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Printemps2007 - Vol.09. No. 01

IMAGINAIRE, ET IMPLICATION DANS LA FORMATION D’ETUDIANTS EN TRAVAIL SOCIAL

Marie Auriol

En préalable de cette intervention, je tiens à signaler que, malgré la modestie de l’étude, elle se situe dans le cadre d’une recherche action, et qu’à ce titre, mon implication même au plus bas mot du terme, est évidente. Autrement dit, je parle ici en mon nom propre et même si cette intervention prolonge un petit travail d’enquête que l’institution de formation d’éducateurs où je travaille a réalisé il y a quelques mois, je précise que les réflexions et analyses produites n’engagent que moi et non l’institut de formation dans lequel j’occupe un poste de cadre de formation. Dans un premier temps je présenterai les « options fondamentales » que l’institut pose dans son projet pédagogique, options imprégnées des valeurs, connaissances et idéalités qu’il porte sur le métier et la formation au métier d’éducateur spécialisé et qui interrogent de plein fouet la question de l’implication du futur éducateur spécialisé. Il est important de préciser que pour le moment, ce projet pédagogique est en cours de réécriture par l’ensemble des formateurs. Pour autant, il ne fait que formaliser les connaissances, aspirations, attentes que nous portons sur la formation. Puis nous porterons regard sur les premiers résultats de l’enquête réalisée par l’institut, avant de nous pencher sur les témoignages singuliers que j’ai recueillis auprès de quelques formateurs et d’éducateurs en formation.

L’analyse des discours et les écarts constatés nous portera à proposer une interprétation puis des pistes de changement de notre praxis pédagogique.

L’institut de formation évoqué ici a pour projet de préparer des « étudiants » à un diplôme, certes, à un emploi également, mais aussi et surtout à un métier, en l’occurrence ici, d’éducateur spécialisé. Former à un métier (1) engage autre chose que de la simple instruction, nous le savons.

Les savoirs que les « formés » doivent se procurer doivent leur permettre de gérer des situations sociales, collectives et personnelles complexes qui ne peuvent se suffire d’applications de lois ou de règles, voire de recettes. En effet, le travail social est au confluent de logiques d’action sociale et d’assistance. Il produit à la fois l’assignation à un ordre social et l’émancipation démocratique des individus et des groupes. Aussi, le travailleur social se trouve sans cesse pris dans les entrelacs des intimations personnelles où sont à l’œuvre des considérations ayant trait à ses valeurs et représentations, ses convictions, son appartenance historique et culturelle, ses propres expériences et de l’autre côté, des intimations des réalités instituées, sans oublier ce que sa rencontre avec l’Autre (l’étranger) produit de facto comme dissonances. Il vit souvent des conflits internes entre ses buts personnels conscients et ceux que la société lui prescrit et qui, souvent, prennent la figure de paradoxes, où nulle solution n’est prévue à l’avance et qu’il doit s’efforcer de construire en respectant la question de l’altérité, la question du sujet qu’il se nomme résident, usager, adolescent ou enfant.

 


(1) Sous le terme métier, référence est faite à des habiletés, à des savoirs issus de l’expérience, savoirs insus et souvent indicibles, qui se laissent voir en partie seulement et qui gardent toujours une part de mystère. L’étymologie renvoie au sacré (ministère= mysterium)


Les options fondamentales de l’institut de formation :


