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Eté2009 - Vol.12. No. 02

Le concept de "société" au travers du prisme de la sociologie des relations internationales

Thomas Meszaros
Docteur en Droit/Science politique, chercheur au Centre Lyonnais d’Etude de Sécurité Internationale et de Défense, université Jean Moulin Lyon 3, post-doctorant à l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève.

Thomas Meszaros٭

Résumé :

L’objet de cet article est de proposer une lecture du concept de « société internationale » à partir de l’apport que constitue la sociologie formelle de Georg Simmel. Une telle démarche tend ainsi à formuler une approche différente du concept de « société internationale » qui était jusque là principalement marquée par l’influence de l’École anglaise en Relation internationale. Par là même cet article propose d’explorer la voie de la microsociologie des relations internationales notamment au travers de l’étude des formes de l’action internationale. En définitive, cette réflexion sociologique, en insistant sur le rôle de la pensée « formelle » de Georg Simmel, propose une perspective susceptible d’enrichir la sociologie des relations internationales.


Abstract :

The aim of this article is to suggest a reading of the concept of “International Society” based on the bringing-in of the formal sociology of Georg Simmel. In this way, we will propose a different approach of the concept of “International Society” for the International Relations discipline; witch was until then mainly marked by the influence of the English School. By the way, this article explores the possibility to formulate a microsociology of international relations by the study of the forms of the international action. This sociological reflection, focalised on the importance of Georg Simmel’s “formal” thought, propose a prospect witch may enrich international relations sociology.


« Quand il s’agit des relations entre les Etats, la science, au sens fort du terme, n’a pas encore remplacé le savoir des historiens ou des hommes d’Etat. Elle n’a pas encore construit, avec ses concepts et ses méthodes propres, un objet radicalement séparé des expériences vécues par ceux qui font ou subissent les guerres et les paix » (Raymond Aron, 1971, p.59).

Frédéric Ramel souligne dès l’introduction de son ouvrage Les fondateurs oubliés : Durkheim, Simmel, Weber, Mauss et les relations internationales, « les spécialistes contemporains des relations internationales ont un apport critiquable aux sociologies fondatrices » (Ramel, 2006, p.3). Cette constatation semble particulièrement adaptée au concept de « société internationale ». En effet, en Relations internationales [1] il est traditionnellement accepté que ce concept renvoie à l’idée que s’en font les auteurs de l’Ecole anglaise qui considèrent qu’une société internationale est « un groupe d’Etats (ou plus généralement, un groupe de communautés politiques indépendantes) qui ne forment pas simplement un système, dans le sens où le comportement des uns est le facteur nécessaire au calcul des comportements des autres, mais qui ont aussi établi par le dialogue et le consentement sur des règles communes des institutions pour la conduite de leurs relations, et reconnaissent leur intérêts commun à maintenir ces arrangements » (Bull, Watson, 1984, p.1). Une société internationale manifeste ainsi un stade supérieur d’organisation, de maturation (Buzan, 1993) qui tend à limiter l’usage de la violence en permettant un règlement pacifique des différends et ainsi à favoriser les attitudes coopératives [2] Fidèle à la tradition de la discipline qui utilise fréquemment la notion de système international pour sa souplesse plutôt qu’à des fins heuristiques (Devin, 2002, p.6), Barry Buzan précise que la distinction entre système et société est centrale. Le système est logiquement la plus essentielle, et préalable, idée : un système international peut exister sans une société, mais le contraire n’est pas vrai (Buzan, 1993, p.331). Finalement, au travers du réalisme structurel Buzan réconcilie les deux concepts, jusque là considérés comme opposés, en une typologie spécifique qui permet de prendre en considération l’évolution du système international vers la société internationale puis vers la société-monde [3]. Selon Buzan les travaux développés par l’Ecole anglaise s’inscrivent, tant pour ce qui est de Hedley Bull que de Martin Wight et al, dans une tradition analytique qui a pour principal objectif une lecture empirique de la société internationale européenne moderne. Le concept de « société internationale » est donc beaucoup plus envisagé comme un concept historique que comme un concept théorique (Buzan, 1993, p.329) ce dont témoignent d’ailleurs les travaux de Martin Wight sur l’importance que possède le concept dans l’histoire du système international, travaux repris dans une large mesure par Adam Watson (Wight, 1977 ; Watson, 1990 ; 1992). Ils abordent les relations internationales de manière explicative en fonction de la totalité, de la globalité que constitue en dernier recours la société internationale. Cette approche méthodologique n’est pas sans rappeler celle développée par Emile Durkheim dans son ouvrage Les règles de la méthode sociologique (Durkheim, 1999). Pourtant, le concept de société en Relations internationales semble pouvoir être employé d’une manière différente de celle proposée par l’Ecole anglaise. Elle s’intéresse aux Etats entendus comme des êtres sociaux, à leurs relations ainsi qu’aux formes sociales qui autorisent le type particulier de relation qu’ils établissent et qui constituent la société internationale. Les travaux novateurs de Georg Simmel [4] ouvrent en ce sens de nouvelles perspectives qui permettent de dégager des voies de réflexion originales quant à la manière de penser sociologiquement les relations internationales [5]. Pour définir les termes de cette approche sociologique de la vie internationale il est nécessaire de revenir sur la conception simmelienne de la société pour ensuite la transposer dans le champ des relations internationales.


  Le concept de « société » rediscuté


Le concept de société ne fait pas l’unanimité en sociologie parce qu’il renvoie à différentes approches de la socialité. La distinction proposée par Ferdinand Tönnies entre communauté et société définie deux types de rapports sociaux différents. Pourtant, une nuance supplémentaire pourrait être apportée à cette distinction logique. Elle permet ainsi de mettre en évidence la différence entre société au sens large et société au sens strict. Celle-ci s’inscrit dans la continuité de la sociologie formelle ou sociologie de la forme développée par Georg Simmel. Son apport peut se résumer d’une part à la méthode employée, qui s’intéresse à l’étude des formes sociales distinguées de leurs contenus, d’autre part aux constations issues de l’objet d’étude que constitue la société qui permettent de déterminer une différence entre le genre la société au sens large et les espèces que sont la communauté et la société au sens strict.

