Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Automne 2004 - Vol.06, No.04
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Les chefs de culte du candomblé: des travailleurs sociaux comme les autres?


Sylvie Chiousse

Docteur en sociologie et anthropologie, EHESS Paris. Après une thèse sur le candomblé au Brésil et les relations religion - santé - développement (Divins thérapeutes - La santé au Brésil revue et corrigée par les Orixás, en ligne notamment sur CCSD thèses-EN-ligne http://tel.ccsd.cnrs.fr/), mène des travaux depuis quelques années sur les relations formation-emploi, l'insertion sociale et professionnelle des jeunes, l'apprentissage des adultes. Dernière production significative sur ce thème: Chiousse S. (2001) Pédagogie et apprentissage des adultes - An 2001... État des lieux et recommandations - Rapport pour L'examen thématique de l'apprentissage des adultes, OCDE, Paris (www.oecd.org/els/education/reviews/).


Résumé

Après avoir tenté de saisir ce que l'on entend sous l'expression "travail social" en interrogeant notamment des bases de données sur les référentiels d'emploi et de formation, puis, défini les quatre grands rôles attribués aux travailleurs sociaux par l'intermédiaire des travailleurs sociaux eux-mêmes notamment, cet exposé s'attache à transposer ces rôles sur une autre population, en l'occurrence les chefs de culte du candomblé. Il s'agit alors de distinguer des différences et similitudes dans les fonctions et attitudes des uns par rapport aux autres, de réinterroger la définition initiale donnée et, au regard de ces éléments et des nouvelles donnes en matière de formation et de certification (la validation des acquis de l'expérience par exemple), de re-évaluer la question des statuts et de la légitimité des uns et des autres.

Mots clés: Travail social, travailleur social, intervention sociale, assistance, compétence professionnelle, religion, candomblé, légitimité.


Introduction

Qu'est-ce que l'intervention sociale, qui sont et que font les travailleurs sociaux? Comment les définit-on? Les rôles et fonctions qu'on leur attribue peuvent-ils être transposés sur d'autres populations? Celle des chefs de culte du candomblé[1] par exemple... Jusqu'où peut aller la comparaison?

Après avoir tenté de saisir ce que l'on entend sous l'expression "travail social", défini les grands rôles attribués aux travailleurs sociaux, cet exposé s'attache à transposer ces rôles sur une autre population, en l'occurrence les chefs de culte du candomblé, afin de distinguer des différences et similitudes dans les fonctions et attitudes des uns et des autres et de réinterroger la définition initiale donnée et la question des statuts et de la légitimité qui en découle pour chacun.

L'essai comparatif est toujours périlleux, tant il est certain que l'on peut comparer tout et n'importe quoi. La comparaison tentée ici est donc forcément abusive, voire caricaturale, mais, paradoxalement, il faut parfois aller chercher très loin pour comprendre et mieux cerner ce que l'on a tout près...

1. Travail social et travailleur social: de quoi parle-t-on?

"Travail", "social", deux termes d'un niveau de langue commun, appartenant au langage courant et dont l'association est également bien ancrée dans le "parler quotidien". Deux termes aussi qui, séparés comme joints, appellent un certain nombre de remarques et travaux dans les médias ou ailleurs, quelles qu'en soient la diffusion, la portée et la spécialisation. Une simple interrogation par un quelconque moteur de recherche sur Internet suffit à s'en assurer: au mot clé "travail social", Google affiche pas moins de 2'100'000 réponses... Autant d'écrits sur le sujet laissent à penser que l'on sait aisément de quoi il s'agit, autant pour la perception commune que pour des champs plus spécialisés.

1.1. Perception commune

"Dans la perception commune, le "travail social" est mené par une catégorie de travailleurs appelés "les travailleurs sociaux"... Le travailleur social est celui qui aide, assiste, écoute, conseille des individus plus ou moins en difficulté.

Cette première tentative de définition que l'on retrouve aisément dans tous les lieux de vulgarisation pose déjà un jalon dans l'écheveau des questions nécessaires pour tisser au plus près ce qu'est le travailleur social: l'assistance et le conseil ont un a priori plus professionnel que l'aide et l'écoute, qui sont autant, voire plus, des qualités humaines qu'un des aspects d'une activité professionnelle spécifique. Qui plus est, l'aide et l'écoute ne sont pas spécifiques à la spécialité "travail social" et de nombreuses autres activités professionnelles (ou pas) nécessitent elles aussi un minimum d'aide et d'écoute.

On se heurte d'ores et déjà ici à une première hésitation dans la définition et un vide à combler entre ce qui relève du professionnel d'un métier et ce qui relève du personnel, de l'intrinsèque à l'individu et qui est donné, utilisé dans l'activité professionnelle - sans être pour autant un impératif professionnel. Une étude précédente (Chiousse en collaboration avec Porcu, 2002), menée sur des élèves infirmières - à qui l'on demandait en cinq termes de définir ce qu'était un infirmier / une infirmière - parvenait sensiblement aux mêmes défis. La grande majorité de ces étudiants décrivait ce qui allait être leur profession par des qualités personnelles - comme si ces qualités personnelles (écoute, douceur, patience, courage, altruisme, gentillesse, sociabilité...) faisaient le métier et devenaient par là même les compétences professionnelles nécessaires - et suffisantes - à l'exercice.

De la même façon, lorsque l'on évoque le "travail social", les professionnels de ces activités, comme ceux qui en parlent, associent nécessairement des qualités personnelles à la profession.

Du coup, dès le départ, se pose un subsidiaire à ce questionnement: on ne sait pas bien finalement s'il s'agit d'une profession, d'un métier... ou d'une vocation. On entrerait alors dans la carrière du travail social comme on entre en sacerdoce(!).

Certains pourraient alors voir ici une transition facile avec les chefs de culte qui seront abordés dans la section suivante: il n'en est rien. Cette première définition et cette perception commune ne suffisent pas à cerner ce qu'est un travailleur social, dans les faits. Il faut pousser un peu plus la recherche, auprès notamment des spécialistes des qualifications et autres spécialistes du métier.

1.2. Recherche sur les bases de donnée du Céreq

Le Céreq - Centre d'études et de recherches sur les qualifications - semble être le lieu où tout se joue, tout s'étudie, tout s'analyse en termes de formations, qualifications, emplois. Il dispose de référentiels des métiers, professions, formations, diplômes pour chaque branche d'activité - et pour avoir une idée un peu plus précise de ce que sont les travailleurs sociaux, il semblait pertinent d'interroger son moteur de recherche (voir www.cereq.fr).

Au mot clé"travailleur social": pas de réponse.

L'étude s'est alors penchée sur ce qui était donné par branches d'activités.

Les "portraits statistiques de branches"[2]

Le seul item (sur 23 - voir tableau 1) relatif à la question est "Santé - action sociale": il est intégré à l'ensemble des activités du tertiaire, comme l'éducation et le commerce de gros, et regroupe les sous-secteurs "activités hospitalières", "pratique médicale et dentaire", "hébergements sociaux" et "aide à domicile".

