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La toponymie algérienne : lecture préliminaire de la dénomination de l'espace.
Mansour MARGOUMA Mots clés: Toponymie, dénomination, espace, identité, Algérie. Résumé : L'Algérie est une région d'ancienne civilisation qui a connu le passage de plusieurs peuples d'origines, de langues et de traditions différentes. Elle est, en effet, située sur la route des invasions et des migrations humaines et a subi des occupations successives de longue durée qui ont marqué, chacune de leur empreinte, le paysage géographique. La dénomination des espaces (lieux), sous leurs formes familières, s'explique par des facteurs multiples, anciens ou récents, étant donné que cette dénomination est le reflet vivant d'une structure géographique, historique, linguistique ou ethnographique. La toponymie (étude des noms de lieux) algérienne apparaît aujourd'hui comme un outil de mémoire collective et d'identité, de repère et d'orientation, de symbole et de signification réelle ou imaginaire. Title: Algerian toponymy: preliminary reading of the space denomination. Keywords : toponymy, denomination, space, identity, Algeria Summary: Algeria is an area of old civilization that knew the passage of several people of different origins, languages and traditions, it is located on the road of human invasions and migrations and underwent successive long duration occupations that marked, each one of their print, the geographical landscape. The spaces (places) denomination, in their familiar forms, is explained by several old or recent factors, since this denomination is the real reflection of a geographical, historical, linguistic or ethnographic structure. In fact, Algerian toponymy (the places’ names study) seems today like a tool of a collective memory and identity, reference mark and orientation, symbol and real or imaginary significance. Introduction : En examinant l'objet de l'étude toponymique qui se réfère à l'étude des noms de lieux, nous pourrons constater que cette branche de l'onomastique (étude des noms propres au sens large) comporte essentiellement plusieurs catégories: " l'oronymie ou étude des noms de montagnes, l'hydronymie ou étude des noms de cours d'eau, la microtoponymie ou étude des noms des lieux dits, l'odonymie ou étude des noms de rues…" (Encyclopédia universalis, 1996, p758). Ceci a une relation étroite, dans la plupart des cas, avec l'espace dans toutes ses formes, car " de tout temps les hommes ont pris soin de nommer ce qui les entoure" (Cote, 1997, p4) (environnement, espace). Cette dénomination entraîne certainement une fonction, selon Brahim Atoui (1997, p11): "Toute dénomination implique une notion de limite, car nommer signifie prendre possession d'un territoire, d'un espace. On nomme pour délimiter, pour isoler, identifier, distinguer, démarquer et aussi et surtout pour faire valoir un certain droit sur une aire donnée". Dans le même ordre d'idées, Henri Dorion (2000a, p23) nous précise que "le nom de lieu identifie, il localise, il délimite, il décrit, il caractérise, il rappelle, il perpétue, il évoque, il distingue; souvent il hiérarchise et il structure; en un sens, il approprie". Dénomination de l’espace : En Algérie, et d'une façon générale, cette dénomination peut prendre de nombreuses et très variées formes (une riche nomenclature) [1]. Les fonds toponymiques comprennent des formations venues de tous les horizons méditerranéens, africains et autres, et leur inventaire apparaît d'une grande richesse. Certains toponymes ont été mis en évidence et ont été élucidés, d'autre restent obscurs quant à leur origine et leur signification, parmi lesquels nous avons retenu en premier lieu les catégories suivantes: Nous pouvons prolonger cette liste tout en allant du général au particulier, ou du global au local. On peut également trouver d'autres formes de dénomination de l'espace qui combinent noms de personnes, d'animaux, de reliefs, d'événements… "La classification des noms de lieux est assez délicate. S'il existe des séries que la logique groupe aisément, on passe constamment, comme pour les noms de personnes, d'une série à l'autre au cours de l'évolution du langage. Une ville peut tirer son nom d'une rivière ou vice versa, un territoire d'une ville, un village d'un terroir, un terroir comme une localité d'un accident de terrain" (Pellegrin, 1948, p9). Toponymie, culture et identité : Il est possible de mettre en interaction toutes ces formes pour déceler l’impact que celles-ci ont sur la structuration de l’espace et sur la transformation en retour des représentations. Il s'agit, d'une façon générale, de la relation de l'homme avec son environnement ou son espace. Selon Foudil Cheriguen (1994, p93): "Si certains noms propres d'hommes servent aussi à désigner des lieux, certains noms de lieux, à leur tour, servent à désigner des événements historiques importants… les données géographiques se conjuguent avec des événements dans une relation anthropologique. Il s'agit, en fait, d'une même relation, de l'homme à l'environnement vécu, qui implique toujours ces trois données que sont l'homme, l'espace et l'histoire". En ce qui concerne l'histoire et l'identité, on pourrait dire que les événements marqués et gravés dans les esprits ont un impact direct sur la manière dont les hommes se représentent les discontinuités de la nature sur les délimitations de l'espace, et par la suite, sur la dénomination et le classement de ces derniers. "La toponymie, conjuguée avec l'histoire, indique ou précise les mouvements anciens des peuples, les migrations, les aires de colonisation, les régions où tel ou tel groupe linguistique a laissé ses traces" (Dauzat, 1957, p7). Ceci dit, la toponymie est une image vivante, elle est souvent révélatrice de l'identité et de la culture du peuple, elle est le reflet de l'au-delà de la diversité, car derrière cette diversité se cache en fait, une certaine unité liée au besoin de reconnaissance identitaire qui tend à uniformiser les individus au sein d'une identité collective. Ce qui s'exprime par la dénomination des espaces et des lieux, c'est la création ou la reproduction d'un imaginaire et/ou d'un sentiment collectif dans lesquels, l'identité régionale ou nationale (des souvenirs liés au folklore, aux coutumes et aux traditions populaires, à l'histoire, à la géographie, à la langue…) s'imbriquent dans la culture au sens large du terme, constituant un héritage et un bien commun (identitaires) pour toute l'Algérie. Le traitement d'un toponyme doit se faire avec conscience, prudence et responsabilité ; une manipulation aveugle, un geste irresponsable (tel que dénommer, re-dénommer un lieu, comme l'a mentionné Farid Benramdane, 2002, p63), peuvent avoir de graves conséquences. Selon Henri Dorion (2000a, p23): "le nom de lieu appartient à celui qui le crée et à celui qui l'utilise; il appartient aussi à celui qui possède ou qui fréquente le lieu; il appartient dans une certaine mesure, à celui qui le traite; disons plutôt qu'il est à la merci de celui qui le traite. Car, en effet, " toucher" à un nom de lieu n'est jamais un acte indifférent". La toponymie est, dans une certaine mesure, "fragile", pour reprendre l'expression de Dalila Morsly (1983, p233): "fluctuante; soumise aux avatars de l'histoire, elle est un enchaînement de baptême, dé-baptême, re-baptême". Toute une histoire ou des histoires à revivre pour comprendre; car, pour marquer son territoire, chaque peuple, chaque tribu, chaque personne, a laissé sa marque sur le sol qu’il a découvert, et qu'il a voulu approprier, afin de protéger sa tribu, ses animaux, ses biens… " C'est ainsi que chaque nom de lieu est porteur de messages précieux qu'il est important de connaître et de conserver par respect pour le passé et la continuité historique" (Dorion, 2000b, p3). Le défi qui se pose actuellement pour comprendre, gérer, protéger les toponymes, est majeur. "Les chercheurs observent les noms de lieux; les gestionnaires les manipulent. Le défi est grand d'assurer un équilibre entre la vérité (l'authenticité), la norme (la conformité) et le bien (l'opportunité). Ce défi s'adresse autant aux chercheurs qu'aux gestionnaires de la toponymie et il est à espérer que, pour le relever, ceux-ci et ceux-là trouveront des occasions renouvelées de concertation" (Dorion, 2000a, p23). En effet, l'intérêt scientifique et humain qui s'attache à l'étude des noms de lieux, les efforts de certains chercheurs onomasticiens, qui ont fourni d'éminentes contributions par des études toponymiques ou anthroponymiques, sont à signaler, néanmoins, il reste encore beaucoup à faire pour étudier, gérer et conserver un tel patrimoine. Notes: [1]- La toponymie algérienne est un cumul de savoirs marqué par toutes les civilisations qu’a connu ce pays et surtout l’arabo-musulmane, la française et la berbère. [2]- Une traduction est proposée en fin de document de tous les toponymes utilisés dans cet article. [3]- L’exemple de la commune de Benbadis dans l’Est algérien qui a tiré son appellation du nom du grand savant et réformiste Abdelhamid Benbadis dont la réputation dépasse les frontières nationales. La localité dite Machraâ Houari Boumediene dans la région de Béchar qui porte le nom du président Houari Boumediene. [4]- Conclusion personnelle basée sur les constatations de certains gens avec lesquels nous avons discuté. [5]- Ouled Djellal dans l’Est algérien, douar Slatnia de la région de Relizane dont la majorité des familles porte le nom de Ben Soltane. Aouabed de la même région (du nom de famille Abed). [6]- Généralement c’est le jour du marché hebdomadaire qu’on donne comme nom au village ou à l’endroit. Signification des toponymes utilisés dans cet article (traduits par nos soins): Ain : Source Beida : blonde ou blanche Bir: puits Bled: terre ou sol Chaabet ou chaaba : goulet; col; ravine Cheraga : ceux de l'Est ou situés à l'Est Chergui : celui de l'Est ou situé à l'Est Defla: le laurier rose Dhahrania : celle du Nord ou située au Nord Dhayet ou Daiya : mare, étang D'heb : l'or Djebel : montagne Djenan : champs d'arbres, jardin. E-Dhib : le loup El balout : les glands El Ghouzlen : les gazelles El Ghzel : la gazelle El Gsab: les roseaux El Had : le dimanche El H'djel : les perdrix El Hmam : les pigeons El Kalb : le chien El Kharouba : le caroubier El wouroud : les fleurs En-Nakhil : les palmiers dattiers Er-Roumane: grenadier Es-Sanouber: les pins Et-Teffah : les pommes Ez-Zitoun : les oliviers Fouaga : ceux du haut Ghabet : forêt de Gharbi : celui de l'ouest, situé à l'ouest Ghraba : ceux de l'ouest ou situés à l'ouest Gueblia : celle du Sud ou située au Sud Haï : quartier Hamra ou Lahmar : rouge Haouita: muret, Hessiène : les puits Kahla : noire Kef : grotte Khadra ou Lakhdar : verte ou vert Kouba : mausolée, coupole Ladjmel : chameaux ou dromadaires Lahdid : le fer Lahdjar : les pierres Lalla : féminin de monsieur ou de monseigneur (maîtresse) Larebâ : le mercredi Lethnine : le lundi M'kam : autel, lieu saint Moulay : monseigneur M'rabta : marabout M'zar : lieu de visite ou de pèlerinage N'sour : les vautours Oued : rivière ou vallée Ouled : fils de Rahbet : lieu de R'sas : plombe Safsaf : peupliers blancs; les saules Sebt : samedi Sidi : monsieur, sieur, monseigneur Souk : marché Sour : clôture; enceinte (mur) Tabeg : aisselle; dessous de bras T'hata : ceux du bas Thniyet ou Thniya : route dans une montagne Touta: mûrier Zaaroura : aubépine; azerole; azerolier; néflier; nèfle Références bibliographiques ATOUI (Brahim), 1997, Toponymie et espace en Algérie, éditions EPA, Alger. BENRAMDANE (Farid), 2002, "Histoire(s) et enjeu(x) d'une (re) dé/dé/dénomination: la place rouge de Tiaret", in Insanyat, revue algérienne d'anthropologie et de sciences sociales, n° 17-18, mai- décembre (vol. VI, 2-3). BOUKHOBZA (Mhamed), 1982, L'agro-pastoralisme traditionnel en Algérie de l'ordre tribal au désordre colonial. OPU, Alger. CHERIGUEN (Foudil), 1994, "Anthropo-toponymie et désignation de l'environnement politique", in Mots/Les langages du politique, n° 39 juin, Mots: Environnement, Ecologie, verts. France. COTE (Marc), 1997, "préface", in Atoui Brahim, Toponymie et espace en Algérie, éditions EPA, Alger. DAUZAT (Albert), 1957, Les noms de lieux - origine et évolution, Villes et villages - pays - cours d'eau - montagnes - lieux-dits. Delagrave. Paris. DORION (Henri), 2000, "L'apport de la recherche onomastique à la gestion des noms géographiques", in Bulletin des sciences géographiques, n°5 spécial Toponymie, INCT. Alger. DORION (Henri), 2000, "Toponymie, normalisation et culture", in Bulletin des sciences géographiques, n°5 spécial Toponymie, INCT. Alger. Encyclopédia universalis, 1996, V2. MAROUF (Nadir), 1991, Toponymie et anthroponymie maghrébine, quelques repères de la centralité "à travers champs", URASC, université d'Oran. Algérie. MORSLY (Dalila), 1983, "Histoire et toponymie, conquête et pouvoir", in voyage en langue et littérature, OPU. Alger. PELLEGRIN (Arthur), 1948, "Contribution à l'étude de la toponymie nord-africaine, Noms de lieux empruntés au règne végétal". In IBLA n°43-44, Tunis PELLEGRIN (Arthur), 1949, "Notes de toponymie africaine. Les noms de lieux empruntés au règne animal". In IBLA n° 45, Tunis.
Chercheur au Centre de Recherches en Anthropologie Sociale et Culturelle (CRASC) Oran, Algérie, membre du projet "Dénomination et représentations mentales onomastiques (toponymiques et anthroponymiques) en Algérie".