,8

2,5

droit des affaires

-

-

droit des contrats

53,4

19,3

responsabilité

15,5

54,6

biens-propriété littéraire

1,9

16,0

relations de travail-protection sociale

9,7

2,5

relations avec les personnes publiques

3,9

2,5

total%

100

100

total N

103

119

Nous avons eu des difficultés pour classer ces conflits du quotidien selon les deux grandes catégories du civil et du pénal. Pour ce type de conflit, les frontières du civil et du pénal ne sont pas nettes ce qui explique nos difficultés pour déterminer la qualification civile et pénale de certains actes. La détermination de ces qualifications relève d'un certain subjectivisme et c'est pour éviter de tomber dans la tendance actuelle à la pénalisation des relations sociales que nous avons retenu une conception restrictive de la nature pénale des actes incriminés. Les atteintes à la personne concernent surtout les problèmes de violences verbales comme les insultes ou physiques qui ont fait l'objet d'une mention en "main courante" à la police.

Tableau 18
Répartition des affaires selon la nomenclature pénale

Nature des infractions

Lyon

Saint Priest

1-atteintes à la personne

50,0

95,0

2-atteintes aux biens

16,7

5,0

3-infractions à l'ordre public

-

-

4- infractions à l'ordre économique

-

-

5-infactions à la santé publique et environnement

-

-

6-infractions à la circulation

16,7

-

7-autres infractions

-

-

8-autres

-

-

total%

100

100

total N

6

20

Cette qualification de contentieux du quotidien s'explique aussi par le faible montant des sommes en jeu puisque 74,5% des affaires de Saint Priest et 43,2% de Lyon sont inférieures à 5000 francs (760€). Il s'agit d'affaires qui, le plus souvent, ne font pas l'objet d'une action en justice, en raison de leur faible montant et de la méconnaissance par les justiciables des procédures simplifiées[4].

Tableau 19
Répartition des affaires selon le montant de la demande

 

Lyon

Saint Priest

moins de 1000F (moins de 152,6 €)

18,2

28,6

de 1000 à 4999F (de 152,6 à 763,2 €)

25,0

45,9

de 5000 à 9999F (763,2 à 1526,5 €)

13,6

-

10 000 à 19 999F (1526,5 à 3053,2 €)

9,1

14,3

20 000 à 39 999F (3053,2 à 6106,7 €)

13,6

14,3

40 000 à 59 999F (6106,7 à 9160,1 €)

4,5

-

60 000 à 79 999F (9160,1 à 52399,3 €)

6,8

-

80 000 et plus (52 399 € et plus)

9,1

-

total%

100

100

total N

44

14

2- La temporalité des médiations

La médiation de quartier est souvent présentée comme une forme de justice de proximité dans la mesure où les médiateurs sont issus des quartiers et qu'ils gèrent des conflits du quotidien opposant des habitants entre eux ou ces derniers à des professionnels ou des institutions de la ville.

Cette proximité influe sur la temporalité du processus de la médiation dans la mesure où les médiateurs sont saisis directement par l'une des parties, ce qui explique qu'une majorité de médiations (57,7%) intervient dans un délai inférieur à 30 jours. En raison du faible nombre d'accords, nous avons regroupé l'ensemble du contentieux des médiateurs de Lyon et de Saint Priest, mais il n'existait pas de différences significatives entre les deux instances en ce qui concerne la durée du processus de médiation.

Seul un quart des accords interviendrait dans un délai supérieur à 60 jours ce qui tend à démontrer que la médiation est un mode rapide de règlement des affaires. Cette rapidité s'explique à la fois par la possibilité offerte aux parties de saisir directement les médiateurs, sans aucune formalité, mais aussi par la disponibilité et la proximité de ceux-ci. Cette saisine rapide des médiateurs permet aussi de gérer le conflit dans sa phase initiale ce qui facilite son règlement dans la mesure où les positions ne sont pas encore figées.