Tableau 1 - Nomenclature des secteurs d'activité

GRANDS SECTEURS, Secteurs, sous-secteurs - (Codes NAF)

IND

ENSEMBLE DES ACTIVITES INDUSTRIELLES - (10 à 41)

01

Industries agroalimentaires - (15)

BA

industries des viandes - (151)

BB

conserves, glaces, biscuits, pâtes, thé-café, etc. - (153A-E-F, 155F, 158F-K-M-P-R-T-V)

BC

boulangeries, pâtisseries artisanales - (158C-D)

02

Textile, habillement, cuir, chaussure - (17 à 19)

CA

textile - (17)

CB

habillement, cuir, chaussure - (18, 19)

03

Bois et ameublement - (20, 361)

DA

travail du bois - (20)

DB

meubles - (361)

04

Papier, carton, presse, édition - (21, 22)

EA

industrie du papier et du carton - (21)

EB

édition - (221, 223)

EC

imprimerie de labeur et industries graphiques - (222C-E-G-J)

05

Chimie, caoutchouc, matières plastiques - (24, 25)

FA

chimie hors pharmacie - (241, 242, 243, 245, 246, 247)

FB

pharmacie - (244)

FC

caoutchouc - (251)

FD

plasturgie - (252)

06

Verre, céramiques et matériaux de construction - fabrication et extraction - (14, 26)

GA

matériaux de construction, extraction et fabrication - (141A-C-E, 142A-C, 143, 145, 262, 263, 264, 266, 267, 268), (hors ciments et chaux: 265)

07

Métallurgie - (27 à 35)

HA

métallurgie et fonderie - (27)

HB

travail des métaux - (28)

HC

machines et équipements - (29)

HD

équipements et composants électroniques, informatiques, télécom - (30, 32)

HE

machines et appareils électriques, câbles - (31)

HF

équipements et instruments de précision - (33)

HG

construction automobile - (341, 342)

HH

équipements automobiles - (343)

HI

construction aéronautique et spatiale - (353)

CONS

ENSEMBLE DES ACTIVITES DE LA CONSTRUCTION - (45)

08

Construction - (45)

IA

travaux publics - (451, 452C-D-E-F-N-P-R-U, 453H, 455)

IB

gros oeuvre - (452A-B-T-V)

IC

second oeuvre - (452J-K-L, 453A-C-E-F, 454)

TER

ENSEMBLE DES ACTIVITES TERTIAIRES - (50 à 95)

09

Commerce et réparation automobile - (50)

10

Commerces de gros - (51)

KA

commerces de gros de produits alimentaires - (513)

KB

grossistes en biens de consommation non alimentaires - (514)

KC

autres commerces de gros - (515, 516)

11

Commerces de détail et réparation d'articles domestiques - (52)

LA

grandes surfaces à prédominance alimentaire - (521D-E-F-H)

LB

commerces alimentaires de proximité - (521B-C, 522)

LC

commerces de produits pharmaceutiques - (523A)

LD

commerces d'articles textiles et de cuir - (524A-C-E-F)

LE

commerces de meubles, équipements du foyer, bricolage - (524H-J-L-N-P-U)

12

Hôtels, cafés, restaurants - (55)

MA

restauration collective - (555A-C)

MB

restauration rapide - (553B)

MC

hôtellerie-restauration de type traditionnel - (551, 553A, 554)

13

Transports - (60 à 63)

NA

transports routiers de voyageurs - (602A-B-C-E-G)

NB

transports routiers de marchandises - (602L-M-N-P)

NC

manutention, entreposage, gestion, organisation de transport de fret - (631, 632, 634)

14

Télécommunications - (642)

15

Activités financières - (65 à 67)

PA

banques AFB - (651C)

PB

banques mutualistes et Caisses d'épargne - (651D-E)

PC

assurances - (66)

PD

auxiliaires financiers et d'assurance - (67)

16

Activités immobilières - (701 à 703)

QA

promotion, gestion immobilière - (701, 703)

QB

location immobilière - (702)

17

Activités informatiques - (72)

18

Activités de conseil et assistance aux entreprises - (741 à 744)

SA

activités juridiques - (741A)

SB

activités comptables - (741C)

SC

études de marché et conseil - (741E-G)

SD

administration d'entreprises - (741J)

SE

ingénierie, études techniques - (742C)

SF

publicité - (744)

19

Services opérationnels aux entreprises - (745 à 748)

TA

travail temporaire - (745B)

TB

enquêtes et sécurité - (746)

TC

activités de nettoyage - (747)

TD

services divers aux entreprises - (745A, 748)

20

Education, formation - (80)

UA

organismes de formation - (804C-D)

21

Santé et action sociale - (85)

VA

activités hospitalières - (851A)

VB

pratiques médicales et dentaires - (851C-E)

VC

hébergements sociaux - (853A-B-C-D-E-F-G-H)

VD

aide à domicile - (853J)

22

Activités récréatives, culturelles et sportives - (92)

WA

activités de spectacle hors activités audiovisuelles - (923)

WB

activités audiovisuelles - (921, 922)

WC

activités liées au sport - (926)

23

Services personnels et domestiques - (93, 95)

YA

coiffure - (930D)

Source: http://mimosa.cereq.fr/psb/NomenclatureA1 [en ligne]

L'association "santé - action sociale" et les sous-secteurs qui le constituent nous font donc, ici, quelque peu sortir de notre champ (commun), puisque dans le secteur d'activité ainsi affiché par le Céreq entre autres, la médecine y est intégrée (médecins, dentistes...).

Pour resserrer le champ d'investigation - de manière à mieux délimiter notre objet - nous avons alors lancé la recherche dans une autre direction, celle de la formation de ces travailleurs.

Partant du postulat que les travailleurs sociaux bénéficient d'une reconnaissance académique de leur statut, sanctionnée par un diplôme[3], l'interrogation s'est alors portée sur la base Reflet (Référentiels et flux de l'enseignement technique) du Céreq, qui répertorie tous les diplômes (ainsi que les flux des élèves, les transformations, évolutions, abrogations des dits diplômes, etc.) par groupes de spécialités.

Les "groupes de spécialités" du Céreq

Si l'on s'attache maintenant à rechercher dans les catégorisations des formations par "groupes de spécialités", sur les 93 spécialités recensées, il y a bel et bien une spécialité intitulée "Travail social" (en surligné jaune dans le tableau 2), ce qui signifie donc que les "travailleurs sociaux" sont "formés", qu'ils émanent d'une spécialité spécifique - ce qui doit ainsi nous permettre, à l'aide du (ou des) diplôme(s) dont ils sont porteurs, de retrouver et de cerner ce qu'ils sont et ce qu'ils font.

Tableau 2 - Les formations par groupes de spécialités

CODE

GROUPES DE SPECIALITES

100

Formations générales

110

Spécialités pluriscientifiques

111

Physique-chimie

112

Chimie-Biologie, biochimie

113

Sciences naturelles (biologie-géologie)

114

Mathématiques

115

Physique

116

Chimie

117

Sciences de la terre

118

Sciences de la vie

120

Spécialités pluridisciplinaires sciences humaines et droit

121

Géographie

122

Economie

123

Sciences sociales (y.c. démographie, anthropologie)

124

Psychologie

125

Linguistique

126

Histoire

127

Philosophie, éthique et théologie

128

Droit, sciences politiques

130

Spécialités littéraires et artistiques plurivalentes

131

Français, littérature et civilisation française

132

Arts plastiques

133

Musique, arts du spectacle

134

Autres disciplines artistiques et spécialités artistiques plurivalentes

135

Langues et civilisations anciennes

136

Langues vivantes, civilisations étrangères et régionales

200

Technologies industrielles fondamentales (génie industriel et procédés de transformation, spécialités à dominante fonctionnelle)

201

Technologies de commandes des transformations industrielles (automatismes et robotique industriels, informatique industrielle)

210

Spécialités plurivalentes de l'agronomie et de l'agriculture

211

Productions végétales, cultures spécialisées et protection des cultures (horticulture, viticulture, arboriculture fruitière)

212

Productions animales, élevage spécialisé, aquaculture, soins aux animaux y.c. vétérinaire

213

Forêts, espaces naturels, faune sauvage, pêche

214

Aménagement paysager (parcs, jardins, espaces verts, terrains de sport)

220

Spécialités pluritechnologiques des transformations

221

Agro-alimentaire, alimentation, cuisine

222

Transformations chimiques et apparentées (y.c. industrie pharmaceutique)

223

Métallurgie (y. c. sidérurgie, fonderie, non ferreux...)

