Nous présentons ici une étude qui comporte un rassemblement de connaissances et de consensus sur les conditions qui mènent progressivement vers le transport durable (voir Prades et al., 2004).
Notre cadre de référence, en accord avec plusieurs travaux majeurs est la promotion d'un système de transport doté de trois caractéristiques fondamentales.
- Permettre aux particuliers et aux sociétés de satisfaire leurs principaux besoins d'accessibilité de manière consistante et compatible avec la santé des humains et des écosystèmes, sous le signe de l'équité, à travers les générations.
- Fonctionner efficacement, être abordable, répondre aux besoins et aux ressources du marché de la mobilité, offrir un choix diversifié de modes de transport et favoriser une économie dynamique.
- Limiter les émissions et les déchets de manière à ne pas dépasser la capacité de la planète de les absorber, à réutiliser et à recycler l'ensemble de ses composantes et à réduire progressivement la consommation des ressources non renouvelables, le bruit et l'utilisation des terrains.
L'étude porte sur la promotion du transport durable en tenant compte des analyses et des initiatives qui suivent le protocole de Kyoto (Mullins, 1999) dans une perspective de courte, moyenne et longue période, tout en se concentrant sur un point majeur: le développement de technologies innovatrices.
2. Objectifs de l'étude
En complémentarité avec les acquis des travaux précédents (voir références bibliographiques en fin de document), et particulièrement sensibilisés à l'irruption progressive des nouvelles technologies dans les différents domaines de l'activité économique et sociale, l'étude vise les objectifs suivants:
Objectifs fondamentaux:
- Contribuer à la préparation et à l'implantation de réalisations pratiques en transport durable dans la perspective de l'après Kyoto.
- Accroître le niveau des connaissances fondamentales et appliquées sur les conditions qui déterminent les décisions de haut niveau concernant les investissements destinés à implanter à grande échelle des technologies innovatrices.
- Bénéficier systématiquement des échanges d'information critique avec les intervenants de différents domaines (transports, énergie, finances, planification, gestion, logistique, haute technologie, etc.) impliqués dans le développement économique, social et environnemental.
- Former des experts et des scientifiques à la fine pointe du développement en matière de conception, de planification, de mise en oeuvre et de gestion du transport durable.
Objectif central:
- Déceler les conditions dans lesquelles l'implantation de nouveaux scénarios de locomotion, dûment combinée avec les outils de gestion pertinents, peut contribuer effectivement à rééquilibrer l'offre et la demande du marché de la mobilité de manière soutenable sur le plan environnemental, rentable sur les plans économique et financier et équitable pour les usagers et les consommateurs sur les plans politique et social.
- Intéresser des représentants qualifiés du secteur privé, du secteur public et des associations de citoyens à préciser, à coopérer et à adopter les moyens nécessaires pour promouvoir une telle implantation de façon progressive et réussie.
II. Plan du travail
L'étude comprend trois grandes sections. Voici pour chacune d'entre elles, l'objet et les questions à élucider et à mettre à l'épreuve des faits.
Première section. Exploration globale
1.1. Objet
- Présenter succinctement le système du transport en termes de marché de la mobilité (personnes et marchandises) dans la civilisation industrielle et plus particulièrement enAmérique du Nord.
- Examiner les caractéristiques générales de ce marché, ses problèmes, les causes fondamentales de ces problèmes, les grandes lignes de leur possible résolution et les conditions nécessaires pour pouvoir la réussir.
1.2. Questions à élucider
Le contexte
Dans notre temps, les biens et les services sont conçus, produits et distribués au niveau mondial. Les machines et les outils, aussi bien que les procédés financiers et managériaux diffusent les mêmes standards dans un monde compact dominé par des grandes puissances transnationales. Partout dans le monde, les organisations s'orientent vers un modèle sociétal de plus en plus unifié visant l'industrialisation et l'urbanisation massives (Brown et al., 2001; Giddens, 1990; Stiglitz, 2000). Dans ce modèle, la mobilité, c'est-à-dire le transport de passagers et de marchandises, constitue un besoin majeur en constant développement. Le marché de la mobilité qui se chiffre en plusieurs milliards de dollars par jour s'organise en trois grands secteurs, aérien, maritime et terrestre (Wilson, 1997). Ce dernier inclut deux grandes technologies, le rail et la route.
