Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Automne 2004 - Vol.06, No.04
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Autour de l'intervention sociologique et de la recherche sur les nouveaux réseaux télématiques


Jean-François Marcotte

Fondateur et directeur de la revue Esprit critique. Président de l'Association de Diffusion et de Recherche Internationale en Sciences Sociales (ADRISS). Auteur d'un mémoire sur le phénomène des communautés virtuelles présenté à l'Université du Québec à Montréal et de plusieurs publications sur les interactions sociales en réseaux informatiques. Travaille actuellement comme conseiller au gouvernement du Québec.


Résumé

Cette présentation propose une discussion sur le rôle des sciences sociales face à l'intervention sociale lorsque celle-ci prend forme grâce aux technologies de l'information et de la communication. Nous abordons les thèmes du développement social, de l'intervention sociale, des communautés virtuelles et des usages sociaux des objets techniques dans ce contexte. Quatre grandes questions sont abordées: l'évolution des formes de solidarité sociale, l'appropriation des objets techniques par les acteurs et les communautés, le développement et l'intervention sociale, et finalement, la recherche sur les communautés virtuelles innovantes. Cette présentation démontre les possibilités qui s'ouvrent aux chercheurs qui s'intéressent à la recherche sur les communautés virtuelles constituées autour d'un projet d'intervention sociale.

Mots-clés: développement social, intervention, solidarités sociales, communautés virtuelles, innovation sociale.


Abstract

About sociological intervention and research on new telematic networks

This presentation offers a discussion on the role of social sciences regarding social intervention emerging from information and communication technologies. It is talked about subjects such as social development, social intervention, virtual communities, and social uses of technical objects in this context. Four issues are analysed: evolution of social solidarities forms, appropriation of technical objects by individuals and communities, development and social intervention, and finally, research works on innovative virtual communities. This presentation shows the possibilities offered to researchers interested in studying virtual communities aiming at a social intervention project.

Key words: social development, intervention, social solidarities, virtual communities, social innovation.


Introduction

On peut considérer l'intervention sociale[1] comme un outil au service de l'amélioration des conditions de vie humaines. Sa mise en oeuvre nécessite la présence de différents acteurs à la recherche de solutions à des problèmes concrets au sein de leur collectivité. Néanmoins, les nombreuses transformations que nos sociétés ont connues au cours des dernières décennies ont grandement changé le terrain d'intervention, par la modification des conflits et l'apparition de nouveaux problèmes sociaux. La mondialisation des économies de marché se situe parmi les facteurs importants de transformation des logiques socioéconomiques.

Face à ces transformations, les intervenants sociaux se trouvent confrontés à de nouvelles problématiques qui dépassent le cadre de leur intervention locale. En effet, la source de plusieurs conflits qui affectent les collectivités provient désormais de logiques qui dépassent les frontières de leur territoire d'intervention. Toutefois, certains intervenants, souvent poussés par l'intuition, ont mis en place des pistes de solution pour renverser ces obstacles à leur pratique par la mise en réseaux de leurs ressources sur une base interrégionale ou internationale. L'utilisation des outils de communication en réseaux informatiques a ainsi favorisé le déploiement de forces multinationales pour collaborer, partager les ressources et lutter contre les sources mondiales des conflits sociaux. Cette présentation vise à discuter l'émergence et l'usage de ces outils de collaboration au service du développement social comme phénomène social, et aussi, à explorer les possibilités d'intervention des sciences sociales pour contribuer à ce développement social à l'échelle internationale.

Dans cette présentation, nous allons nous intéresser à la recherche sur les technologies de l'information et de la communication et à l'intervention sociale au service du développement social. Nous allons analyser les paradigmes auxquels le chercheur est confronté dans l'analyse des communautés innovantes, l'analyse des acteurs sociaux du développement social et de l'innovation technologique qui permet la formation de communautés virtuelles. Nous allons ainsi nous intéresser à ces communautés virtuelles et nous pencher sur le rapport entre sociologie pure et sociologie appliquée au niveau de la recherche sociale sur les technologies de communication. L'objectif de cette présentation est d'analyser quatre grandes questions: l'évolution des formes de solidarité sociale, l'appropriation des objets techniques par les acteurs et les communautés, le développement et l'intervention sociale, et enfin, la recherche sur les communautés virtuelles innovantes.

1. L'évolution des solidarités sociales dans un contexte de communications mondiales

Les formes de solidarités sociales ont beaucoup changé au cours des dernières décennies. Elles ont changé dans l'adaptation à un contexte axé sur la mondialisation, la communication et le développement technologique.

1.1. La transformation des solidarités sociales

Durkheim a démontré que les formes de solidarités influencent la subjectivité des acteurs sociaux. Les formes de solidarités sociales sont aujourd'hui en mutation et le développement de rapports mondiaux grâce aux réseaux informatiques est susceptible de les influencer encore davantage. Si la solidarité mécanique est fondée sur l'homogénéité des pratiques et sur une conscience collectives forte, la solidarité organique s'appuie pour sa part sur une forme de solidarité sociale basée sur une conscience individuelle et sur un contrat social discuté (Durkheim, 1978). La division du travail social dans ce contexte va générer de nouveaux liens de solidarités basés sur une obligation de coopération organisée. L'accélération de la division du travail social va s'accompagner d'un développement effréné des moyens de communication.

