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Eté2009 - Vol.12. No. 02

Le style d'encadrement dans l'entreprise hôtelière - Une approche sociologique à l'aune des travaux de Crozier

Aouini  Rekik Monia
Chercheur en sociologie

Le style d’encadrement

dans l’entreprise hôtelière

Une approche sociologique à l’aune des travaux de Crozier   

Aouini Rekik Monia :

Chercheur en sociologie  

D’après les études sociologiques classiques, l’entreprise économique est considérée comme une valeur essentielle dans le processus de socialisation. Si son rôle économique consiste à promouvoir du travail, son rôle social n’est pas moindre, car elle contribue à orienter les comportements sociaux et même à les changer. C’est ainsi que le discours sociologique des dernières années s’est axé sur la culture de l’entreprise comme la politique d’intégration, la motivation des ouvriers, la recherche du sens et de la signification de l’action humaine.  

L’entreprise est de ce fait transformée en un espace favorable à l’évolution des relations interpersonnelles relativement indépendantes des pressions. Cette transformation s’est opérée surtout après la fin du taylorisme qui a fait de l’entreprise économique un système distinct du système social. La notion du besoin a perdu son sens, celle de la production a également perdu sa stratégie d’évaluation. Le grand rêve est donc la maîtrise des besoins et la juste planification de l’opération productive.

Cependant, la question de la qualité devient un facteur de pression sur les entreprises modernes qui les oblige à créer leurs constructions organisationnelles à travers l’accord de tous leurs membres. L’entreprise n’existe pas en dehors de la reconnaissance permanente de l’existence d’un groupe, lié par des relations de communication ou de conflit entre ses membres. Par conséquent, la croissance du conflit nous avertit de l’échec proche de l’entreprise.

C’est ainsi qu’on doit souligner la nécessité de faire de l’entreprise un lieu d’apprentissage, de coopération même à travers les contradictions. Les chefs d’entreprises doivent être réalistes pour parvenir à un véritable équilibre dans leur organisation. Le réalisme n’est pas seulement relié à un contrôle fiscal et à la direction mais il prend aussi en considération les relations humaines et la capacité de la coopération.  

« Longtemps la matière économique de l’entreprise et le fait que l’échange est au centre de son économie ont seuls retenu l’attention et ont empêché de lui reconnaître le caractère de groupe social autonome » (Friedmann, Naville, 1970, p.44).  

C’est seulement dans cette optique qu’ils peuvent réaliser le changement et la modernisation dans un monde qui connaît des développements radicaux et où les ressources humaines sont le fondement essentiel sur lequel se basent les autres éléments de l’entreprise. Nous vivons aujourd’hui une révolution politique, économique et sociale qui fait apparaître un mode d’organisation et un style de réflexion liés à la mondialisation. Notre attitude à l’égard de l’entreprise a changé, ce n’est plus cet espace où les individus organisent leurs actions mais un espace favorable à la création de liens sociaux et à la construction d’identité sociale des relations d’intercompréhension et de création de richesses collectives.  

« L’entreprise peut donc être traitée comme un sujet sociologique capable d’autonomie et créatrice de social au sens fort du terme ce qui lie les individus et fait une société » (Bernoux, 1995, p.14). 

La réalité technologique a changé l’aspect de l’entreprise. On ne se concentre plus sur les travaux de contrôle mais il y a des travaux de services directs et indirects de production, qui ne nécessitent plus une main-d’œuvre de grande envergure mais contribuent à la réalisation d’un renouvellement économique et social considérable. 

« L’évolution du progrès pose des problèmes permanents d’adaptation des structures économiques et sociales aux besoins sans cesse nouveaux de notre monde… » (Gautier, 1970, p.96). 

L’essentiel n’est plus les moyens matériels de production mais les notions de service, de qualité et d’intégration qui constituent une sorte de valeurs ajoutées du produit et qui croissent continuellement par comparaison au coût matériel. Dans le cadre de la mondialisation économique, ces notions ont été investies d’une importance considérable surtout quant à leur rôle de promotion, de la concurrence et de réalisation du développement économique. Les ressources, les richesses naturelles et la domination des marchés sont devenues secondaires par rapport à l’esprit d’initiative des personnes actives au sein de l’entreprise, de l’aptitude, de la connaissance et de l’esprit concurrentiel et de la capacité à coopérer et à innover (Crozier, 1977).

De ce fait, nous allons prendre l’entreprise comme ensemble d’acteurs ou corps social où se conjuguent le social, l’économique et le culturel. Ces facteurs se complètent pour créer un phénomène global selon l’analyse stratégique, « elle est le royaume des relations de pouvoir, de l’influence, du marchandage et du calcul » (Crozier, 1977, p45).

Étant donné que l’entreprise hôtelière produit des services divers, elle est une activité moderne par comparaison à d’autres activités très anciennes comme l’agriculture. Sa modernité ne réside pas dans le produit de service mais dans les valeurs, les règles et les méthodes d’organisation du travail à l’intérieur de l’entreprise, valeurs liées à l’intérêt et à l’efficacité économique. Et de là, on se pose la question suivante : l’entreprise touristique a-t-elle offert un nouveau mode d’organisation et d’orientation du travail à coté des emplois ?

Un mode, basé sur des valeurs rationnelles comme l’efficacité et l’intérêt économique, vise à réaliser la qualité dans toutes les étapes du produit de loisir. Comment l’entreprise touristique peut-elle réagir avec son environnement socioculturel ?

Etant donné que l’élément féminin constitue, en tant que tel, un élément de modernisation dans l’industrie hôtelière, alors comment a t-il profité de la culture d’appartenance des ouvrières pour assurer la qualité ? A quel point le mode d’organisation et d’orientation influe-t-il le travail de la femme en tant que catégorie socioprofessionnelle ? Comment influence-t-il ses attitudes, ses représentations, ses comportements organisationnels ? Autrement dit, est-ce que l’ouvrière a produit des comportements organisationnels propres à toutes les travailleuses dans l’entreprise, ou bien a-t-elle utilisé les valeurs et les modes de comportement propres à son univers socioculturel à l’intérieur de l’interaction fonctionnelle dans l’entreprise ? A-t-elle ainsi donné une valeur aux relations personnelles à l’intérieur de l’organisation et a-t-elle exploité les valeurs et les modes de comportement liés à l’héritage culturel des ouvrières de la société au profit de l’organisation ?

