Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Automne 2004 - Vol.06, No.04
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Que sont les intervenus devenus? La médiation encline des métiers cliniques.


Yves Couturier

Université de Sherbrooke. Yves.Couturier@USherbrooke.ca


Résumé

Ce texte porte sur l'étude de l'émergence d'un inter-langage de l'interdisciplinarité dans les métiers cliniques, notamment repérable par la diffusion de la notion d'intervention pour dire et concevoir la pratique professionnelle. Au strict plan formel, la triade actant/acté/action, qui implique un faisant, un fait, et un faire présente dans les conceptions de l'intervention une réduction qui apparaît fort signifiante: alors que les travaux d'analyse révèlent nombre d'intervenants, comme d'innombrables qualités, méthodes et contextes d'intervention, en aucun cas est-il question d'intervenu. Que signifie cette réduction? Je soutiendrai dans les prochaines pages qu'il s'agit en fait d'une inclination vers les fondements mêmes de l'interventionnisme. Après avoir rappelé les contours du cadre théorique de mes travaux, je me focalise pour la suite de ce texte sur l'absence de désignation des clients-objet d'intervention dans le lexique de l'intervention. Écrit tout court, point d'intervenus dans le champ sémantique de l'intervention. Que sont-ils devenus?

Mots clés: intervention, interdisciplinarité, langage.


Abstract

What is at the other side of the clinical relation? The oriented mediation of intervention

This article is about the social meaning of an interdisciplinary inter-language emerging from the use of intervention lexicon in relational professions. In this phenomenon, we can see how the clients are conceptualized by a more humanistic lexicon. Why this double lexicon? This is an overlook of the meaning of intervention.

Key words: intervention, interdisciplinarity, language


Introduction

À l'occasion du colloque de fondation officieuse de l'ADRISS[1] tenu à Angers en 2003, j'ai fait état de mes travaux sur l'interventionnisme (Couturier, 2002; 2003), notamment en synthétisant leur cadre conceptuel général et en l'appliquant à une forme extrême de l'interventionnisme, en l'occurrence l'activité de conseil psychologique sur une ligne ouverte radiophonique très importante au Québec[2]. L'analyseur transversal de mon programme de recherche se constitue des diverses conceptions des pratiques professionnelles actuelles marquées par l'extraordinaire diffusion de la notion d'intervention pour dire, donc construire et tenter d'imposer (Bourdieu, 1982), une conception de la pratique professionnelle dans les métiers cliniques (Lévy, 1997). Si l'on recense dans les banques de données les entrées comprenant le lexème intervention, on trouvera des dizaines de milliers d'occurrences, par exemple plus de 80'000 depuis 1993 pour les seules banques de références bibliographiques Medline, Cihal et Social Work Abstract. Il n'en va cependant pas de même pour les travaux cherchant à conceptualiser le terme en question. Mon programme de recherche vise spécifiquement à contribuer à combler ce vide conceptuel.

L'objectif premier de ce texte consiste à intégrer à ce programme une idée forte qui émergea du séminaire de l'ADRISS. Au stricte plan formel, la triade actant/acté/action, qui implique un faisant, un fait, et un faire est l'objet dans les conceptions de l'intervention d'une réduction qui m'apparaît fort signifiante: alors que les travaux d'analyse révèlent nombre d'intervenants, comme d'innombrables qualités, méthodes et contextes d'intervention, en aucun cas il n'est question d'intervenu. Que signifie cette réduction? Je soutiendrai dans les prochaines pages qu'il s'agit là d'une inclination exprimant les fondements mêmes de l'interventionnisme. Après avoir rappelé les contours du cadre théorique de mes travaux, je vais donc pour la suite de ce texte focaliser ma réflexion sur l'un des produits conceptuels de ce séminaire, soit l'absence de désignation des clients-objet d'intervention dans le lexique de l'intervention. Écrit courtement, point d'intervenu dans le champ sémantique de l'intervention. Que signifie cette absence?

