L'action collective en tant que facteur de redéfinition de l'identité collective: Le cas du mouvement religieux en Grèce
Michalis Psimitis
L'auteur, Michalis Psimitis, est professeur assistant au Département de Sociologie de l'Université d'Égée (Grèce). Il est docteur de l'Université d'Athènes. Il a écrit des articles et des communications à des colloques internationaux, au sujet de l'action collective, des mouvements sociaux, et des contre-mouvements sociaux. Egalement, un livre sur le corporatisme, et l'introduction de la version grecque du livre d'Alberto Melucci Culture in Gioco. Differenze per Convivere. A paraître: Introduction aux Nouveaux Mouvements Sociaux. psimitis@soc.aegean.gr
Résumé
L'article est structuré en trois parties. Dans la première partie, il traite brièvement de certaines des caractéristiques qui sont propres à la relation entre postmodernité et religion. Ces caractéristiques se sont rapprochées du point de vue des changements que subit le cadre plus large de valeurs, de significations et de perceptions esthétiques à notre époque. Il soutient donc que la postmodernité, en tant que nouveau cadre culturel pour la constitution de l'identité individuelle et collective, entraîne aussi bien des changements concernant les formes modernes de religiosité. Ici un premier effort est fait pour que soient enregistrés certains changements concrets dans les pratiques religieuses, en insistant sur les caractéristiques d'adaptation de la religion dans le cadre de sa relation avec les tendances intellectuelles de la postmodernité. Dans la deuxième partie, l'aspect 'identitaire' de la relation précitée est analysé, c'est-à-dire les formes d'identité et d'action collectives qui démarrent de la jonction entre les attributs culturels de la postmodernité et les attributs intellectuels de la réalité religieuse. Dans ce cas, on analyse les caractéristiques de l'identité et de la mobilisation que développent les mouvements religieux et on remarque les particularités des mouvements religieux en comparaison à d'autres mouvements sociaux. On souligne, de plus, le fait que n'importe quelle identité religieuse collective présuppose, au-delà de l'investissement sentimental nécessaire des rapports, des définitions cognitives, et des réseaux de relations actives. Dans la troisième partie, l'article traite des aspects du mouvement religieux en Grèce ces dernières années. Il soutient que les formes de mobilisation, concernant la question de l'inscription de la religion sur les cartes d'identités, font parties d'un cadre plus large d'action collective, qui dépasse la catégorisation simpliste de la mobilisation comme une mobilisation populiste de l'Eglise, et qui est lié à la problématique de l'identité collective. Dans ce cadre, on met l'accent sur les caractéristiques contradictoires de ce mouvement, qui découlent de facteurs multiples (les groupes sociaux qui sont activés par l'intérieur, la rencontre inévitable de discours dogmatique et d'orientation pragmatique, la coexistence de pratiques d'origine institutionnelles et extra-institutionnelles, les buts différents, etc.).
Mots-clés: mouvement culturel, contre-mouvement social, postmodernité, religiosité.
Le fait que dans le domaine des sciences sociales des notions comme "différence", "altérité", "identité", "multiculturalisme", "reconnaissance", "complexité", "fragmentation" etc. acquièrent une gravité de plus en plus accrue, est essentiellement dû au caractère réflexif d'organisation de la vie sociale dans les sociétés développées. Plus spécifiquement, il est dû à une conception postmoderne tant des relations sociales que de la biographie personnelle de l'individu. Cependant, ces notions, loin de constituer simplement des catégories descriptives ou objectives de classification et d'interprétation du monde existant, constituent principalement un champ de confrontation en soi. Selon Melucci (2002: 115) "le discours (scientifique, quotidien, médiatique) sur ces notions devient, à proprement dit, un champ de conflit, et le contrôle sur sa signification est le vrai risque des débats culturels et politiques. La question du racisme et du multiculturalisme peut en effet être un objectif politique pour des mouvements soit très innovateurs soit très conservateurs, peut-être la bannière pour une nouvelle rhétorique de la différence, manipulée par les élites qui cherchent à imposer leur idéologie pour contrôler un environnement de plus en plus différencié, où il peut être le bouclier défensif pour des individus et des groupes qui se sentent profondément menacés par l'exposition croissante à l'altérité et à la différence".
En ce qui concerne l'action collective, une caractéristique importante de la société postmoderne est le fait qu'une grande partie de la dynamique des formes modernes d'action collective (mouvements sociaux, contre-mouvements, réseaux de soutien, ONG) soit mobilisée substantiellement vers une direction réflexive de changement sur des sujets de caractère culturel (valeurs, symboles, esthétiques, codes). Si on prend en considération la récente bibliographie internationale, ces formes d'action associent absolument leur unité intérieure et leur expression unique non pas à n'importe quels attributs sociaux structurels de leurs membres (positions et rôles basés sur la profession, la classe sociale, le revenu, etc.), mais à leur propre action et à la cohésion culturelle de leurs objectifs. Par conséquent, leur unité et leur identité collective sont construites sur la base d'un conflit. C'est-à-dire, sur le fait que tout acteur collectif soit mêlé, à travers des conduites intentionnelles, à une procédure de reconstruction sociale et de redéfinition réflexive des ressources culturelles dominantes (significations, valeurs, idées, sentiments, etc.).
Cet article, partant de l'analyse ci-dessus, traite certaines dimensions culturelles de l'action collective moderne. Plus spécialement, il focalise sur des aspects du mouvement religieux qui a récemment été formé en Grèce à l'occasion du conflit concernant l'inscription de la religion sur les cartes d'identité. Il examine les caractéristiques culturelles de ce mouvement, en insistant sur les symboles et les valeurs qu'il valorise pour construire "positivement" son identité face à la menace extérieure que représente pour ses membres le projet de rationalisation, de modernisation politique, sociale et administrative en Grèce.
Il soutient que la construction culturelle de cette identité est une procédure en évolution, même si maintenant les manifestations massives visibles du mouvement (rassemblements, pétitions, publications, "laosynaxeis", etc.) ont cessé d'exister ou se sont affaiblies. C'est même une procédure profondément contradictoire: tant parce qu'elle mêle des réalités hétérogènes (aux niveaux des groupes, des intérêts et des références de valeurs), que parce qu'elle redéfinit graduellement, dans le cadre dela tradition religieuse orthodoxe, la relation entre identité et altérité mais aussi la relation entre intégrisme et renouvellement religieux.
1. Religion et postmodernité
Quelle est la place de la religion dans le monde postmoderne? Comment de nos jours la religion est-elle liée à la procédure politique et aux besoins de la vie quotidienne? Quels changements contemporains existent-ils en ce qui concerne la relation entre croyance religieuse et l'identité collective? Pour répondre à ces questions, je pense qu'il faut avant tout examiner la relation de la religion avec la modernité. La façon la plus habituelle pour examiner cette relation, se réfère aux principes des Lumières durant le 18ème siècle et aux changements catalytiques intellectuels que celles-ci ont entraîné dans le domaine intellectuel qui avaitété imposé antérieurement par le monde médiéval, c'est-à-dire par l'arbitraire du seigneur, par le mysticisme religieux et l'obscurantisme de l'Eglise.
À travers ces changements, l'Illuminisme européen prétend que l'apparition de la modernité a signifié simultanément la dissolution d'un monde plein d'ignorance, de superstitions, de préjugés religieux, de relations absolutistes de pouvoir, etc. Le concept même de la tradition, en tant que facteur déterminant de la vérité et comme cadre d'action incontestable, a acquis, à cause des Lumières, une signification dégradante et il a été identifié à la doctrine et à l'ignorance. Ainsi les Lumières avaient comme objectif de détruire le pouvoir de la tradition, mais, comme l'observe Giddens, cet objectif a été atteint seulement en partie (Giddens 2002: 83).
En effet, la tradition a prouvé qu'elle entretient une relation symbiotique avec la modernité et que ceci est dû non seulement aux efforts coordonnés de la philosophie conservatrice pour la protection et l'adaptation des anciennes traditions, mais aussi à ce que "les changements institutionnels qui ont été lancés par la modernité se sont limités principalement à des institutions publiques, notamment à l'économie et au mode de gouvernement" (Giddens 2002: 84). En laissant, par conséquent, dans une large mesure en dehors de la portée et de l'efficacité de la modernisation sociale des espaces vitaux, comme la famille, la sexualité, et les différences entre les deux sexes.
