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Hiver2006 - Vol.08. No. 01

Annexe - Témoignage de chercheur, ou les tribulations d'une assistante sociale au pays de la recherche

Dany Bocquet
Doctorante en anthropologie à l’EHESS (Paris) ; thème de recherche « la sexualité caribéenne », à partir de l’approche du phénomène « maternités adolescentes détectées et suivies dans le cadre scolaire à La Guadeloupe ». Dany Bocquet est Assistante sociale scolaire à l'Education Nationale. Esprit critique > Hiver 2006

 

 

 

 

Rien ne me destinait à des études universitaires qui me conduiraient à la préparation d’un doctorat. Mes premières années en enseignement secondaire ont été plutôt médiocres, incitant mes professeurs à me destiner à un métier que je refusais. Il est vrai que cela prit du temps, et que c’est au seuil de la cinquantaine que j’atteindrai peut-être mon but.

 

Revisitant la chronologie des événements qui ont jalonné ces parcours tant professionnel que de chercheur pour rédiger ce texte, il m’apparaît comme une évidence que c’est à la faveur de rencontres qu’ils se sont construits.

 

1ère rencontre ou la révélation d’une vocation 

 

Dès l’enfance, j’ai eu pour projet de suivre les pas de ma mère et devenir infirmière. Sans doute la littérature du Dr SCHWEITZER n’y était pas étrangère, reliée à l’admiration vouée à celle qui m’avait donné la vie. Mais c’était sans compter avec une première rencontre, durant mes années lycée, qui a remis en question la destinée que je m’étais fixée. La découverte des missions de l’assistante sociale du lycée dont la personnalité, les qualités humaines m’émouvaient a forcé ce destin, et décidé de mon orientation professionnelle. Et en 1979, lorsque je me suis présentée au diplôme d’Etat d’assistant de service social, les épreuves restaient très scolaires, basées sur la restitution de connaissances (objet d’un rabâchage où la réflexion ne trouvait pas place). Le mémoire n’avait pas fait son entrée et avec lui la formation des assistants sociaux à la démarche de recherche.

 

2ème rencontre ou la parole d’un oncle convaincu et convaincant

 

Engagée dans la vie professionnelle, j’ai éprouvé quelques années plus tard le besoin de reprendre un cursus qui compléterait ma formation initiale. Dans sa continuité, j’envisageais la préparation d’un DSTS (diplôme supérieur en travail social), mais tout en m’interrogeant sur ce que cela m’apporterait, en terme de valeur ajoutée. Questionnant un oncle, fort investi dans les formations supérieures en travail social, il a parlé DSTS, mais également DHEPS (diplôme des hautes études en pratiques sociales), et l’originalité de cette formation, faisant germer en moi une curiosité. Attentive à ses propos, cette formation par la recherche - et à la recherche - dans un cadre universitaire semblait répondre à mes attentes. Car, si ces 2 diplômes présentent des similitudes quant aux objectifs de la formation, j’ai pressenti que le DHEPS, préparé dans un collège coopératif [1], m’ouvrirait à des champs professionnels plus diversifiés et j’avais envie de ces rencontres. Par ailleurs, la philosophie de cette formation me séduisait : l’ouvrir à des professionnels ou des responsables associatifs, porteurs d’un projet de recherche en lien direct avec leur activité, quel que soit le niveau d’études préalable. Se sont ouvertes trois années besogneuses, au cours desquelles il fallait tout apprendre, tenter de comprendre, s’approprier des savoirs nouveaux, être présent sur tous les fronts : apports théoriques, complexité de pensée de certains auteurs, méthodologie de recherche, expérimentation, réalisation du mémoire… et encore : mettre en relation la théorie et la pratique, conceptualiser, construire une problématique, s’obliger à la clarification toujours, et aller ainsi au bout de sa réflexion. Accepter aussi d’être bousculée par « le coopérateur de recherche » (qui à cette époque ne donnait pas cher de mon parcours de chercheur, comme il me le confiera quelques années plus tard) qui a su faire preuve d’une patience infinie, et de s’exposer à la critique lors des échanges internes à notre promotion. Etre en activité professionnelle tout en étant mère et épouse, et également étudiante, ne pouvait se mener de front sans une indispensable solidarité familiale, un soutien de tous les instants de l’entourage qui a dû lui aussi consentir de nombreux sacrifices. Le DHEPS m’a permis de faire mes premiers pas de chercheur, d’acquérir les fondements de la démarche, auxquelles les formations antérieures ne m’avaient pas préparées, voire m’avaient éloignée. Mon enthousiasme reste intact lorsque je repense à la richesse des échanges entre les étudiants et avec les enseignants, pour la plupart convaincus par les théories de H. DESROCHEi, volontaires pour nous accompagner dans cette aventure, et former ces étudiants tardifs, avides de comprendre, mais si maladroits dans leur raisonnement. Quel luxe aussi que d’être pris en charge par une spécialiste de la documentation qui nous livra les clés de la démarche documentaire, la richesse et la diversité des sources, leur classement, les méthodes et outils si nécessaires lors de l’élaboration de toute recherche. Je ne suis pas sûre que les jeunes étudiants, en formation initiale, soient à ce point accompagnés dans l’acquisition des savoirs. Pou le mémoire de DHEPS, j’ai choisi de réfléchir à la position de l’assistante sociale scolaire dans son système, si inconfortable quelquefois, à la fois dans et hors institution. La référence au concept de marginal sécant a éclairé ma réflexion théorique me permettant par la suite de mieux me situer professionnellement vis-à-vis des autres acteurs de l’institution et de valoriser mes fonctions.