224

Matériaux de construction, verre, céramique

225

Plasturgie, matériaux composites

226

Papier, carton

227

Energie, génie climatique (y.c. énergie nucléaire, thermique, hydraulique; utilités; froid, climatisation, chauffage)

230

Spécialités pluritechnologiques, génie civil, construction, bois

231

Mines et carrières, génie civil, topographie

232

Bâtiment: construction et couverture

233

Bâtiment: finitions

234

Travail du bois et de l'ameublement

240

Spécialités pluritechnologiques matériaux souples

241

Textile

242

Habillement (y. c. mode, couture)

243

Cuirs et peaux

250

Spécialités pluritechnologiques mécaniques-électricité (y. c. maintenance mécano-électrique)

251

Mécanique générale et de précision, usinage

252

Moteurs et mécanique auto

253

Mécanique aéronautique et spatiale

254

Structures métalliques (y. c. soudure, carrosserie, coque bateau, cellule avion)

255

Electricité, électronique (non c. automatismes, productique)

300

Spécialités plurivalentes des services

310

Spécialités plurivalentes des échanges et de la gestion (y. c. administration générale des entreprises et des collectivités)

311

Transport, manutention, magasinage

312

Commerce, vente

313

Finances, banque, assurances

314

Comptabilité, gestion

315

Ressources humaines, gestion du personnel, gestion de l'emploi

320

Spécialités plurivalentes de la communication

321

Journalisme et communication (y. c. comm. graphique et publicité)

322

Techniques de l'imprimerie et de l'édition

323

Techniques de l'image et du son, métiers connexes du spectacle

324

Secrétariat, bureautique

325

Documentation, bibliothèques, administration des données

326

Informatique, traitement de l'information, réseaux de transmission des données

330

Spécialités plurivalentes sanitaires et sociales

331

Santé

332

Travail social

333

Enseignement, formation

334

Accueil, hôtellerie, tourisme

335

Animation culturelle, sportive et de loisirs

336

Coiffure, esthétique et autres spécialités des services aux personnes

340

Spécialités plurivalentes des services à la collectivité

341

Aménagement du territoire, développement, urbanisme

342

Protection et développement du patrimoine

343

Nettoyage, assainissement, protection de l'environnement

344

Sécurité des biens et des personnes, police, surveillance (y. c. hygiène et sécurité)

345

Application des droits et statuts des personnes

346

Spécialités militaires

410

Spécialités concernant plusieurs capacités

411

Pratiques sportives (y. c. arts martiaux)

412

Développement des capacités mentales et apprentissages de base

413

Développement des capacités comportementales et relationnelles

414

Développement des capacités individuelles d'organisation

415

Développement des capacités d'orientation, d'insertion, ou de réinsertion sociales et professionnelles

421

Jeux et activités spécifiques de loisirs

422

Economie et activités domestiques

423

Vie familiale, vie sociale et autres formations au développement personnel

Source: Céreq - base de données Reflet [en ligne]

Premier désagrément à la lecture de ce document cependant: il n'y a guère moyen d'avoir un explicatif sur ce que l'on met dans cette "spécialité", aucun lien n'est associé.

Autre remarque, découlant de ce premier désagrément, mais bien plus problématique: sur les 93 spécialités signalées, quelques unes apparaissent comme spécialités spécifiques et distinctes du travail social alors qu'elles semblent pourtant pouvoir y être associées (elles apparaissent en bleu dans le tableau 2). On a ainsi, à coté du "travail social", des "spécialités plurivalentes sanitaires et sociales", des "spécialités plurivalentes des services à la collectivité", des "spécialités des services aux personnes", du "développement des capacités d'orientation, d'insertion ou de réinsertion sociales et professionnelles"... et la connaissance commune que nous avons du travail social nous laissait initialement envisager que des spécialités de services aux personnes par exemple pouvaient avoir quelque chose à voir avec le travail social et sa mission d'aide, de conseil ou d'écoute... de même que des spécialités plurivalentes sanitaires et sociales devraient ou pourraient, ordinairement, concerner l'assistance aux publics en difficultés... Bref, si le travail social n'est pas (aussi) cela, on ne sait guère ce qu'il est. Pour le Céreq et donc l'Etat (le Céreq étant sous tutelle de ministères), la chose semble donc assez éparse... et tout en étant sans doute bien conçu ne s'énonce guère clairement.

Fort de cet éparpillement, nous avons alors estimé qu'il était sans doute plus pertinent de se tourner vers d'autres spécialistes, en l'occurrence, les professionnels eux-mêmes du travail social, qu'il s'agisse des praticiens ou de spécialistes de la recherche en travail social.

1.3. Recherche sur Internet au mot clé "travail social"

Un certain nombre de sites spécialisés dans et sur le travail social apparaissent, dont "Oasis, le portail du travail social" (http://www.travail-social.com/), "le social.fr" (http://www.lesocial.fr/), l'"Aforts, l'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social" (http://www.onfts.com/), l'"Anas, l'Association nationale des assistants de service social" (http://anas.travail-social.com/), voire des fédérations internationales comme la "Fits, Fédération internationale des travailleurs sociaux" (http://www.ifsw.org/). Par ce biais, il semble alors possible de mieux investir la (les) profession(s) du travail social.

Le travail social vu par les travailleurs sociaux

Même ici, le travail social et ses travailleurs semblent difficiles à cerner. Pour preuve, les professionnels eux-mêmes ne parviennent pas à se compter: Social on line dénombre 400'000 travailleurs sociaux en France, là où l'Aforts en compte 800'000...

De même, on ne parvient guère à trouver une véritable définition donnant un profil clair et concis du travailleur social. La Fits propose bien un document de "définition" du travail social. On y apprend que: "La profession d'assistant social ou de travailleur social cherche à promouvoir le changement social, la résolution de problèmes dans le contexte des relations humaines et la capacité et la libération des personnes afin d'améliorer le bien-être général. Grâce à l'utilisation des théories du comportement et des systèmes sociaux, le travail social intervient au point de rencontre entre les personnes et leur environnement. Les principes des droits de l'homme et de la justice sociale sont fondamentaux pour la profession. (...) Le travail social, dans ses formes les plus diverses, est confronté aux transactions multiples et complexes entre les personnes et leur environnement. Sa mission est d'aider les personnes à développer leur potentiel, enrichir leur vie, et prévenir les dysfonctionnements. Le travail social professionnel a pour but principal la résolution de problèmes et le changement. Dans ce cadre, les travailleurs sociaux sont des agents facilitateurs du changement, tant dans la société que dans la vie des personnes, familles et communautés qu'ils servent. Le travail social est un système complexe de valeurs, de théories et de pratiques". (http://www.ifsw.org/Publications/4.6f.pub.html [en ligne]).

Phrases pompeuses et grands discours qui se terminent par: "étant donné que le travail social au XXIème siècle est dynamique et évolutif, aucune définition ne peut être considérée comme exhaustive et définitive"... On n'en saura donc guère plus en termes de définition.

Un consensus pourtant: quatre grandes familles de métiers

Plus que des définitions, les documents consultés sur les divers sites du travail social tournent tous autour des valeurs et pratiques indispensables à ces professionnels - et il y a là consensus: le travailleur social est "un agent facilitateur du changement", il "facilite l'avènement de changements individuels, organisationnels, sociaux et culturels en vue d'un mieux-être". "Sa mission est d'aider les personnes à développer leur potentiel, enrichir leur vie et prévenir les dysfonctionnements"; et il cherche à répondre aux crises et urgences ainsi qu'aux problèmes individuels et sociaux de tous les jours (revoir notamment le document de la Fits).