Dans ce cadre, l’entreprise touristique peut-elle être capable, plus que d’autres, de produire un nouveau mode d’organisation et de communication fonctionnelle à l’intérieur de l’hiérarchie du pouvoir des différents travailleurs qui fournissent divers rôles et services issus de la nature du travail hôtelier ?    

L’entreprise hôtelière face à la mondialisation  

D’après la déclaration adoptée à la Conférence mondiale sur le tourisme (1980), le tourisme mondial a même contribué à l’instauration d’un nouvel ordre économique international facilitant la suppression de l’écart économique croissant entre les pays développés et les pays en voie de développement et assurant l’accélération à un rythme soutenu de développement et de progrès dans les domaines économiques et sociaux en particulier dans les pays en voie de développement (Aisner, Pluss, 1986).

L’existence de l’entreprise hôtelière est liée à l'apparition et à l’expansion des phénomènes de loisirs. Elle constitue un élément essentiel dans le mode de vie sociale moderne. Après la réduction du temps de travail qui est devenue une réalité sociale, le temps de loisirs est devenu la condition essentielle de la naissance du tourisme et de son expansion. Le droit au congé payé a créé chez l’individu un temps libre pour la première fois dans l’histoire des civilisations lui permettant de gérer ce temps en toute liberté. C’est ce qui a créé le temps personnel qui exprime un désir croissant de ce libérer des règles et des obligations professionnelles et de vivre pour soi-même. Comme l’exposait Gautier dès 1970 :  

« Nous ne pouvons plus ignorer qu’à côté de l’économie du travail se caractérise chaque jour dans les faits une économie de loisirs » 

Ainsi le tourisme contribue, d’une manière évidente, à fonder de nouvelles valeurs sur la base du besoin de plaisir, de la satisfaction des besoins naturels et instinctifs. Ces valeurs sont en contradiction relative avec les valeurs classiques fondées sur le travail et la vie professionnelle au sein de l’entreprise.

Le tourisme « une des formes de la vie sociale de notre temps » (Lanquart, 1985) a donc contribué à introduire des transformations radicales dans l’ordre économique mondial à côté de son rôle culturel à l’échelle des valeurs sociales. Ceci nous amène à la question suivante : Est-il possible pour les pays en voie de développement, de réaliser le développement et le progrès à travers le tourisme ? Surtout si on considère que ce dernier, comme tout autre produit, est soumis aux lois du marché.

Devant l’importance de cette division mondiale du travail qui fait des pays du centre un facteur qui offre des touristes et de ceux de la périphérie un facteur essentiel et vital de développement qui met dans l’investissement tous ses efforts et ses potentialités, nous sommes devant une nouvelle organisation mondiale où le secteur des services a une priorité absolue ; c’est en fait une extension de la division mondiale du travail qui se base sur les mêmes règles économiques et qui a les mêmes répercussions sur la nature des relations entre les pays du centre et de la périphérie - une relation de dépendance dont profitent les pays riches aux dépens des pays pauvres.  

« Ce modèle théorique conduit en effet à imaginer les relations entre le monde développé et le monde en développement dans une problématique des intérêts complémentaires en occultant leurs éventuelles contradictions » (Aisner, Pluss, 1986, p.187).  

Le tourisme est considéré comme une médiation entre les mondes développés et sous développés. Il est un moyen d’intégration des pays du tiers monde au sein du système de la mondialisation. Ces pays sont ainsi en relation directe avec l’ordre économique, social et culturel mondial. Les pays receveurs de touristes sont ainsi entrés dans un processus de transformation radicale. D’où le décalage entre le développement du secteur agricole, industriel et le secteur touristique qui vise fondamentalement les loisirs des clients des sociétés riches.  

« La relation touristique est une relation d’un genre tout nouveau. Elle est ludique pour celui qui vient lucratique pour celui qui reçoit » (Bouhdhiba, 1980, p.217).  

Ainsi le tourisme exprime quand même une des formes de l’inégalité entre les pays du nord et les pays du sud. Dans le cadre de la libération du secteur des services qui a été décidé en 1989, l’industrie hôtelière a été considérée comme la plus grande industrie du monde - que ce soit au niveau de l’emploi ou au niveau du chiffre d’affaire :  

« Le tourisme a entraîné un changement économique dont les conséquences sont l’augmentation des revenues et des possibilités sur le marché du travail » (Stravakis, 1979, p.391). 

Le secteur touristique est un secteur complexe du point de vue de son organisation et de ses moyens d’exploitation, c’est un phénomène global, où s’interpénètrent plusieurs dimensions, c’est une activité économique basée sur la promotion du plaisir, et du plaisir provisoire dans l’espace naturel et culturel à travers la vente des richesses et des services.  

« Le tourisme considéré comme activité économique consiste à commercialiser la jouissance temporaire du patrimoine naturel et culturel par le biais de biens et services vendus aux visiteurs » (Laurent, 1956, p.93). 

La spécificité du produit touristique vient du fait que l’entreprise hôtelière n’offre pas des produits matériaux qui peuvent être emmagasinés mais des services liés à plusieurs secteurs comme les moyens de transport, la résidence et les agences de voyages. Elle est un produit orienté vers l’exportation où la consommation étrangère est dans le pays exportateur et non pas dans les pays importateurs. Ce qui montre l’influence de cette activité au niveau social, culturel et politique. Et ce qui crée aussi plusieurs difficultés et plusieurs défis aux pays exportateurs - étant donné qu’il contribue à la structuration et à la construction des économies des pays du tiers monde, et fait qu’elles se basent sur le secteur non productif des services, surtout si l’on remarque que le secteur touristique est un indice de progrès et de développement pour les pays industrialisés. La question est donc, ce secteur est-il capable de promouvoir l’essor économique et le développement des pays pauvres ?    

Essai méthodologique d’analyse stratégique de l’organisation   

Dans le cadre de la sociologie des organisations, on a essayé d’appliquer la méthode d’analyse stratégique de Crozier comme outil, qui nous permettra de dépasser les conditions objectives et de découvrir les enjeux personnels à travers lesquels les acteurs réalisent leur solidarité, humanisent leur action à l’intérieur de l’entreprise hôtelière. On a essayé de montrer aussi les pressions qui donnent l’énergie de l’action, du développement et d’innovation des groupes de travailleurs et « permet au-delà de rendre compte du comportement des acteurs, de leurs interactions et de l’orientation de leur interactions » (Rojot, Bergman, 1977, p.142).

