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Eté2009 - Vol.12. No. 01

Du corps comme espace d'intervention au corps-média : analyse du discours publicitaire de la santé

Luciane Lucas
docteur en communication et culture de l´École de Communication de l´université fédérale de Rio de Janeiro (ECO/UFRJ) et professeur du programme de maîtrise en Communication et Pratiques de consommation de l’École supérieure de publicité et marketing de São Paulo - ESPM/SP. Elle est aussi professeur adjointe de l’université de l’État de Rio de Janeiro – FCS/UERJ. Elle est co-auteur du livre Desafios Contemporâneos em Comunicação, Summus editorial, 2003. Tânia Hoff
docteur en Lettres de la faculté de Philosophie, Lettres et Sciences humaines de l’université de São Paulo – FFLCH-USP et professeur du Programme de maîtrise en Communication et Pratiques de Consommation de l’École supérieure de publicité et marketing de São Paulo – ESPM/SP. Elle est co-auteur des livres Erotismo e Mídia, editora Expressão e Arte, 2002 et Redação Publicitária, editora Campus, 2004.

Résumé :

En prenant comme point de départ une brève généalogie des techniques de soi et des transformations du binôme savoir-pouvoir, cet article analyse le sens qu’assume le discours publicitaire du corps dans la société contemporaine. Nous centrons notre investigation sur le corps en tant qu’espace d’intervention, ce qui est propre à une société disciplinaire, et sur le corps-média, vecteur invisible des principes d’une société de contrôle. Se basant sur les représentations du corps qui figurent dans des annonces de médicaments et de produits de beauté pendant deux moments précis de la publicité brésilienne – la décennie de 1920 et la période qui suit la décennie de 1990 – ce travail met en évidence, dans le discours publicitaire de la santé, les « symptômes » d’une transition de la norme au contrôle. Si, dans les années 1920, le corps est représenté dans la relation santé-maladie, la santé étant comprise comme force physique, il est, de nos jours, non seulement synonyme de performance, mais aussi l’espace même du surpassement symbolique de l’organique. La publicité se fortifie comme pratique discursive qui légitime l’imaginaire social d’une espèce de « corps-lego » - modifiable dans ses formes et dans ses limites face à la superposition des concepts de santé et d’esthétique.  Mots-clés : Corps, pratiques discursives, publicité brésilienne, médicine, innovations cosmétiques.  

Title : From the body as intervention space to the media-body: analisys of the advertising discourse on health

Abstract :
Starting from a brief genealogy of self-techniques and from transformations of the knowledge-power pair, this article analyzes the role that
the advertisement discourse on the body plays in contemporary society. We focused the investigation on the body as a mode of intervention,
peculiar to disciplinary societies. Based on representations of the body found in pharmaceutical and cosmetic advertisements in two different
moments of Brazilian advertising history – the 1920 decade and the period beginning with the 1990’s – this work points out, on health
advertisement discourse, ‘symptoms’ of the transition from norm to control. Whereas the body is represented in a health-illness relation
during the 20’s, nowadays it is not only a synonym of performance but also the appropriate space for symbolic overcoming of the organic.
In this sense, advertising is invigorated as a discourse practice which legitimates the social imagery of a ‘lego-body’ – modifiable in its
forms and limits through the superimposition of aesthetics and health concepts.
 
Keywords : Body, discourse practice, Brazilian advertising, medicine, cosmetic innovations. 

Du corps comme espace d’intervention au corps-média :

analyse du discours publicitaire de la santé  

Soins du corps et discours de la santé :

impacts de la culture médiatique sur la subjectivité 

Analyser le sens que le discours sur le corps acquiert dans la société contemporaine exige de plus en plus un regard attentif sur l’entrelacement entre santé, esthétique et consommation. Lorsque nous observons des hybridismes progressifs entre les aliments et les médicaments[1] (les compléments vitaminiques en sont des exemples) ou entre les produits pharmaceutiques et les produits de beauté[2] de dernière génération – qui promettent des interventions « intelligentes » dans le corps, comme c’est le cas des neurocosmétiques[3] – surgit la question suivante : ne serions-nous pas en présence d’un changement de la production de sens du discours de la santé, comme cela s’est déjà produit tout au long de la modernité ? Dans cette transition de la discipline au contrôle, on réinvente les stratégies de bio-pouvoir et les modes d’intervention dans le corps, à partir d’un discours médico-scientifique qui non seulement rend l’individu responsable de sa santé, mais qui légitime aussi l’esthétisation de ce discours. Une brève analyse de la publicité[4] et des modes narratifs du corps qui s’inscrivent en elle met déjà en évidence deux phénomènes – la vulgarisation du savoir médical et la scientifisation du discours publicitaire. Dans les interlignes de la narration publicitaire, des arguments scientifiques constituent des formes de savoir-pouvoir légitimant les représentations qui peuplent l’imaginaire social et qui, par conséquent, redimensionnent les concepts de santé, de maladie et du corps sain.

En ce sens, l’analyse des pratiques discursives – qui, d’après Foucault, constitue un axe méthodologique – nous rend aptes à comprendre dans quelle mesure les transformations des modes d’expression (y compris les modes narratifs du corps) signalent des changements affectant les représentations sociales. Au moyen de ces pratiques discursives, c’est-à-dire des manières dont le sujet de connaissance s’exprime et constitue historiquement son espace, nous pouvons comprendre non seulement l’apparition et la consolidation de formes spécifiques de subjectivité, mais aussi de nouvelles stratégies de pouvoir et de production de vérité. Loin de se restreindre au champ même du discours en tant que fait linguistique, ces modes de savoir, qui mettent en évidence le sens souterrain des pratiques sociales, « prennent corps dans des ensembles techniques, dans des institutions, dans des schémas de comportement, dans des types de transmission et de diffusion » (Foucault, 1971, p.1109).

Raison pour laquelle la communication médiatique se révèle comme un important territoire d’investigation, vu que, dans l’énonciation des transformations des techniques de soi, elle laisse entrevoir ce qui constitue la cible des stratégies de pouvoir dans la société contemporaine : le processus de subjectivation, compris de manière plus détaillée comme le processus de constitution du sujet (Vaz, 1999, p. 164).

De ce fait, pour comprendre les transformations affectant la constitution du binôme savoir-pouvoir de la société de contrôle, il faut tout d’abord être attentif aux changements des techniques de soi[5] qui y prennent corps, ces techniques étant comprises comme des procédés prescrits « aux individus pour fixer leur identité, la maintenir ou la transformer [...] grâce à des rapports de maîtrise de soi sur soi ou de connaissance de soi par soi » (Foucault, 1981, p.1032). Ceci signifie que, face à l’hybridisme entre les soins du corps et le discours de la santé, la diététique s’affirme comme un processus identitaire (Bruno, 1994, p.71) – symptôme d’une intervention dans le processus de la constitution du sujet, c’est-à-dire dans les manières au moyen desquelles il se connaît et se transforme. Dans ce sens, la diététique – dans sa condition d’éthique qui rehausse la qualité de vie en tant que produit d’un investissement personnel – choisit les médias comme l’espace privilégié d’énonciation des soins de soi[6] et comme point de départ pour le projet de « remodelage » sur lequel le sujet contemporain semble parier. En assistant à l’émergence de ce sujet « dont les médias annoncent l’intériorité et les virtualités (prédispositions génétiques, facteurs de risque, etc.) », nous nous sommes trouvés face à « des techniques de soi contemporaines [qui] ont pour caractéristiques l’annonce et la gestion des virtualités » (Bruno, 1997, p.19). Comme nous le verrons par la suite, à partir d’un bref rapport des modes narratifs du corps et du sens bio-politique de la santé dans différents contextes, la culture médiatique est devenue le point de confluence entre les pratiques de la santé, de l’esthétique et de la consommation.

Une brève généalogie du sens de corps « sain »  

Déjà dans la Grèce antique, tel que le fait remarquer Foucault, la diététique avait son lieu garanti. Fondée sur la recherche permanente de la juste mesure, la diététique grecque suggérait un régime – régime qui représentait en soi un art de vivre (tekne tou biou). Comme il ne pouvait pas en être autrement, cette technique de soi présumait un exercice constant, un certain dressage de soi par soi-même (askesis) qui proposait comme résultat une conduite adéquate de l’existence (Foucault, 1984 ; Bruno, 1994). Différente de la société disciplinaire, dans laquelle la norme présupposait la conformité de corps individuels et collectifs autour d’un projet politique et/ou économique, ou même de la société de contrôle, dans laquelle la norme cède la place à une stratégie d’adhésion, le « régime » grec résultait du choix d’hommes libres, il pouvait être d’une telle amplitude dans l’ensemble de ses préoccupations qu’il ressemblait, d’une certaine façon, à un emploi du temps quotidien[7]. Les soins du corps sont donc directement liés au concept de santé, mais il le dépasse à mesure qu’on s’approche de la proposition d’une esthétique de l’existence.

À mesure que nous nous acheminons vers le Moyen Âge, toutes les habitudes relatives au corps se soumettent à une discipline rigide, de sorte qu’elles s’avèrent compatibles avec l’esprit d’ascèse de l’époque. Il y a par conséquent une surveillance constante du corps, mais pour le compte d’un élément qui lui est ultérieur : l’esprit. Loin d’être une option de l’individu, le comportement qui transgresse la règle est sévèrement puni, soit par la pratique de l’autoflagellation (comme résultat d’une introjection de la faute), soit par l’inscription dans ce corps des marques du pouvoir (Foucault, 1973, p.1324-1325). Ce n’est pas pour une autre raison qu’on nomme les sociétés occidentales de la fin du Moyen Âge sociétés de marquage : elles suppliciaient le corps coupable d’infraction au cours de cérémonies publiques. Les maladies, à leur tour, sont en général attribuées aux dérèglements du corps, comme symptômes – et pourquoi ne pas dire « marques » – d’un châtiment divin.

Dans la modernité, en revanche, le corps et son niveau de santé / maladie, n’étant plus réduits aux intempéries divines, sont soumis à un mécanisme social disciplinaire – un nouveau mode « de régir les hommes, de contrôler leurs multiplicités, de les utiliser au maximum et de majorer l’effet utile de leur travail » (Foucault, 1977 ; 1990, p.105). Dans les différents contextes dans lesquels agit ce mécanisme, les techniques de discipline identifient et éliminent la différence gênante, garantissant l’adéquation à la norme et transformant le corps en en faisant le support principal sur lequel on enregistre, de diverses manières, le pouvoir de l’autorité. Cependant, ce corps n’est pas toujours le même et le choix est dû aux stratégies de pouvoir : nous avons tout d’abord le corps collectif du citoyen, ensuite le corps de la ville et, finalement, le corps en tant que fonction de production. La médecine se fortifie pour des raisons politiques et économiques soit en se concentrant sur la force active des populations, soit en se fortifiant à partir des préoccupations politico-sanitaires concernant la ville, ou encore à cause de la nécessité de garantir la productivité de la force de travail. Cette période de développement du capitalisme, qui correspond aussi au surgissement d’une médecine sociale, est propice à la production de documents dont la fonction est de surveiller le corps, de le maintenir dans la norme.

Dans la période entre le XVIIIe et le XIXe siècle, trois centres d’action caractérisent de manière différente l’action de la médecine sur le corps social et sur celui de l’individu :

- les pratiques du citoyen quant à l’observation de la loi et quant au bon fonctionnement de l’espace urbain, avec cela, on s’attend à ce que soit maintenu le niveau de santé de l’État, c’est-à-dire du corps-citoyen ;

- les pratiques sanitaires et hygiéniques pour maintenir la santé de la ville qui se constitue plutôt comme une médecine de l’espace (de contrôle de la circulation de l’eau et de l’air, par exemple) ;

- les pratiques quotidiennes qui rendent viable le corps qui produit.

On note que les premières notions de corps assimilées par la médecine, dans la modernité, ne se réfèrent pas au corps en tant que force productive (par conséquent individuel) mais en tant que corps collectif sur lequel il faut agir pour maintenir la force de l’État ou l’ordre du tissu urbain (Foucault, 1977).

Ainsi, dans un premier moment, nous sommes en présence de la naissance, en Allemagne, d’une médecine de l’État qui se soucie du niveau de santé de la population active dans le but de garantir le fonctionnement de l’appareil politique[8]. Cette question du fonctionnement politique est si importante et prioritaire que les pratiques discursives de l’époque exacerbent totalement ce souci : la comptabilité et le registre apparaissent ensemble comme un paramètre pour analyser le corps social et y intervenir. On accompagne de près l’état de santé de la population économiquement active, vu que cela représente, en ultime analyse, la condition de santé de l’État. Les médecins et les hôpitaux doivent présenter une sorte de relevé comptable de la morbidité qui guide l’État dans la définition de politiques qui soient plus en accord avec la nécessité de garantir la force active de ses populations. On note que le concept de santé du corps garde ici une distance considérable par rapport à l’état de bien-être auquel l’individu peut et doit aspirer (par l’intermédiaire de la consommation) dans la société de contrôle.

Après la médecine de l’État vient ce qu’on appelle la médecine urbaine. Dorénavant le centre d’intérêt est la ville[9]. Et, à mesure que la ville se développe, la préoccupation politico-sanitaire se développe – en même temps qu’elle. C’est dans le contexte d’une médecine urbaine que le corps apparaît effectivement comme le lieu de surveillance et de contrôle social. L’orthopédie sociale est rendue évidente face à la décision politico-sanitaire de raviver la pratique médiévale de la quarantaine, où les mouvements des individus sont surveillés de façon permanente. On note que l’isolement de la différence – qui va appuyer l’idée de confinement au XIXe siècle – commence à prendre forme. Toute la pratique de registre a pour fonction de surveiller et de normaliser la circulation dans la ville :

« Le pouvoir politique de la médecine consiste à distribuer les individus les uns à côté des autres, à les isoler, à les individualiser, à les surveiller un à un, à constater l’état de santé de chacun d’eux, à voir s’il est vivant ou mort et à fixer ainsi la société en un espace scruté, divisé, inspecté, parcouru par un regard permanent et contrôlé par un registre, aussi complet que possible, de tous les phénomènes [...] Non plus l’exclusion, mais l’internement ; non plus l’agroupement à l’extérieur de la ville, mais, au contraire, l’analyse minutieuse de la ville, l’analyse individualisante, le registre permanent [...] C’est la revue militaire et non pas la purification religieuse qui sert fondamentalement de modèle lointain à cette organisation politico-médicale » (Foucault, 1990, p.89).

Le XIXe siècle voit s’établir l’institutionnalisation du savoir scientifique. En termes historiques, il s’agit d’un moment où nous sommes en présence, dans toute sa force, d’un autre phénomène : l’orthopédie du corps pauvre (Foucault, 1977), du corps qui menace non seulement la perception de stabilité du système, mais aussi le maintien, à des niveaux excellents, de la santé économique. On comprend qu’il faut accompagner le corps prolétaire, y compris ses niveaux de santé, pour ne pas compromettre les résultats d’un capitalisme en pleine expansion. Un tel contrôle du corps ouvrier, confirmé par le fait que l’État se soucie du niveau de santé de la classe ouvrière dans l’Angleterre du XIXe siècle, se fait au moyen d’un monitorage permanent des épidémies / maladies et du contrôle de la vaccination.

Avec l’avènement, à l’époque contemporaine, de ce qu’on appelle le « capitalisme léger »[10] (Bauman, 2000), le pouvoir cesse d’avoir comme principale cible le corps de l’ouvrier – élément-clé d’une société industrielle – et il choisit comme centre d’intérêt le corps du consommateur, mettant en relief l’expectative permanente d’une réalisation par le biais de la consommation[11].

Différent de la discipline et de la surveillance qui caractérisaient le système panoptique et, en tant que tel, l’espace fermé de la fabrique, avec son travail à la chaîne et sa production hors série, le modèle de pouvoir n’a pas besoin de nos jours de carte ni de territoire. Il survit dans la proportion même dans laquelle il s’étend sur un espace ouvert, où la surveillance cède la place au désir de performance et où la production cède la place à une logique de montage de produits semi-finis. Dans ce contexte, le corps en tant que force de production cède la place au corps en tant qu’objet d’investissement et de consommation.

Avec la transition d’une société disciplinaire – marquée par la surveillance – à une société de contrôle, le binôme savoir-pouvoir subit des changements radicaux, surtout avec l’avènement des technologies de l’information. Comme le rappelle Deleuze (1990), les sociétés de contrôle « ne fonctionnent plus par confinement, mais par le contrôle continu et la communication instantanée », comptant sur des machines cybernétiques et des ordinateurs pour exercer ce « contrôle incessant en milieu ouvert ». Dans ce sens, le pouvoir ne se configure plus comme la surveillance du corps dans son rapport de conformité à la norme, mais il laisse plutôt entrevoir de nouveaux modes d’intervention dans la constitution du sujet, avec une incidence sur la forme dont l’individu se pense, engendre ses limites et se transforme (Vaz, 1999, p.164 ; Bruno, 1997, p.16).

Avec les nouvelles techniques de soi, de soins de soi, par l’intermédiaire des technologies biomédicales – qui non seulement annoncent des tendances, mais interviennent aussi dans les relations de l’homme avec son corps – l’individu établit une autre relation avec son passé et son avenir, se mettant dans une position pro-active chaque fois que l’anticipation de risques et de tendances lui suggère la possibilité de modifier les circonstances.

Il est évident que tous ces changements que le sujet s’impose – alimentation pour réduire la propension à la maladie, substances et prothèses pour corriger la structure de la peau, body modification pour inventorier de nouvelles formes d’expression – fonctionnent plutôt comme le symptôme d’une modification de la manière dont le sujet interprète ses limites et ses responsabilités que comme une intervention effective dans sa condition de finitude.

Il est toutefois indéniable qu’en introduisant de nouvelles formes de concevoir les limites humaines, les technologies biomédicales ont élargi les conditions dont dispose l’individu d’agir sur sa propre réalité : il peut maintenant reconstruire son corps, élargir son intelligence et sa mémoire, agir sur son état d’âme. Les progrès réalisés dans le domaine de l’immunologie, de l’ingénierie génétique et des neurosciences ont permis à l’homme de reconfigurer ses limites dans la mesure où ils potentialisent son pouvoir sur son corps, sa capacité cognitive et ses états émotionnels. De la même façon, les interventions chirurgicales et les ressources telles que les prothèses et les substances chimiques ont rendu possible la construction de nouveaux modes narratifs du corps en recombinant la nature et la culture en des processus singuliers de body modification :

« Grâce aux progrès [des technologies biomédicales] ... notre corps pourra d’ici peu être transformé par l’action humaine, soit dans son apparence et dans son identité, soit dans sa capacité de se mêler aux minéraux et aux êtres vivants, soit dans sa capacité de résister aux maladies et de persévérer (dans ce cas, on a l’ingénierie génétique et l’immunologie). Notre pensée, dans ce qu’elle pense et dans son mode de penser, pourra être modifiée par des substances chimiques et simulée-potentialisée par des machines. Nos formes d’interaction seront, elles le sont déjà, affectées par les nouvelles technologies de communication » (Vaz, 1996, p.132).

« Le concept de body modification traduit en même temps aussi bien la pratique basée sur la technologie de la chirurgie esthétique que les techniques du piercing et du tatouage, en passant par la chimie des stéroïdes [...] Il problématise les frontières entre le masculin et le féminin, confond les identités ethniques et provoque de véritables révolutions dans les concepts de nature et de culture » (Góes, 1999, p.38).

Dans ce contexte de réinvention du corps en tant que mode d’expression – cherchant à étirer ses limites, à promouvoir de nouveaux modes narratifs symboliques et à élargir les conditions de finitude – la diététique retrouve son espace. Non plus comme une esthétique d’existence mais comme un processus identitaire[12] dans lequel les modes de vie (du genre d’alimentation à l’attention accordée aux facteurs de risque) sont des formes de construction et d’affirmation de l’identité.

Nourri périodiquement par la médiatisation du discours scientifique – et par l’assimilation postérieure de ces arguments par la publicité –, l’individu assimile les principes de cette diététique, croyant qu’elle peut retarder le vieillissement et la mort à partir d’une connaissance préalable de ses conditions de santé et de ses propensions respectives. On note que c’est une caractéristique de la société de contrôle que de transmettre à l’individu l’idée qu’il est responsable de sa vie et de son niveau de santé ; c’est à lui qu’incombe le soin de retarder la finitude du corps et les effets du temps. Néanmoins, si le sujet peut maintenant potentialiser son plaisir – soutenu par des technologies qui lui permettent de connaître et de positiver les risques[13] – il lui faut, plus que jamais, administrer cette liberté.

Connaissant au préalable les propensions individuelles aussi bien que les « découvertes » annoncées par les médias, on peut promouvoir une révision des conditions de vie, y compris des habitudes alimentaires – abondamment associées, dans les manchettes des journaux et des revues, à des problèmes de santé qui vont des maladies coronaires aux rhumatismes, parmi tant d’autres possibilités. De manière générale, on peut dire qu’il y a trois tendances qui se configurent dans ce scénario :

- les énoncés médiatiques, y compris la publicité, ne séparent plus santé et alimentation, de sorte que la diététique se configure comme un espace de convergence entre ces deux dimensions, avec l’entrée en scène de la variable « esthétique » ;

- le langage médiatique entrelace la santé et l’esthétique en présentant des messages qui mêlent abondamment des termes scientifiques du champ sémantique de la médecine à des mots d’ordre tels que « jeunesse », « vigueur », « beauté » et « bien-être » ;

- les limites entre nutrition, esthétique et santé se confondent non seulement dans les messages publicitaires et journalistiques mais aussi dans la réalisation même des recherches et dans la construction des lignes de produits. Ainsi des aliments fonctionnels sont adoptés comme de véritables remèdes pour empêcher l’apparition de maladies chroniques, telles que l’ostéoporose, l’artériosclérose, le diabète et l’hypertension, ils agissent aussi sur le défi esthétique de l’obésité. Le nombre de produits de beauté préparés avec des aliments particuliers augmente de la même manière : crèmes à base de chocolat, de caviar, de soja. Toutefois, ce qui a mis en évidence le monde des cosmétiques, c’est justement son expérience, de plus en plus audacieuse, dans la manipulation de substances pharmaceutiques dont beaucoup étaient restreintes jusqu’alors à la production de médicaments : le phénol devient matière-première pour les peelings, l’acide polylactique stimule la production de collagène et comble des rides profondes, l’idébénone (utilisée dans le cas de la maladie d’Alzheimer) traite maintenant le vieillissement de la peau.

Les moyens de communication jouent ici un rôle important dans l’assimilation mentale de ces espaces que se partagent les champs sémantiques de la médecine, de l’esthétique et de la nutrition.

La culture médiatique, de manière générale, va renforcer l’idée que l’alimentation, le style de vie et les habitudes de consommation conditionnent une vie plus ou mois saine. Ces questions atteignent rapidement le domaine de l’esthétique et, à partir d’arguments médicaux, elles promettent d’agir non seulement sur le prolongement de la vie et de ses conditions mais aussi sur l’apparence et de ce fait sur les niveaux d’acceptation sociale et de légitimation auprès des diverses « tribus » auxquelles l’individu appartient. Des facettes laminées de porcelaine qui rénovent les dents[14] aux neurocosmétiques qui promettent le rajeunissement de la peau en protégeant ses cellules nerveuses – tout peut être remodelé, réduit, ajusté maintenant. Le corps lui-même devient un objet de consommation.

On note que, dans ce contexte, les domaines de l’esthétique et de la médecine se confondent nettement, l’espace médiatique se configurant en scénario de ce nouvel élément hybride. Dans les maisons d’édition, les feuilletons et les revues consacrées aux questions de la santé et de la vie, les informations diffusées en sont une évidence : à partir d’études pharmacologiques, les technologies biomédicales promettent des solutions à d’anciens problèmes esthétiques. Ainsi la phyto endorphine Happybelle, qui ressemble à l’endorphine, « amène à la beauté le concept de neurocosmétique, qui tente de combattre le vieillissement en agissant sur le cerveau, en augmentant la sensation de plaisir » (Revue Marie Claire[15]). De la même façon, « une méthode de processus qui garde intactes deux puissantes protéines du soja, la BBI et la STI » stimule le marché des crèmes anti-âge, en créant l’expectative d’une « peau homogène en 12 semaines » (Revue Isto É, 21/9/2005). Tous les jours, une infinité de nouveaux produits de beauté « intelligents » arrivent sur le marché, dont quelques-uns en arrivent à promettre d’« améliorer la communication entre les cellules », en potentialisant des « mécanismes qui rendent difficile la contraction musculaire qui est à l’origine des fameuses rides d’expression » (Revue Isto É, 18/5/2005). Il convient de rappeler que cette scientifisation, si présente dans le discours médiatique, parcourt aussi la communication publicitaire en présentant, afin d’obtenir un plus grand impact, des preuves statistiques qui soutiennent les promesses faites[16].

Comme cible de tous ces investissements, le corps devient le grand support d’expression de cette culture médiatique. En se constituant comme le territoire même où le pouvoir influe sur les processus de subjectivation – c’est-à-dire sur les modes de constitution du sujet – le corps s’établit comme production symbolique, espèce d’appareil culturel où les marques identitaires laissent des vestiges dans ses modes d’expression. Par conséquent le corps contemporain est un corps-signe. Et c’est la culture médiatique qui, de temps en temps, redonne une signification aux valeurs qui doivent être gravées dans les gestes et les mimiques et dans les contours de ce corps.

Une brève analyse comparative du discours publicitaire des années 1920 et 1990 – et, par conséquent, de la manière dont ces techniques de soi sont traversées par ces énonciations médiatiques – peut nous donner une idée plus claire des transformations qui affectent la perception du corps et celle du sens de la santé.

Transformations discursives dans la publicité du corps :

la santé en tant que vecteur d’un corps impossible 

Des soins du corps, à en juger par l’offre de médicaments, on peut déduire que, dans les années 1920, les Brésiliens se soucient de leur santé. Dans la catégorie « médicaments », ressortent les fortifiants, les remèdes qui soulagent les indispositions passagères et aussi ceux qui sont indiqués pour des maladies affectant des organes spécifiques (Cadena, 2001 ; Marcondes, 2001). Élixir d’Igname, Vermutin, Élixir Nogueira, Nutrion, Émulsion de Scott, Biotonique Fontura, Tonique Iracema, entre autres, sont des fortifiants qui peuvent faire grossir, rétablir la force physique et la joie de vivre. Les médicaments indiqués pour les indispositions passagères, telles que les maux de tête, les douleurs musculaires et les troubles digestifs, sont Capiaspirina, Emplasto Phenix, Peptol respectivement. Les pilules de Witt soulagent les maladies affectant les reins et la vessie et celles du Dr. Richard soulagent les maladies les plus diverses.

Dans la catégorie des cosmétiques, l’offre de produits est considérablement moindre que dans celle des médicaments. Il y a les annonces de crèmes – Pollah et Rugol, par exemple ; celles de savonnettes telles que Santelmo, Reuter, Gessy, Russo et le savon Aristolino, entre autres ; et aussi de quelques parfums, particulièrement des eaux de cologne et des eaux de parfum. Comme dans les annonces de médicaments, il est courant de recourir à des images du corps – souvent des dessins – pour diffuser ces produits de beauté.Dans les années 1920, le corps est représenté d’après la relation santé-maladie, la santé étant comprise comme force physique. Le corps sain est robuste, rubicond et gros : d’après les informations contenues dans le texte des annonces, l’Élixir d’Igname « dépure, fortifie, fait grossir » et le Nutrion « est le meilleur remède contre la faiblesse, la maigreur, la débilité [...] ».  

Figure 1. Élixir d’Igname : le corps sain et gros

lucasFigure 1 Elixir Igname.JPG 

(Revue Eu sei tudo, octobre 1925)  

Associée à la notion de santé, la beauté signifie un corps sans maladie : le savon Aristolino, par exemple, est :

« le meilleur savon pour les boutons, les rougeurs, les démangeaisons, les engelures, les pellicules, la chute des cheveux, l’érysipèle, les dartres et les brûlures » 

et, dans la même annonce :

« le savon préféré, le bien-aimé, le plus durable, parfumé, antiseptique, anti-eczemateux, anti-parasitaire et cicatrisant ». On note que, parmi tant de propriétés médicinales, le savon en question a un seul avantage cosmétique : le parfum.   

Figure 2. Savon Aristolino : le corps sain et parfumé

lucasFigure 2 Savon Aristolino.JPG 

(Revue Eu sei tudo, janvier 1920)

Pendant cette période, les produits de beauté et les médicaments « promettent » la guérison comme avantage. En recevant ce qui manque ou ce qui combat la maladie, le corps accomplit un processus de guérison conforme à sa nature. Le corps et la vie sont en accord : la notion de finitude est présente dans les représentations du corps quand on mentionne les maux qui l’affligent. Naître, grandir, vieillir et mourir sont des étapes distinctes par lesquelles le corps passe inexorablement. Il n’y a donc pas moyen d’éviter les effets du temps sur le corps.

La technologie et la science ne constituent pas encore des aspects importants dans la production et dans la diffusion des produits dans les années 1920. Les annonces de la Cafiaspirina (1927 et 1928) – qui présentent une unité conceptuelle et visuelle, une caractéristique rare dans la création publicitaire de l’époque – font référence à deux Brésil : l’un rural, habitué à la médecine populaire – empirique et crédule – l’autre, au début de l’industrialisation, qui valorise la médecine scientifique. Il s’agit du début d’une transition en ce qui concerne les soins du corps : la croyance à la sujétion du corps à la maladie sera peu à peu affectée par l’idée que la science peut contrôler la maladie et sauver le corps.

Stellinha, protagoniste de la campagne, présente des parents et des connaissances – des types de la société de l’époque – qui connaissent les effets de la Cafaspirina. Dans l’annonce de la Tia [Tante] Mariquinhas, par exemple, la référence aux deux Brésil est explicite et il y a aussi une leçon qui proclame le changement de comportement par l’abandon d’une ancienne coutume :

« Autrefois, la tia Mariquinhas accourait, immédiatement avec des onguents et des herbes bouillies pour guérir n’importe quelle douleur ; évidemment le résultat ne satisfaisait pas le désir de faire le bien avec lequel tia Mariquinha est venue au monde ».

La Cafiaspirina annonce le progrès de la médecine scientifique au Brésil. Le corps en chair et en os, mystérieux, qui tombe malade, qui guérit et qui peut mourir entame un processus de transformation. La rationalisation ou la connaissance détaillée du fonctionnement de l’organisme promeut, au cours du XXe siècle, la des-humanisation du corps (Felinto, 2003 ; Lecourt, 2003 ; Santaella, 2003, entre autres) : la chair qui peut être modifiée, qui peut se confondre avec la machine et, finalement, qui peut aussi se confondre avec le produit, étant donnée sa capacité de se transformer à la superficie.

Le corps, instance dans laquelle la maladie se manifeste, devient actuellement objet de spéculation / imagination : moins sujet aux maladies, il se configure comme une promesse.

Le développement technologique et scientifique pendant les années 1920 ne permet peut-être pas l’illusion de jeunesse et de vie éternelles. Vivre pour toujours impliquerait qu’on élimine la mort et qu’on maintienne la vigueur et la force physique – caractéristiques de la jeunesse. Comment garder le corps jeune ? Actuellement, à en juger par ce que promet la publicité des produits de beauté et des médicaments, l’idéal de vie et de jeunesse éternelles semble assez proche. La technologie signale de façon optimiste la possibilité de perfectionner le corps et même de dépasser les limitations imposées par la condition humaine.

Les opérations de chirurgie esthétique, les prothèses, l’ingénierie génétique et les neurosciences, entre autres possibilités de perfectionner la performance physique et mentale permettent de rapprocher le corps et la machine. À l’intérêt provoqué par les informations relatives à de tels progrès de la médecine s’ajoute l’ample diffusion promue par les médias dans des articles, des entrevues, des couvertures de revues, etc. La publicité, de son côté, renforce les notions de dépassement de l’organique en faveur du machinique quand elle représente le corps comme quelque chose qui est passible de toutes sortes d’intervention. En fonction du développement et de la sophistication des techniques de production de messages, prédominent les images digitales, éditées et élaborées quant à la visualité. Les images du corps présentées dans la publicité actuelle sont des idéalisations : distantes des corps « naturels » ou organiques, ce sont des représentations de la perfection.

Pour des corps-modèles il faut des produits de beauté qui agissent au-delà de l’épiderme : les savonnettes promettent plus que propreté et parfum, elles sont aussi exfoliantes et elles hydratent en profondeur, comme le savon Dove, par exemple ; de la même façon, les crèmes ont des propriétés qui rajeunissent la structure de la peau – par exemple Age Reverse de Nivéa ; Liposyne gel crème, entre autres – elles réduisent les graisses localisées, drainent et améliorent la circulation. On note l’amplification et l’intensification des effets sur le corps.

Les produits de beauté se sont modifiés quant au type d’intervention qu’ils produisent. Actuellement le traitement de la beauté produit ses effets de l’intérieur vers l’extérieur, atténuant les frontières entre médicaments et produits de beauté, vu que tous deux se rapprochent dans l’intervention qu’ils réalisent dans le corps imparfait en quête de perfectionnement. Outre les nombreux médicaments qui soulagent les indispositions telles que les maux de tête, les aigreurs d’estomac, la mauvaise digestion, etc., largement diffusés et consommés, on observe une offre croissante de remèdes contre les taches cutanées, l’anxiété et la réduction de poids. Est-ce que ce sont des problèmes de santé ou de beauté ?

Au début du siècle, le corps imparfait n’est pas sain, d’où l’accent mis sur la maladie, ce qui se vérifie aussi bien dans les annonces de médicaments que dans celles des produits de beauté. Actuellement, il y a un déplacement de la santé vers la beauté, de sorte que l’imperfection se concentre sur la forme / apparence : le corps doit se rapprocher des modèles – diffusés par la publicité et par les médias en général – pour être légitimé comme étant beau et/ou sain. Bien qu’il y ait une variété de modèles, vu les segmentations du marché qui promeuvent la légitimation de groupes ignorés en tant que consommateurs jusqu’à présent, le corps doit être rendu conforme aux modèles établis par le groupe dans lequel il s’insère. Ce qu’on observe particulièrement, ce n’est pas seulement la nécessité d’adaptation aux modèles mais aussi l’idée de dépassement qui s’associe au corps présent dans la publicité.

Les soins du corps se sont transformés principalement parce que le développement technologique permet la création de produits qui modifient les états physiques et psychiques (Porter, 2002). La plupart des maladies qui affectaient la santé au début du siècle passé ont été étudiées et des traitements ont été prescrits. La maladie est devenue objet d’investigation : dans la mesure où elle a cessé d’être un mystère et qu’elle est devenue connue, elle a permis que le regard de la science se tourne vers l’esthétique du corps.

 

Figure 3.  Age Reverse : intervention dans la structure de la peau

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 (Revue Claudia, octobre 2004)

La publicité des produits de beauté propage la réversion du temps. Il y a des crèmes hydratantes anti-âge : « Age Reverse rajeunit de dix ans la structure de votre peau ». Elle diffuse aussi la possibilité de modifier les formes du corps de l’intérieur vers l’extérieur à partir de l’action de certaines substances : Gel Minceline Plus est le nom d’un produit anti-cellulite qui contient DMAE+Caféine et qui est « 150 fois plus puissant », car « il diminue la cellulite, favorise la réduction de graisses localisées, raffermit la peau, draine et améliore la circulation ».  

Figure 4. Gel Minceline Plus : la réversion du temps

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(Revue Claudia, octobre 2004)

Figure 5. Liposyne : rajeunit la structure de la peau

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(Revue Marie Claire, septembre 2005)

Dans les annonces de produits de beauté on observe aussi la notion de corps comme un « devenir ». Étant donnée sa condition mortelle, cela fait sens de le concevoir comme quelque chose qui doit être fait, c’est-à-dire quelque chose qui peut subir des interventions. Prolonger la vie ou perfectionner le corps est peut-être une tentative de retarder la mort. Il ne s’agit pas d’un « devenir » dans un but unique qui, une fois atteint, impliquerait la satisfaction et la fin des interventions – comme dans l’imaginaire religieux chrétien qui subjugue le corps pour atteindre le paradis (Le Goff, 1985). Toutefois, dans les représentations du corps qu’on trouve dans la publicité il y a de nombreuses possibilités de « devenir », toutes facilement atteintes et vite dépassées.

Le corps brésilien dans la publicité :

de nouveaux tons et de nouvelles nuances pour la société de contrôle

Quels savoirs pourraient engendrer la conception d’un corps impossible conforme à celui qui se présente dans le discours publicitaire ? Au Brésil, les soins du corps admettent simultanément des procédés distincts : les savoirs de la médecine populaire coexistent avec ceux de la médecine universitaire. Hétérogène, la médecine populaire englobe les connaissances religieuses et empiriques dans la confluence des savoirs indigènes, européens et africains qui se mêlent dans les pratiques des soins du corps. D’origine érudite, la médecine universitaire est une connaissance systématisée, restreinte aux institutions éducationnelles qui forment des professionnels pour travailler dans les agences de santé – hôpitaux, cliniques, etc. – pour promouvoir la guérison à partir de principes scientifiques.

Bien qu’elle soit peu diffusée, la rivalité entre la médecine populaire et la médecine scientifique se manifeste encore au Brésil. Dans Artes de Curar no Brasil (Chalhoub, 2003), plusieurs articles thématisent les difficultés rencontrées par les médecins pour que la médecine scientifique ait de la crédibilité aux yeux du peuple brésilien. Pour comprendre la force de la médecine populaire, il convient de mentionner qu’on pratique encore la pajelança[17] de nos jours ; vestiges de la culture indigène, les pajés[18], se sont transformés en guérisseurs dans les villes, ils ont perdu les liens qui contextualisent leurs pratiques, mais ils subsistent encore en fonction de la croyance en leurs pratiques, de la difficulté d’accès de la population aux traitements médico-scientifiques et de la précarité des systèmes de santé au Brésil.

Les savoirs provenant de ces deux types de médecine coexistent actuellement dans la société brésilienne : la présence de contenus des imaginaires religieux et médical en ce qui concerne les soins du corps peut être observée dans le corpus étudié. La création publicitaire, toujours en conformité avec les valeurs et les visions du monde de différents groupes de consommateurs, dénonce une telle coexistence quand elle s’appuie sur les pratiques de guérison populaires pour diffuser ses médicaments.

La campagne de la Cafiaspirine, qui a été créée dans les années 1920, réalisée par les Laboratoires Bayer fait référence à la manière dont tia [tante] Mariquinhas soignait les malades de sa famille – avec « des onguents et des herbes bouillies » – avant de connaître au moyen de « l’expérience » – connaissance pratique – ledit médicament.

L’exemple pourrait être considéré comme inadéquat, car il s’agit d’une création qui dépeint un Brésil encore attaché à la culture populaire et peu informé au sujet de la science. Cependant, dans les années 1990, on trouve des exemples de campagnes qui suggèrent la substitution des pratiques de la médecine populaire par les médicaments développés par la science et produits dans des laboratoires de haute technologie : la campagne des cachets de Coristina, contre la grippe et les refroidissements, conseille de remplacer les remèdes de bonne femme à base de cognac, de citron et de tisane de cannelle par des médicaments de la médecine scientifique.

En ce qui concerne les soins du corps, la publicité brésilienne de médicaments et de produits de beauté est l’expression des contenus de l’imaginaire techno-culturel, caractéristique de la médecine érudite basée sur la science et la technologie. Cependant la manière dont les informations de caractère scientifique sont présentées aux consommateurs s’écarte des paramètres de rigueur défendus par la science en ce qui concerne la présentation de preuves : dans les annonces publicitaires sont présentées la promesse du produit et les substances responsables des effets diffusés au moyen d’un discours pseudo-scientifique. Affirmer que « le Gel Minceline Plus associe l’action réductrice lipolytique de la caféine et du guaraná[19] au pouvoir raffermissant du DMAE, potentialisés par le CAV, véhicule exclusif de Anna Pegova » informe, mais n’explique pas l’action des substances sur le corps. Il s’agit d’un discours dogmatique qui présente les informations scientifiques comme si c’étaient des « vérités absolues » – ce qui est une caractéristique du discours religieux.

La crédibilité que ce genre de texte confère à la publicité des médicaments et des produits de beauté est assez discutable, cependant il convient de se poser la question suivante : pourquoi la création publicitaire de telles catégories de produit se sert-elle de pseudo-arguments technico-scientifiques, si, en fait, elle ne peut pas et ne doit pas les expliquer, étant données ses caractéristiques discursives ? S’agit-il de conférer de la crédibilité à des produits qui se repaissent de la crédulité des consommateurs en ce qui concerne les pouvoirs de la science par rapport au corps ?

Bien que le corps présent dans la publicité brésilienne actuelle amène avec lui la promesse de surpasser les maux et les fragilités de la condition humaine en tant qu’expérience vécue qui accompagne le sujet au cours de son existence, il se maintient comme espace / instance de contrôle : la pseudo-liberté d’intervenir dans son propre corps, en le réinventant à partir de choix de caractère individuel, signale la notion d’accès au marché et de démocratisation de la consommation. Nous pouvons dire que les consommateurs sont libres face aux offres du marché et qu’ils choisiront en exerçant leur droit de consommateur en fonction de ce qui est disponible. Dans ce scénario, les techniques d’intervention sur / dans le corps les plus modernes visant la construction d’un idéal esthétique réaffirment la notion de contrôle, d’après Deleuze (2000).

Références bibliographiques 

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- Chalhoub S. et al. (org.), Artes e Ofícios de curar no Brasil: capítulos de história social, Campinas, SP, editora da UNICAMP, 2003. 

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- Deleuze G., « Qu’est-ce qu’un dispositif ? » dans Deleuze G., Deux régimes de fous, Paris, éditions de Minuit, 2003. 

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- Foucault M., « La société punitive » (1973), dans Foucault M. Dits et Écrits, Paris, Quarto Gallimard, vol.I, p.1324-1338, 2001. 

- Foucault M., « Théories et institutions pénales » (1972), dans Foucault M. Dits et Écrits, Paris, Quarto Gallimard, vol.I, p.1257-1261, 2001. 

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- Foucault M., Microfisica do poder, Rio de Janeiro, Graal, 1990, 9ª ed. 

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- Lecourt D., Humain, post-humain, Paris, PUF, 2003. 

- Le Goff J., L’imaginaire médiéval, Paris, Gallimard, 1985. 

- Marcondes P., Uma história da Propaganda Brasileira, Rio de Janeiro, Ediouro, 2001. 

- Porter R. Blood and Guts: a short history of medicine, London, Penguin Books, 2002.  

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- SOBRAVIME – Sociedade Brasileira de Vigilância de Medicamentos. [Société brésilienne de vigilance de médicaments] « Edital », Boletim 33, abril-junho 1999, p.1-2. Disponible sur , consulté le 29/09/2004.  

- Vaz P., « Corpo e Risco » dans Villaça N., Goes F., Kosovski E. (org.) Que corpo é esse?, Rio de Janeiro, Mauad, 1999. 



[1] L’OMS (Organisation mondiale de la Santé) a établi en 1977 la définition suivante du médicament : « n’importe quelle substance présente dans un produit pharmaceutique utilisée pour modifier ou explorer des systèmes physiologiques ou des états pathologiques au bénéfice de celui qui le reçoit » (www.farmacia.med.br/temasdesaude/artigos2, 5/10/2004).
[2] ANVISA (Agence nationale de vigilance sanitaire) présente la définition suivante des produits de beauté : « les produits d’hygiène personnelle et les parfums sont des préparations constituées de substances naturelles et synthétiques ou de leurs mélanges, d’usage externe dans les différentes parties du corps humain, peau, système capillaire, ongles, lèvres, organes génitaux externes, dents et membranes muqueuses de la cavité orale, dans le but exclusif ou principal de les nettoyer, de les parfumer, de modifier leur apparence et/ou de corriger les odeurs corporelles et/ou de les protéger et les maintenir en bon état » (www.anvisa.gov.br/cosmeticos/camar.htm, 5/10/2004).
[3] Ce sont des produits de beauté de dernière génération qui partent du principe qu’il y a une relation directe entre la peau et le système nerveux, pouvant interférer dans l’apparence de la peau à cause d’une action directe sur certains neurones. En se basant sur sur ce concept, deux substances promettent d’agir de manière inusitée sur les barrières du temps – les phyto endorphines qui « activeraient les neurones responsables de l’aspect sain de la peau et de l’éclat du teint » et les substances neuro-protectrices, fabriquées à partir de neuropeptides, qui « agissent comme des messagers entre le cerveau et la peau – et, en envoyant des messages de bien-être, elles seraient capables de lui donner une apparence heureuse » (Revue Criativa, éd. 196, août 2005). Maintenant ce ne sont pas seulement nos états d’âme qui peuvent être produits et modifiés par des substances chimiques ; la peau, en tant qu’appareil de la culture, peut reproduire un état émotionnel stimulé par les technologies biomédicales. Ce n’est pas fortuitement que l’une des composantes des neurocosmétiques – le Happybelle – s’est vu attribué le curieux surnom de « Prozac de la peau ». Plus que jamais, dans le domaine technique de la biotechnologie, le bonheur et la beauté se justifient mutuellement. 
[4] Deux ensembles de pièces publicitaires ont été constitués : l’un, des années 1920, composé d’annonces produites et véhiculées dans des revues publiées dans la même période – les pièces citées dans cet article ont été véhiculées dans la Revue Eu sei tudo [Moi, je sais tout] (première édition : 1917) ; l’autre, de l’époque actuelle, aussi constitué de pièces de la presse écrite sans définition des revues en fonction de la diversité de titres offerts par le marché éditorial brésilien et de l’importance de la presse écrite pour la diffusion des catégories de produit étudiées ici.  
[5] D’après Foucault, les techniques de soi constituent, avec le mode d’assujettissement, la substance éthique et la téléologie, l’un des éléments de la « relation à soi ». Comme l’explique Fernanda Bruno, l’anlyse des techniques de soi fonctionne comme « une modalité de recherche sur le sujet » , établissant « une interrogation sur la forme dont le sujet a été établi, dans différents moments historiques, comme un objet de connaissance, de transformation, d’élaboration » (Bruno, 1997, p.16).
[6] De nombreuses annonces de journaux et de revues mettent en évidence cette tendance en montrant d’ailleurs comment des expressions du champ sémantique de la médecine apparaissent mêlées à des termes tels que jeunesse, vigueur, beauté. Voyons quelques exemples : (1) « Les défenseurs du chocolat expliquent que le cacao contient des substances qui peuvent prévenir les dégâts causés par les radicaux libres au collagène, à l’élastine et à d’autres protéines de la peau. De cette manière, en faisant partie de la composition de crèmes, il aiderait à garder à la peau une apparence jeune et saine » (O Estado de São Paulo, 17/6/05) ; (2) « l’adoption de régimes adéquats, alliée aux changements d’habitudes, peut contribuer à prévenir le cancer ». Un chercheur de l’USP – université de São Paulo a présenté des données de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en indiquant que de l’accroissement global de la population et du style de vie occidentalisé peut résulter une augmentation de 50 % de l’incidence de cas de cancer dans les deux prochaines décennies [...] Un tiers peut en être prévenu principalement en changeant les habitudes alimentaires (Jornal do Comércio, 17 et 18/4/05) ; (3) « De nos jours, on arrive à retrouver la vigueur de la jeunesses en fournissant les nutriments qui manquent dans l’organisme » (Plástica&Você, ano 2, n°7) Les manchettes suivent la même tendance : « L’alimentation au service de la psychoneuro-immunologie » (O Estado de São Paulo, 14/9/05 ; « Les pouvoirs de l’huile d’olive extra-vierge sur la santé » (O Estado de São Paulo, 14/9/05 ; « Vous grossissez ? Attention au stress » (www.ondarpc.com.br/viverbem).
[7] Quand Foucault parle de régime, dans la diététique grecque, il ne se réfère pas seulement au choix des aliments (sitia), mais à un ensemble assez ample de préoccupations qui englobent aussi les exercices (ponoi), le sommeil (hupnoi) et les relations sexuelles (aphrodisia), entre autres questions (voir Foucault, 1984).
[8] Foucault explique la valeur politique du corps dans le cadre d’une médecine d’État, ce qui nous aide à comprendre les différences entre les diverses bases culturelles possibles de la discipline d’un corps – « ce n’est pas le corps qui travaille, le corps du prolétaire qui est pris en charge par cette administration étatique de la santé, mais le corps même des individus quand ils constituent globalement l’État : c’est la force, non pas du travail, mais étatique, la force de l’État dans ses conflits, économiques certes, mais aussi politiques, avec ses voisins. C’est cette force étatique que la médecine doit perfectionner et développer » (Foucault, 1990, p.84).

[9] Foucault relate qu’un art du corps humain ne se développe effectivement qu’à partir du XVIIIe siècle et il nous rappelle que, Durant ce siècle, ce que nous avons, ce n’est pas exactement une médecine du corps, mais bien une médecine de l’espace (1990, p.90). C’est au cours du XIXe siècle que s’établit vraiment une police médicale en Allemagne et un contrôle sur le corps de l’ouvrier en Angleterre (1990, p.83 et p.97).

[10] D’après ce que rappelle Bauman, si le capitalisme lourd « était obsédé par le volume et la taille et, de ce fait par les frontières, les rendant fermes et impénétrables, aujourd’hui, en sens inverse, le capital voyage de manière légère – juste avec les bagages à main qui ne comprennent qu’une serviette, un téléphone et un ordinateur portables » (2001, p. 69).

[11] La consommation devient le champ de production symbolique où la lutte des classes prend de nouvelles dimensions.

[12] Pour en savoir davantage sur la diététique contemporaine, voir Bruno, 1994.

[13] Si au XIXe siècle le risque est assimilié en fait, on peut dire qu’un changement encore plus significatif se produit à partir du XXe siècle : le risque est tout simplement positivé. C’est-à-dire que de quelque chose qu’on devait craindre, il se transforme en quelque chose qui doit maintenant être optimisé, être employé à son propre avantage. L’univers de la spéculation trouve ici sa justification et se rattache à l’idée de pouvoir transformer le danger et le risques en une reconfiguration des limites et en une perspective de gains plus importants. C’est sur ce territoire que se développent la spéculation, la simulation de scénarios possibles et l’analyse de risques.

[14] La chirurgie esthétique dentaire est une modalité de traitement qui promet de grands résultats en un court laps de temps, elle remplace l’usage d’appareils orthodontiques. Le traitement cosmétique dentaire promet le parfait sourire : il corrige les dents mal implantées, répare les défauts de proportion en augmentant ou en diminuant les dents et il réduit les espaces existant entre elles. Voir « SORRIA sem medo » [SOURIEZ sans peur] Revista Plástica&Você, ano 2, n°7, p. 88-90. La « santé » des dents se mêle à un souci esthétique.
[15] Voir: http:// revistamarieclaire.globo.com/Marieclaire/0.6993.EML953087-1742.00

[16] Voyons quelques exemples : le PerfectSlim de l’Oréal promet « 85 % d’efficacité anti-cellulite » et enrichi de Par-Elastyl « il raffermit la peau à partir de 8 jours » (Nova Beleza, out/nov. 2002). Imedeen « est le premier nutriment pour la peau sous forme de comprimés [...] son usage continu adoucit les lignes fines, les rides et les taches causées par l’âge et il rend à l’apparence une apparence plus jeune et plus ferme » (Nova Beleza, out./nov. 2002).

[17] Pratique chamanique indigène, rituel de guérison. 

[18] Le pajé, qui reçoit les divinités et les créatures surnatutelles, est en même temps le magicien ou le sorcier, le médecin qui a plusieurs pouvoirs tels que : neutraliser la maladie et la guérir, provoquer la maladie chez les êtres invulnérables, prédire l’avenir, intervenir dans la vie sociale des gens, de la naissance à la mort.

[19] Le guaraná est un arbrisseau sarmenteux, grimpant, dont le fruit est une capsule membraneuse à trois loges qui contiennent chacune une graine ovale. Il constitue la matière végétale la plus riche en caféine actuellement connue. Il est employé comme un puissant facteur énergétique ; il élimine la fatigue et donne à l’organisme vitalité et sensation de bien-être, aiguise l’esprit, augmente la longévité et donne l’équilibre parfait. Le guaraná est un complément alimentaire qui stimule les fonctions cérébrales et augmente les capacités intellectuelles. Il active la combustion des corps gras et stimule la libération de catécholamines dont l’adrénaline qui permet à l’organisme de « brûler » plus rapidement ses graisses, il sera donc particulièrement utile dans le cadre des régimes amincissants.