D'autre part, pour nous il serait historiquement et scientifiquement inexact d'isoler exclusivement l'effet de la tradition et plus spécialement de la tradition religieuse aux limites d'un "aspect obscur" présumé de la modernité. L'adaptabilité de la religion à la modernité est prouvée dans ces cas où les impératifs des institutions mondaines acquièrent légitimation ou tolérance religieuse, en dépit de leur caractère initialement incompatible avec les appels dogmatiques de la religion. Une telle convergence, comme l'observe Weber, est obtenue soit à travers une réinterprétation des commandements sacrés, soit simplement en outrepassant, suivant le cas, ces commandements (Weber 1980: 262). De plus, le rôle non unidimensionnel de la religion dans la société moderne devient évident si on tient compte de la contribution plus spécifique de la tradition religieuse à la critique qu'on exerce contre la modernisation technocratique. Touraine analyse en profondeur cette contribution, en liant la religion à la notion du Sujet, qui est défini comme "la volonté d'un individu d'agir et d'être reconnu comme acteur" (Touraine 1992: 267). Par conséquent, il lie le concept du sujet à la transformation fondamentale de l'individu en acteur, à travers la quête permanente d'une liberté qui se heurte à l'ordreétabli des représentations sociales et culturelles souveraines et revendique une signification autonome de l'existence personnelle et du monde (Touraine 1992: 269-270).
Voyons en bref de quelle manière la religion contribue à ce que Touraine appelle "la subjectivation", c'est-à-dire la transformation de l'individu en sujet. En premier lieu, la subjectivation, en tant que quête de la liberté et en tant qu'opposition à chaque forme de dépendance, est le contraire de la soumission de l'individu à des valeurs transcendantes. Elle ne tend pas à projeter l'homme vers Dieu, mais elle fait de l'homme le fondement des valeurs, dans la mesure où la liberté devient principe central de l'éthique (Touraine, 1992: 270). Deuxièmement, même si l'esprit de la modernité a principalement été déterminé par sa lutte contre le mysticisme religieux, cette procédure de sécularisation ne justifie pas le rejet de la dynamique émancipatrice de la religion. Nous ne pouvons naturellement pas refuser la sécularisation, cependant, selon Touraine, "rien n'autorise à jeter le sujet avec la religion, comme l'enfant avec l'eau du bain" (Touraine, 1992: 274). Au contraire, il faudrait refuser la perception habituelle de la rupture entre les ténèbres de la religion et les lumières de la modernité. Le sujet même de la modernité n'est autre que le descendant sécularisé du sujet de la religion (Touraine, 1992).
Il faut noter ici que cette opinion au sujet de la contribution de la religion à la constitution de l'individu, en tant que sujet-acteur, peut être comprise seulement sous la lumière des conclusions de théories sociales modernes au sujet de l'action individuelle et collective. De telles élaborations (cf. à titre indicatif Touraine 1998 et Melucci 1996) introduisent l'identité à la théorie de l'action, en tant que variable déterminante pour la configuration de l'action. En effet, l'idée que les conduites humaines doivent être déduites exclusivement par un cadre d'explication holistique sur la base du choix rationnel, ne correspond pas aux données empiriques modernes de l'action. Même si nous acceptons, en principe, que tous les modèles explicatifs qui appartiennent à l'exemple scientifique du choix rationnel (de l'attente-récompense ou de la relative deprivation, de la frustration et de l'intérêt) ont une base réelle. Même dans ce cas, il faudrait que nous examinions de quelle manière, chaque fois, des variables comme "attente", "deprivation", "frustration" et "intérêt" acquièrent une importance pratique et un poids comportemental spécifique seulement en fonction de l'identité collective chaque fois formée et qui est appelée à signifier les variables ci-dessus (Melucci 1996: 54-67).
En conclusion sur ce point, donc, il est nécessaire que nous dépassions la perception schématique qui confronte, "par nature", le caractère inexorablement irrationnel, conservatif ou réactionnaire de la religion avec le caractère inexorablement rationnel et progressif de la modernité. D'après ce point de vue, il serait correct que nous réévaluions la présence de la religion dans le monde moderne. Cette présence n'a pas exclusivement le caractère de la mobilisation défensive de communautés sociales et culturelles "dépassées", mais devient également l'expression d'une attitude collective du sujet, qui refuse l'identification absolue de la modernité à la rationalisation.
Partant du fait que la sécularisation s'est régulièrement installée dans les institutions et dans la vie quotidienne, la réapparition de la religion ne marque pas obligatoirement ni le retour à la sacralisation et au repli de l'individu à la netteté dogmatique de l'expérience religieuse, ni le renforcement correspondant des structures ecclésiastiques. Cette sécularisation fait plutôt partie d'une mobilisation plus générale contre le pouvoir des appareils économiques, politiques ou médiatiques (Touraine 1992: 275). Ainsi, la réapparition de la religion contient certes des éléments négatifs, comme la tendance pour la constitution d'un mouvement antimoderne, la réaction contre la sécularisation, l'effort de jonction du pouvoir spirituel avec le pouvoir séculaire et la défense corporatiste de droits professionnels "acquis". Simultanément, cependant, cela est un effort de participation à la construction d'une action subjective, qui résiste à la domination absolue de la rationalisation en tant que mode unique de corrélation de la personne avec soi-même, les autres et le monde. Comme l'énonce encore Touraine (1992: 82): "Comme au début du monde moderne, nous voyons à présent se mêler trois grandes forces: la rationalisation, l'appel aux droits de l'homme et le communautarisme religieux. Qui osera se dire certain que seule la première défend la modernité, que la seconde ne doit être comprise que comme le respect du consommateur et que la troisième est entièrement réactionnaire?"
Maintenant, nous pouvons traiter la question que nous avons posée au début, à propos de la place de la religion dans la postmodernité. Une manière de commencer notre réflexion est la référence à Weber sur la relation entre la pensée religieuse et la complexité culturelle. Weber constate unécartement entre elles, lorsqu'il observe que l'unidimensionnalité naïve des contenus de vie d'une figure sociale religieusement intégrée (p.ex. l'agriculteur, le propriétaire féodal ou le héros de guerre) dévie essentiellement de la pratique de la personne "cultivée", laquelle recherche l'auto-perfectionnement offert par l'acquisition ou la constitution de "contenus culturels" (Weber 2002: 113). Ainsi, "le manque de sens de l'auto-perfectionnement purement sacral, sous la forme de la personne civilisée, c'est-à-dire de la haute valeur à laquelle pouvait être réduite "la culture", était claire pour la pensée religieuse" (Weber 2002). D'autre part, Weber distingue, en ce qui concerne l'action de signification de la personne civilisée, une contradiction croissante. Conformément à celle-ci, plus les biens culturels et les contenus de l'auto-perfectionnement sont différenciés et multipliés, plus l'individu est dans l'impossibilité de percevoir la culture globale et d'assimiler ces biens; et, par conséquent, moins la culture est en mesure de donner un sens au sujet. Exactement du fait de cette faiblesse, l'importance que la culture peut avoir pour la signification de l'individu consiste à la faculté de l'individu, pas d'acquérir de manière quantitative les biens culturels, mais de les articuler à travers un choix qualitatif. Cependant, Weber nous affirme que, pour sa part, la religion refuse, en tant que mépris blasphématoire, cette signification culturellement sélective de la vie humaine. De cette façon, "chaque culture, si on la voit ainsi, se présentait en tant que sortie de la personne du cercle organiquement préfixé de la vie naturelle, et, par conséquent, condamnée à chaque pas ultérieur d'aboutir toujours à un manque plus néfaste de sens (...)" (Weber 2002: 115).
Quelle relation pourrions-nous dire que ces observations de Weber ont à la question du rôle de la religion dans le monde postmoderne? Je crois que le sociologue allemand, déjà au début du siècle passé, fait le point sur deux sujets, qui sont liés à la complexité culturelle et à l'identité culturelle de l'individu à l'époque contemporaine. Premièrement, le sujet sur les difficultés à construire une identité culturelle compacte dans des conditions de complexité sociale et culturelle croissantes. Et, deuxièmement, le sujet concernant le fossé qui s'ouvre et qui s'étend de plus en plus dans cette complexité entre, d'une part, une pensée religieuse dogmatiquement fixée, et, de l'autre, la quête réflexive d'une identité qui donne un sens aux parcours de vie choisis par la personne. En commençant par la modernité, ces deux questions deviennent d'une importance critique lorsque nous passons à l'époque de la postmodernité.
La déstructuration de l'ancien monde par la modernité a conduit à de nouveaux aménagements concernant les orientations conceptuelles réalisables de la personne. Ainsi, assure Habermas, l'incertitude et le déracinement qui ont suivi la dynamique rationaliste des Lumières, ont progressivement été remplacés par des composants conceptuels (comme la classe, la nation et l'Etat) grâce auxquels ont été construites les identités collectives de la modernité (Habermas 2003: 126). Par conséquent, la vague de modernisation qui a couvert l'ancien monde a provoqué une ouverture des mondes de la vie intersubjectifs, au cours de laquelle ceux-ci ont été réorganisés sous l'effet des nouvelles orientations culturelles, qu'ils ont intégrées avant de se refermer de nouveau (Habermas 2003: 121). Cela paraît être l'unique manière afin que les mondes de la vie supportent le changement nécessaire. Donc, afin qu'ils supportent, sans éclater, la pression des données extérieures.
À notre époque, à laquelle sous la pression de la postmodernité nous vivons une vague encore énorme de bouleversements dans la société, l'économie, le travail etc., la dissolution de la modernité pose encore plus impérativement le besoin d'une ouverture réflexive de la subjectivité et des mondes de la vie. Cette procédure aujourd'hui est ouverte et ceci présuppose un risque continu de choix infinis et ambivalents ("je choisis des choix"), sous la constellation de la complexité, de l'individualisation et de la fragmentation de l'identité (cf. Habermas 2003. Et également, Giddens 2001 et Melucci 2002). Les répercussions globales sur le champ de référence morale de l'existence subjective de la personne sont sérieuses. Il paraît que ces trente dernières années du siècle passé ont signalé, avec le déclin des "grandes narrations", l'échec d'un long effort à divers niveaux de fonder l'éthique sur certains principes - post-empiriques ou transcendantaux. Ces niveaux sont philosophique, idéologique et, naturellement, religieux (Prandstraller 1996: 107). La déstructuration des perspectives holistiques, qui pour longtemps ont représenté ces niveaux de constitution de l'éthique, est appuyée sur le fait que la constitution d'un nouveau univers moral a paru possible à l'instant où la conduite de l'individu est poussée à être adaptée aux exigences que la personne a dans la vie pratique.
Par conséquent, le nouveau fondement de l'éthique est constitué par la relation empirique entre "besoin" et "problème", et conduit à deux changements fondamentaux. Conformément à ceux-ci, d'un côté, à la place d'une éthique unique, se sont formées beaucoup d'éthiques ("spéciales" ou "appliquées"), et chacune est destinée à régler un champ concret et limité de l'expérience humaine (éthiques: de la business ethics, des professions, de la sexualité et de la vie familiale, de l'environnement, de la nature, etc.). De l'autre côté, les valeurs qui gouvernent ces éthiques spéciales et orientent les conduites concomitantes sont marquées de variabilité. Donc, en dehors de spéciales, elles sont également temporaires et destinées à changer (Prandstraller 1996:107-137). Par conséquent, par rapport à la religion, il semble qu'il y aurait deux déplacements connexes. Déjà pendant la modernité précoce nos sociétés sont entrées dans une transition au cours de laquelle la sécularisation a déplacé les questions morales de la religion vers d'autres formes d'organisation et de motivation. Cette transition aujourd'hui devient plus radicale: nous passons del'éthique substantielle des règles universelles à des éthiques situationnelles et procédurières d'une différenciation réglementaire conforme aux conditions spécifiques (Voye 1999).
Pourtant, que signifie tout cela pour la religion? Est-ce que ces déplacements signifient la perte de tout influence sociale de la religion? Donc, est-ce que la relation entre, d'un coté, la fragmentation culturelle et la formation des éthiques "spécifiques" apportées par la postmodernité et, de l'autre côté, l'influence des pratiques religieuses dans la vie quotidienne et dans les institutions, constitue un jeu à somme nulle, lequel enlève progressivement le pouvoir à la religion, en tendant prospectivement à son affaiblissement? Il est évident qu'à cette question il faut répondre négativement. Déjà, à l'époque de la sécularisation, qui précède les transformations apportées par la postmodernité, la religion présente une adaptation dynamique aux données extérieures. Selon Berger (1967: 133-138), la religion est soumise à une double procédure de privatisation et de pluralisme. Elle ne représente plus les nécessités de légitimation de la société, mais reflète les choix des individus au niveau de la vertu privée. De plus, elle perd le caractère du monopole et, pour qu'elle puisse faire face au jeu pluraliste, elle s'adapte à celui-ci.
Par conséquent, la religion est entraînée à cette auto-restructuration, en termes de nouvelle situation à laquelle les éthiques procédurières deviennent indépendantes de plus en plus des convictions religieuses. La religion apparaît en tant que système de régulation d'un champ concret de l'expérience humaine et, pour cette raison, il faut qu'elle soit comparée aux systèmes restants (politique, économie, science, médias, éducation, etc.), (Beyer 1999). Comme l'observe un théologien grec contemporain, la nouvelle religiosité "a assimilé dès le début la mentalité utilitariste du système capitaliste, en essayant de combiner la métaphysique de la rédemption avec des aspirations évidemment sécularisées, comme l'acquisition de la sérénité psychique et d'équilibre, le succès professionnel, le bonheur personnel, la reconnaissance sociale etc." (Becridakis 2002).
Nous pouvons, par conséquent, analyser les caractéristiques de la nouvelle conscience religieuse (Dawson 1998) dans les points suivants: premièrement, l'individualisme religieux, qui présuppose la relation indissoluble entre le sacré et le développement de l'identité personnelle. Deuxièmement, l'accent sur l'expérience et non sur la doctrine. Troisièmement, le pragmatisme sur des sujets religieux, c'est-à-dire l'efficacité sur des questions pratiques. Quatrièmement, le syncrétisme et la tolérance dans le cadre d'un esprit relativiste. Cinquièmement, la théologie "de la composition", qui tend à dépasser les dualismes traditionnels entre dieu et humanité, humanité et nature, intellectuel et matériel, subjectif et objectif. Sixièmement, l'ouverture organisationnelle, c'est-à-dire les différents niveaux offerts pour l'intensité de la participation des individus dans les pratiques religieuses.
On peut conclure, donc, que la nouvelle conscience religieuse s'adapte aux données de la vague postmoderne. Une religion qui ne veut pas perdre son contact avec la réalité quotidienne, doit défendre cette 'démocratisation' particulière de l'expérience intime, supporter une orientation centrée sur l'individu, encourager la composition et le pluralisme et imposer une perception instrumentale et consommatrice de la spiritualité (Becridakis 2002). Exactement ces éléments d'adaptation de la religion aux circonstances de la postmodernité se montrent d'importance critique pour la construction de l'identité collective de type religieux et pour la configuration de l'action collective correspondante.
2. Religion, identité collective et action collective
Chaque identité collective, chaque sensation du 'nous', comprend un nombre d'individus ou de groupes et elle concerne tant les orientations d'action de ces individus ou de ces groupes que le champ d'occasions et de restrictions dans lequel l'action a lieu. Dans le cadre d'une identité collective, les participants forment, de manière interactive, la définition des orientations d'action et du champ d'occasions et de restrictions (Melucci 1996: 70). L'identité collective présuppose (Melucci 1996: 70-1):
a) Des définitions cognitives des objectifs, des moyens et du champ d'action, sans exclure parfois des contradictions dans ces définitions.
b) Un réseau de relations actives entre acteurs qui interagissent, communiquent et influencent entre eux. Les formes d'organisation, les modèles de leadership, les réseaux communicatifs et les technologies de communication dans l'identité collective, sont parties constitutives de ces réseaux de relations.
c) Un degré d'investissement sentimental qui permet aux acteurs de se sentir faire partie d'un ensemble unique, auquel le calcul entre coût et bénéfice n'est pas la composante exclusive de l'action collective et, souvent, pas même dominante.
Partant des caractéristiques ci-dessus, la contribution de la notion de l'identité collective à la théorie de l'action collective est évidente. En effet, si nous tenons compte que le point de vue sociologique classique tend à localiser l'action collective seulement là où celle-ci se manifeste publiquement et massivement, alors la notion de l'identité collective nous aide à reconnaître une multiplicité de niveaux d'action collective. La théorie de l'identité collective nous permet de classifier en tant que formes d'action collective toutes les formes de mobilisation mais aussi de présence de réseaux actifs de relations dans un cadre collectif de détermination cognitive et sentimentale du champ d'action. Autrement dit, la notion de l'identité collective ajoute, à côté des organisations politiques et des groupes d'intérêts, les groupes et les réseaux informels de relations. Ces derniers ne s'orientent pas exclusivement au niveau de la mobilisation publique et/ou de la pression de lobby, mais créent littéralement des significations, perceptions esthétiques et valeurs au niveau des réseaux souterrains de la vie quotidienne (Melucci 1996: 79, également Melucci 2002: 110-111).