 

3ème rencontre : découvrir une société et tenter de la comprendre

 

Un projet familial me conduit aux Antilles françaises de 1996 à 2004. Je découvre une société éloignée de mes repères d’occidentale qui a son histoire, ses valeurs, sa culture, et qu’il me faut mieux connaître. Par curiosité et intérêt personnel d’une part, mais aussi car j’y travaille et que l’accompagnement social des populations passe, me semble-t-il, par une plus grande compréhension des réalités auxquelles elles sont confrontées. C’est dans ce contexte que j’entreprends la préparation d’un DEA en anthropo-sociologie à l’université Antilles-Guyane, de Pointe-à-Pitre, inscription rendue possible par la détention du DHEPS. En abordant cette formation universitaire, je poursuivais 2 objectifs : m’approprier des apports théoriques relatifs aux populations caribéennes et contribuer à une réflexion autour de problématiques sociales que les assistants sociaux sont amenés à accompagner, à savoir : les maternités adolescentes et l’absentéisme scolaire.

 

Nouvelle étape de mon parcours résolument tournée vers la recherche. Car j’aurai pu me contenter des lectures scientifiques et romanesques entreprises pour alimenter le besoin de connaissance du monde caribéen, confortablement installée sur une plage, à l’ombre des cocotiers. Mais je suis convaincue à présent que la recherche peut se comparer à de la « compulsion », et que lorsque un questionnement surgit, c’est par la démarche scientifique que nous le raisonnons. J’intègre le CERC (Centre d’études et de recherche caribéen) pur produit de l’université et de ses conceptions du savoir, de sa suprématie. Ici, on théorise dans la rupture épistémologique. Cela ne m’empêchera pas, en praxéologue convaincue, d’introduire ce concept dans ma démarche de recherche, forte des acquis du DHEPS. Position inconfortable d’une étudiante qui prépare un diplôme et qui se positionne à contre-courant d’un formatage universitaire qui fait bien peu de cas de la recherche-action et des professionnels qui entendent interroger leurs pratiques. Pas facile non plus d’être la seule blanche, européenne, par exemple lors d’un séminaire sur la question de l’identité en société antillo-guyanaise, témoin d’une culture qui continue de souffrir de la colonisation imposée par les occidentaux, particulièrement la France, de la violence exercée sur les ancêtres. Il est nécessaire d’aborder la question identitaire dans une démarche intellectuelle pour se dégager un peu des chaînes de la culpabilité ressentie à ce moment là. Prendre du recul, embrasser l’ensemble des dimensions d’une problématique, c’est aussi à ce raisonnement que nous nous formons au cours de ces années.

 

Dernière rencontre avec un directeur de thèse qui me donne ma chance

 

C’est ainsi que j’en arrive à la dernière étape de mon parcours. Le DEA constituait le préalable à la poursuite en thèse d’anthropologie, accompagnée par un directeur intéressé à la fois par mon thème de recherche et par mon parcours. Le terrain guadeloupéen en constitue le cadre, et la sexualité des adolescents l’essence.

 

Un ego qui se renforce malgré un environnement sourd et aveugle :

 

Une des missions assignée à l’université concerne la valorisation de la recherche, sa publication. Pour ma part, j’ai souvent fait l’expérience, pour moi comme pour des collègues, du désintérêt de nos services employeurs pour les travaux réalisés au cours des cursus. Il aurait été enrichissant lors de la finalisation de mes mémoires de recherche d’en restituer le contenu aux collègues, puisque mes préoccupations étaient en lien avec mon activité : rares invitations à partager, aucune invitation à diffuser. Il y a sans doute matière à réfléchir à des stratégies de valorisation des recherches au sein des services employeurs. Le congé formation est une possibilité ouverte aux agents de la Fonction publique, qui souhaitent entreprendre – ou poursuivre – une formation. Ce n’est ni l’intérêt pour la recherche envisagée, ni le niveau de qualification qui en découlerait qui m’ont permis d’obtenir un congé formation, réduit à quelques mois. Pourtant, la sexualité des adolescents et ses conséquences en terme de maternités précoces, d’interruptions volontaires de grossesses font partie des préoccupations déclarées par les pouvoirs publics et les services et associations concernés. Alors comment comprendre ce décalage entre préoccupation politique, souci de protéger une population et désintérêt pour un travail susceptible de nourrir la réflexion en vue de l’action ?

 

La satisfaction est à trouver en soi, à déceler dans les propos de l’entourage familial et amical, et ressentir de la fierté au vu du chemin parcouru.

 

Notes

 

[1] Les collèges coopératifs ont été initiés par le Professeur Henri Desroches, alors Directeur à l’Ecole des Hautes Etudes à Paris ; ils fonctionnent en convention avec une université et délivrent un diplôme qui, sous certaines conditions, peut être homologué comme une Maîtrise.

 

Notice bibliographique

 

Bocquet, Dany. "Annexe - Témoignage de chercheur, ou les tribulations d’une assistante sociale au pays de la recherche", Esprit critique, Hiver 2006 - Vol.08, No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr

 

 

 

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