A travers l’enquête empirique qu’on a effectuée dans la zone touristique Nabeul-Hammamet (vingt hôtels), nous avons pris pour base un échantillon de deux cents ouvrières hôtelières que l’on a divisé en six catégories professionnelles : l’administration, la réception, le cadre directeur, la restauration, la coiffure et la lingerie. En supposant que le statut professionnel et le niveau d’instruction aient une influence considérable sur le niveau d’intégration de la femme à l’intérieur de l’organisation de l’entreprise hôtelière, comment cela se répercute-t-il sur son comportement organisationnel et le type d’influence du statut professionnel sur l’attitude de l’ouvrière ainsi que sur son interaction avec la culture de l’entreprise ? Sur ce plan comment peut-on parler du travail de la femme dans le secteur hôtelier au singulier ou au pluriel en prenant en considération la spécificité de chaque catégorie ? Nous avons essayé aussi à travers la variable de l’ancienneté de découvrir la logique d’organisation de l’entreprise hôtelière dans le domaine de la rétribution et de la promotion.

L’analyse stratégique nous procure les outils nécessaires pour découvrir les propriétés des règles de jeu et sa nature, elle structure la relation des agents et détermine leurs stratégies, le mode de régulation qui articule ces jeux et lie les acteurs les uns aux autres dans le système de l’action. Elle nous permet de découvrir la face cachée du comportement organisationnel des différents types professionnels dans l’entreprise hôtelière – sachant que : 

« une organisation n’existe que parce qu’elle met en situation des acteurs. Cependant tous les acteurs ne sont pas pertinents à toutes les situations » (Rojot, Bergman, 1977, p.142).  

Ceci ne manque pas de nous mettre devant des difficultés énormes comme la connaissance des propriétés structurales et des pressions objectives qui caractérisent le terrain étudié d’un coté et la définition de la nature de l’analyse stratégique elle-même de l’autre. Cette analyse nécessite une démarche hypothético inductive qui part du particulier vers le général. Ainsi le chercheur ne peut s’arrêter sur le sens apparent des opinions des ouvrières sur leur travail, il doit opérer des comparaisons entre divers groupes d’ouvrières qui vivent les mêmes conditions professionnelles. Les outils de son travail seront donc l’observation et la comparaison entre les différentes réponses, puis l’analyse, l’intégration et l’explication du comportement des acteurs, en prenant une distance critique vis-à-vis de tout ce qui paraît naturel ou habituel. Son but n’est pas de juger les comportements mais de les comprendre. Etant donné que tout phénomène observé, a un sens lié à une certaine logique rationnelle (Crozier, 1977). Le chercheur revient aux pressions qui déterminent le comportement des agents car il n’y a pas de comportement rationnel ; sa rationalité réside dans son insertion avec les conditions objectives et la stratégie posée par l’acteur, en relation avec les stratégies des autres acteurs.

Cette démarche méthodique oblige le chercheur à s’intégrer dans le vécu des acteurs à travers l’observation ou en utilisant la technique du questionnaire comme moyen essentiel de regrouper l’information – lui permettant d’approfondir et de comprendre le vécu quotidien des acteurs, lui fournissant ainsi une connaissance réelle et concrète de la manière dont chaque acteur se comporte avec l’entreprise émotionnellement et la manière dont il affronte les difficultés d’organisation.

Les moyens stratégiques que possède l’acteur est sa marge de liberté : dans quelles conditions peut-il l’exploiter ? Quelles sont les limites de ses actions ?

Dans ce cadre, se pose la question de la confiance entre le chercheur et l’interviewée. Nous avons essayé de gagner cette confiance en posant des questions ouvertes (parler de son travail et de son statut professionnel comme elle le voit et le sent). Nous avons considéré qu’elle « a raison » parce qu’elle est la seule à vivre cette expérience (Crozier, 1977). Le but de ce questionnaire est de connaître les possibilités et la capacité d’action des agents dans le cadre de l’entreprise hôtelière, il s’agit de porter les acteurs à découvrir les dessous de leur situation professionnelle et tout ce qui oriente leur comportement dans l’entreprise et de connaître la stratégie dans laquelle ils se meuvent.

Les informations réunies par le chercheur, à travers le questionnaire, ne reflètent pas la réalité objective, elles reflètent surtout le point de vue propre de l’interviewée concernant cette réalité. Mais le chercheur doit surmonter cette dualité artificielle de l’objectif et du subjectif parce que le mode de choix des acteurs et de leur stratégie est lié à leurs représentations personnelles des pressions qui s’exercent sur eux. Ce sont des pressions psychologiques et économiques qui définissent la situation de chaque acteur dans l’organisation et sur la base desquelles l’acteur construit sa stratégie propre qui forme son comportement (Crozier, 1977).

La difficulté dans l’analyse stratégique vient de ce que le chercheur ne prête pas d’attention au passé des acteurs (la socialisation, l’expérience passée…) autant qu’il s’intéresse à leur réalité et leur avenir, c'est-à-dire qu’il veut connaître les règles du jeu qui formule le nœud du phénomène organisationnel. De ce point de vue, nous avons opté pour la connaissance des attitudes des acteurs parce que ces attitudes représentent l’ensemble des orientations sociologiques relativement stables chez les individus envers un ensemble de phénomènes sociaux liés à l’intérêt et au besoin pressant de travailler dans l’entreprise hôtelière.L’attitude représente ainsi une orientation méthodologique et elle ne devient claire qu’à travers une série de critères, des différents degrés de satisfaction concernant la réalité sociale l’objet de l’étude.

L’attitude constitue la base de la déduction basée sur un ensemble de jugements et d’opinions des ouvrières.

Le comportement constitue l’élément constant de la structure psychologique qui fonde les opinions en une forme harmonieuse nous permettant de découvrir la relation étroite entre l’individuel et la référence organisationnelle ou le statut professionnel.

