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Eté2010 - Vol.13. No. 01

Une culture méditerranéenne fragmentée : la revendication amazighe entre local(ité) et transnational(ité)

Stéphanie Pouessel
Anthropologue, attachée au Centre d’études africaines à l’EHESS et à l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC, Tunis). Domaines de recherche : Anthropologie de l’identité et de l’ethnicité ; revendications identitaires et particularistes au Maghreb (Maroc/Tunisie) ; discours sur les cultures et les langues. Elle a notamment publié : « Du village au "village-global" : émergence et construction d’une revendication autochtone berbère au Maroc », revue Autrepart (Institut de Recherche et de Développement, Paris), n°38, « La globalisation de l'ethnicité », 2006 ; « Les enjeux politiques et identitaires du tifinagh au Maroc : écrire la langue berbère au royaume de Mohamed VI », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée (Institut de recherches et d’études sur le Monde arabe et musulman), n°124, « Langue, religion et modernité dans l’espace musulman », 2008 ; Le renouveau identitaire berbère au Maroc, Non Lieu, Paris, 2010.

Résumé :

 

Ce texte se propose d’offrir une perspective transfrontalière des mouvements culturels berbères au Maghreb et en France. L’objectif est de retracer les cheminements de la berbérité qui peuvent dans le même temps construire une revendication spécifique et locale et se brancher à une lutte berbère dans son acception globale.

Il s’agit tout d’abord de retracer les contextes politiques, culturels et sociaux qui enserrent les revendications dans chaque pays (principalement Maroc, Algérie, France mais aussi Canaries et populations touarègues). Quelles sont leur spécificité, qui en sont les instigateurs et comment le mouvement se déploie-t-il au niveau national ? L’étude des convergences et des divergences de ces revendications permettra de discuter les « lieux » de cristallisation d’un mouvement local, national et/ou transnational. En effet, la tension réside entre d’un côté l’homogénéisation d’une culture berbère unique se déployant sur les différents territoires nationaux (engendrant une convergence des revendications) et de l’autre l’hétérogénéisation des cultures berbères qui s’enracinent, elles, dans le local et déploient toute leurs diversités et particularités (ne tendant alors plus à une unité théorique et revendicative). Cette tension entre particularité, hétérogénéité d’un côté et homogénéité culturelle de l’autre conduit à des revendications localistes (dans le rif marocain) et à une revendication transnationale (à travers le Congrès mondial Amazigh). Cette dernière idéologie traduit la convergence des berbérités « nationales » vers une identité amazighe globale, qui s’illustre notamment à travers le territoire de Tamazgha, le peuple Imazighen et des symboles tels que le drapeau amazigh et l’alphabet tifinagh.

 

Mots clés : Berbère, Maghreb, revendications, culture, identité, langue.

 

Une culture méditerranéenne fragmentée : la revendication amazighe entre local(ité) et transnational(ité)

 

  

Une ou des revendications berbères ?

 

 

L’article propose une perspective transfrontalière des mouvements culturels berbères au Maghreb et en France. Il s’agit tout d’abord de retracer les contextes politiques, culturels et sociaux qui enserrent les revendications dans chaque pays (principalement Maroc, Algérie, France mais aussi Iles Canaries et populations touarègues). Quelles sont leur spécificité, qui en sont les instigateurs et comment le mouvement se déploie-t-il au niveau national ? L’étude des convergences et des divergences de ces revendications permettra de discuter de l’existence d’un mouvement local, national et/ou transnational. En effet, la tension réside entre, d’un côté, l’homogénéisation d’une culture berbère unique se déployant sur les différents territoires nationaux (engendrant une convergence des revendications) et, de l’autre, l’hétérogénéisation des cultures berbères qui s’enracinent, elles, dans le local et déploient toute leurs diversités et particularités (ne tendant alors plus à une unité théorique et revendicative).

 

 

L’objectif est de retracer les cheminements de la berbérité qui peuvent dans le même temps construire une revendication spécifique et locale et se brancher à la lutte des Berbères dans son acception globale.

La liste des pays traités ici n’est pas exhaustive. Le but n’étant pas tant de rendre compte de tous les cas de déploiement de la berbérité que de saisir, d’après certaines revendications, la tension entre le local et le global, entre la défense d’une culture indigène et celle de l’unité théorique des Berbères.

Cette tension entre particularité, hétérogénéité d’un côté et homogénéité culturelle de l’autre conduit à des revendications localistes (dans le Rif marocain) et à une revendication transnationale (à travers le Congrès Mondial Amazigh). Cette dernière idéologie traduit la convergence des berbérités « nationales » vers une identité amazighe globale, qui s’illustre notamment à travers le territoire de Tamazgha, le peuple Imazighen et des symboles tels que le drapeau amazigh et l’alphabet tifinagh.

 

La Kabylie ou la grande sœur militante

 

« Chaque fois que les Kabyles s’unissent pour un objectif précis, ils réalisent de grandes choses. Je peux dire aussi, que, lorsqu’il pleut en Kabylie, la récolte se fait chez nous au Maroc. Les Kabyles crèvent, se battent, nous on en récolte les fruits sans beaucoup de problème. Le problème de la Kabylie, c’est le problème qu’on vie tous : les trahisons, la division, les scissions... pour moi, il faudrait que tôt ou tard, les Kabyles s’unissent avec les chaouis et qu’ils s’unissent aux Aurès, etc... C’est le même problème partout. Lorsqu’on parle de Kabylie, c’est comme si on parlait du Moyen Atlas au Maroc », (Ouzzin Aherdan[1]).

 

La revendication berbère en Algérie se limite au territoire de la Kabylie. En effet, il s’agit de la principale zone berbérophone du pays[2]. Cette région possède une longue tradition militante. De par la présence coloniale précoce, et l’émigration massive vers le territoire français, les échanges et les contacts entrepris depuis le 18e siècle ont permis une forte scolarisation (donc alphabétisation) et ainsi une diffusion de concepts politiques clés à la mobilisation politique (comme celui de « laïcité »[3]).

L’évolution de la question kabyle est celle du passage d’un ethnolinguisme à une requête territoriale au nom de cette différence ethnique et linguistique. Fédéralisme, régionalisme voire même autonomie seront invoqués. Déjà dans les années 1990 le chanteur kabyle Lounès Matoub prônait :

 

« un Etat kabyle dans le cadre d’une Algérie fédérale. Le régionalisme, affirme-t-il, est une réalité politique, il s’agit de l’assumer dans un système fédéral. L’histoire a façonné le peuple algérien suivant des composantes distinctes, qui expriment aujourd’hui des aspirations contradictoires » (Aït-Kaki, 2004, p.191).

 

L’histoire de l’opposition entre la Kabylie et l’Etat algérien s’est affichée à son paroxysme lors de la révolte populaire d’avril 1980, le « printemps berbère », qui fait suite à l’interdiction d’une conférence de Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle. Profitant d’un fort écho médiatique, pour des militants berbères du monde entier, toujours attentifs à l’activité des Kabyles, le printemps kabyle prend l’aspect d’un acte fondateur. Cette révolte populaire d’avril 1980 constituera un évènement mobilisateur dans la lutte pour la reconnaissance de la culture berbère pour les militants marocains par exemple.

 

La lourde répression, 21 ans après le printemps berbère, « le printemps noir » de 2001, mène à un réajustement des requêtes. Puisant dans un registre local, le mouvement citoyen de 2001 requiert des droits linguistiques et culturels. La « coordination des comités de village » réactive en effet les anciens modes d’organisation kabyle des assemblées (tajmayt). Ce mouvement des Arachs mobilise toutes les couches de la société et aboutit le 11 juin 2001 à l’élaboration de la « plate-forme d’El-Kseur ». Celle-ci requiert « le départ immédiat des brigades de gendarmerie et des renforts des URS ; la satisfaction de la revendication amazigh dans toutes ses dimensions – identitaire, civilisationnelle, linguistique et culturelle- sans référendum et sans condition et la consécration du tamazight en tant que langue nationale et officielle ; un plan d’urgence socio-économique pour toute la région de Kabylie. »

 

 

Parallèlement est impulsée la création du Mouvement de la Kabylie libre (MKL). On passe d’une revendication ethno-linguistique (reconnaissance de la culture et de la langue et des droits qui leur sont liés) à une aspiration nationale localisée à l’échelle de la Kabylie. Le nationalisme kabyle, édicté sous le vocable d’autonomie des régions ou fédéralisme, était déjà l’apanage d’intellectuels kabyles tel que Salem Chaker. Professeur de berbère à l’INALCO à Paris, il évoque depuis 1995 une autonomie linguistique et culturelle des régions berbérophones. Dans cette volonté de reconnaissance locale, Chaker s’érige contre l’idée du berbère en tant que langue nationale. En effet, les berbérophones constituent selon lui des entités spécifiques qui risquent de se voir dissoutes dans une identité berbère nationale car sans ancrage réel donc abstraite. Il s’oppose ainsi à l’actuelle idéologie du pan-berbérisme, laquelle construit une unité berbère desservant les populations d’abord plurielles. Contre toute élaboration d’une communauté abstraite qui transcende les particularités, l’auteur s’oppose à l’idéologie pan-berbériste qui régie les champs intellectuels et militants. Elle est celle d’une identité berbère commune, désincarnée, globale en inadéquation avec la réalité faite de communautés hétérogènes. L’amazighité comme réservoir d’une culture commune, transcendant les configurations locales, n’est selon Chaker qu’un leurre et, une fois de plus, la négation de la société locale et bien réelle. En effet, penser un espace commun et prétendre une identité unifiée ne peuvent être que « les avatars ultimes d’une honte de soi millénaire » (Chaker, in Claudot-Hawad (ed), 2006, p.153). Il pointe ainsi l’ancestral rejet du régional et de la dévalorisation du local.

Chaker transpose sa position au débat sur la langue. Contre la thèse de l’unité de la langue berbère émise par des linguistes berbérisants, il récuse une abstraction sans aucun ancrage culturel au risque de « recréer dans le champ berbère la situation de diglossie catastrophique et bloquante de l’arabe » (Chaker, in Claudot-Hawad (ed), 2006, p.150). Afin de ne pas tomber dans ce fossé entre d’un côté, une langue standard écrite et enseignée et de l’autre, des variantes locales orales et sans statut, Chaker propose l’élaboration de « standards régionaux ».

Emboitant le pas de Chaker, le chanteur engagé Ferhat Mehenni lance en 2001 le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK). Ainsi à l’ethnolinguisme kabyle se substitue un enjeu territorial.

 

 

Une « majorité minoritaire » : le mouvement berbère marocain

 

Contrairement à la revendication berbère en Algérie qui se cantonne à un espace géographique délimité, celui de la Kabylie, la revendication berbère au Maroc s’avère la porte-parole d’un groupe dispersé sur tout le territoire national, du nord, le Rif, au centre, au sud, le Souss. Cependant, ces ancrages régionaux n’ont pas « naturellement » engendrés la naissance de revendications culturelles. C’est dans la capitale marocaine, à Rabat, que naît le mouvement en 1967. Sous l’égide de la défense du « patrimoine », il renvoie déjà à une culture berbère nationale et non reléguée à ses régions. La démarche inverse aurait été impensable dans les années de construction nationale du Maroc craintif de toute division nationale. De plus, la « bibliothèque coloniale » (Valentin Mudimbe) a légué l’image d’une culture et d’une langue berbère unifiées en recherchant par exemple une racine commune aux différents dialectes régionaux.

 

Au niveau local, le mouvement associatif est plus tardif : la plupart des associations naissent dans les années 1990 après la signature de la Charte d’Agadir, premier document qui revendique la berbérité du Maroc par la reconnaissance de sa diversité culturelle. Elle constitue le premier texte collectif regroupant les principales revendications du mouvement culturel amazigh.

 

Le mouvement culturel berbère marocain requiert des droits linguistiques et culturels dans le cadre de l’Etat-nation marocain. En effet, ses fondements idéologiques puisent directement dans un essentialisme particulariste et présente tantôt sa culture comme distincte (de l’arabe) tantôt comme le socle de commun de tous les Marocains. Le contexte politique marocain verrouillant toute remise en cause radicale de l’Etat, la cause amazighe se présente ainsi comme une culture alternative qui revendique des droits de reconnaissance à sa langue et culture amazighes dans le cadre des frontières institutionnelles de l’Etat marocain. Ainsi on peut dire que :

 

« son objectif affiché n’est pas de créer un Etat propre, ni la revendication d’une autonomie régionale ou même l’arrachement des droits spécifiques, mais la défense de la promotion et de la valorisation politique d’une culture dans un cadre légitimiste » (Aboulkacem, 2005, p.410)

 

Dans le contexte actuel, le discours amazigh ne se réfère donc pas à la constitution d’un Etat propre. Cependant, le discours amazigh s’oppose au nationalisme arabe et revêt les traits d’un nationalisme qui lui serait alternatif. En effet, il utilise les ressorts du nationalisme tels qu’ils sont décrits par Ernest Gellner (1989 [1983]) : la transition d’une société agraire vers une société industrielle, l’éradication des cultures vernaculaires au profit d’une « haute culture », l’unification de la langue illustrant un nationalisme linguistique[4] (éradication des différents dialectes oraux pour une langue écrite standard propagée par l’école et la presse), l’instauration d’une homogénéité culturelle. Il soulève aussi le fameux paradoxe de la défense de la culture populaire alors que s’impose une culture homogénéisée, standardisée, au nom de cette même tradition. Tout y tend : la mise en place d’une langue commune, actuellement « créée » par les linguistes de l’Institut Royal de la Culture Amazigh, relayée par l’école donc difficilement compréhensible pour les locuteurs non scolarisés ou analphabètes[5]. Cette langue codifiée, fixée par des linguistes reflète l’étayage d’une « haute culture ». Cette « nouvelle » langue est issue des trois « dialectes », ou « variétés » régionales (tachelhit, tamazight, tarifit) procédant à la création d’une langue standard, unifiée, mais œuvrant à rester au plus près des variations régionales. Pour cela, il convient d’intégrer au maximum le lexique des trois dialectes, grâce aux néologismes par exemple, qui reprennent un terme du vocabulaire local en vue de créer un terme générique nouveau et commun aux trois régions.

 

Ces illustrations tendent à prouver que, malgré sa remise en cause du modèle national en vigueur, l’idéologie berbériste au Maroc s’apparente au modèle du nationalisme :

 

« Even in the context of globalization of identities and crossing state borders, minorities movements continue to refer to the model of nation.(…) Are we living a period of imaginary nations without any material realization as a state? The Amazigh Cultural Movement has created a new discursive space that challenges the existing national ideology » (Lehtinen, 2003, p.115).

 

L’Etat marocain, depuis l’avènement de Mohamed VI, insiste sur la dimension nationale de l’amazighité, œuvrant ainsi à bloquer tout particularisme culturel et toute division nationale ethnique. Le roi va jusqu’à affirmer consolider l’unité nationale à travers la convocation d’un fond commun amazigh :

 

« Elle [la création de l’IRCAM] s’insert aussi dans le cadre de la sollicitude particulière pour la promotion de l’amazigh, en tant que composante essentielle de notre culture nationale, dans la mise en œuvre de notre projet de société démocratique et moderniste.

Notre attachement à associer les représentants des différentes composantes de la Nation et de ses forces vives à cette cérémonie bénie (…) émane de notre conviction que l’amazighité, qui plonge ses racines au plus profond de l’Histoire du peuple marocain, appartient à tous les Marocains sans exclusive et qu’elle ne peut être mise au service de desseins politiques de quelque nature que ce soit.» [6]

 

 

Les « Imazighens du sud »[7] : les Touaregs, une revendication politico-territoriale

 

Pour les Etats saharo-sahéliens du Mali et du Niger, la spécificité touarègue donc berbère ne se cantonne plus aux domaines linguistique et culturelle, comme tel est le cas pour les berbérophones d’Algérie et du Maroc (ainsi que de la Libye), mais revêt une dimension politico-territoriale.

En effet, contrairement au Maroc et à l’Algérie, les Etats saharo-sahéliens ont « hérité » de la dimension berbère au début des années soixante par le tracé des frontières issues de la colonisation. Le Niger, Mali s’édictent officiellement pluri-culturels et plurilingues. Cependant, la défense de l’unité nationale associée à celle de l’intégrité du territoire national évince toute expression de la pluralité communautaire et culturelle. Ainsi la Constitution du Niger précise que « le régionalisme, l’ethnocentrisme, l’esprit de clan, le népotisme, l’esprit féodal… » sont bannis (Niger, article 5), de même que : « Aucun parti ne saurait être créé dans le but de promouvoir une ethnie, une région ou une religion, sous peine de poursuites judiciaires » (article 9). (Abrous, Claudot-Hawad, 1999 : 110)

 

Dans ce contexte, la langue apparaît comme une revendication secondaire, car les États du Mali et du Niger se disent pluri-culturels et donc admettent théoriquement la diversité linguistique, ce qui n’exclut pas la gestion hiérarchique des langues nationales. Trois courants politiques expriment l’identité touarègue. Le premier, fédéraliste, refuse le modèle de l’État-nation-territoire centralisé, et se réfère à un système politique confédéral large, s’appuyant sur la nécessité d’une vaste communauté économique saharo-sahélienne. Un autre courant, indépendantiste, s’inspire du modèle de l’État-nation et demande la création d’un État touareg. Enfin, un courant réclame l’autonomie des régions touarègues dans le respect des frontières étatiques existantes. Ce dernier s’est exprimé dans les manifestes des fronts armés depuis 1990 qui marquent en effet l’émergence des fronts armés touaregs et maures réclamant une autonomie régionale.

Mais la question d’une unité touarègue divise les spécialistes. Le débat entre les chercheurs (notamment Hélène Claudot-Hawad / André Bourgeot) pose, d’un côté, une entité politique touarègue préexistante à la colonisation donc tant au modèle étatique colonial qu’à des stratégies unificatrices de résistance, et, de l’autre, un ensemble précolonial non organisé politiquement.

S’opposant ainsi à la « vision unitaire et globalisante du monde touareg » (Claudot-Hawad, 1993, p.116), la notion de nation est concomitante, selon Bourgeot, de l’imposition du colonialisme français. Le chercheur reproche à l’unificatrice des Touaregs d’inventer une forte conscience historique lui permettant de légitimer l’actuelle idéologie pan-berbère. Claudot-Hawad procèderait ainsi à la reconstruction de la « targuité » issu d’un passé lointain et dont l’unité pan-berbère s’élaborerait et se diffuserait par des signes et des emblèmes communs, comme les signes tifinaghs. A travers l’artiste Hawad, Hélène Claudot-Hawad réinstaure l’historicité des caractères néo-tifinagh à propos desquels André Bourgeot rappelle le caractère innovateur et syncrétique : « Hawad s’inscrit ainsi parmi les adeptes de ces caractères néo-tifinagh, de création individuelle, dont la calligraphie arabo-berbère, ésotérique, est inspirée par la calligraphie arabe moderne que les Kel Temashaq ne peuvent d’ailleurs pas lire. » (Bourgeot, 1994, p.666)

Ainsi au sein même du « groupe » touareg se pose la question de son unité versus son hétérogénéité.

 

 

« La France des couleurs »[8]: la requête du berbère en tant que langue de la république française

 

Le contexte français d’une revendication berbère soulève des enjeux qui lui sont propres. Sur cette terre d’immigration, les premiers regroupements associatifs autour de l’identité berbère en France s’adressent à des lettrés (étudiants, intellectuels) et non pas à la majorité de l’émigration berbère. Paris représente dans les années 1960 un lieu de rencontre entre les Berbères des différents pays du Maghreb et un espace de liberté d’expression et d’action qui mènera à la naissance d’une revendication berbère : c’est la naissance de l’Académie Berbère en 1965. Autour d’une élite intellectuelle qui déplore la relégation des langues et cultures berbères au Maghreb, se créés les prémisses d’une idéologie culturaliste qui se diffuse petit à petit dans la communauté immigrée algérienne prolétaire. Apparaitront dans cette mouvance la réactualisation de l’alphabet touareg tifinagh et la création du « drapeau berbère », véritable symbole d’une culture berbère transfrontalière.

La résurgence du berbérisme dans les années 1980 (due entre autre à l’impact des massacres du Printemps berbère de Kabylie) entraîne une multiplication d’associations berbères en France, essentiellement kabyles. Depuis le milieu des années 1990, cette communauté accède à une visibilité sociale via un investissement des médias[9].

 

« Après avoir été le pays de l’édition littéraire et musicale d’expression berbère, Paris, sa capitale, la France est désormais le « centre » mondial de l’information berbère » (Aït-Kaki, 2004, p.233)

 

L’association parisienne Tamazgha, fondée en 1993 par des étudiants de l’Institut national des langues et des civilisations orientales, emprunte une orientation inédite panberbère en s’ouvrant à tous les Berbères quelque soit leur origine nationale. Elle participe au 17e festival de cinéma de Douarnenez en Bretagne[10], dédié cette année là aux peuples berbères, et entame ainsi la phase de l’internationalisation de la question amazighe.

Les militants berbères de France se présentent comme l’émanation de citoyens français « d’origine berbère » aspirant à apprendre leur langue d’origine comme leurs compatriotes bretons ou arméniens. Une autonomisation vis-à-vis de leur pays d’origine s’opère alors qu’ils s’affirment en tant que nationaux français. En effet, le premier, et récent, regroupement[11] des actions associatives de la communauté immigrée berbère se traduit par une tendance qui va au détachement de l’origine nationale vers un rattachement à la République française, présentée comme porteuse des mêmes « valeurs »[12] que celles des Berbères. Ce refus d’être assimilés à l’aire culturelle « arabe », au « Maghreb » mène à la revendication d’une identité « berbère » ou « franco-berbère ».

 

« Par méconnaissance ou par refus, afin de ne pas heurter les susceptibilités diplomatiques, ils [les Berbères] sont donc généralement désignés par les termes "Algériens", "Marocains", "Tunisiens", "Maghrébins" ou "Arabes", voire "musulmans", mais jamais qualifiés comme ils devraient l’être, c’est-à-dire Amazighs ou Berbères. La censure, les amalgames entretenus, constituent donc des actes graves de violence symbolique et de racisme qui tendent à nier l’existence même d’une communauté de citoyens et par conséquent participe à l’objectif d’effacement de leur identité. (…) Dans la réalité des faits, même lorsqu’ils sont français, les Berbères ne sont pas reconnus comme des citoyens à part entière et continuent d’être considérés, de par leur origine, la couleur de leur peau ou leur patronyme, comme des immigrés, voire des étrangers, avec les idées reçues et les images péjoratives que cela entraîne » (Rapport alternatif du Congrès Mondial Amazigh au rapport officiel présenté par la France aux Nations Unies, Genève, le 22 février 2005, intitulé : « France : les discriminations à l’encontre des citoyens amazighs »).

 

Le berbère : langue de France ?

 

La revendication berbère de France se focalise ces dernières années sur une reconnaissance locale, en France. Deux des requêtes principales s’avèrent la place de la langue berbère en option linguistique à l’épreuve du baccalauréat et la reconnaissance institutionnelle de la langue. Si cette dernière peine à recevoir cette distinction dans leur Etat d’origine, ses locuteurs militants comptent bien sur la « tolérance » de la France pour une reconnaissance au sein de leur pays de migration pour certains et de naissance pour d’autres.

En 1999, le juriste Guy Carcassonne publie un rapport sur la compatibilité de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires avec la constitution française. Il préconise l’intégration de la langue berbère[13] parmi les cinq langues « non territoriales »[14] de France. Quelques mois plus tard, ce rapport est soutenu par celui de Bernard Cerquiglini, directeur de l’Institut national de la langue française. Il est remis au ministère de l’Education nationale en avril 1999, en retenant le tamazight comme « patrimoine linguistique » car il précise que « de nombreux citoyens des départements français d’Afrique du Nord parlaient l’arabe et le berbère » et que « certains se sont installés en France métropolitaine, sans cesser d’être des ressortissants français » et souligne que « le berbère n’est protégé par aucun pays, il est même menacé » (Aït-Kaki, 2004, p.240). Et pourtant, le 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel émet un avis négatif quant à la ratification de la Charte sous prétexte d’atteinte aux « principes d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »

 

Suite à cette déception, le linguiste Salem Chaker exprime son scepticisme quant à l’avenir du berbère en France, qu’il en soit de son enseignement ou de son statut. Selon lui, cet échec est du à des enjeux de politique diplomatique avec le Maghreb. En effet, on ne peut traiter la question du berbère en France sans s’immiscer dans la politique nationale de ses pays d’origines :

« Tout gouvernement français ne peut gérer qu’avec circonspection le dossier berbère, même dans un cadre strictement français, en ayant toujours à l’esprit de ne pas provoquer l’irritation d’Alger et/ou de Rabat » (Chaker, 2004, p.31).

 

La seule ouverture possible tiendrait au fait que cette langue représente un rempart à la langue arabe véhiculée par l’islam, et permettrait ainsi de contrebalancer le poids et l’influence de l’arabo-islamisme

 

« avec l’idée, ancienne et largement relayée par la militance berbère, que ces langues et cultures sont porteuses de valeurs en convergence avec celle de la République : démocratie, tolérance et laïcité » (Chaker, 2004, p.29).

 

Une théorie essentialiste qui provient entre autre de la période coloniale de la France au Maghreb, mais pourtant reprise, comme dans le rapport Stasi sur la laïcité, demandé durant l’année 2003 par le président Jacques Chirac. Il mentionne la nécessité d’enseigner et d’encourager les langues de l’immigration, musulmanes non arabes, comme le berbère et le kurde.

 

 

Une berbérité à échelle globale : le Congrès Mondial Amazigh

 

 

« Nous revendiquons simplement le droit d’exister avec tous nos droits individuels et collectifs en tant que peuple. Notre pays est Tamazgha ; notre histoire millénaire ; notre culture à valeur universelle ; notre projet est démocratique et laïque, pacifique pour notre peuple. Notre espace régional n’est pas le Moyen-Orient mais la Méditerranée occidentale », (Lounès Belkacem, lors de l’ouverture du 4e Congrès mondial amazigh, Nador, août 2005).

 

L’impulsion d’une coopération entre mouvements berbères et donc d’une identification commune est née dans un village breton, Douarnenez. C’est au cours du festival de cinéma de 1994 que la rencontre entre différents acteurs clés, Algériens et Marocains, a pu donner naissance à l’idée d’une mobilisation commune : le Congrès Mondial Amazigh.

Le Congrès Mondial Amazigh participe au développement de la notion de « peuple » amazigh. Il nomme son territoire « Tamazgha » ou encore la « terre amazighe ». Le territoire de Tamazgha réunit des Amazighs marocains, des Kabyles algériens, en passant par les Touaregs, les Libyens ou encore les Canariens, ne formant pour eux que d’un seul et même ensemble réunis autour de la culture amazighe. Tamazgha est divisé artificiellement par des frontières imposées par les « colonisateurs ». Cet « obstacle » est venu disperser le peuple dans différents Etats.

 

« C’est le premier congrès de tous les Imazighen, c’est la concrétisation d’une forte ambition, d’un rêve : celui de réunir tous les enfants de Tamazgha. C’est à Tarifa (Iles Canaries), une terre amazighe, que pour la première fois, et avec beaucoup d’émotion, un Kabyle a pu rencontrer un Touareg de l’Aïr ou qu’un Rifain a pu côtoyer un Amazigh de Lybie. (…) (Il n’y a pas eu unanimité sur tous les débats) mais nous considérons cela comme normal lorsqu’on sait les distances géographiques et les siècles qui nous ont séparés depuis la nuit des temps. »[15]

 

 

Le Congrès Mondial Amazigh se focalise autour de la « défense des droits du peuple amazigh ». Sa réunion constitutive en 1995 marque réellement la première tentative d’unification des revendications amazighes au niveau de tous les Etats de Tamazgha : délégation marocaine, algérienne, libyenne, tunisienne, touareg, canarienne et délégation de la « diaspora »de France. Dans cette tentative d’union globale des mouvements amazighs, seule l’association marocaine AMREC déclare son opposition à l’internationalisation de la question amazighe sous prétexte qu’il s’agit d’une question culturelle nationale qui ne doit pas sortir de ses frontières :

 

« La question amazighe, qui est une question de civilisation, dont l’histoire est profondément ancrée dans le territoire national, nécessite une solution au niveau national, avec la participation de toutes les composantes qui croient à la solution démocratique, par le biais d’un dialogue profond à propos des droits culturels et linguistiques. Il en est de même pour toutes les régions de notre patrie amazighe (au Nord et au Sud) où une solution interne et juste doit être trouvée à propos de la question culturelle, en toute indépendance et en accord avec les caractéristiques politiques et sociales de chacune des régions. (…) Il faut refuser toute ingérence étrangère dans les affaires culturelles et politiques de ces régions, selon le principe de l’indépendance dans la décision, le choix et le destin. (…) La question amazighe au Maroc est une question nationale : c’est la responsabilité de tous les Marocains sans exception. Par conséquent, il faut la considérer dans le cadre national selon les principes du dialogue démocratique entre toutes les composantes concernées par les questions nationales » (Brahim Akhiat, restitué par Lehtinen, 2003, p.250).

 

A contre-pied de la position de l’AMREC, le CMA opère une unification optimum, sous les termes « Imazighen », « Tamazgha », on nomme un peuple et une terre. Le premier président, Mabrouk Ferkal, est un Kabyle résidant à Paris alors que le deuxième congrès à Lyon en 1999 aboutit à l’élection de Rachid Raha, un militant marocain originaire du Rif très présent sur la scène militante berbère de son pays. En Août 2002, le 3e Congrès Mondial Amazigh à Lille élit Lounès Belkacem[16], un universitaire kabyle de Grenoble.

La session 2005 du CMA se déroule à Nador, une ville enclavée au nord du Maroc, dans la région du Rif. Il est relevé le caractère inédit de cette rencontre, qui pour la première fois depuis la naissance de cette association, peut se tenir « sur la terre amazighe continentale » (jusque là toujours tenu toujours en Europe). Tamazgha représente le territoire de l’aire berbérophone, actuelle ou en voie de disparition (suite aux vives politiques d’arabisations ou d’hispanisation pour les Iles Canaries). Il s’agit alors de braver les obstacles imposés par les frontières étatiques, comme le rappelle oralement l’actuel président du CMA Lounès Belkacem lors de l’ouverture du congrès en août 2005 :

 

« Nous sommes éparpillés sur un territoire cloisonné de frontières fermés. (…) Aujourd’hui nous sommes là ensemble pour créer des espaces de liberté ».

 

Cette nouvelle représentation géographique incarnée par un territoire sous le terme de « Tamazgha occidentale » s’enchevêtre à la notion de « peuple » amazigh, sans Etat politique, qui réunit les Berbères d’Europe, du Maghreb et des Iles Canaries. Quoi de plus naturel alors que de substituer l’identité berbère à la nationalité d’origine comme regrette Belkacem :

 

« Beaucoup d’immigrés et leurs enfants se définissent encore par rapport à leur nationalité d’origine et non par rapport à leur identité amazighe »[17]

 

Ce territoire, non institué politiquement, va jusqu’à s’annoncer porteur d’un projet indépendantiste. En effet, la nation Tamazgha mérite pour L. Belkacem l’indépendance :

 

« La independencia de todo el Norte de Africa, no solo de un estado, siguiendo el modelo de la Union Europea, que engloba a paises muy diferentes entre si y ha suprimido las fronteras »[18]

 

On comprend, à travers l’existence d’une telle instance, la nouvelle acception de la « culture berbère » : celle-ci se veut désormais un référent de base commun aux « Imazighen » du monde entier, qu’ils soient en terre de « Tamazgha » ou émigrés en Europe. La mise en place d’une « communauté imaginée », au sens de B. Anderson, s’étend sur tout le territoire « berbère ». Ainsi, par delà leurs appartenances régionales et nationales :

 

« Les Berbères prétendent avoir appartenu à un même ensemble historique et géographique, lequel aurait fini par être englouti au gré des vagues de colonisation successives, jusqu’à aboutir à leur éparpillement total. Descendants de Mazigh, les Berbères formeraient le peuple originel de l’Afrique du Nord, un territoire qui s’étendrait des îles Canaries à l’oasis de Siwa en Egypte, jusqu’aux confins de l’Afrique subsaharienne » (Aït-Kaki, 2004, p.215).

 

La délimitation du groupe et l’instauration d’une homogénéité culturelle propre au nationalisme s’appuie sur la création et la valorisation d’une histoire glorieuse commune, de mythes et d’ancêtres légendaires. Cette histoire recèle en effet des rois (Massinissa, Jugurtha) et des héros (la Kahina) propres à la « Berbérie », et dans le même sens, largement opposés à l’histoire des « Arabes ». Cette réappropriation historique nécessaire à la légitimation du mouvement reflète la construction d’un espace de reconnaissance propre au nationalisme.

 

La réalité d'une unité amazighe par delà les clivages régionaux et les frontières nationales semble dans les faits effective. Si chaque revendication évolue en fonction des contextes nationaux, l'appartenance à des Etats-nations différents conditionne aussi les rapports que les militants entretiennent. La polémique autour du lieu de tenue du 5e Congrès Mondial Amazigh de 2008 révèle ces enjeux politiques.

Prévu à Tizi-Ouzou, le Congrès se déplace finalement à Meknès, ville gouvernée par Hassan Aourid. Ce dernier représente un homme politique controversé qui allie tant une proximité avec le roi que des liens avec la revendication berbère. D'autres personnalités proches du pouvoir s'expriment au nom du Comité d'organisation du CMA à Meknès (Fouad El Omari, frère de Ilyas Omari, membre du mouvement politique de Fouad El Himma). L'accueil plus que chaleureux offert à la tenue du CMA sur les terres marocaines exprime pour certains une « makhzénisation » du mouvement, i.e une prise en main de la revendication par l'Etat. Ces opposants ( l'association Tamaynut, le Parti Démocrate Marocain, des militants du Sud-est et du Souss) s'allient aux Kabyles et projettent un rassemblement à Tizi-Ouzou comme prévu originellement. Un double Congrès se tient donc du 30 octobre au 2 novembre 2008, l'un à Meknès, l'autre à Tizi-Ouzou. Mais, contrairement au pouvoir marocain, l'Algérie tente d'empêcher la tenue du CMA à Tizi-Ouzou, en refusant l'entrée dans le pays des militants berbères venus du Maroc. Le 29 octobre 2008, 40 militants marocains sont bloqués dans l'aéroport d'Alger, sous prétexte d'entrée illégale sur le territoire et entament une grève de la faim. Cette scission du CMA entre d'un côté des militants taxés de proximité avec l'Etat marocain (Meknès) et de l'autre, des Amazigh plus « rebelles », rattachés à l'image depuis toujours plus radicale des Kabyles (Tizi-Ouzou) révèle un nouveau clivage infidèle aux appartenances nationales.

 

 

Le peuple amazigh sous l’égide du droit international

 

Le CMA annonce défendre les intérêts de tous les Imazighens, de leur terre d’« origine » ou de l’immigration. Son travail se focalise pourtant sur les situations particulières à chaque pays et au groupe concerné mais toutes sont reliées par un dénominateur commun : amazigh. Il s’agit de restaurer les « droits fondamentaux de la nation amazighe », comme le précise cet extrait de la présentation de l’association :

 

« Tafira [1er congrès] est et restera un moment historique, le moment où les Amazighs ont définitivement décidé de prendre en charge eux-mêmes leur propre destinée. De ce 1er congrès sont nés beaucoup de projets et une farouche détermination à restaurer au plus vite les droits fondamentaux de la nation amazighe ».

 

Pour cela, le Congrès élabore des rapports alternatifs à ceux des Nations Unies, au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale[19] ou encore au Comité des Nations Unies pour les Droits de l’Homme[20]. Prenant à parti le droit international, autour du droit des minorités, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, des droits de l’Homme, etc., le CMA joue aussi la carte du « peuple autochtone ». Le dernier Congrès Mondial Amazigh, à Nador en août 2005, prouve sa solidarité avec les peuples Catalan[21] et Basque[22], et toutes les luttes des « peuples autochtones », « sans Etat » en invitant ses représentants. Ainsi la revendication berbère s’identifie et se solidarise avec les mouvements des peuples autochtones.

 

 

Les localités déclinées

 

 

La revendication indépendantiste canarienne : berbérité versus nation espagnole

 

L’archipel canarien se voit lui aussi assigner une appartenance berbère. En effet, même si aucun trait culturel contemporain ne le rattache au peuple amazigh, ni par la langue, ni par les traditions (bien qu’on ait attribué une racine amazigh à certains noms de lieux et identifié des caractères tifinagh dans des vestiges archéologiques) le mouvement guanche revendique sa berbérité. Il s’avère en effet très présent sur la scène militante berbériste, notamment au sein du Congrès Mondial Amazigh.

Malgré son statut de « communauté autonome » espagnole aux côtés des 16 autres, les Canaries assistent au développement d’un nationalisme canarien depuis le début des années 1960. Celui-ci prône l’indépendance de l’archipel et son rattachement au continent africain. Pour ce faire, il se base sur ses origines guanches, une composante ethnolinguistique du libyque (berbère). Cette identification au même tronc linguistique et historique que les Berbères permet de justifier d’une appartenance « africaine » et non plus espagnole. La mise en avant de cette spécificité culturelle permet de soutenir une doctrine nationaliste.

Contrairement au berbérisme qui n’affiche pas ouvertement de véritable projet nationaliste ou indépendantiste, le guanchisme canarien lutte clairement pour son indépendance vis-à-vis de l’Espagne pour une nation guanche. La population canarienne, européenne et complètement hispanisée, souffre d’une absence de ressource identitaire alternative et fait ainsi du guanchisme un nationalisme « sans langue » à la différence du berbérisme qui dispose, lui, d’une langue vivante pour légitimer son combat :

 

« Loin d’être des berbéristes obstinés, les nationalistes guanches jouent, en fait, la carte du berbérisme pour donner à leur combat des contours universels et échapper à toutes éventuelles présomptions de sectarisme. En réalité, ils se disent plus volontiers africanistes. Aussi, l’option berbériste est une sorte de palliatif tactique et stratégique permettant de faire face à l’absence de culture guanche vivante. Elle procure aux nationalistes la touche d’authenticité qui leur fait défaut » (Aït-Kaki, 2004, p.256).

 

L’assignation « berbère » des Iles Canaries participe dans ce contexte espagnol voire européen d’un mouvement clairement autonomiste que le faible degré de culture « réelle » ne semble entraver.

 

 

Sioua : l’oasis berbère qui s’ignore

 

Tout à fait de l’autre côté, à l’extrême Est de Tamazgha se situe l’oasis de Sioua. Limite orientale de l’aire berbérophone, à 120 km à l’est de la frontière libyenne, Sioua est une oasis égyptienne. Celle-ci regroupe 22 000 habitants et l’agriculture (olives et dattes) est le principal secteur d’activité. Oasis « hors des routes et du temps », l’héritage pharaonique y constitue la ressource régionale qui draine le tourisme. Bédouins (Badaoui) et Berbères habitent la région, les seconds employant une des variétés de la langue berbère.

 

« Les Siwi seraient d’origines libyenne, marocaine, algérienne, soudanaise, lamaise, nigériane, turque et saoudienne » (Malim, 2001).

 

Le symbole qu’est Sioua, noyau berbérophone en zone proche-orientale qu’est l’Egypte, prouve selon les militants l’étendue du territoire amazigh, l’ancestralité de cette langue et de cette culture. « Des Canaries à Sioua… » annonce le Congrès Mondial Amazigh, slogan qui désigne l’espace berbère sous le toponyme de Tamazgha. L’oasis égyptienne se voit surinvestie par le discours berbère transnational qui élabore les contours d’une identité éclatée par les Etats-nations maghrébins et canariens (espagnols). Cet îlot égyptien est alors visité par les militants berbères marocains et algériens les plus investis, en quête d’une racine commune, d’une origine qui les lierait aux Siouis. Cependant, aucune conscience berbère militante ne plane au-dessus de Sioua (i.e. aucune action, revendication ou association à caractère « berbère » n’émerge au cœur de cette oasis égyptienne). Bien que les visites de plus en plus fréquentes de militants du Maghreb ou de la diaspora tendent à diffuser l’idée de l’unité d’un « peuple berbère », et qu’ailleurs, il se lève ensemble au nom d’un combat commun.

 

 

La méditerranée fragmentée : la diaspora berbère 

 

Canariens, Touaregs, Marocains ou encore Berbères de France, le mouvement berbère réunit toutes ces entités par le biais du terme « diaspora ». Ce dernier renvoie à la racine « disperser, répartir, distribuer » antérieure à la bible. Cette dernière lui octroiera le sens de dispersion divine et non humaine, destin que subissent les Juifs s’ils désobéissent à Dieu (Dufoix, 2003). Il devient au XXe siècle un véritable concept qui dépasse le peuple juif. Malgré cette dispersion de l’espace sémantique et conceptuel, Roger Brubacker relève trois éléments constitutifs de la diaspora : la dispersion dans l’espace (dans un territoire sans franchissement de frontières), l’orientation vers un « homeland »[23] (patrie) et la préservation d’une identité distinctive[24] vis-à-vis d’un centre de la société.

 

La diaspora témoigne d’une vision essentialiste de la communauté en situation de distance par rapport au pays ou à la terre de référence et de la réification des identités tran-étatiques (Dufoix, 2003). Stéphane Dufoix définit l’idéologie de la diaspora comme l’illusion de la communauté, l’illusion de la continuité, et l’illusion de l’essence alors qu’il s’agit pourtant de processus qui mobilisent l’identification, la différenciation et l’historicité. Roger Brubacker invite à procéder à la déconstruction du caractère naturalisé des politiques identitaires pour atteindre les niveaux de construction sociale et historique des communautés naturelles :

 

« La diaspora n’existe pas plus naturellement que l’Etat, le société, l’identité.(…) Comme l’opinion publique (en référence à Bourdieu), la « diaspora » n’existe pas mais sa mise en forme par le langage la fait exister à tel point que son existence, construite par le langage, ne fait plus aucun doute » (Brubacker, 2005, p.62).

 

La notion de diaspora amazighe recouvre le sens d’une « diaspora autochtone », entendue comme un peuple qui n’a pas migré, qui est « toujours » resté sur « son » territoire mais qui subit aujourd’hui une injustice, celle d’être séparé par les frontières des Etats-nations du Maghreb et « colonisé » antérieurement par des cultures imposantes comme la conquête arabe du 7e siècle. La diaspora englobe ainsi la communauté (mythique) d’origine (berbère) éclatée par l’érection des Etats-Nations maghrébins. Cette séparation, causée par les frontières nationales, a entrainé la division d’un « peuple », d’une entité ethnoculturelle sur plusieurs Etats : Maroc, Algérie, Tunisie, Mali, Sahel, Niger, Iles Canaries, jusqu’aux frontières de l’Egypte. Le discours du Congrès Mondial Amazigh a été le premier à intégrer clairement la notion de « diaspora » : « de Siwa aux Iles Canaries… », entendue comme communauté transfrontalière retrouvée, un même peuple dispersé au-delà des frontières étatiques.

 

La diaspora berbère construit ainsi un lieu originel mythique, Tamazgha, qu’il s’agit de réactiver, de faire valoir sur la scène internationale. Si ce raisonnement atteint son paroxysme, on assiste à l’éclatement idéologique des frontières nationales (comme la demande d’indépendance de l’Afrique du Nord édicté par Lounès Belkacem). Pourtant la rhétorique militante est loin d’atteindre ce niveau de fusion panberbériste. On constate même qu’elle est indissociable du mouvement inverse qui va lui vers la focalisation régionale ; comme c’est le cas chez les Kabyles, les Rifains ou encore les Canariens. Ainsi, dans certains milieux berbères, l’unité théorique et l’homogénéisation transnationale sont prônées autour du terme de « diaspora » et de « nation amazighe » ou « peuple amazigh », tandis que l’action militante s’illustre dans la valorisation régionale, locale (d’un village, d’une région ou encore d’une zone géographique délimitée : le Souss, le Rif…). Ces deux forces, l’une tendant à l’unification, l’autre à la reconnaissance d’une appartenance locale, vont de pair, cohabitent mais rarement s’affrontent.

 

 

La défense de la culture locale : le Rif et la demande d’autonomie régionale

 

Le mouvement culturel berbère s’illustre aussi dans son versant qui valorise la diversité et la particularité (locale) en prenant parti pour la défense des cultures locales, la diversité culturelle, les langues berbères dans leurs spécificités. Cette force particularisante est visible notamment avec le mouvement d’autonomie du Rif, très récemment du Souss ou, plus anciennement de la Kabylie, ou encore la volonté de maintien des dialectes locaux. Ces actions locales se confrontent à une identification amazighe globale.

 

La structuration nationale du mouvement amazigh marocain voit ainsi se développer une certaine tendance régionaliste. D’apparences paradoxales, les prétentions nationales et régionales s’inscrivent toutes deux dans un même mouvement de traditionalisme, de retour aux sources et au patrimoine ancestral. Ainsi, même s’il s’agit de mettre en place une « haute culture » homogénéisée et représentative de tous les Imazighens (par la standardisation de la langue ou la coordination des actions associatives au niveau international), la focalisation régionaliste reste la base de ce raisonnement, chaque région recélant l’essence de la tradition et le réservoir culturel de l’amazighité. On perçoit ici la difficulté d’opposer un courant homogénéisant et un courant localisant, tant ces deux principes semblent indissociables et participent d’un même mouvement. Seuls certains acteurs prennent pourtant clairement position contre un des deux courants[25].

 

Le projet fédéraliste, essentiellement né et défendu par des militants de la région du Rif[26] au Maroc, développé et diffusé autour de Rachid Raha[27], propose une gestion autonome de neuf régions suivant la langue, l’économie et l’histoire[28]. Pour cela, Raha s’inspire de l’ouvrage de Jean-François Troie sur la géographie humaine du Maroc[29] qui construit une carte régionale du Maroc et la présente ainsi :

 

« L’autonomie est une décentralisation régionale, où les autochtones disposent de la possibilité de gérer leurs affaires administratives, économiques, politiques et sociales dans le cadre de l’unité nationale »[30].

 

Rachid Raha affirme:

 

« Nous revendiquons l’autonomie des Berbères au Maroc » [31] .

 

Suite à cette déclaration, une polémique s’engage qui le taxe de séparatiste. L’accusé affirme alors qu’il n'a :

 

« ni appelé à la sécession ni préconisé la république (…) ni appelé au séparatisme, mais à l'autonomie à l'espagnole, à l'allemande ou à la suisse »[32].

 

Il se base en effet sur la configuration politique espagnole de gestion assez « autonome » des régions qui reconnaissent chacune leur langue régionale au côté de la langue nationale espagnole.

En plein cœur du Rif, le 24 février 2004, un tremblement de terre meurtrier sévit la région d’Al-Hoceima et relance la question de l’autonomie régionale. En effet, la lenteur de l’intervention de l’Etat réveille le sentiment de rejet et de marginalisation dont se sent victime cette région.

 

« Le Rif a subi une politique d’exclusion et de discrimination qui l’a confiné dans une situation d’enclavement, d’exil et de sous-développement »[33],

accuse l’universitaire rifain Mimoun Charqi et auteur d’une récente biographie de Mohammed Abedlkrim El-khattabi.

Parfois surnommés « les Basques du Maroc », les Rifains sont porteurs d’une tradition de dissidence. Le régime d’Hassan II n’échappait déjà pas à cette constante avec la fameuse révolte de 1959 : après l’indépendance du pays, la région se voit reléguée aux autorités jacobines de Rabat et s’en suit une véritable rébellion face aux pouvoirs centraux qui aboutit à de milliers de morts. On raconte qu’en quarante ans de règne, Hassan II ne reviendra jamais dans le Rif. Cette tradition de dissidence s’était illustrée dans les années 1920[34] où Abdelkrim El-Khattabi s’oppose à la domination européenne en créant un nationalisme populaire et proclame en 1922 la République confédérée des tribus du Rif. Finalement battu par les forces franco-espagnoles en 1926, la guerre du Rif demeure comme l'une des plus grandes épopées nationales du Maroc. Symbole de la lutte anticoloniale au regard des nationalistes arabes, Khattabi et son épopée s’avèrent, aux yeux des actuels militants berbères, le héros régional et le symbole de leur lutte identitaire. Entretenu par ces légendes populaires et réanimé par le tremblement de terre s’ouvre le débat tabou de l’autonomie politique.

 

Dépassant les « frontières » de la région du Rif, la régionalisation est aussi revendiquée pour toutes les régions par l’élite berbériste rbati : elle est, au côté entre autre de la laïcité, des droits de l’homme et de l’officialisation de tamazight, une des sept revendications de la Charte des revendications amazighes à propos de la révision du texte constitutionnel de juin 2004.

 

 

L'éloge du fragment : langues et régions berbères

 

 

L'éloge du « fragment » (Chatterjee, 1993), du particulier, de la « différence » semble succéder à une phase d'homogénéisation très active ces dernières années, qui s'est illustrée notamment à travers la création du Congrès Mondial Amazigh ou encore, au Maroc, à travers la standardisation des langues berbères mise en place par l'IRCAM. Aujourd'hui, la tendance inverse, celle du particulier, se perçoit tant au niveau de la recherche[35] qu'au niveau de la revendication identitaire. En effet, les militants rencontrés, dans leur écrasante majorité, remettent en cause la politique de l'IRCAM qui nierait la réalité plurielle et régionale de l'amazighité. Ils se tournent alors vers une apologie des différentes langues et régions berbères, perçues comme des entités distinctes et autonomes.

Né de cette tendance, le Mouvement pour l'autonomie du grand Souss en est l'illustration même. Il est créé en juillet 2007, en marge de l'activité de l'association Imel de Tarjisht, région marginalisée du Souss.

Un de ses instigateurs défend en ces termes sa langue régionale :

 

« Nous, les Soussis on a défendu jusque là une langue standard et non notre lange régionale du Souss. Il nous faut aujourd'hui défendre tassousist, car si on standardise notre langue, elle deviendra une langue d'élite »[36]

 

Déclarant ne pas porter de projet d'indépendance mais celui d'une d'autonomie à l'espagnol, le Mouvement déclare que :

 

« il est temps d’accorder l’autonomie au Grand Souss (qui s’étend de Tansift au nord jusqu’à l’oued Dra au sud ; et de l’océan atlantique à l’ouest jusqu’à la frontière algérienne à l’est) dans le cadre d’un Maroc fédéral et démocratique ».

 

Dans le même sens, mais cette fois-ci du côté de la Kabylie, Ferhat Mehenni, le président du Mouvement pour l'Autonomie de la Kabylie (MAK) se place dans le versant particulariste. Il se dit kabyle avant d'être Amazigh :

 

« Quand je me dis Amazigh personne ne sait d'où je viens. Quand je dis kabyle on sait que je suis Amazigh »[37]. Il prétend qu'il n'existe pas de nation amazighe, que tous les Berbères sont différents, et par conséquent que chacun doit se battre pour les siens : « Nous ne connaissons pas les Touaregs, ils possèdent une autre langue, ni les Mozabytes, ils ont une autre religion, on est différents! (...) Les Amazighs, étaient peut-être un peuple uni au temps de Massinissa, mais aujourd'hui ils sont des peuples différents »[38]

 

Il rappelle sa participation à la création du CMA à Tafirat qui, malgré son dessein de rassembler l'ensemble des peuples amazighs, se trouva confrontée à de grandes contradictions; des mésententes sévirent même entre amazighs du nord et du sud du Maroc. Mehenni relate aussi les réactions choquées des autres militants berbères quand il proposa le 20 avril (jour du printemps berbère kabyle) comme journée de commémoration commune. La réalité plurielle de cultures finalement différentes et presque incompatibles poussa le président du MAK à se consacrer à la défense de la kabylité et plus précisément au projet d'autonomie de la Kabylie. 

  

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 *      

 

Une tension s’élabore entre d’un côté l’homogénéisation d’une culture berbère, unifiée, standardisée, une culture « revendicable », « nouvelle » et transnationale, et de l’autre côté, un mouvement qui va lui vers l’hétérogénéisation des cultures et langues berbères. La berbérité se réfère ainsi à des critères qui peuvent s’avérer locaux, nationaux ou/et transnationaux et s’inscrit dans des luttes sociales et politiques (laïcité, fédéralisme, …).

La revendication identitaire s’érige sur le constat d’un groupe politiquement et socialement minorisé. Au Maghreb, la place subalterne de cette « culture » est vécue comme la conséquence de l’imposition du nationalisme arabo-musulman sourd aux diversités culturelles du pays. Aux Canaries, l’appartenance à l’Etat espagnol est pointée comme une imposture que justifient l’existence de « traces » berbères. En France, la question berbère s’aligne aux autres minorités ethniques qui revendiquent une place dans l’Etat-nation, comme la reconnaissance de la langue berbère au rang de langues de France.

Ces contextes locaux particuliers peuvent se substituer à la dimension globale de la berbérité que certains acteurs tendent à défendre. C’est le cas des congressistes du Congrès Mondial Amazigh qui transcendent les particularismes pour une identité globale, unifiée. Le berbérisme à « grande échelle », regroupant « tous » les Imazighen, est en grande partie le fruit d’une initiative kabyle. Anticipant la critique séparatiste, celle-ci s’est identifiée à un espace berbère plus global, celui de Tamazgha. Le processus de réappropriation culturel et identitaire amazigh s’illustre ainsi par l’homogénéisation d’un peuple, d’une culture et d’une langue jusque là minorisée mais unie sous la bannière de « la culture berbère ». Mais ce panberbérisme semble aujourd'hui laisser place à l'éloge d'éléments distincts, fragmentés.

 

 

Références bibliographiques 

 

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Malim, Fathi. L’oasis de Siwa vue de l’intérieur. Traditions, coutumes et sorcellerie. Le Caire : Al Katan, 2001.

 



[1] www.kabyle.com, 21 avril 2004.

[2] D’autres régions comme les Aurès et le Mzab comptent des locuteurs berbérophones mais ne sont pas initiatrices de revendication amazighe structurée.

[3] A ce sujet, voir Mahé, 2001.

[4] Maxime Aït-Kaki remarque que le surinvestissement de la langue traduit un point essentiel du nationalisme dans son expression romantique allemande : « Pendant « naturel » de la culture, la langue devient ainsi l’expression même du berbérisme, éclipsant toutes les autres matrices que peuvent éventuellement receler l’identité berbère dans son spectre le plus large. Cette conception réifiante de la nationalité, qui place la langue au-dessous de toutes les autres expressions identitaires, n’est pas sans rappeler la tradition romantique allemande » (Aït-Kaki, 2004 : 71)

[5] Comme nous l’avons vu, Salem Chaker soulève le risque d’un « berbère classique », symétriquement à l’arabe classique. Cf. S. Chaker, « Le berbère au Maghreb : une marginalisation deux fois millénaire », in Louis-Jean Calvet, 1983, Sociolinguistique du Maghreb, Université René Descartes, note 16.

[6] D’après MAP 2002, Rabat, 27/06/02, souligné par nos soins.

[7] Dahbia Abrous et Hélène Claudot-Hawad 1999, « Imazighen du nord au sud : des ripostes différentes à une même négation », (Annuaire de l’Afrique du Nord, p.91-113).

 

[8] Titre du dernier album du chanteur kabyle Idir, 2007.

[9] Création de Berbère Radio Télévision, BRTV, le 1er décembre 2000.

[10] Ce festival breton de cinéma est consacré chaque année à un « peuple » différent.

[11] Les « Premières assises des Berbères de France » se tiennent en décembre 2004, à Issy-Les-Moulinaux (92).

[12] « Les Berbères ont naturellement retrouvé dans les fondements de la société française, les valeurs essentielles sur lesquelles repose leur propre société : démocratie, liberté, laïcité, équité. Ils n’ont donc pas rencontré de difficultés majeures à adhérer au modèle républicain français et sont nombreux à avoir réussi dans les affaires, la fonction publique, la médecine, la recherche, les professions artistiques et le sport (…) », Rapport alternatif du Congrès Mondial Amazigh au rapport officiel présenté par la France aux Nations Unies, Genève, le 22 février 2005, intitulé : « France : les discriminations à l’encontre des citoyens amazighs ».

[13] « Ce dernier [le berbère] est, conjointement avec le français, la langue maternelle héritée de centaines de milliers d’entre nous, mais n’est langue officielle nulle part, pas même au Maroc, tandis qu’il est combattu dans la région géographique de l’Algérie où il est majoritaire (…). Il va de soi qu’il y aurait quelque chose d’inexplicable à ce que la France, au moment où elle consacrerait comme faisant partie de son patrimoine linguistique les langues parentales de Stéphane Guivarc’h, de Bixente Lizarazu ou de Lilian Thuram, refuse de faire de même pour celle de Zineddine Zidane. », paragraphe 176 du rapport de G. Carcassone, cité par S. Chaker (2004 : 26).

[14] Sont présupposées les langues dont l’importance démographique et la stabilité de la population sont notables ainsi que l’absence de statut officiel de cette langue dans un Etat étranger.

[15] Extrait du rapport de la session du CMA 1998, www.congres-mondial-amazigh.org 

[16] « Généralement, je me présente comme un Amazigh de Kabylie. Mon pays c’est Tamazgha, de Siwa aux Canaries et mon village c’est la Kabylie. Vivant en France depuis près de 25 ans, je suis toujours resté attaché à la terre qui m’a enfanté, à ses reliefs, à ses couleurs, à ses lumières à sa chaleur, à ses odeurs, à ses hommes et ses femmes. Et je suis très heureux d’appartenir à ce peuple amazigh à la fois fier, quelquefois orgueilleux mais toujours accueillant, tolérant et ouvert. », Interview de L.Belkacem par M.Hammouche, Le jeune indépendant Kabylie, n°1329, 15 sept. 2002.

[17] Entretien avec Lounès Belkacem, journal berbère militant Agraw Amazigh, 17.10.2003.

[18] Interview du journal espagnol Diariosur du 27.04.2005.

[19] Rapport alternatif du CMA à la Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale intitulé : « France : les discriminations à l’encontre des citoyens Amazighs », Genève, 22 février 2005.

[20] Rapport alternatif du CMA au Pacte international relatif aux droits civils et politiques intitulé : « Les Amazighs du Maroc : un peuple minorisé », Genève, 18 octobre 2004.

[21] « La Catalogne est l’invitée d’honneur à double titre : elle accueille beaucoup d’immigrés amazigh et elle lutte comme nous pour sa reconnaissance. Le peuple catalan est comme nous un peuple méditerranéen », L. Belkacem, intervention orale lors de l’ouverture du 4e CMA, Nador, 2005, données de terrain.

[22] Le représentant du Pays basque affirme durant cette rencontre : « Nous sommes le plus vieux peuple d’Europe, un peuple autochtone comme les Amazighs. » et rappelle leur adhésion à la Charte des droits fondamentaux du pays basque des confédérations internationales des peuples sans Etat, données de terrain.

[23] « Orientation to a real or imagined ‘homeland’ as an authoritative source of value, identity and loyalty », (Brubacker, 2005, p.5).

[24] « Boundaries maintained by deliberate resistance to assimilation (…) Active solidarity as well as by relatively dense social relationships, that cut across state boundaries and link members of the diaspora in differents states into a single ‘transnational community », (Brubacker, 2005, p.6).

[25] Comme Salem Chaker qui s’oppose à une identification commune de l’amazighité, qu’il juge abstraite et sans ancrage réel. Il a pourtant lui-même participé à son homogénéisation en réaménageant l’alphabet latin dans le cadre de l’INALCO en 1982, ce qui a contribué à unifier les différents « dialectes » berbères (« Proposition pour une notation usuelle du berbère (kabyle) », Bulletin des Etudes Africaines de l’INALCO, II/3 : 33-47).

[26] Région montagneuse et enclavée, elle est marquée par sa relation de longue confrontation avec l’Espagne. Sa population, les Jebala, qui sont restés majoritairement des ruraux, est la première à avoir été arabisée. La population urbaine de la province, ses élites, est en grande partie andalouse. Les médinas de Tétouan et Chefchaouen ont été construites par des musulmans et des juifs d’Espagne fuyant Grenade et les persécutions à partir du XVe siècle.

[27] D’origine rifaine, il a séjourné en Espagne où il a créé une association amazighe. Anthropologue de formation, il est aujourd’hui co-fondateur à Rabat du journal Le Monde Amazigh aux côtés d’Amina Ibn Cheikh. Ancien président du Congrès Mondial Amazigh, ses relations avec l’Espagne font de lui le représentant marocain de la cause canarienne.

[28] « Quant aux régions qui doivent bénéficier de l’autonomie, ce sont celles dont les spécificités culturelles, linguistiques, historiques et environnementales sont distinctes. », Interview de Raha dans L’Indépendant Magazine, 13-15 déc. 2002.

[29] 2002, Maroc, régions, pays, territoires, Paris, Maisonneuve et Larose.

[30] R. Raha, L’Indépendant Magazine, op. cit.

[31] Journal arabophone Al-âsar du 17 mai 2002.

[32] Quotidien marocain Al-Joumhour du 18 juin 2002.

[33] Dominique Lagarde et Mohammed El-bakkali, « Le Rif sort de l’ombre », L’Express du 24/05/2004.

[34] Rappelons que depuis la veille de la 1ère guerre mondiale jusqu’en 1956, le Rif est sous protectorat espagnol.

[35] Les positions de Salem Chaker et Abdellah Bounfour insistent sur le fait qu'il n'y a pas un berbère unifié mais « des variétés du berbère ». A. Bounfour dénonce le « fantasme de l'unité de la langue comme unité du peuple », le 25 mars 2008 à l'Institut Français d'Agadir, Maroc, intervention orale sur « Le patrimoine immatériel berbère ».

[36] Donnée de terrain, avril 2008.

[37] Intervention orale dans le cadre des Rencontres berbères à l'initiative des associations tikli et des Etudiants berbères de paris 8, sur le thème « Amazighité, berbérité, kabylité, revendications politiques et sociales en Algérie et au Maroc », Université Paris 8, 15 mai 2008.

[38]Ibid.

 
Source: http://www.inalco.fr/IMG/jpg/CarteBerberophonie.jpg