Les "fiches métiers" qui sont alors constituées sur la plupart de ces sites insistent largement sur les capacités relationnelles dont doit faire preuve le travailleur social, sa capacité d'écoute, d'accompagnement des personnes, etc. Elles semblent d'ailleurs mettre ces caractéristiques, ces qualités personnelles comme primordiales, voire exclusives de tout autre considération. On revient donc à ce que nous annoncions en début de section: dans le travail social, plus que la formation et la qualification, ce sont ces qualités personnelles qui fondent et qui font la compétence professionnelle...

La plupart des sites s'accordent sur les listes des métiers et professions que recouvre la catégorie "Travailleur social"; on y trouve quatre grandes familles de métiers:

  • celle du conseil et de l'assistance auprès d'adultes, de familles (qui regroupe les métiers d'assistant de service social, conseiller en économie sociale et familiale...),
  • celle de l'éducation auprès d'enfants, jeunes ou adultes (éducateurs, aide médicopsychologique...),
  • celle de l'animation où les professionnels ont en charge l'animation de centres ou d'équipes en vue de l'insertion sociale et culturelle de tout ou partie des habitants d'un territoire (animateurs...),
  • celle de l'aide et du soutien disons plus "actif" ou sur le terrain (aide à domicile, assistante maternelle...).

Plus que de grandes définitions donc, on a là, au moins, un certain nombre d'indications sur les activités du travail social et on cerne ainsi un peu mieux ce que sont et font les travailleurs sociaux. Ces éléments nous serviront donc de base de référence.

Il faut alors noter que plusieurs des termes, rôles, fonctions, capacités ou aptitudes que l'on trouve ici pour évoquer l'activité des travailleurs sociaux se retrouvent dans d'autres activités et notamment aussi dans les descriptions des activités des chefs de culte du candomblé. C'est donc à partir de ces éléments que le travail comparatif proposé en début d'exposé sera développé.

Avant d'aborder les ressemblances et dissemblances dans les rôles et fonctions des travailleurs sociaux et des chefs de culte du candomblé, une présentation rapide de cette dernière population et du contexte brésilien s'impose. C'est l'objet de la deuxième section de cet exposé.

2. Brésil, candomblé et chefs de culte: une question de contexte

2.1. Le candomblé et ses leaders

Le candomblé est une religion syncrétique, pratiquée au Brésil - de manière équivalente à ce que peut être la santeria à Cuba et le vaudou en Haïti. Tout comme ces deux dernières, elle est héritée d'Afrique, plus particulièrement des yorubas[4]. C'est une religion avec initiation, transes et sacrifices (animaux et végétaux).

Longtemps réprimée et pratiquée initialement par les esclaves (dès le XVIème siècle au Brésil) puis par les seuls noirs pauvres (association de termes qui relève quelque peu du pléonasme!: le pourcentage de noirs non pauvres au Brésil n'étant pas statistiquement significatif), elle est depuis les années 60-70 tolérée, voire grandement valorisée et devient presque une religion de masse - englobant toutes les couleurs et catégories socioprofessionnelles brésiliennes, pour des raisons diverses: tous n'y ont en effet pas la même quête[5].

Outre l'aspect strictement religieux ou avec et à côté du purement liturgique, le culte développe un certain nombre de pratiques, dont des pratiques thérapeutiques qui en font aussi son succès et lui permettent d'intégrer ainsi dans ses rangs les rejetés de la médecine et des soins (par manque de moyens financiers pour y accéder), comme les rejetants (par crainte des processus iatrogènes et autres problèmes d'hygiène ou de mauvaise gestion sanitaire). Sans faire du prosélytisme à tout crin, c'est souvent par ce biais qu'il se fait d'abord connaître et les autres pratiques, voire la philosophie même du culte, sont connues et recherchées ensuite. Il devient alors aussi, souvent, un lieu de conseils et d'assistance[6].

Il n'y a pas à proprement parler de temple ou d'église: le terreiro, lieu du culte, est le domicile du chef de culte (le pai ou la mãe de santo) - où des espaces plus ou moins sacrés sont réservés. C'est en ce lieu qu'il officie, consulte, organise ses fêtes, reçoit ses fidèles et sympathisants[7] - qui forment ainsi une sorte de grande famille, un "réseau". Ce réseau, dont le chef de culte est à la tête, est, suivant l'ampleur et la renommée du terreiro, très large, tenant en son sein des médecins, magistrats, politiques et acteurs importants de la vie de la cité, en dehors des favelados et autres va-nu-pieds.

S'intéressant aux facteurs non religieux - ou non strictement religieux - de cette religion, dans un pays aux inégalités sociales flagrantes, le candomblé se présente donc et fonctionne pour beaucoup - chercheurs, chefs de culte, pratiquants et sympathisants - comme "une société de secours mutuel" (Bastide, 1958et 1960; Bramly, 1981; Aubrée, 1987 et 1988; Agier, 1994; Boyer-Araujo, 1993; Chiousse, 1995).

Un état des lieux du Brésil permet de mieux saisir l'intérêt et la réalité de cette "société de secours mutuel" qu'offre le candomblé au Brésil.

2.2. Un état des lieux du Brésil en quelques chiffres[8]

Le Brésil est un État fédéral de 170 millions d'habitants, avec quelques régions très riches (le sud essentiellement), d'autres très pauvres (le nordeste)[9].

13% - officiellement - de la population de plus de 10 ans est analphabète ou compte moins d'une année d'étude, 15% ont trois années d'étude maximum (donc équivalent CP, CE1-CE2 en France) et 32% ont entre 4 et 7 années d'étude (donc fin primaire, jusqu'à la 5ème du collège maximum chez nous).

Le Brésil compte officiellement un taux de chômage dépassant les 12% de la population active[10]. Pour ceux qui travaillent, le salaire minimum avoisine les 220-240 Reas (ce qui correspond à peu près à 60$ ou 60 euros mensuels - dans les 400 Francs français) - et 24% de la population active touche moins d'un salaire minimum (26% ont entre un et deux salaires minimum)...

20% de la population n'a jamais consulté un dentiste, une consultation médicale particulière revient au tiers du salaire minimum, etc. D'ailleurs, les trois-quarts de la population n'ont - officiellement - aucune couverture sociale (sur les 24.5% restant qui sont donc couverts, 75% le sont dans le privé, à des prix exorbitants).

A partir de ces quelques éléments de situation d'une grande partie de la population brésilienne, il semble opportun maintenant de reconsidérer la portée du candomblé dans ce système et d'évaluer plus précisément les rôles et fonctions des chefs de culte du candomblé au regard de ce que nous appelons le travail social.

3. Chefs de cultes du candomblé et travailleurs sociaux - perspectives comparatives

En avant propos de cette section, il nous semble utile de rappeler tout le danger des comparaisons, que nous avons déjà abordé en tout début de cet exposé.

Il est utile aussi - cet article faisant suite à sa communication au colloque d'Angers et au débat qu'il a alors suscité - d'ouvrir une rapide parenthèse pour signaler qu'associer la religion au travail social n'a rien d'original ni d'extravagant ou de scandaleux. Il ne s'agit en rien de promouvoir une pratique religieuse, ni même une "secte", comme l'auront pensé certains. Il suffit de tenir compte du fait qu'une "religion", quelle qu'elle soit, ne se limite guère à une foi, une conviction religieuse, hors de toute réalité sociale, mais s'accompagne aussi de pratiques, plus ou moins "religieuses" - ou qui, tout en étant religieuses ou liturgiques ont également une portée, un usage, voire une utilité ou une utilisation sociale. Il suffit aussi de se rappeler qu'en d'autres temps - et encore maintenant - comme dans d'autres lieux, la religion a souvent eu à voir avec le travail social ou le médical et paramédical par exemple. Et si cela a été très présent au Brésil (notamment avec les santas casas da misericordia), cela a également existé ailleurs, notamment en Europe et en France. Dans le paramédical - en France -, l'exemple de l'infirmière en est, sans doute, une illustration parlante. Ce n'est qu'à partir de 1946 qu'un diplôme est nécessaire pour exercer. Avant cela, et avant leur accès à la formation, l'activité infirmière a longtemps été perçue comme "un acte maternel" puis "une vocation qui implique ordre, don de soi, abdication de tous les désirs personnels par amour de Dieu" (Collière, 1992; voir aussi Lesueur, 1997). De même, sans aller jusqu'à clamer que le travailleur social est le prêtre laïque de l'assistance à l'individu, il convient de se souvenir qu'avant de se fier, de se confier et d'espérer le secours d'un professionnel, beaucoup jusqu'à présent - et parfois encore maintenant - ont eu d'abord recours à des gens d'église ou assimilés (voir notamment le Secours catholique). Refermons cette parenthèse pour revenir à nos chefs de culte du candomblé brésilien.