Intervention et intervenants

Sont des professions intervenantes les groupes professionnels dont les actions sont politiquement finalisées en regard de trois grands types de situation: les nécessités socio sanitaires, l'ordre, la sécurité et la protection sociale. L'intervention arrime verticalement à l'État des actions qui se réalisent souvent dans des contextes d'exception ou dont le caractère critique est intense, horizontalement elle arrime divers secteurs d'activités à des impératifs transversaux d'action. Les groupes professionnels oeuvrant dans ces secteurs croisent, selon des modalités diverses, les catégories classiques du travail professionnalisé, soit l'aide, le soin, la surveillance, la rééducation, etc. Or, c'est précisément lorsque les frontières entre aider et contrôler se chevauchent ou s'estompent que le terme "intervenir" émerge avec le plus de force. Alors que l'aide est légitimée par une demande formulée par un client et le contrôle par une problématisation issue d'un dispositif social, l'idée d'intervention renvoie à la fois à une légitimation praxique issue de la relation clinique en tant que telle et aux problématisations sociales. En substituant intervention à aide, les praticiens désignent le passage de la loi de la demande à la demande de la loi. L'intervention présuppose donc que la situation fait problème et que ce problème est affaire sociale, ce qui implique une autorité et une autorisation (le mandat formel) en vue de normaliser la situation problématique. Dans ce contexte, l'intervenant est un tiers extérieur à la situation problème mandaté pour s'introduire dans la vie privée d'autrui. L'intervention ne peut donc se penser sans l'autorité, car "il en va toujours [...] de la guerre et de la paix dans les relations sociales" (Nélisse, 1988: 8. L'auteur souligne). Se profilent derrière l'intervention l'État lui-même et ses systèmes d'intervention (Barel, 1973). Intervenir signifie donc réguler à partir d'une norme dont les modalités d'action qu'elle implique se constituent en "impératif moral ascendant qui oriente, mandate, guide nos activités professionnelles et nos conduites publiques afin d'arrimer "naturellement" le service et la personne qui les justifie concrètement à un puissant intérêt d'ordre public qui les légitime politiquement" (Nélisse, 1997: 16). Dans le lexique foucaldien, il est possible de décrire l'intervention comme un dispositif qui croise technologies de domination, technologies discursives et technologies de soi ou, si l'on préfère, pouvoir, systèmes normatifs et souci de soi, avec son versant professionnel, le souci de l'autre.

Le terme "intervention" exprime donc à la fois l'idée de rationalisation et de prescription du travail, et de mouvement volontaire de l'agent en vue d'effectuer un changement. La rationalisation du travail prend la forme notamment de protocoles d'intervention qui deviennent conditions du travail et de toute mobilisation de soi. Cette "protocolarisation" (approche par programme, approche par données probantes, formulaires administratifs, etc.) n'est pas, dans la perspective de l'intervention, pure contrainte, car elle permet aussi à chaque acteur de s'impliquer dans une action plus ou moins commune à partir de sa compétence professionnelle et d'y contraindre les autres acteurs professionnalisés sur la base d'une réciprocité des engagements. C'est pourquoi la diffusion empirique de la notion d'intervention est historiquement corollaire du débat sur l'interdisciplinarité.

L'engagement conditionné des divers acteurs professionnalisés autour de l'intervention procède donc d'une logique "pacificatrice" dans le champ professionnel, objet de luttes et de jeux de distinction incessants entre ayants droit de l'intervention. Cet engagement transforme les conflits de propriété en transactions régulées transversales aux actions elles-mêmes. Nélisse écrit en outre que:

"L'intervention désigne ce type d'action publique qui socialise et recompose, en quelque sorte, les actions propres à chaque acteur quel que soit son statut particulier. Ainsi l'intervention en urgence n'est pas la somme ou la mise côte à côte de l'intervention psychologique d'urgence, de l'intervention policière d'urgence et de l'urgence sociale des travailleurs sociaux...C'est la création d'un impératif configurant ces pratiques particulières [...] producteur de ce qu'on pourrait appeler des situations d'intervention. Situation ici au sens de institutional setting: cadre de travail construit par lequel l'engagement requis de chacun trouve place et qui est à la fois [...] un ensemble de ressources et de contraintes". (1997: 31, l'auteur souligne)

Ce travail d'engagement mutuel instille une tendance à l'égalisation formelle des statuts des agents qui se voient alors reconnaître le droit d'intervenir. Ainsi l'infirmière, la travailleuse sociale, l'agent de police, le médecin et la militante féministe sont engagés, par les protocoles d'intervention en matière d'agressions à caractère sexuel par exemple, dans un type d'actions en partie concertées. Les jeux que permet l'intervention favorisent alors, selon Nélisse, des accords pragmatiques faisant l'économie de la recherche du consensus sur les valeurs sous-jacentes à l'action et fondatrices de chaque profession. Cette économie du consensus axiologique est le moteur et le principe de ce que nous nommons la translation interdisciplinaire. De glissement de sens en glissement de sens, chacun se tait sur les équivoques au bénéfice de la coordination du travail sur le social à l'égard du problème en question. La notion d'intervention apparaît alors comme permettant la translation d'un univers de sens professionnel à l'autre (Couturier, 2003). La fonction translative, en linguistique, est cette fonction que le vide sémantique possède pour élucider et permettre le passage d'une "unité d'une catégorie à une autre" (Dubois, 1973: 497). Ainsi, en plus de son caractère polyphonique, la notion d'intervention est surtout "polytonique", c'est-à-dire, outre sa diversité sémantique, elle met en jeu une capacité de moduler l'intensité du discours aux conditions de transmission de façon telle que l'auditeur peut "y entendre s'exprimer une pluralité de voix" (Ducrot, 1980: 44).