Ainsi le mode d’expression du degré de satisfaction envers le travail ou envers la situation professionnelle propre des acteurs, n’est pas une simple réaction envers une réalité négative mais constitue les signes d’une représentation stratégique de chaque acteur dans l’entreprise. Aussi n’est-elle pas une simple réflexion des expériences passées des acteurs, mais elle est liée aux orientations stratégiques des acteurs sociaux si l’on prend en considération toutes les pressions qui pèsent sur eux.

Sur cette base on peut remarquer que le rôle de la socialisation des ouvrières ne disparaît pas dans le cadre de l’analyse stratégique, mais devient un élément parmi d’autres qui structure la capacité d’action des individus et des groupes et qui détermine d’une façon indirecte les stratégies individuelles et les jeux sociaux.  

« L’appartenance à l’organisation est source de valeurs, variées certes mais réelles parce qu’on y trouve les moyens conjugués d’une socialisation et d’une indépendance » (Sainseaulieu, 1988, p.370). 

La psychologie sociale nous permet ainsi d’analyser les attitudes des ouvrières, de connaître la façon d’agir selon leur valeur propre et l’orientation de leurs comportements. C'est-à-dire tout ce qui caractérise la personnalité et la rend différente - tandis que l’analyse stratégique se base sur l’étude de l’attitude afin de chercher le système d’action et la manière qui caractérise le mode d’organisation et sur laquelle se construisent les jeux des acteurs. Le chercheur peut découvrir, à travers le vécu des individus et des groupes, la structure du pouvoir dans le terrain objet de la recherche, considérant que  

« l’action collective n’est finalement rien d’autre que de la politique quotidienne le pouvoir est sa matière première » (Crozier, 1977). 

Pour opérer ces objectifs méthodologiques, nous avons opté pour le libre dialogue et la capacité d’écoute qui constitue des moyens nécessaires pour l’analyse stratégique afin de s’adapter aux différentes situations sociales dans l’entreprise. Ces situations varient selon le statut professionnel de la femme dans l’hôtel. Cette méthode nous a permis de comprendre les contradictions organisationnelles qui déterminent le vécu du pouvoir à travers la détermination des relations intérieures entre divers services, rôle lié à la hiérarchie du pouvoir.  

« Nous avons en fait constaté qu’en plus d’inégalités économiques et statutaires, les institutions du travail sont productrices de différences et d’inégalités culturelles » (Sainseaulieu, 1988, p.401).  

Nous avons aussi opté pour l’observation participative et la méthode du récit de vie qui nous a beaucoup aidé à découvrir les dessous de la personnalité d’une catégorie de femmes travaillant dans l’industrie hôtelière et les femmes responsables à travers une connaissance profonde de leur passé, de leur éducation familiale et scolaire et de leur socialisation en général et l’influence de ses facteurs sur la réalité professionnelle de la femme, sur son mode de pensée et de son comportement organisationnel.

Quant à notre choix de la méthode d’analyse de genre et du développement, elle s’inscrit dans le cadre de l’amélioration de l’efficacité de la femme ouvrière et de sa productivité au sein de l’entreprise économique, surtout que le chef d’entreprise veut toujours hausser la production et améliorer la qualité, à travers la pression physique et morale sur la femme. Ce qui influence négativement ses relations familiales et ses responsabilités et introduit un désordre sur le système productif.

Dans le cadre de la nouvelle conception du développement qui considère la réalité comme une totalité complexe dépassant la dimension économique étroite, on a pensé au développement lié au genre, car le développement global ne peut se réaliser en conservant la situation de dépendance de la femme et les relations d’inégalité entre l’homme et la femme. Le courant de développement moderne à la fin des années soixante ne se base pas sur la seule dimension économique mais sur la situation sociale des relations entre les sexes, ainsi est fondé un nouveau mode de développement où « les activités de développement se sont surtout intéressées à la condition des femmes visant à améliorer leur aptitude à jouer les rôles et à s’acquitter des responsabilités qui leur reviennent habituellement » (Conseil canadien pour la coopération internationale, 1991, p36).

De ce point de vue, la méthode d’analyse de genre du développement est une méthode avancée, qui tient compte des représentations des femmes et de leurs expériences et qui reconnaît sa dépendance, les chiffres le montrent bien : 67 % des heures de travail dans le monde sont faites par des femmes et pourtant elles possèdent moins que 1 % des richesses du monde. Surtout si l’on sait que plusieurs études scientifiques ont montré que certaines caractéristiques considérées jusque là comme naturelles sont d’ordre socioculturel ; ainsi le genre est culturel et déterminé par des propriétés sociales (tandis que le sexe est déterminé par les propriétés biologiques). 

« Donner du pouvoir signifie créer les conditions dans lesquelles les pauvres peuvent combler leur besoin quotidiens et participer activement à la définition et à la promotion de leurs propres projets sociaux et politiques » (Conseil canadien pour la coopération internationale, 1991, p.24).  

Lorsque les individus réussissent à résoudre certains problèmes et à comprendre le mode d’exercice du pouvoir en acquérant des aptitudes et des capacités naturelles, cela constitue une forme d’exercice du pouvoir. Le genre comme concept social est la pierre angulaire de l’analyse et de la compréhension de la dépendance de la femme et de la possibilité de sa participation active dans le processus de développement.    

L’organisation de l’entreprise hôtelière et le style d’encadrement  

L’organisation de l’entreprise hôtelière ne représente pas seulement un organigramme ou des relations sociales mais un réseau de relations de pouvoir. De ce fait, il est nécessaire d’introduire les concepts clés de l’analyse stratégique pour parvenir à comprendre le comportement des acteurs et de déterminer leurs buts latents et apparents, leurs moyens, leurs pressions, leur pouvoir et enfin leur stratégie. Les attentes des ouvrières jouent un rôle essentiel dans la détermination du degré de satisfaction.  

« La satisfaction professionnelle est un état émotionnel agréable ou positif découlant de l’impression favorable que l’on retire de son travail ou de ses expériences professionnelles » (Woodmann, Slocum, Helbriegel, 1996). 

Une harmonie entre les capacités de l’ouvrière et les exigences du travail quantitatives et qualitatives est nécessaire. Dans le cas de non compatibilité entre ces deux dimensions, l’insatisfaction se produit.