Le caractère culturel de cette action collective qui découle de l'identité collective est évident. Tels réseaux de relations constituent des groupes structurés non pas sur la base des positions structurelles de leurs membres (par exemple l'emploi, le revenu, la profession), mais sur la base d'une origine ou d'une appartenance culturelle, religieuse, ethnique, linguistique, raciale, sexuelle, de style de vie. Les mouvements culturels (Touraine 1998: 114-119) qui résultent de l'action de tels groupes opposent aux codes culturels dominants la défense et la confirmation d'une expérience qui ne peut pas être réduite à des statuts et rôles sociaux. Ils sont centrés sur la défense de l'identité collective qui stimule l'action de leurs membres et tendent à obtenir principalement des "changements fluides" (Johnson 1999: 241-2), c'est-à-dire des changements au niveau des valeurs, des symboles et des convictions, avec pour objectif final de modifier l'image que la société a pour les groupes en question. Cette forme d'action collective n'exclut évidement pas de ses objectifs les "changements linéaires", c'est-à-dire les changements politiques et économiques. Au contraire, elle les présuppose, en ce sens que souvent les changements dans le champ culturel, pour qu'ils soient consolidés, ont besoin d'engagement politique, de consolidation juridique et de garantie économique. Néanmoins, telle forme d'action présuppose que les acteurs mettent l'accent davantage sur des changements culturels qui assurent l'identité collective, plutôt que sur un renforcement institutionnel de certains intérêts matériels.
Voyons maintenant de quelle manière cette forme d'action collective s'associe avec la nouvelle religiosité, que nous avons localisée précédemment. En effet, quelles sont les caractéristiques d'identité et de mobilisation que développent les formes d'action collective liées à la religion? Nous avons vu ci-dessus que la religion, parallèlement à ses éléments négatifs, développe également dans la société moderne une dynamique différente. En ces termes, l'expression religieuse devient une attitude collective qui refuse l'identification suffocante de la modernité avec la rationalisation et avance l'idée d'un sujet qui résiste aux relations instrumentales de la modernisation technocratique. Parallèlement, nous avons constaté qu'au stade de la modernisation postmoderne la conscience religieuse acquiert les caractéristiques d'une réponse adaptative aux tendances culturelles de la condition postmoderne.
Au niveau de l'action collective, la mobilisation pour la défense d'une identité religieuse peut prendre deux formes possibles. Toutes deux proviennent du type de réponse qui, sous la forme de l'action collective, sera donnée aux demandes qui découlent des difficultés de nombreuses personnes à réconcilier et à combiner efficacement, dans un projet de vie cohérent, des choix et des expériences divergentes. Donc, elles proviennent du type de réponse face au conflit entre les besoins humains subjectifs d'appartenance à une communauté culturelle et les exigences d'un système social pour une gestion instrumentale flexible et continuellement révocable des choix économiques et professionnels et des attributs sociaux de l'individu (Touraine 1998 et 1999). Ces deux formes possibles d'action collective sont:
Premièrement, si l'action collective est liée à une réponse 'identitaire' qui essaie de réconcilier la contradiction fondamentale ci-dessus en mettant l'accent sur la possibilité de la personne à participer, quelque soit l'identité de laquelle elle provient, au monde de l'instrumentalité, alors l'identité religieuse tend à fonder une action collective qui défend les droits et les libertés de toutes formes d'altérité et pas seulement de sa propre altérité. Ici l'action collective est appuyée de manière combinatoire sur la solidarité par ressemblance et même sur la solidarité par différence. On retrouve cette caractéristique dans le cas de la "nouvelle théologie" en Amériquelatine.
Deuxièmement, si, au contraire, la réponse proposée vise au refus du monde instrumental et au regroupement des personnes dans une identité de type communautaire qui par principe exclut l'altérité, alors l'identité religieuse tend à fonder une action collective qui défend exclusivement les droits de l'identité menacée. Ici l'action collective est seulement appuyée sur la solidarité par ressemblance (Melucci 1994, 2002 et Psimitis 1999). Les cas du fondamentalisme islamique mais aussi celui de l'intégrisme chrétien sont caractéristiques.
Le premier cas d'action collective ressemble à la forme d'action que développent divers mouvements sociaux modernes, lesquels associent la possibilité de leur présence distincte dans le monde à la défense de l'identité collective et à l'intégration sociale, institutionnelle et économique de leurs membres. Ceci signifie que, inévitablement, ils se heurtent à des relations existantes de pouvoir qui avancent un modèle exclusif de participation dans le monde, mais simultanément ils défendent la liberté et l'universalité du sujet. C'est un cas de mouvement social, ou plutôt de mouvement culturel. Le deuxième cas d'action collective, au contraire, s'identifie totalement à l'identité menacée et il se replie vers un passé mythifié qui rejette la participation dans le monde rationalisé de l'instrumentalité et repousse l'universalité du sujet. Ceci est un cas de contre-mouvement social (Psimitis 2002).
Evidemment, les deux formes d'action collective ci-dessus, qui se réfèrent à l'identité religieuse, ont un caractère de type idéal, spécialement dans les sociétés développées. C'est-à-dire, elles ne constituent pas des formes d'action vraies et pures, mais plutôt de deux points extrêmes d'un continuum d'action, au long duquel l'identité mobilisée oscille. Ainsi, il est normal parfois de définir de manière contradictoire les orientations d'action et le champ d'occasions et de restrictions dans lequel se manifeste l'action de l'identité collective. Ceci signifie que, si nous revenons à la définition antérieure de l'identité collective, les définitions cognitives des objectifs, des moyens et du champ d'action sont différenciées dans le cadre d'une identité religieuse, en fonction de conditions extérieures (structure des opportunités politiques) et de conditions intérieures (type de leadership, formes d'organisation et de communication) spécifiques.
En plus, en se basant sur les mêmes conditions, on peut expliquer l'apparition des demandes qui oscillent entre la défense purement symbolique de l'identité et l'effort pour l'accès à des ressources 'instrumentales' (le pouvoir, le revenu, le statut social). Cela signifie, respectivement, que les motivations de l'action collective dans l'identité religieuse varient, pas exclusivement chez les mêmes acteurs (d'individus ou de groupes) en fonction de l'enchaînement temporel variable des priorités de mobilisation, mais souvent en différenciant du corps social restant (qui est symboliquement orienté) les groupes d'intérêts matériellement orientés.
En conclusion, donc, l'universalité et le fondamentalisme, l'action symbolique et l'action matérielle sont les limites potentielles dans lesquelles une identité collective mobilisée de type religieux peut osciller. Autant au sens d'un choix stratégique prédominant à long terme ou à moyen terme, qu'au sens de la coexistence contradictoire des différents choix et revendications correspondants. Ainsi seulement on peut expliquer le riche répertoire de choix qui, malgré la rigidité du discours narratif valorisé, peut osciller entre le dogmatisme et le pragmatisme, le symbolisme et le matérialisme, l'absolutisme et le relativisme. La possibilité d'un tel répertoire riche d'actions et de choix alternatifs devient nécessaire non seulement à cause de l'existence probable de groupes sociaux différents dans l'identité, mais aussi parce que la nouvelle religiosité doit, comme nous l'avons vu, être adaptée aux données culturelles de la postmodernité, et spécialement à l'environnement pluraliste.
En ce qui concerne la nature de la participation à une telle forme d'action collective ainsi qu'aux motivations idéologiques des participants, il faut dire que des enquêtes empiriques modernes montrent une situation complexe. Il paraît que la nature des mouvements religieux a un résultat paradoxal, conformément auquel, tandis que les mouvements tendent par définition de regrouper des individus sur la base des convictions, des attitudes et des engagements culturels, dans la pratique ils attirent des individus avec différents systèmes de convictions, motivations, et plaintes personnelles. D'autre part, cependant, les différenciations intérieures dans les mouvements religieux semblent dépassées, dans la mesure où la confrontation avec l'adversaire (souvent l'Etat modernisateur) stabilise de plus l'identité collective et les aspirations collectives (Williams 2000).
Comme nous le verrons par la suite, ces phénomènes d'oscillation d'action, du regroupement d'individus et de collectivités avec des motivations différentes et de la stabilisation de l'identité collective à travers la procédure d'antagonisme, sont constatés aussi dans le cas de l'identité orthodoxe mobilisée en Grèce.
3. Le mouvement religieux contemporain en Grèce
Nous pouvons commencer la dernière partie de cette contribution par un examen rétrospectif des événements qui, durant ces dernières années, ont conduit à des mobilisations sans précédent, lesquelles ont marqué la configuration de l'identité orthodoxe contemporaine en Grèce.
Les relations de l'Etat et de l'Eglise orthodoxe en Grèce sont déterminées historiquement par une association harmonieuse et symbiotique entre les deux. Cette association, qui favorise l'Eglise orthodoxe orientale, est garantie même par la Constitution grecque laquelle, à l'article trois, prévoit que: "La religion prédominante en Grèce est la religion de l'Eglise Orthodoxe Orientale du Christ". Telle liaison est évidente si nous considérons l'interpénétration entre l'Etat et l'Eglise à travers des pratiques concrètes, comme la possibilité d'intervention de l'Etat dans des questions fondamentales d'administration et d'organisation de l'Eglise, le paiement des salaires des prêtres par l'Etat, la participation de représentants de l'Eglise à des comités et à des conseils qui formulent des politiques, la manière 'catéchistique' de donner des cours de religion dans les écoles publiques, etc.
Les premiers conflits visibles entre Etat et Eglise dans la phase moderne de la Grèce émergent pendant la première période du gouvernement socialiste. Concrètement, en 1985, l'intention déclarée par Antonis Tritsis, ministre de l'Education et des Religions du gouvernement Papandreou, de régler législativement la question de la fortune de l'Eglise, provoque une confrontation intense avec la hiérarchie ecclésiastique. Le conflit a pris fin grâce au remplacement du ministre et au retrait du gouvernement sur la question de la fortune ecclésiastique. Depuis lors jusqu'à aujourd'hui, les relations entre l'Etat et l'Eglise passent une longue période stable de symbiose pacifique. Ce climat semble s'être renversé lentement, mais de manière stable, en commençant par la première période du gouvernement de Simitis (1996-2000).
Sans qu'il existe une certaine action concrète, comme en 1985, une opposition 'souterraine' se développe entre gouvernement et Eglise, basée sur la peur de cette dernière que la politique modernisatrice de Simitis conduise le pays à la dégradation des traditions, donc à l'affaiblissement du pouvoir spirituel de l'Eglise orthodoxe. Néanmoins, cette opposition apparaît comme souple et 'civile', dans la mesure où l'Eglise officielle se contente de faire remarquer les risques que représente pour la cohésion intellectuelle du pays la détérioration des traditions qu'entraînent les politiques modernisatrices du gouvernement de Simitis. En ce sens, l'Eglise pendant la période 1996-2000, semble davantage s'intégrer à un courant plus large d''euro-scepticisme' (qui reconnaît le besoin d'un enrichissement spirituel de l'idéologie modernisatrice et technocratique des politiques qui se développent dans le pays), plutôt que de constituer un pôle de pouvoir expressément placé contre la modernisation.
L'histoire des relations entre l'Etat laïque et le pouvoir spirituel en Grèce prend une direction tout à fait différente à partir de 2000 jusqu'à aujourd'hui; c'est la deuxième période du gouvernement de Simitis. Voilà les événements qui marquent les évolutions correspondantes.
- 15 mai 2000: l'Autorité Hellénique de Protection de Données Personnelles, qui a été fondée en 1997, se prononce pour que la religion ne soit pas inscrite sur les cartes d'identité.
- 24 mai 2000: le premier ministre Kostas Simitis, en se référant à l'obligation de la Grèce d'adapter sa législation avec ce qui est en vigueur dans la communauté européenne, déclare que la religion ne sera plus inscrite sur les cartes d'identité.
- 26 mai 2000: l'archevêque Christodoulos convoque la Sainte Synode Permanente pour affronter la question. La Synode proclame à l'unanimité une "lutte intransigeante par tous les moyens". On décide d'organiser deux grandes manifestations de fidèles ("laosynaxeis"), à Athènes et à Thessalonique, avec l'archevêque comme orateur.
- L'archevêque demande une rencontre avec le Premier ministre. La demande n'est pas acceptée et le Premier ministre renvoie l'archevêque au ministre de l'Education et des Religions.
- 14 juin 2000: à Thessalonique a lieu la première laosynaxi de l'Eglise, à laquelle participent plus de 500'000 fidèles. Dans son discours, l'archevêque se réfère à des centres de décisions étrangers.
- Le gouvernement répond qu'il ne va sûrement pas reculer au sujet des cartes d'identité, qu'il considère exclusivement de sa compétence.
- 21 juin 2000: se réalise à Athènes la deuxième laosynaxi de l'Eglise, avec la participation de plus de 500'000 fidèles. L'archevêque lève le drapeau historique qui avait été utilisé au cours de la Révolution de 1821 contre l'Empire Ottoman. Pour la première fois, il appelle les fidèles à signer des pétitions pour la réalisation d'un référendum concernant la mention de la religion sur les cartes d'identité. Beaucoup de députés de l'opposition (Nea Dimokratia), mais aussi du parti gouvernant (PASOK), assistent à la manifestation.
- Juillet 2000: universitaires et aussi représentants de l'Eglise déposent une demande au Conseil Supérieur de la Magistrature pour l'annulation de la décision du gouvernement et de l'Autorité Hellénique de Protection de Données Personnelles, concernant le sujet des cartes d'identité.
- Des journaux chrétiens de contenu antigouvernemental intense circulent. Des métropolites et des éditeurs accusent le Premier ministre, le ministre de la Justice et autres cadres du PASOK d'être Francs-maçons.
- Les journaux politiques à grand tirage se divisent entre ceux qui soutiennent le gouvernement, dévalorisent les mobilisations des fidèles et font remarquer la conduite ambivalente de l'archevêque, et ceux qui mettent en évidence la figure hégémonique du chef suprême de l'Eglise grecque orthodoxe et accusent le gouvernement de conduite autoritaire envers la religion orthodoxe et "conduite servile" envers la communauté européenne.
- Août 2000: un nouveau front entre l'Eglise et l'Etat s'ouvre à propos des cours de religion dans les écoles. Le ministre de l'Education décide d'exclure ces cours (avec d'autres) des examens panhelléniques du lycée. La Sainte Synode réagit.
- 14 septembre 2000: commencent dans tout le pays les pétitions (référendum informel), dans les églises, mais aussi de porte à porte. Ce sont des comités sous la direction des prêtres locaux qui assument la responsabilité de cette collecte, sous la coordination de la Sainte Synode. Certains métropolites réagissent intensément sur l'emploi de symboles sacrés de l'orthodoxie pour la collecte de signatures. Sur le même sujet, le gouvernement définit la conduite de l'Eglise comme "attitude d'organisation parareligieuse".
- Dans le parti de la Nea Dimokratia il y a des réactions, provoquées par la signature de son leader Kostas Karamanlis au référendum informel de l'Eglise.
- La pétition continue dans tout le pays à des rythmes intenses et avec des confrontations toutes aussi intenses.
- 28 août 2001: l' archevêque annonce que les questionnaires spéciaux de l'Eglise, afin que soit effectué le référendum officiel sur l'inscription ou non de la religion sur le nouveau type des cartes d'identité, ont été signé par 3'008'901 Grecs. Il définit la procédure de la collecte de signatures comme "une réponse civile à l'effort de déchristianisation du pays" et soutient le rôle de la religion dans l'avenir culturel du pays.
- Les efforts de la hiérarchie ecclésiastique continuent à travers des modalités plus fines. Comme, par exemple, des lettres et des rencontres avec des personnalités de l'Europe (Jacques Chirac, Romano Prodi, Valéry Giscard D'Estaing), avec des discussions et des lettres à des parlementaires européens grecs, avec des déclarations et des apparitions publiques de l'archevêque et des métropolites, un effort général pour renforcer le rôle social de l'Eglise, etc.
Comment pourrait-on interpréter ces événements, face aux problèmes des formes d'action collective posés par la postmodernité? D'abord, il faut faire une constatation introductive. Ces dernières années en Grèce, habituellement l'étude des formes d'action collective paraît s'inspirer idéologiquement de deux modèles typiques: soit la norme politique de la démocratie bourgeoise formelle qui est appuyée sur le cadre réglementaire sévère de participation politique et sur les partis de masse, soit le modèle correspondant d'une société civile active, dont les organisations agissent de manière autonome par rapport à l'Etat. Toute forme d'action qui diverge des modèles ci-dessus, spécialement celle qui est développée sur la base d'une identité collective de type culturel, tend à être considérée comme une action dépassée, de coalition corporatiste ou d'expression populiste déviante. Conformément à ce point de vue, qu'est la théorie du "dualisme culturel" (Diamandouros 2000), à la base de ces divergences il y a une culture sociale régressive qui favorise, en dépit de la culture réformatrice, des conduites et des actions rétrogradées. Celles-ci correspondent davantage à des couches sociales qui sont privées de ressources économiques, politiques et culturelles indispensables et d'aptitudes pour qu'ils fassent suffisamment face à la concurrence de l'environnement national et international modifié.
De cette manière, en comparaison à la 'culture réformatrice', la 'culture régressive' reflète un manque, une projection défensive d'un passé idéalisé sur le présent. Ainsi, cette culture présente les caractéristiques suivantes:
Premièrement, elle représente des couches sociales qui sont identifiées à des structures rétrogrades et à des relations de clientélisme, lesquelles constituent l'héritage de la tradition ottomane ou, dans le meilleur cas, les répercussions d'un capitalisme dépassé et assisté par l'État.
Deuxièmement, elle est adressée emphatiquement à l'Etat, parce qu'elle le considère en tant que mécanisme défensif unique qui est en mesure de minimiser les répercussions négatives que la modernisation entraîne pour ces couches sociales.
Troisièmement, même dans la version future de son affaiblissement essentiel sous la pression de la culture réformatrice, la culture régressive risque de former (dirait-on, de manière 'sédimentaire') 'une 'seconde Grèce', marginalisée et inférieure en comparaison à la réalité modernisée dominante.
Il va de soi que l'approche qu'entreprend cet article (pour une argumentation plus détaillée, cf. Psimitis - Sevastakis 2002) s'oppose clairement à la théorie du dualisme culturel et de la dichotomie sociale correspondante. Au moins parce que cette théorie s'appuie sur des assertions qui adoptent restrictivement la théorie du choix rationnel et excluent la possibilité que le sujet existe à travers l'action qui est fondée sur l'identité collective, comme cela a été précédemment analysé. Il faut, néanmoins reconnaître que la théorie ci-dessus reflète un mode de compréhension plus général de la société grecque, conformément auquel des formes d'action collective culturellement régressives (donc régressives par définition) existent en comparaison au modèle de la croissance rationnelle de la société grecque. Par conséquent, chaque action 'identitaire' qui se heurte à l'argument modernisateur en vigueur est vue négativement.
Dans le cas même des mobilisations religieuses à partir de juin 2000 et après, ces mobilisations sont considérées comme "effort d'imposition d'une éthique privée à la vie publique" (Demertzis 2002), ou comme "déviation culturaliste du populisme" (Pantazopoulos 2003). Dans ce cadre, même lorsqu'il existe une référence aux besoins ou aux procédures de l'identité, celle-ci est réduite à une tentative, essentiellement rationnelle, de certains groupes sociaux à obtenir la reconnaissance sociale et l'imposition d'un style de vie de type à la fois ethnique et religieux. Il est évident que cette approche, même si elle contient des éléments intéressants concernant le discours populiste utilisé par les représentants de la mobilisation religieuse ou la sécularisation communicative qui a lieu dans ce discours, se limite à une seule dimension de l'action collective développée et ne conçoit pas sa substance.
Donc, elle ne conçoit pas le fait que cette action, dans sa dimension culturelle et morale, contienne aussi une dynamique de renouvellement de la vie publique. Autant au sens que cette action met sur le tapis la question actuelle de la jonction de la religion avec les caractéristiques postmodernes de la société, qu'au sens qu'elle introduit la variable du risque et de la nécessité de la protestation, en tant que manifestations du besoin humain pour la compréhension communicative et morale. Par conséquent, cette approche sous-estime le fait que, même si l'investissement idéologique de la protestation prend les caractéristiques d'une action instrumentale avec des objectifs stratégiques, la protestation elle-même est principalement une action communicative qui recherche la diffusion des langues morales dans la société (Jasper 1997). Donc, elle recherche la 'de-privatisation', c'est-à-dire la reconnaissance publique de l'altérité.
À mon avis, les mobilisations que nous avons vécues récemment, sur la question concernant la mention de la religion sur les cartes d'identité, sont parties d'un cadre d'action collective plus large et complexe, qui dépasse la catégorisation simpliste de la mobilisation comme mobilisation populiste de l'Eglise. Au contraire, ce cadre d'action est lié à la problématique de l'identité collective. Il s'agit, substantiellement, d'un mouvement religieux avec une dynamique contradictoire profonde, dans la mesure où il compose des éléments de quatre formes différentes d'action collective: (a) le mouvement social culturel, (b) le contre-mouvement social, (c) le mouvement conservateur et (d) le mouvement rénovateur de la religion.
Voyons sur la base de quelles caractéristiques, de quels objectifs, de quels acteurs et à travers quelles pratiques se forme cette image contradictoire du mouvement.
A) Le mouvement social culturel
En tant que tel, le mouvement religieux est un acteur culturel, donc il vise principalement à des changements culturels fluides qui ont lieu au 'substrat' de la société et, au même temps, il utilise des pratiques de protestation et de mobilisation qui s'opposent aux relations existantes de pouvoir. Comme "changements culturels fluides" j'entends, comme nous l'avons vu auparavant, les efforts pour des changements à des valeurs, à des symboles et à des convictions qui déterminent la perception de l'identité collective de la part de l'opinion publique. La légitimation de l'intervention publique ici se lie avec le droit d'une identité collective menacée de dépasser les limites étroites de l'éthique privée et de devenir une 'altérité active', qui revendique la participation autonome dans le monde des institutions, de l'économie, de la politique, etc. En fonction de cela, il faut considérer aussi un autre objectif de caractère politique. C'est-à-dire le fait que le mouvement, dans la mesure où il s'oppose à la rationalisation absolue en tant que mode unique de corrélation de la personne avec le monde, constitue simultanément un pôle de résistance politique à l'égard du cadre modernisateur dominant de développement de la société grecque (Psimitis 2002). Par conséquent, il acquiert les caractéristiques même d'un acteur politique, dans la mesure où son action se rencontre avec le niveau de fonctionnement du système politique national (Melucci 2002: 109).
Sous la forme de mouvement social culturel, l'identité religieuse revendique le droit d'apparaître comme un modèle culturel de la personne d'approcher moralement le champ instrumental de la vie sociale. De ce point de vue, le champ des conflits symboliques devient le champ essentiel dans lequel se forme l'unité des forces qui constituent le mouvement. La dimension dynamique de l'action, en ce qui concerne ce point, consiste à ce que les mobilisations tandis qu'elles visent au changement des valeurs, des idées, etc., simultanément fabriquent la conscience du 'nous', de l'identité collective elle-même. Il s'agit clairement de la dimension de la 'subjectivation' que, comme nous l'avons vu ci-dessus, Touraine (1992) reconnaît faisant partie de la présence de la religion dans le monde de la modernité, et, par conséquent, de la présence d'un acteur collectif qui défend la liberté et l'universalité du sujet.
D'autre part, les pratiques de protestation contre les institutions sont évidentes si nous tenons compte, d'un coté, des manifestations dynamiques et massives ("laosynaxeis") du récent passé, et, de l'autre, les incitations vers la désobéissance civile et la pression pour la réalisation du référendum à propos de la mention de la religion sur les cartes d'identité.
Au niveau du mouvement culturel, toutes les forces qui constituent le mouvement religieux s'activent manifestement, au moins dans le sens des réseaux informels de communication quotidienne et de solidarité qui produisent et élaborent le sens de la coexistence dans l'identité collective (Melucci 2002: 110-112). Néanmoins, je pense que les acteurs les plus actifs ici sont au nombre de trois.
D'abord, le leadership de l'Eglise elle-même, identifié généreusement à travers la figure charismatique de l'archevêque Christodoulos. Le leadership ecclésiastique, donc, maintient et renforce l'identité du mouvement, en offrant des motivations de solidarité, des réseaux de communication et en projetant une image du mouvement à laquelle les membres peuvent être identifiés et de laquelle aussi ils peuvent obtenir une récompense sentimentale (Melucci 1996: 339-340). Ensuite, les intellectuels du mouvement, 'organiques' ou non, lesquels élaborent des aspects du mouvement en ce qui concerne l'argumentation philosophique, théologique, religieuse et, par conséquent, politique. Enfin, les réseaux des activistes du mouvement, qui s'activent principalement en tant que formes volontaires de solidarité à la base religieuse. Ces réseaux, d'une certaine façon, renforcent la dimension culturelle du mouvement, exactement parce qu'ils agissent volontairement et en dehors de la structure formelle d'organisation de l'église. Par conséquent, ils fondent la solidarité à l'intérieur de l'identité sur des actions pratiques et des valeurs non utilitaristes, et cela est une contribution dont le mouvement a absolument besoin pour une construction positive de l'identité collective.