Formes et contenus de la société 

La méthode employée par Georg Simmel est d’inspiration kantienne [6]. Il s’agit de la démarche employée par le philosophe allemand dans la Critique de la raison pure qui s’intéresse aux conditions de possibilité de la connaissance scientifique et développe une approche qui n’est ni déductive, c’est-à-dire qu’elle ne cherche pas à procéder par construction de concepts, ni psychologique, c’est-à-dire qu’elle ne cherche pas à éclairer la connaissance de certains objets particuliers, mais elle tend à appréhender les structures qui rendent la connaissance possible.

« De même que la connaissance des phénomènes naturels n'est possible, selon Kant, que parce que l'esprit y projette des formes (par ex. l'espace et le temps), de même la connaissance de phénomènes sociaux n'est possible, selon Simmel, qu'à partir du moment où le sociologue organise le réel à l’aide de systèmes de catégories ou de modèles. Sans ces modèles, les faits sociaux constituent un univers chaotique sans signification pour l'esprit, exactement comme pour Kant l'expérience du réel se réduirait à une « rhapsodie de sensations », si elle n'était organisée par les « formes » de la connaissance » (Boudon, Bourricaud, 2004, p.522).

La notion de forme apparaît dans la pensée simmelienne comme une construction mentale qui permet de comprendre et de donner du sens à la réalité sociale. Contrairement à l’orthodoxie, établie notamment avec Montesquieu, Tocqueville et concrétisée par Emile Durkheim dans son ouvrage Les règles de la méthode sociologique, selon laquelle la tradition sociologique s’organise autour de la définition d’un objet d’étude clair et pertinent, appréhendé par une démarche unifiée qui cherche à dégager des lois empiriques et universelles tirées de l’observation de la réalité sociale [7], Georg Simmel et Max Weber proposent des modèles idéaux et généraux qui sont des constructions intellectuelles issues de la réalité et qui la simplifient. Le concept de forme utilisé par Georg Simmel « préfigure » ainsi, selon Raymond Boudon, « la notion moderne de modèle » (Boudon, Bourricaud, 2004, p.522) [8].

« Un modèle, c’est une représentation idéalisée dont on présume qu’elle peut permettre de mieux comprendre certaines situations réelles, à condition de prendre conscience de simplifications que le modèle introduit. Un modèle a la double propriété d’être général – dans la mesure où il peut s’appliquer à des contextes spatio-temporels divers – et idéal dans la mesure où il ne s’applique textuellement à aucune réalité concrète. Il faut donc bien prendre soin de distinguer la notion de modèle de celle de loi » (Boudon, Bourricaud, 2004, p.523).

Une forme est un outil théorique, un modèle qui s’apparente à l’idéal-type de Max Weber. Elle possède une dimension ontologique. Avec le contenu elle constitue l’être même d’un fait social, qui dans la réalité sont indissociablement liés. L’abstraction permettrait de réaliser une réduction eidétique du fait social qui autoriserait à différencier la forme comme essence intelligible (domination, conflit, division du travail, etc.) de son contenu sensible (sentiments, pulsions, intérêts, objectifs, etc.). Cette opération intellectuelle permettrait ainsi de comprendre ce qu’est la socialité et comment se réalisent les processus de socialisation. Comme le souligne Raymond Boudon, Georg Simmel utilise indistinctement la notion de forme pour caractériser d’une part les constructions intellectuelles dont le sociologue peut se servir pour étudier la réalité sociale et d’autre part les constructions issues des interactions sociales ou actions réciproques (Boudon, Bourricaud, 2004, p.524). Les formes sociales sont ainsi considérées comme « la cristallisation a posteriori des actions réciproques dans des objets culturels et des institutions sociales » (Ramel, 2006, p.37 ; sur la notion de forme sociale voir aussi, Simmel, 1999, p.44 et ss ; Deroche-Gurcel, Watier, 2002, pp.19-30). En définitive, les formes sociales renvoient aux conditions de possibilité de l’existence sociale.

Panayis Papaligouras, à notre connaissance le premier et le seul auteur à avoir transposé la notion de forme aux relations internationales (Papaligouras, 1941) [9], précise à ce titre : 


« J’appelle forme sociale tout ordre imposé à l'être social et considéré par lui comme un ordre [...]. L’amitié, la famille, l'Etat sont des ensembles de formes sociales, pour autant qu'ils imposent une limite aux possibilités de l'existence sociale. Ils obligent non à leur donner son adhésion, mais à reconnaître leur réalité, ou, ce qui revient au même, à prendre position à leur égard, à se « comporter envers eux ». Dire de l'Etat qu'il est un ordre social, ou un ensemble de formes sociales, signifie que tout être social est obligé de reconnaître son existence sous peine de perdre sa socialité. Les formes ont pour l'existence sociale force d'une réalité » (Papaligouras, 1941, pp.69-70 ; Plus spécifiquement sur l’Etat comme forme sociale voir, Meszaros, 2007, pp.92-93).

Les formes structurent la réalité interhumaine et renvoient aux différents champs de l’existence dont celui de l'existence sociale. Elles sont les produits des interactions sociales mais aussi des constructions abstraites qui permettent au sociologue d’appréhender la réalité sociale. C’est précisément la transposition de la méthode transcendantale kantienne de la Critique de la raison pure à la « critique de la socialité » qui permet d’appréhender les formes sociales et ainsi de définir les processus de socialisation qui se réalisent et qui permettent à la société d’exister [10].

Genre et espèces de la société

Georg Simmel définit le concept de société à partir de deux significations qui doivent être clairement distinguées. D’une part, la société est « l’ensemble complexe d’individus socialisés, le matériau humain qui a pris une forme sociale, tel que le constitue toute la réalité historique ». D’autre part, la société peut être considérée comme « la somme de ces formes relationnelles grâce auxquelles les individus deviennent justement la société au premier sens du terme » (Simmel, 1999, p.47).

