La microfinance en Tunisie: Une dynamique du développement durable
Latifa Ziadi
Maître-assistante, Université du Centre, Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Mahdia (Tunisie), latifaziadi@yahoo.fr, FSEG de Mahdia, SIDI MASSOUD Mahdia (Tunisie).
Résumé
Au-delà de la croissance, le développement durable englobe aussi des changements structurels d'ordre socio-économique. Il constitue un défi majeur pour les pays en développement qui cherchent encore les solutions adéquates dans un contexte de libéralisation accrue alimentant davantage les inégalités. Les expériences dans ce domaine sont diverses et variées et la politique de la microfinance s'est imposée comme étant l'outil privilégié de l'insertion économique et de l'intégration sociale des personnes défavorisées. L'objet de cet article consiste à souligner la portée de la microfinance, en particulier le micro-crédit, en tant que démarche cohérente et socialement bénéfique du développement durable.
Mots-clés: développement, exclusion financière, microfinance, Tunisie.
Abstract
Economic development needs social and structural changes more than economic growth. This aim remains the hope of all developing countries. They are looking for the best way to reach durable development in a context of financial liberalization where inequalities become deeper. Microfinance has been the favour way of financing human development since two decades for multiple reasons. This paper deals with micro-credit advantages in financing poor people through the Tunisian case. We aim at underling his worth in reducing poverty and creating employment.
Introduction
Les organisations internationales tentent des modèles variés à la recherche du développement durable. La microfinance en constitue un exemple qui a séduit un bon nombre de pays en développement. Les expériences se multiplient et le phénomène prend de l'ampleur depuis les années 1980. Les définitions attribuées à cette activité financière se différencient selon que l'on désire mettre l'accent sur son aspect économique, financier ou social. D'une manière plus générale, la microfinance se rapporte à toute activité liée aux services financiers et sociaux au profit des exclus, telles que le micro-crédit, l'assurance-vie, la formation, l'éducation... Ces prestations s'adressent aux hommes et femmes à faible revenu dans le but d'améliorer leurs conditions de vie matérielles et sociales.
La Tunisie a également montré de l'intérêt à cette approche du développement durable. De nombreuses institutions, oeuvrant dans des domaines différents (le développement rural et urbain, la création d'emplois et le financement des micro-projets) ont émergé. La Banque tunisienne de solidarité, en particulier, constitue le bailleur principal des micro-crédits et occupe ainsi un rôle déterminant dans le micro-financement des personnes à faible revenu.
L'objet de cet article consiste à souligner la portée de la microfinance, en particulier le micro-crédit, en tant qu'une démarche cohérente et socialement bénéfique du développement durable.
L'article est structuré en deux parties. La première section synthétise les éléments théoriques qui sont à la base de la microfinance et présente les champs d'actions des intermédiaires. Cette politique repose sur trois notions théoriques: la prépondérance des pratiques financières informelles dans les pays en développement, l'exclusion financière et sociale des personnes démunies et l'émergence de nouveaux concepts du développement ayant trait aux conditions de vie décente.
La deuxième section expose l'expérience tunisienne en matière de microfinance. Un ensemble d'acteurs gouvernementaux ou non offrent des services diversifiés au profit des personnes à faible revenu. Leurs actions touchent des domaines complémentaires.
Ainsi, les programmes de développement régional s'intéressent à l'intégration économique et sociale des zones défavorisées. Le Fonds national de solidarité s'occupe de l'aménagement des infrastructures et de l'amélioration des conditions de vie. Le Fonds national de l'emploi veille à l'insertion et la réinsertion des demandeurs d'emploi et La Banque tunisienne de solidarité (BTS) est vouée au micro-financement des projets entrepris par les personnes à faible revenu.
Cette section développe également les résultats d'une enquête réalisée auprès de 57 bénéficiaires de micro-crédits auprès de la BTS. Son objectif principal est de déterminer les retombées de cette politique de financement sur la vie des bénéficiaires et d'évaluer l'efficacité de cette technique d'action (amélioration du niveau de vie, épargne et emploi).
Section I. A propos de la microfinance
Les IMF (intermédiaires de microfinance) se multiplient partout dans le monde et leur adoption est soutenue par les organismes internationaux. La microfinance est parfois présentée comme étant nécessaire à une meilleure intégration des exclus sociaux. Quels sont alors les soubassements théoriques de cette politique? Et qui sont ces intermédiaires de microfinance?
I.1 Les fondements théoriques de la microfinance
La généralisation de l'expérience de microfinance s'inspire principalement de trois axes théoriques: la prédominance des pratiques financières informelles dans les pays en développement, l'exclusion financière et les concepts du développement durable.
A. la finance informelle
Les travaux de Shaw (1973) et Mc-Kinnon (1973) concernant les systèmes financiers dans les pays en développement ont mis l'accent sur l'existence des secteurs financiers parallèles, désignés souvent par le terme "finance informelle". Ces pratiques financières puisées dans les valeurs sociales, coutumières et ethniques affectent le rôle des banques commerciales dans le financement de la sphère réelle. Bien que considérée par les monétaristes comme un aspect négatif des systèmes financiers en développement, la finance informelle a trouvé un grand soutien auprès des économistes néo-structuralistes. Ces derniers considèrent ce secteur compétitif et agile (Taylor, 1983 et Jensen, 1989). Il ne caractérise obligatoirement pas la répression financière; la finance informelle renseigne tout simplement sur une autre organisation des sociétés en développement et peut alors constituer un facteur de développement.
Certaines vertus ont été reconnues dans la finance informelle. D'abord, elle repose sur des rapports de proximité favorable à une offre financière différenciée et individualisée. De plus, elle est commode et à la portée de personnes souvent sans instruction. Par ailleurs, les bailleurs de fonds informels exigent moins de garantie; la parole et l'appartenance à un groupe suffisent. Les coûts de transaction faibles représentent aussi un avantage comparatif en faveur de la finance informelle (Vonderlack et Schreiner, 2003).
Ces caractéristiques alimentent davantage la réticence des pauvres au secteur institutionnel même après les réformes de libéralisation financière préconisées par les monétaristes. En effet, les besoins accrus en matière de "financiarisation des rapports sociaux" ont permis aux pratiques informelles de se développer en marge des institutions bancaires (Servet, 2000); celles-ci se sont focalisées sur le financement des entreprises au détriment d'une forte demande des ménages à faible revenu. Ces derniers s'orientent alors vers le secteur informel à défaut de concours de la part des systèmes institutionnels, souvent exigeants en matière de garantie et de profil socio-économique des demandeurs.
Cependant, la finance informelle présente aussi des lacunes. D'abord, les financements accordés sont de faibles montants. Ensuite, les acteurs, souvent ambulants sont indisponibles en cas de besoin. Même en matière d'épargne, la finance informelle présente un risque d'insécurité et ne préserve pas l'anonymat des épargnants, qui se trouvent parfois contraints à soustraire leurs économies sous la pression de leur environnement.
C'est pourquoi, il était nécessaire d'adapter les institutions formelles aux usages des pauvres et de concilier finance institutionnelle et finance informelle, grâce à une solution intermédiaire: la microfinance. Les institutions de microfinance, plus petites que les banques traditionnelles et plus proches des agents économiques à faible revenu peuvent s'acclimater à leurs demandes individuelles en terme d'épargne et de prêt [2].
B. L'exclusion financière
"Une personne se trouve dans une situation d'exclusion financière lorsqu'elle subit un degré de handicap tel qu'elle ne peut plus vivre normalement dans la société qui est la sienne en raison des difficultés qu'elle rencontre à accéder à l'usage de certains moyens de paiement ou règlements, à certaines formes de prêts ou financement, à préserver son épargne ou à s'assurer contre le risque de l'existence" (Servet, 2000).
L'exclusion financière se traduit alors par des difficultés d'accès aux services financiers pour des raisons socio-économiques. Elle est alors une entrave à l'intégration sociale au point d'être considérée comme un indicateur de précarité. Bien que, pour des raisons méthodologiques, les termes "exclusion financière" et "exclusion bancaire" soient souvent utilisés indifféremment, il convient toutefois de préciser que l'exclusion financière est un concept plus large qui résulte de l'association de trois éléments: l'exclusion bancaire, l'incompréhension des phénomènes financiers et la précarité économique.
En effet, l'exclusion bancaire concerne les difficultés d'accès aux produits et services bancaires permettant de disposer de ressources immédiates tels que l'ouverture d'un compte ou l'utilisation de moyens de paiement. Les profils des exclus bancaires sont divers: des personnes à faible revenu, des interdits bancaires ou encore des surendettés. Néanmoins, l'exclusion financière est plus vaste et concerne les difficultés d'accès à des produits et services étalés dans le temps tels que les crédits (Gloukoviezoff, 2004).
Par ailleurs, un lien de causalité a été établi entre l'exclusion sociale et l'exclusion financière. L'exclusion sociale, souvent associée à la précarité, ne génère pas forcément l'exclusion bancaire, de par l'existence de l'Etat Providence mais elle rend les rapports avec le système institutionnel plus difficiles. En effet, les exclus sociaux, comme l'ensemble des pauvres, montrent une aversion à la finance institutionnelle fondée sur une incompréhension des systèmes bancaires. Cette incompréhension est mutuelle et à l'origine d'un manque de confiance: d'une part, les banquiers accusent les pauvres d'imprévoyance et de mauvaise gestion de leurs budgets; d'autre part, les exclus accusent le système bancaire d'injustice (Gouguet et Jarry, 2003).
Outre la sélectivité des institutions financières, l'incompréhension des procédures financières comme la pauvreté conduisent à l'auto-exclusion. Pour des raisons morales, religieuses, à cause d'expériences négatives dans le passé ou tout simplement de jugements à priori, les agents peuvent s'auto-exclure de la vie financière (Gloukoviezoff, 2004).
Face à ce phénomène d'exclusion financière, la microfinance apparaît alors comme une solution adéquate pour une meilleure insertion des exclus. En effet, souvent inactifs depuis de longues périodes, la reconnaissance sociale des exclus passe par le travail et l'amélioration de leurs conditions de vie. Le financement de micro-projets individuels, grâce aux mécanismes de microfinance, permet de générer de l'auto-emploi et de garantir la réinsertion économique et sociale des personnes à faible revenu.
C. Les nouveaux concepts du développement durable
Les travaux récents en matière de développement ont souligné un nouveau cadre pour la notion de pauvreté. Au-delà des traits monétaires (faible revenu), la pauvreté se définit aussi par "la négation de possibilités de choix plus essentiels au développement humain, longévité, santé, créativité, moins aussi de conditions de vie décentes, dignité, respect de soi-même et des autres, accès à tout ce qui donne sa valeur à la vie" (PNUD, 1998).
Ainsi, la pauvreté ne se limite plus au manque de moyens monétaires et englobe aussi les handicaps au maintien d'une vie décente, à la préservation des droits fondamentaux et à l'insertion sociale. Cette conceptualisation plus élargie de la pauvreté a surtout mis l'accent sur l'importance du développement humain et la place des femmes dans les économies en développement.
D'une part, le développement durable ne peut s'obtenir sans garantir à chacun les conditions nécessaires à son évolution individuelle grâce à l'éducation, la santé et l'accès à tous les services de sa société. La lutte contre la pauvreté n'est plus une simple affaire de croissance économique. Elle implique des changements socio-économiques que les institutions financières traditionnelles peuvent exclure de leurs champs d'intervention. Il a fallu alors imaginer des institutions qui se chargent à la fois du social et de l'économique.
D'autre part, les femmes ont un rôle indéniable dans leurs sociétés. Or, elles ont longtemps été exclues des programmes de développement. Cette marginalisation a donné lieu à l'émergence de l'approche "genre" qui soutient que des relations inégales de pouvoir constituent un facteur essentiel du sous-développement (Hofmann et Marius-Gnanou, 2001). Cette approche a alimenté de nombreux écrits en matière de financement de l'autonomie féminine grâce à la microfinance. La microfinance s'impose alors comme l'outil privilégié du financement du développement humain en général et de l'autonomie féminine en particulier.
I.2 La microfinance: définitions, objectifs et limites
Les expériences diverses en matière de microfinance ont généré plusieurs types d'intermédiaires agissant dans des domaines variés. Néanmoins, la portée de leurs activités et leurs objectifs concorde.
A. Définitions
Plusieurs définitions sont accordées à la microfinance.
Selon la Banque mondiale (2000),"la microfinance consiste à offrir à des familles en situation de précarité économique un crédit de faible montant pour les aider à s'engager dans des activités productives". Cette définition met l'accent sur la précarité des personnes ciblées et le rôle de la microfinance dans le financement des activités productives. Elle se limite à l'octroi de prêts et néglige alors deux autres aspects caractéristiquesdes IMF: l'initiation à une discipline d'épargne et la médiation sociale.
D'après l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), "La microfinance vise l'accès au financement de petits projets, portés par des personnes marginalisées qui aspirent à créer leur propre emploi, souvent par défaut d'autres perspectives professionnelles et parce que l'accès aux sources traditionnelles leur est refusé". (voir Verbeeren et Lardinois, 2003, p 11). Cette définition étend l'activité des IMF à des opérations de financement en plus de l'octroi de micro-crédits. En effet, les IMF proposent également des services d'assurance, de prise de participation, de paiement et de gestion de risque. De plus, elle souligne la difficulté d'accès à d'autres ressources traditionnelles, donc l'exclusion financière.
Pour une vision plus synthétisée et différenciée des institutions de micro-crédit, il convient d'adopter une définition fonctionnelle. Ainsi, les IMF sont des intermédiaires qui assurent deux fonctions: l'intermédiation financière et l'intermédiation sociale.
Sur le plan financier, leurs activités comprennent:
- l'octroi de petits crédits;
- l'évaluation informelle des emprunteurs et de leurs investissements;
- l'engagement dans des formules de garantie spécifique telles que la caution solidaire ou l'épargne obligatoire;
- le suivi et l'appui des projets financés.
Sur le plan social, les IMF offrent des services d'appui au développement de l'entreprise (formation technique) et des actions sociales au profit des bénéficiaires (éducation, santé).
Les IMF peuvent être des Organisations non gouvernementales (ONG), des coopératives d'épargne et de crédit, des mutuelles de crédit, des Banquiers d'Etat, des banques commerciales ou autres institutions financières.
B. Objectifset limites
L'objectif de la microfinance est principalement la lutte contre la pauvreté. Il s'agit ici d'un défi multidimensionnel auquel est confrontée une grande proportion de la population mondiale.
L'éradication de la pauvreté passe par le développement des aspects sociaux suivants:
- l'amélioration des conditions de vie;
- le renforcement de la position des femmes et des populations marginalisées;
- le soutien à la croissance et la diversification des entreprises existantes;
- l'aide à la création de micro-entreprises et donc à l'auto-emploi.
Les expériences de la microfinance se sont répandues dans le monde et ont concerné aussi bien les pays en développement que les pays industrialisés. Leur contribution au développement et à l'insertion sociale se trouve alors heurtée à certaines difficultés, dont:
- les risques liés à la nouveauté du secteur qui pose un problème d'adaptation des ménages pauvres aux services financiers formels;
- la gestion d'une croissance considérable: dépourvus de concurrence, les IMF connaissent souvent un grand succès durant leurs premières années d'implantation et bénéficient ainsi de position monopolistique en matière de crédit subventionné;
- l'innovation financière: les nouveaux produits et services lancés par les IMF sont difficilement testés avant d'être proposés à grande échelle, ce qui amène parfois à une innovation mal ciblée;
- le risque moral; le risque de non remboursement est difficilement cerné par des institutions jeunes et en l'absence de relations historiques avec la clientèle.
En résumé, les IMF se présentent comme des entités qui s'occupent à la fois du financement et de l'encadrement des activités productives pour des personnes à faible revenu. L'encadrement concerne à la fois les micro-projets ainsi que leurs initiateurs. Par ailleurs, l'activité des IMF peut s'inscrire dans une démarche gouvernementale ou associative pour le développement.
Dans la section suivante, nous allons aborder l'expérience tunisienne dans ce domaine.
Section II. L'expérience tunisienne en microfinance
Le micro-financement a été adopté depuis l'indépendance (mars 1956) dans des secteurs jugés prioritaires pour le développement économique. En revanche, l'apparition des IMF spécialisés remonte aux débuts des années 1990.
II.1 Le secteur de microfinance en Tunisie
Les premiers essais se sont focalisés sur le secteur agricole, eu regard aux conditions économiques de l'époque. Ainsi, l'expérience coopérative, tentée entre 1962 et 1968, a donné lieu à l'apparition des Caisses d'épargne et de crédit (CEC) ayant pour mission principale le financement des coopératives principalement agricoles [3].
A. Le micro-crédit agricole
Les CEC avaient pour objectifs la collecte des thésaurisations individuelles et l'octroi de prêts au profit des membres des coopératives. L'expérience a donné des prémices de réussite, rapidement étouffées par les conditions climatiques difficiles (sécheresse des années 1968 et 1969), par la mauvaise gestion et par l'absence d'un fonds de garantie pour soutenir les caisses en cas en périodes de sinistres. Les impayés devenaient lourds et l'expérience coopérative arrivait à sa fin. Au début des années 1970, un autre système de financement des micro-projets agricoles est instauré: les Sociétés de cautionnement mutuel (SCM).
Leur activité de financement se fait d'une manière spécifique. Les SCM n'accordent pas de prêts mais cautionnent les adhérents auprès de l'établissement de crédit pour l'obtention de fonds. Elles s'engagent à couvrir 25% des prêts contractés. Cette couverture est réalisée grâce à un fonctionnement mutualiste: chaque membre est appelé à verser une commission, dite d'aval, au taux de 0.25% à 1% du crédit obtenu.
Ce système a montré une meilleure réussite mais se limitait à l'agriculture, d'où le besoin d'instaurer des mécanismes de financement orientés vers les micro-entreprises et le développement des infrastructures.
B. Les dispositifs de création et de soutien aux micro-entreprises
Actuellement, les PME et les micro-entreprises représentent près de 90% des entreprises tunisiennes, assurent 30% des emplois et contribuent à environ 30% du PIB (d'après le rapport sur le développement en Tunisie, PNUD, 2001). Leur survie est cruciale en matière de maintien de l'emploi et l'incitation à leur création permet de générer de nouvelles embauches. Les dispositifs d'incitation fiscale et d'assistance sont renforcés par la création d'organismes financiers spécialisés.
Le Fonds national de promotion de l'artisanat et des petits métiers (FONAPRA):
Créé en 1981, celui-ci est destiné à promouvoir l'emploi indépendant et la création de micro-entreprises, en facilitant la mise en oeuvre de petits projets entrepris par des petits promoteurs, diplômés ou disposant des qualifications requises dans le domaine de l'artisanat et des petits métiers. Le concours du FONAPRA se fait selon un schéma spécifique. Le fonds finance des projets dont le coût ne dépasse pas 50'000 dinars (un dinar équivaut à peu près 0.65 euro). Les fonds propres mobilisés par le bénéficiaire représentent 4% lorsque le coût du projet est inférieur à 10'000 dinars et 8% lorsque le coût est compris entre 10'000 et 50'000 dinars. Le crédit bancaire à taux bonifié s'élève à 60% du coût, le reste est offert au bénéficiaire sous forme de dotation publique. Le promoteur bénéficie par ailleurs de plusieurs avantages financiers et fiscaux étendus sur cinq ans.
Depuis sa création et jusqu'à la fin de l'année 2000, le FONAPRA a financé 22'000 projets pour un montant total d'investissement de près de 295 millions de dinars et a permis de créer 89 000 postes d'emplois, ce qui représente plus de 4500 postes d'emplois par an (PNUD, 2001).
Le Fonds de roulement de l'office national de l'artisanat:
Ce fonds a été créé en 1988 et est destiné à assurer le développement durable du secteur de l'artisanat, en conséquence à préserver l'emploi des femmes. Son intervention consiste à financer les besoins en fonds de roulement à hauteur de 3000 dinars par artisan installé et reconnu par l'Office national de l'artisanat. L'office a accordé fin 2000 une enveloppe de 2,6 millions de dinars qui a bénéficié à 28 246 artisans. Le secteur de tissage accapare 68% des interventions du fonds (d'après le rapport annuel de l'Office national de l'artisanat, 2000).
Le Fonds national pour l'emploi 21-21:
Ce fonds créé en 2000 intervient dans le financement de toutes les opérations susceptibles de développer la qualification des demandeurs d'emploi et de favoriser les possibilités de leur intégration, notamment par:
- des programmes permettant l'intégration professionnelle et sociale de personnes dépourvues de qualifications professionnelles dans le cadre d'activités d'intérêt public;
- des activités et de projets spécifiques pour l'emploi indépendant au profit des demandeurs d'emploi ayant des qualifications professionnelles;
- des opérations et de programmes au profit des diplômés du supérieur, en vue de développer leurs capacités d'insertion dans la vie professionnelle;
- des opérations de réadaptation, de formation et d'intégration professionnelles.
Jusqu'à la fin de l'année 2001, le nombre des bénéficiaires des interventions du fonds a atteint 112'000 personnes. Outre les dons privés, le fonds reçoit des aides gouvernementales: 80 millions de dinars ont été alloués en 2001 (PNUD, 2001).
C. Les programmes de génération de revenu et de lutte contre la pauvreté
Ces programmes contribuent au développement harmonieux et équilibré des régions. Ils participent d'une manière active à la consolidation et à la création d'emplois, à travers la mise en place d'instruments et de mécanismes spécifiques de création d'activités productives et de sources de revenus stables et viables. Nous citons l'exemple du Programme régional de développement (PRD) qui touche environ 13'000 personnes par an à travers le financement de petits projets dont le coût ne dépasse pas 3000 dinars. Mais le dispositif le plus important de lutte contre la pauvreté demeure le Fonds national de solidarité (FNS).
Institué en 1993, le FNS s'est engagé à répondre aux objectifs suivants en se basant sur les valeurs d'entraide sociale:
- désenclaver, améliorer les conditions des habitants et assurer une base économique dans les zones d'ombre;
- insérer les bénéficiaires dans un processus de développement en les aidant à financer leurs micro-projets et en leur garantissant leurs droits fondamentaux (droit à l'éducation, droit à la santé, à la culture, à l'insertion économique...);
- contribuer à lutter contre la pauvreté.
En vue d'alléger les tâches du FNS, le financement des micro-projets est transféré à la Banque tunisienne de solidarité, créée en 1998 pour ce but et oeuvrant en collaboration avec les organismes non gouvernementaux.
Les réalisations du FNS 1993-2004
Depuis son instauration, la BTS a développé des cellules régionales étalées sur l'ensemble des gouvernorats en vue de garantir un meilleur service de proximité. Pour la gestion des crédits dispensés, elle se sert du réseau national de la Poste en vue de profiter de son implantation étendue. La décision de financement est décentralisée. Les cellules régionales choisissent les projets selon des critères sélectifs (qualité de l'emprunteur, sa qualification, son sérieux, la rentabilité du projet...).
Cette banque a beaucoup été médiatisée en vue d'informer le public de ses domaines d'intervention. Son palmarès est sans doute indiscutable. A la fin de 2001, le nombre des crédits accordés a atteint 49'000 pour un montant total de 174 millions de dinars. Ces projets ont permis la création de 69'000 emplois. Au niveau de la répartition par secteur, 78% des projets concernent les petits métiers et les services, 17% concernent des projets agricoles et 5% concernent des projets dans le secteur de l'artisanat. La part des femmes dans le total des crédits accordés a atteint près de 30% (PNUD, 2001).
Dans ce qui suit, il est question d'évaluer la contribution de cette banque à l'amélioration des modes de vie et à l'intégration des habitants de Ben Gerden (gouvernorat de Médenine) grâce aux résultats d'une enquête réalisée auprès de 57 bénéficiaires. Le traitement des données est fait grâce à l'utilisation de SPSS pour Windows, version 10.
Il s'agit d'une enquête administrée au domicile des bénéficiaires ou sur les lieux de travail [5]. Son objectif principal est de montrer l'efficacité de la politique des micro-crédits dans l'amélioration des conditions de vie de la population cible. Deux hypothèses sont alors formulées:
Hypothèse 1: Les micro-crédits améliorent le niveau de vie des bénéficiaires.
Hypothèse 2: Les projets financés offrent de nouvelles possibilités d'emploi.
L'efficacité d'un IMF se mesure en fonction des objectifs escomptés. Ainsi, si l'objectif de départ est la lutte contre la pauvreté, alors la mesure d'efficacité se fait en termes d'amélioration et de stabilisation des revenus. Si l'on veut atteindre une meilleure dignité des exclus, alors les résultats sont appréciés à travers l'épanouissement personnel, la confiance en soi et le développement d'un réseau relationnel. L'efficacité de la microfinance entrepreneuriale peut être analysée à travers la survie et la longévité des entreprises créées. Leur croissance peut fournir des éléments de réponse complémentaires (chiffre d'affaire, bénéfice...).
Guérin (2002) met l'accent sur deux indicateurs d'efficacité: l'emploi et l'encadrement des bénéficiaires. Pour mieux garantir la réussite des projets entrepris et dans le but d'économiser des coûts de non-remboursement, les IMF sont appelés à accompagner les bénéficiaires en vue de les aider à adapter leurs projets à leur qualification et à leur environnement. Ils doivent aussi s'inscrire dans une action territoriale de développement. L'harmonisation des objectifs et la coordination avec d'autres acteurs du développement, permettent de mieux sélectionner les projets et d'intégrer les entrepreneurs.
L'emploi demeure la principale variable à laquelle s'intéressent la majorité des IMF. Il convient toutefois de mentionner l'aspect multidimensionnel de cet indicateur. En effet, il peut s'agir d'auto-emploi, d'emploi induit, à plein temps ou à temps partiel et aussi de la qualité de cet emploi. Faute d'information sur les aspects qualité et longévité de l'emploi, cette étude examine les retombées des micro-crédits sur l'auto-emploi et l'emploi induit.
Notre échantillon compte 57 personnes ayant un âge compris entre 21 et 50 ans avec une moyenne d'environ 32 ans. La majorité des sujets (89,5%) sont âgés de moins de 40 ans.
La population interrogée est relativement plus masculine: 35 sujets masculins contre 22 sujets féminins. Un troisième critère permet de caractériser l'échantillon: le niveau d'instruction. Il en résulte que la quasi-totalité est alphabétisée, ayant souvent un niveau scolaire supérieur à la formation primaire (seuls deux sujets n'ont pas d'instruction). Notons à cet égard que les sujets féminins et masculins sont assez équitablement répartis en fonction de leur niveau d'instruction, particulièrement parmi les universitaires (voir graphique II). Ceci renseigne sur l'accès de la femme tunisienne aux services de la microfinance. Celle-ci bénéficie à des proportions élevées de l'activité des IMF contrairement à d'autres pays en voie de développement où la femme est encore considérée comme un sujet marginalisé ayant des difficultés d'accès aux divers modes de financements (Gbinlo et Soglo, 2003).
Par ailleurs, 39 sujets (soit 68,4%) dont 10 femmes, ont déclaré être responsables d'une famille avec en moyenne 3 personnes à charge (entre 1 et 10 personnes). De plus, 79% de la population étudiée ne possédait aucun revenu avant la réalisation de leurs micro-projets (voir graphique II).
Les crédits accordés ont oscillé entre 800 dinars et 33'000 dinars avec une moyenne de 8 500 dinars par sujet, soit l'équivalent de 5667 euros. La fourchette s'accorde avec les moyennes internationales au regard des données du tableau suivant:
En ce qui concerne les retombées positives du micro-crédit, l'étude porte sur les variables "amélioration du niveau de vie" et "épargne". Seulement 12,3% de la population n'ont constaté aucune amélioration de leurs conditions de vie. En revanche, 87,7% des bénéficiaires ont déclaré que leur niveau de vie s'est haussé de peu ou de beaucoup. Ces résultats conduisent à supposer l'existence d'une relation entre le micro-crédit et l'amélioration des conditions de vie des bénéficiaires.
Hypothèse 1: Les micro-crédits améliorent le niveau de vie des bénéficiaires.
Cette assertion signifie alors qu'en l'absence d'effet positif des micro-crédits, chaque individu de la population présenterait des chances égales entre l'amélioration ou l'absence d'amélioration de son niveau de vie. Tester cette hypothèse nulle (l'absence d'effet) avec le test de Khi-carré. Le x2 obtenu est de 12,32, soit largement supérieur au x2 (2) tablé au seuil de 5% qui est de 5,99. Ainsi, l'hypothèse nulle est rejetée: un individu qui a bénéficié d'un micro-crédit a plus de chance d'améliorer son niveau de vie. Par ailleurs la variable épargne montre que 47% des sujets arrivent à épargner. D'ailleurs, une corrélation positive et significative a été décelée entre les deux variables.
En vue de vérifier la relation entre le micro-crédit et les possibilités d'emploi, nous testons l'hypothèse nulle stipulant que les micro-projets peuvent créer ou ne pas créer à probabilités égales de nouveaux emplois. Le x2 obtenu est de 21,49, soit largement supérieur au x2 tablé au seuil de 5% (soit 3,84). L'hypothèse nulle est alors rejetée et nous pouvons considérer que les projets permettent de créer de nouveaux emplois. Le nombre d'emplois créés varie entre 1 et 4 personnes embauchées avec une moyenne de 1.19 emplois par projet. Néanmoins, aucune corrélation significative n'a pas été retrouvée entre la variable "emploi" et les autres variables relatives aux projets financés (activité et montant). On ne peut alors expliquer la création d'emploi ni par le montant octroyé, ni la durée de remboursement, ni le secteur financé. Il reste à supposer que l'offre de nouvelles embauches dépende plutôt de la rentabilité du projet.
La microfinance s'est répandue d'une manière remarquable grâce à la multiplication des organismes d'aide et de financement aux personnes à faible revenu. Son émergence a été favorisée par les renseignements tirés de la finance informelle, par la nécessité d'intégration des exclus sociaux et par l'élargissement des concepts du développement durable.
L'expérience tunisienne en matière de microfinance est riche et a bénéficié de l'arrivée de nouveaux acteurs vers les années 1990. La politique de micro-crédit constitue le pilier principal de cette démarche de développement. En collaborations avec d'autres organismes, la Banque tunisienne de solidarité remplit un rôle crucial en matière de demande de financement des micro-entreprises.
L'étude des résultats d'une petite enquête réalisée auprès de certains bénéficiaires de micro-crédit conduit aux résultés suivants: la population ciblée est assez jeune et principalement inactive avant le concours de la BTS. Elle est assez équitablement répartie entre les deux sexes et les bénéficiaires ont majoritairement un niveau de scolarisation secondaire ou universitaire. Les micro-projets financés ont amélioré les conditions de vie des sujets étudiés et certains arrivent même à épargner. Par ailleurs, les projets ont généré de l'emploi en plus de l'auto-emploi des bénéficiaires.