Le rail comprend trois grandes catégories (nous indiquons des vitesses moyennes): conventionnel (80-100 km/h), rapide (200-300 km/h) et ultrarapide (400-500 km/h). La route comprend le transport individuel et collectif au moyen d'automobiles, de camions et d'autobus, trois modes de transport lourds et lents (80-120 km/h).
L'ensemble de ces modes de transport est interdépendant: les voies ferrées, les routes et les autoroutes se relient entre elles et relient à leur tour les ports et les aéroports. Cette interdépendance ne mène pas à un équilibre entre les modes de transport (Garrison et Ward, 2000). Bien au contraire, elle renforce une double prolifération qui caractérise l'offre de transport: l'avion au plan interurbain et l'automobile et le camion aux plans urbain et périurbain. Cette prolifération est de loin prépondérante dans une société majoritairement urbanisée.
Le problème
L'actuel système de transport comporte - de l'aveu général - quatre déficiences majeures d'ordre structurel: pollution, congestion, manque d'équité et profusion d'accidents[1]. Tel qu'il se développe, il apparaît de moins en moins soutenable, tant au plan environnemental, qu'aux plans économique et social. Si des pays aussi peuplés que la Chine et l'Inde suivaient le modèle occidental (en gros une auto par famille) l'équilibre social, économique et environnemental de la planète serait sévèrement condamné à un avenir difficilement réparable. À moyenne et à longue échéance, le système demande irrémissiblement une restructuration substantielle sur chacun de ces plans. Celle-ci ne peut aller dans le sens d'une régression et encore moins d'un quelconque démantèlement, car dans le monde contemporain la demande de transport des personnes et des marchandises ne cesse de croître de façon massive (Prades et Dunlap, 1998 et 1999). Elle doit dès lors se concentrer sur l'élimination des causes fondamentales qui sont à la racine de cette quadruple déficience et rendre ainsi le marché de la mobilité plus adapté et plus efficace.
Les causes du problème
Une des principales causes du problème est de nature technologique et organisationnelle. En effet, l'actuel système de transport se fonde sur des technologies et sur des systèmes de gestion qui datent de plusieurs décennies, avec des résultats désadaptés.
Au niveau de la technologie de la locomotion. La prolifération démesurée du moteur à combustion constitue une cause majeure de la pollution de l'air, de la congestion urbaine et de la dégradation de la sécurité des êtres humains et de la santé des écosystèmes (Bergeron, 1999; Freund, 1993). Le transport terrestre, individuel et collectif, est très lent en zone urbaine (de loin la plus fréquentée) où les vitesses moyennes sont similaires à celles de la traction animale. Le transport aérien est inefficace pour les distances inférieures à mille kilomètres, un type de déplacement qui est par ailleurs fort en demande.
Au niveau de la gestion de l'offre du transport. Le jeu d'intégrations très intenses (auto, route et pétrole) et d'intégrations très fragiles (informatique, automatique, systèmes de transport intelligents) produit un grand déséquilibre structurel. L'offre de transport est morcelée par manque de gestion proactive fondée sur une vision globale du marché de la mobilité (Prades et al., 1998). Ce morcellement fait que chaque industrie et chaque unité économique, gèrent leurs déplacements, comme si elles étaient seules à fonctionner dans un espace qui, en fait, est commun à toutes. Avec ce morcellement, en fin de compte, la productivité est de plus en plus faible et le coût du transport de plus en plus lourd pour tous.
Les lignes de solution
Ces déficiences structurelles, ce déséquilibre et ce morcellement rendent le système de transport improductif et insoutenable. Il semble dès lors évident qu'un profond renouveau technologique et un mode de gestion performant et viable s'imposent inévitablement. L'avenir est dans le rééquilibrage de l'offre et de la demande afin d'intégrer, à moyen et à long termes, les fonctions majeures du transport terrestre contemporain. Ces fonctions sont entre autres: le transport urbain, périurbain et interurbain, le service porte-à-porte et la grande vitesse, le transport des personnes et des marchandises, le transport individuel et collectif, le transport terrestre dans son rapport avec le maritime (matériaux lourds) et avec l'aérien (très grandes distances). L'avenir est toujours le résultat pratique d'un ensemble cumulatif de grands travaux préparatoires capables d'avoir une stratégie efficace et un important effet de mobilisation (Porter, 1996).
Les conditions du succès: réalisme, esprit d'entreprise, collaboration sociétale
L'actuel système de transport - qui se chiffre en milliards de dollars par jour - est extrêmement lourd. Une restructuration fondamentale du système est comparable au passage de la traction animale à la traction motorisée, avec ses autoroutes et ses aéroports (Fabre, 1963; Hess, 1976). Elle implique dès lors des investissements gigantesques et des décisions de très haut niveau. Ces décisions exigent plusieurs conditions interdépendantes.
- Une grande pression des forces sociétales.
- Une importante alliance entre grands décideurs de différents domaines: pétrole et électricité, fabrication de trains et de voitures, construction et planification d'infrastructures, application des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
- Une préparation longue et coûteuse concernant notamment le bilan comparatif des coûts et des avantages de l'innovation technologique.
- Une stratégie d'implantation progressive et compréhensive capable de tenir compte d'enjeux multiples à courte, moyenne et longue échéances.
L'exploration de cet ensemble de questions donne le sens de l'étude qu'on présente ici.
Fondée avant tout sur la collaboration des grandes forces économiques, politiques, sociales, intellectuelles et morales, disponibles en Amérique du Nord et dans le monde, cette étude donne à penser une stratégie de développement tout à fait concrète qui, sans perdre de vue l'ensemble du problème et de ses voies de solution, doit commencer par des initiatives parfaitement circonscrites à courte période. Cette vision progressive de la tâche sera l'objet des travaux à poursuivre dans les différentes phases de développement de cette étude.
Deuxième section. Concepts stratégiques de base
2.1. Objet
Il s'agit ici de présenter les concepts fondamentaux qui soutiennent la stratégie spécifique de développement du transport durable sur laquelle nous concentrons l'attention: le concept de nouvelles technologies de locomotion et le concept de nouvelles technologies de gestion proactive. Concepts pour lesquels, il convient de justifier leur viabilité et leur opportunité pour atteindre les objectifs de notre étude.
2.2. Questions à élucider
Point de départ
Pour rééquilibrer le système de transport en combinant les avantages du porte-à-porte (camion et automobile) avec celles de la grande vitesse (dual mode, rail rapide et avion) et celles du transport lourd (rail conventionnel et maritime), il convient d'introduire de façon progressive et massive de nouvelles technologies de locomotion terrestre dûment accompagnées de nouvelles technologies de gestion proactive (stratégie, logistique, consultation du public, commercialisation).
Les nouvelles technologies de locomotion[2]
Obligés de concentrer l'attention sur l'examen d'initiatives concrètes, le critère qui fonde l'objet de notre étude ne peut pas être le partage entre bonnes et mauvaises technologies, mais la combinaison optimale de technologies qui répond à nos objectifs fondamentaux et spécifiques. Dans cette perspective, la question à élucider ici porte sur l'intérêt de l'introduction massive de nouvelles technologies de locomotion terrestre disponibles et capables de rééquilibrer l'offre de transport. Dans cette perspective, ces nouvelles technologies qui nous intéressent tout particulièrement présentent les caractéristiques suivantes:
- Elles sont rapides pour décongestionner la plus grande partie des déplacements des personnes et des marchandises.
- Elles sont automatisées pour optimiser les déplacements.
- Elles sont collectives pour épargner grand nombre de déplacements individuels.
- Elles sont électrifiées pour réduire l'utilisation des hydrocarbures et pour réorienter l'approvisionnement énergétique sur une base propre et renouvelable.
- Elles sont polyvalentes pour répondre efficacement à des besoins multiples (porte-à-porte, grande vitesse, volumes et poids petits ou grands, transferts faciles aux niveaux urbain, périurbain et interurbain, transport des personnes et des marchandises...).
- Elles sont sécuritaires pour diminuer sensiblement le nombre et la gravité des accidents de la circulation.
- Elles sont durables pour pouvoir réutiliser et recycler l'ensemble de ses composantes.
- Elles sont abordables pour les couches défavorisées de la population.
- Elles sont équitables pour pouvoir être répandues partout dans le monde.
Une remarque supplémentaire: se concentrer sur l'étude de certains types particuliers de technologie de locomotion ne signifie point clore le débat. Bien au contraire, cela permet de poser des multiples questions concrètes et indispensables concernant notamment des analyses comparatives sur les itinéraires, les connexions, le nombre de véhicules, les disponibilités, les fréquences d'usage, etc.
Les nouvelles technologies de gestion proactive
La 'meilleure' technologie de locomotion est vouée à l'échec sans l'apport d'un complément essentiel: une grande structure de gestion proactive fondée sur une logistique avancée et dotée de moyens en rapport avec les montants investis dans le système locomotion. Il n'est donc nullement suffisant de créer un système de liaison rapide. Une autre fonction spécifique est indispensable: créer la structure de gestion chargée d'organiser les multiples facettes de promotion et d'information pour attirer efficacement tous les clients potentiels dont a besoin le système.
La gestion stratégique proactive (Burt, 1984; Chopin, 1991; Iacofano, 1991) est l'apanage des entreprises dynamiques. Elle cherche à tenir compte, à la fois, des éléments factuels d'une situation donnée et des éléments potentiels dont il faut tenir compte pour qu'un bien ou un service soient viables et profitables de façon optimale, tant pour les tenants de l'offre comme pour ceux de la demande. Cette gestion est aussi préventive et intégrative à plusieurs niveaux: celui des différents modes de transport (auto, camion, train, maritime et aérien), celui des différents secteurs industriels (rail et route, pétrole et électricité, etc.), celui des différents espaces de déplacement (ville, zone métropolitaine, région, continent), celui des principaux marchés de la mobilité (personnes et marchandises).
La logistique avancée (Bigras et al., 1996; Sohier, 2002) englobe l'ensemble des opérations destinées à maîtriser le flux des approvisionnements et des produits, de la planification à la livraison, jusqu'au service après-vente. Sa fonction est de livrer le meilleur produit, au meilleur endroit, au meilleur moment, dans les meilleures conditions, avec la meilleure satisfaction des clients, actuels et potentiels. Les technologies informatisées et les systèmes de transport intelligents[3], tout comme le commerce électronique, le marketing, la publicité et la consultation récurrente des usagers constituent des éléments essentiels de la gestion stratégique fondée sur une logistique avancée.
Pour résumer ce point, nous insistons sur un fait essentiel: les lourds investissements destinés à implanter des nouveaux types de locomotion exigent des études préalables destinées à valider leur faisabilité et leur profitabilité aux plans économique et social. Cette profitabilité exige entre autres que ces investissements soient accompagnés de méthodes de gestion stratégique proactive innovatrices et rigoureuses (Prades et al., 2003).
Troisième section. Analyses chiffrées
3.1. Objet
Cette section consiste à estimer les coûts et les avantages potentiels de l'implantation concertée de ces nouvelles technologies, aux plans social, économique et environnemental et estimer leurs conditions de viabilité à commencer par un scénario conçu sur le plan local et à courte période. Cela nécessitera de faire un bilan complet des résultats de ces analyses.
3.2. Questions à élucider
Une fois que les options de base d'un scénario de départ ont été définies, la collecte et l'analyse des données permettent d'estimer les conditions de faisabilité et de profitabilité, dans une perspective fondamentale de marché à desservir et de capitaux à investir en collaboration entre le secteur privé et les services publics qui sont à charge de l'État. Ces analyses ont ici un caractère d'étude préalable ("due diligence study"). Il n'est pas nécessaire pour l'instant qu'elles soient détaillées et, par conséquent, hautement dispendieuses. Il s'agit tout simplement d'analyses bien conçues et bien fondées, estimées en termes d'ordres de grandeur. Leur objet est de jouer un rôle préalable à toute recommandation susceptible de conduire à des réalisations effectives. Dans cet esprit, ces analyses se présentent en six parties:
1) Analyse élémentaire des coûts des nouveaux types de locomotion
À partir de la documentation disponible, il s'agit de faire un triage circonstancié de deux sortes de banques de données[4]:
(a) Des données sur les différents types d'opérations impliquées (énergie, matériel roulant, infrastructures, exploitation, manutention, coûts du capital à investir etc.).
(b) Des données sur les coûts de chacune de ces opérations (coût d'une locomotive, d'un wagon de personnes ou de marchandises, d'un kilomètre de voie, que ce soit à niveau, surélevée ou souterraine).
À l'aide des techniques de modélisation éprouvées (Beaumais, 2002; Caplat, 2002; Sanders, 2001), il faut faire les calculs nécessaires comprenant différentes perspectives et différentes hypothèses de volume de transport des personnes et des marchandises.
Il convient enfin de compléter la documentation au besoin, ajuster les données à un contexte concret, organiser l'ensemble de données chiffrées.
2) Analyse des coûts de la gestion stratégique proactive
Les coûts d'une gestion stratégique efficace sont très importants. Elle doit mettre au point un Bureau central capable d'obtenir et de gérer en temps réel les informations nécessaires pour pouvoir présenter à tous les clients potentiels d'un système de liaison rapide, une offre de transport efficace et complète, fondée sur le principe de satisfaction des clients (Joannis 1993 et 1995). Ce Bureau central comprend deux grandes sections:
Un système d'information électronique où le Bureau explique en détail aux clients potentiels le contenu de ses différents types d'offre et répond aux demandes d'information, de commande de services, d'ordres de transport, de modes de paiement, etc. Les coûts de ce système se rapportent à deux grands réseaux de communication.
Un réseau B2B, où le Bureau communique en temps réel avec ses clients potentiels, les banques, les hôtels, les agences de voyage, les médias, les grandes entreprises, les grands transporteurs, etc., intéressés par la liaison rapide.
- Un réseau B2C, où le Bureau communique également en temps réel avec les utilisateurs potentiels de cette liaison rapide (horaires souples, aller-retour - prix compétitifs - réductions - forfaits - systèmes simples de paiement et de détaxation - etc.).
Un grand plan de publicité et de communication avec les clients et utilisateurs. On sait que l'industrie automobile consacre des montants très importants à la publicité. Certains avancent le chiffre de 10% du chiffre d'affaires (Bergeron, 1999; Cormier et Magnan, 1999). Des analyses approximatives s'imposent donc pour estimer l'ordre de grandeur des coûts qu'il faut assumer pour connaître les besoins des clients potentiels et pour les informer des modalités et des avantages spécifiques que peut leur apporter un système de locomotion rapide.
La fonction du Bureau est de concevoir, d'exécuter et de contrôler le rapport optimal entre investissements, promotion et développement. Une analyse globale des coûts de cette gestion est dès lors indispensable.
3) Analyse des seuils de viabilité et des degrés de profitabilité
Une fois connus les coûts globaux des différents scénarios sur le volume des personnes et des marchandises à transporter dans différentes unités de temps, il faut estimer le montant global des revenus qu'on doit assurer pour faire face à ces coûts. Ce calcul vise deux lieux d'équilibre: celui des points de convergence mathématique entre coûts et revenus (les seuils de viabilité économique et financière) et celui des niveaux d'optimisation des bénéfices qui correspondent à la réalisation des différentes hypothèses (les degrés de profitabilité).
Ces types de calculs poursuivent un objectif très précis: déterminer les points de rencontre minimale et optimale entre (a) le montant des capitaux investis en matériel (machines, voies, etc.) et en gestion proactive (publicité, information du public, etc.) et (b) les revenus et les avantages qui s'en suivent[5]. Le calcul des seuils de viabilité et des degrés de profitabilité répond au concept de gestion stratégique (Remenyi et al., 2000). Une gestion qui vise certes la réduction des coûts, mais surtout et avant tout, une relation à la fois réaliste et optimale entre le capital investi et la rémunération des facteurs de production.
Les avantages qu'offrent ces investissements doivent aussi être estimés en détail. Certes, l'ensemble des investissements sur les technologies de locomotion et sur les technologies de gestion stratégique suppose des chiffres d'affaires de l'ordre de plusieurs milliards de dollars. Pour les investisseurs, ces milliards constituent une source indispensable de profits. Pour les employés, ils constituent une source de revenus, avec les salaires et bénéfices sociaux. Pour le public, ils représentent une meilleure qualité de vie grâce aux gains considérables en temps, en sécurité et en salubrité et grâce aux retombées des taxes qu'elles génèrent.
Dans un autre ordre d'idées, extrêmement important par ailleurs, les emplois engendrés par ces nouvelles technologies de locomotion rapide et de gestion stratégique sont nombreux à différents niveaux de compétence professionnelle. Citons en quelques-uns: le génie mécanique, électrique et électronique, la logistique avancée et ses corrélats, la direction et la gestion des affaires, la comptabilité, l'informatique et l'électronique dans des applications diverses, les sondages psychosociologiques, la consultation du public, le design ou la stylistique, le marketing, le conseil, la vente, les services directs aux clients, la comptabilité, le travail de bureau, l'imprimerie, la sécurité publique, etc.
4) Analyses comparatives avec le système de transport conventionnel
Ces analyses ont pour objet de comparer les coûts et les avantages (pour les investisseurs et pour les consommateurs) des deux systèmes de transport censés relier des grandes métropoles, celui qui est connu actuellement et celui qui fonctionne avec un moyen de locomotion terrestre rapide et une gestion proactive fondée sur une logistique avancée.
Ces analyses comparatives ont un caractère éminemment instructif. Elles permettent d'amorcer la vérification de trois propositions de la plus grande importance.
- Dans tout système de transport complexe avec une grande demande effective de transport, la marge positive des avantages sur les coûts est réelle dans la mesure où elle se fonde sur une double condition de base: des investissements gigantesques et une gestion efficace.
- L'implantation d'un nouveau mode de locomotion rapide n'est dès lors viable ni profitable que dans la mesure où l'on peut compter sur un volume d'investissements et un mode de gestion qui le situe à un niveau proportionné et comparable avec celui des autres modes de transport qui ont fait leurs preuves.
- L'implantation de la locomotion terrestre rapide, dûment combinée avec les modes conventionnels de transport, peut apporter aux consommateurs et aux investisseurs une profitabilité égale ou supérieure, à celle qui a prévalu dans le système précédent, dominé par la prolifération de la route, de l'avion et du pétrole. Cela ne peut avoir lieu qu'à une condition absolument indispensable: il faut que le volume d'investissements et que le mode de gestion du nouveau système soient comparables, en volume et en qualité, à ceux qui ont fait leurs preuves dans le système précédent.
5) Analyse des conditions sociales et environnementales
Il est évident que la série d'analyses qu'on vient d'évoquer ne peut se limiter aux plans économique et financier seulement. Les analyses comparatives des coûts et des avantages des deux systèmes (celui que l'on connaît aujourd'hui et celui qui met en jeu la locomotion rapide) doivent être poursuivies avec la même attention sur les plans social et environnemental (Prades et Mujica, 1997).
Dans cette perspective, les analyses doivent préciser aux niveaux quantitatif et qualitatif plusieurs ensembles de paramètres:
Paramètres au plan social. Gains et pertes en temps, en santé, en confort, en sécurité, en emplois, en qualité de vie, en goûts et préférences, en équité, en disponibilité d'argent, en liberté et diversité des choix (travail, loisirs, divertissements, éducation, etc.).
Paramètres au plan environnemental. Gains et pertes en efficacité énergétique, en consommation d'espace, en pollution atmosphérique, en bruit, en recyclage, en récupération de déchets, etc.
Ces gains et ces pertes n'ont pas tous ni la même portée ni les mêmes conséquences. Leur évaluation devra donc être soumise à des délicates opérations de pondération pour lesquelles les méthodes d'analyse multicritère (Ladouceur, 2003; Bartholomew, 2002; Reinsel et Velu, 1998) peuvent être un outil équilibré et efficace.
Parmi les nombreux modèles analytiques, on peut citer deux modèles de planification de transport en rapport avec le concept de "soutenabilité": un modèle élaboré à Freiburg (Allemagne) pour des réseaux de relative haute densité et un modèle élaboré à Chula Vista (Californie) pour des réseaux de faible densité relative. Les résultats de ces modèles diffèrent dramatiquement[6].
6) Analyse de validation des différents scénarios
Cette analyse se fonde sur une consultation auprès d'un nombre restreint d'intervenants de haut niveau procédant des secteurs public, privé, universitaire et associatif (Prades, 1995). Destiné à estimer la validité de chacune des composantes des analyses précédentes, cette consultation vise à clarifier les points suivants:
- Les atouts et les obstacles majeurs (de type politique, environnemental, économique, social, etc.) qui assurent ou compromettent la validité du scénario soumis à examen.
- L'importance relative de ces atouts et de ces obstacles.
- Le poids relatif des organismes ou des groupes qui plaident l'importance de ces atouts ou de ces obstacles.
- Les conditions nécessaires et suffisantes pour assurer la faisabilité du scénario et la réussite des objectifs qu'il poursuit.
Les conclusions de ces analyses et de ces consultations portent soit à adopter un scénario pour examen ultérieur, soit à le modifier plus ou moins substantiellement. Dans un cas comme dans l'autre, le raffinement des analyses et des consultations doit se poursuivre systématiquement.