Compte tenu de ce que nous avons déjà abordé, si l'on essaie de replacer le rôle et les fonctions du chef de culte dans les grandes familles de métiers développées précédemment pour les travailleurs sociaux, il est à noter que de grandes similitudes se font jour.

3.1. Conseil et assistance auprès d'adultes, familles

Le chef de culte du candomblé correspond au prêtre de l'église catholique. Comme le prêtre écoute et conseille ses fidèles en confession, le pai de santo[11] fait office de confesseur et de conseiller au sein de son groupe.

On reconnaît aisément dans la religion ("les religions" serait plus exact) une portée plus ou moins normative, voire normalisatrice. Ainsi, les conseils, aides, soutiens et recommandations de ses officiants peuvent ne pas porter sur la pratique religieuse en elle-même ou pas seulement. Le prêtre, comme le pai de santo, peut aussi exprimer son avis et ses recommandations (voire des injonctions) à celui qui en fait la demande sur des problèmes plus généraux de la vie quotidienne.

En même temps qu'il est le confesseur ou le conseiller, le pai de santo est considéré comme l'ami de la famille. Il est celui qui sait, qui connaît, celui qui a le savoir des choses sacrées - et de celles qui le sont moins -, l'expérience (à puiser autant dans le religieux, le symbolique que le quotidien). Ses interventions peuvent concerner tous les éléments de la vie quotidienne (vie familiale, relation aux autres, travail...) et ses propos sont d'autant plus écoutés et suivis que la population qui fait appel à lui relève souvent d'un bas niveau d'éducation et a la certitude de ne pouvoir venir à bout seule de ses problèmes [revoir section 2.2].

Il reçoit les sympathisants et les fidèles (initiés) en 'consultation' (consultas) ou de manière plus informelle, écoute, conseille, guide. Soit par ce qu'il peut fournir, lui, à partir de sa religion; soit par ce qu'il peut proposer ou indiquer pour que l'individu puisse résoudre les difficultés qu'il rencontre.

L'aide, l'assistance et le conseil dont il est l'acteur se situent à au moins deux niveaux:

1. comme tout "homme d'église", il offre pour le moins un soutien psychologique à celui qui vient à lui;

2. il est en mesure de faire profiter l'individu de son réseau de relations (fidèles et/ou sympathisants de son terreiro) et lui indiquer, le cas échéant, la personne la plus adaptée pour l'aider à résoudre son problème [on se rappelle alors, comme évoqué en section 2.1 que, parmi les individus qui fréquentent son terreiro se trouvent souvent de grands notables de la ville ou des environs].

Pour bien cerner son éventuel niveau de participation et le bénéfice dont peut en tirer l'individu qui fait appel à lui, prenons comme illustration un problème de santé.

Dans le contexte rapidement évoqué précédemment (section 2.2), le recours au médecin n'est jamais immédiat et après une automédication jugée infructueuse, l'individu se tourne fréquemment vers le pai de santo (et ses pratiques thérapeutiques), au moins pour bénéficier de conseils sur la marche à suivre idoine. Il n'y a rien d'extraordinaire dans cet appel qui relève d'une pratique courante. Comme le signale l'OMS (Organisation mondiale de la santé), par l'intermédiaire de D. Bagozzi (2003): "80% au moins de la population en Afrique ont recours à la médecine traditionnelle". Il en est de même en Amérique latine et les pratiques développées dans les cultes afro-brésiliens, dont le candomblé, sont associées à de la médecine traditionnelle.[12]

Le pai de santo ainsi interpellé tente, par la divination (il faut bien replacer le sacré), de définir le mal qui touche l'individu: il le soumet alors à des "obligations"[13] et un traitement phytothérapeutique[14] si le cas est jugé bénin.

Si le cas est supposé plus grave, il joue de son rôle de conseiller, voire de médiateur, pour le renvoyer vers un médecin ou un spécialiste qui saura prendre en charge sa pathologie[15].

Le bénéfice pour l'individu, également, est double:

  • par la soumission à des obligations liées au culte, le pai de santo responsabilise l'individu, le rend en partie maître de ce qui lui arrive et lui permet une accession au savoir[16];
  • par le réseau de connaissances du pai de santo, l'individu nécessiteux peut avoir accès, à moindre coût et avec plus de facilité, à un médecin ou spécialiste sympathisant du culte ou du terreiro et qui acceptera mieux qu'un autre praticien de prendre en charge sa pathologie ou de l'aider à trouver la solution adéquate.

Il fait donc partie du rôle et des fonctions du pai de santo de donner conseil et assistance à ceux qui lui en font la demande[17].

3.2. L'éducation

La deuxième famille de métiers abordée chez les travailleurs sociaux est relative à l'éducation.

Là encore, comme pour l'item précédent, il y a deux directions possibles quant aux rôles et fonctions du pai de santo: une plus spécifiquement religieuse, l'autre plus spécifiquement civile (voir notamment en section 5 l'exemple du terreiro Ilê Axé Opô Afonjá).

Le pai de santo est le principal garant de la culture traditionnelle du candomblé - et l'initiation, entre autres, comme la plupart de ses propos lors de ses consultas ont valeur d'éducation. C'est lui qui connaît le mieux les mythes explicatifs de cette religion, les enseigne et les fait acquérir à ceux qui fréquentent son terreiro.

Outre cet aspect plus typiquement culturel et cultuel, nous avons vu dans la section précédente qu'il prodiguait également un certain nombre de recommandations en matière de soins et d'hygiène; le profane se mêlant alors au sacré.

Sous un angle beaucoup plus civil également, c'est, dans le groupe, le pai de santo qui connaît le mieux, par l'intermédiaire de son réseau de fidèles et autres sympathisants, les diverses ficelles administratives et autres pour résoudre un certain nombre de problèmes qu'une famille ou un individu peut rencontrer. Jouant à la fois dans le sacré et le profane, la vie quotidienne et ses heurs et malheurs, le pai de santo inculque à ses fidèles et sympathisants les éléments nécessaires et utiles pour se débrouiller face aux vicissitudes du quotidien.

Cet aspect est d'ailleurs tellement bien entré dans "les moeurs" du culte qu'une prêtrise particulière a été créée depuis quelques décennies: le statut d'ogan. Les ogan sont une catégorie d'initiés réservée plus particulièrement à des non afro-brésiliens, blancs, qui n'entrent pas en transe, qui sont d'un statut social plutôt élevé et qui gèrent administrativement le terreiro et ont généralement, voire impérativement, une bonne connaissance de tous les problèmes (et de toutes les solutions!) et ressources administratives disponibles. Ils font en quelque sorte offices de conseillers juridiques, conseillers financiers du chef de culte et de la communauté du terreiro et ont vocation donc à aider et enseigner aux uns et aux autres les rudiments nécessaires à la vie quotidienne, notamment aux publics les plus en difficultés quant à leur niveau de litéracie (lire, écrire, compter, avoir une compréhension de base).

Seul en ce qui concerne l'apprentissage de la culture et de la civilisation afro-brésiliennes ou avec le soutien ou par l'intermédiaire du ogan, le chef de culte du candomblé offre à ses fidèles et sympathisants des apprentissages spécifiques - leur permettant d'accéder à un savoir spécifique (sur la culture yoruba afro-brésilienne) et de pouvoir faire face à divers problèmes entre autres administratifs, par le soutien et l'activisme de personnes compétentes en la matière.

3.3. L'animation

La troisième famille de métiers évoquée pour les travailleurs sociaux concerne l'animation. Les professionnels ont alors "en charge l'animation de centres ou d'équipe en vue de l'insertion sociale et culturelle de tout ou partie des habitants d'un territoire" (voir les fiches métiers en ligne sur les divers sites).

Des fonctions similaires se retrouvent chez les chefs de culte du candomblé. Nous l'avons déjà évoqué, le pai de santo est le garant de la cohésion de son groupe, c'est par lui que s'effectue la connaissance, la reconnaissance et la solidarité entre les membres de son terreiro, voire de son quartier et au-delà. Cette cohésion de groupe qu'il instaure[18] répond à plusieurs critères qui, tout en étant en partie "religieux", vont au-delà du seul aspect liturgique.

Outre son réseau dont il est en mesure de faire profiter les uns et les autres, il organise régulièrement des fêtes en l'honneur des orixas (les divinités).

Ces fêtes - dont le prétexte premier est évidemment religieux - prennent la forme de grands repas où tous participent, y compris à l'élaboration et, en même temps que l'on honore les divinités en sacrifiant des animaux et en les offrant aux divinités, c'est toute la communauté qui partage le repas et tout le quartier - les pratiquants comme les non pratiquants - qui participent à la fête qui se veut un moment de "communion" sacré/profane et qui est d'ailleurs aussi un moyen de s'attirer l'attention et les bonnes grâces de nouveaux venus.

Les occasions de fêtes sont nombreuses: cycliques pour fêter la bonne quinzaine d'orixas principaux du panthéon yoruba (dont chacun a sa fête à date fixe - suivant le calendrier catholique) et plus ponctuelles pour fêter par exemple la guérison ou rémission d'un fidèle ou la résolution des problèmes d'un autre - ce qui donne l'occasion en même temps de remercier et honorer l'orixa qui aura permis cette guérison ou d'activer une affaire. Sacré et profane se côtoient en permanence... et c'est par ce biais que l'on peut trouver chez le pai de santo une fonction d'animation (en même temps qu'elle est aussi le lieu d'apprentissages nouveaux et de création de nouveaux liens et d'élargissement du réseau de relations de son terreiro)[19].

3.4. Le soutien et l'aide à domicile

Contrairement à une certaine catégorie de travailleurs sociaux ou aux prêtres des églises catholiques, le chef de culte au Brésil va peu chez ses fidèles.

En revanche, sa porte est toujours ouverte (ce qui n'est plus toujours le cas dans l'église catholique et ne l'est pas non plus chez les travailleurs sociaux) et il est rarement seul avec sa famille à son domicile - qui est en même temps le lieu de culte. Ainsi, s'il ne se déplace pas lui-même vers la personne nécessiteuse, il héberge impérativement et régulièrement un certain nombre d'individus: les personnes qui sont en cours d'initiation (et ça peut aller jusqu'à une dizaine d'individus à la fois), les personnes initiées ou simples sympathisants (dont il espère l'initiation à terme!) dans le besoin, parce qu'elles n'ont plus de logement, parce qu'elles ont perdu leur boulot, parce qu'elles sont dans une passe difficile avec leur famille ou autre et qui viennent retrouver un peu de paix et de sérénité au sein du terreiro dans la proximité des divinités protectrices.

D'autres aspects des rôles et fonctions - non strictement religieux - de ces chefs de culte du candomblé, en relation à des facilitations sociales et personnelles ou professionnelles, pourraient encore être évoqués.

Leur rôle vis-à-vis de l'insertion professionnelle - ou la réinsertion ou la reconversion - en est une, par la mise en relation entre recruteur et demandeur d'emploi à l'intérieur du réseau du terreiro ou dans sa proximité, par le bouche à oreille du "untel connaît untel qui cherche ceci ou cela" (voir notamment Aubrée dans son article sur les Orixas et le Saint-Esprit au secours de l'emploi (1987), ou encore Agier, 1994 et Boyer-Araujo, 1993).

Néanmoins, et sans faire le tour de toutes les activités de ces chefs de culte, les quelques éléments abordés dans cette section semblent pouvoir révéler quelques similitudes entre les rôles attribués à ces individus et les familles de métiers attribuées aux travailleurs sociaux.

4. Les résultats de cet essai comparatif - remarques et perspectives

4.1 Au-delà des mots, des points de convergence

En comparant, comme nous venons de le faire dans ces quelques points abordés, les quatre grandes familles de métier du travail social avec les rôles et fonctions de ces chefs de culte, on peut s'autoriser à pointer quelques similitudes. Tout au moins, si l'on se replonge chaque fois dans les "fiches métiers" proposées, on retrouve sensiblement les mêmes termes pour évoquer les rôles et fonctions des uns et des autres.

Qu'est-ce à dire? Sûrement sans doute que ces chefs de culte du candomblé sont en mesure de faire preuve d'un certain nombre de savoirs et savoir-faire et de qualités ou compétences indispensables dans les métiers du travail social.

La comparaison sans doute peut se limiter à cela - et c'est déjà significatif.

Leurs livres de route et leurs codes ne sont pas les mêmes que ceux des assistantes sociales que nous connaissons ordinairement, ils n'en sont pas moins utiles - compte tenu du contexte brésilien et du faible niveau d'éducation de la population qui fait appel à leurs 'services'.

Ils sont aussi et surtout des éducateurs. Educateurs, disons "instructeurs" sanitaires, sociaux, démêlant ou aidant à démêler les noeuds administratifs par exemple que les gens des favelas, pour la plupart illettrés ont du mal à comprendre et encore plus à dénouer sans une intervention extérieure...

Ils interviennent dans tous les moments de la vie de l'individu et surtout quand il s'agit de moments critiques et leurs interventions, si elles ne sont pas forcément toujours les plus adaptées pour résoudre les problèmes et maux affrontés offrent néanmoins une écoute et un soutien, voire une alternative au vide de ces populations, un palliatif face à des situations de toute façon bien souvent inextricables et sans autre solution. Ainsi, on reconnaît dans leurs valeurs et pratiques, celles énoncées plus haut (section 1) pour les travailleurs sociaux.

4.2 La distinction: des mots pour l'écrire

Si l'on retrouve çà et là des points communs entre ce que font les travailleurs sociaux et ce que sont amenés à faire - et de plus en plus - les chefs de culte du candomblé au Brésil, il est un point - incontournable - où le bât blesse et où la comparaison tombe à l'eau: celui de la légitimité de leurs pratiques et de leur reconnaissance statutaire.

Ce qui fait la professionnalité d'un travailleur social est, officiellement, sa qualification. Il possède au moins un "bout de papier" (que celui-ci prenne la forme d'un diplôme, d'un certificat ou d'un quelconque titre), résultant d'une reconnaissance académique de son savoir et de ses compétences.

Le nombre de ceux, parmi les chefs de culte du candomblé, qui possèdent un titre similaire est si peu significatif qu'il n'est guère besoin d'en parler. Et cela est d'autant plus vrai que, s'il existe parmi les chefs de culte du candomblé des professionnels du travail social, eux-mêmes ne font pas "officiellement" le lien entre l'une et l'autre activité. Ce qu'ils ont appris dans les livres ou par la formation est une chose; ce qu'ils ont appris par l'initiation au culte en est une autre - et, même si les pratiques au quotidien se rejoignent et s'ils considèrent que les deux sont "efficaces", l'une est professionnelle, l'autre pas (elle est plus sûrement d'abord spirituelle et humaniste).