Parler de technologie veut d'abord dire s'intéresser à la difficile fusion entre "science" et "technique". La technique implique par définition la fabrication des objets au service des êtres humains. Par contre, la science traditionnelle s'est toujours représentée comme une activité théorique hors du champ de l'activité concrète. Cette fusion intervient précisément au moment de la modernité où la science appliquée est née, dans une société rationnelle qui décide d'utiliser la connaissance scientifique pour résoudre ses problèmes pratiques (Ponce, 2003). La modernité a donc vu naître une science appliquée simultanément à une transformation de son mode d'objectivation. Ainsi, le processus de mise en forme des objets au service du mode production et de reproduction de la société va se transformer vers une société rationnelle dont les moyens de production vont considérablement évoluer (Lacroix, 1998). L'application réflexive de la connaissance va donc s'étendre à l'ensemble des sphères de la vie humaine (Giddens, 1994).

Toutefois, une nouvelle mutation du mode d'objectivation affecte aujourd'hui les sociétés contemporaines. Alain Touraine nous parle d'une "société programmée" dans laquelle le mode de production est bouleversé (Touraine, 1969). Tout serait maintenant orienté vers la conception d'orientations sociales plutôt que vers l'accumulation. Au niveau technologique, on fait maintenant face à de nouveaux "possibles" comme la mise en réserve des connaissances, l'automatisation de la prise de décision et le développement de réseaux mondiaux de communication. Un nouvel espace de développement s'est ouvert et de nombreux acteurs sociaux se sont appropriés les outils techniques leur permettant d'intervenir au niveau mondial. Un nouveau champ d'analyse s'ouvre aux sciences sociales: les systèmes sociaux mondiaux dans un environnement technologique.

Sous l'impact d'une extrême complexification de la division du travail social et de la mondialisation des sources de socialisation, les formes de solidarité sociale sont en mutation. Les nouvelles formes qui émergent s'appuient sur le développement d'une conscience individuelle des grands enjeux mondiaux et un désir d'engagement. L'acteur social intègre diverses visions idéologiques à ses propres représentations sociales. Avec le développement de moyens de communication au niveau mondial, les identités individuelles peuvent s'éloigner de la socialisation de la communauté d'origine. Et c'est ce processus de socialisation mondial qui soutient la formation de communautés virtuelles au niveau international. L'acteur de ces groupes internationaux oriente ainsi son action vers des problématiques mondiales, ou, du moins, des problèmes de développement local ayant des points communs avec des préoccupations dans d'autres collectivités.

1.2. La société de communication

Le déploiement des réseaux télématiques a suscité enthousiasme et scepticisme. D'abord, de nombreux acteurs ont participé à la création des dispositifs permettant cette communication en réseaux. C'est dans les années quarante qu'ont été développés les premiers supports permettant la mise en forme des aspirations de John Von Neumann et de Norbert Wiener. On assiste alors à un développement rapide des outils de communication à distance en matière de téléphonie et d'informatique. Pour sa part, le développement de communautés virtuelles n'est pas un phénomène nouveau. En effet, dès le début des années 70, avec le développement de réseaux inter-universitaires et l'invention du courrier électronique, des communautés scientifiques prennent formes. D'autres types de communautés naîtront grâce au développement des BBS (Bulletin Board Systems) et de Usenet. Enfin, on peut observer le déploiement massif des ordinateurs personnels dans la sphère grand public avec, notamment, l'apparition du World Wide Web (WWW) en 1992 (Rheingold, 1995). Ce passage des technologies de l'information et des communications (TIC) au public va permettre l'émergence de communautés en réseaux ayant pour autre objet le développement même des technologies.

Le développement technologique possède sa dynamique propre, influencée par les découvertes technologiques, la disponibilité des infrastructures, etc. Mais limiter le développement technologique à cette simple dimension structurelle serait très réducteur. En effet, le procès d'informatisation social, c'est-à-dire le mouvement d'application de l'informatique aux différentes sphères de l'activité humaine, s'installe à travers des rapports complexes entre divers agents sociaux. Ces acteurs de l'informatisation sont nombreux, allant des promoteurs jusqu'aux usagers, en passant par les instances gouvernementales. L'informatisation sociale se déploie à travers des politiques, des stratégies de développement technologique, des organismes communautaires et les usages sociaux des objets techniques (Lacroix et al., 1993).

La formation des usages sociaux est orientée simultanément par les producteurs de technologies et par les usagers. D'un côté, les stratégies d'implantation contribuent à prescrire un usage initial, par la promotion ou l'initiation. Bref, tout objet technique s'accompagne d'un discours et l'ensemble de ces discours contribue à l'implantation de l'"idéologie de la communication" (Lacroix et al., 1993). Le développement technologique participe ainsi à la mise en forme d'un projet de société. Cette idéologie à forte consonance utopique place l'acte de communiquer au centre de la vie sociale, et donc dans une société de relations et de consensus (Breton et Proulx, 1994). L'informatisation sociale est un phénomène largement déployé qui dépasse la simple utilisation d'objets techniques; des discours façonnent les institutions sociales.