Former à cette complexité de l’intervention nécessite de la part de l’organisme formateur une praxis pédagogique qui prenne en compte les paramètres inhérents à ce que ce métier implique et qu’il faut « mettre au travail » aussi bien pratiquement que théoriquement. L’implication de l’étudiant dans sa formation est une position attendue de l’étudiant de la part de l’institution formante (2). De fait, la nature du métier qu’il entreprend, l’y contraint. Depuis que la séparation classique positiviste « objet » observé/sujet « observant » a été rendue caduque par l’apparition des sciences constructivistes, il apparaît impossible de séparer radicalement le produit d’une connaissance du résultat de la part qu’y a mise le sujet « connaissant ». Ainsi, est-on irrémédiablement impliqué, qu’on le veuille ou non, dans toute action de recherche ou d’étude mais aussi dans toute conception, représentation, action et relation que nous échangeons avec autrui.
Voici quelques extraits du projet pédagogique de l’institut qui sollicitent très clairement l’implication, voire l’engagement de l’éducateur : « le travail de l’avènement de l’autre dans son altérité suppose par ailleurs qu’un même travail ait été effectué pour soi-même. Parler du sujet doit produire une position éthique, aussi bien de la part du sujet lui-même que de l’éducateur (3) ».
Il faut : « promouvoir l’éducateur comme un acteur responsable et engagé dans un triple souci éthique : le souci de soi, de l’autre et du monde (4) ». Autre formulation : « former des éducateurs, c’est avant tout former des personnes capables de s’engager et de tenir cet engagement dans la relation, ce qui suppose de mettre en situation la personne de l’éducateur et pour ce faire, la formation doit associer formation théorique, méthodologique et personnelle ».(5) « Cet apprentissage s’accompagne nécessairement pour un éducateur en formation d’un travail sur lui-même à réaliser au sens de » : (suit une liste de compétences attendues qui engagent fortement la personne de l’éducateur. En voici quelques extraits : « Repérer les valeurs à l’œuvre chez soi et chez l’autre, s’interroger sur ses motivations, ses modes d’implications et les nécessités et les limites d’un engagement dans la durée, accepter la remise en cause de ses a priori, en laissant la place au doute et à l’incertitude remettre régulièrement en question son engagement, sa capacité à tenir sa parole et la pertinence de ses choix en assumant résolument le parti pris de l’action »(6)). Ainsi, attentif à promouvoir des valeurs attachées au respect de l’individu pris dans sa singularité(7), l’institut amène l’éducateur en formation à proposer qu’il exerce sur lui-même un travail de « connaissance de soi ». Ce faisant, paradoxalement, il va l’inviter à opérer un travail de « des-implication ». Pour expliquer cela, nous partirons de la première acception de l’implication, c’est à dire celle qui signifie être pris dans les plis (im/pli/care) de notre rapport au monde. Etre pris dans des plis, être dedans les plis (alors qu’explicare voudrait dire mettre les plis au dehors, tenter de débrouiller l’écheveau, de l’élucider(8)) suggère l’idée d’entrelacements, d’enchevêtrement, voire de non élucidation, d’un non su de ce qui se produit. Et c’est parce qu’il est pris, impliqué, dans sa relation à l’autre, dans des enjeux relationnels, émotionnels, éthique, psychoaffectifs, culturels… et qui s’exercent à son corps défendant, que l’élève est invité à mettre de la distance, pour éviter que ses propres émotions, sentiments, croyances ou convictions n’envahissent celui qu’il est sensé aider, pour qu’il lui laisse exercer autant que faire se peut, sa liberté de sujet. Cette « des-implication », cette prise de distance accompagne toute la formation du travailleur social. Elle passe par un travail que l’étudiant est amené à faire sur lui-même, où il est amené à identifier, autant que faire se peut, ce qui résonne en lui aux plans émotionnel, affectif, relationnel, non pas pour tenter de l’éliminer, ou de l’occulter, mais pour agir en en tenant compte et, ainsi, tenter d’éviter les projections, transferts et contre-transferts. (Rogers fait de l’authenticité et de la congruence les bases de la relation d’aide). Identifier ses propres dépendances, apprendre à les relativiser est une première étape de l’autonomisation de la personne. Acquérir son autonomie est, pour un éducateur, un trajet nécessaire, s’il veut être à même d’accompagner l’autonomisation des personnes auprès desquelles il travaille. D’une certaine manière l’éducateur en formation est amené à prendre une forme d’autonomie par rapport à son implication (9). En même temps qu’un travail de dés-implication est réclamé, en raison du risque de réduire l’autre à ses propres représentations, voire à son imaginaire, un travail d’implication dans la formation est ardemment recommandé. Ce faisant, l’institut sollicite l’apprenant à s’investir, s’impliquer ? dans ce travail exigent qu’il doit opérer sur lui-même. Il n’est certes pas demandé à l’étudiant de faire une psychanalyse, ni une psychothérapie, mais il lui est demandé de s’exposer régulièrement aux autres, de s’y « frotter », d’accepter de mettre au travail ce qui sera l’instrument de son métier, c’est à dire lui-même. Par exemple, un des premiers exercices dès l’entrée en formation (appelé le blason) consiste à placer l’étudiant dans une situation où il doit se présenter, de manière originale et avec le plus d’authenticité possible (10), à un groupe de sa promotion. Cette situation vécue pour certains comme éprouvante, toujours riche de sens, vise à faire comprendre à l’étudiant que le métier dans lequel il s’engage, et que la formation qui l’y prépare, vont exiger de lui un investissement, une implication, un engagement qui intéresse sa personne entière. On voit ici que c’est la seconde acception de l’implication qui est convoquée. En effet, si nous reprenons le discours institutionnel, nous constatons qu’il y est souvent fait référence au terme d’engagement, qui serait un degré élevé de l’implication en ce sens qu’il est une action volontariste, décidée, pensée, voire pesée. C’est une projection de soi (c’est soi mis en gage) dans un avenir par définition incertain, non exempt d’imprévus, d’alea. De ce fait, le sujet (11) qui s’engage est dans une démarche de réelle autonomie, voire d’assomption de lui-même. Mais à la différence de l’implication qui assujettit le sujet à être dans des plis pas forcément élucidés, l’engagement place le sujet en tant qu’auteur qui fait des choix, donc qui renonce à des possibles, et qui assume en liberté les risques inhérent à ce type de posture. L’engagement conduit à une méthode, une éthique, une praxis. Il semblerait (du moins imaginairement) que c’est dans cette acception que nous nous situons en tant qu’institut de formation. Nous verrons plus loin pourquoi je parle d’imaginaire.


(2) Il semble évident qu’elle fait le postulat implicite qu’un étudiant impliqué dans sa formation (où il y a du terrain rappelons-le), fera un éducateur engagé sur le terrain. 

(3) P.4 des « Orientations pédagogiques » de l’institut.

(4) Ibid.

(5) P.6 des « Orientations pédagogiques » de l’institut.

(6) P.7 des « Orientations pédagogiques » de l’institut.

(7) Cf. p.2 des « Orientations pédagogiques » de l’institut.

(8) Référence est faite à Ardoino (Polysémie de l’implication p.19-22, Revue Pour, n°88) et Michel Bataille (1990, Implication et explication » pp.28-31 Revue Pour, n°88), qui ont développé une dialectique de l’implication et de l’explication

(9) Les espaces de « des-implication » s’appellent : analyse de la pratique, projet individuel de formation, mais aussi tous les moments de débat, de discussion, de travaux de groupe, de régulation, c’est à dire qui forcent à prendre en compte l’altérité.

(10) L’étudiant n’expose que ce qu’il veut de lui-même. Il a le droit de ne pas répondre à des questions qu’il ne vaut pas évoquer.

(11) Au sens où l’entend Gérard Le Bouédec, c’est-à-dire une singularité dotée de liberté et capable de produire du sens, de rechercher du sens. In : G. Le Bouédec, Le sujet en éducation, III, p.89)


Avant de regarder les premiers résultats de l’enquête dite « institutionnelle », il me faut spécifier que la formation des éducateurs s’opère sous forme d’alternance, c’est à dire dans une dynamique alternant apports théoriques, méthodologiques et pratiques, dans une dialectique alliant temps de présence à l’institut et sur le terrain (par des stages). Il existe donc trois acteurs de la formation : les formés en premier lieu qui doivent articuler les registres de la pratique et de la théorie, les formateurs école et les formateurs terrain.

Recueil des données et analyse :

Passons maintenant à l’enquête. Je rappelle que la volonté affichée était, pour l’institut, d’essayer d’approcher au plus près le public qu’il forme et les effets procurés par ses pratiques pédagogiques et que le registre de l’interrogation était l’implication des « étudiants » dans leur formation (le terme d’engagement n’a pas été employé).
Les questions destinées aux formateurs terrain et aux formateurs école étaient les mêmes :
D’après vous, quelle idée vous faites-vous de l’implication des étudiants dans leur formation ? (école, terrain)
Quels sont les faits qui vous permettent d’en faire état ?
Quelle part pensez-vous que l’école, le terrain laissent à leur implication ?

Réponses des formateurs terrain (6, 7 personnes) qui sont aussi des directeurs d’institutions spécialisées :

Les attentes sont globalement celles d’un professionnel. Il est demandé aux éducateurs en formation d’être opérants. Il faut qu’ils soient à l’aise dans les situations, qu’ils soient capables de se positionner rapidement dans un savoir être sans forcément avoir acquis de compétences. Ils doivent être capables d’articuler pratiques de terrain et enseignements à l’école, d’opérer une prise de distance avec la théorie pour éviter de « copier-coller ». Enfin, ils sont attendus sur le registre de la critique, de la mise en interrogation des pratiques des établissements qui les reçoivent en stage.
Une critique est formulée à l’encontre de l’institut : nous « couvons » trop nos « étudiants » et ne les rendons pas assez critiques.

Réponses des formateurs école (7, 8 réponses) :

Il semble que l’implication des étudiants soit plus lisible sur les terrains de stage qu’à l’école, d’autant plus lors des stages longs : le terrain devient leur pôle de référence.
Nous sommes confus dans nos appellations : étudiants, stagiaires, élèves, adultes en formation… ce qui interroge sur ce que nous leur suggérons de manière implicite.
Proposition est faite de les appeler éducateurs en formation de façon à ce qu’il puissent d’inscrire dans une filiation professionnelle.
A l’institut même, il existe des degrés d’implication différents en fonction des dispositifs : certains, comme l’analyse de la pratique sont plus impliquant que d’autres. Suggestion est faite qu’il existe un « apprentissage » de l’implication et d’un cheminement dans la durée, puisque des étudiants en 3 année s’impliqueraient davantage qu’en 1ère année.
L’implication est lue comme une prise de risque, car elle ne se situe pas dans le confort d’une norme. La question de notre exigence d’implication est posée quant à la déstabilisation que procure déjà l’apprentissage de ce métier chez l’étudiant. Par ailleurs cette exigence a-t-elle sa légitimité étant donné que nous avons à faire à des adultes en formation, volontaires et responsables ?

Les questions posées aux étudiants étaient celles-ci :

Quelle idée vous faites-vous de votre implication dans la formation ?
Quels sont les faits qui vous permettent d’en faire état ?
Quelle part pensez-vous que l’école, le terrain laissent à votre implication ?

Il est fait état d’un décalage entre le terrain et l’école et la question d’un véritable partenariat de la formation est posé. Ils se sentent « saucissonnés » et sont obligés de « jongler » entre les différents lieux de formation. Se sentant peu soutenus, ils assortissent l’exigence d’implication de l’institution avec leur état de vulnérabilité. Autrement dit, la situation difficile que leur fait vivre l’alternance inhibe leur implication. A ce moment apparaît un fantasme qui ne laisse pas d’interroger l’institution : ne fait-on pas exprès de les déstabiliser et les placer en situation de doute ?

Cette enquête a été complétée par quelques entretiens uniquement réalisés auprès des élèves et des formateurs (y compris la direction). Il ne s’agissait pas ici de faire une analyse de l’implication. Cette attitude renverrait à une conception positiviste de l’étude et nous avons vu que la notion d’implication rejette de fait toute exigence de transparence. Mais des réponses méritaient d’être investiguées davantage étant donné qu’elles ouvraient sur des pistes heuristiquement intéressantes pour une meilleure praxis pédagogique.

Réponses individuelles de formateurs sur la question : qu’est-ce que pour vous un élève impliqué ?

Pour la grande majorité d’entre eux, un élève impliqué est un élève qui parle, échange, débat, critique aussi bien avec ses pairs qu’avec les formateurs. C’est quelqu’un qui s’engage, qui participe aux cours, qui construit ses savoirs individuellement et collectivement. Certains énoncent l’implication au niveau de prises de responsabilités institutionnelles et groupales (représentation d’élèves par exemple).
Un formateur fait la liaison entre implication et authenticité : un élève engagé (plutôt qu’impliqué) est quelqu’un qui prend le risque d’assumer ses propres convictions, de ne pas se mentir. Il est capable de s’interroger sur lui-même et de se faire interpeller par les autres dans une attitude constructive. Il n’y a pas de niveaux d’implication parce qu’il n’y a pas de niveaux d’authenticité.
En revanche, cette exigence est implicite, car pas forcément nommée par l’institution.
Un autre formateur énonce qu’il y a des registres différents de l’implication des étudiants : dans l’organisation, dans leur groupe de pairs, vis à vis d’eux-mêmes, sous forme d’un contrat moral. Personnellement, il n’a pas d’attente à l’égard des éducateurs en formation, le fait d’être des adultes responsables les met en situation de choisir de s’impliquer ou non dans leur formation. Ils peuvent soit s’impliquer au plus bas, comme consommateurs, soit participer aux modifications de la formation, soit, à un degré élevé, être auteur voire initiateur de changements institutionnels. Pour lui, le discours de l’institution sur l’implication est également implicite.
Un autre formateur mentionne le fait qu’il est difficile d’objectiver un savoir être de l’implication et que c’est ailleurs que dans la formalisation que cela se joue, notamment dans la rencontre avec le formateur, au cours d’un échange qui doit rester dans la « boite noire », la formation s’élaborant dans un entre-deux formant-formé.

Réponses individuelles d’éducateurs en formation sur la question : qu’est-ce que pour vous un élève impliqué ? font apparaître les constantes suivantes :

Les attentes de l’institut sur leur implication leur paraissent floues, mystérieuses même. Il y aurait un implicite institutionnel qui postulerait de facto leur implication alors qu’il leur faut faire un chemin pour investir cette posture qui, pour certains, n’a rien de naturel. Il est question d’abandon, de doute sur nos capacités à les soutenir dans cette démarche. Les ressources de l’institut sont considérées comme insuffisantes pour les rassurer et les rendre davantage actifs. L’écart ressenti entre les deux terrains de la formation (stage et institut) les insécurise également et ne permet pas toujours que l’articulation pratique/théorie s’élabore.

Réflexions :

Ainsi, si nous analysons les réponses produites par les différents acteurs de la formation, y compris l’institution (c’est à dire le groupe institué), nous remarquons un niveau d’exigence extrêmement fort aussi bien de la part des professionnels de terrain que de la part de ceux de l’institut (à part un positionnement singulier de formateur que nous interrogerons tout à l’heure).
Les professionnels terrain attendent déjà de la part des jeunes formés qu’ils aient du « métier ». Or nous avons vu ce que recouvre cette notion en terme d’appropriation de savoirs de hauts niveaux de complexité. L’attente d’attitude critique qui est certes tout à fait louable, ne tient pas compte du fait que les terrains de stage, comme l’institut, sont des pôle d’évaluation capitale pour le stagiaire, et que ce dernier se trouve pris dans des double liens qui peuvent le figer.