A coté de cette petite minorité qualifiée, la plupart de ces chefs de culte ne peut se prévaloir d'aucun diplôme; et si quelques uns bénéficient d'un niveau d'études supérieur, beaucoup sont illettrés, voire même pour certains analphabètes.

Ce serait donc des "travailleurs sociaux" (il faut alors impérativement mettre les guillemets) sans diplômes, des conseillers en vie meilleure ou soutiens et palliatifs aux dysfonctionnements des administrations et systèmes officiels brésiliens sans reconnaissance autre que celle de ceux à qui ils portent secours, assistance et soutien.

Cette reconnaissance et la valorisation de leurs pratiques et attributions semblent cependant aller croissantes et seraient peut-être même en voie d'institutionnalisation.

5. Légitimité et reconnaissance - remarques et perspectives (?)

Comme nous l'énoncions en début de section 2, le culte du candomblé (et ceux qui le pratiquent) était initialement grandement combattu et réprouvé. Il a été peu à peu toléré. Il est aujourd'hui plus largement valorisé par toutes les catégories sociales brésiliennes. Mieux, certaines de ses pratiques s'institutionnalisent au niveau national, voire même - et peut-être surtout - au niveau international, où il semble devenir peu à peu le fer de lance d'activités de secours et d'assistance de certaines organisations non gouvernementales.

Des partenaires actifs d'organisations non gouvernementales

Si quelques unes des pratiques de ces cultes et une partie de leur culture sont peu à peu institutionnalisées ou folklorisées (voir notamment Souto Maior, 1978), il n'en reste pas moins vrai qu'au niveau national, les actions de ces chefs de culte ne portent pas la marque académique d'une reconnaissance unanime.

En revanche, leurs compétences, leurs savoirs et savoir-faire auprès des publics défavorisés et difficiles d'accès sont de mieux en mieux reconnus par les organismes internationaux qui, depuis quelques années, les sollicitent avec force et en font des intermédiaires, voire des partenaires privilégiés de leur politique et de leurs activités d'aide et d'assistance.

Avec l'essor d'internet notamment, le candomblé a pris l'envergure d'un culte universaliste et la liste des sites qui lui sont dédiés ou qui en font référence serait trop longue à exploiter ici (voir Chiousse 1998 et 2003). A titre d'illustration, sans chercher donc à cerner toutes les organisations qui font appel aux chefs de culte, citons seulement deux institutions - et non des moindres - qui associent prioritairement ces pai de santo à leurs projets et politiquesou les sponsorisent: l'Unesco et l'Unicef...

Le "programme Axé"[20] du Bureau international d'éducation (Unesco, Bahia)

Ce programme d'éducation à la citoyenneté, à l'initiative de l'Unesco (et sponsorisé notamment par le BID - Banco interamericano de desenvolvimento) "souhaite contribuer à améliorer la situation des personnes vivant dans un état d'extrême pauvreté, et particulièrement les plus vulnérables, à savoir les enfants et les jeunes. Ce programme prône la défense des droits des adolescents et des enfants marginalisés, en agissant au niveau éducatif et social. (...) Ce projet encourage ainsi les enfants et les jeunes "de la rue" à quitter les situations à haut risque (délinquance, toxicomanie, prostitution) et à recevoir une éducation, selon le principe du "meilleur enseignement pour les plus pauvres"."

La page de présentation du projet expose alors que: "Pour le candomblé (religion d'origine africaine implantée au Brésil par les esclaves), le projet Axé est le principe, la force, ou bien encore l'énergie qui permet à tout élément de l'univers de se "réaliser en tant que tel".(...) Face à cette situation (extrême pauvreté, vulnérabilité, etc.), le projet propose de traiter de tous les problèmes que connaissent ces enfants en luttant contre l'exclusion et les inégalités et pour le droit fondamental à la vie, la vie citoyenne, une vie dans la dignité" [en ligne: www.ibe.unesco.org (in 'international activities', citoyenneté, cohésion sociale, Brésil)].

Ce programme se développe en plusieurs activités, à partir de ressources diverses dont une "escola a ceu aberto" (école à ciel ouvert) qui se veut "un espace de transition entre la rue et l'école", un véhicule "axébuzu"("adapté aux activités artistiques et culturelles") ou encore des "empresas educativas" (entreprises éducatives) et une "casa da cultura" (centre culturel). Les pourvoyeurs principaux de ces activités sont des leaders du candomblé, car ils ont un contact privilégié avec cette population et sont perçus par l'Unesco comme "des éducateurs de rue" [en ligne sur www.ibe.unesco.org].

Le programme d'éducation et de démocratisation du terreiro Ilê Axé Opô Afonjá

Ilê Axé Opô Afonjá est un des terreiros les plus anciens et les plus connus de la région bahiane (mené de main de maître, pendant des années par une mãe de santo réputée: mãe Stela), qui se définit comme une "communauté civile et religieuse sans fins lucratives, située dans le quartier de São Gonçalvo, Salvador, Bahia" [en ligne sur: http://www.geocities.com/Athens/Acropolis/1322/].

"Considérant la nécessité d'une forme éducative qui soutienne la liberté comme fondement de la transformation des structures sociales et culturelles, le terreiro, avec l'aide d'écoles (écoles Eugenia Anna dos Santos, do Coral Faraimará, etc.) cherche les moyens possibles pour dénouer un processus démocratique d'apprentissage et de professionnalisation en relation étroite avec la défense des droits de l'homme". Le terreiro a ainsi participé à la création il y a quelques années, avec le soutien de l'Unicef entre autres, d'un projet "Mobilização criança em risco / child in danger mobilization". C'est également lui, entre autres, qui en assure le fonctionnement et la permanence, promouvant un "programme de démocratisation des informations sur les droits de chacun, permettant l'acquisition d'une identité socioculturelle, à travers des échanges permanents d'expériences, garantissant ainsi la formation d'une conscience citoyenne et solidaire". Par l'intermédiaire de ce terreiro, outre le maintien de la culture yoruba et l'apprentissage de cette langue par exemple, les enfants peuvent être scolarisés dès 6 ans et poursuivre des apprentissages jusqu'à 21 ans, par une professionnalisation.

Une légitimité à venir (?)

Les partenariats, sponsoring ou responsabilités données aux pai de santo et évoquées dans la section précédente, montrent bien qu'il existe désormais une reconnaissance de l'utilité sociale de ces groupes pour les populations les plus en difficultés et les plus défavorisées - où les pouvoirs publics locaux ont peu à apporter.

Il n'en reste pas moins vrai que si, au niveau international, dans les faits, l'on reconnaît à ces pai de santo un rôle efficace de médiateurs ou d'éducateurs de rue, rien, officiellement ne permet de leur accorder ce statut.

Pourtant, la valorisation actuelle - au niveau mondial - de l'éducation et de la formation tout au long de la vie, pourrait laisser présager quelque possible transformation...

A un moment où l'on parle avec force de la mise en place de la VAE - la validation des acquis de l'expérience (un article de l'Anas laisse entendre qu'avec 3 ans d'expérience professionnelle, un individu peut bénéficier de tout ou partie du diplôme d'assistant de service social)... tout semble alors probable et la perspective comparatiste évoquée au début de l'exposé comme forcément caricaturale, pourrait bien, peu à peu devenir plus réaliste, voire réalisable, un jour prochain... (?).

Dévouement, aide, soutien, conseils, assistanat... de manière informelle et sans aucune légitimité académique - mais sociale et religieuse, ces chefs de culte du candomblé sont sans doute déjà aujourd'hui - quelque part entre réalité et imaginaire, entre social, magique et religieux, peut-être - avec plus de liberté d'action - des travailleurs sociaux comme les autres!