Le développement technologique s'est appuyé sur la production humaine de différentes composantes techniques qui ont permis de déployer des environnements particuliers permettant l'échange à distance entre des êtres humains. Par le fait même, l'usage de ces technologies a permis le développement d'environnements dans lesquels ces individus ont appris à utiliser ces instruments et les ont eux-mêmes fait évoluer par leurs usages.

Si le développement technologique est certainement à la jonction de la technique et de la culture, il est clair que les principaux acteurs qui ont permis le développement initial des réseaux ont été majoritairement des informaticiens. Dans ce contexte, la performance des outils prend souvent le dessus sur une réflexion souhaitable relative aux usages sociaux de ces technologies. Les années ont passé, et aujourd'hui, l'usage de ces technologies est entré dans la vie de millions d'individus. Ces personnes échangent dans différents environnements virtuels et utilisent de nombreux outils pour leurs besoins de communication. Graduellement, ce sont les besoins des usagers qui exercent une pression sur l'ajustement des techniques aux besoins sociaux. De plus, l'interaction en réseaux génère des relations sociales et des communautés virtuelles, développant différents modes d'expression propres à ces environnements. La dimension culturelle des technologies de l'information et de la communication reprend la place qui lui revient.

La technologie et ses usages sont donc récupérés dans le quotidien des individus et leurs aspirations influencent, non seulement le développement des outils, mais aussi, la conjoncture des mondes. En effet, ces réseaux permettent l'intervention d'individus et de groupes face à des phénomènes sociaux, de près ou de loin, ou face à d'autres forces sociales. L'appropriation technique dans le quotidien des individus a de nombreux impacts.

La technique et la culture ne s'opposent pas, mais plutôt, s'influencent mutuellement. Si les premiers rapports sociaux en réseaux impliquaient surtout le développement des infrastructures technologiques, aujourd'hui, les instruments ont évolué à un stade où l'enjeu n'est plus le développement technique, mais plutôt, les rapports sociaux et les actions sociales qui émergent dans le cadre de la formation de projets sociaux, de groupes sociaux ou de lieux d'échange.

2. Des rapports sociaux en réseaux à la collaboration en réseaux

Des moyens de communication se sont mis en place et nombre d'individus se sont exposés à ces nouveaux "possibles" pour les rapports sociaux. Voyons comment se constituent des interactions sociales menant au développement de communautés virtuelles et de projets internationaux d'interventions.

2.1. Les rapports sociaux en réseaux et les communautés virtuelles

Un des éléments centraux pour comprendre la collaboration en réseaux passe par le concept d'"interaction". Le concept d'"interaction sociale" a fait l'objet de nombreuses études américaines au milieu du XXe siècle. Erving Goffman est l'un des principaux auteurs à s'être penchés sur ce concept et apporte de nouvelles approches d'analyse avec ceux d'"information sur l'autre" dans l'interaction, de la "prédiction des attentes" et du "contrôle individuel de l'information" (Goffman, 1973). Pour Theodore M. Newcomb, la "proximité écologique" est essentielle dans la formation de relations sociales par le fait que les rapports sont plus fréquents avec les gens physiquement plus près (Newcomb et al., 1970).

Dans le cas de l'interaction en réseaux, la proximité écologique n'a plus d'incidence sur la fréquence des rapports. La distance géographique entre les individus n'est plus un obstacle pour établir des interactions sur une base régulière. Une autre grande différence de l'interaction en réseaux est l'ajout d'une médiation technique entre les individus, en plus de la médiation sociale. L'individu se trouve simultanément en situation d'"interactivité" avec une machine et en "interaction" avec des individus (Proulx et Sénécal, 1995).

L'interaction en réseaux peut mener à la constitution de communautés virtuelles lorsque certaines conditions sont rassemblées. La formation d'un groupe ne se limite pas aux interactions, mais dépend de la formation de mécanismes particuliers: construction d'un système social, présence des opportunités d'interagir, capacité de coopération, uniformité des intérêts, différenciation des individus, etc.

Comprendre des actions de développement dans le virtuel nécessite la compréhension de la complexité des rapports entre individus, entre l'individu et le groupe, et entre les groupes. Tout projet de développement guidant l'action d'une communauté virtuelle se situe dans l'enchevêtrement de systèmes sociaux issus des communautés locales et de ces nouveaux groupes en réseaux. Et dans le cas des communautés virtuelles, il faut ajouter l'élément de l'appropriation des objets techniques en plus de l'adaptation des individus et des groupes aux contextes sociaux. Toute communauté s'inscrit donc dans des rapports de consensus et d'opposition à d'autres groupes, et c'est de là que se forme la vision et les valeurs de chaque groupe. (Bertin, 2002)

La formation de ces communautés virtuelles agissantes amène de nouvelles formes de solidarité sociale. On constate simultanément un désir d'individualité et d'engagement, et à la fois un désir de sociabilité et de collaboration. Ainsi, le lien social reste toujours très fragile dans ces communautés composées d'individualités fortes (Marcotte, 2001).

Nous sommes dans un contexte où les acteurs ont une forte individualité et une conscience collective développée. La coopération en réseaux n'est plus basée sur une obligation de coopération en vue d'atteindre un objectif précis, mais plutôt sur la libre association dans des systèmes collectifs décentralisés. Cette solidarité se distingue des groupes primaires et secondaires, et s'appuie plutôt sur une conscience individuelle forte et une volonté d'entraide. Cette forme de solidarité sociale s'appuie sur l'indépendance individuelle, la libre association et un désir d'entraide, où se confrontent différentes valeurs permettant un développement individuel et collectif toujours à réinventer.