Pour Simmel si l’on veut étudier la société il est essentiel de pouvoir déterminer quelles sont les formes de socialisation qui se produisent ce qui implique nécessairement de les détacher de leurs contenus pour parvenir à atteindre le fait social en lui-même comme réalité sociale et historique [11]. Les formes de l’action réciproque constituent ainsi la « société » autant que les contenus. L’un sans l’autre ne peuvent exister, soit que les contenus sociaux ne pourraient plus être considérés comme tels parce qu’il revient à la forme de leur conférer cette propriété (relations de dominations, subordinations, conflit, solidarité, etc.), soit que la forme, vidée de son contenu (sentiments, motifs ou intérêts, etc.), n’aurait plus aucun sens. Les formes sont donc la société dans le sens où elles sont la socialisation elle-même. Le concept de société renvoie ainsi soit à un « concept général abstrait de ces formes, le genre dont elles sont le mode, soit à l’addition de ces formes actives » (Simmel, 1999, p.48). Georg Simmel ajoute :


«  Une autre conséquence de ce concept, c’est qu’un nombre donné d’individus peut constituer une société à un degré plus ou moins grand : à chaque fois que surgit une structure de façon synthétique, chaque fois que se constituent des groupes de partis, chaque fois que l’on rassemble en vue d’une œuvre collective ou dans une sensibilité ou une pensée commune, chaque fois qu’on répartit assez nettement les tâches de service et de commandement, chaque fois qu’on prend un repas en commun, chaque fois qu’on se pare pour les autres, alors le même groupe devient plus une société qu’il ne l’était auparavant » (Simmel, 1999, p.48).

Tout comme Georg Simmel, Ferdinand Tönnies considère la société comme une interrelation d’individus. La distinction formulée par Ferdinand Tönnies entre « communauté » et « société » présente cependant un risque d’incompréhension et d’amalgame entre le genre et l’espèce envisagés [12]. En ce sens, la distinction entre la société au sens strict et la société au sens large est fondamentale. Elle insiste sur la différence entre deux objets distincts, les contenus de la société et les formes de la société ou formes de socialisation. La distinction entre ces deux objets constitue le problème de la sociologie. Celle-ci devrait selon Simmel étudier principalement les formes de la société, les actions réciproques, « les modes et les formes de socialisation ». Lyliane Deroche-Gurcelle précise à ce titre deux éléments essentiels de la pensée de Georg Simmel :

« [C]ette sociologie formelle est simultanément une étude de l'action sociale. C'est pourquoi elle convoque l'idée de socialisation (Vergesellschaftung) qui exprime, par la différence avec le terme statique de société (distinction radicale qui eut tôt fait d’opposer Durkheim à Simmel), la notion d'un développement continu, d’une mutabilité sans fin, que donne à entendre le phénomène de la réciprocité d'action. Le terme d'action réciproque apparaît des 1890 chez Simmel, avant la notion de forme, et sera utilisé constamment : “Il y a société, au sens large du mot, partout où il y a action réciproque des individus” » (Simmel, 1999, p.15).

Dans le sillage de Georg Simmel – et très vraisemblablement inspiré par ce dernier ‑ Panayis Papaligouras établit sur cette base une distinction essentielle quant aux idéaux typiques développés par Tönnies afin d’éviter toute forme d’amalgame entre le genre et les espèces relatifs à la « société ». Pour Papaligouras, la distinction entre société et communauté est superficielle car elle n’introduit pas une rupture assez nette entre ces deux concepts. Il est donc nécessaire de différencier la société au sens large et la société au sens strict qui se distinguent par là même de la communauté  (Papaligouras, 1941, p.124 et ss).

La société entendue dans son sens large constitue le genre et la société comprise dans son sens strict ainsi que la communauté en sont les espèces. En définitive, Ferdinand Tönnies met en exergue deux espèces de sociétés-types, la société au sens strict et la communauté. Ces deux espèces types appartiennent à un genre identique qui est la société au sens large [13]. La différence qui est introduite appartient à un ordre nouveau puisqu’elle concerne principalement le genre, la société définie comme l’ensemble des possibilités de l’existence sociale et les espèces que sont certaines formes de la société ou de socialisation particulières. Afin de confirmer cette rupture, pour qu’elle ne soit plus uniquement une différence symbolique entre genre et espèce, purement formelle ou logique, il faudrait mettre en perspective des types de relations sociales par rapport aux conditions de possibilité de l’existence sociale, c’est-à-dire par rapport à la socialité elle-même. Il est nécessaire de souligner cette distinction entre la société entendue dans son sens large (en tant que genre) qui est différente de la société en son sens strict et de la communauté (en tant qu’espèces) parce que considérer la « société » comme le produit de la réciprocité de l’action en revient à modifier l’objet d’étude sociologique. Il ne s’agit plus de la société entendue comme une totalité, figée, mais de l’action sociale et des formes de la socialisation, c’est-à-dire un genre singulier qui se décline selon différentes espèces particulières.

L’amalgame entre le genre que constitue la société au sens large et les espèces que sont la société au sens strict et la communauté a eu un impact sur l’utilisation du concept de société internationale en Relations internationale, notamment dans le cadre des développements réalisés par les tenants de l’Ecole anglaise et plus particulièrement sur les travaux récents produits par Barry Buzan qui s’est proposé de renouvelé le programme de recherche de ce courant (sur ce point voir Meszaros, 2008).

Le concept de société internationale et les formes de l’action internationale

Quelles conséquences les constatations tirées ces constatations sur le concept de société peuvent-elles avoir dans le champ des Relations internationales ? Permettent-elles de lever l’ambiguïté relative au concept de société internationale et son emploi dans la discipline ? Les conséquences qui s’imposent à partir de la définition que propose Georg Simmel de la notion de société ainsi que la distinction entre le genre auquel elle renvoie et les espèces qui en découlent ne sont pas sans incidences sur la manière dont il est possible de considérer le concept de société internationale. En effet, ces constatations permettent de formuler une définition différente de celle traditionnelle proposée par l’Ecole anglaise. Cet objet d’étude singulier, la société internationale entendue comme structure synthétique, renverrait ainsi à l’étude des formes de socialisation spécifiquement internationales c’est-à-dire à l’analyse du produit des actions et réactions entre les Etats. Finalement, dans le sillage de Georg Simmel qui s’est intéressé aux formes — ou conditions — a priori de la socialisation, il s’agit d’étudier les conditions de possibilité de l’existence des relations entre Etats, c’est-à-dire les formes a priori de l’action internationale. 