B) Le contre-mouvement social
En ce qui concerne la forme d'action collective, le mouvement religieux reste un acteur culturel, dans le sens où il vise à des changements culturels qui ont lieu "au substrat social". Cependant, dans ce cas, les changements culturels fluides qu'il recherche se différencient des changements correspondants du mouvement social culturel sur deux points. Premièrement, ce sont des changements qui conduisent à la revendication des droits exclusivement pour l'identité religieuse orthodoxe, à travers le repli à la tradition et l'exclusion des altérités restantes. Par conséquent, ils s'opposent à la logique de la subjectivation qu'avance le mouvement social culturel, en ce sens qu'ils méprisent la liberté et l'universalité du sujet. Deuxièmement, ce sont des changements qui s'orientent contre les conquêtes qu'entraîne l'action d'autres mouvements sociaux (par exemple, l'égalité des chances, l'égalité sexuelle, etc.). Il faut remarquer ici que ces deux caractéristiques forment aussi la physionomie plus générale du contre-mouvement social tout court, conformément à la définition tant de l'approche européenne que de celle anglo-saxonne (cf. Psimitis 2002).
Des facteurs importants pour cette forme d'action collective semblent être d'un côté le noyau conservateur du leadership ecclésiastique des évêques et la représentation syndicale du clergé inférieur, qui craint l'affaiblissement "d'en bas". De l'autre coté, les réseaux para-ecclésiastiques, les organisations nationalistes et les communautés monastiques qui agissent au sein du mouvement.
C) Le mouvement conservateur
En tant que tel, le mouvement religieux développe des actions qui défendent des privilèges traditionnels de certains groupes professionnels de pression (les divers degrés de la hiérarchie ecclésiastique) lesquels sont menacés par les décisions modernisatrices de l'élite politique de l'Etat mais aussi par les politiques de l'Union européenne (cf. "Lettre Ecclésiastique Officielle de la Congrégation Sacre, adressée au Président de la République française", ainsi que "Anthologie Synodiques de l'Archevêque d'Athènes Christodoulos", dans "Église. Bulletin Officiel de l'Église de la Grèce", vol. 2, février 2001). Ces objectifs naturellement se trouvent loin du champ des conflits symboliques, que nous avons vus dans les deux cas antérieurs.
Les privilèges des groupes ici sont reliés aux possibilités d'accessibilité à des ressources matérielle, de pouvoir, et de statut socio-économique. La caractéristique de cet aspect du mouvement est le fait que ces groupes valorisent sa dynamique de masse pour éviter des changements qui pourraient mettre en danger les conquêtes corporatistes garanties par l'Etat, principalement à travers la collaboration étroite ('sinallilia') entre l'Etat et l'Eglise. Simultanément, cependant, ils utilisent la possibilité de pression assurée par la coopération avec les mécanismes de l'Etat et souvent par leur présence dans ces derniers. Leur objectif est de maintenir les privilèges que l'Etat offre dans le cadre de la relation symbiotique qu'historiquement il a développé avec l'Eglise orthodoxe (par exemple, les salaires du clergé sont payés par l'Etat, l'Eglise intervient sur le contenu des cours scolaires, participe à des comités, à des organes qui émanent des politiques régionales et même nationales, au sujet de la jeunesse, du troisième âge, de l'assistance sociale, de la drogue, etc.).
D) Le mouvement rénovateur de l'orthodoxie
Cette forme d'action collective est liée aux caractéristiques de la nouvelle religiosité que nous avons vue auparavant, et elle reflète la quête d'une nouvelle convergence entre éléments religieux et mondains dans la postmodernité. Dans ce champ, les objectifs sont différenciés à l'intérieur du mouvement, en fonction du groupe de référence. Conformément à une analyse récente (Becridakis 2002), il existe dans l'orthodoxie grecque trois tendances fondamentales, et chacune d'elles administre de manière différente la convergence ci-dessus. En premier lieu, une grande partie des croyants, qui vivent principalement dans les centres urbains, se trouvent sous l'effet direct de la tendance sécularisatrice, et ils adoptent une attitude de syncrétisme entre des traditions spirituelles différentes. Dans ce cas, une version individuelle de l'orthodoxie est choisie, qui individualise la croyance sur la base des préférences subjectives.
En second lieu, une portion moins sécularisée des croyants reste plus attachée à la tradition spirituelle religieuse et plus distanciée des paramètres matériels de la vie. Cependant ils sont aussi dépendants de l'individualisme, dans la mesure où l'Eglise est considérée comme "maison de cure privée", c'est-à-dire comme couverture métaphysique pour compenser la dégradation psychique qu'implique le mode de vie moderne.
Troisièmement, il existe une tendance laquelle "perçoit l'Eglise comme une institution, qui a, par définition, le droit d'exercer un pouvoir spirituel et politique accru, sous l'égide de l'Etat" (Becridakis2002). Sous influence ethnocentriste, cette tendance est principalement représentée par des classes de la hiérarchie ecclésiastique qui luttent vigoureusement contre l'esprit de la relativisation postmoderne et suscitent, au nom de la sauvegarde de l'orthodoxie, des prétentions de pouvoir.
Enfin, j'ajouterai, qu'il existe un public plus soucieux des questions morales et pratiques posées par la convergence contemporaine entre religiosité et mondanité. Ce public est représenté par un groupe de penseurs théologiens, qui évoquent une Eglise différenciée tant du 'byzantinocentrisme' formel de la hiérarchie ecclésiastique que d'une "théologie de la personne", évoquée par d'autres théologiens dissociés des problèmes sociaux graves. Ce groupe défend les caractéristiques que précédemment nous avons fixées, au niveau de l'action collective religieuse, qui appartiennent au mouvement social culturel. Donc l'universalité et la liberté du sujet, en combinaison à la solidarité sociale effective pour les socialement exclus. Des cas caractéristiques d'une telle attitude sont les sermons en faveur des minorités et pour que le racisme soit officiellement condamné par l'Eglise en tant que secte (Elefthetotipia 13-01-2003 le sermon du Métropolite de Kozani Amvrosios). En plus, il y a une tendance théologique qui défend l'égalité des chances et en même temps refuse l'identification culturelle et condamne, d'un point de vue chrétien, le racisme, l'inégalité ethnique, sexuelle et de classe, ainsi que la violation des droits de l'homme, en tant qu'aliénation de la nature humaine (cf. à titre indicatif Giannoulatos 2000). Cette tendance accepte que la conscience religieuse contemporaine soit influencée par les nouveaux traits distinctifs de la mondialisation et soit réadaptée à ceux-ci, en tendant à influencer en même temps sa forme finale (Giannoulatos 2000: 261).
4. Conclusion
Le caractère contradictoire profond des phénomènes d'action collective religieuse qui sont analysés ici est évident, néanmoins cela ne diminue pas le caractère unique du mouvement, sous le point de vue de l'identité collective qui est formée à travers l'action. En tout cas, dans le cadre de l'analyse sociologique de l'action collective au niveau international, cela ne surprend pas l'hétérogénéité de certains mouvements sociaux (comme par exemple le mouvement pour l'environnement en Europe ou le mouvement des femmes aux USA), dans lesquels, au niveau de l'action, des groupes d'intérêts ou même des partis politiques se sont intégrés (cf. Rucht 1996: 188). Dans l'esprit de cette analyse, il est possible que la structure même d'un mouvement social concret soit organisée sur le modèle du groupe d'intérêts (c'est-à-dire avec organisation formelle, pratiques de lobbying, et action de pression). Mais celui-ci ne présuppose pas obligatoirement la transformation du mouvement en une autre forme d'action collective, dans la mesure où aucun des groupes internes au mouvement n'est parvenu à conquérir une position hégémonique, c'est-à-dire à contrôler les ressources collectives du mouvement (Rucht 1996).
Je crois que le mouvement religieux orthodoxe correspond à cet équilibre incertain entre ses différentes composantes, qui constituent aussi des formes correspondantes d'action collective. Afin même de classifier certaines de ses composantes conformément aux formes sociales qu'assume la convergence entre religiosité et sécularisation dans la société mondiale actuelle (Beyer 1999), on distinguerait quatre versions contradictoires:
- D'abord, le mouvement religieux apparaît en tant que "culture collective", c'est-à-dire en tant qu'aspect religieux de la culture collective nationale ou expression religieuse de la "spécificité nationale".