Par ailleurs, les professionnels institut se positionnant au-deçà ou au delà du positionnement institutionnel dont ils font partie intégrante, produisent un discours général flou. Ils l’exercent surtout dans le huis clos d’un suivi individuel de l’étudiant dans son cursus de formation, ce que nous appelons le PIF, mais également dans les rencontres formelles (cours, régulations) et informelles. Bien sûr nombre d’autres lieux sont collectifs et dégagent l’élève d’une possible influence des représentations du formateur. Pour autant, tout ceci participe d’un flou général peu engageant pour la prise de risques. Rappelons que l’exigence d’implication apparaît pour tous implicite et qu’elle a peu de dispositifs expressément faits pour qu’elle s’exerce, à part l’analyse de la pratique, le blason, et quelques travaux de groupes, encore que ces espaces soient peu évoqués par les interwevés.
De plus, des espaces d’évaluation de l’implication de l’étudiant existent : bilans de fin de stage, bilans de fin d’années, articulation pratique-théorie. Mais articulant quelquefois deux niveaux d’évaluation (formative et normative) ils produisent chez les étudiants confusion, désarroi, sentiment d’injustice, manque de confiance dans les capacités, voire la volonté de l’institut à les accompagner dans leur démarche de formation.
Ainsi, l’on peut dire que notre niveau d’exigence peu explicite et peu élucidé par des élèves produit une forme de message subliminal mais pour autant fortement ressenti comme une sorte d’injonction qui les met « sous pression », voire les place dans une situation paradoxale : je dois montrer de moi quelque chose que je ne comprends pas tout à fait, ou alors, je dois montrer que je suis impliqué alors que je ne peux en faire l’épreuve sans me mettre en danger (sous-entendu : de ne pas avoir mon diplôme) et sans être assuré d’un soutien pédagogique.

Des effets : des « stratégies » d’étudiants

Ainsi, ceux qui sont les plus fragiles, c’est à dire qui ne peuvent assumer leur responsabilité et leur autonomie de sujet se formant, mettent en place des stratégies d’évitement, de détournement :- Pour les élèves qui ne veulent pas ou ne peuvent pas s’impliquer réellement mais qui ont néanmoins compris les « ficelles » de la formation et qui pratiquent ce qu’on pourrait appeler la métis, nous assistons à une mise en scène de l’implication, dans le sens du « faire semblant ». Comme nous n’avons pas les réels moyens d’évaluer cette non implication, les faudrait-ils ?, certains étudiants « traversent » la formation sans heurts, ni interrogations, ni conflits. - Ceux qui ne peuvent se défaire de cette hiérarchie enchevêtrée, de cette forme de double injonction : implique-toi, mais pas au point de te mettre en danger sinon tu risques de ne pas « passer », mettent en place des mécanismes de défense comme la création de discours fantasmatiques qui prennent la forme de rumeurs (12) persécutoires à leur endroit et qui reprennent à peu près toutes le même thème : celui de l’épreuve, où on les placeraient volontairement dans des situations difficiles pour vérifier leurs capacités à s’en sortir. Imaginaire collectif donc, plutôt récurrent et qui n’épargne aucune promotion d’élèves.

En conclusion :

Face à un imaginaire des formateurs qui postule de fait une implication voire un engagement de fait des étudiants dans leur formation, voire dans leur métier, face aux carences d’accompagnement dans cette démarche, face aux débordements imaginaires des étudiants que l’on peut regarder comme le symptôme d’un dysfonctionnement, la question se pose d’une faillite de l’institution, non pas dans ce qu’elle énonce comme parti pris pédagogique -la question de l’implication est cardinale dans toute formation au travail social-, autrement dit, non pas dans son institué, mais dans son instituant, c’est à dire ce qui introduit et remet sans cesse en chantier la question de la loi, du tiers symbolique qui permet de se dégager d’une toute puissance imaginaire qui annihile l’autre. « Instaurer l’ordre symbolique, celui par lequel viennent à éclater les enfermements imaginaires, à se briser les relations duelles, les identifications aliénantes et mortifères, telle est la tâche d’une praxis pédagogique. » (13)
Peut-être faut-il également sérieusement penser à une formation à l’implication qui ne fasse pas l’économie d’un engagement de l’institution par rapport au sujet se formant. La pédagogie institutionnelle a déjà ouvert des portes sur ce sujet depuis longtemps. C’est peut-être une voie que nous pourrions suivre si nous voulons assumer au mieux nos missions de formation.


(12) Selon Kessler, la rumeur est une information non validée institutionnellement.

(13) F. Imbert, 1985, Pour une praxis pédagogique, Matrice Edition, 1985, p. 176