2.2. L'intervention mondiale et la collaboration en réseaux

L'instauration d'une démarche d'intervention globale à l'échelle internationale nécessite la communication et la collaboration entre les intervenants. À ce titre, les outils technologiques de collaboration en réseaux sont une ressource centrale pour mettre en relation ces personnes réparties sur tous les continents. De plus, pour influencer les décisions affectant le sort des collectivités, des moyens de mobilisation, de partage des ressources et de participation sont nécessaires.

Ces nouvelles formes de mobilisation collective contribuent au développement d'une nouvelle forme de participation civile (George, 2002). Chacune des collectivités agissantes émerge dans un contexte particulier et se développe de façon variable, tant au niveau organisationnel qu'au niveau de son utilisation des technologies de l'information et de la communication (TIC). Dans certains cas, l'organisation existe préalablement et s'étend ensuite via les réseaux. Dans d'autres cas, la communauté virtuelle émerge de la rencontre des individus via Internet. Ces regroupements virtuels apparaissent autour d'un projet commun: "La Toile permet ici de représenter dans une certaine mesure l'établissement de liens plus ou moins étroits, plus au moins permanents entre différentes structures à partir d'objectifs et de projets communs ou proches." (George, 2002, p.183).

Ces outils de communication, tels les listes de diffusion, le courrier électronique et les sites Web, peuvent devenir des outils puissants de mobilisation. À titre d'exemple, l'Association pour une taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens (ATTAC) a réussi à atteindre 800000 visites provenant d'environ 90 pays grâce à son site multilingue (George, 2002). L'utilisation de listes de discussion en plusieurs langues a permis à plus de 10000 abonnés de discuter ensemble ou de s'informer. Cette association mise sur cette possibilité de partage des connaissances et de mobilisation pour accomplir sa mission, la "réappropriation" de l'avenir du monde par les citoyens (George, 2002). Utilisant des TIC pour le partage de l'information et la concertation, la collaboration en réseaux mène ensuite vers des actions concrètes pour influencer les décideurs ou pour fournir des ateliers d'éducation populaire sur le terrain. Que l'intervention finale soit locale ou qu'elle vise les décideurs internationaux, ce type de communautés virtuelles agissantes démontre l'existence d'une nouvelle logique sociale permettant une concertation des actions citoyennes au niveau international: "Les services d'Internet peuvent en effet être considérés comme des catalyseurs de l'action collective. Dans certains cas, le rôle du "Net" peut même être structurant." (George, 2002, p.184).

On voit donc que ces outils permettent l'échange d'information, la communication constante entre les partenaires, la sensibilisation du public, etc. En étant mieux organisés au niveau mondial, les acteurs sociaux peuvent ainsi comprendre globalement les problèmes, et proposer des solutions. Par un discours concerté, ces organismes arrivent à proposer des alternatives et à influencer la prise de décision dans des instances locales, nationales ou internationales.

Une communauté agissante se compose d'intérêts collectifs défendus par un groupe. Il faut comprendre ce qui engendre ce passage des intérêts personnels aux intérêts collectifs. Aussi, ces individus font le choix de s'unir en groupe et la constitution de ce groupe est riche en information sur l'action. Les règles et motivations du groupe sont aussi intéressantes à analyser que celles des individus pris séparément. C'est dans le passage au groupe d'action que se crée la dimension sociale, l'apparition de nouvelles formes de solidarités sociales (Bertin, 2002).

Le développement passe ainsi par des organisations qui se forment autour d'un projet commun. Tout projet de développement s'appuie sur une vision et c'est dans l'analyse de ce discours que l'on trouve les assises de la recherche sur le développement. Le développement passe par cette réappropriation du pouvoir de changer dans la société civile, et passe généralement par la prise en charge dans les communautés.

Le développement local est ainsi la jonction entre des motivations individuelles et un projet communautaire pour la collectivité (Bertin, 2002). Le développement en réseaux est aussi le produit de la confrontation de diverses visions vers la constitution d'un nouveau projet, et la solidarité qui s'y crée, appuyée sur la constatation des points communs, permet d'enrichir chaque acteur dans son intervention locale.

Ces phénomènes sont encore récents et l'utilisation de TIC dans l'action collective n'est souvent que partielle. De même, il ne faut pas tomber dans l'annonce d'une révolution démocratique à l'échelle mondiale considérant qu'à peine 2% de la population de la planète a accès au réseau Internet.

Il est toutefois important de se pencher en tant que chercheur sur ces initiatives car elles pourraient annoncer l'émergence d'une nouvelle forme de solidarité sociale à l'échelle internationale. Ces expériences démontrent que la participation politique peut se transformer à travers l'usage des TIC. Dès lors, il est essentiel d'étendre la recherche sociale à l'analyse de cette appropriation des outils informatiques par des communautés virtuelles agissantes et de la transformation culturelle qui s'opère à travers la collectivité en réseaux.