La société internationale comme objet d’étude de la sociologie formelle

Il convient avant toute chose de définir l’objet d’étude qui nous intéresse. Une « société internationale peut être sociologiquement envisagée soit comme l'ensemble des formes réalisant, organisant le pouvoir international, soit comme l'ensemble des relations internationales (qui sont aussi, les relations interétatiques, des liens de force, des liens de contrainte, des liens politiques) » (Papaligouras, 1941, p.131). Le concept de société internationale renvoie au genre que constitue la société au sens large, c’est-à-dire aux formes de socialisation qui créent la société. Deux ou plusieurs individus peuvent constituer une société en fonction des formes actives, des formes de socialisation qui constituent immédiatement la société. Les relations internationales parce qu’elles sont des relations de type sociales obéissent aux mêmes propriétés que celles énoncées par Georg Simmel. Les formes sociales occupent ainsi dans la vie internationale une place essentielle en tant que produits des actions réciproques des Etats.

Nous choisissons de nommer société internationale le produit des actions réciproques entretenues entre deux ou plusieurs Etats [14]. Ainsi, la conséquence que Georg Simmel souligne quant au lien entre société et forme de socialisation peut être adaptée aux relations sociales spécifiquement internationales entendues comme des modes particuliers d’actions réciproques. Dès l’instant où les contenus de la société (buts, intérêts, normes, sentiments, etc.) incitent les Etats à des relations réciproques, leurs interactions individuelles produisent des phénomènes sociaux, des formes sociales (domination, conflit, guerre ou paix, coopération, solidarité, etc.), spécifiquement internationales. Par conséquent, il existe des sociétés de types internationales à chaque fois que les Etats manifestent des modes d’action réciproques.

Ces actions réciproques entre Etats produisent une structure synthétique qui est une société internationale. Cette structure synthétique peut-être d’un degré plus ou moins important (en nombre), plus ou moins durable dans le temps, plus ou moins fréquente, etc. En bref, cette structure synthétique apparaît à chaque fois qu’il y a action réciproque. La nature de cette structure synthétique est alors conditionnée par le rapport qu’ont les Etats avec les formes de la société [15]. Ces formes limitent leurs comportements et encadrent leurs attitudes, elles influencent directement leurs relations individuelles. Les actions réciproques à leur tour influencent la structure synthétique qu’est la société internationale favorisant ainsi soit la conservation de l’ordre, sa stabilité, soit sa transformation [16].

En effet, les normes ou principes qui émergent des rapports entre Etats sont la conséquence de certaines formes sociales qui sont acceptées et reconnues par ces derniers qui s’engagent, ou non, à les respecter. Cette constatation renvoie à l’idée avancée par Georg Simmel selon laquelle les formes de la société, en tant que résultats des interactions individuelles, progressivement s’institutionnalisent et, à leur tour, réagissent sur les individus et les actions réciproques. En ce sens elles constituent des contraintes parce qu’elles limitent la liberté, et par voie de conséquence, l’action des individus. Il y a donc interrelation entre la société et les individus parce que non seulement ces derniers sont influencés par des modèles sociaux préformés mais aussi parce qu’au travers de leurs interactions les individus recréent des formes sociales, identiques ou nouvelles, qui transforment la société [17]. Les phénomènes sociaux, que sont les formes de la société ou formes de la socialisation, générés par les interactions entre les Etats se produisent d’abord à un niveau microsociologique puis macrosociologique.

En conséquence, le concept de société internationale abordé à partir de la perspective qu’offre la sociologie formelle permet de s’intéresser à certaines relations spécifiques, qu’elles soient coopératives ou conflictuelles [18]

Les formes de l’action internationale

La question des formes de l’action internationale renvoie à un problème central en sociologie, celui de la socialisation. En effet, les processus de socialisation concernent la manière dont les acteurs entrent en relation sociale. Malgré l’anarchie qui caractérise le système international, toute société internationale, c’est-à-dire toute relation réciproque qui implique un ou plusieurs Etats, impose la reconnaissance de certaines formes sociales qui permettent à la socialité de se produire. Ces formes sociales minimales constituent la limite à partir de laquelle la socialité est possible [19]. Elles constituent les conditions de possibilité de l’existence de la socialité internationale [20]. Georg Simmel définit trois conditions ou formes a priori de la socialisation qui déterminent, pour reprendre la terminologie kantienne, les catégories de la socialité (Simmel, 1999, p.67) [21].

La première forme que relève Simmel concerne le principe selon lequel il existe dans toute société, c’est-à-dire dans toute action réciproque, dans toute relation, un a priori qui renvoie à la représentation de l’autre. Malgré son individualité l’autre est perçu comme le « résultat d’une généralisation », qui lui confère son unité, son universalité. Cette idéalité ne dessine en réalité que les contours de la personne et il appartient à la reconstruction de l’image de l’autre de la différencier de sa propre réalité. « […] la conséquence en est en tout cas une généralisation de l’image psychique de l’autre, une imprécision des contours qui complète cette image unique en la mettant en relation avec d’autres images » (Simmel, 1999, p.68). La reconstruction de l’image de l’autre dépend, dans une certaine mesure, de celle que nous avons de nous-même, de celle que nous avons de ce que nous connaissons. L’image que nous nous faisons de l’autre est le fruit d’une généralisation et de sa singularité, d’ajouts et de modifications qui empêchent une connaissance idéale de l’homme. L’image de l’autre va ainsi déterminer notre comportement envers lui, en fonction notamment de la virtualité, en bien ou en mal, que possède « idéalement tout être humain » (Simmel, 1999, p.69). L’a priori des actions réciproques que présente Georg Simmel renvoie en définitive aux conditions même de la socialité. Il constitue une première catégorie de la socialité, nécessaire pour que la relation entre deux êtres puisse être qualifiée de relation sociale. Ce principe, l’a priori des actions réciproques, conditionne ainsi la manière que nous avons d’appréhender l’autre. « A l’intérieur d’un cercle fondé sur un métier ou des intérêts communs, chacun des membres voit les autres en fonction non pas de façon purement empirique, mais en fonction d’un a priori que ce cercle impose à chacune des conscience qui en font partie ».(Simmel, 1999, p.69). Simmel précise que ces constatations valent pour ce qui est d’un cercle particulier mais aussi pour des cercles distincts, pour des relations dont les intérêts, les objectifs ou les valeurs ne sont pas identiques.

Transposées au champ international ces considérations possèdent une importance majeure. L’image qu’un Etat se fait d’un autre Etat n’échappe pas au principe de l’a priori des actions réciproques soulevé par Georg Simmel. Ainsi, la représentation d’un Etat par rapport à un autre, de son gouvernement, de son régime, déterminera son comportement. La reconstruction de l’image de l’autre occupe à ce titre la même place que dans une relation entre deux individus. Dès lors que deux Etats entrent en relation le processus de socialisation implique une reconstruction de l’autre en fonction d’images connues. Elle prend en considération les virtualités positives ou négatives inhérente à tout Etat. Cette reproduction imparfaite, avec ses ajouts et ses transformations, possède des conséquences capitales sur la nature même des actions réciproques. En fonction des images qu’ils possèdent d’eux-mêmes, et des autres, les Etats se considèrent soit comme appartenant à un même « cercle », partageant des intérêts communs, des valeurs communes, un régime politique identique, etc., soit comme étant différents, c’est-à-dire appartenant à des « cercles » distincts. Malgré leur appartenance à un type identique, celui d’être des Etats, des détenteurs du pouvoir international, ils s’envisagent en fonction de leurs individualités et se différencient, puis ils se considèrent mutuellement comme appartenant ou non à des « cercles » communs. Georg Simmel précise « Nous ne voyons pas l’autre simplement comme un individu, mais comme un collègue, un camarade de régiment ou de parti, bref comme un habitant du même univers particulier que nous, et cette condition inévitable, tout à fait automatique, est, dans notre représentation de l'autre, l'un des moyens de donner à sa personnalité et à sa réalité la qualité et la forme requise par sa sociabilité » (Simmel, 1999, p.70). Ces considérations semblent transposables aux Etats, qui partagent des traits identiques fondamentaux à leur reconnaissance, mais aussi qui s’envisagent en fonction de caractéristiques distinctives qui influencent leur socialité.

Le processus de socialisation renvoie donc à la fois à un principe de généralisation et de différenciation qui permet à la relation sociale de se produire. Les Etats se conçoivent de la même manière non pas uniquement comme des Etats, comme des types universels, mais ils se considèrent dans leurs singularités propres ce qui leur permet de développer des actions réciproques [22]. La qualité et la forme qu’impliquent ces interactions sont de natures différentes. Les Etats s’ils appartiennent à un même univers se considèrent comme des amis, ont confiance les uns dans les autres, coopèrent et partagent même une certaine solidarité. En revanche, s’ils appartiennent à des cercles distincts ils s’envisagent comme des ennemis, se méfient les uns des autres et entretiennent des relations conflictuelles [23].

La seconde forme a priori de la socialité, ou catégorie, que relève Georg Simmel concerne la formulation suivante : « chaque élément d’un groupe n’est pas seulement une partie de la société mais aussi autre chose en plus. Ce fait agit comme un a priori social, dans la mesure où la partie qui n’est pas orientée vers la société ou qui ne se confond pas avec elle n’est pas simplement posée à côté de la partie qui a un sens social, sans lien avec elle, dans la mesure où ce n'est pas seulement une chose extérieure à la société à laquelle, bon gré mal gré, celle-ci fait une place ; que l'individu ne soit pas par certains aspects un élément de la société, c'est au contraire la condition positive pour qu’il le soit par d'autres aspects de sa nature : sa manière d'être socialisé est déterminée ou codéterminée par sa manière de ne pas être socialisé  » (Simmel, 1999, pp.70-71).

La forme a priori sociologique que soulève Simmel renvoie finalement aux dimensions sociales et extrasociales de chaque individus, à leurs causes et à leurs effets (qui possèdent des contenus différents), synthétisés en une seule et unique « catégorie formelle fondamentale ». L’une et l’autre dimension sont nécessaires afin que le processus de socialisation puisse se réaliser. Cette catégorie insiste sur le dehors et le dedans, sur la société et l’individualité. Cette catégorie rejoint la première catégorie définie par Simmel, qui déjà soulignait le lien entre généralisation et différentiation nécessaire au processus de socialisation. Il s’agit la aussi d’un paradoxe, celui de deux déterminations qui se produisent en même temps et qui sont pourtant opposées. D’une part, l’individu est le produit de la société, il y est plongé, alors même qu’il possède une autre détermination « opposée », puisqu’il la vit à partir d’un centre propre et pour ce centre propre, son individualité. La catégorie synthétique dont il est alors question renvoie à l’unité de ces deux aspects qui créent l’être social (Simmel, 1999, p.75).

Si l’on considère maintenant un Etat, il épouse les mêmes caractéristiques que celles énoncées par Georg Simmel. Il participe à la fois à la société empirique, la société internationale, mais il possède aussi son individualité (il s’agit de la forme a priori définie au préalable). Le paradoxe soulevé par Georg Simmel en ce qui concerne l’individu est valable pour l’Etat. Ce dernier possède une dimension sociale et une dimension extrasociale. L’Etat est donc soumis à deux déterminations opposées et simultanées. D’une part il est le fruit des actions réciproques, des relations sociales, il y est impliqué, d’autre part, il vit ces relations depuis son centre propre et pour celui-ci. Cette catégorie formelle synthétique insiste sur le lien qui existe entre le milieu interne et le milieu externe. Ces deux aspects liés, créent l’unité que constitue l’Etat comme être social. C’est à partir de cette unité (entre les causes et les effets) que les contenus (intérêts, buts, sentiments, etc.) sont formalisés par les actions réciproques.

Enfin, la troisième forme a priori de la socialité trouve son origine dans l’inégalité caractéristique de la société. Georg Simmel précise d’emblée que « la société est constituée d’éléments inégaux » (Simmel, 1999, p.75). La société est inégale comme en témoignent les caractères des individus, les contenus de leurs existences et de leurs destinées. Cette constatation possède une incidence directe sur les actions réciproques qui ne peuvent pas être, comme les différentes destinées, existences intérieures ou sociales, identiques. Chacune est unique parce qu’elle dépend de certaines caractéristiques, de certaines qualités singulières. La société, « si on la considère comme un entrelacs de phénomènes déterminés qualitativement » (Simmel, 1999, p.76), apparaît donc comme un ensemble organisé et la transformation de l’un des éléments peut avoir des conséquences sur la structure globale. Elle oblige ainsi chaque individu à prendre conscience de sa particularité qui est nécessaire à la totalité. Elle confère à l’individu la conscience de son appartenance comme « élément social » à la vie de la totalité. Cette forme a priori est ainsi une des conditions nécessaires à la socialité parce qu’elle détermine dans une large mesure les finalités des individualités particulières et les comportements des individus.

Deux conséquences peuvent être tirées de cette forme a priori pour ce qui concerne les relations entre Etats. D’une part les sociétés internationales sont inégales par nature. Comme les individus, les Etats sont conditionnés par différentes caractéristiques qui autorisent ou contraignent leurs actions réciproques. Leurs destinées et leurs existences sociales sont déterminées pour ainsi dire directement par cet a priori, par certains aspects qualitatifs (leur taille, leur démographie, leur situation, etc.). Ces aspects pèsent sur les contenus de leurs actions réciproques, leurs valeurs, leurs régimes politiques, leurs intérêts, leurs buts. D’autre part, les Etats par le processus de socialisation se situent dans un ensemble plus large comme éléments sociaux. Ils prennent ainsi conscience de leurs particularités. Ils s’insèrent dans cette totalité comme en étant un élément particulier qui tend à la soumettre à leurs desseins téléologiques individuels. Ces deux constatations posent les bases d’une forme a priori de l’action internationale. Elle concerne le principe d’égalité des Etats qui tend à réduire l’inégalité naturelle de la société. Ce principe est complémentaire à celui du respect de la souveraineté et à celui de la reconnaissance mutuelle des Etats. Ils confèrent à un Etat le statut d’être social et pose les règles du jeu qui lui permettent d’agir en tant que tel. En ce sens, le principe d’égalité constitue une forme a priori de la socialité des Etats. Elle permet d’engager des actions réciproques, de tisser des relations de solidarité (alliances) ou conflictuelles. Elle se situe au fondement même de la socialité des Etats parce qu’elle leur confère la possibilité de se réaliser en tant qu’êtres sociaux, de participer à la totalité à laquelle ils appartiennent.

Les travaux de Georg Simmel permettent de produire une approche compréhensive des relations internationales qui tente de rendre compte des processus de socialisation des Etats. L’apport de cette sociologie formelle au champ des Relations internationales possède un intérêt manifeste, celui de conférer au concept de société internationale un sens spécifique, différent de celui que lui ont octroyé la tradition de l’Ecole anglaise et plus généralement de la discipline. Certes, il existe un vif intérêt pour la sociologie en Relations internationales qui s’intéresse en particulier aux processus de socialisation et à la socialité des Etats. Notre démarche s’inscrit en ce sens puisqu’elle tendait à souligner l’apport précieux que peut constituer la sociologie formelle de Georg Simmel pour les Relations internationales. Il semble que cet apport permette de mettre en évidence différents aspects spécifiques de la socialité des Etats [24]. Il n’en demeure pas moins que l’approche microsociologique de cette sociologie tendrait, comme le suppose Georg Simmel, à éclairer les questions macrosociologiques puisque les phénomènes globaux ne sont en réalité compréhensibles que par l’analyse des particularités [25]. Ce sont donc les actions et réactions des Etats en situation qu’il convient d’analyser afin de comprendre comment s’organise la totalité que constitue le système international. La démarche qui a motivée notre réflexion tendait ainsi, à partir des constatations développées par Georg Simmel, à mettre en exergue la possibilité de penser les formes de l’action internationales à partir de catégories particulières. Lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, le 1er décembre 1970, Raymond Aron soulignait : « Il n’existe pas, à notre époque, une sociologie que l’on enseignerait à la manière dont on enseigne (ou peut-être dont j’imagine que l’on enseigne) les mathématiques ou la physique, il y a, d’une part, des sociologies, du travail, de l’éducation, de la religion et, d’autre part, une pensée, une manière de penser sociologique qui s’exprime aussi bien dans les enquêtes parcellaires que dans les tentatives d’interprétation globale, dans la micro et la macrosociologie » (Aron, 1971, p.30). Il y a fort à croire que les relations internationales s’inscrivent dans ces sociologies sectorielles présentées par Raymond Aron et que l’approche microsociologique de Georg Simmel puisse permettre de penser sociologiquement ce secteur spécifique de la réalité sociale. Aux vues de l’ampleur et de l’ambition que pourrait revêtir un tel programme de recherche il semble bien que l’héritage de Georg Simmel permette de porter un regard sans cesse renouvelé sur les sociétés et ceux qui les composent.


Bibliographie   

Ouvrages


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٭ Docteur en Droit/Science politique, Chercheur au Centre Lyonnais d’Etude de Sécurité Internationale et de Défense, Université Jean Moulin Lyon 3, post-doctorant à l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève ( thomas.meszaros@noos.fr ).

[1] Conformément à l’usage nous utiliserons l’expression Relations internationales lorsque nous parlerons de la discipline et l’expression relations internationales lorsque nous ferons référence à l’objet d’étude.

[2] C’est l’idée que développe en particulier Barry Buzan dans son article intitulé “From International System to International Society : Structural Realism and Regime Theory Meet English School”.

[3] Chacun des états définit par Barry Buzan sous-tend un objet d’étude spécifique. : le système international est relatif à la politique de puissance entre les Etats ; la société internationale traite de l’institutionnalisation de l’identité partagée entre les Etats, son expansion se réalise par cercles concentriques ; et la société-monde considère les individus, les organisations non gouvernementales et finalement la population globale dans son ensemble comme le centre des arrangements et identités de la société globale » (Buzan, 1996, p.261). L’approche de Barry Buzan constitue une évolution intéressante quant aux logiques qui sont traditionnellement sous-entendues en ce qui concerne les concepts de système et de société. De plus, cette lecture possède l’avantage de combler le vide théorique laissé par l’Ecole anglaise en ce qui concerne le concept de société-monde et son application.

[4] Donald Levine reprenant la métaphore de Lewis Coser sur « l’étranger » dira de Georg Simmel qu’il est « l’éternel étranger dans le champ de la sociologie » (Levine, 1989, p.161 ; Coser, 1958, pp.635-641). Sur le caractère marginal de la pensée de Georg Simmel voir notamment l’ouvrage The Flight from Ambiguity de Donald N. Levine et l’article de Gary Backhaus « Georg Simmel as an Eidetic Social Scientist » (Levine, 1985, p.89 ; Backhaus, 1998, pp.260-281).

[5] Cet article s’inscrit dans le cadre plus large d’une recherche en cours sur le concept de société internationale. Il n’en constitue qu’une étape, imparfaite encore, qui appelle nécessairement à des développements et précisions ultérieures.

[6] Jürgen Habermas et Mathieu Deflem notent à ce titre que « Simmel est un enfant de la fin du siècle ; il appartient encore à cette époque durant laquelle les formations intellectuelles, Kant et Hegel, Goethe et Schiller étaient contemporaines — contemporaines, bien sûr, qui ont déjà été éclipsées par Schopenhauer et Nietzsche. Les concepts fondamentaux de l’esthétique kantienne- schillérienne — liberté et nécessité, esprit et nature, forme et substance — sont ceux que Simmel utilise afin d’expliquer la victoire de Robin sur le classicisme et le naturalisme » (Habermas, Deflem, 1996, p.407). La notion de culture qu’il emploie dans son essai sur la tragédie de la culture est lui aussi d’essence néo-kantienne.

[7] Les travaux de Georg Simmel s’inscrivent en rupture avec la tradition sociologique. Il sont essentiellement théoriques et a-historiques (cette dernière idée doit cependant être relativisée tant il est vrai que Simmel s’est intéressé aux processus historiques comme en témoignent ses réflexions sur les racines sociales de la Renaissance, sur l’émergence du parti du gouvernement dans l’Angleterre moderne ou encore sur certaines structures sociales au Moyen-Age) alors que ceux d’Emile Durkheim sont principalement pratiques et historiques (Wolff, 1958, pp.590-596).

[8] Les affinités qui existent entre la pensée de Georg Simmel et celle de Max Weber réduisent les divergences entre leurs deux sociologies. Ces affinités soulevées par Jim Faught entre les approches de Georg Simmel et Max Weber constituent « les bases d’une théorie de l’organisation sociale qui pourrait conceptualiser l’ambiguïté de la vie sociale impliquée dans un processus de construction dual de « mondes » significatifs et en même temps éprouvant la contrainte structurelle de ces formes » (Faught, 1985, p.172).

[9] Panayis Papaligouras s’inscrit dans la lignée des travaux menés par l’Ecole de Bade qui constitue le second courant du néo-kantisme, le premier étant celui de l’Ecole de Marburg. Le néo-kantisme s’est donné pour objectif de poursuivre la philosophie critique en appliquant la méthode transcendantale à tous les domaines de l’expérience. Panayis Papaligouras propose une « critique de la socialité » qui est la base à partir de laquelle il définit les conditions de possibilité de l’existence sociale puis de l’existence des sociétés internationales.

[10] Papaligouras précise : « J’appelle société l’ensemble des possibilités de l’existence sociale. Kant s’est demandé comment la théorie est possible, plus exactement comment l’existence théorique est possible. Il a appelé nature tout ce qui peut devenir objet de théorie. Ici nous avons déterminé les conditions transcendantales de l’existence sociale. Nous pouvons donc appeler société l’ensemble des possibilités de cette existence » (Papaligouras, 1941, pp.72-73).

[11] Simmel précise : « Si l'on veut donc qu'il y ait une science dont l'objet soit la société et rien d'autre, elle ne voudra pas étudier autre chose que les actions réciproques, les modes et les formes de la socialisation. Car tout ce qui peut encore se trouver d'autre à l'intérieur de la « société », réalisé par elle et dans son cadre, n'est pas la société en soi, mais seulement un contenu qui se constitue ou qui est constitué par cette forme de coexistence, et qui ne se produit évidemment qu'avec cette structure concrète que l'on nomme « société » au sens habituel, plus large. L'abstraction scientifique sépare ces deux éléments indissolublement liés dans la réalité: les formes de l'action réciproque ou de la socialisation ne peuvent être réunies et soumises au point de vue scientifique unitaire que si la pensée les détache des contenus, qui ne deviennent contenus sociaux que par elles – voilà me semble-t-il le seul fondement qui rende pleinement possible une science spécifique de la société en tant que telle. Ce n'est qu'avec celle-ci que les faits que nous désignons comme réalités socio-historiques seraient véritablement projetés sur le plan du pur social » (Simmel, 1999, pp.44-45).

[12] L’apport de Ferdinand Tönnies relatif à la distinction entre communauté et société constitue le point de départ de la réflexion de Barry Buzan sur le concept de société internationale (Buzan, 1993).

[13] Barry Buzan emprunte à la sociologie de Ferdinand Tönnies la distinction entre communauté et société pour décrire les modèles d’émergence d’une société internationale. (entendue comme groupe d’Etats ou communautés politiques indépendantes). La communauté (gemeinschaft) renvoie à une perspective traditionnelle et organique de la société qui implique le rapprochement et l’union autour de sentiments communs, d’expériences ou d’identités partagées. Dans cette optique, pour reprendre Buzan, la société est historique, dans le sens où elle n’est pas créée mais elle se développe historiquement. La société (gesellschaft) quant à elle est contractuelle, elle répond à une construction consciente et volontaire, organisée, plutôt qu’à un sentiment ou une tradition. Buzan souligne ainsi que l’émergence des sociétés internationales renvoie à deux modèles, l’un civilisationnel, le second fonctionnel (Buzan, 1993, pp.333-336). Il note d’emblée qu’il existe peu d’exemples concrets de l’existence de sociétés internationales sur la base du modèle fonctionnel alors que le modèle civilisationnel s’illustre par certains cas de figure historiques (comme le souligne Martin Wight, c’est le cas du système des Cités-Etats de la Grèce antique, ou bien de la Chine antique ou encore dans une certaine mesure de l’Occident).

[14] Nous privilégions une approche stato-centrée qui fait de l’Etat l’acteur majeur des relations internationales. Sans doute le caractère multicentré du système international contemporain, que souligne notamment James Rosenau, nécessiterait-il de prendre en compte d’autres acteurs, non-étatiques et transnationaux, pour rendre compte de leurs interactions (Rosenau, 1989, pp.291-304 ; Laroche, 2000 ; Devin, 2002, p.25 ; Badie, Smouts, 1996 ; Badie, Smouts, 1999).

[15] La nature d’une relation réciproque peut être considérée comme homogène si les acteurs acceptent les formes sociales produites par leurs interactions individuelles ou bien elle peut être considérée comme hétérogène si les acteurs les refusent. Dans le premier cas de figure on parlera d’une société internationale homogène, dans le second, d’une société internationale hétérogène pour qualifier la nature des relations réciproques entre les acteurs.

[16] Il est intéressant de souligner les approches complémentaires, « œcuméniques », qui peuvent être réalisées à partir des constatations formulées par Georg Simmel sur l’interrelation entre les individus et la structure. Ainsi, selon Donald Levine, les formes d’interactions proposées par Georg Simmel et les systèmes d’action mis en évidence par Talcott Parsons ne sont pas fondamentalement incompatibles s’ils sont utilisés de manière alternative. Même si les méthodes et les principes sont divergents, ces deux approches ne sont pas en contradiction du fait même du pluralisme épistémologique de Simmel et Parsons (Levine, 1991, pp.1097-1116 ; Rawls, 1989, pp.124-129).

[17] La société se réalise toujours dans la coexistence de formes contraires qui rendent possibles à n’importe quel moment le changement.

[18] Ce qui n’est pas le cas si l’on considère une « société internationale » comme un ordre en voie de maturation, c’est-à-dire dans laquelle certaines normes et institutions favorisent le règlement des différends entre les membres qui la composent.

[19] Cette approche se retrouve dans une certaine mesure chez Hedley Bull. Dans la société internationale comme dans les autres sociétés, la perception d’intérêts identiques en fonction d’objectifs communs de la vie sociale (contenus de la société) implique des règles et permet ainsi le développement d’un processus de socialisation. Celles-ci peuvent avoir « le statut de lois internationales, de règles morales, de coutumes ou de pratiques établies, ou elles peuvent être simplement des règles opérationnelles ou des « règles du jeu » ». Ces règles sont intégrées dans les institutions dans lesquelles les Etats coopèrent parce qu’ils y sont engagés. Ainsi, pour lui, ce sont les intérêts communs issus des buts élémentaires de la vie sociale (common interests in elementary goals of social life), qui orientent le comportement des acteurs. En effet, pour les auteurs de l’Ecole anglaise cette institutionnalisation ne consiste pas directement en la mise en place d’un cadre administratif mais elle concerne plutôt les pratiques que les Etats ont en fonction de ces buts élémentaires et communs parce qu’ils constituent leurs intérêts aussi (Bull, 1977, pp.64, 74).

[20] De la même manière, il existe des formes a priori qui conditionnent la possibilité de l’existence du processus de socialisation chez les individus.

[21] Panayis Papaligouras fonde sa critique de la socialité sur les catégories de la socialité : l’espace social, le temps social, la raison sociale et le formalisme social, la liste n’est pas exhaustive. Ces catégories ne peuvent être prouvées, elles sont admises en se situant, pour ainsi dire, dans l’existence sociale (Papaligouras, 1941, p.73 et ss).

[22] Pour Panayis Papaligouras les principes de reconnaissance mutuelle et de souveraineté, notamment mais pas uniquement, entrent dans cette catégorie spécifique. Elles sont des conditions de possibilité de la socialité des Etats. Elles témoignent à la fois du principe de généralisation (reconnaissance mutuelle) qui fait qu’un Etat reconnaît un autre Etat comme appartenant même type général, mais aussi du principe de différenciation qui assure à chacun sa singularité et son indépendance (souveraineté). Ces deux principes constituent des formes a priori de la socialité des Etats, c’est-à-dire des conditions de possibilité de leur existence sociale.

[23] Nous qualifierons d’homogènes les sociétés internationales fondées sur des représentations similaires d’Etats considérant partager des images communes (des intérêts, des buts mais aussi des valeurs ou des régimes politiques) et appartenant au même cercle. Nous qualifierons d’hétérogènes des Etats dont la généralisation sociale empêche, du fait même de leur différence en terme de représentation, de déterminer des traits communs et d’appartenir au même « cercle ».

[24] Nous pensons en particulier à des auteurs comme Hedley Bull, Martin Wight, Alexander Wendt ou encore Bertrand Badie, Guillaume Devin ou Frédéric Ramel, pour ne citer qu’eux.

[25] Robert Nisbet précise que c’est précisément le caractère microsociologique des travaux de Simmel qui lui confèrent le statut de pionnier. Son intérêt porté aux éléments intimes des relations humaines lui ont permis de ne jamais perdre de vue la primauté de l’être humain, de l’individu concret, dans son analyse des institutions. Les modèles de solidarité, de loyauté, de subordination, de domination changent au travers du temps renouvelant les modèles d’institutions culturelles et politiques Cela Simmel l’avait compris. Il avait conscience d’une certaine continuité, de répétitions, au travers du temps qui possèdent autant d’importance sur les décision et sur les structures de pouvoir que les transitions de phases culturelles et politiques. C’est précisément pour ces raisons que Simmel constitue une source perpétuelle d’inspiration (Nisbet, 1959, pp.479-481).