- En deuxième lieu, il est présenté en tant que "religion organisée", laquelle, dans son expression de contre-mouvement, tend à distinguer idéologiquement les membres des non membres.
- Troisièmement, il assume le caractère social de la "religion politisée", qui est appuyée sur les monopoles religieux garantis par l'Etat.
- Et, enfin, il apparaît en tant que "religion invisible", c'est-à-dire en tant que convergence minimale de religiosité et de sécularisation, sur la base de l'individualisation de la religion.
Le fait que les mobilisations publiques du mouvement religieux ont faibli ou se sont limitées presque exclusivement à de périodiques exaltations verbales du leader charismatique de l'Eglise grecque ne signifie d'aucune manière que le mouvement a disparu ou a dégénéré. Je crois que le mouvement est actif, exactement parce que restent actives les forces qui motivent les formes correspondantes d'action collective renfermées dans celui-ci. C'est-à-dire, les réseaux de relations actives ainsi que les groupes sociaux et professionnels. Les possibilités de transformation du mouvement à long terme, les manières avec lesquelles il sera mobilisé à la prochaine occasion, et la probabilité du changement des rapports internes d'hégémonie, sont des questions auxquelles on pourra répondre sur la base non seulement de la dynamique intérieure du mouvement, mais aussi desévolutions du cadre national et mondial.
- Références bibliographiques:
Becridakis D.: "Μετανεωτερικότητα, θρησκεία και Ορθόδοξη θεολογία" - Postmodernité, religion et la théologie Orthodoxe. Académie d'études théologiques, 2002. Consulté sur Internet:
<http://www.imd.gr/html/gr/section02/akadimia/01_02/akadimia.htm>
Berger P. L. The Sacred Canopy: Elements of a Sociological Theory of Religion. New York: Doubleday, 1967.
Beyer P. "Secularization from the Perspective of Globalization: A Response to Dobbelaere". Sociology of Religion, fall 1999. Consulté sur Internet:
<http://www.findarticles.com/cf_dls/m0SOR/3_60/57533383/print.jhtml>.
Giannoulatos A. Παγκοσμιότητα και Ορθοδοξία. Μελετήματα Ορθοδόξου ¼ροβληματισμού (Universalité et Orthodoxie. Etudes de réflexion orthodoxe). Athènes: Akritas, 2000.
Dawson L. L. "Anti-modernism, Modernism and Postmodernism: Struggling with the Cultural Significance of New Religious Movements". Sociology of Religion, summer 1998. Consulté sur Internet:
<http://www.findarticles.com/cf_dls/m0SOR/n2_v59/20913875/print.jhtml>.
Demertzis N. "Πολιτική και ε¼ικοινωνία: Όψεις εκκοσμίκευσης της Ορθοδοξίας" ("Politique et communication: Aspects de sécularisation de l'orthodoxie"), in Ljpovats Th.., N. Demertzis et B. Gheorghiadou (ed.), Θρησκείες και ¼ολιτική στη νεωτερικότητα (Religions et politique dans la sécularisation), 142-182. Athènes: Kritiki, 2002.
Diamandouros N. Πολιτισμικός δυϊσμός και ¼ολιτική αλλαγή στη Ελλάδα της Μετα¼ολίτευσης (Dualisme culturel et changement politique en Grèce après la dictature). Athènes: Alexandria, 2000.
Εκκλησία. Ε¼ίσημον Δελτίον της Εκκλησίας της Ελλάδος (Église. Bulletin Officiel de l'église de la Grèce), n. 2, février 2001. Athènes.
Giddens A. The consequences of Modernity (traduction grecque). Athènes: Kritiki, 2001.
Giddens A. Runaway World. How globalisation is Reshaping our Lives (traduction grecque). Athènes: Metaichmio, 2002.
Habermas I. Die postnationale konstellation. Politische essays (traduction grecque). Athènes: Polis, 2003.
Jasper I. M. The Art of Moral Protest. Culture, Biography and Creativity in Social Movements. Chicago: University of Chicago Press, 1997.
Johnson B. "The Strategic Determinants of a Countermovement: The Emergence and Impact of Operation Rescue Blockades", in Freeman I. et B. Johnson (ed.), Waves of Protest. Social Movements since the Sixties, 241-265. Lanham, Maryland: Rowman et Littlefield Publishers, 1999.
Melucci A. Passaggio d'epoca. Il futuro è addesso. Milan: Feltrinelli, 1994.
Melucci A. Challenging Codes. Collective Action in the Information Age. Cambridge: Cambridge University Press, 1996.
Melucci A. Culture in gioco. Differenze per convivere (traduction grecque). Athènes: Gutenberg, 2002.
Pantazopoulos A. "Διαφοριστικός λαϊκισμός. Η έννοια και οι ¼ρακτικές" ("Populisme différentiel. La signification et les pratiques"). Communication au1e Colloque de sociologie politique, de l'Institut de Sociologie Politique du CNRS. Athènes, 12-14 février, 2003.
Prandstraller G. P. Relativismo e fondamentalismo. Bari: Laterza, 1996.
Psimitis M. "Η ατομική ε¼ιλογή ως ¼αράγοντας ¼ολιτισμικής ταυτότητας σε συνθήκες ¼ολυ¼λοκότητας: H ¼ερί¼τωση της αλληλεγγύης" ("Le choix individuel en tant que facteur d'identité culturelle en conditions de complexité: Le cas de la solidarité"), in Constantopoulou Chr. et al. (ed.), 'Εμείς' και οι 'Άλλοι'. Αναφορά στις τάσεις και τα σύμβολα ('Nous' et 'les autres'. Référence aux tendances et aux symboles), 85-106. Athènes: Tipothito - G. Dardanos, 1999.
Psimitis M. "Μορφές συλλογικής δράσης στην Ελλάδα: Κοινωνικό κίνημα και κοινωνικό αντικίνημα α¼έναντι στο εκσυγχρονιστικό ¼ρόταγμα" ("Formes d'action collective en Grèce: Mouvement social et contre-mouvement social face au projet modernisateur"). Communication au 2ème Colloque International de Sociologie: La sociologie: Cours de liberté. Thessalonique, 8-10 novembre 2002.
Psimitis M. - N. Sevastakis "Ο 'ισχνός' εκσυγχρονισμός στην Ελλάδα: Όψεις της ¼ολιτικοθεσμικής ¼ραγματικότητας και συγκρότηση της συλλογικής δράσης" ("La faible modernisation en Grèce: Aspects de la réalité politique et institutionnelle et constitution de l'action collective"), in Institut Sakis Karaghiorgas (ed.), Ιδεολογικά Ρεύματα και Τάσεις της Διανόησης στη Σημερινή Ελλάδα (Orientations idéologiques et tendances intellectuelles en Grèce contemporaine), 61-86. Athènes: Institut Sakis Karaghiorgas, 2002.
Rucht D. "The Impact of National Contexts on Social Movement Structures: A Cross-Movement and Cross-National Comparison", in McAdam D., J.D. McCarthy et M.N. Zald (ed.), Comparative Perspectives on Social Movements, 185-204. Cambridge: Cambridge University Press, 1996.
Touraine A. Critique de la modernité. Paris: Fayard, 1992.
Touraine, A. Pourrons-nous vivre ensemble? (traduction italienne). Milan: Il Saggiatore, 1998.
Touraine A. Comment sortir du libéralisme? (Traduction grecque). Athènes: Polis, 1999.
Voye L. "Secularization in a Context of Advanced Modernity". Sociology of Religion, fall 1999. Consulté sur Internet:
<http://www.findarticles.com/cf_dls/m0SOR/3_60/57533382/print.jhtml>.
Weber M. Wirtschaft und Gesellschaft, (traduction italienne), vol. deuxième. Milan: Comunità, 1980.
Weber, M. Theorie der Stufen und Richtungen Religioser Weltablehnung, (traduction grecque). Athènes: Savallas, 2002.
Williams R. H. "Promise Keepers: A Comment on Religion and Social Movements". Sociology of Religion, spring 2000. Consulté sur Internet:
<http://www.findarticles.com/cf_dls/m0SOR/1_61/61908751/print.jhtml>.
- Notice:
- Psimitis, Michalis. "L'action collective en tant que facteur de redéfinition de l'identité collective: Le cas du mouvement religieux en Grèce", Esprit critique, Été 2004, Vol.06, No.03, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr