Esprit critique - Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
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Hiver 2005 - Vol.07, No.01
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Former au développement local durable: Penser globalement pour agir localement


Georges Bertin

Directeur général de l'institut de formation et de recherche en intervention sociale (IFORIS) à Angers, docteur en sciences de l'éducation, HDR en sociologie, membre du Centre de Recherches sur l'Imaginaire et de la Société de Mythologie Française, directeur de recherches en Sciences de l'Education à l'Université des Pays de Pau et de l'Adour.


Voici soixante-dix ans, le psychiatre Wilhelm Reich, après avoir distingué, comme psychanalyste, les fonctions, circuits et ratés de l'énergie libidinale, explorait le champ social pour débusquer normes, contraintes, répressions et mortifications, puis, dans un mouvement d'amplification, élargissait sa conception énergétiste jusqu'à formuler l'hypothèse d'une énergie d'orgone universelle. De là date, pour lui, son intérêt pour la nature, les déserts, les nuages, la pollution et le dérèglement qu'il constatait déjà des lois naturelles du fait du mécanisme des activités humaines. Il rappelait à ce propos que l'interdiction religieuse d'explorer le domaine de la vie était souvent assortie d'une menace de mort (il devait en faire lui-même l'expérience à son corps défendant), et ce, en raison d'un interdit qui portait sur Dieu et l'origine de la vie présentés comme inconnaissables.

Ainsi, "manger de l'arbre de la connaissance, c'était se faire expulser du paradis par le glaive flamboyant"(1973, p.188) et Reich avait repéré, mais il se défendait d'en être le premier, que l'énergie d'orgone universelle fondait en elle, en une unité, la nature vivante et la nature inanimée, proposition que ne démentiraient pas nos modernes écologistes.

Et de dénoncer les savoirs séparés dus à une pensée mécaniste et positiviste: "L'étude de la nature qui a conduit à la découverte de l'énergie cosmique s'oppose d'une manière nette, tranchante inconciliable à cette autre manière d'étudier la nature à laquelle nous devons la bombe atomique. Il y a la question de savoir si la nature est un espace vide avec quelques taches largement dispersées ou si elle est un espace rempli d'énergie cosmique primordiale, un continuum fonctionnant d'une manière vivante et obéissant à une loi naturelle de validité universelle", écrivait-il dans l'Ether, Dieu et le Diable (1973, p.75).

Et Reich proscrivait ainsi une pensée mécaniste croyant que tous les problèmes sont résolus par la science physique tandis que le monde s'écroule sous ses pieds tant son image du monde est solide et compacte. "Une telle vue de l'univers conçue par les techniciens liés à l'idéologie mécaniste conclut Reich ne laisse aucune place à la matière vivante" (1973, p.112.) Et de qualifier cette idéologie: "mondiale, morte et meurtrière" (1973, p124), en dénonçant ses effets destructifs.

Or, l'observation quotidienne de la nature avait appris à Reich qu'elle est tout sauf perfectionniste - souci des civilisations dominées par la machine - en dépit des lois qui règlent ses fonctions car "le domaine du variable est infiniment plus vaste que le domaine de l'uniforme".(Reich, 1973, p. 115)

Il rapportait ainsi le phénomène universel de pulsation (expansion/contraction) à la nature inanimée elle-même comme à l'autre bout de la chaîne anthropologique, aux émotions.

De fait, précisait-il, la conception primitive de la vie émotionnelle était d'abord animiste, la nature y étant regardée comme une chose animée, et cette animation "s'inspirait d'expériences sensorielles vécues". Ainsi "les esprits avaient une expression terrestre, le soleil et les astres agissaient comme des humains vraiment vivants". (Reich, 1973, p.121) L'appareil sensoriel est dès lors incontournable pour explorer le monde qui, de ce fait, échappe au technicien, au théoricien perdu dans ses équations, au physicien de l'école ancienne. Et d'en tirer des applications médicales, déniant au cancérologue de l'école mécaniste la capacité de trouver les propriétés réelles de la cellule cancéreuse, cramponné aux propriétés secondaires et artificielles que la cellule a acquise au cours des recherches, car "l'intervention expérimentale altère l'objet de la recherche". (Reich, 1973, p.149).

Trente ans après nous vérifions ces analyses, aujourd'hui, 20% des habitants de la planète Terre vivent dans les pays riches et consomment 45% des protéines, 58% de l'énergie, 84% du papier, disposent de 88% des véhicules. Depuis 1950, les prélèvements d'eau ont triplé alors que le volume d'eau disponible par habitant a été divisé par deux[1].

La question du développement durable occupe désormais nombre de politiques transnationales, régionales, locales, et les conduites sus mentionnées ne cessent d'être interrogées.

Ceci est vécu sur le mode complexe, car faisant à la fois référence à un point de vue dominant à partir duquel s'organisent les projets (injonction, imposition des normes, programmes transnationaux) mais aussi, sur les terrains les plus divers, à l'enchevêtrement des pratiques, d'où la nécessité où se trouvent les agents de combiner entre eux la complexité des savoirs humains (sociaux, culturels, techniques, biologiques) pour penser le développement durable dans une perspective globalisante et donc de se saisir des niveaux de sens à l'oeuvre. La pensée complexe ne refuse pas la clarté, l'ordre, le déterminisme, elle les sait seulement insuffisants car "la pensée simple ne résout que des problèmes simples". (Morin, 1990)

On trouve là toute la tension qui existe sur le terrain entre deux conceptions du développement:

  • une conception endogène: elle situe le praticien du développement global au coeur des enjeux de la complexité sociale. IL les pense en tant qu'acteur car ils le provoquent comme il les provoque, en fait dans le cadre d'une praxis,
  • une conception exogène: il s'agit de se conformer à des normes, de mettre en oeuvre des pratiques qu'il faut rendre opératoires.

Se rattachent à cette opposition les conceptions géographiques ou territoriales du développement, quand celui-ci est lié aux territoires pris dans leurs réalités intrinsèques, à leur identité, aux traits singuliers des communautés et les conceptions sectorielles qui l'alignent sur les modèles de la technostructure, soumis aux impératifs de l'institué, de la verticalité.

Sur un plan théorique, interroger le développement globalement dans sa durabilité, c'est-à-dire sans faire fi de la temporalité, alors que les modèles de l'aménagement du territoire renvoient quasi systématiquement à l'espace, c'est le définir comme transversalité, puisque toute réflexion sur cet objet s'exerce sur plusieurs champs: le vécu, le joué, le dit (et le non dit), l'environnement naturel, l'institution et ses appareils, les instances clefs comme le politique, l'idéologique, l'individu et les groupes sociaux et culturels auxquels il appartient: associations de défense ou de protection de la nature et de l'environnement, scientifiques, etc.

Ainsi, la commission du Comité économique et social des Nations unies préparant le dernier sommet mondial insistait particulièrement sur la promotion de l'Education sur "la sensibilisation du public, et la formation des instruments essentiels au service du développement durable" (Comité économique et social des Nations unies, 2001, alinéas 11 et 12).

Constatant avec préoccupation "la persistance d'une perception erronée selon laquelle le développement durable ne concernerait que l'environnement" la commission rappelle que "la notion d'éducation au service du développement durable implique une profonde restructuration de l'enseignement traditionnel...". Elle préconise donc de "réorienter les programmes d'enseignement pour permettre aux élèves d'acquérir les connaissances pratiques, de bénéficier de la sécurité d'un emploi, de s'adapter aux besoins sociaux"(Comité économique et social des Nations unies, 2001).

A fortiori, les animateurs du développement durable, doivent faire montre de cette capacité à savoir s'orienter, et, face à des conditions d'exercice extrêmement différentes, à des contraintes hétérogènes, à les relier entre elles, pour comprendre comment elles se contredisent, s'articulent. Car, ce qui est vrai de l'Education prise au sens large, ne le sera pas moins lorsque l'on s'interrogera sur la formation des chargés de projet du développement durable.

Les stratégies de développement durable, pour que celui-ci soit véritablement durable, doivent, de fait, concilier plusieurs logiques car elles ont affaire à diverses formes environnementales, écologiques, écotoxicologiques, historiques, psychologiques, culturelles et sociales, dont la reconnaissance est également indispensable à la compréhension des mécanismes et à la mise en oeuvre des stratégies politiques:

  • des collectivités institutionnelles, détentrices de la légitimité du service public, agences régionales d'environnement, agences d'énergie, parcs naturels nationaux,
  • des communautés des habitants et citoyens, liées au territoire: villes, communautés d'agglomérations, de pays, parcs naturels régionaux,
  • des acteurs économiques et sociaux: producteurs, consommateurs, entrepreneurs, etc.
  • des groupes sociaux en recherche active (associations, ONG - Organisations non gouvernementales), ce qui concerne singulièrement les pays du Sud.

Ces diverses instances sont également porteuses de conflits: concurrences, enjeux de pouvoir, recherche de reconnaissance officielle, et ce d'autant plus que les territoires concernés se vivent en situation de crise ou de mutations liées aux facteurs naturels, économiques, sociaux. C'est encore plus patent dans le cas des pays du Tiers Monde.

En même temps, la démarche de développement durable envisage, par nature et intérêt bien compris, d'associer le milieu lui-même à son propre développement.

Le chargé de projet de développement local durable devra donc agir pour faire reconnaître, par les acteurs, leur capacité, leur pouvoir et leur compétence à être eux-mêmes les moteurs de leur propre développement tout en assumant les contraintes liées au milieu, aux populations et aux institutions. C'est cette impulsion intérieure qui est le premier acte du processus de développement. C'est encore ce qui permet de l'asseoir dans la durée. Ceci est d'ailleurs également vrai dans les situations urbaines et rurales de sociétés occidentales comme dans les pays en processus de développement. La démarche étant identique, les modalités d'application elles variant à l'infini.

Par ailleurs, le niveau local s'avère souvent insuffisant pour déterminer à son niveau les stratégies nécessaires. De même, les ressources du milieu ne sauraient à elles seules engager les processus. Il y faut aussi la prise en compte des facteurs exogènes, aides, par exemple de la Communauté européenne (c'est l'exemple des programmes leaders en milieu rural) comme des institutions internationales. Il s'agit donc bien d'une articulation raisonnée entre un milieu qui est créatif, propose des idées, des solutions et des institutions qui apportent des aides ciblées au service du développement.

L'"approche développement durable" dont ont voit bien qu'elle s'enracine dans le local, tirera donc son originalité du fait qu'elle intègre d'autres dimensions qui sont essentielles et peuvent d'ailleurs être motrices du processus: environnement naturel, social, culturel... dans une perspective complémentaire, à partir d'études de cas.

Le texte précité (alinéa 16) définit, pour sa part, l'exigence d'une approche interdisciplinaire dans le cadre tant des enseignements que des recherches et l'on sait que les filières verticales qui découpent nos systèmes d'enseignement supérieur nous rendent souvent plutôt inaptes à gérer ce type de formations transdisciplinaires. De ce point de vue, tout projet de formation dans ce domaine s'inscrira dans un parti pris d'innovation pédagogique. Il ne serait pas sans incidences par feed-back sur le système global lui-même.

Or, les stratégies efficaces du développement durable consistent à repérer les niveaux qui deviendront rapidement les plus opérationnels et seront moteurs des autres dimensions. Travailler par niveaux (des sols aux formations culturelles), c'est donc bien opter pour l'interdisciplinarité.

C'est dire aussi, l'importance de l'observation du milieu, de son environnement, de la valorisation des atouts patrimoniaux et des ressources des territoires.

Former au développement durable

Former au développement local durable, c'est faire son deuil d'un système explicatif unique. C'est se doter d'instruments de réalisation et de compréhension de la complexité des situations rencontrées.

D'abord, cette formation sera de nature politique, au sens étymologique du terme: ce qui concerne la vie dans la cité, c'est sa dimension citoyenne et républicaine. "L'éducation englobe les multiples formes d'acquisition des connaissances et la manière dont les individus assument leurs responsabilités en tant que citoyens du monde, soucieux de la viabilité de l'avenir" (Comité économique et social des Nations unies, 2001, alinéa 10).

Ensuite, elle visera à reconnaître les savoirs sociaux et culturels des groupes concernés notamment dans leur pratique de l'écologie, dans leur gestion spontanée (ou leur non gestion des écosystèmes). Un grand nombre d'expériences récentes en matière de développement global s'appuient sur les relations sociales, les productions matérielles ou intellectuelles des communautés concernées. Elles prennent leur sens, d'abord par leur qualité intrinsèque et aussi parce qu'elles sont insérées dans un tissu vivant, sont en rapport- avec des savoirs groupaux ou sociaux et signifient, au sens premier de ce terme, le rapport plus ou moins conflictuel entretenu par les populations ou les publics qui les ont sécrétées à leur environnement en ses diverses dimensions.

Bernard Vachon écrit: "il serait utopique de croire que l'on peut rétablir et maintenir une activité économique stable au sein d'une communauté disloquée dont l'identité, la solidarité, la générosité et l'espoir se sont évanouis en même temps que la structure économique locale s'est démantelée. Revitaliser un milieu, c'est rétablir la confiance, le goût du travail, l'engagement collectif et l'appartenance territoriale." (1997).

C'est la découverte de la richesse de la vie locale: communale, intercommunale, régionale, entrepreneuriale, associative, des logiques liées à l'action locale, aux territoires, de leurs aspects instituants, incluant les déterminants de la vie sociale, ceux des acteurs, les mécanismes de leurs prises de décision, les dérives et les transformations auxquels sont confrontés les projets, les révoltes suscitées par tel projet d'enfouissement de décharge, de carrière, d'équipement structurant.

Mais encore, il s'agit aussi de gérer les contraintes engendrées par les rituels de la vie quotidienne, le concret des métiers, des pratiques spontanées, les parcours des sujets et des institutions, tout ce qui forme la riche trame de la socialité pour en saisir les axes structurants, les directions effectives, les implications affectives (l'âme des paysages). De ce fait, le professionnel de développement durable doit aussi s'attendre à diffuser les expériences de terrain aux autres partenaires, comme auprès des populations et acteurs qu'il rencontre. La révélation des déviances, l'imposition des normes sont dans ce sens également à interroger.

Transversalité

C'est ce à quoi aboutit le parti pris de transversalité, quand il s'agit, à propos du développement durable (à la croisée de conduites individuelles et collectives, d'attentes, d'aspirations et des représentations des populations concernées lesquelles se nourrissent d'un imaginaire souvent prévalent, et d'autant plus, que s'exerçant sur le milieu naturel, il renvoie aux schèmes de l'intimité, de la chaude substance, de la viscosité s'opposant en tous points à ceux du progrès lumino-ascensionnel) de tendre à "optimiser" l'action des acteurs du développement durable comme celle de leurs partenaires institutionnels, dans l'entrecroisement de leurs désirs ou attentes et des intimations qui leur parviennent du monde social, des contraintes des milieux naturels dans leur diversité.

De ce fait, le parti pris pédagogique de toute formation au développement durable quel que soit le niveau où elle s'exerce, sera de donner d'abord la parole aux acteurs avant conceptualisation pour mieux y préparer les professionnels désormais aussi indispensables, tant les enjeux sont ceux de la survie de la planète bleue, que le furent pour créer un sentiment républicain, par exemple les hussards noirs de la Troisième République.

On voit, sur ces bases, que ce professionnel ne saurait être l'homme d'une seule discipline, sa formation sera nécessairement transversale à divers courants: d'abord praxéologique, puis droit des institutions, biologie, sociologie, écologie, santé, psychologie sociale, géographie naturelle et sociale, histoire, science politique, économie, anthropologie culturelle, philosophie, éthique mais aussi conduite des projets et communication. Au-delà, il devra être capable de mettre en oeuvre et promouvoir des actions, des projets, d'où le fait que la formation nécessairement conçue en alternance avec un terrain de stage ou d'insertion professionnelle comportera une dimension de recherche action ou praxéologique.

Praxéologie

A l'opposé d'une vision simplificatrice, linéaire et mutilante de la réalité, la démarche praxéologique porte sur les différentes manières d'agir. Son principe est celui de l'utilité sociale, soit d'identifier l'intérêt de l'individu avec l'intérêt de la collectivité et au-delà celui de la Planète car une nation n'est civilisée que dans la mesure exacte où l'utilité est l'objet de tous ses efforts. D'où trois nécessités:

  • analyser les situations dans leur complexité (études d'impact, environnemental et aussi de la demande sociale, évaluation des risques majeurs, écotoxicologie, coûts estimés),
  • décrire l'action, soit l'agencement efficace des moyens mis en oeuvre pour atteindre ces fins d'où la nécessité d'explorer les techniques particulières qui y contribuent, la psychosociologie, la sociologie des organisations; l'écologie comme l'économie sociale et les sciences politiques seront ici convoquées,
  • en prendre conscience en même temps qu'on produit de la conscience sur cette action, sur les comportements intentionnels qui y contribuent. La formation au développement durable ne pourra donc faire l'économie des disciplines qui portent sur la question du sens, qui interrogent les relations humaines relatives à l'action en refusant de se centrer exclusivement sur l'économique (entendu socialement), en posant la question des finalités, du projet politique et de la place de l'homme, de l'éthique au regard de l'action: anthropologie politique et culturelle, éthique, philosophie. Il s'agit ici, sur la base des finalités repérées et admises, de mettre en place les outils d'assistance technique nécessaires aux politiques de développement global.

Ainsi, former au développement durable comme pratique professionnelle nous semble correspondre à cette visée de compréhension et de description d'une praxis sur laquelle s'entent des pratiques; il s'agit en somme de former des chercheurs-praticiens, soit des généralistes capables à la fois:

  • de diagnostiquer, et de poser ces diagnostics à tous les stades du trajet anthropologique,
  • d'intervenir sur la demande,
  • de constituer des réseaux de partenaires,
  • d'organiser les programmes locaux en suscitant des stratégies nécessaires,
  • de mobiliser,
  • de mettre en oeuvre des politiques concertées sur les implantations d'activités ou d'habitat,
  • de veiller aux équilibres naturels, aux risques de crise potentiels,
  • d'informer,
  • d'évaluer en impliquant les partenaires repérés dans cette évaluation pour mieux les mobiliser. Cette évaluation pourra dès lors, s'attacher à prendre en compte des critères proprement environnementaux (la qualité de l'air, les nuisances sonores ou visuelles, la lutte contres les pollutions) mais encore sociaux (la satisfaction des usagers, les mobilisations citoyennes) ou culturelles (les aspects liés au patrimoine naturel, architectural).

La méthode adoptée ne sera donc pas tant l'imposition de savoirs superposés que, dans une approche casuistique, le développement des capacités des futurs animateurs à articuler savoirs et aspects pragmatiques. Non pas tant des spécialistes enfermés dans une posture disciplinaire que des généralistes à l'interface du naturel, du social, du culturel et des ressources humaines.

Méthodologie de la formation au développement durable

L'efficacité scientifique et technique d'une formation de ce type nous semble devoir être soumise à un certains nombre d'impératifs autour des fonctions de régularisation, d'impulsion, de solidarisation; elle passe par:

a) La recherche des structures propres aux environnements naturels et aux communautés locales en interaction avec eux dans la confrontation de sociétés traditionnelles soumises à l'altération, avec des sociétés industrielles soumises aux impératifs de rendement générés par les technologies globales et les impératifs de productivité (mondialisation).

b) Les études d'impact des projets générés par les politiques globales et détermination des risques encourus. Ici, l'intervenant est d'abord un évaluateur, il élabore des diagnostics, mesure des synergies, étudie l'impact de ces mesures, les met en relation. On voit qu'un entraînement aux méthodes des sciences sociales est là nécessaire.

c) Le repérage des dynamismes, des forces qui opèrent de l'intérieur et contribuent aux transformations sociales,

d) La mise en évidence des processus de modification des agencements naturels, sociaux et culturels à l'oeuvre. C'est la dimension proprement animatrice de la fonction. Les techniques d'animation, de conduite de projets, de dynamique des groupes, d'éducation y sont sollicitées au service de son objet, produisant mobilisation et fédération des énergies à l'interface de la commande publique et de la demande sociale.

e) La détermination des relations externes qui affectent le devenir des sociétés locales et leur dépendance: programmes nationaux, transnationaux par l'élaboration de systèmes intégrant les objectifs et les règles de fonctionnement public avec la formulation des politiques en place.

f) La réalisation d'analyses et de synthèses et leur restitution au terrain, pour accompagner les projets et pratiquer les évaluations nécessaires.

g) La prise en compte de l'environnement dans toutes ses dimensions, dans l'articulation du triptyque population / développement / environnement.

On le conçoit aisément, former au développement durable ne saurait consister seulement à accroître les compétences biologiques ou écologiques des populations concernées, il s'agira bien plus et bien mieux de les doter d'outils critiques mettant en oeuvre des capacités de résistance à un institué largement mû par les impératifs de la consommation ou de la productivité.

Mieux, elle suppose une prise de conscience radicale de la naïveté de nos présupposés épistémologiques et idéologiques. Au-delà des recettes, la formation au développement durable sera d'abord anthropologique au sens premier, joignant le psychique et le naturel, le social et le biologique.

La leçon que nous en tirons, après Reich, invoqué au début de cet article, lorsque nous pensons "formation au développement durable", vise bien à restaurer l'humain au coeur de la matière et à tirer parti de la nature pour penser l'humain comme vis formandi en société.

Georges Bertin

Notes:

1.- Office français de la Fondation pour l'éducation à l'environnement en Europe.


Références bibliographiques:

Bertin Georges, Un imaginaire de la pulsation, lecture de Wilhelm Reich, Paris, Presses de l'Université de Laval, 2004.

Morin Edgar, Introduction à la pensée complexe. ESF, Paris, 1990.

Office français de la Fondation pour l'éducation à l'environnement en Europe, campagne, Paris, Pavillon Bleu, 2005.

Rapport du Secrétaire général au Comité économique et social des Nations unies, session d'organisation du sommet mondial, du 30 avril au 2 mai 2001, chapitre 2: "De l'éducation de base à l'éducation au service du développement durable".

Reich Wilhem. L'Ether, Dieu et le Diable, Paris, Payot, 1973.

Vachon Bernard, Développement régional et dynamique territoriale, Colloque de l'Association des économistes du Québec, Développement régional, ressources naturelles, et redevances, Québec, mars 2002.


Notice:
Bertin, Georges. "Former au développement local durable: Penser globalement pour agir localement", Esprit critique, Hiver 2005, Vol.07, No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr
 
 
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