Tableau 20
Durée entre date de saisine et date d'accord en médiation de quartier

 

%

0 à 30 jours

57,7

31 à 60 jours

18,0

61 à 90 jours

10,2

91 à 180 jours

11,5

plus de 180 jours

2,6

total%

100

total N

78

Quelle que soit son issue, la médiation ne représente pas un facteur d'allongement des procédures puisque dans 43,7% des cas la date de classement de l'affaire intervient dans un délai inférieur à 30 jours et dans 73,2% dans les 60 jours. Ces délais relativement courts ne mettent nullement en cause les droits des parties, notamment en matière de prescription des actions judiciaires

Tableau 21
Durée entre date de saisine et date de classement en médiation de quartier

 

%

0 à 30 jours

43,7

31 à 60 jours

29,5

61 à 90 jours

10,3

91 à 180 jours

8,9

plus de 180 jours

7,6

total%

100

total N

224

IV- Les résultats des médiations

Comment analyser les résultats des médiations? Est-ce qu'il faut s'en tenir simplement à ceux intervenus au cours de la rencontre de médiation ou bien prendre aussi en considération d'autres données? Nous avons fait le choix de ne pas nous en tenir aux seuls résultats des rencontres de médiation mais de prendre en compte toutes les décisions prises au cours du processus de médiation. Ce choix résulte de notre conception de la médiation qui est avant tout un processus communicationnel, ce qui explique que nous ayons pris en compte aussi bien les médiations directes qu'indirectes. Pour rendre compte de l'ensemble de l'activité des médiateurs de quartier, nous avons pris en compte aussi les résultats intervenus avant la rencontre de médiation en créant une catégorie particulière: "accord avant rencontre de médiation"

Sur un plan méthodologique, nous rappelons que les résultats présentés sont plus des tendances que des "vérités scientifiques" dans la mesure où nous avons travaillé sur des échantillons d'affaires trop restreints en raison du faible nombre d'affaires traitées par ces instances de médiation. Ces résultats ne peuvent pas être aussi extrapolés car ils sont tirés de monographies marquées par un contexte particulier.

1- L'issue des médiations

L'analyse des résultats montre que la médiation de quartier se caractérise par un nombre important de médiations indirectes ce qui n'est pas sans influence sur la nature des résultats enregistrés. La prise en compte des médiations indirectes est, comme nous l'avons déjà souligné, un sujet de débat mais nous avons préféré les prendre en compte car elle reflète une spécificité de ce mode de gestion des conflits. Nous avions rencontré le même problème en matière de médiation pénale où les médiations indirectes représentaient plus de 50% du total (Bonafé-Schmitt, 1998).

Si l'on prend en considération les médiations directes et indirectes, le taux de réussite est de l'ordre de 69,4% pour Saint Priest et de 52% pour Lyon. A ces résultats, il conviendrait d'ajouter ce que nous avons appelé les accords intervenus avant la rencontre de médiation, pour appréhender l'efficience réelle de ce processus de gestion des conflits[5]. Si l'on tient compte de ces résultats, les taux de réussite passe de 69,4 à 78,8% pour Saint Priest et de 52 à 62% pour Lyon.

Tableau 22
Résultats de la médiation en médiation de quartier

résultat de la médiation

Lyon

Saint Priest

accord avant rencontre

10,0

9,4

accord lors de la rencontre

52,0

69,4

non accord

38,0

21,2

total%

100

100

total N

50

85

Pour l'analyse des taux de réussite de la médiation, nous n'avons retenu que les cas où les deux parties avaient accepté le principe de la médiation. Mais dans les faits, si l'on prend en considération les refus de médiation, on constate que le taux de réussite ne porte que sur la moitié des affaires traitées par les instances de médiation. Si l'on calcule le taux de réussite par rapport au nombre de médiations proposées par les médiateurs, le taux effectif n'est que de 36,1% pour Lyon et 51,9% pour Saint Priest.

La rubrique "autres" regroupe les affaires qui ne pouvaient pas faire l'objet d'une médiation et portaient essentiellement sur des demandes d'information juridique.

Tableau 23
Résultats de la médiation en médiation de quartier

Acceptation de la médiation

Lyon

Saint Priest

acceptation de la médiation

44,7

57,9

refus de la médiation

32,1

30,3

autres

23,2

11,7

total%

100

100

total N

112

145

Nous avons analysé ces modes de règlement des conflits intervenant avant la rencontre de médiation pour en cerner leur réalité. Une bonne part des conflits se règle dès réception de la lettre des médiateurs par le mis en cause ce qui démontre, à contrario, le pouvoir institutionnel des médiateurs. C'est notamment le cas dans les affaires de bruit, où le mis en cause cesse les nuisances, mais se refuse de répondre aux médiateurs. Parfois, les médiateurs ne jouent qu'un rôle de facilitateur, ce sont des formes de "médiation-facilitations" c'est-à-dire qu'il n'y a pas de conflit, mais un problème de communication:

"Les gens ne se comprennent pas. Quelques fois, c'est parce qu'il y a un faux problème, donc le problème, il n'existe pas ou il n'existe que dans un point de vue. Par exemple, on a écrit parce que le locataire ne recevait pas les quittances de loyer de son propriétaire. On lui a écrit, et il nous a téléphoné en disant:" ça y est, la lettre a suffi, maintenant, il m'envoie toutes les quittances de loyer". Donc, on peut considérer que c'était pratiquement réussi comme médiation" (H-technicien-quartier-22)

Dans un autre cas, les médiateurs ont réussi à débloquer la situation à partir d'un échange téléphonique avec le mis en cause, alors que celui-ci avait indiqué qu'il refusait le principe de la médiation:

"Dernièrement, j'ai eu une médiation familiale. La dame se plaignait que son ex mari avait gardé les papiers de son véhicule et ne voulait pas les lui donner malgré les avertissements de son avocat. Nous avons reçu cette dame et nous avons envoyé une première invitation à son ex mari à venir en médiation puis une deuxième et ça n'a pas bougé. Alors je l'ai appelé au téléphone. Je me suis présenté et je lui ai demandé s'il avait reçu les courriers que je lui avais envoyés: "oui, oui, mais je ne vois aucune raison de vous rencontrer"... Et après avoir discuté 4 à 5 minutes, il me confirme qu'il ne veut pas nous rencontrer. Alors je lui ai dit "excusez-moi, au revoir, merci" et j'ai raccroché. Alors, j'en ai déduit qu'il ne voulait pas envoyer les papiers du véhicule et qu'il voulait vraiment l'embêter. Finalement, deux jours après, la dame nous a rappelés pour nous remercier, que son mari lui avait envoyé les papiers. Alors que ça durait depuis plus d'un an, sur un simple coup de téléphone le but est atteint, le résultat est là. Cela fait partie des démarches que nous avons mises en place et supervisées par JP" (H-retraité-quartier-8).

Dans un certain nombre de cas le conflit se règle aussi par un contact direct entre les parties à la suite de l'envoi du courrier par les médiateurs. Une simple lettre a permis aux parties de renouer une négociation interrompue surtout dans les cas où les parties ne veulent pas perdre la face en faisant le premier pas pour reprendre les discussions. Dans ce type d'affaire, l'intervention symbolique des médiateurs à travers un courrier, a permis de débloquer la situation.

Tableau 24
Type de règlement avant la rencontre de médiation

issue de la médiation

Lyon

Saint Priest

règlement à réception lettre

60

37,5

problème réglé directement par les parties

20

37,5

autres

20

25,0

total%

100

100

total N

5

8

Dans une recherche antérieure sur la médiation pénale nous avions montré que les femmes avaient de meilleurs résultats en médiation que les hommes et il semblerait que ce constat se vérifierait en matière de médiation de quartier (Bonafé-Schmitt, 1998). Mais les résultats ne sont pas assez significatifs pour que nous puissions confirmer ce constat en matière de médiation de quartier.

Tableau 25
Résultats de la médiation selon le sexe des médiateurs en médiation sociale

résultat de la médiation

Femme/

Femme

Femme/

Homme

Homme/

Homme

Autres

accord avant rencontre

8,3

7,3

20,0

66,7

accord lors de la rencontre

67,9

58,5

40,0

33,3

non accord

23,8

34,1

40,0

-

total%

100

100

100

100

total N

84

41

5

3

En matière de conflit, c'est dans le cadre des litiges liés au bruit et relatifs aux problèmes sociaux et administratifs que les médiateurs enregistrent leurs meilleurs résultats.

Tableau 26
Résultats de la médiation selon la nature du conflit en médiation sociale

résultat de la médiation

problème

bruit

problème

mobilier

problème

immobilier

problème

sociaux

problème

personne

accord avant rencontre

11,9

9,7

3,0

25,0

5,0

accord lors de la rencontre

71,4

58,1

57,6

62,5

65,0

non accord

16,7

32,3

39,4

12,5

30,0

total%

100

100

100

100

100

total N

42

31

33

8

20

2- Le formalisme des accords de médiation

La médiation est souvent présentée comme un processus informel de règlement des conflits, mais cela ne veut pas dire que celui-ci est exempt de tout formalisme. Ainsi, les résultats de la médiation peuvent être consignés dans un acte formel comme la rédaction d'un accord de médiation lorsque les parties parviennent à s'entendre ou d'un rapport de fin de mission en cas d'échec des discussions.

- La forme de l'accord de médiation

L'analyse des dossiers, montre que tous les accords de médiation ne font pas l'objet d'un écrit et que certains demeurent au stade de l'oralité c'est-à-dire se limitent à la consignation des engagements oraux des parties. La rédaction ou non d'un accord semblerait être un élément discriminant entre médiateurs de quartier et médiateurs familiaux ou du travail, ces derniers rédigeant le plus souvent un accord écrit (Bonafé-Schmitt, Robert, 2001). Cette différence de pratique s'explique essentiellement par le type d'affaire traité: médiateurs familiaux ou du travail prennent en charge des médiations judiciaires qui nécessitent le plus souvent la rédaction d'un écrit en vue de son homologation par le juge.

Parmi les médiateurs de quartier, il existe des différences notables entre les sites: ceux de Lyon rédigent deux fois plus d'accords écrits que leurs homologues de Saint Priest. Cette différence s'explique essentiellement par la nature des affaires traitées. Les premiers prennent en charge, surtout, des affaires, opposant des particuliers à des professionnels dans le cadre de médiation indirecte, ce qui explique cette plus grande part des accords écrits.

Tableau 27
Forme de l'accord

issue de la médiation

Lyon

Saint Priest

écrit

42,3

20,3

oral

57,7

79,7

total%

100

100

total N

26

59

Qui rédige l'accord? Dans la pratique, ce sont les médiateurs de quartier qui tiennent souvent la plume et aident les parties à trouver les "bons mots" pour coucher l'accord sur le papier:

"C'est nous qui le rédigeons mais avec l'aide des parties. C'est nous qui trouvons les mots" (F-juriste-quartier-3).

La rédaction de cet accord obéit à un certain formalisme pour respecter les droits des parties, comme la rédaction en double exemplaire:

"Les médiateurs rédigent mais avec l'accord des parties. Les deux parties signent, on leur en donne à chacun un exemplaire, et on en garde un" (F-retraitée-quartier-10).

Il existe aussi une certaine homogénéité en matière de rédaction pour les médiateurs familiaux de Paris et les médiateurs de quartier de Lyon et de Saint Priest, en raison d'un travail en commun au sein d'une même organisation. Ils utilisent tous les documents élaborées par ces organismes ou issues des formations qu'ils ont suivies ce qui a eu pour effet de contribuer à construire une culture commune en matière de rédaction des accords et à une forme de standardisation du contenu des accords:

"ACCORD DE MEDIATION

Cet accord entre (Nom prénom) et (Nom prénom)

Participant à la réunion de médiation du.., nous sommes d'accord avec les clauses citées ci-dessous qui constituent une résolution équitable de notre litige.

En conséquence, nous sommes d'accord pour être liés par les clauses suivantes:

Les parties sont d'accord pour reprendre contact avec l'Association de Médiation, dans le cas où surviendraient des difficultés dans l'application de l'accord ou pour tout autre évènement lié à celui-ci."

(Accord-type des instances de médiation de Lyon et Saint Priest)

- L'absence d'accord de médiation

Dans notre analyse des dossiers, nous avons accordé une attention particulière à l'analyse de la cause des échecs des médiations car celle-ci fait partie intégrante du processus de médiation. La médiation est un processus volontaire et les parties peuvent à tout moment mettre fin à leur participation et il importait donc de connaître les causes de ces refus. Mais, cette étude n'a pas été facile à mener car les médiateurs n'indiquent pas toujours dans les dossiers, les motifs de ces arrêts de médiation.

Pour les deux instances de médiation de quartier étudiées, c'est surtout l'échec des discussions entre les parties qui représente la principale cause des arrêts de médiation sur les deux sites étudiés. Ensuite, ce sont les demandeurs qui sont les principaux responsables de ces non-médiations en raison de leur volonté de mettre fin au processus qu'ils ont initié.

Tableau 28
Nature des causes de non médiation

nature des causes

Lyon

Saint Priest

échec des négociations

63,2

57,9

arrêt de la médiation par le demandeur

26,3

21,1

arrêt de la médiation par le mis en cause

-

5,3

autres

10,5

15,8

total%

100

100

total N

19

19

V- Le contenu des accords de médiations

Le développement de la médiation dans le cadre de nos sociétés complexes, juridicisées peut apparaître paradoxal dans la mesure où ce mode de gestion des conflits repose sur l'oralité et non l'écrit, l'appel à l'équité et non au droit, sur une rationalité communicationnelle et non instrumentale. La médiation appartient à ces nouveaux modes consensuels de gestion des conflits qu'un certain nombre d'auteurs regroupent sous la notion de "justice restaurative" (Zehr, 1990; Umbreit, Coates, 1992; Aertsen, Peters, 1988). Pour notre part, nous préférons dire que la médiation s'inscrit dans une logique de "justice compréhensive" dans le sens qu'il s'agit d'un mode de gestion des conflits qui met l'accent sur l'intercompréhension entre les parties, sur la mise en oeuvre d'un échange réparateur qui permet la prise en compte de la souffrance, des besoins des parties (Bonafé-Schmitt, Robert, 2001).

1- la médiation: une nouvelle source de normativité

Sur le plan normatif, on ne mesure pas encore les effets induits par le développement de la médiation, mais on peut soutenir qu'elle participe à l'évolution de nos sociétés vers un plus grand pluralisme juridique (Carbonnier, 1969, p.17). Avec le développement de la médiation on assiste à un changement de paradigme en matière de résolution des conflits qui se traduirait, en matière juridique, par le passage d'un droit imposé à un droit négocié. En fait, il serait plus juste de dire que l'évolution va se faire dans le sens d'une plus grande pluralité juridique avec la coexistence de formes de droit négocié ou imposé, mais aussi le dépassement de celles-ci à travers des formes hybrides ou intermédiaires.

On ne peut pas non plus ignorer le rôle joué par ces expériences de médiation en matière de production de règles, car elles tentent de démontrer qu'un nouvel ordonnancement social peut être construit à partir des accords négociés. Elles participent à la construction d'un "droit spontané", d'un "droit vivant", appelé à prendre une place effective dans l'édifice normatif respecté par les justiciables (Ehrlich cité par Carbonnier, 1969; Desdevisses, 1981). Ce type d'institutions estompe la distinction entre normes juridiques et normes sociales (le droit étant un instrument de régulation parmi d'autres), et vise à entraîner une plus grande participation des parties à la résolution de leur affaire, en recherchant notamment une solution sur une base conciliatoire.

L'étude des accords de médiation, nous offre une bonne illustration, des limites des catégories juridiques traditionnelles, pour analyser la diversité des résultats de ce mode de gestion des conflits. Il convient donc pour évaluer la médiation de ne pas s'en tenir simplement à des critères purement juridiques et faire appel à des catégories relevant du registre communicationnel.

C'est particulièrement le cas en matière d'élaboration des accords dans la mesure où leur contenu doit refléter la nature consensuelle du processus de médiation, ce qui implique une forme de rédaction soulignant les engagements communs des parties:

"Chacun s'engage à faire une concession, c'est marqué sur notre accord de médiation" (F-inactive-quartier-4).

Beaucoup d'accords sont fondés aussi sur la notion d'équité car les médiateurs veillent à prendre en considération les demandes de chacune des parties, y compris celle du mis en cause, qui se trouve souvent en position d'accusé, alors que lui-même a des griefs à l'égard du demandeur de la médiation:

"On avait fait un accord de médiation pour une haie, ce n'est pas une haie, c'est de la glycine, donc la personne s'engageait à ne pas faire dépasser sa glycine de plus de tant de centimètres au dessus de..., et le monsieur en face, il avait un petit fils qui mettait la radio plein pot enfin la chaîne, il devait tout au moins, la mettre beaucoup moins fort. On avait mis les deux choses pour que ça paraisse un peu plus équitable" (F-retraitée-quartier-10).

A la lecture des accords, on peut constater que la médiation est porteuse d'un nouveau système normatif qui fait plus appel aux notions d'équité qu'à celles tirées du droit positif. Un des intérêts de la médiation réside dans la capacité donnée aux parties de gérer leurs rapports d'une manière différente de la législation en faisant appel aux règles d'équité, aux pratiques locales qui peuvent être assimilées en raison de leur constance comme des règles juridiques de nature coutumière (Gurvitch, 1932).

Selon la définition donnée par Dominique Manaï (1993), l'équité est "un ensemble de principes, exogènes au droit positif, qui le transcendent et lui pré-existent" et l'on comprend tout l'intérêt que peuvent tirer les médiateurs et les parties en conflit, de la notion d'équité pour fonder leurs décisions. L'analyse des accords de médiation montre que les solutions retenues font le plus souvent appel à l'équité plutôt qu'aux règles de droit stricto-sensu, ou encore à l'imagination des parties avec la mise en oeuvre de nouvelles règles tirées du "monde vécu" et non de la législation existante:

"Le droit des uns et des autres, en médiation, ça n'a pas un intérêt fou. Juste, pour rappeler quelques fois, qu'il faut une espèce d'équité. C'est très variable, parce que dans les arrangements que les gens prennent entre eux, l'équité, elle est pas forcément absolue. Donc, le médiateur doit veiller à ce qu'il y ait un équilibre entre les "bonnes volontés", j'ai envie de dire, entre les résolutions, mais rappeler les droits, ça serait ridicule" (F-inactive-quartier-6).

2- la médiaiton vers un droit du "commun"

C'est dans le cadre des médiations de quartier que se concrétise plus particulièrement cette nouvelle normativité car les processus de médiation font plus appel à une rationalité communicationnelle que dans le cadre des médiations judiciaires. L'analyse du contenu des accords de médiation de quartier fait particulièrement bien ressortir la spécificité de cette nouvelle normativité, car ils portent essentiellement sur des "mesures symboliques" ou l'adoption de ce que nous avons appelé des "règles de comportement" (Bonafé-Schmitt, 1992).

- des règles de comportement

Dans la cas de la médiation de quartier, le processus de médiation se caractérise par une large place laissée à l'oralité et les accords de médiation n'échappent pas à cette règle ce qui explique qu'il existe peu d'écrits en la matière. La formalisation de l'accord se fait le plus souvent sous la forme d'engagements oraux qui font l'objet d'une mention dans le dossier de médiation. L'utilisation de la médiation indirecte ne favorise pas aussi la rédaction d'accords stricto-sensu, mais tout ceci ne veut pas dire que les médiateurs ne rédigent pas d'accord de médiation.

L'analyse des accords de médiation de quartier montre que le contenu des clauses porte essentiellement sur la négociation de règles de comportement "positives" ou "négatives". Ces règles ne sont pas une "obligation de faire ou de ne pas faire" pour reprendre des catégories juridiques, car elles ne sont pas imposées mais au contraire elles sont élaborées d'une manière conjointe entre les parties en conflit (voir "La médiation sociale et pénale" in Bonafé-Schmitt et al., 1999). Ces résultats tendent à démontrer que le processus de médiation, en favorisant une plus grande implication des parties dans le règlement des conflits, permet non seulement de surmonter les désaccords, mais de construire de nouvelles relations ce qui renforce d'autant le caractère normatif des décisions prises.

C'est dans les conflits de voisinage que l'on retrouve le plus grand nombre d'accords impliquant des règles de comportement "positives" c'est-à-dire que les parties s'engagent à faire des actions pour mettre fin au conflit:

" M. D. s'engage à couper la haie à la hauteur du mur
M. L s'engage à prévenir M. D en cas de détérioration du mur de son côté" (SP-351/99).

Dans la rédaction, les médiateurs veillent à ce que chacune des parties s'engage à quelque chose:

"M. C s'engage à maintenir les troènes et la glycine à 2m (sauf le faîtage)
M. D. accepte la hauteur du faîtage actuel en réduisant la largeur
Le petit-fil de M. D mettra la musique moins fort" (SP-344/99).

Dans le cas de médiation de quartier, les conflits ne portent pas que sur des problèmes de voisinage, mais concerne toute la vie quotidienne, y compris les problèmes de rupture de vie en commun pour des concubins, comme dans le cas suivant:

"1-Nous nous engageons à nous exprimer en respectant l'autre et en s'écoutant davantage
2-Concernant la visite des enfants:
M. G. peut venir chercher les enfants au domicile de Mme G.:
-le mercredi matin vers 11h30 à la sortie de l'école
-les week-ends: 1 week-end sur 2. Les prendre le samedi matin, emmenés une fois sur deux par la mère; jusqu'au dimanche soir (idem 1 coup sur deux)
3-Les problèmes financiers:
Nous décidons d'essayer de verser 4000F du compte de M. G. au compte de Mme G pour une période de 2 mois (somme modulable selon les besoins)" (L-105/99).

En second lieu, les accords contiennent aussi des règles de comportements "négatives" c'est-à-dire que les parties s'engagent à ne pas faire certaines actions, comme par exemple proférer des insultes:

"-M. L informera sa belle fille de ne plus proférer d'injures verbales à l'encontre de M. O
-Les deux parties ont convenu de se rencontrer afin d'en discuter si d'autres différends se présentent dans les mois à venir" (SP-238/98).

En dehors de ces accords formels, ces "règles de comportement" qui font l'objet de simples engagements oraux, peuvent être aussi de nature très diverse, car elles portent sur les actes de la vie courante, que ce soit de nature positive comme "l'accord donné à l'enfant de jouer du piano tous les jours de 18h à 19h sauf le dimanche et le mercredi de 15h à 16h" (SP-258/1999), "l'engagement de vivre en paix" (SP-202/1998).

Les règles de comportement consistent aussi en l'abstention de certains types d'actions, comme l'engagements à ne "pas utiliser la perceuse et d'éviter de faire du bruit le soir" (SP-211/98) ou encore "P. va parler moins fort, mais il ne peut rien promettre pour son amie qui a un sale caractère" (SP-218/98).

- des mesures de réparation

La réalisation de mesures de réparation constitue le deuxième poste en matière d'accord. Il s'agit de mesures plus classiques qui concernent essentiellement des réparations locatives: "réfection de peintures à la suite de l'aménagement" (SP-237-1999), "réparations locatives faites" (SP-216-1999), "HLM envoie un plombier pour faire la réparation de la chasse d'eau" (SP-192-1998).

Dans une autre affaire liée à le réfection d'un immeuble par un office HLM, un problème de chauffage s'est résolue par "l'intervention d'un technicien pour réparer les radiateurs" (L-54/1998).

Ces quelques exemples d'accords démontrent que les médiateurs interviennent sur des problèmes liés à la vie quotidienne et qui concernent essentiellement des problèmes entre locataires et bailleurs.

- des mesures d'indemnisation

Les accords portent aussi sur des mesures d'indemnisation, notamment dans les conflits dans le domaine de la consommation. C'est le cas d'une personne qui voulait faire placer un plancher dans une pièce de son appartement et qui a changé d'avis au profit de la pose d'une moquette: "remboursement de lattes de bois pour un plancher au profit d'un avoir pour l'achat d'une moquette" (L-94-1998).

Ces formes d'indemnisation concernent aussi le domaine locatif avec la restitution de caution "Nous vous joignons pour information la copie du courrier que nous lui avons adressé le 28/9/1998 relatif à la restitution de la caution" (L-52/1998).

Les problèmes d'indemnisation n'opposent pas simplement les particuliers à des professionnels mais aussi des personnes entre-elles. Un accord est intervenu entre deux amies à propos du remboursement d'un prêt d'argent de 2500F (380€) qui avait été fait pour aider l'une d'elles qui avait des difficultés financières. L'emprunteuse avait effectué le remboursement avec un chèque sans provision et l'affaire s'est résolue par un "remboursement échelonné en trois fois de la somme de 2500F" (L-44-1998).

- une fonction de communication/facilitation

Un certain nombre d'accords relève de ce que nous avons appelé la "médiation-communication" ou encore la "médiation-facilitation" c'est-à-dire des médiations reposant essentiellement sur une logique communicationnelle (Bonafé-Schmitt, 1992). Il s'agit d'affaire où il n'y a pas à proprement parler de conflit, mais un problème de communication entre les parties. Dans ce type d'affaire, le rôle des médiateurs se limite simplement à établir ou rétablir un dialogue entre deux parties qui n'arrivent pas à communiquer en raison d'un problème de compréhension lié à la non maîtrise de la langue française ou de l'utilisation de termes techniques ou encore des refus de communication à la suite d'altercations antérieures.

Ce type de médiation concerne le plus souvent les relations entre particuliers et des institutions publiques ou privées. C'est le cas dans cette affaire où le rôle des médiateurs s'est limité à donner "les explications de la CRAM pour la non prise en compte de trimestres pour le calcul de la pension de retraite" (SP-195-1998).

Les médiateurs sont aussi sollicités pour intervenir auprès de certains professionnels, comme ceux du droit, qui ne répondent pas toujours aux sollicitations de leurs clients: "M. C. est allé voir le Notaire qui lui a donné le plan indiquant la place de parking" (SP-235-199).

- mesures symboliques

L'analyse du contenu des accords fait aussi bien ressortir la spécificité de cette nouvelle normativité, lorsque les accords portent sur des "mesures symboliques" comme "les excuses" ou par des actes symboliques comme dans cette affaire de bruit entre voisins ou les deux belligérants ont "pris l'apéro ensemble" (SP-194-1998).

Ces exemples d'accord montrent que c'est la force normative du dialogue qui permet de reconstruire un ordonnancement social qui sera respecté par les parties: "Ayant discuté avec M. et Mme D. au sujet du bruit, ces personnes sont d'accord pour être plus modérés" (SP-296/98).

Tableau 29
Contenu des accords en médiation sociale

contenu de l'accord

Lyon

Saint Priest

faire une action

26,9

17,2

ne pas faire une action

3,8

31,3

faire des excuses

-

1,7

donner des explications/faciliter

-

10,3

indemniser

15,4

5,2

restituer

19,2

1,7

plan de paiement

11,5

1,7

faire des travaux/réparations

11,5

25,9

autres

11,5

5,2

total%

100

100

total N

26

59

Conclusion

Dans le cadre de cette recherche-action, nous avons pu mesurer toutes les difficultés rencontrées, sur un plan méthodologique, pour évaluer le fonctionnement des projets de médiation de quartier. La médiation est un objet interdisciplinaire et l'élaboration des outils d'évaluation nécessite que l'on combine des approches à la fois sociologique, psychologique ou encore juridique, mais aussi des modes traditionnels d'analyse comme le questionnaire, l'entretien ou plus novatrice, l'intervention sociologique (Touraine, 1979). Cette approche nous a permis d'élaborer des outils d'intervention et d'évaluation, avec lesquels nous avons pu cerner, avec plus ou moins de difficultés, le fonctionnement des dispositifs de médiation de quartier et ses effets sur les relations sociales à travers l'analyse des accords.

Nous sommes conscients des limites de ces outils méthodologiques, mais ils nous ont permis de progresser sur la connaissance du phénomène de la médiation de quartier. Nous avons privilégié l'analyse du profil socioprofessionnel des parties, l'étude de la nature des conflits et des accords intervenus car à la différence des autres modes de gestion des conflits, la médiation repose sur une participation active des parties dans le processus de résolution des conflits mis en oeuvre par les médiateurs. On ne peut pas non plus ignorer le rôle joué par ces expériences de médiation en matière de production de règles, car l'analyse des accords montre qu'un nouvel ordonnancement social peut être construit à partir des accords négociés.

Ces premiers résultats, nous amènent à plaider pour le développement d'une véritable politique d'évaluation des dispositifs de médiation car un suivi sur plusieurs années de ces instances nous permettrait de vérifier si on assiste ou non à l'émergence d'un nouveau modèle de régulation sociale reposant sur une plus grande décentralisation, déprofessionnalisation, délégalisation des modes de régulation des conflits dans nos sociétés.

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt

Notes:

1.- Cette communication est tirée d'une recherche intitulée "Les médiations: logiques et pratiques sociales", GLYSI-CNRS/Université Lumière-Lyon II-Lyon 210p, 2001. La recherche a porté sur six instances de médiation qui se décomposent de la manière suivante:

  • deux instances de médiation de quartier: Saint-Priest et Lyon Presqu'île
  • deux instances de médiation familiale: Paris et Lyon
  • deux instances de médiation judiciaire: Grenoble et Créteil.

L'étude porte sur l'analyse de 112 affaires de l'instance de médiation de Lyon et de 146 pour celle de Saint Priest, réparties sur les années de référence de 1998-1999. En médiation familiale, nous avons étudiés 107 accords du centre de médiation de Paris réparties sur les années 1998 et 1999. A la Cour d'Appel de Grenoble, nous avons analysé l'ensemble des affaires ayant fait l'objet d'une médiation de 1998 et 1999 à la Chambre Sociale c'est-à-dire 132 dossiers. Nous avons procédé à 35 entretiens de médiateurs (Instance familiale de Paris: 5; Instance familiale de Lyon: 2; Centre de médiation de Créteil: 4; Médiateurs de la Cour d'Appel de Grenoble: 8; instance de médiation de quartier de Lyon: 8; instance de médiation de quartier de Saint Priest: 8). Nous avons réalisé aussi 24 entretiens approfondis auprès des médiés des différents centres de médiation.

2.- L'association AMELY a mis en place 13 instances de médiation de quartier sur le Grand Lyon et encadre plus de 100 médiateurs.

3.- Cf. Loi no95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile pénale et administrative et le décret no96-652 du 22 juillet 1996.

4.- Nous voulons parler de la déclaration au greffe, l'injonction de faire et l'injonction de payer.

5.- Sous la catégorie "accord avant la rencontre", nous avons regroupés les affaires qui ont été réglées directement par les parties avant la rencontre de médiation ou encore celles dont le trouble a cessé à la suite de l'envoi d'une lettre par les médiateurs.


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Notice:
Bonafé-Schmitt, Jean-Pierre. "L'évaluation de l'activité de médiation de quartier", Esprit critique, Été 2004, Vol.06, No.03, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr
 
 
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