L’importance du rôle professionnel, qui est liée souvent au pouvoir au sens large, englobe les valeurs sociales (richesses, succès, culture). Tous les rôles dépourvus de sens et de signification sont des rôles dépourvus de prestige donc de pouvoir. C’est ce qui distingue un groupe professionnel d’un autre dans le cadre de l’industrie hôtelière. 

« … La notion de moral est une notion confuse, ce n’est ni la satisfaction intrinsèque apportée par la tâche ni l’identification de l’individu à son entreprise, ni même la satisfaction relative aux conditions matérielles et notamment au salaire mais seulement la fierté d’appartenir à un groupe de travail déterminé … » (Katz, Festinger, 1974).   

Les ouvrières d’étage et de lingerie se considèrent comme malchanceuses au travail, parce qu’elle remplissent un rôle sans prestige, contrairement au travail de réception, de l’administration ou de direction dont le sentiment de pouvoir, de prestige social et de valeurs culturelles reflètent le degré de réussite professionnelle dans le cadre d’une industrie hôtelière. Le sentiment de satisfaction est lié au sentiment d’appartenance à un groupe professionnel déterminé. Le groupe formel joue ici un rôle fonctionnel au sens durkheimien du terme, il facilite l’intégration et la stabilité psychique chez l’individu.

L’intégration dans la relation professionnelle crée des valeurs propres à l’espace professionnel, l’acceptation de la nature du travail dans le cadre de l’industrie hôtelière au point que l’ouvrière ressent de la satisfaction et même de la fierté. Mais l’enthousiasme ne veut pas dire nécessairement l’acceptation des conditions objectives d’exercice du travail. Cet écart entre le sentiment de satisfaction et le refus du contenu du travail et de ses conditions objectives est considéré comme un phénomène courant chez les ouvrières de l’industrie hôtelière.   

Attitude des ouvrières envers le travail

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On constate donc que la satisfaction n’est pas liée au contenu du travail mais à ce qu’il procure comme indépendance matérielle surtout chez les employées d’administration (70 %) et les femmes d’étages (60 %) contre (25 %-30 %) chez les réceptionnistes et les agents d’encadrement. La valorisation de la simple ouvrière, qui possède un statut professionnel très faible, est liée au salaire, or celles d’encadrement et des cadres administratifs est liée à la valeur intrinsèque du travail. Cette catégorie donne une grande importance à la stabilité, au développement de la personnalité, à l’interaction sociale comme source principale de satisfaction. Elle naît aussi de facteurs subjectifs comme le niveau d’instruction. Le degré de satisfaction est donc lié à la nature du travail, à la complexité de son contenu, à l’aptitude professionnelle et au niveau d’instruction :  

« L’implication dans le travail n’est que l’investissement dans l’emploi des capacités perçues ou supposées sur soi-même » (Francès, 1981, p.69).  

Le travail en tant que tel satisfait un besoin fondamental de sécurité et de stabilité des ouvrières. La satisfaction n’est donc plus que l’expression de l’habitude, elle ne reflète pas l’intégration véritable à l’intérieur de l’entreprise : 15 % seulement des employées administratives ont un sentiment d’appartenance au groupe du travail, 12 % pour les réceptionnistes, 18 % pour les agents d’encadrement, 36 % pour la restauration et la coiffure, 25 % pour la lingerie et 16 % seulement pour les ouvrières d’étages.

La faiblesse de l’intégration chez les ouvrières revient aussi à des facteurs objectifs comme la nature de la division des rôles (étages, lingerie, réception, administration, restauration, coiffure, cuisine) et au mode de son exécution sous la pression du temps et du contrôle continu.  

«... Les pressions exercées par le supérieur dans l’exécution des tâches quelles qu’elles soient sont uniformément ressenties comme une atteinte à l’estime de soi, résultant de l’inégalité des statuts dans l’entreprise » (Francès, 1981, p.133).  

Ce qui a produit le phénomène d’isolement et de rigidité de l’organisation sociale et l’absence des groupes informels possédant un rôle véritable de grande influence. La faiblesse des relations d’amitié à l’intérieur de l’entreprise hôtelière fait que chaque individu travaille pour son intérêt personnel et supporte d’une manière négative les pressions matérielles et psychologiques du travail, ce qui fait perdre à l’ouvrière le vrai sentiment d’appartenance à l’entreprise. C’est ce qui nous pousse à éclairer la nature de l’organisation et son degré de participation à ce phénomène d’isolement. Toutes les expériences, cependant, ont montré que si la stimulation financière est absolument nécessaire et d’ailleurs absolument légitime, elle ne produit ses pleins effets que dans un bon climat psychosocial ce qui nous ramène encore à l’importance des devoirs psychologiques de l’encadrement et des communications entre la direction et le personnel. 

Jugement par catégorie envers le responsable

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Les relations d’amitié ne signifient rien pour les différentes catégories professionnelles, ceci résulte du climat psychologique et social où se développe la relation d’organisation entre l’ensemble des ouvrières et les agents d’encadrement comme base du succès dans le travail, ce qui explique la tendance des différentes catégories professionnelles à une marge de liberté dans le travail de 9 % à 29 % surtout chez les réceptionnistes et les agents d’encadrement. Tandis qu’on remarque que le besoin d’encadrement et de contrôle est excessif chez les ouvrières de production de services (lingerie, étages) de 42 % à 57 % - ce qui explique la relation coopérative et simple avec le cadre dirigeant et la relation professionnelle pure. Ce sentiment diminue chez les cadres administratifs pour laisser place à la solidarité (27 % seulement). C’est là l’un des facteurs essentiels qui contribuent à la formation d’attitudes négatives envers l’entreprise et l’organisation.  

« La conception commune qu’on retrouve derrière ces réactions c’est que le rapport d’autorité face à face, au premier échelon, crée beaucoup de tension et que ce premier maillon des activités coopératives complexes d’une grande organisation est le plus faible de toute la chaîne alors qu’il devait être le plus résistant » (Crozier, 1963, p46).  

Le statut social, comme facteur de formation et de conscience de soi, joue un rôle dans la prolifération d’attitudes agressives envers la gouvernante puisque la qualité du travail est l’élément principal qui détermine la relation entre celles-ci et les ouvrières. Le degré de solidarité dans l’entreprise est faible, comme le montre le tableau suivant, ce qui entraîne une adaptation difficile avec le monde de travail. 