Brève conclusion: Prospective et recommandations
Après avoir analysé les différents aspects de l'impact économique, social et environnemental du développement, à courte, moyenne et longue échéance, de la combinaison entre nouvelles technologies de locomotion et de gestion stratégique proactive, l'étude présente une évaluation globale des résultats obtenus, fait des recommandations et programme la suite des travaux à entreprendre.
José A. Prades,
Martin Mujica,
Jean-Pierre Revéret
et José M. Rubio-Ardanaz
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- Notes:
1.- Voir notamment le tout récent Rapport de la World Business Council on Sustainable Development, WBCSD (2004). Mobility 2030: Meeting the challenges to sustainability. Il est disponible dans le web www.wbcsd.org
2.- A. Pour ce qui est de l'Europe, nous pensons tout particulièrement aux travaux de "La route automatisée", www.lara.prd.fr.
B. Pour les Etats-unis, en matière de transport par route, nous nous inspirerons de ce qu'on appelle le "dual mode", un système de transport qui permet à un même véhicule de se déplacer en mode manuel de porte-à-porte en en mode automatique pour pouvoir faire de la grande vitesse.
Sur le concept de dual mode, voir surtout le site Web suivant: http://faculty.washington.edu/~jbs/itrans/dualmode.htm.
Pour information sur différents types de dual mode, voir entre autres les sites Web suivants:
Ruf. Dual Mode Transport System www.ruf.dk/
HiLoMag http://faculty.washington.edu/jbs/itrans/hilo1.htm
Integrated Transportation System http://faculty.washington.edu/jbs/itrans/its.htm
C. Pour les Etats-unis, en matière de transport par rail voir les sites Web suivants: Maglev.California www.calmaglev.com MAGPLANE www.magplane.com Maglev. Pensilvania. www.maglevpa.com/. Maglev. Transrapid. USA www.transrapid-usa.com.
3.- ITS CANADA. Intelligent Transportation Systems Society of Canada. www.itscanada.org. ITSA Intelligent Transportation Society of America. www.itsa.org
4.- BTS. Bureau of Transport Statistics. www.bts.gov/transtu/
5.- Guide TC de l'analyse avantages-coûts. www.tc.gc.ca/Finance/Bca/fr/TOC_f.htm
6.- Ces modèles font intervenir six critères: énergie, environnement, coûts, technologie, adaptabilité, difficultés d'adoption.
- Références bibliographiques:
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Beaumais, O. 2002. Economie de l'environnement: méthodes et débats. Paris. Documentation française.
Bergeron, R. 1999. Le livre noir de l'automobile. Montréal. Hypothèse.
Bigras, Y., Le Brun S., Pettigrew D. et Roy J. 1996. "La demande de transport de marchandises au Québec et dans ses régions: caractéristiques et perspectives". Études et recherches en transport. Québec. Ministère des Transports du Québec.
Brown, P. et al. (eds.). 2001. Capitalism and Social Progress; The Future of Society in a Global Economy. Basingstoke. Palgrave.
Burt, D. N. 1984. Proactive Procurement: The Key to Increased Profits Productivity Land Quality. Englewood Cliffs, N.J. Prentice-Hall.
Caplat, G. 2002. Modélisation cognitive et résolution de problèmes. Lausanne: Presses polytechniques et universitaires romandes.
Choppin, J. 1991. Quality Through People: A Blueprint for Proactive Total Quality Management. Bedford. IFS.
Cormier, D. et Magnan M. 1999. The Costs and Benefits of Environmental Reporting in a European Context: The Case of France. Montréal. UQAM. Centre de recherche en gestion.
Fabre, M. 1963. A History of Land Transportation. New York. Hawthorn Books.
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Jacofano, D. S. 1991. Public Involvement in Environmental Planning: A Proactive Theory for Program Design and Management. Ann Arbor, University Microfilms International.
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Stiglitz, J. 2000. Principes d'économie moderne. Paris. De Boeck Université.
Sohier, J. 2002. La logistique. Paris. Vuibert.
- Notice:
- Prades, José A.; Mujica, Martin; Revéret, Jean-Pierre et Rubio-Ardanaz, José M. "Vers une stratégie de transport durable fondée sur le développement de l'innovation technologique. Portée d'une étude monographique préliminaire", Esprit critique, Hiver 2005, Vol.07, No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr