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Eté2009 - Vol.12. No. 02

A quoi sert la sociologie?

Raymond Boudon
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques, la British Academy, la Société royale du Canada, l’American Academy of Arts and Sciences, l’Academia europea. Quelques-uns de ses ouvrages : L’inégalité des chances, Paris, Hachette, 2000 (1973) ; La logique du social, Paris, Hachette, 2000 (1979) ; Études sur les sociologues classiques, Paris, PUF, 2000. Déclin des valeurs ? Québec/Paris, PUL, 2002, distr. Gallimard, La rationalité, Paris, PUF, 2002, Renouveler la démocratie : Eloge du sens commun, Paris, Odile Jacob, 2006 ; Le relativisme, Paris, Puf, Que sais-je ? 2008.

Résu :

Selon l’Encyclopaedia Britannica, la sociologie peut légitimement se considérer comme une science, mais comme une science qui ne peut faire état de réussites aussi spectaculaires que les autres et qui paraît incapable de produire un savoir cumulatif, sauf sur des sujets particuliers : « It is evident that sociology has not achieved triumphs comparable to those of the several older and more heavily supported sciences. A variety of interpretations have been offered to explain the difference – most frequently, that the growth of knowledge in the science of sociology is more random than cumulative. The true situation appears to be that in some parts of the discipline (...) there has in fact taken place a slow but accelerating accumulation of organized and tested knowledge. In some other fields the expansion of the volume of literature has not appeared to have had this property. Critics have attributed the slow pace to a variety of factors (...) »[1].

Il est vrai que la sociologie connaît des hauts et des bas, qu’elle donne l’impression à la fois d’être et de ne pas être une science comme les autres. Dans le même temps, elle apparaît comme de plus en plus fermement installée de par le monde. Dans la troisième édition[2] de cette référence planétaire qu’est l’International Encyclopedia of the Social and Behavioral Sciences, elle est fort bien servie : plus de 200 articles lui sont consacrés, contre par exemple 100 à l’économie, 150 à l’histoire, 130 à la linguistique, 130 à la démographie, 100 à la philosophie ou 40 à l’archéologie. Comment expliquer ces contradictions ? 

Mots clés : sociologie, science, littérature, finalité.  

Abstract : 

According to Encyclopaedia Britannica, sociology can be legitimately regarded as a science, but as a science which can give a report on successes also spectacular only the others and which appears unable to produce a cumulative knowledge, except on particular subjects: “Obvious It is that sociology has not achieved triumphs comparable to those off the several older and more heavily supported sciences. With variety off interpretations cuts been offered to explain the difference - most frequently, that the growth off knowledge in the cumulative science off sociology is more random than. The true situation appears to Be that in sum shares off the discipline (...) there has in fact taken place has slow fox trot drank accelerating accumulation off organized and tested knowledge. In nap other fields the expansion off the volume off literature has not appeared to cuts had this property. Critics cuts attributed the slow fox trot pace to has variety off factors (...). ” It is true that sociology knows tops and bottoms, that it at the same time gives the impression to be and not to be a science like the others. In same time, it seems more and more firmly installed all over the world. In the third edition2 of this planetary reference that off the Social and Behavioral Sciences is International Encyclopedia, it is extremely well been useful: more than 200 articles are devoted to him, against for example 100 with the economy, 150 with the history, 130 with linguistics, 130 with demography, 100 with philosophy or 40 with archaeology. How to explain these contradictions?  

Key words : sociology, science, literature, finality.   

À quoi sert la sociologie ?   

La sociologie : science ou genre littéraire ?  

Pour répondre à cette question, il est commode de partir d’un ouvrage de l’historien allemand de la sociologie W. Lepenies (1990). Les fondateurs de la sociologie se sont sentis d’emblée confrontés, avance-t-il, à un choix fondamental : peut-elle, comme les sciences de la nature, chercher en premier lieu à créer du savoir ? Ou bien doit-elle prendre acte de ce que la complexité des phénomènes sociaux les rend inaccessibles à l’analyse scientifique, et développer plutôt des analyses de caractère essayiste qui, à défaut de pouvoir être vraies ou fausses, soient surtout plus ou moins séduisantes ? Doit-elle se donner une finalité essentiellement cognitive ou viser un objectif qu’on peut qualifier, en prenant ce mot au sens étymologique, d’esthétique (Chazel, 2000) ?

Réponse de Lepenies : la sociologie témoigne d’une oscillation constante entre la science et la littérature, au point qu’elle peut être décrite comme une « troisième culture ». Les sociologues classiques, déclare-t-il, ont indûment affiché des prétentions scientifiques : leur production revêt un caractère esthétique ou idéologique ; ils sont des « intellectuels » et non des scientifiques ; les cénacles et les écoles sociologiques rappellent davantage les « mondes de l’art » ou de la littérature que ceux de la science. Bref, la sociologie serait un genre littéraire : le genre spécialisé dans l’essayisme social.

Il est vrai que, des origines à nos jours, la sociologie apparaît comme ballottée entre la science et la littérature. E. Goffman, qu’on n’hésita pas ici ou là, il y a quelques années, à présenter comme « le plus grand sociologue américain de sa génération », a surtout décliné avec talent des évidences, déclare Tom Burns dans la rubrique nécrologique qu’il lui consacre dans le Times Literary Supplement, sous le titre « Stating the obvious ». Goffman dut son succès à ce qu’il décrivit avec acuité l’hypocrisie de la vie sociale ; cela lui valut des tirages plus typiques des best-sellers littéraires que des ouvrages scientifiques. En même temps, précise Burns, décidément peu respectueux du principe de mortibus nihil nisi bene, les sociologues d’orientation scientifique éprouvèrent de la difficulté à discerner quels étaient au juste les apports de Goffman à la connaissance. D. Riesman, peut-on ajouter, avait fait mieux encore que lui et réussi à dépasser le million d’exemplaires, car, en décrivant brillamment dans sa Foule solitaire l’isolement de l’individu dans les sociétés de masse, il avait capté l’attention de tout un public souffrant de mal-être.

Mais Goffman et Riesman ne sont pas des cas isolés. Dans les dernières années du XIXe siècle, Le Bon avait, de même, connu de considérables succès de librairie en agitant le spectre des « foules » à une époque où ce que nous appelons plutôt les « masses » paraissent devenir un acteur essentiel sur la scène de l’histoire.

Aujourd’hui, d’autres sociologues sont parvenus à se tailler un certain succès en déclinant une fois de plus les thèmes inusables de l’« intellectualisme prolétaroïde » (pour reprendre l’expression de Max Weber) : dénonciation du pharisaïsme des « dominants » ou de la misère du monde. On peut qualifier d’expressif le genre sociologique illustré par Goffman, Riesman, Le Bon et les autres. Il est à la fois le plus visible et le moins scientifique.

Ce n’est pas celui qu’ont pratiqué les grands sociologues classiques. Ils n’ont pas seulement affirmé la vocation scientifique de la sociologie ; plusieurs d’entre eux ont aussi voulu la souligner de façon ostentatoire. C’est parce qu’il souhaitait exprimer sa foi dans le caractère scientifique de la sociologie que Durkheim a utilisé un style dépourvu de charme, alors qu’il possédait une solide culture littéraire. Selon l’historien F. Meinecke, Max Weber a carrément décidé de priver délibérément ses écrits de tout pouvoir de séduction, par la raison qu’un homme de science doit s’interdire, comme il le déclare expressément, d’influencer « psychologiquement » son lecteur.

Tocqueville fut, lui, un admirable styliste. Mais il a aussi fustigé dans ses Souvenirs, en des termes cruels, ce qu’il appelle l’« esprit littéraire », indiquant par là qu’on ne saurait confondre l’émotion avec la connaissance, ni la rhétorique avec l’analyse. Mais l’important est qu’il ne s’agit pas là de simples prétentions. Tocqueville est un homme de science, au sens le plus irrécusable du terme, en ce qu’il a proposé des théories solides sur maints sujets énigmatiques. Ce qui est vrai de Tocqueville l’est aussi de Durkheim. Non sans raison, un Péguy l’a accusé d’idéologie. Mais s’il a pris la stature d’un classique, c’est qu’il est surtout l’auteur de découvertes incontestables à propos de phénomènes mystérieux : sur l’origine des croyances magiques ou des croyances en l’immortalité de l’âme, sur les causes des variations statistiques des taux de suicide, et sur maints autres sujets.

Bref, le genre cognitif s’est non seulement imposé comme une évidence aux classiques des sciences sociales, mais ils ont bel et bien tenu leur pari sur ce point, même si leurs œuvres comprennent aussi des aspects impressionnistes, voire idéologiques. C’est pourquoi l’idée de ranger Tocqueville, Durkheim ou Weber dans la catégorie des « intellectuels » apparaît comme si saugrenue et sonne si faux aujourd’hui, où l’usage tend – malheureusement peut-être, mais non sans raison – à qualifier d’« intellectuels » les artistes, écrivains, sociologues, philosophes ou scientifiques, dont la visibilité est due davantage aux messages publics qu’ils délivrent dans les médias « branchés » sur des sujets sociaux, moraux ou politiques sur lesquels ils n’ont pas toujours une compétence particulière, qu’à l’importance de leur œuvre dans le registre qui est le leur.

Lepenies occulte donc un aspect essentiel de la réalité historique. En outre, sa thèse est désespérément imprécise : qu’est-ce au juste qu’une culture intermédiaire entre la littérature et la science ? L’on peut en réalité se passer de cette notion confuse et relever plutôt que, si les sociologues classiques ont développé des considérations impressionnistes, esthétiques ou idéologiques, ils ont aussi et surtout – car c’est à cet aspect de leur œuvre qu’ils doivent leur qualité de « classiques » – proposé des théories d’une incontestable validité sur des sujets divers. Mais le fait que Weber et Durkheim, d’un côté, le comte de Saint-Simon, Proudhon ou Le Bon, de l’autre, soient indistinctement perçus comme des « sociologues » indique suffisamment que, depuis les origines, la sociologie a des allures d’auberge espagnole.   

Le genre cognitif  

J’illustrerai le genre cognitif à partir d’échantillons empruntés à trois des pionniers que je viens de mentionner (voir Boudon, 1998 ; 2000 ; 2001). Je les présenterai de façon quelque peu détaillée, afin que le lecteur – le lecteur non sociologue en particulier – puisse juger sur pièces de mon assertion selon laquelle les démonstrations sociologiques sont rigoureusement de même nature que celles de n’importe quelle discipline scientifique. J’aurais pu facilement choisir mes exemples dans la sociologie moderne. Mais, vu l’importance quantitative de la production moderne, un tel choix aurait présenté l’inconvénient de ne pouvoir éviter l’arbitraire. 

Tocqueville :

C’est peut-être la toute première phrase de l’Avant-propos du grand livre de Tocqueville, L’Ancien régime et la révolution, qui permet de mieux saisir son programme scientifique : « CECI N’EST PAS UN LIVRE D’HISTOIRE ». Après avoir claironné que son livre n’était pas un livre d’histoire, Tocqueville ne fait aucun effort pour identifier la discipline à laquelle, dans son esprit, il se rattache. Mais nous n’avons pas aujourd’hui la moindre hésitation à ce sujet : L’Ancien régime est un chef-d’œuvre de la sociologie comparative. Car il vise non à proposer un nouveau récit de la Révolution française, mais à expliquer toute une série de différences entre la France et l’Angleterre de la fin du XVIIIe siècle. Pourquoi les Français du XVIIIe siècle ne jurent-ils que par la Raison avec un grand R, mais non les Anglais ? Pourquoi l’agriculture anglaise connaît-elle une modernisation beaucoup plus spectaculaire que la française à la fin du XVIIIe siècle ? Pourquoi la France de l’époque ne compte-t-elle qu’une grande ville et des villes de taille médiocre, alors que l’Angleterre compte plusieurs villes importantes en dehors de Londres ? Et, bien sûr, pourquoi l’Angleterre a-t-elle pu faire l’économie d’une révolution à une époque où la modernisation de la France s’effectue dans les convulsions ?

C’est exactement le même type d’entreprise que Tocqueville avait conduit dans De la démocratie en Amérique et notamment dans sa seconde Démocratie, celle de 1845 : il y repère toute une liste de différences entre la société française et la société américaine. Pourquoi, se demande-t-il par exemple, les Américains demeurent-ils beaucoup plus religieux que les Français, malgré le matérialisme qui imprègne leur société ? Pourquoi pratiquent-ils souvent leur religion avec une « exaltation » qu’on observe beaucoup plus rarement en France ? De ces phénomènes, Tocqueville propose une explication si efficace qu’elle nous permet de comprendre pourquoi, de nos jours encore, les Américains apparaissent, au vu de toutes les enquêtes, comme beaucoup plus religieux que les Européens, ou pourquoi le phénomène des télé-évangélistes paraît n’avoir guère de chances de traverser l’Atlantique.

Le strident « ceci n’est pas un livre d’histoire » indique donc que Tocqueville était parfaitement conscient d’avoir créé une discipline scientifique nouvelle. Il ne lui avait certainement pas échappé que Montesquieu avait pratiqué le comparatisme avant lui. Mais il savait qu’il mettait en œuvre une méthodologie beaucoup plus efficace. S’il ne pouvait guère identifier l’originalité de son entreprise en parlant de « sociologie », c’est que ce mot hybride, mi-grec mi-latin, n’était pas encore installé du temps du Second Empire. De plus, il avait été mis sur le marché par Auguste Comte, un personnage socialement et intellectuellement aussi éloigné que possible de Tocqueville.

La sociologie de Tocqueville (mais c’est aussi le cas de celle de Weber) se caractérise par le fait qu’elle pose à la matière historique et sociale des questions librement formulées de type « pourquoi ?... » et qu’elle tente d’apporter à ces questions des réponses obéissant à une méthodologie qui est celle de toute discipline scientifique. Les explications de Tocqueville sont bâties de la même manière que celles, disons, de Huygens : elles rendent transparents des phénomènes opaques pour l’esprit en les interprétant comme la conséquence d’un ensemble articulé de propositions dont chacune est suffisamment fondée pour apparaître comme facilement acceptable. C’est pourquoi ses analyses apparaissent souvent comme définitives. Ce qui démontre que, pour Tocqueville, comme pour Weber ou Durkheim, et généralement pour tous les sociologues qui croient que leur discipline peut, comme n’importe quelle autre, produire des connaissances solides, le raisonnement sociologique n’a aucune spécificité.   

Le sous-développement de l’agriculture française  

Ainsi, Tocqueville s’interroge dans L’Ancien régime sur le contraste saisissant entre la France et l’Angleterre du XVIIIe siècle, s’agissant du développement de l’agriculture. Bien que les physiocrates soient alors fort influents à Versailles, l’agriculture française stagne, alors que l’agriculture anglaise se modernise rapidement. Pourquoi ? En raison de l’absentéisme des propriétaires fonciers français. Pourquoi cet absentéisme ? Parce que la centralisation administrative fait qu’en France occuper une charge royale est plus facile et socialement plus rémunérateur qu’en Angleterre : ces charges y sont plus nombreuses et par suite plus accessibles, et elles donnent à ceux qui les occupent un pouvoir, une influence et un prestige plus grands qu’en Angleterre. Les propriétés foncières tendent donc en France à être gérées par des métayers dépourvus de capacité d’innovation. En Angleterre, le tableau est très différent : les charges officielles sont moins nombreuses ; de surcroît, le pouvoir local y étant beaucoup plus indépendant du pouvoir central qu’en France, la vie locale offre toutes sortes d’opportunités aux ambitieux. Le propriétaire foncier anglais est donc beaucoup moins incité à quitter ses terres pour aller à la capitale servir le roi que ne l’est son homologue français. Moderniser ses domaines est pour lui une bonne stratégie : elle peut lui attirer une reconnaissance et une popularité éventuellement convertibles en influence politique.   

La religiosité américaine  

L’« exception religieuse américaine » a été considérée par plusieurs grands sociologues comme profondément énigmatique. En effet, cette « exception » représente un défi à la « loi » évolutive énoncée par Comte, par Tocqueville lui-même, par Durkheim, par Weber, selon laquelle la modernité entraînerait le « désenchantement du monde ». Elle est d’autant plus énigmatique que les États-Unis sont la société occidentale où, selon la loi en question, le « désenchantement » aurait dû être le plus prononcé. Comment expliquer que la société la plus moderne, la plus matérialiste aussi, demeure du temps de Tocqueville et reste aujourd’hui la plus religieuse des nations occidentales (Inglehart et al., 1998) ? L’énigme est suffisamment déconcertante pour avoir été explorée par Adam Smith, par Tocqueville, par Max Weber et par plusieurs auteurs modernes (voir Iannaccone, 1991). Mais ces derniers n’ont pas apporté d’éléments vraiment nouveaux par rapport à ces trois auteurs classiques : un peu comme la théorie du pendule est close depuis Huygens, on a l’impression que la théorie polycéphale de Smith-Tocqueville-Weber épuise largement le sujet de l’exception religieuse américaine.

Je m’en tiendrai à la contribution de Tocqueville dans la seconde Démocratie en Amérique. Le caractère explosé des institutions religieuses américaines (une multitude de sectes, pas d’Église dominante) a interdit la concurrence entre le spirituel et le politique qui apparaît par exemple en France pendant la Révolution de 1789. Par voie de conséquence, les sectes américaines ont conservé des fonctions sociales essentielles (le trio Health, Education, Welfare) qui sont passées aux mains de l’État dans les nations européennes. Le caractère fédéral de l’État américain, la limitation sévère des zones de compétence du fédéral ont joué dans le même sens. Il en résulte que, dans sa vie de tous les jours, le citoyen américain a recours aux services d’institutions gérées par les clergés et/ou financées par les Églises. Il lui est difficile, dans ces conditions, de développer des sentiments négatifs à leur endroit.

De surcroît, la multiplicité des sectes a fait qu’aux États-Unis une grande tolérance s’est développée à l’égard des « croyances dogmatiques ». Comme ces croyances varient d’une secte à l’autre, on en est vite arrivé à l’idée que les vérités dogmatiques relèvent dans une très large mesure de l’appréciation personnelle. Cette valorisation de l’interprétation personnelle du dogme est latente dans le protestantisme. Elle est renforcée dans une situation où les sectes sont multiples. Cette donnée a engendré à son tour un effet crucial : les croyances dogmatiques étant très diverses, le fond commun du protestantisme américain est de nature beaucoup plus « morale » que « dogmatique ». En Amérique, les chrétiens et les protestants en particulier se reconnaissent donc plutôt dans les valeurs morales dont le christianisme est porteur que dans les articles du dogme. Il en résulte que la religiosité américaine a eu beaucoup moins à souffrir que la religiosité française de la contestation opposée au dogme par les progrès des sciences.

En suivant le droit fil de la pensée de Tocqueville, on peut forger des conjectures plausibles permettant d’expliquer des différences qui, aujourd’hui encore, sautent aux yeux entre la « culture » américaine et les « cultures » européennes : la morale étant davantage détachée de tout dogme religieux aux États-Unis, elle est plus puissante et davantage partagée ; on s’explique alors plus facilement que celui qui, dans sa vie privée, s’écarte des règles admises s’expose à être montré du doigt aux États-Unis, là où en France il est au contraire protégé au nom du respect des libertés individuelles et de la vie privée. Cet exemple illustre une leçon de méthode essentielle : même les différences « culturelles » entre nations doivent s’expliquer par le sens qu’elles ont dans l’esprit des individus.

Si l’on résume le programme de Tocqueville, tel qu’on peut le reconstruire à partir de ses analyses, il se définit par les principes suivants : 1 / l’objectif de la sociologie est d’expliquer des phénomènes opaques pour l’esprit ;

2 / expliquer un phénomène, c’est, en sociologie comme dans toute discipline scientifique, en retrouver les causes ;

3 / les causes des phénomènes sociaux sont à rechercher du côté des attitudes, des choix et des représentations des individus ;

4 / les attitudes, les choix et les représentations des individus sont par principe compréhensibles : leur sens pour l’individu en est la cause ;

5 / étant entendu que les attitudes, les choix et les représentations des individus ne sont compréhensibles que si l’on tient compte du contexte auquel appartient l’individu. 

Max Weber :

Weber voit, lui aussi, dans la sociologie une science comme les autres. Comme toute science, elle doit donc, selon Weber, ramener les phénomènes macroscopiques auxquels elle s’intéresse à leurs causes microscopiques.  

« La sociologie compréhensive (telle que nous la concevons) considère l’individu isolé et son activité comme étant son unité de base, je dirai : son “atome” ».« Si je suis devenu sociologue, c’est surtout pour mettre fin à cette industrie à base de concepts collectifs dont le spectre rôde toujours. En d’autres termes, la sociologie, elle aussi, ne peut partir que de l’action des individus, qu’ils soient nombreux ou non : bref, elle doit opérer de façon strictement “individualiste” s’agissant de la méthode »[3] 

Ainsi, toute la sociologie de la religion de Weber est fondée sur le principe de méthode que les causes des croyances religieuses résident dans le sens que leur prêtent les sujets sociaux et, plus précisément, dans les raisons qu’ils ont de les endosser. Il y a sur ce point convergence parfaite entre les considérations théoriques des Essais sur la théorie de la science et les analyses empiriques des Essais de sociologie de la religion (voir Weber, 1965 ; 1988).   

Attirance et répulsion pour le monothéisme  

Pourquoi, dans la Rome antique ou dans la Prusse moderne, les fonctionnaires, les militaires et les politiques sont-ils attirés par les cultes qui, comme le mithraïsme ou la franc-maçonnerie, proposent une vision désincarnée de la transcendance, la voient comme soumise à des règles qui la dépassent et conçoivent la communauté des fidèles comme hiérarchisée sous l’effet de rituels initiatiques ? Parce que les articles de foi de ces religions sont congruents avec la philosophie sociale et politique de ces catégories sociales. Leurs membres croient qu’un système social ne peut fonctionner que sous le contrôle d’une autorité centrale légitime ; que celle-ci doit être mue par des règles impersonnelles ; ils adhèrent à une vision fonctionnelle et hiérarchisée de la société ; ils pensent que cette hiérarchisation doit être fondée, comme c’est effectivement le cas dans l’État romain ou prussien, sur des compétences déterminées à partir de procédures formalisées. Les principes d’organisation politique de l’État « bureaucratique » leur semblent au total traduire une philosophie politique juste ; quant aux rituels initiatiques du mithraïsme ou de la franc-maçonnerie, ils les perçoivent comme exprimant les mêmes principes sur un mode métaphysico-religieux.

En revanche, les paysans romains acceptent difficilement le monothéisme qui séduit les centurions et les fonctionnaires, nous dit Weber, parce que l’incertitude caractéristique des phénomènes naturels leur paraît difficilement compatible avec l’idée que l’ordre des choses puisse être soumis à une volonté unique, celle-ci impliquant un minimum de cohérence et de prévisibilité ; ils sont attirés par le polythéisme ou l’animisme plutôt que vers le monothéisme, parce que ces « théories » leur paraissent davantage congruentes avec le caractère aléatoire des phénomènes naturels.   

Attrait et influence du puritanisme  

Weber revient à maintes reprises sur le sujet de la théodicée, dans Economie et société et dans ses Essais de sociologie de la religion. Tant que le monde est conçu comme régi par des dieux en compétition ou en conflit les uns avec les autres, l’explication des imperfections du monde ne fait guère difficulté. Les dieux ont leurs partisans : ceux-ci se battent entre eux au nom de leur dieu, pour leur dieu ou sous son influence ; les phénomènes sont vus comme soumis à des influences contraires et comme desservant des intérêts opposés entre eux. Dès lors que le monde est conçu comme soumis à une volonté unique, la théodicée est par contre perçue par le croyant comme un problème central.

À cet égard, les religions historiques ont proposé, nous dit Weber, un petit nombre de solutions. Le dualisme manichéen, la doctrine de la transmigration des âmes et la théorie de la prédestination représentent les trois solutions principales que les religions historiques proposent de l’imperfection du monde. Zoroastrisme, bouddhisme et christianisme illustrent respectivement ces trois solutions.

Arrêtons-nous à la troisième solution, celle que propose notamment le puritanisme : Dieu étant tout-puissant, ses décisions ne sauraient être affectées par les actions des hommes. Il a pris ses décisions de toute éternité. Si elles apparaissent parfois difficilement compréhensibles, si le bon est souvent frappé par la vie et le méchant comblé, c’est que les décrets de Dieu sont insondables. La solution calviniste, puis puritaine, du deus absconditus est celle qui apparaît à Weber comme la plus remarquable. Elle est plus simple que la solution indienne, moins « facile » que la solution manichéenne, et davantage compatible avec la notion de la toute-puissance de Dieu.

C’est parce qu’elle a une force logique intrinsèque, si l’on peut dire, que cette troisième solution apparaît, à l’instar des deux autres, non seulement comme une composante du calvinisme et de beaucoup des mouvements religieux qu’il a inspirés, mais comme un élément latent dans beaucoup d’autres. L’idée de la prédestination est présente chez saint Augustin, mais aussi, nous dit Weber, dans le judaïsme antique. C’est le sens du livre de Job : il témoigne de l’omnipotence du créateur. Dieu impose au juste des épreuves incompréhensibles. Pourquoi Job se plaindrait-il ? « Les animaux pourraient déplorer tout autant de ne pas avoir été créés hommes que les damnés pourraient se lamenter que leur peccabilité ait été fixée par la prédestination (le calvinisme le déclare expressément) ».

On décèle une ébauche de l’idée du caractère insondable des décrets divins dans plusieurs autres passages de l’Ancien Testament. Le calvinisme n’a donc fait que rendre centrale une idée présente dans le judaïsme antique, et qui apparaît très tôt parce qu’elle est comme un corollaire de la notion de la toute-puissance de Dieu, et qu’elle offre au problème de la théodicée la solution qui préserve le mieux les droits de Dieu et de l’éthique (Boudon, 2001).

Comme les autres solutions au problème de la théodicée, celle du deus absconditus est riche de conséquences inattendues : Dieu étant inaccessible pour le croyant, celui-ci ne peut plus chercher à entrer en contact avec lui. En dehors des « virtuoses », le croyant moyen renonce à approcher Dieu, il se contente d’accomplir avec application et méthode son rôle en ce monde. S’il réussit dans ses entreprises, il aura tendance à penser qu’il appartient à la cohorte des élus. Quand Dieu est tout-puissant, on ne peut plus le posséder, on peut seulement en être l’instrument. Avec la solution du deus absconditus, la magie est disqualifiée : aucune « technique » ne saurait en effet influencer un Dieu tout-puissant. La solution puritaine au problème de la théodicée devait finalement contribuer puissamment à la disqualification de la magie et, par là, au développement de la science, à la substitution de l’éthique au ritualisme, à la rationalisation capitaliste de l’économie et, sur le long terme, à la laïcisation des sociétés.

On retrouve bien chez Weber, comme ces exemples suffisent à le montrer, le même objectif que chez Tocqueville : identifier, comme le fait couramment le biologiste par exemple, les causes microscopiques des phénomènes macroscopiques qu’on cherche à expliquer. Ici : analyser des croyances collectives et leurs effets macroscopiques (non intentionnels) en montrant que les individus, dans tel ou tel contexte, ont des raisons fortes de croire ce qu’ils croient. 

Durkheim :

Le programme de Durkheim est moins lisible si l’on s’en tient à l’exposé doctrinal qu’il en donne dans les Règles de la méthode sociologique. Mais, dès lors qu’on examine ses analyses, il n’est pas difficile de retrouver chez lui le même programme que chez Tocqueville ou Weber.   

Théorie de la magie  

À côté de la théorie de l’âme, la théorie proposée par Durkheim de la magie est l’une des théories les plus remarquables contenues dans Les formes élémentaires de la vie religieuse. On peut la résumer de la façon suivante.

Selon cette théorie, il faut d’abord reconnaître que le savoir du « primitif » n’est pas celui de l’Occidental. Il n’a pas, comme lui, été initié à la méthodologie de l’inférence causale et il n’a aucune raison de maîtriser les principes de la biologie ou de la physique. La conduite de la vie quotidienne, mais aussi la production agricole, la pêche ou l’élevage supposent toutes sortes de savoir-faire. Pour une part, ceux-ci sont tirés de l’expérience. Mais les données de l’expérience ne peuvent prendre sens que sur le fond de représentations générales ou « théoriques » de la vie, de la croissance, de la mort, de la nutrition et, de manière générale, des processus vitaux. Ces représentations ne pouvant pas être directement tirées de l’expérience, le « primitif » les tire normalement du corpus de savoir disponible et tenu pour légitime dont il dispose. Dans le cas des sociétés qu’envisage Durkheim, ce sont les doctrines religieuses qui fournissent des explications du monde permettant de coordonner les données de l’expérience sensible. Ces doctrines jouent donc dans les sociétés traditionnelles le rôle de la science dans nos propres sociétés, au sens où elles représentent le corpus de savoir légitime :  

« Le grand service que les religions ont rendu à la pensée est d’avoir construit une première représentation de ce que pouvaient être ces rapports de parenté entre les choses [...] entre la logique de la pensée religieuse et la logique de la pensée scientifique, il n’y a pas un abîme. L’une et l’autre sont faites des mêmes éléments essentiels [...] ». 

Quant aux croyances magiques, elles ne sont autres que les recettes que le « primitif » tire de la « biologie » qu’il construit à partir des doctrines religieuses en vigueur dans sa société.  

« Nous pouvons maintenant comprendre d’où vient qu’elle [la magie] est ainsi toute pleine d’éléments religieux : c’est qu’elle est née de la religion ». 

Une question se pose alors : les recettes magiques manquent d’efficacité ; les croyances et les attentes auxquelles elles donnent naissance tendent en d’autres termes à être contredites par le réel une fois sur deux. Comment se fait-il alors que leur crédibilité se maintienne ? Conscient de cette objection, Durkheim explique le fait que les croyances magiques ne soient pas remises en cause par le verdict négatif de l’expérience par une série d’arguments efficaces.

Anticipant sur des développements importants de la sociologie moderne des sciences, il avance que les hommes de science ont de bonnes raisons de ne pas abandonner une théorie contredite par les faits : ne pouvant identifier les éléments de la théorie responsables de la contradiction, ils peuvent en effet toujours espérer qu’elle résulte d’un élément secondaire et, par suite, qu’une modification mineure de la théorie se révélera capable de la réconcilier avec les faits :  

« Quand une loi scientifique a pour elle l’autorité d’expériences nombreuses et variées, il est contraire à toute méthode d’y renoncer trop facilement sur la découverte d’un fait qui paraît la contredire. Encore faut-il être sûr que ce fait ne comporte qu’une seule interprétation et qu’il n’est pas possible d’en rendre compte sans abandonner la proposition qu’il semble infirmer. Or l’Australien ne procède pas autrement quand il attribue l’insuccès d’un Intichiuma à quelque maléfice... »  

Exactement comme les hommes de science, nous dit Durkheim, les magiciens imaginent sans difficulté des hypothèses auxiliaires pour expliquer pourquoi leur théorie a échoué : les rituels n’ont pas été accomplis comme il le fallait ; les dieux étaient de mauvaise humeur ce jour-là ; des facteurs non identifiés ont perturbé l’expérience, etc.

Pour que la foi en une théorie s’estompe, il faut encore que celle-ci soit remplacée par une théorie concurrente. Or les sociétés traditionnelles sont caractérisées par le fait que les interprétations du monde qu’elles endossent sont faiblement évolutives. Le marché de la construction des théories y est peu actif et il est normalement moins concurrentiel s’agissant des théories religieuses que des théories scientifiques.

De surcroît, la réalité peut confirmer des croyances fausses. C’est un argument d’une remarquable subtilité que Durkheim développe ici : les rituels destinés à faire tomber la pluie (ou à faciliter la reproduction des troupeaux) sont effectués à l’époque où la pluie a plus de chances de tomber (ou les animaux de s’accoupler). Ainsi, la croyance en une relation de causalité fausse peut être confirmée par l’existence de corrélations qui, bien que fallacieuses, sont réelles :  

« De plus, l’efficacité physique elle-même [des rituels magiques] n’est pas sans trouver dans les données de l’observation objective une confirmation au moins apparente. Il est normal, en effet, que l’espèce totémique se reproduise régulièrement ; tout se passe donc, dans la très grande généralité des cas, comme si les gestes rituels avaient réellement produit les effets qu’on en attendait. Les échecs sont l’exception. Comme les rites, surtout ceux qui sont périodiques, ne demandent rien d’autre à la nature que de suivre son cours régulier, il n’est pas surprenant que, le plus souvent, elle ait l’air de leur obéir. Ainsi, s’il arrive au croyant de se montrer indocile à certaines leçons de l’expérience, c’est en se fondant sur d’autres expériences qui lui paraissent plus démonstratives. Le savant ne fait pas autrement ; il y met plus de méthode ». 

Durkheim suggère au total que les croyances collectives que l’on observe dans les sociétés traditionnelles et que l’on perçoit comme « magiques » ne sont pas d’une essence autre que les croyances collectives qu’on observe dans les nôtres. Mais, comme le développement de la science a frappé d’une obsolescence définitive un certain nombre de ces croyances, quand nous constatons que quelqu’un continue d’y souscrire, nous avons tendance à le considérer comme irrationnel.

En fait, suggère Durkheim, ces croyances magiques sont des conjectures que le « primitif » forge à partir du savoir qu’il considère légitime, exactement comme nous adhérons nous-mêmes, à partir du savoir qui est le nôtre, à toutes sortes de relations causales dont les unes sont fondées, mais dont les autres sont tout aussi fragiles ou illusoires que celles des « primitifs ».

Ces croyances s’expliquent exactement de la même façon que les croyances des primitifs, par le fait qu’elles font sens pour nous ; en d’autres termes, que nous avons des raisons d’y adhérer. 

Les réussites du programme Tocqueville-Weber-Durkheim :

Bref, il n’est pas difficile d’identifier dans la sociologie classique des réussites scientifiques irrécusables. Dans tous les exemples précédents, des phénomènes sociaux à première vue opaques pour l’esprit sont ramenés à leurs causes premières, lesquelles résident dans des actions ou des croyances individuelles compréhensibles. Ces explications sont si efficaces qu’elles se sont imposées de façon irréversible et ont pris le statut de vérités scientifiques. Bien d’autres exemples tout aussi spectaculaires par l’efficacité des explications proposées pourraient être facilement empruntés aux mêmes auteurs.

Il n’est pas facile d’expliquer pourquoi les Français du XVIIIe siècle vouent à la Raison un culte qui fait sourire les Anglais. Tocqueville l’a fait.

Il n’est pas facile d’expliquer pourquoi le couple ciel-enfer ne se cristallise que tardivement dans l’histoire du christianisme ; ou pourquoi les pharisiens du temps de Tibère croient à la résurrection des morts, alors que les sadducéens n’y croient pas. La réponse à ces questions est – à l’évidence – tout sauf évidente. Max Weber l’a donnée.

Il n’est pas facile d’expliquer pourquoi les taux de suicide baissent en période de crise politique nationale ou internationale. Durkheim a proposé une réponse à cette question.Il serait tout aussi facile de donner des exemples empruntés à la sociologie moderne. Elle aussi offre de très nombreuses contributions obéissant au programme TWD (je désigne ainsi le programme illustré par Tocqueville, Weber ou Durkheim). De nombreuses études, appliquant les principes du programme TWD, contribuent à expliquer efficacement des phénomènes opaques relevant de multiples chapitres de la sociologie : ceux traitant du crime, de la mobilité et de la stratification sociale, de l’éducation, du changement social, des organisations, de l’action collective, des normes et des valeurs ; des phénomènes de mobilisation, d’innovation, de diffusion ; des croyances collectives, de l’opinion publique, des institutions, etc. Mises bout à bout, ces recherches non seulement présentent un caractère cumulatif, mais elles ont dans bien des cas modifié en profondeur la perception que nous avons de ces phénomènes[4].

Cela ne veut pas dire que les productions de la sociologie qui relèvent du programme cognitif TWD soient les plus populaires. Au contraire, le public préfère les productions sociologiques relevant du type expressif ou critique ou les « grandes » théories à base de ces « concepts collectifs » qui hérissaient tant Weber. Comme l’indique Pareto, on préfère souvent une théorie simple et/ou utile à une théorie vraie. Non sous l’effet d’on ne sait quelle perversion, mais parce qu’une théorie simple – comme l’eût dit M. de la Palice – se comprend facilement et que l’« utilité » d’une théorie est immédiatement perceptible, alors qu’il peut être difficile d’en déterminer la justesse. S’agissant des sciences humaines, chacun a facilement l’impression de pouvoir juger de la validité d’une théorie : il suffit, pour qu’on la ressente comme vraie ou comme fausse, qu’elle évoque des observations familières ou qu’elle provoque une sympathie ou une antipathie immédiate, pour des raisons affectives, idéologiques ou politiques. Ainsi, la théorie nietzschéenne des origines du christianisme est devenue instantanément célèbre : elle est simple et « utile ». La critique sévère et définitive que Weber en a proposée est en revanche peu connue, même des étudiants de sociologie, car elle est complexe et « inutile », au sens où elle ne légitime aucune idéologie en particulier. De même, la théorie du bouc émissaire est facilement mobilisée pour expliquer toutes sortes de phénomènes, dont l’antisémitisme : peu importe qu’elle soit inacceptable ; elle est simple et « utile » (Erner, 2002). On peut même aller plus loin : le critère utile / inutile tend à dominer le critère vrai / faux. On le voit à ce qu’une théorie fausse et utile passe souvent pour vraie, dès lors que sa fausseté n’est pas trop apparente. Si elle est obscure mais se donne pour complexe, elle passera même facilement pour profonde. Une théorie simple et vraie a, de son côté, des chances d’être perçue comme naïve, si elle est vue comme inutile ou a fortiori comme nuisible.

Il en va des médiateurs comme du public général : devant traiter des sujets les plus divers, on ne peut attendre d’eux qu’ils aient le loisir ou les moyens de déterminer le degré de validité d’une théorie. En revanche, il leur est facile de voir si elle est « utile » (en particulier : de voir si elle conforte les passions générales et dominantes ou les idéologies en vigueur). De surcroît, étant inévitablement soumis à la loi de la recherche de l’audience, ils sont normalement portés à ne servir à leur public que ce que celui-ci, à leur sens du moins, veut entendre. C’est pourquoi, sous couleur d’être des découvreurs, les médiateurs apparaissent plutôt comme des vecteurs du conformisme et de l’incommunication. Ce type de mécanisme explique par exemple que la presse « éclairée » ait attendu des années, voire des décennies, avant de révéler au lecteur français l’existence de K. Popper ou de J. Rawls : le critère de falsification du premier était trop « simple » ; les courbes d’indifférence du second étaient par contre trop « techniques » ; surtout, ils n’étaient pas en harmonie avec la sensibilité des années 1960-1990 : ils n’étaient pas suffisamment bien-pensants.   

L’origine de la singularité de la sociologie  

Je peux revenir maintenant aux doutes de l’Encyclopaedia Britannica que j’évoquais au début. L’institutionnalisation de la sociologie s’explique par les succès du programme cognitif. Sa singularité par rapport aux autres sciences s’explique par le fait que le programme cognitif illustré avec éclat par Tocqueville, Durkheim ou Weber, s’il continue d’inspirer certains sociologues contemporains, n’est pas exclusif. L’étiquette sociologie abrite aussi d’autres programmes. Lepenies a raison de souligner que, dès les débuts, la sociologie oscille entre science et essayisme social. Mais l’on peut être plus précis.

Il est en effet possible de discerner au moins quatre types idéaux majeurs et permanents de productions sociologiques. On peut les qualifier de cognitif (ou de scientifique), d’esthétique (ou d’expressif), de caméraliste (ou de descriptif) et de critique (ou d’engagé).   

Le genre caméraliste et le genre critique  

Ayant longuement présenté le genre cognitif (ou scientifique) et évoqué le genre expressif (ou esthétique), j’en viens maintenant aux deux autres genres.

Schumpeter a qualifié de caméraliste l’activité qui vise à renseigner des commanditaires réels ou supposés sur les phénomènes sociaux plutôt qu’à les expliquer. Cette distinction est importante, car on constate facilement qu’une grande partie de l’activité des sciences sociales relève effectivement de ce type. Ainsi, bien des travaux sociologiques ont pour objectif principal de rendre visibles des milieux et des phénomènes sociaux plus ou moins transparents et familiers pour les acteurs concernés, mais qui demeurent méconnus du public et des « décideurs ». C’est le cas par exemple des travaux de la sociologie urbaine qui, en leur temps, attirèrent l’attention sur les conditions d’existence caractéristiques des grands ensembles, lesquelles sont bien connues des habitants eux-mêmes ou, aujourd’hui, des travaux sur l’« exclusion ».

Cette information peut prendre une forme surtout qualitative : ainsi, lorsqu’il s’agit de décrire ce qui se passe vraiment dans une école, une usine ou une banlieue « chaude ». Mais elle peut prendre aussi une forme principalement quantitative et viser plutôt à répondre à des questions de type « combien ? ». Bien des enquêtes quantitatives sur la consommation des ménages, les effectifs scolaires, l’évolution du crime, les fluctuations de l’opinion et d’autres sujets ont effectivement une finalité surtout descriptive.

La sociologie caméraliste répond, concurremment avec d’autres sources d’information – les reportages journalistiques, les enquêtes produites par les instituts statistiques administratifs ou les instituts de sondage, par exemple –, à une demande pressante des sociétés modernes. Elle se développe beaucoup aujourd’hui, car cette demande publique et privée de données sociales tend à croître rapidement : elle intéresse non seulement l’État, mais les partis politiques, les « mouvements sociaux » ou les divers « groupes de pression ». Ces données ont en effet pour eux un intérêt non seulement pratique, mais rhétorique : on ne conçoit plus aujourd’hui un combat ou un débat politique qui ne s’appuie sur des chiffres et des données sociales.

À partir du moment où ces activités caméralistes deviennent dominantes, la sociologie perd de sa continuité et de sa cumulativité. Surtout introdéterminée lorsque la dimension cognitive règne, elle tend à devenir extrodéterminée lorsque la dimension caméraliste est prééminente. Là où Durkheim et Weber s’occupaient de questions sans portée pratique mais d’un intérêt considérable, comme l’origine de la notion d’âme, le sociologue moderne des religions tend plutôt à se rendre utile aux responsables des Églises, par exemple en enregistrant l’évolution du nombre de pratiquants, en mesurant les progrès du protestantisme en Amérique latine, etc. Car le chercheur d’orientation caméraliste détermine ses objectifs à partir des problèmes sociaux du moment. C’est pourquoi l’étude de Vexliard (1957) sur les clochards passa pour une curiosité de l’époque du plein emploi, alors que le thème de la « galère », brillamment traité par Dubet (1987), est perçu comme naturel dans la conjoncture de sous-emploi des années 1980.

De même, l’explosion de la sociologie de l’éducation a coïncidé avec celle de la demande d’éducation elle-même, tout comme le regain d’intérêt des sociologues pour les phénomènes de violence a accompagné la montée de la violence. Ce qui est vrai des études monographiques l’est bien sûr aussi des travaux de style statistique. La création des appareils d’enregistrement statistique a suivi l’apparition des grands « problèmes » sociaux : les statistiques du crime s’organisent dès le début du XIXe siècle ; celles de l’éducation, seulement avec l’explosion scolaire qui se déclenche une quinzaine d’années après la fin de la seconde guerre mondiale.

Bien entendu, la sociologie caméraliste est affectée non seulement par les problèmes, mais aussi par les idéologies du moment. Mais on ne le voit guère qu’a posteriori, car, sur le moment même, les idéologies dominantes tendent à être perçues sur le mode de l’évidence. C’est pourquoi la démographie des années 1930 se soucie surtout, à la surprise de l’observateur d’aujourd’hui, d’un problème perçu alors comme allant de soi : la détérioration du potentiel génétique de l’espèce humaine. En revanche, aucun démographe de cette époque ne perçoit la surpopulation comme un « problème ».

Le fait que la sociologie caméraliste épouse les méandres de la conjoncture sociale et idéologique n’a rien de surprenant, mais lui confère inévitablement un côté rhapsodique. Et l’observateur qui identifie la sociologie à sa production caméraliste aura tendance à la percevoir comme dépourvue de continuité et comme peu susceptible de progrès.

Comme ces exemples le suggèrent, la notion même de sociologie descriptive est plus équivoque qu’il ne paraît. Car, quelquefois, une ambition missionnaire se profile derrière la description : il s’agit alors non seulement de présenter les grands ensembles ou de décrire le travail en usine, mais d’attirer l’attention sur le caractère insupportable des « machines à habiter » ou du « travail en miettes ». L’« exclusion » d’aujourd’hui se distingue de la « pauvreté » d’hier, surtout du point de vue sémantique : on peut constater la « pauvreté » ; on doit condamner l’« exclusion ».

Certaines études contemporaines de sociologie de la famille visent plus ou moins explicitement à légitimer – ou à combattre – l’évolution des mœurs dans le domaine des relations familiales. L’on peut parler, dans le cas où cette ambition missionnaire est dominante, et selon la forme qu’elle prend, de sociologie critique, au sens (politique) où l’école de Francfort utilisa cet adjectif, de sociologie engagée (en écho au sens sartrien de ce mot), ou encore de sociologie militante. Cette dimension critique est plus ou moins visible selon les sujets et les conjonctures.   

La raison du scepticisme actuel sur les sciences sociales  

On peut maintenant revenir à la question soulevée par la Britannica. D’où provient cette contradiction entre, d’une part, le fait que l’objectif naturel des sciences sociales soit de nature cognitive, qu’il consiste à produire des explications solides des phénomènes sociaux, que les sociologues classiques aient lourdement insisté sur cet objectif et qu’ils se soient révélés à la hauteur de leurs ambitions et, d’autre part, le fait que les sciences sociales continuent d’être vues comme des sciences un peu particulières ?

Je vois en résumé une raison principale à cet état de choses. Si la sociologie classique adopte surtout un objectif de nature cognitive et si les genres expressif et caméraliste sont alors relativement secondaires, des rééquilibrages se sont produits ensuite, pour des raisons qui tiennent d’abord à l’augmentation de la demande publique et privée de données sociales, laquelle a contribué à gonfler l’offre sociologique de type caméraliste. Par ailleurs, l’importance sociale croissante des médias a provoqué une augmentation de la production de caractère expressif. Ces évolutions ont entraîné un déclin relatif de la sociologie à finalité cognitive. Il faut d’ailleurs noter que ces distinctions et ces processus ne sont pas propres à la sociologie, mais tendent à caractériser toutes les sciences humaines. Les productions de la psychologie qui promettent d’apaiser le mal-être de l’individu sont plus visibles que celles qui nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement de la pensée humaine, même lorsqu’elles sont beaucoup plus fragiles. Derechef, une théorie peut être utile sans être vraie, et les théories utiles, qu’elles soient vraies ou fausses, sont généralement plus visibles que les théories vraies dont l’utilité est incertaine.

J’ajouterai que, si les types de sociologie que j’ai distingués, du cognitif au critique et au caméraliste en passant par l’expressif, persistent depuis les origines des sciences sociales jusqu’à nos jours, quoique en des proportions variables, tous ont leur légitimité et leur intérêt, l’objectif cognitif étant toutefois le plus « naturel », pour la sociologie comme pour toute discipline s’affichant comme scientifique. Ce côté « naturel » se décèle à ce que les sociologues classiques classés en haut de l’échelle de prestige – Tocqueville, Durkheim, Weber et quelques autres – sont responsables de théories explicatives puissantes, rendant transparents des phénomènes énigmatiques. Par contraste, l’œuvre d’un Le Play, si elle est d’une importance indéniable, n’est généralement pas considérée comme atteignant à la même hauteur. La raison en est qu’elle relève surtout de l’ordre du descriptif et répond à un objectif caméraliste (rationaliser la politique sociale en faisant remonter des informations du niveau local au niveau central). La visibilité sociale d’un Proudhon a été incomparablement plus grande que celle de Weber ou de Durkheim, mais l’on a quelque peine à identifier son apport au savoir.

Ces distinctions comportent un avantage que je n’ai pas encore souligné : lorsqu’elles sont prises en considération, bien des confusions s’évanouissent. Ainsi, le programme défini par le postulat de l’« individualisme méthodologique » est essentiel dès lors qu’il s’agit d’expliquer un phénomène social : tant qu’on se donne l’objectif de retrouver les causes dudit phénomène. Car on a du mal à imaginer qu’un phénomène social puisse provenir d’autre chose que des représentations, desseins, croyances, etc. des individus, et, sauf à admettre que les individus soient des choses, à accepter l’idée que ces représentations, desseins, etc. puissent être mis sur le compte exclusif de forces psychologiques, biologiques ou sociales occultes. Comme Weber l’a bien vu, il faut choisir entre une conception individualiste scientifique de l’explication sociologique et une conception non individualiste métaphysique. C’est pourquoi il fait de ce postulat la condition de la scientificité de la sociologie, pourquoi Tocqueville le met instinctivement et régulièrement en pratique et pourquoi Durkheim lui-même y vient généralement – en opposition avec ses principes déclarés – dans la plupart de ses analyses. Mais ce postulat n’a clairement pas grand-chose à faire dans les productions à finalité critique, descriptive ou expressive. Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner que les sociologues qui n’accordent pas une attention particulière à la fonction cognitive de la sociologie n’en aperçoivent pas l’importance.

Ces distinctions sont également cruciales s’agissant d’évaluer la portée des productions des sciences sociales. Ainsi, le Surveiller et punir de Foucault a été justement salué : cet ouvrage manifeste au plus haut degré des vertus expressives et critiques. Mais que la théorie qu’il propose soit utile n’implique pas qu’elle soit vraie. On peut même avancer, sans prendre de grands risques de démenti, que la critique en a abondamment démontré le caractère fantaisiste.

Bref, la vocation de la sociologie, comme celle de toute science, est de produire du savoir, plus précisément d’expliquer les phénomènes de son ressort, c’est-à-dire d’en identifier les causes. Elle l’a fait et continue de le faire. Contrairement à ce qu’affirme la Britannica, elle a remporté à cet égard des succès remarquables, ainsi que j’ai essayé de le montrer en développant en détail certains exemples empruntés aux grands sociologues classiques. Mais l’étiquette « sociologie » recouvre aussi des écrits – de plus en plus nombreux en proportion – dont la fonction latente est plutôt d’accompagner ou de légitimer des mouvements sociaux, des combats politiques ou des mouvements d’idées, cela n’excluant pas que, par application d’une stratégie élémentaire de recherche de l’efficacité, ces écrits se présentent, parfois avec ostentation, comme « scientifiques », car l’idéologie s’abrite toujours derrière des « experts » et des « scientifiques ». C’est pourquoi la sociologie est parfois perçue de l’extérieur comme surtout vouée – tel le sabre de Joseph Prud’homme – « à défendre les institutions, et au besoin à les combattre ».

Cette conception discrètement militante de la sociologie a même fini par coller si étroitement à son image qu’une expression comme « les explications sociologiques de la délinquance » désigne normalement, pour le public, les théories qui font de la délinquance un pur effet du milieu social, exonérant le délinquant de toute responsabilité.

De telles théories sont à juste titre jugées inacceptables par le public : le sociologue respectueux du réel n’a aucune peine à comprendre cette réaction, car il relève immédiatement que, nonobstant la corrélation entre conditions de vie et/ou origines sociales et délinquance, sur 100 personnes élevées dans les conditions les plus « criminogènes » possibles, seule une toute petite minorité se rend coupable d’exactions.  

De même, les « explications sociologiques de l’échec scolaire » sont perçues comme celles qui veulent que ledit échec soit dû exclusivement à l’institution scolaire et à la « société » ou, en termes plus pesants, aux « structures sociales » ; qu’il soit par suite injuste et inacceptable, et qu’en conséquence l’objectif premier de toute politique scolaire soit moins d’équiper le futur citoyen de savoirs et de savoir-faire à partir desquels il puisse construire un projet professionnel viable, que d’assurer l’« égalité des chances » à tout prix : en allongeant indéfiniment le tronc commun, en supprimant toute évaluation réelle, en poussant l’ensemble de la population scolaire vers un enseignement général de plus en plus vidé de substance, en cherchant à faire de l’école un « lieu de vie ».

Ce type de théorie a produit des effets calamiteux : progrès de l’illettrisme, marginalisation socioprofessionnelle d’une proportion significative des adolescents, violence scolaire, etc. Ces effets sont devenus si évidents qu’on ne peut désormais plus les dissimuler.

Force est en résumé de reconnaître qu’on observe bien une submersion relative du genre cognitif TWD par le genre expressif-engagé dans les années 1970-1990, et par le genre descriptif-engagé dans les dernières années.

On comprend que cette submersion puisse donner au public, mais aussi à certains sociologues et non des moindres, l’impression d’une discipline en voie de « décomposition »[5].   

Références bibliographiques  

- Boudon R., 1998, Études sur les sociologues classiques, t.I, Paris, PUF, « Quadrige ».  

- Boudon R., 2000, Études sur les sociologues classiques, t.II, Paris, PUF, « Quadrige ».  

- Boudon R., 2001, « La rationalité du religieux selon Weber », L’Année sociologique, 2001, n°51-1, p.9-50. 

- Boudon R., Cherkaoui M., 1999, Central Currents in Social Theory, 8 vol., Londres, Sage.  

- Busino G., 1993, Critiques du savoir sociologique, Paris, PUF. 

- Chazel F., 2000, « L’esthétisme sceptique et ses limites en histoire de la sociologie », dans Aux fondements de la sociologie, Paris, PUF, p.85-109.

- Dahrendorf R., 1995, « Whither Social Sciences ? », The 6th Economic and Social Research Council Annual Lecture, Economic and Social Research Council, Swindon, (Royaume-Uni). 

- Dubet F., 1987, La galère : jeunes en survie, Paris, Fayard. 

- Erner G., 2002, Analyse critique du modèle du bouc émissaire en sociologie de l’antisémitisme, thèse de doctorat, université de Paris-Sorbonne 

- Horowitz I., 1994, The Decomposition of Sociology, New York, Oxford University Press. 

- Iannaccone L., 1991, « The Consequences of Religious Market Structure: Adam Smith and the Economics of Religion », Rationality and Society, n°3-2, avril, p.135-155. 

- Inglehart R. et al., 1998, Human Values and Beliefs, a Cross-Cultural Sourcebook, Ann Arbor, The University of Michigan Press. 

- Lepenies W., 1990, La troisième culture : la sociologie entre la science et la littérature, Paris, MSH. 

- Mommsen W., 1965, « Max Weber’s Political Sociology and his Philosophy of World History », International Social Science Journal, n°17, 1, p.23-45. 

- Vexliard A., 1957, Le clochard : étude de psychologie sociale, Bruges, Desclée de Brouwer. 

- Weber M., 1965, Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, [1951]. - Weber M., 1988, Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie, Tübingen, Mohr, [1922].



[1] « Il est évident que la sociologie n’a pas connu de triomphes comparables à ceux de nombreuses sciences, plus anciennes et plus reconnues. Plusieurs interprétations ont été données pour expliquer cette particularité – la plus fréquente étant que la croissance du savoir en sociologie est plus aléatoire que cumulative. En réalité, il apparaît que dans certaines parties de la discipline (...) s’est produite une accumulation lente mais qui s’accélère du savoir organisé et vérifié. Dans certains autres champs, l’expansion du volume des publications ne semble pas suivre la même voie. Divers facteurs expliquent la lenteur de cette évolution. »
[2] 1re éd. : 1938 ; 2e éd. : 1968 ; 3e éd. : 2001 (26 vol.).
[3] Voir Weber, 1965 et la lettre du 9 mars 1920 à Robert Liefmann, citée par W. Mommsen, 1965.
[4] Boudon et Cherkaoui (1999) proposent une sélection des applications du programme TWD. Les quatre premiers volumes de cette sélection couvrent la période qui va des origines à 1930 ; les quatre derniers, la période de 1930 à nos jours.
[5] Voir Busino, 1993 ; Horowitz, 1994 ; Dahrendorf, 1995.