3. Le développement social et l'intervention sociologique

La formation de communautés virtuelles via les réseaux informatiques permet de mettre en place des projets internationaux de développement social. De la même façon que la sociologie peut appuyer les communautés locales dans le développement local, la recherche peut soutenir ces projets internationaux en réseaux. Si plusieurs approches de la sociologie d'intervention peuvent s'appliquer à ce type de projet, certains aspects particuliers doivent être pris en compte.

3.1. Le développement social international

Sous l'invitation de l'ONU, les chefs d'État se sont réunis en 1995 pour discuter et reconnaître l'importance du développement social et de l'urgence d'améliorer la condition humaine: la pauvreté, le chômage, l'exclusion sociale, les inégalités. Cette rencontre a engendré la Déclaration de Copenhague touchant à de nombreuses dimensions de la vie des collectivités.

La Déclaration reconnaît que le développement social est au coeur des besoins des individus et qu'il s'inscrit profondément dans les aspirations de la société civile (Déclaration de Copenhague, 1995). On y reconnaît que l'intervention doit d'une part se faire au niveau local en tenant compte des besoins de la société civile, et d'autre part, que plusieurs problèmes sont liés à la mondialisation des économies de marché et qu'il faut donc agir aussi mondialement. Parmi ces problèmes issus de la mondialisation économique, on y décèle la pauvreté et la famine, le chômage, une désintégration sociale, un fossé entre les riches et les pauvres, la détérioration de l'environnement.

La Déclaration détermine une vision du développement social basée sur la dignité humaine, les droits de l'homme, l'égalité, le respect d'autrui, la paix, la démocratie, la responsabilité mutuelle et la coopération (Déclaration de Copenhague, 1995). Elle vise à entreprendre des démarches favorisant le progrès social, la justice et l'amélioration de la condition humaine. Elle définit un cadre d'action guidé par l'idée de placer l'être humain au coeur du développement, et ce, grâce à une coopération internationale.

C'est précisément dans le partage des connaissances et dans la coopération mondiale que se situe une grande part des solutions. C'est là que la recherche sociologique peut intervenir au niveau de la mise en commun des expériences et des analyses entre nations.

Le rapport du sommet mondial pour le développement social définit des actions pour soutenir la prise en charge du développement par les communautés locales et les organismes communautaires. On y indique même l'importance de soutenir la recherche au service de l'élaboration de stratégie de développement social. La Déclaration de Copenhague sur le développement social touche presque à toutes les sphères de l'amélioration de la condition humaine. C'est effectivement dans cette visée que nous pouvons travailler au plan international, national, régional et local.

Quoique que la Déclaration ait ses limites, on peut s'en inspirer. Si les modes de production et de reproduction sont appelés à se transformer, et particulièrement sous l'impact de l'innovation sociale, cette déclaration pose les bases d'une définition commune, d'une reconnaissance des limites actuelles des systèmes de reproduction, et pose des engagements concrets pour tenter de changer l'état des choses. Ce sommet n'a pas inventé le développement, quoique le terme soit actuellement à la mode, le développement se fait depuis toujours. Toutefois, le Sommet est venu créer une vision commune et des outils pour favoriser le développement social. Cette volonté de changer ouvre une porte à l'intervention et à la recherche soutenant le développement au niveau international.

3.2. L'innovation sociale et l'intervention sociologique

La conception traditionnelle de la science pure maintient l'idée d'une non responsabilité de la science par rapport à son application (Ponce, 2003). Pourtant, le scientifique doit orienter son action au service du développement humain. Et cela ne veut pas dire sacrifier sa neutralité dans les débats, mais comprendre pour permettre d'agir ensuite. Une science qui cherche à s'exclure de toute responsabilité finit par s'exclure de la société même, et n'a plus aucune raison d'être. Le scientifique peut être politiquement neutre et livrer ses résultats de recherche au service du développement social. C'est même un devoir que de servir le développement des sociétés humaines. On ne peut donc pas exclure la science de la société, et encore moins le "social" des technologies.

Dans l'analyse des acteurs du développement social en lien avec l'innovation technologique, il n'est tout simplement pas possible de distinguer le "social" du "technique" car le développement d'une communauté, la planification, les actions et l'évolution des outils techniques se font de pair. Loin d'être contraint de trahir sa neutralité, la sociologie doit identifier dans son contexte d'étude les différentes forces sociales qui tentent d'orienter le développement autour du phénomène étudié. La sociologie doit être capable de comprendre les mouvements sociaux en place et les politiques qui interviennent. Par exemple, tout modèle de développement local ou régional s'inspire largement de réalités sociales, culturelles, économiques, politiques, voire même climatiques. L'historique des choix culturels et politiques qui ont orienté le contexte du développement est l'élément central à prendre en compte dans l'étude de ces phénomènes.

La sociologie est toute désignée pour combler cet espace d'analyse entre développement social et développement technologique, en faisant le pont entre "société", "science" et "technique". Elle a les outils pour analyser le contexte dans lequel on veut implanter une stratégie technologique et replacer ce projet au sein de la communauté qui la met en oeuvre. La sociologie peut comprendre les processus d'appropriation des outils techniques et des conditions sociales qui pourront favoriser le développement.

La capacité des objets techniques à soutenir le développement social introduit les études technologiques dans la dimension culturelle des communautés. Néanmoins, elle ne s'inscrit pas comme un déterminisme technique qui entraînerait systématiquement le progrès. Toute solution technologique soutenant le développement doit commencer par une analyse sérieuse du contexte social dans lequel il s'inscrit. Et c'est là que la recherche en science sociale peut servir le développement. Cela passe par l'analyse des comportements dans le quotidien, dans les représentations sociales et dans ses institutions. La sociologie devient alors l'instrument par excellence pour produire des analyses de contexte en soutien à l'élaboration d'une stratégie de développement (Ponce, 2003).

Dans cette démarche scientifique, il faut se méfier des techno-optimistes et des techno-pessimistes, qui sont tous deux dirigés par la pensée déterministe. L'étude des usages des technologies ne doit pas se limiter à ces analyses de surface guidée par des intentions intéressées. Le sociologue a le devoir d'observer ce qui se passe et d'en faire l'analyse (Proulx, 2000). Les déterministes sont de deux types. D'abord, le déterminisme technique qui suggère que le développement des technologies agit directement sur le changement social. De l'autre côté, il y a le déterminisme social qui avance que les forces sociales, politiques et économiques façonnent délibérément la forme des objets techniques (Proulx, 2000).

L'intervention du sociologue peut prendre essentiellement deux formes: l'action et le soutien de l'action par ses analyses.

Lorsque le sociologue se fait acteur, il peut contribuer au développement de plans d'actions. Il s'intéresse alors aux déploiements de liens stratégiques entre les acteurs du milieu, à la sensibilisation et à la formation en soutien au projet d'intervention. Les modes d'applications sont nombreux: éducation, animation, formation, activités de développement (Bertin, 2002). Il faut encourager les citoyens à prendre en charge la destinée de leur collectivité, les appuyer.

La recherche-action peut contribuer à trouver des solutions aux problèmes rencontrés sur le terrain d'intervention. Elle peut aussi appuyer le groupe dans sa réflexion sociale, faciliter les consensus avec d'autres instances dans la société, aider le groupe à établir des partenariats et aider à clarifier la vision sociale à la base du projet du groupe. Dans sa pratique d'intervention, le sociologue doit considérer les groupes comme les forces vives de développement sans toutefois oublier de considérer chaque projet au sein de la dynamique globale de la collectivité (Bertin, 2002).

Si le sociologue-acteur peut prendre position et se médiatiser, il peut aussi contribuer à la production de connaissances au service de l'action. Dans ce cas, on s'intéresse aux politiques, aux documents institutionnels, aux programmes, aux actions. On s'intéresse autant au contexte dans lequel s'exécute l'action des intervenants qu'à cette action elle-même. Le produit final se présentera sous forme de rapport de recherche ou d'évaluation. On retrouve alors l'évaluation comme champ de la sociologie pouvant documenter un contexte, une organisation ou un processus. Il est clair ici que le sociologue reste neutre et ne s'immisce pas dans le processus décisionnel. On peut dire qu'il soutient les décideurs à faire des choix éclairés.

La recherche peut ainsi utiliser toute une variété de matériau via les politiques, l'observation, les documents institutionnels, des entrevues et toutes formes d'expression des acteurs en cause (Bertin, 2002). Il faut d'abord comprendre le contexte qui explique l'action. Il faut aussi comprendre la pratique des acteurs impliqués et c'est en se penchant sur les motivations, les représentations sociales et les modes d'interactions qu'on peut y arriver. On peut ainsi mettre en valeur la sociologie à travers ses modes d'analyse basés sur une meilleure compréhension de la complexité sociale. Voyons maintenant comment la recherche en sciences sociales peut s'intéresser à l'intervention au sein de communautés virtuelles.

4. La recherche sur les communautés virtuelles

La communication en réseaux informatiques n'est pas une mode passagère, il ne faut pas la craindre, la nier, mais l'analyser, la comprendre, pour mieux intervenir. Pour y arriver plusieurs approches ont été utilisées et de nouveaux outils théoriques et méthodologiques seront encore à développer pour permettre de faire émerger ce nouveau champ d'étude. De nouveaux axes de recherche s'ouvrent aux sciences sociales: la construction des objets techniques, l'appropriation des objets techniques et la formation de communautés virtuelles en action.

4.1. Analyser les rapports sociaux en réseaux

Le sociologue peut analyser les rapports sociaux en réseaux sous plusieurs angles. Il peut d'abord, par ses analyses théoriques, expliquer les rapports entre différentes forces dans la construction macrosociologique du développement des rapports sociaux entourant le développement des réseaux internationaux. Il peut aussi produire l'analyse sociohistorique des mouvements sociaux qui ont permis le développement technologique et la formation des institutions qui ont orienté son développement. Il peut enfin analyser des phénomènes spécifiques et en comprendre les rapports complexes entre les acteurs qui leur donnent vie, afin de réinjecter ses résultats de recherche pour le développement d'autres projets sociaux. Il s'agit de l'utilisation des résultats de recherche au niveau de l'intervention sociale dans le domaine des technologies de communication.