En plus des transformations de l'État social en tant que tel, deux conditions relatives au champ professionnel expliquent la mutation dans la façon de désigner les pratiques: l'impératif de sûreté et d'efficacité de l'action professionnelle et un accroissement des conflits effectifs ou potentiels entre groupes professionnels, notamment suite à l'invitation pressante à l'interdisciplinarité. Deux logiques d'action se croisent ici dans l'intervention: celle de la puissance en vue de la pacification des conflits interdisciplinaires et celle de la méthode en vue de la rationalisation du travail.

Il ne faut cependant pas confondre la rationalisation du travail avec le vieux taylorisme aux sourdes craintes qu'il soulève. Plutôt que de la froide technostructure, il s'agit ici de dispositifs concrets de travail, objet autant de coordination forcée que d'une réelle volonté de concertation interprofessionnelle et intersectorielle. La contrainte est admise tacitement par tous comme légitime, parce que reconnue comme autant contraignante qu'habilitante de l'action des uns et des autres. La "protocolarisation" du travail professionnalisé montre ainsi une orientation sociopolitique de l'action professionnelle qui s'espère pourtant entièrement scientifiquo-technique. Il s'agit donc d'une forme de division et d'organisation du travail "où les techniques pour soi deviennent technologies en soi" (1988: 14, l'auteur souligne).

Au total, l'intervention apparaît pour le champ du travail professionnalisé comme un allant-de-soi puissant. Pour Nélisse, il s'agit d'un "impensé: il fait penser, il "donne à penser" mais il n'est jamais lui-même l'objet de notre pensée" (1993: 168). Cette caractéristique prend ici valeur puisque, comme pour tout impensé, elle donne accès, par un travail archéologique retraçant la sédimentation des sens et des usages, aux procès de sa construction sociale. Sous ces aspects, le terme est on ne peut plus ouvert, divers, mouvant.

Pour conclure ce rappel du cadre d'analyse de mon programme de recherche, voici la classification des usages d'intervention que j'ai élaborée suite à l'analyse de nombreux discours. L'analyse des différents usages langagiers de la notion d'intervention a donc conduit à regrouper en trois axes l'ensemble des usages d'intervention.

1. L'axe des systèmes d'intervention renvoie au monde des systèmes qui encadrent et soutiennent l'action. Ici, la notion d'intervention traduit un effort incessant de rationalisation du travail et son arrimage à des appareils et à des technologies divers. L'intervention se distingue donc de l'aide par son rattachement à des dispositifs hors de la praxis professionnelle. Intervenir, c'est agir de façon protocolaire par ces systèmes.

2. L'axe des schèmes pratiques renvoie à des schèmes pratiques d'actions incorporés constituant le monde vécu tel qu'il se présente au praticien. Ces schèmes sont des coups de main, des habitus, des routines tacites, comme autant d'évidences transversales aux divers acteurs de la nécessité d'agir. Il s'agit donc des règles pratiques de l'agir professionnel, ce que Soulet (1997) conceptualise comme des invariants praxéologiques. Ainsi, l'établissement de la relation, du climat de confiance, de la continuité relationnelle, entre autres, sont des conditions incontournables et transversales de toute action dans les métiers cliniques. Ici, la transversalité constitue un caractère invariant de ces schèmes mais d'une invariance praxéologique en ce sens que ce sont les raisons pratiques qui déterminent l'aire des possibles et donc l'espace de variation. Intervenir, c'est composer avec ces possibles de l'action située.

3. Autour de l'axe praxique, l'intervention renvoie au monde du désir, à la praxis comme mobilisation de soi dans des activités complexes et nécessaires au plan éthique. Il s'agit du monde des intentions, des projets, du sens auto attribué que prend toute action professionnelle dans le cadre d'une relation entre co-existants, usager et professionnel, en vue du rétablissement d'une commune humanité. Intervenir, c'est se mobiliser au plan existentiel en liant le soi personnel au soi professionnel.

Ces axes sémantiques sont dans les faits et selon des compositions diverses pour chaque situation de travail, investis et chargés de sens par les acteurs pour signifier l'intervention.

Intervenir auprès de...

On le voit, l'intervention se charge au plan sémantique des diverses composantes sociales du travail professionnalisé. Or, malgré sont extraordinaire polysémie et l'ampleur des sens qu'elle mobilise, la notion d'intervention conserve résolument son caractère d'extériorité formelle. Si elle désigne l'acteur professionnalisé et son action quant aux processus, aux méthodes, aux dispositifs ou aux finalités qu'elle actualise, et, si elle a le caractère translateur que je lui prête, elle demeure obstinément muette quant à l'autre pôle de la relation clinique: l'intervenu. En fait, elle est peut-être moins muette qu'elle ne s'exprime sous un lexique moins interventionniste. Qu'ils soient client, usager, patient ou bénéficiaire, l'intervention sera dite auprès, pour ou avec...peu importe le substantif. En fait, l'"éludation" prend la forme de ces trois petits points de suspension qui laissent place à toute désignation. Pourtant, il y aurait mise en forme (Cochoy, Dubuisson, 2000) et professionnalisation (Dondeyne, 2002) du client objet d'intervention. On lui attribue pour ce faire des tâches, des rôles, et des fonctions qui viennent normaliser le bon client. Si peu importe l'appellation, puisque toutes se valent a priori dans le contexte d'une suspension de sens, il demeure qu'on ne sait trop ce que sont les intervenus devenus.

Au moins deux pistes d'explication de cette suspension de l'intervenu sont envisageables. La première, évidente, postule une simple suffisance des désignations courantes pour dire l'objet: client, patient et autres termes similaires. Si tel est le cas, il y aurait découplage, au moins apparent, entre l'extraordinaire aggiornamento du lexique professionnel sous l'impulsion de la nécessité interdisciplinaire d'élaboration d'un interlangage et le lexique somme toute traditionnel pour désigner le client objet d'intervention. Mes travaux sur l'émergence d'un interlangage de l'intervention (en travail social, en gérontologie, en soins infirmiers, en enseignement, dans le cadre de lignes ouvertes radiophoniques) en démontrent pourtant la prévalence en de nombreuses sphères professionnelles. C'est pourquoi il est préférable d'explorer une autre piste explicative qui cherche à comprendre de l'intérieur l'attribution sémantique de l'intervenu.

Pour ce faire, le concept de technologies de soi (Foucault, 2001) doit être ici convoqué. L'intervention, comme le démontre la grammaire exposée supra, ne peut se réduire à un simple dispositif de domination, éventuellement soutenu de systèmes discursifs plus ou moins puissants. L'intervention trouve sa pleine efficacité dans sa capacité d'engager des pratiques de soi qui auront la signifiance existentielle nécessaire à leur performance. Pour ce faire, l'intervention exige de se réaliser dans un climax relationnel cherchant à réinstaurer la commune humanité de tous les acteurs. Ce climax permet une forme particulière de médiation clinique.

La médiation encline de l'intervention

On l'a vu, l'objet intervention est d'une telle ampleur qu'il croise et articule différents plans du travail sur le social. En ce sens, il est médiateur des possibles, des ressources et des demandes. L'intervenant peut alors être considéré comme une sorte de symbole incarné du travail sur le social qui permet au client de lire ses possibles. L'intervenant apparaît alors comme un condensé de sémiotique sociétale (comme les sociologues de la science parlent de condensé technologique pour un objet technique). Ce condensé se donne tout à la fois à lire (comme le symbole) et comme lecteur, comme opérateur d'actualisation. Cela soutient l'idée d'un lien fort entre intervention, entendue comme réalisation du travail sur le social, et programmation, entendue comme projection des nécessités du travail sur le social. L'intervenant (et son intervention) est donc à la fois signe, contexte, lecteur, texte et inscripteur de l'autre (et dans les faits de lui-même), à partir de programmes transversaux à l'action de divers groupes professionnels. Ces programmes n'ont rien de disciplinaires, ils permettent au contraire la transversalité du travail.

La fonction médiatrice est-elle une fonction formelle neutre? Est-elle un hall de gare sans orientation, un non objet, a-conditionnelle, sans effet d'inclinaison sur ses objets? S'il est vrai que "la médiation [...] se constitue comme l'horizon infranchissable de notre expérience, comme condition nécessaire, mais en même temps comme limite, de cette expérience même", et que "rien ne peut être réellement pensé en tant qu'extérieure à la médiation", (Crespi, 1983: 9), nous ne pensons pas qu'elle ne soit qu'une fonction formelle de l'action. Elle est action orientée, productive d'une pente de l'expérience, elle est encline...Elle est d'autant plus encline que l'on peut soutenir que la condition de l'homme moderne tend à l'émanciper de l'immédiateté, notemment dans un contexte de réflexivité où le symbolique sur-médiatise l'action et l'acteur.

Conclusion

Au total, c'est l'amour de l'autre qui rencontre l'exigence de l'amour de soi, dans le cadre général et standardisé de la médiation de l'intervention. La suspension de l'intervenu apparaît alors comme une condition d'efficacité du travail sur le social où l'intervenu se dissout dans une taxonomie des problèmes et l'intervenant dans un agent d'un programme d'intervention dont les orientations lui échappent en partie. La médiation clinique se comprend alors dans l'inclinaison générale des sciences humaines vers une forme d'objectivation médicale des sujets. Cela explique peut-être pourquoi le patient se perçoit fort peu patient, le client sans véritable choix, le bénéficiaire sans bénéfices, et l'usager hors d'usage. Se revendiquer intervenu serait-il mieux? Sans doute pas, mais cela permettrait peut-être au sujet de l'intervention et au praticien d'élucider un peu les forces de la mise en forme de l'amour de soi et de l'autre.

L'intervention est donc une médiation en plan incliné qui tend à orienter l'action de mise en forme du sujet. Ce travail de mise en forme est fondamental, il est l'objet même des sciences anthropologiques. Notre propos n'est donc pas de décrier quelque complot ni d'en appeler à la résistance. Il s'agit plutôt de construire comme objet le mode d'être actuel du sujet.

Yves Couturier

Notes:

1.- Pour plus de détails sur cette association, consulter le site sur Internet: http://www.adriss.org/

2.- L'ensemble des travaux sur lesquels s'appuie cet article a fait l'objet de plusieurs publications, nous ne les reprendrons donc pas systématiquement ici.


Références bibliographiques:

Barel, Y. (1973). La reproduction sociale. Systèmes vivants, invariance et changement, Paris, Anthropos, 1973.

Bourdieu, Pierre (1982). Ce que parler veut dire. L'économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard.

Cochoy, F. et S. Dubuisson (2000). "Les professionnels du marché: vers une sociologie du travail marchand", Sociologie du travail, Vol.42, no3: 335-359.

Couturier, Y. (2002). "Champ sémantique de l'intervention et formes transdisciplinaires du travail: le cas de la rencontre interprofessionnelle des infirmières et travailleuses sociales en CLSC", Nouvelles pratiques sociales, Vol.15, no1, 147-164.

Couturier, Y. (2003). "Le déploiement de l'intervention. Lecture d'un transversal interdisciplinaire à la lumière de l'herméneutique selon Foucault", Revue électronique de sociologie et de sciences sociales Esprit critique, Vol.6, no1, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr

Crespi, F. (1983). Médiation symbolique et société, Paris, Librairie des méridiens.

Dondeyne, C. (2002). "Professionnaliser le client: le travail de marché dans une entreprise de restauration collective", Sociologie du travail, Vol.44, no1: 21-36.

Dubois, J. (1973). Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse.

Ducrot, O. (1980). Les mots du discours, Paris, Éd. De minuit.

Foucault, M. (2001). L'herméneutique du sujet. Cours au Collège de France, 1981-1982, Paris, Seuil.

Lévy, A. (1997). Sciences cliniques et organisation sociale, Paris, P.U.F.

Nélisse, C. (1988). "Au-delà de l'opposition professionnalisme/technocratie: la protocolarisation de l'intervention", inédit.

Nélisse, C. (1997). "L'intervention: catégorie floue et construction de l'objet" dans Nélisse, C. et R. Zuñiga (dir.), L'intervention: les savoirs en action, Sherbrooke, éd. G.G.C.: 17-44.

Nélisse, C. (1993). "L'intervention: une surcharge de sens de l'action professionnelle", Revue internationale d'action communautaire., no29/69: 167-181.

Soulet, M. (1997). Petit précis de grammaire indigène du travail social. Règles, principes et paradoxes de l'intervention sociale au quotidien, Fribourg, Éd. universitaires de Fribourg.


Notice:
Couturier, Yves. "Que sont les intervenus devenus? La médiation encline des métiers cliniques.", Esprit critique, Automne 2004, Vol.06, No.04, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr
 
 
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