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Eté2009 - Vol.12. No. 01

Les jeux traditionnels du Nord de la France : éléments de contrôle de la violence interpersonnelle

Mickaël Vigne
Docteur en sociologie de l’université Paris V, Groupe d’étude pour l’Europe de la culture et de la solidarité (GEPECS - Axe 5). Université Paris V - René Descartes, La Sorbonne. Qualifié en ethnologie / anthropologie (20e section), enseignant la sociologie du sport aux universités de Valenciennes et d’Amiens pour l’autre mi-temps. Ses recherches portent essentiellement sur les pratiques physiques en société et notamment les pratiques ludiques traditionnelles, le champ des pratiques culturelles, de la tradition et du patrimoine. A travers les jeux, il tente de démontrer comment ils sont éléments de la société en tant que miroir de celle-ci et comment ils reflètent les valeurs sociales qu’elle diffuse par les pratiques ludiques.

Résumé : 

Une étude menée en 2006 montre que l’espace linguistique picard renferme des valeurs sociales de premier ordre. L’une d’elles est identifiée par une quasi-absence de violence dans les pratiques des jeux sportifs traditionnels du Nord. Ces jeux, pourtant confinés dans des espaces exigus, ont pris soin de mettre leurs joueurs à l’abri des brutalités physiques. Ce rejet de la violence physique ne s’applique pas avec la même constance lorsqu’il s’agit d’intégrer des animaux au déroulement de la partie. C’est le signe du plaisir du combat dont l’individu a besoin, mais qu’il choisit de vivre par procuration afin d’éviter les dangers sociaux qu’occasionnerait l’expression réelle de la violence interpersonnelle. Les joueurs du Nord sont rarement en contact physique, ils exacerbent leur violence intérieure vers les animaux. La plupart des « jeux d’animaux » sont très violents. Par divers processus, les individus tentent bien de contrôler cette violence exercée. L’utilisation de la violence contrôlée constitue un signe important de la recherche permanente de la convivialité. La violence sur les animaux semble avoir été un élément qui a permis de canaliser et de discipliner les relations interindividuelles. Ces progrès que l’on constate indiquent une avancée du « procès de civilisation ». 

Mots clés : Jeux sportifs traditionnels, violence, identité culturelle, patrimoine.   

Les jeux traditionnels du Nord de la France :

éléments de contrôle de la violence interpersonnelle   Les jeux traditionnels du Nord de la France  

Les jeux traditionnels du Nord de la France connaissent un nouvel engouement populaire depuis quelques années. Peut-on parler pour autant d’effet de mode ou simplement d’une réelle volonté de réaffirmer une identité culturelle régionale en perte de vitesse ? Il apparaît un désir de (re)développer les jeux traditionnels en Nord-Pas-de-Calais et Picardie (NPDCP). Ces derniers ont été trop longtemps délaissés du patrimoine culturel de l’espace linguistique picard. Bertrand During (1984) explique à ce propos qu’il :

« semble légitime, dans une perspective historique de formuler l’hypothèse selon laquelle l’essor des gymnastiques et des sports est symétrique du déclin des jeux et autres pratiques traditionnelles »[1].

Cette mise en avant systématique des sports explique le déclin certain de nombreux jeux traditionnels voir même la disparition de certains d’entre eux. Tel est le cas par exemple du jeu de la balle au tamis qui se pratiquait jadis dans la région d’Abbeville en Picardie (80). Ce jeu est un dérivé des jeux de la famille du tennis, il se pratiquait dans les champs, sans filet et sans raquette, uniquement à l’aide des mains. Implantée un peu partout en Picardie et plus particulièrement dans le Vimeu, la balle au tamis vit son nombre de pratiquants diminuer après la seconde Guerre mondiale pour disparaître définitivement dans les années soixante. Ce n'est qu'en 1976 que deux sociétés des villages de Biencourt-Le-Translay et de Woincourt se reconstituèrent à l'occasion de la journée des sports régionaux de Picardie. À ces deux sociétés vinrent se joindre quelques villages de la Somme : Méneslies, Moyenneville, Ramburelles et Saint-Quentin-La-Motte, et Millebosc en Seine Maritime. Forts d'une dizaine d'équipes, championnats, diverses compétitions et manifestations furent alors organisés. L’objectif principal était bien entendu de faire revivre la passion de ce jeu en espérant attirer un maximum de nouveaux pratiquants. La mésentente entre différentes associations plongea ensuite la balle au tamis dans une nouvelle crise qui lui fut fatale. Malgré tout, Méneslies et Yzengremer, non loin d’Abbeville (80), tentèrent bien de sauver le sport de l'oubli en effectuant périodiquement des démonstrations de balle au tamis à l'occasion des manifestations organisées par les associations des autres jeux picards comme le jeu de l’assiette ou de la boule picarde par exemple. Mais, depuis 1998, ces deux sociétés ont cessé toute activité et le jeu n’existe que dans le souvenir des anciens.

Afin d’endiguer de telle disparition, nombreuses sont les associations et leur président qui ont contribués à relancer une dynamique ludique traditionnelle. Les raisons de ce plaisir retrouvé paraissent simples. Ces pratiques ludiques n’ont d’autre but que le plaisir qu’elles procurent. Elles s’inscrivent en outre, dans une dimension spatio-temporelle en constituant un patrimoine culturel d’une région d’une part et en témoignant activement d’une vie passée d’autre part. L’ensemble des dirigeants des multiples associations régionales cherche immanquablement à préserver ces pratiques à travers les fêtes de village - appelées ducasses en NPDCP – les carnavals ou les cafés qui portent le nom d’estaminets. L’identité régionale se révèle aujourd’hui comme une des principales explications de la hausse des pratiques ludiques traditionnelles. C’est regain passionnel et populaire qui nous a orienté et motivé à entreprendre une étude sociologique de terrain autour des jeux traditionnels du Nord de la France. L’objectif était de comprendre pourquoi les jeux redevenaient importants alors qu’ils furent si longtemps ignorés. Pour se faire, nous avons d’abord répertorié un corpus de 108 jeux traditionnels en NPDCP. Les limites de cette étude étaient fixées par les frontières linguistiques régionales. À propos des jeux, nous considérons les jeux traditionnels comme étant les jeux dont la pratique s’est transmise de génération en génération jusqu’à aujourd’hui. De plus, nous avons considéré la pertinence motrice comme devant être l’élément majeur pour que les jeux appartiennent au corpus. Ainsi les jeux de cartes par exemple ne font pas partie de notre corpus ludique. À la suite d’un recensement aussi exhaustif que possible, nous avons classé ces jeux en six familles différentes comportant chacune des fonctions sociales communes. Par exemple les jeux où il y avait une présence d’animaux ont constitué une famille à part entière. Selon cette même démarche, nous obtenons : les jeux d’animaux, les jeux de ducasse représentent les jeux de fêtes du village, les « jeux sportifiés » qui sont des jeux traditionnels qui ont acquis un statut de sport, les jeux de lancers, les jeux d’enfants et les jeux d’estaminets qui sont des jeux que l’on observe dans les cafés de villages.

Nom des familles de jeux 

 Nombre de Jeux

 -    jeux de ducasse (fêtes)

-    jeux devenus sports

-    jeux de lancers

-    jeux d’enfants

-    jeux d’animaux

-    jeux d’estaminets

14 (13%)

14 (13%)

13 (12%)

10 (9,3%)

12 (11,1%)

45 (41,6%)

Total : 108 (100%)

Tableau 1 : Les jeux traditionnels dans le Nord de la France répartis en six familles. Les jeux de cafés (jeux d’estaminets) sont les plus nombreux. Les jeux d’animaux portent en eux une particularité que nous développerons plus bas. 

Concernant l’analyse, nous avons observé puis décrypté les conduites motrices des joueurs au cœur de leur pratique habituelle ou même quasi quotidienne. Cela rejoint l’ambition de Marcel Mauss qui en son temps étudiait les « techniques du corps »[2] c'est-à-dire

« la façon dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle savent se servir de leur corps » (Mauss, 1966).

Dans une perspective similaire, nous avons envisagé l’activité motrice des pratiquants sous l’angle des rapports qu’ils entretiennent entre partenaires et/ou adversaires dans un environnement stable ou bien changeant. Les interactions observables sont prises en compte en fonction du rapport à autrui, du rapport au temps, du rapport aux objets et du rapport à l’espace. La compréhension de l’ensemble des rapports au sein de ces quatre dimensions dévoile la logique interne de chaque jeu, c'est-à-dire ce qui caractérise :

« un système de traits pertinents d’une situation motrice et des conséquences qu’il entraîne dans l’accomplissement de l’action motrice correspondante » (Parlebas, 1999).

C’est la dynamique interactionniste entre les joueurs de cette logique interne ludique qui constitue, pour nous, le reflet d’une société que renvoient les jeux en général et les jeux traditionnels en particulier. La compréhension des « techniques de corps » permet de mettre en évidence le poids des facteurs socioculturels sur les pratiques corporelles. De ce point de vue, cela laisse à penser que les jeux sont témoins et agents de la société qui les accueille. Ils sont témoins d’une part, parce que les jeux traditionnels sont un élément fondamental de la construction de l’identité culturelle. Ils sont par exemple le témoin d'un certain savoir-faire manuel. Les ébénistes, les orfèvres ou autres artisans réalisent toute sorte de jeux tels les damiers en bois précieux dorés, et pièces en cristal de roche. La fabrication de ces « objets-jeux » pérennise le caractère régional d’un artisanat bien spécifique. Ce particularisme constitue une partie du patrimoine culturel régional. D’autre part, ils sont également agents parce qu’ils reflètent dans leur propre pratique l’essence profonde des normes et des valeurs sociales que la société diffuse. Celles-ci apparaissent dans le décryptage de la règle du jeu à travers la logique interne et la logique externe. La pratique des jeux n’est ainsi pas dénuée de sens pour la compréhension de la société à laquelle nous appartenons. C’est pourquoi, « on ne peut étudier le sport sans étudier la société »[3] ; à cette analyse sportive, nous y ajouterons celle des jeux. L’analyse des jeux du Nord permet de saisir le sens identitaire approprié par la société de cette région. Le jeu est alors un élément fort de la culture, il en demeure le miroir de la société. Il transforme les individus en agissant comme véritable modulateur de cette société.   

Une culture ludique dénuée de violence physique  

Les résultats de notre étude montrent quelques attributs importants de la population du Nord à travers ses jeux. Une des normes sociales importante et symbolique identifiée est une quasi-absence de violence dans les jeux sportifs traditionnels du Nord. En effet, 90,7% des jeux recensés présentent une absence de contact corporel entre les participants.   

graphique 1 (doc 12).JPG

Graphique 1 : l’absence de contact confirme le caractère pacifié des jeux traditionnels du Nord de la France. Plus de neuf jeux sur dix se pratiquent sans contact physique. Cela constitue un facteur favorable de l’élévation du degré de cohésion sociale. 

Cet aspect révèle fortement le caractère pacifié des jeux traditionnels de cette région. Cette information peut sembler très surprenante au regard du football, du rugby ou de la boxe. Ces sports très pratiqués dans cette région nous ont habitués à quelques rudesses visibles d’ailleurs dans tout l’hexagone. Mais les jeux traditionnels du Nord, pourtant confinés dans des espaces exigus, ont pris soin de mettre leurs joueurs à l’abri des brutalités physiques. Cela semble contrecarrer une idée rebattue selon laquelle les jeux de mains seraient des jeux de vilains. Dans les cafés enfumés, les estaminets, les rites comportementaux de gens modestes assurent la protection de leur « distance personnelle en mode lointain » (Hall, 1971). Cette analyse proxémique semble confirmer les travaux d’éthologie selon lesquels les « espèces sans contact » contraintes à la promiscuité développent des conduites anti-meurtres destinées à détourner les interactions antagonistes vers des voies inoffensives.

Les observations de notre étude vont en ce sens. Une particularité motrice confirme ce constat. En effet, 60,2 % des jeux du Nord sont psychomoteurs, c'est-à-dire qu’il s’agit de jeux d’adresse qui nécessitent une véritable maîtrise du geste fin. Ce sont essentiellement des jeux de précision où il n’existe pas d’interactions motrices entre les joueurs. En conséquence, le contact physique entre les joueurs n’est pas autorisé, pas plus qu’il ne peut exister ces mêmes contacts au niveau des objets de jeu que possède chaque participant. Ceci est dû à l’alternance des lancers entre les joueurs.

La présence importante des jeux de tir sur cible permet de valoriser les qualités proprioceptives et le savoir-agir des participants. C’est pourquoi cette proportion importante des jeux du Nord ne nécessite aucun contact physique entre les partenaires et/ou les adversaires. 

graphique 2 (doc 12).JPG
 

Graphique 2 : distribution de la sociomotricité et de la psychomotricité des jeux du Nord. 60,2 % des jeux sont psychomoteurs, l’adresse gestuelle est une technique motrice dominant sur les rapports ludiques corporels. La précision gestuelle est un mode de jeux qui permet d’éviter toute forme de contact entre les joueurs. Cela a pour effet de diminuer considérablement l’effet de violence physique dans le ludisme. Ceci se confirme avec le résultat qui suit : 60 des 65 jeux psychomoteurs recensés se déroulent en comotricité d’alternance. Cela signifie que les joueurs jouent chacun leur tour en un contre un, à deux, à trois ou davantage. Les temps d’attente sont l’occasion d’échanges conviviaux. Pendant qu’un joueur s’exécute, le ou les autres participants peuvent converser entre eux ou même avec d’éventuels spectateurs.   

Tableau 2 (doc 12).JPG

Tableau 2 : répartition des jeux qui se pratiquent en alternance ou en simultanéité. Le tableau montre que le plus grand nombre de jeux en situation de comotricité se pratique en alternance. Sur 5 jeux qui se pratiquent en simultanéité 4 sont des jeux d’animaux. Nous le verrons, ce sont les seuls jeux d’animaux où la violence ne s’exerce pas.  

Le fait de pouvoir intégrer et s’extraire à loisir du jeu, sans empêcher son bon déroulement, est un moyen idéal de passer des moments conviviaux. L’alternance dans les jeux demeure un moyen très favorable pour multiplier les échanges verbaux et renforcer les relations amicales. Ces moments partagés expriment en toute simplicité une valeur sociale de premier ordre et très singulière dans le Nord, celle de la convivialité. Il ne s’agit pas de caricaturer les relations sociales des gens du Nord mais la fraternité est une valeur que l’on rencontre à bien des égards. Cela permet d’avancer l’hypothèse selon laquelle le jeu semble constituer un élément important dans la représentation du degré de cohésion sociale de cette région. C’est ce que semblent montrer les résultats de notre étude. En opposition à la comotricité d’alternance, nous parlons de comotricité de simultanéité. Cela fait référence à une course de 100 mètres. Cet exemple permet de comprendre à quel point les échanges verbaux sont impossibles dans une telle activité. La mise en place de règles de jeu en comotricité d’alternance par les pratiquants tend à écarter l’hypothèse selon laquelle cet aspect de la logique interne abondamment présent dans ces jeux n’est pas le fruit d’un hasard inexplicable. Au contraire, il s’agit bien d’une forte volonté de jouer avant tout mais aussi de partager, dans ce même temps de jeu, des moments de vie qui participent au façonnement du quotidien de bon nombre d’individus.   

Les jeux d’animaux du Nord de la France et leur rapport à la violence  

Si l’on excepte les jeux qui s’apparentent au sport, il convient d’accorder une place importante pour les jeux d’animaux. À ce propos, le rejet de la violence physique ne s’applique pas avec la même constance lorsqu’il s’agit d’intégrer des animaux au déroulement de la partie. Quelques récits de Brohard et Leblond (2001) attestent de cette réalité pas toujours admise par les pratiquants. L’animal d’élevage domestique représente presque toujours l’enjeu. Il faut le tuer ou le mutiler. Bien souvent, les joueurs ou les spectateurs peuvent parier sur lui ou bien engager un rapport de force qui tend à l’immobiliser. Parfois aussi, il est opposé un autre animal ; le plus fort ou le mieux dressé fera gagner une somme d’argent à son propriétaire ou aux parieurs qui ont cru en lui. Parmi les jeux les plus répandus, nous avons recensé le tir à l’oie, le tir à la potence qui est proche du premier puisqu’il s’agit de casser la patte de la volaille avec un bâton, les combats de coqs, les concours de chant de pinsons, les courses de lapins, les concours de chiens ratiers, les courses à baudet, les courses à la brouette avec des grenouilles… Cette pléthore de jeux avec les animaux nous a orienté vers l’analyse de la violence qui s’exerce au sein de cette famille de « jeux d’animaux » du Nord de la France. La violence constitue un attrait particulier puisqu’elle prend le contre-pied de la nature des conduites motrices du reste du corpus. Que signifie alors cette opposition marquée des pratiques ludiques entre les jeux des animaux et le reste des jeux traditionnels ? Pourquoi cette violence relative au corps ne s’exerce-t-elle qu’en présence d’animaux ?

Beaucoup d’auteurs qui se sont intéressés aux jeux de manière générale ont souvent procédé à des descriptions simples des activités ludiques des hommes ou des animaux, mais rarement ont tenté d’analyser les interrelations existantes entre ces êtres vivants. À travers ces jeux d’animaux, les hommes et les bêtes sont coauteurs, parfois ils sont partenaires mais souvent ils sont adversaires. De manière simplifiée, la notion de ludisme confère une volonté de plaisir partagé entre les différents protagonistes. Cette vision d’allégresse est fortement discutable lorsqu’il s’agit de jouer avec ou contre des animaux. Le choix de jouer avec les animaux représente un choix hautement social. Cette manière de se déterminer socialement requiert l’incorporation de certaines normes et valeurs d’ordre « ethnozoologiques ». Tout le monde n’accepte pas de jouer en présence d’animaux, que ce soit avec ou contre l’animal. C’est une prise de décision singulière qui varie en fonction de différentes logiques intrinsèques. Ces décisions sont le résultat de conceptions culturelles enracinées dans l’esprit des populations. Dans la plupart des cas, ce sont les pratiques transmises de génération en génération où l’on constate une facilité à reproduire les mêmes gestes et les mêmes techniques ; tel est le cas dans les joutes animales, en particulier celles des coqs de combats. Comme beaucoup de ses homologues, Jean-Louis Hoyez – président du club français des combattants du Nord (CFCN) – est un fils et petit-fils de « coqueleux », c'est-à-dire de joueurs de combats de coqs. Pour lui, cette passion des coqs est venue de son père en côtoyant régulièrement les gallodromes. De fait, à aucun moment monsieur Hoyez n’a considéré la pratique des combats de coqs comme violente :  

« Tout ceci était naturel pour moi, j’ai toujours vécu et élevé des coqs pour qu’ils se battent. Et après on les mangeait… une fois installé, j’ai fait comme mon père qui avait fait comme le sien ».

Toutefois, tous les animaux n’ont pas le même statut social dans la pensée de chaque individu, qu’ils soient animaux domestiques ou bien sauvages. Par exemple, les hommes ne tuent pas les vaches en Inde, alors qu’en Europe, la plupart des individus les mangent. L’utilisation des animaux est bien un phénomène très culturel. 

Concernant les deux régions du Nord de la France, nous avons répertorié douze jeux d’animaux. Onze d’entre eux se jouent avec des animaux domestiques tels le canard, l’oie ou le coq. Ces différentes races ou espèces rappellent le caractère rural de la pratique des jeux traditionnels puisqu’il s’agit principalement d’animaux de la ferme. Nous observons une réelle distinction entre l’homme et l’animal. En effet, l’homme de la ferme ne considère pas les animaux domestiques comme faisant partie de la famille. Il est bien souvent détaché de toute notion sentimentaliste à l’égard de ses bêtes. De cette manière, nous admettrons qu’il tolère plus facilement de les mettre au combat. Ainsi, tous les animaux ne sont pas socialement représentés de la même manière dans l’esprit de chacun. Cette pensée détermine la mise en jeu des joutes animales en fonction de la représentation personnelle de chaque individu à propos de telle ou telle espèce animale. L’hypothèse que l’on formule à cet égard est de penser que le degré de violence varie en fonction de l’importance que l’individu accorde au statut de l’animal. Ainsi, plus le prestige de l’animal est grand, moins l’individu l’utilisera pour des jeux violents ou cruels. Et inversement, moins la considération pour l’animal est grande, plus l’individu peut être violent envers l’animal.

Dans le Nord, la grande majorité des joueurs est constituée d’ouvriers ou de paysans. En ce sens, il n’est donc pas surprenant de constater que les animaux utilisés proviennent de la ferme ou de la campagne. En revanche, nous aurions pu penser qu’un lien affectif, lié à l’élevage, aurait conduit à une utilisation moindre de ces animaux dans les jeux ; à fortiori si ces jeux sont caractérisés comme violents. Une orientation vers l’utilisation des animaux sauvages aurait été plus cohérente. Pourtant, il est plus aisé de se procurer des animaux domestiques qui sont généralement et naturellement plus dociles. Cela permet de mieux comprendre l’usage important des animaux domestiques dans les pratiques ludiques. De fait, la domestication des animaux peut constituer un facteur qui détermine la présence ou l’absence de la violence dans les jeux d’animaux. Un animal domestique est très souvent docile et plus facilement à portée de main, il devient alors consciemment plus acceptable de le maltraiter. Cette maltraitance existe peut-être même uniquement par habitude.

Au sein de la famille de douze jeux d’animaux, cinq sont des jeux où les joueurs n’entrent pas en contact avec les animaux. Le reste se subdivise en deux ; d’une part, deux jeux où l’homme et l’animal sont partenaires comme dans la route du poisson où l’homme et l’animal font équipe pour parcourir une distance d’environ 14 kilomètres en un temps déterminé préalablement ; et d’autre part, cinq jeux où la pure opposition s’affiche dans sa plus simple expression. À travers les relations de pure opposition, nous distinguons deux jeux, que sont les concours de chiens ratiers où un chien doit tuer des rats en cage en un minimum de temps et les combats de coqs. Les animaux interviennent exclusivement entre eux pour ces deux formes de combat. Pour les trois jeux restants, c'est-à-dire le tir à la potence, le tir à l’oie et la chasse aux canards, c’est une relation opérante entre les hommes et les animaux. La caractéristique commune à ces trois jeux repose dans l’action motrice opérée par les pratiquants. Dans chacun des jeux, les animaux sont tenus par une sorte de potence en bois, généralement pas les pieds. Le but du jeu est de couper la tête des bêtes à l’aide d’un long couteau bien tranchant en un minimum de coup. Pour plus de cruauté et de temps de jeu, l’utilisation de simples bâtons a pu être observée dans de nombreux villages lors des fêtes patronales. 

 
 Nombre de jeux  Violence dans les jeux
Pas de contact entre les animaux et les hommes  5 Rare et relative
Hommes et animaux sont partenaires  2 Inexistante 
Hommes et animaux sont adversaires ou animaux sont adversaires entre eux  52 où les animaux se battent entre eux Forte 
3 où les animaux sont confrontés aux hommes Très forte

Tableau 3 : récapitulatif des jeux d’animaux et de leur rapport avec les hommes au regard du degré de violence. Nous observons que la violence est omniprésente dès lors que les hommes et les animaux sont adversaires. 

Ces jeux étant très violents et interdits, il demeure très difficile voire impossible d’observer ces actes sur le terrain. En effet, la loi du silence est de tout premier ordre. Cela évite de nombreux conflits notamment avec les ligues de protection des animaux. D’ailleurs, la presse régionale relate régulièrement des plaintes à l’encontre des « coqueleux » pour les multiples combats qu’ils organisent hebdomadairement.

Lorsque nous nous interrogeons sur le rapport de brutalité dans les contacts ludiques que nous venons de décrire, le constat est éloquent : les relations inter animales sont des relations de combats où la violence est omniprésente de manière extrême. Ces relations mènent dans la plupart des cas, à la mort d’au moins une des bêtes en action. Ce peut être le cas soit avec les combats de coqs, soit avec les concours de chiens ratiers. Dans le premier cas, les coqs ne meurent pas systématiquement ; tandis que dans le second, le ou les rats n’ont aucune chance de ressortir vivants de la cage ; parfois ce sont même les chiens qui ressortent avec des morsures fatales. Les relations entre les hommes et les animaux sont toutes les trois pourvues d’un degré de violence importante. Les jeux d’opposition avec les animaux – comme le tir à l’oie – présentent tous un degré de violence élevé. La profusion de sang témoigne de cette violence.

Ainsi, la violence dans les jeux d’animaux dans le Nord de la France est réelle. Cette observation montre un trait de la culture de cette région encore mal connu jusqu’à présent. Cette violence prend le contre-pied de bon nombre d’idées préconçues sur la région si l’on admet que l’individu du Nord est « jovial et chaleureux ». Il convient alors d’admettre que les jeux d’animaux sont en contradiction avec les valeurs sociales qui se dégagent des autres jeux qui sont d’ailleurs sans aucune violence physique. Nous le rappelons, plus de 60 % d’entre eux sont des jeux de précision. Ce paradoxe du rapport ludique à la violence entre les hommes et les animaux détermine malgré tout, de fortes caractéristiques sociales éminemment chargées de sens culturel et largement ancrées dans l’habitus des « gens du Nord ».   

Pourquoi tant de haine ?  

Les travaux de Norbert Élias et Éric Dunning (1986) permettent de comprendre l’acceptation et l’intégration de la violence au sein des jeux. Un premier élément de réponse qui justifie le degré de violence dans les jeux ou les sports impliquant des animaux, semble être d’origine historique et biologique à la fois.

« Autrefois, le plaisir de tuer, peut-être combiné avec celui de manger l’animal tué, éclipsait souvent tous les autres aspects de la chasse » (Élias et Dunning, 1986, p.33).

Les auteurs comparent la chasse au renard anglaise à des formes plus anciennes de chasse. De cette comparaison, ils établissent un parallèle avec les sports, en particulier le football.

« La chasse au renard a marqué un changement significatif dans la nature du plaisir ressenti par les participants qui était – et qui est – caractéristique de bien d’autres sports » (Élias et Dunning, 1986, p.34).

Le plaisir de tuer apportait une légitimité parce que l’animal finissait dans l’assiette. Il y a derrière cet aspect, une condition nécessaire et vitale. Pour cette raison, les actions de violence étaient aisément justifiées. Plus loin, les auteurs expliquent que dans un match de football, le moment culminant n’est pas seulement la victoire. Il faut que le match soit emprunté d’un véritable intérêt ; les spectateurs peuvent connaître l’excitation et le plaisir et être déçus de la victoire. De la même manière, une équipe trop supérieure qui enchaîne but après but n’offre aucun intérêt à la compétition.

« La chasse au renard obéit au même schéma. Tuer le renard offrait moins d’intérêt, parce que le renard ne finissait pas au dîner ; on les chassait sans les manger. On appréciait moins le point culminant de la chasse – la victoire sur le renard – que dans la mesure où cette violence venait après une longue chasse » (Élias et Dunning, 1986, p.34).

Comme dans le football, la victoire sur l’animal n’a pas le même éclat, si avant la mort, il n’y a pas eu une longue période de plaisir préliminaire excitant.

Nous observons une similitude avec certains jeux d’animaux du Nord comme celui du tir à la potence par exemple. En effet, cette notion hédoniste liée à une cruauté durable, se retrouve dans ce jeu. Au début, lorsque les animaux étaient pendus vivants, la durée de jeu était très longue avant que l’animal ne meure. Les hommes avaient certaines difficultés à viser juste puisque l’animal était encore vigoureux à ce moment de la partie. Plus l’animal mettait de temps à mourir, plus l’homme trouvait un plaisir intense. Il y a là les mêmes caractéristiques que dans la chasse au renard de Grande Bretagne.

« La tentative de l’homme pour prolonger le plaisir ponctuel de la victoire dans le simulacre de combat qu’est le sport, traduit un changement dans la structure de la personnalité des êtres humains, changement étroitement lié aux changements survenus dans la structure du pouvoir dans la société en général » (Élias et Dunning, 1986, p.34).

Dans « le tir à la potence », le pouvoir de l’homme sur l’animal était très grand, donc très excitant, parce que la bête était attachée. L’issue fatale était connue d’avance mais seul le plaisir comptait.

Tuer nécessite systématiquement une justification. La faim ou la soif en sont deux exemples. En certaines circonstances, cela a permis à l’homme de légitimer la violence physique dont il était capable. D’ailleurs, lors de ses années de présidence, la légende raconte que le générale De Gaule aurait dit dans les couloirs de l’assemblée nationale : « puisque les coqs meurent autant qu’on les mange… ». Ce serait une des raisons pour laquelle les combats de coqs sont encore les seuls jeux d’animaux autorisés en Nord-Pas-de-Calais aujourd’hui. Ils sont interdits partout ailleurs en Europe. C’est pourquoi nous observons beaucoup de joueurs venant de Belgique, Grande-Bretagne ou même parfois d’Asie pour assister aux joutes des gallodromes du Nord. Ces grands déplacements de joueurs ont provoqué la monté des paris d’argent. Nous ne sommes plus aujourd’hui dans des petites sommes de villages à hauteur d’un verre de bière par exemple. Au contraire, plusieurs centaines d’euros sont parfois mis en jeu. Ces pratiques restent cependant très discrètes et souvent difficiles à percevoir. En effet, les parieurs usent d’un langage basé sur la gestuelle du corps parfaitement et quasiment compris par les protagonistes eux-mêmes.   

L’exercice d’une violence maîtrisée par autocontrôle  

Au XXIe siècle, le pouvoir de tuer pour manger n’est plus une priorité dans notre société industrialisée. Aujourd’hui, une explication légitime du pouvoir de la violence dans les jeux trouve du sens à travers d’autres normes ou d’autres règles sociales. Nous pensons souvent qu’elles existent indépendamment des personnes. Nous sommes régulièrement amenés à croire qu’elles ont une existence propre, c'est-à-dire qu’elles existent uniquement par elles-mêmes. Cette vision des choses modifie la réalité et entretient des idées fausses :

« L’approche durkheimienne, explique la cohésion sociale, l’interdépendance et l’intégration des êtres humains et des groupes par les règles ou les normes qu’ils observent » (Élias et Dunning, 1986, p.33).

Dunning rappelle alors que ce sont les êtres humains qui établissent les règles ou les normes particulières « afin de remédier à des formes spécifiques de mauvais fonctionnement, qui conduisent, à leur tour, à d’autres changements dans les normes et les règlements qui gouvernent la conduite des gens en groupe ». Les règles sont faites pour servir l’intérêt des individus puisque ce sont eux qui les élaborent. Elles sont donc aussi faites pour limiter la violence et la canaliser lorsque celle-ci est présente. Dans les jeux d’animaux, l’intérêt s’exprime uniquement par une forme de plaisir interdit qui se justifie par la mise en action de la violence. En effet, l’action du mal est beaucoup plus acceptable moralement, sur un animal que sur un autre être humain. Les règles permettent de différencier les jeux et les sports du point de vue de ce principe. Elles permettent donc de bien différencier la mesure du possible ou du réalisable entre les jeux d’animaux et les jeux d’hommes. Ce passage envisageable des hommes entre les deux mondes ludiques conduit probablement à un équilibre des tensions. Cet équilibre est appelé par Éric Dunning comme étant « un stade de la maturité ». Il permet une régulation de la violence des hommes sur les hommes. Les animaux semblent, en ce sens, avoir une fonction tampon sur la nature des relations humaines dans les jeux.

Progressivement, la règle a modifié la logique interne des jeux d’animaux. Par exemple, la violence s’est faite moins cruelle en tuant les animaux avant de jouer avec. De cette manière, la notion de souffrance perdait de sa pertinence. Un sentiment répulsif aux violences est alors apparu. Nous constatons ainsi un progrès notable dans la gestion de la violence à partir du moment où l’on ne jouait plus avec des animaux vivants. Ces progrès indiquent une avancée du procès de civilisation (Élias, 1973).

« Dans bien d’autres sphères de l’activité humaine, la limitation de la force physique – et particulièrement du fait de tuer – et, en tant qu’expression de cette limitation, le déplacement du plaisir, se manifeste comme les symptômes d’une avancée de civilisation » (Élias et Dunning, 1986, p.223).

La violence dans les jeux traditionnels du Nord est acceptable par procuration. Non pas que l’on aime regarder autrui faire du mal en société, mais parce que l’acceptation des violences est permise et que celles-ci sont destinées aux animaux. De manières involontaires et contraintes, les bêtes permettent aux hommes de se déculpabiliser d’une pratique violente en société.

D’un point de vue diachronique, le procès de civilisation a marqué une amélioration dans les conduites violentes des hommes. Les règles du jeu ainsi qu’une prise de conscience collective ont permis cette évolution. Comme toutes règles, les joueurs devaient les respecter. En effet, la mise à mort n’était plus concevable. La mise en place de nouvelles règles a donc permis de réguler voire même de supprimer la violence. Il apparaît dans les jeux traditionnels d’animaux du Nord, une « intériorisation croissante de l’interdit social, vis-à-vis de la violence et l’augmentation de la répulsion face à cette violence, surtout face au fait de tuer et même de voir tuer » (Élias et Dunning, 1986, p.223). Le développement de ces représentations symbolise les prémices de l’accélération du procès de civilisation.

Ce progrès a abouti à la quasi-disparition des jeux d’animaux avec violence. Cette violence est à présent contrôlée et modérée de trois manières.

La première, les animaux sont tués préalablement au déroulement des jeux, ce qui est une manière d’admettre l’absence de violence perverse.

La seconde, les animaux sont aujourd’hui souvent remplacés par des objets en bois reprenant la forme des animaux. L’attrait semble être moins important puisque ce sont des jeux qui se pratiquent aujourd’hui de manière occasionnelle lors des fêtes annuelles de villages. Rappelons qu’au début du XXe siècle, les jeux d’animaux étaient pratiqués de manière hebdomadaire dans les arrières cours des estaminets. Cela montre l’intérêt que l’on portait jadis aux jeux violents.

La troisième concerne les associations de protection des animaux qui exercent une pression si forte que peu de personne se risque à organiser des combats engageant des hommes et des animaux.   

Les jeux d’animaux : reflet d’une identité culturelle et traditionnelle  

Il semble que la violence dans le jeu traditionnel constituait un élément activateur de la motivation intrinsèque des joueurs. Les pratiques modernes se font actuellement sans violence extrême. Dans beaucoup de jeux, les animaux sont partenaires avec les hommes comme dans la course à la brouette où les joueurs s’affrontent dans une course avec des grenouilles calées au fond d’une brouette. Le but étant de passer la ligne le premier sans avoir perdu de batraciens. Autre évolution, lorsque les joueurs sont adversaires aux animaux, ces derniers sont remplacés par de leurres en bois sculptés à leur effigie. Ces objets permettent une pratique de jeu de frappe sans violence manifeste.

Une caractéristique sociale nouvelle apparaît aujourd’hui. La violence légalisée est presque totalement absente des jeux d’animaux du Nord en particulier et des jeux du Nord en général. L’analyse de la logique interne de la famille jeux d’animaux permet de dégager un caractère social important ; celui de la non violence dans les jeux du Nord. Elle constitue une dynamique de premier ordre dans le processus de socialisation des individus. La quasi absence de violence dans les jeux traditionnels d’animaux actuels définit une norme et une règle du contrat social du Nord. Elle symbolise un élément important de la nature des pratiques motrices dans leur rapport à la culture et au milieu social au sein desquels elles se sont développées. Ce caractère ethnomoteur est essentiel et omniprésent.

Finalement, en réponse à l’interrogation liée au paradoxe entre la violence et la convivialité, nous admettrons que la chaleur humaine que l’on reconnaît dans une culture s’exprime aussi et surtout par une absence relative de violence dans les relations interpersonnelles. Avec le temps et les leçons imposées par l’Histoire, la culture ludique Nordique s’est adaptée aux représentations répulsives de la violence. C’est ainsi que l’on peut parler de progrès.

« Pourtant, s’il s’agissait là d’une répugnance nouvelle à perpétrer des actes de violences, beaucoup de gens aujourd’hui, en accord avec la sensibilité moderne, jugent choquant ce vestige d’un progrès passé et aimeraient le voir aboli » (Élias et Dunning, 1986, p.223).

Cette idée ne doit pas nous faire oublier qu’un retour à des actes barbares est toujours envisageable. En ce sens, la fréquence actuelle des actions de violence dans les stades nous le montre. Le danger est toujours omniprésent.

Compte tenu du caractère ancien des pratiques évoquées, nous suggérons qu’avant toute sportification, les jeux traditionnels du Nord présentent le caractère pacifié de leur culture d’adoption. Ils portent la marque d’une organisation sociale qui a tenté – bien avant le sport – de discipliner le désordre ludique en instaurant la comptabilité, l’alternance des rôles et en orientant la violence physique sur les animaux, puis sur leur modèle en bois. Cette procuration a certainement facilité l’acceptation de comportements violents puisqu’ils ne s’orientaient pas directement sur l’homme. Cela constitue un résultat issu et dépendant de la logique interne des jeux d’animaux. Cette logique a contribué à renforcer le degré de cohésion sociale. C’est peut-être une des raisons pour laquelle ces individus sont bien souvent décrits comme étant très « chaleureux ». Dans le Nord de la France – seule région où les combats de coqs sont encore autorisés – les jeux d’animaux sont un moyen d’euphémisation et de contrôle de la violence corporelle entre les pratiquants.

Si les jeux reflètent la société, nous formulons alors l’hypothèse que cette violence est aussi contrôlée en son sein. Nous venons de le voir, la violence des rapports à autrui dans les jeux du Nord n’est pas un élément qui façonne cette société. Les comportements de violence ludique tendent à disparaître d’une part, avec une prise de conscience moralisatrice de la population que Norbert Élias attribue au « procès de civilisation » ; et d’autre part, les actes parfois assimilés comme barbares s’évanouissent avec la disparition des pratiques traditionnelles, parce que la règle ou la loi l’impose. D’une manière ou d’une autre, la société ludique du Nord de la France tolère mal la violence en tant que rapport corporel au sein de ses normes sociales. Cet aspect constitue une part d’identité culturelle de cette région de France et les jeux d’animaux en sont parfaitement une des facettes du miroir de cette société.   

Références bibliographiques  

- Brohard Y. et Leblond J.F., 2001, Hommes et traditions en Picardie. Amiens, Martelle édition. 

- During B., 1984, Des jeux aux sports, Paris, Vigot. 

- Élias N., 1973, La civilisation des mœurs, Paris, Pocket. 

- Élias N., Dunning E., 1986, Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Paris, Fayard.  

- Hall E., 1971, La dimension cachée, Paris, Le Seuil. 

- Mauss M., 1966, « Les techniques du corps » dans Sociologie et anthropologie, PUF, Paris. 

- Parlebas P., 1999, Jeux, sports et société : lexique de praxéologie motrice, Paris, INSEP. 



[1] Voir aussi Brohard et Leblond, 2001.

[2] Voir aussi Élias (1973), Élias et Dunning (1986), Hall (1971).