L'urgence écologique et son utilisation dans la constitution d'un groupe d'entrepreneurs forestiers *
Florent Schepens
ATER en sociologie, université de Franche-Comté, France schepens.f@wanadoo.fr
Résumé
Dans cet article, nous montrerons comment à partir de la construction sociale de la Nature naît l'urgence écologique, urgence qui est le fruit d'une parole sur le réel réinterprété à travers le filtre de notre culture. En attendant de trouver une solution pour cette Nature en danger, il faut préserver ce qu'il en reste, il faut préserver la forêt, dernier îlot de nature "naturelle". Cependant, dans nos sociétés, la forêt n'a pas vocation à n'être qu'une réserve de nature, elle est aussi exploitée et créatrice de richesses. Il faut alors trouver le juste milieu et l'exploiter sans l'épuiser. Le problème des forestiers réside dans le fait qu'ils sont construits, par une large partie de l'opinion publique, comme des hommes des bois. Comment ces derniers pourraient-ils prendre soin de la forêt? Pour se débarrasser de cette image, ils s'emparent de l'urgence écologique et se construisent comme des entrepreneurs citoyens, au service de la forêt.
Mots clés: construction sociale, entrepreneur citoyen, environnement, forêt, sociologie, urgence écologique.
Abstract
About the constitution of a group of forest developers as the result of an ecological emergency
In this article, we will show how the social building of nature can lead to an ecological emergency, this emergency being the fruit of a discourse on reality, reinterpreted according to our culture. Until we find a solution for this nature in danger, what remains of it must be preserved, the forest has to be protected as the last spot of "real nature". However, in our societies, the forest is not to be taken only for a nature reserve, but can also generate richness, if exploited properly. It is therefore necessary to find an equitable solution that enables working the forest without using it up entirely. The problem for the forest people is that a large part of the public opinion considers them as "wild men". How could these people take good care of the forest? To get rid of this cliché, they have taken this ecological emergency to heart, considering themselves as free and true allies of the forest.
Key words: Social building, forest, sociology, ecological emergency.
Le trou dans la couche d'ozone, associé à un effet de serre, dopé par de massifs rejets dans l'atmosphère de dioxyde de carbone, entraînerait des dérèglements climatiques dont nous avons, au dire des médias, subit quelques conséquences: tempête, canicule, inondation... Autant de scénarii pour films catastrophes, tous nourris par la même urgence écologique: si nous ne faisons rien, la fin du monde est programmée pour les années à venir. Cependant, d'où vient cette urgence? Elle est le fruit d'un discours scientifique approprié par une part de l'opinion publique, une construction sociale. La nature est-elle en danger? Yves Coppens, sans l'affirmer, nous invite à une certaine prudence dans notre rapport à l'environnement. "Les évolutions dynamiques entre l'homme et la nature peuvent conduire à des déséquilibres irréversibles dont les conséquences, y compris pour l'homme lui-même, ne peuvent être estimées et vis-à-vis desquelles on ne connaît pas nos possibilités d'adaptation. Ces interrogations incitent donc à une prudence fondée sur la conscience que les dégradations actuelles interviennent selon un rythme et avec une ampleur sans doute jamais connus. Nous exerçons désormais un impact massif sur la biosphère et commençons à peine à mesurer les risques qui peuvent en découler" (Coppens, 2003). Les remarques de Coppens portent sur le réel, c'est-à-dire sur "ce qui existe en dehors de la conscience humaine" (Gonseth, 1996, p.52) et son expertise fait autorité. S'il n'est pas question, dans le cadre de cet article, de discuter du réel (la Nature est-elle en danger?) - nous ne sommes pas qualifié pour cela -, nous allons nous attacher à l'étude de notre réalité sociale, c'est-à-dire au réel interprété à travers les filtres culturels de l'Occident. Pour le dire autrement, nous allons voir comment cette construction sociale donne naissance à l'urgence écologique. Dans ce cadre, le risque environnemental est largement dépendant de la définition de la nature, c'est ce que nous verrons dans un premier temps. Ensuite nous nous intéresserons à la façon dont un groupe professionnel, les entrepreneurs de travaux forestiers (ETF) - entrepreneurs en bûcheronnage, débardage et/ou sylviculture - s'approprient le thème de l'environnement pour faire reconnaître par l'opinion publique la légitimité de leurs intervention forestières. Il s'agit là d'un processus en cours, encore non-abouti.
Mais d'abord, que disent les hommes sur la nature, ou plutôt, que disent les Occidentaux de la nature?
1. La Nature: de la corne d'abondance à la réserve épuisable
Les dieux avaient confié à Epiméthée la mission de répartir les différentes qualités équitablement entre toutes les espèces vivantes sur terre. Derniers servis, les hommes ne reçurent que le sens politique: la faculté de s'organiser. Les trouvant bien démunis par rapport aux autres espèces, Epiméthée fit appel à son frère, Prométhée, pour l'aider à rééquilibrer la balance. Prométhée vola alors le feu aux dieux pour apporter la technique aux hommes[1].
L'homme se construit contre la nature, grâce à la technique. Cette dernière apporte le progrès technologique, permet à l'homme de maîtriser de mieux en mieux son environnement, de faire face aux aléas climatiques. Il n'est plus soumis à la nature, il la domestique (Descola, 1986), il l'humanise (Coppens, 2003). Il la transforme en matière première qu'il travaille pour la mettre au service de l'humanité. Cette idée du progrès technologique comme source de bonheur infini - plus le progrès avance et plus il est facile de vivre - est sous-tendue par l'image d'une nature inépuisable. Les Romains comme les Grecs véhiculaient cette image (Harrison, 1992). "Quelques siècles se sont déroulés depuis cette représentation de la nature fondée sur l'espoir de l'équilibre entre les hommes et leur environnement et sur la croyance en la domination et la totale maîtrise de la nature. La modernité donnera corps à cette illusion d'asservissement de la nature à nos fins et désirs" (Kalaora, 1996, p.86). L'ère industrielle, sans corrompre le mythe d'une nature généreuse, questionne la société quant à son rapport à l'environnement. Les usines, grandes consommatrices de charbon, déversaient dans l'atmosphère une importante poussière noire qui recouvrait les alentours. L'homme pollue mais cette pollution se limite aux villes, lieu où elle est visible; il suffit alors de partir à la campagne pour y trouver refuge et air pur. "Or, fait nouveau et radical, une autre vision de la nature s'impose progressivement, celle des menaces - indiscernables mais d'autant plus angoissantes - de la chimie de synthèse, du nucléaire, des manipulations génétiques où la nature bénéfique devient monstrueuse" (Kalaora, 1996). La nature n'est plus seulement domestiquée et endommagée, elle est dénaturée, on pourrait dire artificialisée. Elle devient potentiellement dangereuse, elle peut se retourner contre l'homme qui la menace. Qui peut nous assurer de l'innocuité du maïs génétiquement modifié? Les vaches devenues folles à force de manger des farines carnées étaient, elles aussi, des morceaux de nature dénaturée: on a transformé en carnivores des herbivores. La nature se venge, elle cherche à recouvrer ses droits[2]. Les premiers à être ici mis à l'index sont les agriculteurs: ils étaient en charge des campagnes et ce sont eux qui les ont industrialisées depuis les années 1960 (Gillet et al., 2002; Darré, 1999). Si les villes étaient perdues pour la nature, la campagne restait le refuge de l'homme moderne (Roche, 2000), il venait s'y ressourcer. Aujourd'hui, seule la forêt est vue comme appartenant à l'ordre de la nature "naturelle". Elle est l'ultime refuge, réserve d'air pur à protéger[3]. "Une enquête sur l'avenir de la forêt, son rôle et sa fonction dans la société montre que l'extrême majorité des Français l'imagine au futur comme une réserve naturelle protégée et non comme un moyen de production ni même comme un espace récréatif" (Kalaora, 1998, p.184). Il ne reste pas moins que derrière tous ces dangers, c'est l'image d'une nature susceptible de reprendre le dessus - même si cela peut se faire contre l'homme - qui est sous-jacente. Elle est censée résister à toutes les infamies, elle se met en repos, en réserve et une fois l'Humanité dépassée, elle reprendra possession de la planète. Elle était là avant nous, elle sera là après nous. A l'instar de cette fleur qui perfore le bitume d'une route laissée trop longtemps sans entretien, la nature triomphera d'une humanité technicienne. Image rassurante car signifiant que l'on ne peut rien faire subir de réellement dramatique à notre environnement puisqu'il est capable d'absorber tous les outrages. Cependant, cette image est, aujourd'hui, remise en cause par divers acteurs politiques et/ou scientifiques. La terre ne pourrait fournir des matières premières que dans la limite des stocks disponibles. Nous sommes tributaires des réserves existantes et, non seulement nous les gaspillons mais en outre, nous les polluons. Ces idées sont portées par des associations écologiques telles que World Wild Fund for nature (WWF) ou Greenpeace ou par des mouvements politiques tels que l'alter-mondialisme, mais pas uniquement. C'est aussi à cette constatation qu'arrive Coppens dans son rapport destiné au gouvernement français en 2003[4]: "L'idée que l'on ne peut pas substituer indéfiniment du capital humain ou technologique aux ressources naturelles définit un développement durable. Il est en effet loin d'être acquis que les services écologiques actuellement rendus par les écosystèmes puissent être systématiquement reproduits de façon artificielle, ou qu'il faille les reproduire" (Coppens, 2003). Yves Coppens entend par service écologique, tout ce que la nature fait en dehors de l'homme et qui est nécessaire à la survie de ce dernier. Pour l'exemple, on peut citer la purification de l'air et celle de l'eau, la régulation du climat, la régénération des sols... La nature est alors réintroduite comme étant un acteur à part entière. L'homme n'est plus un démiurge, il doit composer avec une Terre dont on se demande si elle pourra supporter encore longtemps ses débordements.
D'après Fabiani, l'utilisation "de la notion de risque permet [...] un affichage commode de l'urgence sociale des problèmes. La constitution des problèmes écologiques comme problème d'intérêt public est tout à fait centrale dans la production de l'écologie savante: des procédures spécifiques de dramatisation [...] permettent de constituer un cadre d'interprétation qui intègre des données brutes et éparses sur l'état de l'environnement et qui donne le sens des transformations écologistes" (Fabiani, 1987, p.220)[5]. L'opinion publique, nourrie de paroles scientifiques et politiques, s'empare de la problématique environnementale et construit l'urgence écologique. Urgence qui milite pour l'obtention d'un équilibre entre activités humaines et environnement, dans le but de préserver ce dernier. Dans l'attente de cet équilibre, la forêt est construite comme le sanctuaire de la nature "même si, en réalité, la forêt est travaillée, mise en valeur et polluée bien plus qu'on ne le pense... et l'agriculture souvent bien moins "industrialisée" qu'on ne se l'imagine" (Larrère, Nougarède, 1990, p.12).
2. Ecologie et économie forestière
Quand il s'agit de la forêt, la très grande majorité de la population française prône une écologie que ne renieraient pas les éco-warriors[6]. "La menace pesant sur nos forêts, telle du moins que nous la connaissons, dépend, en grande partie, de la façon dont cette menace retentit dans la société" (Roqueplo, 1995). La menace étant construite comme la disparition de toute nature et donc de toute vie sur terre, il paraît urgent de protéger la forêt, dernier refuge d'une nature "naturelle". Cependant, s'il faut répondre aux attentes écologiques de la population, ce qui est en cours d'exécution à travers l'incorporation de la charte de l'environnement à la constitution (projet de loi constitutionnel no992, relatif à la charte de l'environnement), il faut aussi prendre en compte le volet économique. Dans le rapport Bianco (1998), rapport éminemment politique puisqu'il s'agit d'une commande d'un Premier ministre à un député, une tentative de modélisation de l'avenir de la forêt française en fonction de sa future utilisation est tentée. Les scénarii proposant une forêt uniquement utilisée pour ses services écologiques ou pour ses services économiques sont très vite écartés. L'enjeu politique est donc le suivant: montrer que l'on reconnaît le sérieux de la menace, tout en préservant la place économique de la filière forêt-bois.
La population a un rapport ambigu à la forêt car si elle souhaite une forêt climaxique[7] (Larrère, 1993), elle veut une nature "naturelle", ce qui ne veut pas dire "sauvage". Une forêt ayant atteint l'état de climax est une forêt sauvage, une forêt décrite comme dégradée, "polluée". Etrange retournement de situation qui construit la pure nature comme étant son antonyme. Nous avons une vision très esthétisante de la forêt, une belle forêt se doit d'être visiblement "naturelle", c'est-à-dire légèrement chaotique. Il n'y a rien de moins "naturel" que ces forêts de résineux plantées au cordeau pour permettre une exploitation rationnelle des arbres. Elle doit alors être composée d'un mélange d'essences, de sujets d'âges et de tailles différents. Il faut que l'on puisse voir la touche de Mère Nature, elle doit être bucolique (Dumas, 2002; Kalaora, 1998). Et une forêt spécialisée dans les bois d'industrie ne l'est pas. Seulement, bucolique, la forêt ne peut l'être sans intervention humaine. La forêt climaxique est plus une forêt de fin du monde, les arbres y naissent, vivent, meurent et se décomposent en son sein. C'est une forêt impénétrable, les arbres cassés, recouverts de mousses et de ronces, la rendent inhospitalière, voire dangereuse. C'est une forêt où il ne fait pas bon se promener. Si cet espace doit être "sans fonctions productives nettes", il doit aussi être"un cadre spatial de l'idylle et de la bucolique. [...] Cadre d'un style de vie non-prédateur et non destructeur, affranchi des habitudes de consommation urbaines, respectueux des rythmes et des équilibres naturels" (Chamboredon, 1980, p.118-119). Un refuge pour le citadin qui doit se ressourcer avant de replonger dans un monde de concurrence. Nous l'avons dit plus haut, cette dernière idée est remise en cause par de récentes recherches, cependant, elle n'a pas encore eu le temps d'être complètement intégrée par l'opinion publique dans sa construction de la réalité forestière.
"Les sondages d'opinion montrent que la forêt est désormais perçue par une majorité de personnes (70%) comme une réserve de nature, essentielle aux grands équilibres de l'environnement, et comme un milieu fragile et menacé qu'il convient de protéger contre les pluies acides, les incendies et l'urbanisation. On est passé d'une peur de la forêt ancestrale à une peur pour la forêt contemporaine. Par rapport à l'espace urbain qui évolue vite (percé, détruit, réhabilité) ou par rapport à l'espace agricole (remembré, labouré, cultivé), la forêt apparaît permanente, immuable, éternelle, donc rassurante. Et comme si elle était vierge de toute intervention humaine" (Bianco, 1998, p.5). Malgré cette opinion, se passer de l'économie forestière serait un suicide politique. "Le secteur forêt-bois est un formidable gisement d'emplois à exploiter. 500'000 emplois dans toute la filière, c'est plus que dans l'automobile. Il est possible de créer 100'000 emplois supplémentaires, au prix d'un effort tout à fait réalisable" (Bianco, 1998). En ces temps de sous emploi, demander à 500'000 personnes de se trouver une autre activité risque de ne pas être très populaire. De plus, l'opinion ne demande pas, on le verra plus loin, la fin de toute activité forestière: si elle souhaite le moins d'intervention possible, n'en permettre aucune ne semble pas une option envisageable. L'industrie étant toujours soupçonnée de ne prendre en compte que son propre intérêt[8], et l'industrie forestière (scieries, papeteries, exploitations forestières,...) n'échappant pas à la règle, elle doit parer ses actions d'un habit d'écologie pour répondre aux attentes de la population. Elle construit la forêt comme étant "un piège à CO2", donc une réponse à la pollution, à l'effet de serre[9]. Consommer du bois, c'est bon pour la planète[10]. Des revues telles que "Séquences bois", s'adressant aux professionnels du bâtiment, prônent les qualités intrinsèques du bois: c'est un matériau esthétique, un très bon isolant phonique et énergétique. "Préférer le bois, c'est valoriser nos forêts. Le bois est aujourd'hui le seul matériau de construction issu d'une ressource naturelle et renouvelable: la forêt. Il stocke le carbone et neutralise des quantités importantes de CO2. Mis en oeuvre dans la construction, il est le seul matériau à pouvoir peser de façon significative et durable sur l'un des risques écologiques majeurs qui menacent l'équilibre de notre planète: l'accroissement de l'effet de serre. Une augmentation de 1% de la part de marché du bois dans la construction générerait l'économie de 350'000 tep par an (source: ADEME)"[11]. Le bois est aussi considéré comme une source d'énergie peu polluante, en comparaison des combustibles fossiles, et renouvelable. En présentant sous cette forme les différentes façons d'utiliser la matière ligneuse, l'exploitation forestière répond à merveille à une partie des questions posées par la population en terme de développement durable et d'économie d'énergie.
Pour répondre aux attentes sociales et écologiques de la population, il faut des forêts naturelles mais aménagées, il faut des forêts domestiques propres à des pratiques récréatives. "Le poids démographique de la ville a augmenté au détriment de la campagne. Cette suprématie de la ville a contribué à imposer des usages sociaux d'origine urbaine à l'espace rural, transformant celui-ci de moyen de production en lieu de récréation" (Pinçon, Pinçon-Charlot, 1996, p.101). C'est ainsi que fleurissent les parcours-santé pour joggeurs en manque de végétation - dont nous sommes -, les parcours forestiers pédestres, équestres mais aussi les pistes cyclables, les tables de pique-nique, etc. Cependant la forêt doit aussi répondre à des attentes économiques. Si l'industrie forestière axe sa communication sur l'intérêt porté à l'environnement - on plante plus d'arbres que l'on en récolte dit la publicité -, il reste que le tout premier maillon de la filière forêt-bois est suspecté de ne pas avoir la fibre écologique. Comment peut-on aimer la Nature et couper des arbres?
3. Hommes des bois ou entrepreneurs rationnels?
"Les gens nous voient comme il y a quarante ans. Le bûcheron, c'est l'idiot moyen qu'a pas fini ses études, qui n'a trouvé que ça et qui pose les litrons au pied de l'arbre. C'est l'image là qu'on a" (un ETF - entrepreneur de travaux forestiers). Tableau complété par la solitude et la grande force physique. "C'est le benet moyen, le gros ours du fond des bois qui n'a jamais rien vu et que sitôt que les p'tits gosses le voient, ils se sauvent. Ça fait un peu ça. Le bûcheron, c'est le gros costaud" (un ETF). Nous l'avons écrit ailleurs, ils sont considérés comme de véritables hommes des bois (Schepens, 2003). Tout le problème de cette image est qu'elle donne à croire que ce sont des irresponsables qui interviennent en forêt. Et si notre survie dépend de ce qui reste de nature, on ne peut pas le confier à n'importe qui. En tout cas pas à des hommes des bois, décrits comme imbéciles, asociaux, alcooliques et brutaux. S'ils veulent pouvoir continuer à intervenir en forêt, il leur faut changer d'image - tout comme l'a fait l'industrie forestière -, sinon, à l'instar du Québec, l'opinion publique peut les y obliger: "plusieurs voix se sont élevées pour manifester un mécontentement à l'égard de la gestion et de l'exploitation passée et présente des forêts québécoises, attribuant [...] à certaines pratiques (coupes rases, exploitations sans renouvellement des ressources, reboisement déficient, etc.) la responsabilité de la dégradation des ressources forestières" (Gagnon, Guay, 1988, p.142). Cette fronde, menée par le chanteur Desjardins[12], a obtenu que les autorités légifèrent quant aux modes d'exploitations du milieu forestier.
Ce changement d'image - non achevé à ce jour mais initié - permet de mener à son terme un mouvement d'entrepreneurialisation débuté au milieu des années 1980. A cette époque, ceux qui deviendront des ETF, étaient salariés à la tâche par des exploitants forestiers (généralement des scieurs). Pour ne plus payer de charges patronales, ces derniers décidèrent d'externaliser leurs salariés et de ne faire appel qu'à des entrepreneurs. Ce qui obligea les salariés-tâcherons à devenir indépendants pour travailler. En revanche, ce n'est pas pour cela que les rapports entre professionnels des travaux forestiers et exploitants forestiers se trouvent modifiés. Ils sont toujours dans une espèce de relation salariale avec leurs anciens patrons. Ainsi, un rapport nous apprend que:"les ETF peuvent difficilement fixer les prix de leurs chantiers. Ils n'ont qu'un faible poids dans la négociation des prix pour diverses raisons: faible taille des entreprises, manque de culture de chef d'entreprise, faible niveau d'organisation professionnelle face à une offre très dispersée" (Roussot, 1996, p.39). Les ETF espèrent que la nécessaire transformation de leur image leur permettra de consommer, dans les faits, leur passage du statut de salarié à celui d'entrepreneur. Comment?
Changer d'image passe par la caractérisation des frontières de la profession. La révision de la cohorte des missions réservées aux professionnels entraîne une redéfinition de la population composant cette catégorie. Les groupes professionnels ne sont pas immuables, ce ne sont pas des entités statiques pour le dire comme Strauss (1992), ils sont plongés dans une dynamique identitaire perpétuelle. L'enjeu est ici de toujours pouvoir justifier leur mainmise sur l'activité. "Il n'y a pas de professions "établies"" (Dubar, Tripier, 1998, p.248). Les ETF scindent en deux le groupe des intervenants[13] en forêt: d'un côté on trouve les "vrais" entrepreneurs, seuls dépositaires de l'expertise et des compétences techniques pour réaliser les travaux, et de l'autre côté les ETF définis comme étant des "retardataires" (Darré, 1999; Jacques-Jouvenot, 1997), c'est-à-dire des entrepreneurs soupçonnés de ne pas être capables de s'adapter aux nouvelles missions, d'être restés, malgré le changement effectif de statut, dans un esprit de salarié. Ce discours de séparation accuse les "retardataires" de tous les maux. Si, d'après les ETF, on peut encore rencontrer quelques brutes alcooliques faisant des travaux forestiers, il ne faut pas s'y tromper, ce ne sont pas de "vrais" entrepreneurs. Cette dichotomie tend à définir ceux qui sont et ceux qui ne sont pas dignes d'appartenir au groupe des professionnels. Les "vrais" ETF seront vus comme des personnes au chevet de la forêt, l'aidant à vivre, "récoltant les bois mûrs" au lieu de les abattre comme le ferait un "simple" bûcheron. L'activité productive des ETF est un bienfait pour la forêt. L'idée qu'une forêt qui ne connaît pas l'intervention humaine est une forêt qui vieillit et donc qui meurt, est en train de se répandre[14]. Elle se retrouve sur plusieurs plaquettes de présentation de la forêt française, ainsi que dans les discours des acteurs de la filière forêt-bois. Pour l'exemple, nous reproduisons, ci-dessous, le texte d'introduction d'une plaquette s'intitulant "La forêt. Des métiers une passion" (éditée par le Centre régional de la documentation pédagogique - CRDP en 1999) et présentant les métiers de la forêt: ""Récolter des arbres, c'est préparer l'avenir de la forêt". Les coupes d'arbres sont tout à fait normales et nécessaires dans une forêt gérée de façon durable. Elles favorisent la croissance de la forêt, permettent son renouvellement régulier et diminuent les risques d'attaques parasitaires et d'incendie, tout en permettant la récolte du bois. Tout au long de la vie du peuplement, l'homme intervient régulièrement pour: aider les jeunes semis ou plants à se faire une "place au soleil"; desserrer progressivement les arbres pour permettre la croissance des meilleurs sujets; récolter les arbres mûrs ou malades; assurer la pérennité de la forêt". L'homme ne transforme plus la nature, il l'accompagne. Il ne la soumet plus à sa volonté technicienne, il l'aide et la protège.
Pour être considéré comme profession, un groupe doit faire accepter à la société qu'elle a besoin d'individus spécifiques pour s'occuper de problèmes spécifiques, bref que le groupe est "d'intérêt public". Pour le dire à la manière des interactionnistes, il faut se faire reconnaître une licence et accorder un mandat. Appliqué au cas qui nous intéresse, cela donne que si la société veut préserver sa forêt, elle doit faire appel - donner un mandat - à des professionnels - qui ont la licence - pour s'en occuper. Prendre soin de la forêt, un des deux "poumons" de l'humanité, est bien un "service public". D'après Coppens (2003), l'environnement fournit le "service écologique": aider ce service à être optimum bénéficie à tout être vivant. Les ETF sont donc "d'intérêt public", en tout cas, c'est ce que veut nous faire entendre leur rhétorique professionnelle[15]. ""L'évolution" [du monde] est au centre de la description [de la réalité] et de l'ensemble de la démarche [de construction de la réalité]. Les évolutions commandent ce qui doit être fait: pour dire ce qu'il faut faire, nous montrerons la réalité, indiscutable et incontournable" (Darré, 1999, p.56). Cette réalité est celle que nous donnions à voir précédemment, elle est le fruit d'une urgence écologique mâtinée de politique et de considérations économiques. Les associations professionnelles s'adaptent alors à ce discours, elles s'y intègrent en construisant des entreprises économiques - "Parce que le but premier d'une entreprise, c'est quand même de faire des bénéfices" (un ETF) - soucieuses de gestion durable et même profitable à un développement environnemental harmonieux. Leur image, petit à petit, se rapproche de ce qu'attend l'opinion publique ou, plus exactement, la profession se donne une définition qui comble les attentes. Car, si la population sait ce qu'elle veut - en l'occurrence ici, que l'on sauvegarde la forêt - les moyens d'y parvenir restent libres dans une très large mesure. Aux professions alors de définir ces moyens en veillant à ce qu'ils soient en adéquation avec les desiderata sociaux. C'est ainsi que l'on pourrait dire avec Hughes "que les membres d'une profession ne se bornent pas à offrir un service, mais qu'ils définissent les besoins mêmes qu'ils servent" (Hughes, 1996, p.131). Cependant, pour bien servir le public, une profession, dans sa redéfinition, peut être amenée à exclure des membres qui ne répondent pas aux nouvelles normes. La participation à une démarche visant à valoriser la qualité des travaux réalisés dans le respect de l'environnement est une manière pour les "vrais" ETF de se distinguer de ceux qui ne sont pas réellement entrepreneurs
4. Un entrepreneur citoyen
En Franche-Comté, région française pilote au niveau de la certification "qualité" des entreprises, la première démarche qualité a vu le jour en 1998, initiée par Pro Forêt - association professionnelle des ETF francs-comtois - avec l'appui du Syndicat régional des entrepreneurs de travaux forestiers (SRETF). S'il s'agit bien d'une tentative visant à séparer les entrepreneurs de ceux qui se comportent encore comme des tâcherons, il faut bien voir qu'elle en est encore à ses balbutiements. Moins de 8% (source: Pro Forêt, 2003) des ETF y sont pour l'instant inscrits. Les associations professionnelles sont en train de travailler à une plus grande reconnaissance réglementaire de cette démarche. Le projet de mettre en place des chantiers réservés aux ETF possédant la certification "qualité" est très régulièrement évoquée mais n'a pour l'instant pas abouti.
Ce qui est frappant dans toutes les chartes-qualités qu'il nous a été donné de voir, ce sont les faibles préoccupations environnementales présentes dans les engagements. Elles sont toutes construites sur le même modèle: on y retrouve, tout au plus, un point sur l'environnement[16], le reste des engagements étant destiné à prouver que les entreprises signataires sont effectivement des entreprises. Dans ce cadre, elles s'engagent à faire un devis, à signer un contrat d'entreprise, à être en règle administrativement, financièrement... Quand nous nous sommes rendu compte de cela, nous avons, de prime abord, pensé que nous nous étions trompé sur les motivations des ETF. La qualité vantée par les chartes n'était pas la qualité environnementale mais la qualité de service. Pourtant, on ne peut que remarquer à quel point cette certification s'inscrit dans le discours actuel sur l'environnement. "A l'heure de l'authentification de la gestion durable et de l'écocertification, les ETF francs-comtois entendent assurer et certifier qu'ils exercent bien un métier de qualité" (Rerat, 1999, p.26). Des termes tels qu'écocertification, préservation de l'environnement, du milieu, gestion, développement durable... sont abondamment utilisés dans la rédaction des avant-propos présentant les démarches. Les qualités entrepreneuriales seraient-elles suffisantes pour assurer une qualité écologique? A les entendre, cela en est la condition nécessaire.
L'inscription dans une démarche qualité est censée différencier l'entrepreneur du "tâcheron". "Mais le bûcheron, c'était rien, c'étaient des gens qui étaient considérés comme rien du tout. Le bûcheron, il allait au bois, il emmenait sa bouteille. C'est un peu celui qui ne savait rien faire. Alors que... Aujourd'hui, avec la gérance qu'il faut... Il faut savoir gérer, il faut avoir du boulot toute l'année, faut savoir ce qu'on fait " (un ETF). A la différence de l'homme des bois, l'entrepreneur sait faire autre chose que taper sur un bout de bois, il est compétent. De plus, le sens commun veut qu'un chef d'entreprise soit obligatoirement quelqu'un de rationnel et d'intelligent, on ne peut pas gérer une entreprise sans ces qualités. En tout cas, un homme des bois en serait incapable. Au fait de ses intérêts, il voudra s'engager "dans une démarche de progrès. [...] Gérer la forêt et son environnement, son entretien, la récolte forestière et ses activités dérivées demande aujourd'hui de rassembler des professionnels soucieux de qualité, de respect des exploitations et ouverts aux nouveaux services" (Plaquette éditée par la Fédération nationale des syndicats d'entrepreneurs de travaux forestiers (FNSETF), La forêt c'est notre métier. Un pas de plus pour l'environnement). Ainsi se dessine l'image d'un entrepreneur citoyen, soucieux de développement durable. L'entrepreneur est rationnel, il ne fait pas de son entreprise une machine à profit, surexploitant le milieu forestier. Ne dépendant pas d'un patron, il aura pris soin de négocier ses tarifs en fonction des difficultés propres au chantier à réaliser, et il pourra prendre le temps de rendre un travail de qualité.
Seulement, cette démarche ne semble pas intéresser grand monde. "On va dire qu'on sait plus ce que veulent les clients quoi, quand on entre dans cette démarche. Mais autrement, je ne sais pas ce que ça donnera vraiment. D'abord, ça fait trois ans que ça dure, et les gars qui rentrent des contrats démarche qualité... Il n'y en a pas beaucoup. Disons que c'est peut-être un peu compliqué à remplir aussi. Parce qu'attention quand vous faites un contrat démarche qualité "forêt-défi", il y a quatre pages à remplir. Bon, c'est sûr que c'est pas mal, parce que, de fait, dessus tout est détaillé. [...]Tout est détaillé, avec le prix au bout. Mais bon, quel propriétaire voudra en faire, ça, c'est autre chose" (un ETF). L'Office national des forêts (ONF) n'y porte pas un grand crédit. "Moi, je connais des gars qui sont parties prenantes dans la démarche, ils ne font pas du meilleur boulot que leurs collègues, pour certains, c'est même pire" (agent de l'ONF) Plus étonnant encore, les ETF qui y sont inscrits, sont réservés quant à son utilité. Certains vont jusqu'à dire que "ce n'est qu'une perte de temps" (un ETF). Si personne ne veut de cette démarche, pourquoi l'avoir créée?
Les démarches qualité valorisent les entreprises qui les proposent, leur donnent une meilleure image[17] aux yeux de la société. Et c'est ça, l'intérêt. Les ETF y trouvent une légitimité auprès de l'opinion, ils sont reconnus comme ayant le droit d'intervenir en milieu forestier, a contrario de ceux qui n'exercent cette activité que pour l'argent. De plus, et ce n'est pas sans importance, l'inscription dans une démarche qualité est une espèce d'assurance en cas de décision politique visant à la "certification qualité" des différents intervenants en forêt. Si une telle décision devait être prise, ils pourraient, de suite, répondre à la demande. "J'ai un neveu qui est électricien, et il y a des usines où il ne peut pas travailler parce qu'il n'est pas "qualiféléc", enfin des trucs... des qualifications. Alors, je me suis dit: "est-ce que dans 5 ans l'ONF ne va pas dire: "nous on prend des bûcherons qui ont la démarche qualité"". C'est pour ça que je l'ai fait" (un ETF).
"Il faut dire aussi, la démarche qualité, la qualité du travail... On ne fait quand même pas beaucoup de formations autour du travail sur le terrain. D'abord on n'en fait pas de la formation à la tronçonneuse. C'est plus de la formation théorique: comment se vendre, comment il faut faire, comment juger un client, tout ça quoi" (un ETF). Etre un bon professionnel, cela ne s'apprend pas dans les formations proposées par Pro-Forêt. En revanche, ces dernières apprennent à être un "bon" entrepreneur. Adhérer à cette démarche, c'est ne pas appartenir au groupe des "réfractaires au progrès", au groupe de ceux qui se comportent encore comme des tâcherons et qui est accusé de tous les maux, de tous les dégâts provoqués en forêt.
5. Conclusion
"L'attrait que la forêt exerce sur les citadins a été le support de représentations nouvelles. Dans un pays industrialisé, aux campagnes défigurées, "polluées" par l'agriculture intensive, elle apparaît comme une relique de nature. Comme telle, on la croit menacée. L'opinion s'émeut chaque fois qu'un peuplement est détruit par le feu, parfois même lorsqu'une parcelle est mise en coupe. On craint que ces îlots de nature disparaissent ou soient transformés en "usine à bois". [...] Ceux qui s'émeuvent des arbres qu'on abat semblent ignorer qu'une "belle forêt" est une forêt aménagée. Un peuplement non exploité est inhospitalier, sensible aux accidents climatiques et à l'incendie" (Larrère, Nougarède, 1990, p.95). Le regard de l'opinion sur la forêt a évolué, l'exode rural et le fait que notre société soit majoritairement urbaine n'y est certainement pas pour rien. Cette population désire garder la possibilité d'un retour à la nature, loin du bruit et de la fureur des villes. Encore faut-il qu'il y ait une campagne pour que ce retour soit possible. Et cette nécessaire protection fait partie des problèmes définis comme légitimes par la société. Dans cet ensemble des problèmes écologiques, la forêt représente un chapitre particulier. Sa définition a évolué, il ne s'agit plus de fournir la marine en bois de construction ou les mines en étais. Préserver ce qui reste de nature, en l'occurrence la forêt, est, pour l'opinion publique, essentiel: c'est la construction de l'urgence écologique. Pour être légitimes aux yeux de la société, dans leur action, les ETF doivent suivre cette évolution et prendre en compte la dimension environnementale de leur activité. Ils s'en serviront pour se construire comme étant d'intérêt public et se débarrasser de toute une partie de leur population qu'ils stigmatiseront comme "retardataire", incapable de suivre le mouvement de "modernisation" et responsable des mises en péril de la forêt. La démarche qualité tend à devenir un passage obligé pour se voir reconnaître le statut de "bon" ETF. Ne pas le faire, ce serait risquer de se voir contester sa légitimité en tant qu'intervenant et subir les foudres de l'opinion publique comme au Québec.
- Notes:
*.- Il s'agit ici d'une partie d'une recherche doctorale en cours de réalisation sous la direction de madame le professeur Dominique Jacques-Jouvenot de l'université de Franche-Comté. Dans ce cadre, une cinquantaine d'entretiens ont été réalisés par l'auteur auprès des différents acteurs ayant un lien avec le monde des travaux forestiers (dont la moitié avec des entrepreneurs de travaux forestiers - ETF). Toutes les paroles présentées dans ce texte viennent de ces entretiens. Cette enquête qualitative est complétée et corroborée par une enquête quantitative (102 questionnaires téléphoniques ont été remplis pour une population totale de 630 ETF francs-comtois). Pour la passation des questionnaires, nous avons utilisé les services d'Emmanuelle Cournarie et d'Isabelle Moesch. Qu'elles en soient ici remerciées. Cette recherche est financée par le conseil régional de Franche-Comté.
1.- Ce qui lui valut d'être enchaîné au sommet du Caucase, un aigle venant lui manger le foie toutes les nuits, foie qui repoussait sans cesse. Son supplice prit fin quand Héraclès tua l'aigle.
2.- C'est un des leitmotiv des romans d'anticipations, de science-fiction. Après que l'homme s'est détruit dans sa folie technologique, un groupe de survivants tente de reconstruire une société dans un environnement qui lui est rarement favorable. On peut citer Barjavel, Ravage, publié en 1943 et que son auteur dédicace à ses grands-parents paysans (sous-entendu des hommes qui savaient ce qu'était la nature et pouvaient y vivre); ainsi que Bordage, Les derniers hommes, publié en 6 tomes chez Librio, 2000
3.- Il s'agit malheureusement d'un mythe, les forêts entourant Paris ne sont pas plus respirables que la capitale elle-même. La pollution, transportée par le vent, ne s'arrête pas à la lisère des bois...
4.- Gouvernement de droite à tendance libérale présidé par Monsieur Jacques Chirac.
5.- Dans le même sens, on pourra lire Roqueplo (1995). Il a analysé en particulier le phénomène des pluies acides. Il s'agit-là d'une savante construction d'un risque écologique majeur. La pluie - source de toute vie - concentrait la pollution contenue dans les nuages pour la précipiter au sol. Ces gouttes de pluies fortement polluées faisaient mourir les arbres. Cependant, d'après Roqueplo, ce phénomène n'était qu'un fantasme. Si les pluies acides ont bien existé, elles n'avaient pas les propriétés qu'on leur prêtait. Non pas que les scientifiques aient menti mais l'urgence sociale n'a pas permis de faire toutes les vérifications nécessaires.
6.- Mouvement écologiste anglais dit "extrémiste" prônant l'action directe. Une de leurs spécialités est la construction de villages dans le faîte des arbres, villages qu'ils occupent pour empêcher les abattages.
7.- "Si toute intervention humaine venait à disparaître, les écosystèmes que l'histoire a produits s'inscriraient dans un processus naturel qui les conduirait, par étapes et d'ici plus d'un siècle, à un stade ultime: le climax" (Larrère, 1993). On retrouverait alors une forêt naturelle, celle que l'on a actuellement étant dans un état anthropisé.
8.- Nicolas Hulot disait sur les ondes de France Inter que, de manière générale, "ce qui est une bonne nouvelle pour l'économie est une mauvaise nouvelle pour l'écologie" (mardi 1er juin 2004, Alter Ego).
9.- On peut lire dans le "rapport BIANCO": "Le débat qui s'est ouvert depuis quelques années autour de la gestion durable, de la biodiversité, de l'écocertification, a deux origines: la prise de conscience écologique, liée en particulier aux gaz à effet de serre. C'est la conférence de Rio et ce qui a suivi (Helsinki); les ravages causés par certains modes de gestion en Amérique du Nord (coupes rases)" (Bianco, 1998).
10.- Encore une fois, nous devons avouer notre incompétence à en juger. Nous ne faisons que déconstruire un discours.
11.- tep: tonne équivalent pétrole. Le texte en gras est celui qui est souligné sur la 4ème de couverture de la revueSéquence bois, Hôtellerie, no 34, février 2001. C'est la revue du CNDB, le Centre national pour le développement du bois.
12.- Les "forêts québécoises [étaient] livrées jusqu'à très récemment aux forestiers qui l'abattent jusqu'à sa limite septentrionale. Le poète et chanteur québécois Richard Desjardins en a fait un film télévisé "l'erreur Boréale" qui a provoqué une vive réaction à l'échelle du Québéc. Interviewant le ministre de l'Environnement d'alors, il s'entend répondre que "la juridiction du ministère s'étend au cours d'eau mais pas à la forêt elle-même, sur laquelle il n'a aucun droit". Depuis ce temps, avec l'appui des mouvements associatifs, le nouveau ministre de l'Environnement a activement repris le problème en main" (Reeves, 2003).
13.- Pour être exact, il faudrait ajouter à ses deux groupes un troisième: les non-professionnels. Ce sont tous les intervenants forestiers qui n'ont pas le statut d'ETF, tel que les agriculteurs, les double-actifs, les travailleurs illégaux... Nous ne développerons pas ce point dans le cadre de cet article.
14.- Idée qui s'établit sur la vision qu'ont les forestiers de la forêt."Pour les forestiers, c'est l'agriculture, le pastoralisme et la sylviculture qui créent la diversité, maintiennent à long terme un milieu favorable à la faune et des formations végétales "ouvertes". Pour les protecteurs de la nature, chaque coupe est un traumatisme infligé aux biocénoses, et l'art du forestier est incompatible avec la préservation des équilibres naturels de milieux complexes. [...] [Pour les forestiers] le climax demeure une biocénose inaccueillante, monotone, déséquilibrée. Pour les héritiers de l'image édénique - écologues et, plus encore, écologistes - il demeure un espace ouvert, divers, riche, luxuriant, équilibré. C'est que les premiers supposent implicitement que la nature est une matière brute à élaborer et les autres qu'elle est une création parfaite et achevée" (Larrère et al., 1992). Si la vision des écologues l'avait emporté, on ne dirait pas qu'une forêt qui ne connaît pas l'intervention humaine est une forêt qui meurt.
15.- On pourra lire entre autres Damien et Tripier (1994).
16.- Celle de Franche-Comté dit que les ETF francs-comtois s'engagent au "respect de l'espace naturel que constitue la forêt". Celle d'Auvergne précise que "chacun participe à la protection des réserves, plants, infrastructures forestières, limites et à la réduction des nuisances à l'environnement". Celle de la fédération nationale des syndicats d'entrepreneurs de travaux forestiers, qui se nomme La forêt c'est notre métier. Un pas de plus pour l'environnement, dont nous citons un extrait plus loin, ne mentionne nulle part d'engagement écologique.
17.- Nous ne disons pas que les ETF ne se préoccupent pas de qualité, d'environnement, etc., mais que ce n'est pas le but premier d'une démarche qualité.
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- Notice:
- Schepens, Florent. "L'urgence écologique et son utilisation dans la constitution d'un groupe d'entrepreneurs forestiers", Esprit critique, Hiver 2005, Vol.07, No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr
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