Dans la visée des approches constructivistes, on peut considérer que le développement technologique est un processus dynamique entre l'univers technologique et le contexte social. Autrement dit, les promoteurs de technologie agissent sur les forces sociales par des discours visant à créer l'adhésion au développement des objets techniques. D'une part, la construction des objets techniques est issue d'un processus de construction sociale. La recherche peut alors se pencher sur les conceptions socioculturelles des innovateurs (Proulx, 2000). D'autre part, les usages sociaux des objets techniques évoluent dans la pratique vers une stabilisation. On pourra mieux comprendre ce processus d'adaptation de l'objet technique dans la relation entre les acteurs et les innovateurs. Il faut donc analyser les réseaux d'acteurs impliqués dans l'innovation, celle qui génère de la solidarité sociale grâce au réseautage utilisant des TIC (Proulx, 2000).

Si l'initiateur de l'objet technique inscrit l'usage spécifique de l'objet, leurs usages sociaux sont aussi très fortement développés par les utilisateurs. L'acteur impliqué dans le projet de développement social s'initie aux objets techniques qu'il trouve ou qu'on lui offre, et entre en processus d'évaluation de l'objet pour l'adapter à ses besoins. La réception du discours, la récurrence de l'utilisation et l'adaptation de l'objet aux besoins spécifiques sont autant de moyens pour mettre en formes les usages sociaux des objets techniques. Les usages sociaux sont donc l'implantation d'une pratique dans les habitudes, dans la culture, dans le système normatif et même dans le processus de socialisation des individus (Marcotte, 2001).

Il est donc question d'appropriation d'objets techniques par des individus et des groupes poussés par des projets de développement social, comme par exemple les nombreux réseaux pour la sauvegarde de l'environnement que l'on retrouve sur Internet. Il faut analyser l'imbrication du développement social et de l'innovation technologique dans la construction de réseaux sociaux. Il faut aussi s'intéresser à la représentation des acteurs pour comprendre le développement et l'innovation (Proulx, 2000).

C'est dans la comparaison entre le projet initial des acteurs et l'état d'avancement que l'on peut comprendre le processus d'innovation, par l'analyse dynamique de l'évolution du projet "social" et de l'évolution des objets techniques aux services de ce développement. Il faut donc se pencher sur l'évolution des représentations des acteurs. On ne peut donc que rejeter le déterminisme technologique si l'on considère que l'acteur est confronté à une offre technologique de la part d'un producteur, et recherche automatiquement l'adaptation des objets aux fins du projet "social" défendu par les groupes.

4.2. Analyser l'évolution des communautés virtuelles

La formation des usages sociaux des objets techniques est un processus complexe entre des acteurs qui passe par l'appropriation de ces usages dans lesquels l'individu fait face à une médiation technique et une médiation sociale. La compréhension du rapport entre l'individu et l'objet et en relation à la culture des autres usagers est essentielle.

Il faut d'abord analyser le passage entre les usages sociaux et la formation des communautés virtuelles. Dans le cas des rapports sociaux en réseaux, il est essentiel de comprendre les dimensions technique et culturelle. Avant même d'accéder à des environnements technologiques permettant les interactions en réseaux, l'individu a sa propre identité et ses propres références culturelles. Ensuite, pour s'approprier l'objet technique lui permettant d'entrer en relation avec les autres, l'individu doit faire face à une médiation technique. Il doit apprendre à utiliser un ordinateur, puis un logiciel. Graduellement, il acquiert les habiletés techniques, mais se trouve confronté à un nouveau système de valeurs, développé par les autres usagers. Il découvre alors un nouvel espace culturel, il doit apprendre des règles, des valeurs, des modes d'expression, etc. C'est à travers ses interactions avec les autres qu'il fera sa place au sein d'un groupe. Ces premières expériences sont déterminantes dans l'appropriation individuelle de l'objet technique et dans son intégration au groupe (Marcotte, 2001).

Chaque objet technique renferme des contraintes et offre des possibles aux acteurs. Toutefois, chaque besoin, chaque usage social en développement provoque l'objet technique et cherche à l'adapter à ses besoins. Par exemple, un dispositif peu convivial peut rendre l'apprentissage technique difficile. Certains environnements virtuels favorisent davantage la formation de groupes alors que d'autres favorisent des relations ponctuelles entre usagers. Ainsi, l'objet technique peut avoir une grande influence sur les pratiques développées. Toutefois, les individus ne sont pas esclaves des objets et on observe même l'usage simultané de plusieurs outils de communications pour permettre les usages souhaités par ces personnes (Marcotte, 2001).

Les champs d'analyse des communautés virtuelles sont pratiquement illimités, à mi-chemin entre la formation des groupes sociaux dans l'interaction en réseaux et la constitution d'une vision commune orientant l'action du groupe. On peut d'abord analyser la formation des usages sociaux des objets techniques, qui servent de moyen de communication au groupe. On peut ensuite s'intéresser au processus d'intégration des individus aux communautés virtuelles, dans la confrontation des motivations personnelles et de la vision du groupe. On peut aussi analyser les mécanismes de régulation des groupes comme le système normatif, l'appartenance, les valeurs, etc. En effet, toute communauté virtuelle se construit graduellement à travers la création de mécanismes de régulation visant le maintien du groupe. Ces mécanismes passent par l'utilisation d'un territoire virtuel commun, la formation d'un sentiment d'appartenance au groupe, le déploiement d'un système d'autorité et de sanctions adapté aux besoins, le soutien au leader du groupe, etc. Bref, un ensemble de règles, de valeurs et de pratiques propres au groupe se forme graduellement, et un univers symbolique propre aux membres du groupe s'installe à travers un processus de socialisation particulier (Marcotte, 2001). On peut ensuite s'intéresser aux pratiques du groupe, à la formation de son identité sociale et à la vision qui mène ses actions. On peut donc analyser le jeu entre les motivations individuelles et la participation à une communauté.