Sylvie Chiousse

Notes:

1.- Religion d'origine africaine (yoruba) pratiquée au Brésil. Pour plus de détails, voir section 2 de cet article ou Bramly (1981), Bastide (1958, 1960), Chiousse (1995).

2.- Voir à ce propos, directement sur le site du Céreq (http://www.cereq.fr/basesdedonnees.htm): "Portraits statistiques de branches: Ensemble de données issues des grands dispositifs statistiques publics établis par l'Unedic (dispositif national interprofessionnel d'assurance chômage), l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques) et le Céreq lui-même. Ces portraits couvrent 23 secteurs d'activités et sont déclinés selon une nomenclature fine de 60 sous-secteurs. Ils réunissent des informations sur les entreprises (...), sur la main-d'oeuvre (...) ainsi que sur les pratiques de gestion des ressources humaines (...)".

3.- Diplôme, titre, certification: tous seront traités comme formant un ensemble homogène témoignant d'une acquisition de qualifications et de compétences spécifiques (se reporter au Glossaire européen de l'éducation - Volume 1 - 2ème édition - Examens, diplômes et titres

http://www.eurydice.org/Documents/Glo1bis/fr/G1bFR.pdf [en ligne])

4.- Population de l'ancien empire d'Abomey, regroupant aujourd'hui les populations des régions du Nigeria, Togo, Bénin.

5.- Pour de plus amples informations, se reporter à Chiousse (1995), Boyer-Araujo (1993), Agier (1994) ou Bastide (1958 et 1960).

6.- Comme on peut le retrouver dans toute église, notamment l'église catholique.

7.- Il n'est pas nécessaire d'être initié ("fidèle") pour fréquenter un terreiro ou participer à quelques unes de ses activités ou bénéficier de quelques uns de ses "services".

8.- Les données présentées ici datent de 2000-2001 et sont issues de l'IBGE (Instituto brasileiro de geografia e estatisticas) - équivalent à notre INSEE national.

9.- C'est essentiellement dans cette zone que le candomblé est le mieux implanté.

10.- Le travail infantile est comptabilisé - la population active concerne les individus en situation de travail dès l'âge de 10 ans. En revanche, ne sont comptabilisés ici que ceux qui possèdent une carte de travail - ce qui est loin de représenter la majorité des travailleurs brésiliens.

11.- Ou son équivalent féminin la mãe de santo. Littéralement, le père ou la mère de saint. Par commodité, nous utiliserons l'expression "pai de santo" pour l'un comme pour l'autre et invitons le lecteur à envisager sous cette dénomination l'un et l'autre. Un autre terme, asexué, peut également être employé, celui d'ebomim - il désigne l'initié ayant accompli au moins sept ans d'initiation et donc apte à ouvrir un terreiro et devenir pai ou mãe de santo. L'expression est cependant plus connue des seuls initiés et la formule "pai ou mãe de santo" reste la plus couramment utilisée.

12.- "L'expression "médecine traditionnelle" se rapporte aux pratiques, méthodes, savoirs et croyances en matière de santé qui impliquent l'usage à des fins médicales de plantes, de parties d'animaux et de minéraux, de thérapies spirituelles, de techniques et d'exercices manuels - séparément ou en association - pour soigner, diagnostiquer et prévenir les maladies ou préserver la santé. En Afrique, en Asie et en Amérique latine, différents pays font appel à la médecine traditionnelle pour répondre à certains de leurs besoins au niveau des soins de santé primaires". (Bagozzi, 2003 [en ligne]).

13.- Qui consistent à rendre hommage à sa divinité (sacrifice, prière, tabou alimentaire, etc.).

14.- L'utilisation cohérente des plantes et leur efficacité thérapeutique a été maintes fois avérée (voir Chiousse, 1995; Bastide, 1958 et 1960; Bramly, 1981; Ferretti, 1985; Loyola, 1984; Ziegler, 1971; Verger, 1996... entre autres).

15.- Cette complémentarité entre médecine traditionnelle et médecine disons académique est voulue et largement revendiquée - au moins par ces chefs de culte: il est clair qu'un pai de santo évite tout risque qui pourrait nuire à la réputation de son terreiro. Cette mise en relation de l'individu souffrant avec le professionnel adapté n'est pas spécifique au pai de santo - conseiller et guérisseur occasionnel - dans le candomblé; il se pratique régulièrement (voir Chiousse, 1995; Bastide, 1958 et 1960, Ziegler, 1971 et, à titre d'exemple, pour d'autres régions: Gibbal, (1984) - relatant les propos de Babourou, le coupeur de luettes, dans son étude sur les guérisseurs et magiciens du Sahel. Il insiste également sur cette nécessaire complémentarité des deux "médecines". Il explique d'ailleurs que le guérisseur même s'abrite derrière cette médecine d'importation pour "marquer les limites de son efficacité et de sa responsabilité" indiquant aussi, de cette façon, ses limites). De manière plus officielle, voir également les travaux de l'OMS [en ligne] qui prônent largement une valorisation de ces pratiques de médecine traditionnelle et insuffle une politique de complémentarité avec la médecine dite officielle.

16.- La fonction du pai de santo - ici ami, conseiller, guérisseur - est de donner une explication des maux dont se plaint l'individu. En donnant du sens à son mal, celui-ci est alors mieux armé pour s'en défendre. A l'apprentissage du culte, de ses rituels, s'ajoute un apprentissage de la vie et des moyens de la conserver, de l'améliorer, tant au niveau physique que spirituel. Tout en apprenant les tabous et obligations à respecter, l'individu assimile aussi des mesures d'hygiène et de soins de base à mettre en pratique au quotidien ou en cas de besoin. Cela ne peut, à proprement parler, être considéré comme une qualité de soins, mais révèle au moins un apport au niveau psychologique non négligeable et peut-être aussi, dans certains cas, une mesure préventive de certains troubles (voir Chiousse, 1995, p324).

17.- Il arrive aussi qu'une personne - participant d'une fête - soit informée (par le pai de santo ou un fidèle en transe) d'un problème qui la touche sans qu'elle n'ait procédé à une consulta, c'est-à-dire sans qu'elle n'ait fait la moindre demande (voir Ziegler, 1971).

18.- On peut se reporter utilement à ce propos aux travaux de M. Aubrée, dont un article au titre suffisamment explicite pour suffire à la compréhension: "Multiplicité et socialisation cohérente dans les cultes afro-brésiliens" (1988).

19.- Le système fonctionne un peu ici sur la base d'un cercle "vertueux": plus le terreiro est grand (en nombre de fidèles et de sympathisants), plus la fête sera grande et somptueuse. Plus la fête est grande et somptueuse, plus le terreiro croît en réputation et plus le nombre de ses fidèles et sympathisants croît; plus aussi la portée du pai de santo et son "pouvoir"/ses rôles grandissent, aussi bien dans son groupe qu'à l'extérieur.

20.- Pour information: axé est un terme de la langue yoruba, utilisé spécifiquement dans le candomblé. Il est polysémique et désigne à la fois l'autorité, la permission, mais aussi la puissance (y compris divine et est alors synonyme du "mana"). Il est ordinairement utilisé par les gens du culte en guise de salutation bien qu'il ait une valeur bien plus forte que la simple salutation. "Axé" est souvent prononcé lors d'une accolade et vise à souhaiter au récepteur la puissance et la sérénité. L'axé est aussi l'axe central (l'axis mundi) du terreiro, le lieu où sont enterrés les objets et les substances destinés à honorer les orixás, protéger le lieu et le sacraliser.


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Notice:
Chiousse, Sylvie. "Les chefs de culte du candomblé: des travailleurs sociaux comme les autres?", Esprit critique, Automne 2004, Vol.06, No.04, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr
 
 
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