Relation entre la gouvernante et les ouvrières

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Quant à la relation avec le directeur, elle se manifeste dans cet écart entre le jugement de l’aptitude et le jugement de valeur du directeur ou de ses traits personnels ; ceci montre le besoin de communication des ouvrières comme facteur direct d’intégration et leur besoin de participer activement aux objectifs de l’organisation.  

« Le foyer des tensions hiérarchiques finalement ne semble pas être du tout les rapports d’autorité face à face que les employés entretiennent avec leurs chefs immédiats, mais les rapports beaucoup moins directs qu’elles ont avec leurs cadres supérieurs » (Crozier, 1963, p.50). 

Relation ouvrières - gouvernante, ouvrières – directeur

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La cause revient au niveau faible d’instruction qui empêche l’ensemble des ouvrières d’avoir une culture vaste. On constate que le directeur communique souvent avec les cadres d’administration de haut niveau d’instruction (50 %) contre (12 %) avec des ouvrières de niveau moyen (secondaire) et moins encore ( 6 %) pour de bas niveaux du primaire.

Cette faiblesse devient un outil efficace pour fonder la relation de soumission absolue à ceux qui possèdent un niveau plus élevé, ceci malgré le degré d’intelligence des ouvrières et leur culture pratique large (alors que la culture des responsables est théorique). Comment pouvons-nous les lier pour instaurer un dialogue créateur entre les deux cultures, pour la rentabilité de l’entreprise, la qualité de ses services et faciliter l’intégration sociale de l’ouvrière ?

A partir de ce qui vient d’être présenté, on déduit que l’organisation bureaucratique de l’entreprise hôtelière met des barrières devant le développement du conflit parce que les membres de l’organisation profitent de la sécurité et de la stabilité. La difficulté de passer le grade fait que l’espérance en des rétributions matérielles ou en l’amélioration de leur situation professionnelle est très faible. De plus, la diversité des rôles et leur isolement rend la possibilité de coopération non nécessaire et de ce fait il n’y a plus de possibilités d’utiliser les expériences des individus ou d’introduire des éléments d’innovations.  

« Le retrait, l’isolement et la distance peuvent en effet constituer un moyen de gouverner » (Crozier, 1963, p.104). 

En conséquence, il devient naturel d’exploiter le conflit pour exprimer la profondeur de la frustration personnelle. C’est ce qui nous amène à clarifier la spécificité de l’identité professionnelle de l’ouvrière, à l’intérieur des relations professionnelles et dans le cadre d’une vue analytique de la division sexuelle du travail.

On remarque que la qualité des travaux octroyés à la femme ne relève d’aucune spécialisation professionnelle et d’aucune aptitude scientifique. Toute personne peut les réaliser contrairement aux travaux des hommes qui requièrent une habilité et une expérience professionnelle plus élevée.

Devant les pressions exercées par le directeur de l’entreprise, en vue de réaliser le plus grand profit au moindre coût, l’ouvrière peut perdre son identité personnelle d’où le conflit entre ces femmes et le groupe d’appartenance qui interdit de même la formation d’une identité de classe sociale.  

Le statut professionnel détermine les relations avec l’organisation et conserve les relations de dépendance à l’égard de la gouvernante et de la neutralité à l’égard des autres catégories. Ceci se manifeste dans la relation conflictuelle de la femme ouvrière et explique son refus de tisser des relations d’amitié avec le groupe professionnel comme méthode de défense de son identité et son éloignement le plus possible de l’identité basée sur des conditions d’aliénation nées de la non spécialisation et de l’attitude de la société envers ces travaux. Le rapport de la femme au monde du travail ne dépasse plus cette dimension conflictuelle à cause de la dégradation de l’espace professionnel.  

« L’amélioration des conditions matérielles du travail n’a donc joué qu’un rôle secondaire. Le changement dans les attitudes et dans les interactions psychosociales se révèle avoir été essentiel » (Anzieu, 1969, p.67).  

Son attachement au travail à l’hôtel est donc basé sur le besoin matériel, c'est-à-dire au besoin d’exploiter son énergie pour l’amélioration de sa condition de vie.   

Les relations de pouvoir et la culture de profession  

Le mode d’organisation bureaucratique est basé sur les règles et sur l’ordre de catégorisation des travaux et de répartition de rôles et de statuts professionnels plus que sur l’aptitude personnelle de l’ouvrière et de l’ordre hiérarchique du pouvoir qui donne une importance cruciale au détriment du fonctionnement de l’organisation.  

« On n’est pas loin de reconnaître en effet que la distribution du pouvoir et le système de relations de pouvoir au sein d’une organisation ont une influence décisive sur les possibilités et les modes d’adaptation de chacun de ses membres et sur l’efficacité de l’ensemble de l’organisation » (Crozier, 1963, p.179).  

Ainsi on ne remarque pas une indépendance ou une ambivalence professionnelle chez l’ouvrière spécialisée mais une soumission absolue et une dépendance à l’organisation et à la hiérarchie du pouvoir. C’est ce qui nous amène à parler de la culture de profession ou de la catégorie professionnelle à l’intérieur de l’industrie hôtelière.

On remarque que l’ouvrière simple vit dans l’isolement. Le cadre dirigeant cherche à se rendre indépendant du système et à contribuer activement à la résolution des problèmes des ouvrières pour assurer une meilleure adaptation et une forte intégration. Les agents administratifs, vu leur influence limitée sur les groupes de travailleurs et les membres de l’organisation, ont une seule possibilité de s’octroyer le pouvoir qui est le changement (stratégie essentielle du directeur). En général, même si les statuts professionnels des membres de l’organisation varient, chaque catégorie possède une source de pouvoir. Cette source résulte de la marge de liberté dont jouit chaque acteur à l’intérieur de l’organisation.

De ce fait, les agents d’encadrement constituent le modèle intégratif grâce à leur situation dans l’hiérarchie du pouvoir ;  

« La satisfaction des chefs d’ateliers n’apparaît donc bien que comme une satisfaction liée à la passivité et à la résignation » (Crozier, 1963, p.127).  

Ils maîtrisent les informations qui parviennent au directeur, ils régissent aussi les informations et les décisions qui doivent parvenir aux groupes d’ouvrières dans leur réunion quotidienne. Cette catégorie dirigeante représente l’anneau du milieu reliant le directeur aux ouvrières. Ce qui lui permet de maîtriser la dimension stratégique entre les différents chefs de service et de faire naître des formes de luttes et de résistance dans le cadre de la recherche de sources de pouvoir et de maîtrise au sein de l’organisation. En dépit de cet aspect, cette catégorie vit des relations d’antagonisme et de lutte. Elle ressent de plus la nécessité d’innovation dans l’organisation pour jouir de plus de pouvoir.  

« L’extension générale des règles, la stabilité et la prévisibilité de tous les comportements au sein de l’organisation, l’impossibilité d’intervenir à travers les divers échelons hiérarchiques affaiblissent considérablement l’importance de la chaîne formelle de commandement qui a perdu en fait l’essentiel de son pouvoir » (Crozier, 1963, p.129).   

Quant aux cadres administratifs, ils affrontent les problèmes de pouvoir, les défis et la résistance en utilisant des stratégies personnelles. Cette classification basée sur le degré de pouvoir de chaque catégorie à l’intérieur de l’organisation nous amène à affirmer que la culture professionnelle est une sorte de construction sociale liée à la situation professionnelle, elle devient aussi un élément essentiel dans la détermination des relations sociales et dans la lutte sociale pour le progrès.  

« Ils sont constamment appelés à agir comme administrateurs et comme arbitres mais en même temps, on leur rappelle aussi qu’ils sont des chefs responsables avant tout du progrès et de l’efficacité des organisations qu’ils dirigent » (Crozier, 1963, p.162).  

Quand les cadres directeurs perdent ce pouvoir, l’indifférence s’installe dans les relations professionnelles, les dirigeants deviennent négatifs et les ouvrières tolérantes. C’est un phénomène de l’organisation bureaucratique basé sur la centralité du pouvoir et de la décision.  

« La centralisation de l’autorité est la conséquence naturelle de la pression du personnel sur ceux qui détiennent l’autorité formelle puisqu’elle constitue le seul moyen d’y échapper » (Crozier, 1963, p.102).  

Organigramme de l’entreprise hôtelière

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Quant au directeur, il est considéré comme la première personnalité de l’entreprise mais il ne possède pas le pouvoir absolu, il est obligé de réunir les chefs de service pour écouter leur avis et cela affaiblit son degré d’influence sur le système d’organisation puisqu’il ne possède pas un véritable pouvoir dépassant les lois et les règles. L’entreprise est ainsi dirigée par des forces et des parties qui influent directement sur le fonctionnement du travail. Le véritable pouvoir est donc aux mains des cadres moyens qui sont liés directement au travail et aux travailleurs comme le directeur technique d’entretien et les chefs de services.

Quant aux décisions stratégiques, elles sont prises par le propriétaire de l’hôtel. C’est ce qui explique l’insatisfaction de cette catégorie malgré son prestige social et son salaire élevé.  

« C’est-à-dire que ceux qui sont les plus disposés à vouloir du changement sont aussi ceux qui sont les plus déçus et les plus amers » (Crozier, 1963, p.127).  

Le mode d’organisation permet aux cadres appartenant à des milieux sociaux privilégiés d’occuper des postes d’administration ou d’orientation parce qu’ils lient leur identité familiale à leur identité professionnelle, ils vivent selon l’ordre hiérarchique du pouvoir comme fait naturel et identifient le pouvoir du directeur au pouvoir du père. Cette remarque s’applique à la femme directrice dans le cas où son père est le propriétaire de l’hôtel.

Le travail sur le terrain nous a permis de découvrir que le mode d’organisation des entreprises hôtelières s’est fortifiée par l’apport d’une main-d’œuvre féminine au niveau d’instruction et de spécialisation professionnelle limitées en conservant les valeurs traditionnelles de la société basées sur le respect de l’autorité dans son sens idéologique. L’entreprise a donc utilisé la main-d’œuvre féminine pour assurer l’organisation bureaucratique. Ces propriétés deviennent des habitudes et des comportements culturels caractérisant chaque catégorie professionnelle. L’individu se définit ainsi par les critères du groupe professionnel auquel il appartenait. Ces critères sont informels renforçant l’essence de l’organisation bureaucratique.  

« Plus forte est l’identification de l’individu avec le groupe, plus grande est l’interaction » (March, 1971, p.69). 

Ancienneté, confiance et qualité de travail - Attitude des ouvrières envers la gouvernante :

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Le facteur de l’ancienneté, qui forme l’essence de l’organisation bureaucratique, est donc traduit en facteurs de confiance (confiance des responsables aux ouvrières) et qui lui permet de grimper dans l’échelle professionnelle qui abolit le facteur d’aptitude scientifique ou professionnelle.

La confiance est le facteur essentiel de promotion dans l’entreprise hôtelière. C’est ce qui fait que les ouvrières tolèrent les attitudes des dirigeants et des responsables malgré le degré d’ancienneté. Cette tolérance protège leur statut professionnel. Ce qui nous explique l’importance de la qualité du travail dans le jugement de l’ouvrière. Plus le responsable semble attaché à l’application rigoureuse des lois et des règles plus le sentiment de satisfaction et de stabilité s’accroît. La satisfaction est ainsi liée à l’ancienneté ;  

« tout cet ensemble de relations suggère que l’attitude à l’égard du droit d’ancienneté est l’attitude capitale qui permet de comprendre comment les ouvriers s’intègrent à leur milieu social » (March, 1971, p.83). 

Deux groupes apparaissent ainsi, le premier vit dans l’intégration totale avec l’entreprise et le second vit une intégration liée à la participation active dans la vie du groupe et aux sentiments de prestige (le travail dans l’hôtel). Quant à la simple ouvrière, elle cherche à créer de nouvelles relations moins dépendantes en changeant son statut professionnel ou les conditions de son travail pour pouvoir discuter avec les tenants du pouvoir.  

« Le contenu de la sous culture ouvrière du monopole, il importe de le souligner, est en opposition directe avec les objectifs généraux de l’organisation et les objectifs particuliers des directions » (March, 1971, p.93).  

Quant à la catégorie possédant une expérience professionnelle élevée, elle jouit d’un pouvoir d’organisation qui s’exprime dans l’attitude de négociation et l’utilisation intelligente de leurs compétences techniques. Le penchant à l’isolement et à l’individualisme caractérise les fonctionnaires d’administration. Cette attitude peut être propre à la femme travaillant dans l’entreprise hôtelière qui pense rarement à la promotion professionnelle, ce qui réduit les mécanismes de lutte.

On déduit ainsi que les différentes catégories professionnelles vivent l’expérience du travail d’une manière dramatique parce qu’elles perdent une partie de leur identité sous différentes pressions. Quand l’ouvrière perd la possibilité de s’affirmer devant ses collègues ou ses directeurs, elle sublime son expérience professionnelle et ne supporte plus les pressions organisationnelles et techniques résultant des obligations au travail, ce qui influence ses relations familiales.  

« Ils ont tous simplement perdu leur confiance antérieure dans leurs possibilités de succès et ont dû décider de limiter leurs aspirations temporairement ou définitivement en avouant ainsi ouvertement ou implicitement leur défaite » (March, 1971, p.93). 

C’est ce qu’on observe chez l’ouvrière simple à faible personnalité incapable de maîtriser son milieu extérieur ou d’influencer l’organisation à cause de la faiblesse de son statut social. Son seul moyen d’intégration reste l’identification au responsable ou à la gouvernante.  

En résumé, les différentes catégories professionnelles sont soumises au pouvoir formel d’une manière absolue. Cette soumission est le moyen idéal d’exploiter son statut professionnel au profil de statuts sociaux extérieurs de travail. Elles ne cherchent pas le pouvoir, n’essaient pas d’exploiter les relations de pouvoir à des intérêts personnels contrairement aux cadres directeurs, qui vivent dans la dialectique des structures d’organisation et de la culture des acteurs sociaux à l’intérieur de l’entreprise, vu leur culture et leur expérience professionnelle.  

Tous les modes d’organisation traditionnels ou modernes cherchent à réaliser le conformisme et la conciliation avec les buts de l’entreprise, « le mythe de base étant en fin de compte l’harmonie » (Sainseaulieu, 1988, p.385).

La femme, par sa socialisation traditionnelle et la conception patriarcale du rapport entre elle et l’homme, est plus disposée au conformisme que l’homme. C’est à cause de cela qu’elle remplit des rôles éloignés des postes à responsabilité et de décision. L’action bureaucratique est basée sur certains principes comme le caractère impersonnel des règles, la centralisation des décisions. Les règles, constituent des éléments essentiels de réalisation de l’équilibre intérieur et d’intégration parce qu’elles interdisent l’arbitraire et l’initiative privée. En revanche, les ouvrières perdent le pouvoir sur celui qui les dirige, elles s’isolent et deviennent incapables d’initiative perdant ainsi toutes les opportunités de négocier. Ce qui amène les responsables à exercer leur pouvoir sans avoir peur des réactions, de l’opposition ou de lutte.  

Dans ce cadre, on remarque que pour promouvoir l’organisation bureaucratique on utilise des valeurs culturelles traditionnelles et on exploite la spécificité sociale et intellectuelle de la main-d’œuvre féminine. On constate aussi que l’isolement de chaque groupe professionnel, dans le cadre de son intérêt privé, l’empêche de connaître l’intérêt de l’organisation et ses buts. De ce fait, l’insertion dans les valeurs routinières devient le moyen idéal d’adaptation avec l’organisation bureaucratique.  

« Du point de vue de l’organisation aussi c’est la routine qui constitue donc presque toujours la meilleure solution et on devait tout compte fait s’étonner beaucoup plus de l’apparition pourtant rare de comportement d’innovation plutôt que de la répétition de comportement de routine » (Crozier, 1963, p.61).     

Conclusion  

La bureaucratie qui règne dans les sociétés traditionnelles n’est pas basée sur la légitimité rationnelle mais sur la légitimité charismatique c'est-à-dire le respect de la personne au pouvoir. Ainsi la loyauté personnelle est basée sur l’obéissance. Cette légitimité est plus souple que la traditionnelle car elle prive l’individu de sa puissance charismatique et de son pouvoir dés qu’il échoue à obtenir l’obéissance. Cette forme de légitimité, basée sur la relation personnelle entre responsable et ouvriers, ne favorise pas la création d’un groupe administratif basé sur la compétence scientifique et professionnelle mais cherche plutôt à réaliser l’intégration véritable dans l’organisation à travers la loyauté plutôt qu’à travers le mérite. Ce qui influence négativement la rentabilité du secteur basée sur des investissements importants et à longues échéances.

Le pouvoir charismatique est dans son essence un pouvoir changeant et incompatible avec le comportement rationnel économique basé sur des calculs exacts et requérant la constance et la stabilité des règles. La création personnelle ne peut se réaliser dans un milieu non démocratique mais se produit dans une société qui reconnaît les aptitudes des individus et les considèrent comme une fin en soi ayant tous les droits plutôt qu’un moyen pour l’intérêt de l’organisation. Les véritables facteurs d’intégration sont fondés sur la reconnaissance de l’importance de l’ouvrière dans l’opération productive et la mise en valeur de ses succès, ce qui la pousse vers la connaissance rapide, l’efficacité et l’amour de l’initiative qui mènent nécessairement à l’adaptation et à l’intégration.  

« La gestion de ressources humaines est un concept de politique du personnel qui vise à rentabiliser le capital humain, les connaissances, la compétence et l’expérience des hommes et des femmes dans une entreprise en créant un climat d’entreprise favorable » expose Smet (1990, p.18). 

Pour caractériser le bon fonctionnement de l’entreprise hôtelière, le bon directeur lui donne un sens à l’action et l’oriente vers le but stratégique. C’est ce qui constitue aussi l’essence de la culture d’entreprise fondée sur la nécessité d’innovation, la création, la qualité du produit et l’écoute du client. Le meilleur style d’encadrement possible est celui qui soit capable de créer des climats de confiance et de sentiment de sécurité poussant les ouvrières à réaliser l’aptitude voulue pour atteindre les buts collectifs.  

« L’acteur clé peut donc transformer en partie la culture de l’entreprise à travers la gestion des ressources humaines » (Bernoux, 1995).   

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