Les sciences sociales peuvent intervenir en replaçant le champ du développement technologique dans le cadre du développement culturel. Culture et technique s'influencent et se développent l'une à travers l'autre dans les interactions en réseaux. Et c'est là même que l'on peut dépasser la coupure entre ces deux termes, n'ayant plus son sens aujourd'hui puisque la vie sociale et les usages sociaux des technologies s'interpénètrent. La technique n'est pas déshumanisante et de nombreux usages sociaux des technologies de l'information le démontrent. Les sciences sociales peuvent justement intervenir pour mettre fin à ce système technicien ou technocrate et expliquer ce rapport entre culture et technique. Plus encore, elles peuvent contribuer au développement technologique au service des actions humaines par leurs interventions sociales, tant au niveau du développement technologique qu'au niveau du soutien aux groupes sociaux dans leurs actions à travers l'usage de la technique. Elles peuvent assister le développement de projets sociaux en favorisant l'adaptation des technologies aux besoins des communautés.

Conclusion: Le développement social et la coopération internationale

La société contemporaine amène son lot de problèmes sociaux: pauvreté, inégalités, intégration sociale, inforiches/infopauvres, etc. Les causes des déséquilibres sociaux peuvent maintenant provenir de logiques mondiales. L'intervenant social doit, pour agir sur ces problèmes mondiaux, dont l'influence peut s'étendre au niveau local, faire pression sur des instances extra-nationales. Il faut favoriser le réseautage des intervenants de tous les pays.

L'analyse sociologique peut mettre en lien le local et le global, rendre compréhensible cette connaissance globale pour appuyer le local, et tirer des leçons du local pour appuyer le développement mondial. Dans ces recherches au service du développement social, l'analyse des rapports sociaux en réseaux permet de passer du développement local au développement social mondial.

La sociologie des rapports en réseaux peut contribuer au développement social. Elle peut, au niveau pratique, mettre ses analyses des applications de communication au service des projets de développement. Et particulièrement, la recherche doit s'inscrire dans un contexte de travail interdisciplinaire. Le développement technologique a toujours un lien étroit avec les usages sociaux des technologies et les individus qui les utilisent. Le sociologue peut ici se faire conseiller, évaluer les mécanismes sociaux à l'oeuvre au sein de communautés virtuelles, pour ensuite réinjecter cette connaissance au service du développement des communautés. Analyser la formation de communautés virtuelles nous renseigne sur l'évolution des formes de solidarité sociale et nous permet de surveiller les forces d'affaiblissement des instances d'intégration et de solidarité.

Le rôle d'une sociologie intervenante est de réseauter, de favoriser la mise en commun des actions vers un développement global plus cohérent. On peut ainsi encourager l'action sociale au niveau local en soutenant le réseautage des forces vives de partout. La recherche sur les réseaux peut être d'un grand apport à l'intervention sociale. Une meilleure compréhension des processus sociaux en cause dans le développement des outils techniques au service de l'intervention sociale permet d'éclairer les usages des objets techniques dans l'action, le lien entre les usages sociaux et les pratiques sociales.

Confectionner des actions pour réseauter contribue aussi au passage du local au mondial. Les intervenants sociaux se concentrent généralement sur le développement local, et pourtant, l'intervention locale pourrait bénéficier davantage de la mise en commun au niveau mondial. Et les sciences sociales peuvent soutenir l'émergence d'initiatives au service du développement social.

Intervenir veut dire s'immiscer dans quelque chose qui a déjà sa dynamique. Il faut donc ajouter en faisant attention de ne pas perturber les dynamiques en place. Le rôle de l'intervenant social est de créer pour répondre aux besoins sociaux, agir pour améliorer notre monde. Intervenir c'est agir sur la base de ce qui est solidement démontré. Intervenir ne veut pas dire faire de la mauvaise science, mais s'appuyer sur les pratiques et modèles scientifiques pour agir efficacement.

Jean-François Marcotte

Notes:

1 - Dans ce texte, nous utilisons le terme "développement" au sens d'un ensemble de transformations des systèmes sociaux, au contact d'actions visant l'amélioration des conditions de vie des individus qui composent une société. Le terme "intervention" désigne ces actions sur les systèmes sociaux, actions généralement intentionnelles visant à corriger certains problèmes sociaux. Ces actions sont posées par des citoyens ou par des intervenants formés à cette fin selon une méthode spécifique. L'expression "travail social" désigne le champ d'action des intervenants formés dans le domaine de l'intervention sociale. Dans ce texte, nous nous intéressons plus particulièrement aux intervenants regroupés qui utilisent les technologies de l'information et de la communication (TIC) afin d'agir sur la collectivité.


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Notice:
Marcotte, Jean-François. "Autour de l'intervention sociologique et de la recherche sur les nouveaux réseaux télématiques", Esprit critique, Automne 2004, Vol.06, No.04, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr
 
 
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